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La Revue de médecine interne 37 (2016) 775–778

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Communication brève

Tumeur carcinoïde ovarienne responsable d’une érythrose faciale


permanente et de flushs au décours des coïts
Ovarian carcinoid tumor responsible of permanent facial erythrosis and flushings
during sexual intercourse
B. Talvande a , A. Dorange b , M. Lecouflet a , M. Le Nezet c , B. Kianifard d , H. Maillard a ,
M. Duquenne b,∗
a
Service de dermatologie, centre hospitalier du Mans, 194, avenue Rubillard, 72037 Le Mans cedex 9, France
b
Service de diabéto-endocrinologie, centre hospitalier du Mans, 194, avenue Rubillard, 72037 Le Mans cedex 9, France
c
Service de cardiologie, centre hospitalier du Mans, 194, avenue Rubillard, 72037 Le Mans cedex 9, France
d
Service de chirurgie viscérale et endocrinienne, centre hospitalier du Mans, 194, avenue Rubillard, 72037 Le Mans cedex 9, France

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Historique de l’article : Introduction. – Les tumeurs neuroendocrines de l’ovaire sont extrêmement rares. Dans la localisation ova-
Disponible sur Internet le 9 septembre 2016 rienne, on réserve habituellement le terme de tumeur neuroendocrine aux tumeurs carcinoïdes même si
on décrit également des carcinomes neuroendocrines à petites cellules ainsi que des tumeurs à grandes
Mots clés : cellules comme elles peuvent également s’observer au niveau pulmonaire. Ces tumeurs carcinoïdes
Ovaire peuvent se développer de novo ou à partir d’autres tumeurs, notamment des tératomes.
Carcinoïde Observation. – Nous rapportons une tumeur carcinoïde ovarienne développée au contact ou à partir d’un
Télangiectasies
kyste dermoïde qui se singularise par son mode de découverte dans un service de dermatologie où la
Flushs sexuels
patiente consultait en raison d’une érythrose faciale permanente, associée à des flushs mais aussi à des
télangiectasies du visage. L’interrogatoire trouvait alors la symptomatologie habituelle du syndrome
carcinoïde y compris la cardiopathie. La survenue de flushs au décours des rapports sexuels aurait pu
faire évoquer d’emblée la localisation pelvienne de la tumeur.
Conclusion. – Un syndrome carcinoïde est naturellement évoqué en cas de flushs mais il doit l’être égale-
ment en cas d’érythrose faciale permanente, voire même en cas de télangiectasies surtout s’il s’y s’associe
une diarrhée motrice ou une insuffisance cardiaque droite. Il faut également souligner le caractère net-
tement moins péjoratif des cardiopathies carcinoïdes occasionnées par des tumeurs de siège ovarien en
comparaison aux autres localisations plus habituelles de ces tumeurs.
© 2016 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS.
Tous droits réservés.

a b s t r a c t

Keywords: Introduction. – Ovarian neuroendocrine tumors are extremely rare. In the ovary, the term of neu-
Carcinoid roendocrine tumor is usually related to carcinoid tumors although it may be sometimes applied to
Ovary neuroendocrine carcinomas of non-small cells or small cells cancers usually occurring in the lungs. These
Telangiectasias carcinoid tumors may develop de novo or from other tumors including teratomas.
Sexual flush
Case report. – We report a patient who presented with an ovarian carcinoid tumor developed, near or
from a dermoid cyst, which was original by its mode of discovery in the dermatology department. Indeed,
the patient consulted because of permanent facial erythrosis, with flushes but also facial telangiecta-
sias. During medical examination, classic symptoms of carcinoid syndrome including heart disease were
obvious. The occurrence of flushes during coitus should evoke pelvic tumor location.

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : mark.duquenne@free.fr (M. Duquenne).

http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2016.07.009
0248-8663/© 2016 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Conclusion. – A carcinoid syndrome is naturally evoked in the presence of flushes but it must also be part
of the differential diagnosis in a patient with facial erythrosis or telangiectasias, especially if they are asso-
ciated with diarrhea or right heart failure. The prognosis of carcinoid heart disease is considerably better
in case of ovarian location than when it is a primitive carcinoid tumor of lung or from gastrointestinal
tract.
© 2016 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All
rights reserved.

1. Introduction membres inférieurs depuis un an sans autre signe d’insuffisance


cardiaque droite.
Décrit initialement en 1888 par Lubarsch [1], le syndrome carci- Les hypothèses évoquées en priorité étaient une cause médi-
noïde (SC) est défini par l’ensemble des manifestations cliniques et camenteuse (ramipril, inhibiteur de l’enzyme de conversion), une
paracliniques liées à la libération par une tumeur neuroendocrine rosacée, un érythème réticulé avec mucinose (REM syndrome),
fonctionnelle de substances vasoactives telles que la sérotonine un lupus érythémateux, une dermatomyosite amyopathique.
mais aussi la bradykinine, l’histamine, la substance P, etc. Ces sub- L’étiologie médicamenteuse n’était pas retenue, les flushs étant
stances agissent sur divers organes cibles (peau, intestin, cœur, apparus plus de deux ans avant l’introduction du ramipril. La biop-
bronches). Le SC associe flushs intermittents, diarrhée motrice, sie cutanée bien que non spécifique éliminait un lupus ou une
bronchoconstriction, crampes abdominales et, à un stade plus mucinose de type REM, ou une atteinte cutanée au décours d’une
avancé, peut apparaître une insuffisance cardiaque droite. La sur- mastocytose.
venue d’une cardiopathie carcinoïde (CC) marque habituellement La calcitoninémie était indétectable, les taux urinaires de méta-
un tournant clinique dans l’histoire naturelle de ces tumeurs endo- néphrines à 94 ␮g/24 h (N : 9–350) et de normétanéphrines à
crines dont l’évolution est souvent lente et insidieuse. 162 ␮g/24 h (N : 33–440) étaient normaux. Les résultats bio-
Bien que les tumeurs carcinoïdes soient les tumeurs neuroendo- logiques n’évoquaient en rien un lupus ou une dermatomyosite
crines les plus fréquemment observées avec une incidence estimée (pas d’anticorps antinucléaires, pas de syndrome inflammatoire,
à 3 à 4/100 000 [2], elles restent rares. Elles sont essentiellement enzymes musculaires normales), la tryptase sérique était à 3,7 ␮g/L
localisées au niveau du tractus digestif (74 %) et pulmonaire (25 %) (N < 11,4). Une élévation majeure du taux urinaire d’acide-5-
[3]. La localisation ovarienne d’une tumeur carcinoïde est extrême- hydroxy-indole-acétique (5-HIAA) à 178 mg/24 h (N : < 8,9), et de la
ment rare, et représente de 0,31 à 1,36 % des localisations tumorales chromogranine A à 170 ng/mL (N : < 85) était observée à plusieurs
[4]. reprises. La sérotonine sanguine était à 1508 ␮g/L (N : 100–300),
Nous rapportons un SC d’origine ovarienne, découvert à un stade l’énolase neuronale (NSE) à 21 ␮g/L (N : < 16,3).
tardif par une symptomatologie cutanée inhabituelle avec éry-
throse faciale permanente, associée à des télangiectasies, mais aussi
avec le déclenchement de bouffées vasomotrices lors des rapports
sexuels complets. Ce SC était également responsable d’une cardio-
pathie carcinoïde originale par l’absence de dilatation de l’oreillette
droite.

2. Observation

Une patiente de 60 ans, ménopausée depuis 8 ans, aux anté-


cédents de tabagisme (15 paquets/année) totalement sevré depuis
10 ans, d’hypertension artérielle (HTA) traitée depuis 2 ans par
ramipril et de maladie de Hashimoto traitée par L-thyroxine,
consultait pour une érythrocyanose du visage, du dos et du décol-
leté. Elle signalait une artériopathie des membres inférieurs traitée
par une angioplastie récente de l’artère poplitée gauche.
La patiente décrivait la survenue depuis 4 ans, de flushs qui
duraient de 15 à 120 min et jugés différents des bouffées de
chaleur avec hypersudation qu’elle avait ressenties durant les 6 pre-
miers mois de sa ménopause. Ces flushs s’accompagnaient d’une
sensation de brûlure du visage alors vultueux, et pouvaient être
facilités par le stress. Ils survenaient aussi de façon spontanée et,
depuis 18 mois, au décours des rapports sexuels avec pénétration.
Les flushs étaient de plus en plus fréquents jusqu’à 5 par jour et
s’accompagnaient depuis 3 ans d’une diarrhée motrice, associée à
des douleurs épigastriques et pelviennes ainsi qu’à une dyspnée
d’effort d’aggravation progressive, de stade III de la NYHA.
Cliniquement, on notait une obésité gynoïde (IMC à 34 kg/m2 ),
une érythrose permanente des joues, du nez, des oreilles, du décol-
leté et du haut du dos, parcourue de fines télangiectasies. Cette
érythrose prédominait aux zones photo exposées (Fig. 1) même
si la patiente signalait un érythème des mains ou une hyperhé-
Fig. 1. Érythrose du visage et télangiectasies.
mie conjonctivale. On notait aussi la présence d’œdèmes mous des
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Le diagnostic de SC était retenu devant la concordance des don- entre 30 et 35 mmHg ; la veine cave n’était pas dilatée et parfaite-
nées cliniques et biologiques. ment dépressible. La calcémie, la prolactine, l’IGF1 et la glycémie
La scintigraphie à l’octréotide objectivait une hyperfixation étaient normaux, l’absence de tumeur pancréatique et hypophy-
intense pelvienne médiane sans foyer hyperfixant à distance. saire détectable lors d’une IRM n’apportait pas d’argument en
La fibroscopie œso-gastroduodénale était normale. La recto- faveur d’une néoplasie endocrinienne multiple de type 1 associée.
sigmoïdoscopie ne montrait qu’une compression extrinsèque du Dix-huit mois après l’intervention, l’échographie montrait la
rectum sans envahissement de la paroi rectale. stabilité des lésions comparativement à l’examen effectué six mois
Le scanner thoraco-abdomino-pelvien confirmait la présence après la chirurgie d’exérèse.
d’une masse pelvienne de 10 cm de diamètre d’origine ovarienne
droite, développée au niveau du cul-de-sac de Douglas. On notait
une lame d’épanchement liquidien pelvien. Le scanner montrait, 3. Discussion
par ailleurs, un reflux dans la veine cave inférieure avec opacifi-
cation des veines sus-hépatiques au temps artériel traduisant une Le flush se manifeste par une sensation de chaleur accompa-
insuffisance cardiaque droite. Une dilatation pyélocalicielle bilaté- gnée d’un érythème transitoire non prurigineux. Il est occasionné
rale avec retard d’excrétion à droite témoignait du volume tumoral par une vasodilatation paroxystique des vaisseaux cutanés superfi-
pelvien. On ne notait pas de lésion tumorale à distance. ciels, de mécanisme très varié, responsable d’une augmentation du
La tomographie par émission de positons (TEP) montrait un débit sanguin cutané. Bien qu’il puisse s’étendre à tout le corps, le
foyer hypermétabolique développé dans l’espace recto-utérin flush prédomine dans les zones richement vascularisées comme le
d’intensité modérée et relativement homogène. visage, le cou et la partie supérieure du tronc. Le diagnostic est cli-
L’échocardiographie qui avait été effectuée un an plus tôt et qui nique et se fait par un interrogatoire soigneux. Le caractère soudain
s’était avérée alors strictement normale, objectivait désormais une et transitoire de l’érythème, ainsi que sa localisation au visage et au
cardiopathie carcinoïde. L’oreillette gauche n’était pas dilatée, la décolleté doivent guider le clinicien vers ce diagnostic. Le flush peut
fonction ventriculaire gauche était normale à 60 % avec un ventri- être d’origine émotionnelle. Il peut aussi être occasionné par la prise
cule gauche non dilaté, non hypertrophique ayant une cinétique d’alcool, de nombreux médicaments (vasodilatateurs, opiacés, pro-
normale. Le profil mitral révélait un trouble de relaxation avec duits de contraste, anti-inflammatoires non stéroïdiens, etc.) ou par
un E/Ea à 6 témoignant de pressions de remplissage basses. On la palpation d’une tumeur carcinoïde. Il faut évoquer de principe
notait une valve tricuspidienne pathologique d’aspect carcinoïde une origine tumorale et principalement : une tumeur carcinoïde, un
avec des feuillets rigides et restreints, une fuite excentrée difficile cancer médullaire de la thyroïde, un phéochromocytome, plus rare-
à quantifier qui semblait importante. Il n’y avait pas de sténose tri- ment une mastocytose, un vipome ou une tumeur rénale à cellules
cuspidienne ou pulmonaire associée. On constatait que l’oreillette claires [5].
droite n’était pas dilatée. La fonction ventriculaire droite était nor- En cas de cancer médullaire de la thyroïde, c’est la calcitonine
male. La pression artérielle pulmonaire systolique (PAPS) par le qui est responsable des flushs et de la diarrhée motrice ; dans
flux d’insuffisance tricuspidienne était mesurée à 35 mmHg, mais la mastocytose systémique, on observe tout comme dans le SC
possiblement sous-estimée par l’importance de la fuite ; elle était des flushs intermittents, des douleurs abdominales et une diar-
mesurée à 40 mmHg par le flux d’insuffisance pulmonaire. La veine rhée secondaire à la sécrétion excessive d’histamine. Le vipome
cave n’était pas dilatée. est exceptionnel et se traduit essentiellement par une diarrhée
L’hystérectomie avec annexectomie bilatérale ne se compli- motrice profuse (choléra pancréatique). Il faut aussi savoir évoquer
quait d’aucun trouble hémodynamique. Elle permettait l’exérèse une cause méconnue mais non rare de flushs qu’est le syndrome
d’une masse ovarienne droite de 10 × 9,5 × 7 cm. L’examen ana- d’activation mastocytaire [5]. Il convient en cas de flushs sans étio-
tomopathologique montrait une tumeur carcinoïde d’architecture logie évidente, de mesurer la chromogranine A, la calcitonine, les
principalement insulaire, bien différenciée, comportant de rares dérivés méthoxylés et le 5-HIAA urinaires.
foyers de nécrose. Cette tumeur était développée au contact d’un Les érythroses permanentes sont beaucoup plus exceptionnelles
tératome mature (kyste dermoïde). L’activité mitotique était faible en cas de SC. Elles reconnaissent le plus souvent une origine toxique
(1 mitose/10 champs, au grossissement 1/400e ). On ne notait comme l’alcool, mais aussi médicamenteuse (plus de 600 molé-
pas d’emboles vasculaires. Cette tumeur qui ne franchissait pas cules dont notamment les inhibiteurs calciques, la bromocriptine,
la capsule ovarienne respectait le ligament tubo-ovarien, ainsi le tamoxifène, l’acétate de cyprotérone, etc.). Il faut également
que la trompe. L’étude immuno-histochimique confirmait la dif- savoir évoquer une sténose mitrale, une rosacée et un syndrome de
férenciation neuroendocrine avec une expression intense de la Cushing. Les conséquences des flushs répétés sont la perte du tonus
chromogranine et plus faible de la synaptophysine. La tumeur vasculaire responsable d’une vasodilatation permanente, qui peut
exprimait également les cytokératines KL et n’était pratiquement même parfois faire évoquer une rosacée [6], ce qui explique comme
pas marquée par l’anti-EMA. L’indice de prolifération Ki67 relati- dans notre cas les télangiectasies dans le SC tardif. Ces télangiec-
vement homogène était évalué à 4,5 % (sur 2000 cellules). tasies s’observent sur un fond d’érythrocyanose permanente [7,8].
Immédiatement après l’intervention, la malade remarquait la L’érythrocyanose s’expliquerait par le caractère répété de la stase
disparition des flushs et de la diarrhée tandis que l’érythrose et les de sang hypoxique [9].
télangiectasies régressaient de façon importante mais incomplète Une cardiopathie carcinoïde est observée dans 50 à 60 % des
en quelques jours. Un mois plus tard, le 5-HIAA urinaire était à tumeurs carcinoïdes et sa fréquence a probablement augmenté
6,2 mg/j (N : < 8,9), la sérotonine plasmatique à 290 ␮g/L (N : < 300), du fait de l’amélioration des techniques d’investigation [10] ;
la NSE à 7,5 ␮g/L (N : < 16,3). elle atteint classiquement le cœur droit et dans 10 % des cas le
Six mois après l’intervention, les taux de 5-HIAA urinaire, de cœur gauche. Elle est souvent synonyme de mauvais pronostic,
chromogranine A et de la NSE étaient normaux. L’échographie mon- traduisant une dissémination de la maladie où les métastases
trait une régression des lésions carcinoïdes sur la valve tricuspide hépatiques et ganglionnaires sont classiques. Cependant, l’atteinte
qui était plus mobile avec des feuillets plus fins que lors du pré- cardiaque est possible lorsque la tumeur est isolée, quel que soit
cédent examen. La fuite tricuspidienne était moins importante, son volume. Cette cardiopathie est occasionnée par les substances
cotée à grade 2, la fuite pulmonaire semblait stable avec une fuite vasoactives sécrétées par la tumeur neuroendocrine. La cardio-
modérée. Les cavités droites n’étaient pas dilatées, il n’y avait pas pathie associe habituellement une insuffisance tricuspidienne
d’élévation de la pression de remplissage avec une PAPS mesurée et pulmonaire responsables d’une HTA pulmonaire, puis d’une
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insuffisance cardiaque droite. Son évolution est imprévisible, cas de flushs qu’ils soient ou non constants surtout s’il s’y s’associe
ce d’autant qu’elle peut s’aggraver après la résection complète une diarrhée motrice ou une insuffisance cardiaque droite.
de la tumeur. Le traitement de la cardiopathie nécessite le plus En cas de diagnostic tardif, des signes cutanés atypiques tels
souvent le recours à une chirurgie valvulaire [11], même en cas de une érythrose faciale ou des télangiectasies peuvent s’observer.
réduction significative et prolongée de la sécrétion humorale. Une L’existence d’une insuffisance tricuspidienne ou pulmonaire
hypothèse tentant d’expliquer l’atteinte cardiaque droite préféren- témoigne habituellement d’une tumeur métastasée au foie et le
tielle en cas de métastases hépatiques fait intervenir l’inactivation plus souvent inaccessible à un traitement curatif. Toutefois, on peut
supposée de la sérotonine lors du premier passage hépatique ; espérer même en cas de tumeur ovarienne volumineuse, qu’une
en cas de métastases hépatiques, la sérotonine atteindrait sans exérèse tumorale complète permettra la régression de la sympto-
métabolisme préalable les cavités cardiaques droites [12]. Cette matologie cutanée et la stabilisation, voire la régression partielle
hypothèse est compatible avec la survenue de cardiopathie car- de l’atteinte cardiaque.
cinoïde d’origine ovarienne car le drainage veineux des ovaires
court-circuite le système porte. La rareté de l’atteinte cardiaque Déclaration de liens d’intérêts
gauche pourrait s’expliquer également par l’inactivation par le foie
[12] ou le poumon [13], des substances tumorales sécrétées. La Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
physiopathologie de la cardiopathie carcinoïde fait intervenir la
sécrétion de TGF␤ rendant compte de dépôts de collagène sur les
Références
feuillets valvulaires cardiaques [14]. Cette même implication de la
sérotonine, à partir d’une sécrétion autocrine, est évoquée dans la
[1] Lubarsch O. Ueber den primären Krebs des Ileum, nebst Bemerkunger über das
survenue de myxome spontané de la valve mitrale [15]. gleichzeitige. Vorkommen von Krebs und Tuberkolose. Virchows Arch Pathol
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years after “carcinoid”: epidemiology of and prognostic factors for neuroen-
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Dans cette étude, les ovaires ne représentent que 0,52 % des loca- Cancer 2003;97:934–59.
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noïde : manifestations cutanées chroniques florides. Ann Dermatol Venereol
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