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Journal de Chirurgie Viscérale (2010) 147, 420—424

STAFF PUBLIC

Une tumeur du rectum circonférentielle


A circumferential rectal tumor

P. Fournier

Service de chirurgie colorectale, hôpital Beaujon, 100, boulevard Général-Leclerc,


92110 Clichy, Clichy, France

Présentation du cas clinique


Cette observation a été présentée au 5e Congrès francophone de chirurgie digestive
et hépatobiliaire, à Marne-la-Vallée, le 4 décembre 2009 lors de la séance de dossiers
cliniques. Le présentateur (Docteur Fournier) fait des propositions, discutées par les
animateurs (Docteurs Sauvanet et Mariette) qui encouragent la salle à prendre la
parole.
Docteur Fournier : « Voici le cas d’une tumeur circonférentielle du rectum chez un
patient de 49 ans qui pèse 60 kg pour 1 m 82. Il est militaire de carrière, et fait des
voyages fréquents en Asie et aux Émirats Arabes Unis. Il a consulté pour des rectorra-
gies. Dans ses antécédents, on notait un tabagisme à 39 paquets-années et une fracture
du bras droit. L’examen clinique trouvait un bon état général, pas d’amaigrissement, pas
d’asthénie, pas de perte d’appétit. Il ne présentait pas de vomissement mais quelques
épisodes de constipation traités par des laxatifs doux. L’abdomen était souple, indolore,
il n’y avait pas d’adénopathie palpable. Le toucher rectal trouvait une lésion circonfé-
rentielle à 4 cm de la ligne pectinée, d’une hauteur de 4 cm fixée aux plans profonds.
Les biopsies réalisées par un premier gastroentérologue et un chirurgien digestif étaient
négatives. L’endoscopie montrait cette volumineuse lésion circonférentielle bourgeon-
nante, hémorragique et ulcérée (Fig. 1). Le reste de la coloscopie était normal. En
écho-endoscopie, la lésion était classée us T3N0. À l’imagerie par résonance magnétique
(IRM), vous voyez cette lésion qui est tissulaire, circonférentielle, bourgeonnante du bas
rectum avec une sténose serrée à 25 mm de la marge anale de 3 cm de hauteur et 1 cm
d’épaisseur avec un mésorectum qui n’est pas infiltré (Fig. 2). À ce stade qu’auriez-vous
fait ? ».

Adresse e-mail : pierre.fournier.bauwens@gmail.com

1878-786X/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.jchirv.2010.08.020
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Figure 3. Examen anatomopathologique de la biopsie chi-


Figure 1. Coloscopie : tumeur rectale circonférentielle. rurgicale : ulcérations profondes de la muqueuse, phénomène
d’invagination glandulaire kystique, pas de tumeur, pas de dyspla-
sie.
Docteur Mariette : « Pour résumer, vous avez un patient
avec une lésion rectale pauci symptomatique avec un dis-
(le vote à lieu et c’est l’option 3 qui est retenue).
cordance entre deux séries de biopsies, la première per
Compte tenu des caractères relativement inquiétants
endoscopique, la seconde chirurgicale qui sont négatives,
de la lésion, vous n’avez pas retenu la surveillance, et
par ailleurs, et un aspect macroscopique et en imagerie
vous avez opté majoritairement pour une preuve anato-
qui semble plutôt inquiétant, à la fois en écho endosco-
mopathologique au mieux, puisque vous êtes chirurgiens,
pie puisqu’il a même une classification us T3N0 et en IRM
par un geste chirurgical. ».
avec l’image circonférentielle sur 3 à 4 cm de hauteur. On
Docteur Fournier : « Effectivement, nous avons fait de
vous propose de voter, soit pour :
nouvelles biopsies chirurgicales. L’examen anatomopatho-
• une surveillance ;
logique a répondu : ulcération profonde de la muqueuse,
• de nouvelles biopsies endoscopiques ;
régénération pseudovilleuse de la muqueuse de surface
• de nouvelles biopsies chirurgicales ;
(Fig. 3), une sclérose de la sous-muqueuse séquellaire, un
• une radiochimiothérapie, puis une proctectomie avec
phénomène d’invagination glandulaire kystique au sein de
une exérèse totale du mésorectum (TME) ;
la sous-muqueuse, mais pas de tumeur ni dysplasie. Que
• une proctectomie avec TME.
faites-vous ? »

Figure 2. Imagerie par résonance magnétique : lésion circonférentielle, bourgeonnante tissulaire.


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Docteur Mariette : « Nouvelle série de biopsies qui


n’ont pas été spécialement contributives, en tout cas pour
l’idée qu’on avait au départ (de lésion néoplasique) et
donc on vous repose les mêmes questions. »
Docteur Vacher : « Je recherche une syphilis rectale. »
Docteur Fournier : « Les sérologies de la syphilis avaient
été dosées et étaient négatives. »
Docteur Vons : « L’actinomycose peut-elle donner un tel
tableau ? A-t-il un syndrome inflammatoire ? »
Docteur Fournier : « Son bilan inflammatoire était néga-
tif : syphilis, hépatite, VIH. . . »
Docteur Benoist : « Ce que l’on peut dire c’est qu’il y a
eu de nombreuses biopsies, on a vu la photographie de la
lésion. On est en présence d’une lésion qui n’est pas typique,
ce n’est donc probablement pas un adénocarcinome ou un
cancer. Cela veut dire que, pour l’instant, on ne sait pas
si c’est une lésion bénigne ou maligne. Il ne faut pas se
précipiter à la traiter comme une lésion maligne, et faire de Figure 4. Échoendoscopie et biopsies à neuf mois : lésion us T3N0.
nouvelles biopsies est un peu difficile. Il va falloir faire une
énorme macrobiopsie et faire une exérèse locale de cette
lésion pour avoir une histologie définitive autre que par des Docteur Mariette : « Des propositions diverses qui ont
biopsies. » été faites, je vous demande de les concrétiser par un
Docteur Meurette : « On voit ces lésions histologiques par- vote :
fois dans des syndromes de prolapsus muqueux et d’ulcère • poursuite de la surveillance ;
solitaire du rectum, notamment avec l’invagination des • nouvelles biopsies ;
glandes kystiques ou des syndromes kystiques cryptoglandu- • radiochimiothérapie, puis proctectomie avec TME ;
laires. Je pense plutôt que d’en faire l’exérèse, j’essaierai • proctectomie avec TME ;
d’orienter les investigations vers la dynamique défécatoire. • autres. »
Peut-être une défécographie ou la recherche de signes de
dyschésie. Cela peut donner typiquement des aspects pseu- Docteur Sauvanet: Le docteur Pocard a un commentaire
dotumoraux, du moins il faut garder cette hypothèse en à faire pendant que vous votez. »
tête. » Docteur Pocard : « La tuberculose a-t-elle été recher-
chée ? »

Figure 5. a : imagerie par résonance magnétique coupe sagittale ; b : imagerie par résonance magnétique coupe transversale ; c : imagerie
par résonance magnétique coupe transversale ; adénopathie (flèche).
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Figure 6. Imagerie par résonance magnétique (coupes sagittales) : a : comparaison d’une image de 2008 ; b : par rapport à une image sous
la même incidence en 2009.

Docteur Fournier : « Oui. » pathologie maligne. »


Docteur Mariette : « Tout ce qui est maladie infec- Docteur Sauvanet : « Le frère du patient est magistrat
tieuse, inflammatoire, a priori ne correspond pas, un et son cousin est avocat. . . »
ulcère solitaire du rectum a été évoqué, une macrobiop- Docteur Fournier : « . . . et il connaît personnellement le
sie, ce qui s’appelle une exérèse. . ., pour voir par voie ministre de la Défense. Donc même série de questions : la
endo-anale (transanal endoscopic microsurgery [TEM]), surveillance, de nouvelles séries de biopsies, une proctec-
a été proposée. Qu’avez-vous fait ? » tomie ou autres. »
Docteur Fournier : « On avait opté pour une surveillance Docteur Mariette : « Le patient reste asymptomatique,
parce qu’on trouvait qu’un autre choix était peut-être mais les signes cliniques et morphologiques évoluent avec
un peu agressif. On avait juste trois mois de recul, on ce qui était inquiétant au départ, l’est peut-être un peu
n’avait pas de biopsies positives et on a préféré surveiller plus maintenant. »
le patient. » Docteur Kabou : « Il y a des formes d’actinomycose pseu-
Docteur Sauvanet : « En lui expliquant quoi ? » dotumorale décrites dans le rectum. Est-ce que vous avez
Docteur Fournier : « Il n’a pas présenté de nouvelles rec- recherché spécifiquement cette lésion ? »
torragies. Il n’avait pas de douleur, pas de symptôme. La Docteur Fournier : « Je reconnais, nous ne l’avons pas
lésion n’était pas évolutive après trois mois. . . » recherchée. »
Docteur Mariette : « Conclusion, lésion non évolutive, Docteur Sauvanet : « L’actinomycose, c’est un diagnos-
non symptomatique. Il semblait licite de ne pas proposer tic anatomopathologique en général. »
de traitement agressif. » Docteur Mariette : « Ça se voit à l’examen direct
Docteur Sauvanet : « Vous lui aviez dit clairement que en anatomopathologie et cela n’a pas été décrit ini-
vous n’éliminiez pas complètement le diagnostic de can- tialement. Y a-t-il un anatomopathologiste dans la
cer. Combien de temps vous le surveillez ? » salle ? »
Docteur Benoist : « Il y a une grosse lésion, on ne sait Docteur Pocard : « L’actinomycose, ça se met en culture
pas ce que c’est et vous lui dites ‘‘on va surveiller, on va sur des milieux spécifiques quand on veut vraiment en faire
voir.’’. . . » le diagnostic. Cela veut dire que si l’on ne prévient pas
Docteur Fournier : « On lui a proposé une surveillance l’anatomopathologiste avant, on ne peut obtenir le diag-
trimestrielle. Au sixième mois, une nouvelle IRM et un scan- nostic. »
ner thoraco-abdominopelvien a été réalisé. Il n’y avait pas
d’évolution. À neuf mois, on a refait une échoendoscopie
et de nouvelles biopsies qui classent les lésions toujours us
T3N0 (Fig. 4). À un an, il allait bien, et toujours pas de symp-
tôme. Au toucher rectal, on a quand même une induration
plus accentuée de la lésion. On refait une IRM dont voici les
clichés : apparition d’une adénopathie dans le mésorectum
(Fig. 5). »
Docteur Mariette : « Donc on a trouvé une induration
et une adénopathie. »
Docteur Fournier : « Lorsqu’on compare ces clichés avec
l’IRM de départ, on a une augmentation de la taille de
la lésion (Fig. 6). On est donc en présence d’un patient
qui a une lésion circonférentielle du bas rectum avec une
augmentation de la taille de la lésion, l’apparition d’une
adénopathie et toujours pas de biopsie en faveur d’une Figure 7. Pièce d’exérèse : aspect macroscopique.
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Figure 8. Pièce d’exérèse : aspect macroscopique typique (ulcération blanchâtre).

Docteur Mariette : « Donc nos anatomopathologistes des lésions de l’ulcération chronique avec fibrose de la paroi
auraient répondu différemment. C’est sûr que l’on ne rectale (Fig. 7).
peut pas toujours avoir le diagnostic au direct, mais Quelques mots pour vous rappeler que l’ulcère soli-
c’est tout à fait faisable. En tout cas, il n’y avait pas taire se présente plus généralement sous la forme d’un
de signe direct ou indirect d’actinomycose. De toutes les syndrome rectal avec du sang et du mucus extériorisé.
façons je ne pense pas que ce soit vraiment le problème À l’endoscopie, les lésions sont hétérogènes, plutôt des
ici. » lésions polypoïdes du rectum situées de 4 à 12 cm de la
Docteur Lafichek : « Il faut éliminer une étiologie virale, marge anale, préférentiellement sur la face antérieure, les
type papillomavirus qui est en train de se transformer en formes circonférentielles comme celle du patient repré-
cancer épidermoïde. Ce sont des lésions rares, mais qui sentent 5 % des lésions de l’ulcère solitaire. Ils peuvent
existent. » être uniques mais également multiples, on les trouve à
Docteur X : « Est-ce qu’elle prenait le gadolinium à l’IRM ? hauteur du canal anal jusqu’au sigmoïde. Le mécanisme
Est-ce que ça ne peut pas être une pseudotumeur inflamma- repose sur des efforts excessifs de la défécation avec un
toire ? » prolapsus de la muqueuse. Il s’ensuit une ischémie avec une
Docteur Fournier : « Elle prenait le gadolinium. Oui nous inflammation chronique, l’apparition d’ulcérations et une
avons d’autres images avec le gadolinium que je ne vous ai réparation épithéliale qui constitue le proctitis cystica pro-
pas montrées. » funda. Il existe peut-être une dysmotricité intestinale, mais
Docteur Mariette : « Parmi les options qui vous sont pro- sans preuve. Cette pathologie se différencie des pathologies
posées, avez-vous fait votre choix ? (la salle vote sur les néoplasiques, des maladies inflammatoires chroniques de
différentes options proposées). Oui, vous êtes plus par- l’intestin et des ulcères traumatiques. Typiquement, c’est
tagés, vous pensez que les biopsies, ce sera la quatrième plutôt un ulcère blanchâtre (Fig. 8) et le traitement est
fois, pour un tiers d’entre vous, d’autres sont un peu plus avant tout médical, avec des laxatifs, un régime riche en
agressifs avec une approche chirurgicale en faisant une fibre, une rééducation de l’exonération. Quelques études
exérèse par voie haute, et 30 % d’entre vous proposent avaient montré que l’application de corticoïdes pouvait
une autre solution comme l’équipe qui a pris en charge diminuer l’inflammation et, en cas d’échec notamment s’il
ce patient. » y a une procidence interne, qu’on peut réaliser une recto-
Docteur Fournier : « Après de nouvelles biopsies qui pexie ou une résection locale [2]. »
étaient toujours négatives, le patient est enfin en retour
de mission et on décide, comme l’a suggéré le Dr Benoist,
de faire une exérèse transanale selon la technique de la Conflit d’intérêt
TEM pour avoir une macrobiopsie et pour limiter la mor-
bidité d’une proctectomie. On a abordé la lésion par son Pas de conflit d’intérêt.
bord inférieur sur la face antérieure du rectum et on a
réalisé l’exérèse de cette lésion en tournant autour, en
enlevant un véritable rond de serviette autour du rectum. Références
L’anatomopathologie a conclu, comme l’a dit le docteur
Meurette (applaudissements dans la salle), à un syndrome [1] Cruveilhier J. Maladies du rectum. Ulcère solitaire du rectum.
du prolapsus muqueux anorectal ou syndrome de l’ulcère In: Anatomie pathologique du corps humain. Paris: Ed. Baillière;
solitaire du rectum [1] avec, dans ce cas, une forme poly- 1830.
[2] Singh B, Mortensen N, Warren B. Histological mimicry in mucosal
poïde pseudotumorale avec des polypes cloacogéniques et
prolapsed. Histopathology 2007;50:97—102.
des remaniements régénératifs pseudotumoraux, en regard

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