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Gynécol Obstét Fertil 2000 ; 28 : 719-21

© 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés


S1297958900000096/FLA
ARTICLE ORIGINAL

Métastase cutanée ombilicale (ou nodule de Sœur Mary


Joseph) révélatrice d’un adénocarcinome ovarien
J.P. Touraud1, N. Lentz2, Y. Dutronc1, E. Mercier1, P. Sagot2, D. Lambert1
1
Service de dermatologie, hôpital du Bocage, centre hospitalier universitaire, 2, boulevard Maréchal-de-Lattre-de-
Tassigny, 21034 Dijon cedex, France ; 2service de gynécologie obstétrique, hôpital du Bocage, centre hospitalier
universitaire, 2, boulevard Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 21034 Dijon cedex, France
(Reçu le 1er septembre 1999 ; accepté le 10 février 2000)

Résumé
Nous rapportons l’observation d’une métastase ombilicale révélatrice d’un adénocarcinome de l’ovaire. L’ombilic repré-
sente un site de prédilection pour les métastases des tumeurs abdominopelviennes. Le terme de nodule de Sœur Mary
Joseph désigne ces métastases ombilicales. Le nodule peut être révélateur du cancer ou traduire une récidive. L’adé-
nocarcinome est le type histologique le plus fréquent. L’étiologie ovarienne est la première cause chez la femme. Devant
une métastase ombilicale, le pronostic demeure sombre. La survie serait cependant meilleure avec un traitement com-
biné chirurgie–chimiothérapie. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

adénocarcinome / métastase ombilicale / nodule de Sœur Mary Joseph / ovaire

Summary – Umbilical cutaneous metastasis (Sister Mary Joseph’s nodule) as the presenting symptom of an ova-
rian carcinoma.
In this study, the case is described of an umbilical metastasis as the presenting symptom of an ovarian adenosarcoma.
The overall frequency of cutaneous metastases has been estimated at between 5 and 9%. Umbilical metastases are a
rare occurrence: it is estimated that between 1 and 3% of patients with abdomino-pelvic disease present with an umbili-
cal nodule. Epidemiological studies have shown the female predominance of this disease. The clinical characteristics of
umbilical metastases cannot be visually distinguished from those of primary lesions. The clinical appearance is often
that of a nodule of varying size, more or less painful, and sometimes ulcerated or suppurating as in the present case. The
nodule may be indicative of cancer, or of cancer recurrence. The most frequently encountered histological type is adeno-
carcinoma (about 75% of cases), and is more rarely epidermoid, undifferentiated, or carcinoid. Etiological findings have
indicated a digestive origin in over 55% of cases (stomach, colon, rectum, pancreas, in decreasing order of frequency),
with a clear male predominance; cancers of gynecological origin are the second most frequent etiology, with ovarian
cancers being the most common (34% of cases). Sister Mary Joseph nodule accounts for 60% of all malignant umbilical
tumors (primary or secondary), and is usually associated with a poor prognosis (mean survival: 10–12 months). How-
ever, patient survival time could be lengthened by aggressive therapy, i.e., surgery combined with chemotherapy.
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adenocarcinoma / umbilical metastasis / Sister Mary Joseph’s nodule / ovary

La découverte d’un cancer de l’ovaire à partir d’une OBSERVATION


métastase cutanée ombilicale ou nodule de Sœur Mary
Joseph est plutôt rare. Nous rapportons une nouvelle Madame D., 66 ans, consultait en dermatologie en mars
observation dans laquelle la symptomatologie révélatrice 1999 pour une lésion nodulaire intra-ombilicale, indo-
était uniquement dermatologique. lore, suintante, évoluant depuis deux mois (figure 1). Les
720 J.P. Touraud et al.

Figure 1. Lésion nodulaire intra-ombilicale. Figure 2. Adénocarcinome tubulopapillaire moyennement différencié.

antécédents de la patiente se résumaient à une hyperten- positifs du promontoire, ainsi qu’un nodule de la gout-
sion artérielle équilibrée sous Hyperiumt et un syn- tière pariétocolique et du Douglas. La cytologie du
drome dépressif traité par Stablont. L’état général était liquide d’ascite révélait la présence de cellules néoplasi-
conservé et la patiente asymptomatique. Le reste de ques. Le néoplasme était alors classé en stade III C et un
l’examen clinique était sans particularités, avec notam- traitement complémentaire par chimiothérapie asso-
ment une liberté des aires ganglionnaires périphériques, ciant paclitaxel et carboplatine débuté. La patiente est
une absence de masse abdominale palpable et une nor- actuellement en cours de traitement.
malité des touchers pelviens. L’exérèse de la lésion ombi-
licale était réalisée avec une histologie en faveur d’une DISCUSSION
localisation d’un adénocarcinome tubulopapillaire
moyennement différencié ou nodule de Sœur Mary Le terme de « nodule de Sœur Mary Joseph » désigne les
Joseph (figure 2). Dans le bilan étiologique de recherche métastases ombilicales d’un cancer du tractus gastro-
du néoplasme primitif, les explorations endoscopiques intestinal ou de la sphère gynécologique. Sa création est
digestives (fibroscopie gastrique et coloscopie) s’avé- le fait de Sir Hamilton Bailey en hommage à la première
raient normales, de même que la mammographie. personne ayant saisi la signification clinique de ces
L’échographie pelvienne retrouvait une masse latéro- lésions [1, 2]. La fréquence des métastases cutanées est
utérine gauche d’allure suspecte pour laquelle la scano- estimée entre 5 et 9 % [3]. Les métastases ombilicales
graphie ne pouvait trancher. Sur le plan biologique, la sont rares. On estime entre 1 et 3 % le nombre de
numération formule sanguine, les bilans hépatique et patients présentant une atteinte carcinomateuse abdo-
pancréatique étaient normaux. La vitesse de sédimenta- minopelvienne avec extension ombilicale. Des travaux
tion était à 10 mm à la première heure. Le dosage des récents ont permis de mieux préciser certaines données
marqueurs tumoraux sériques retrouvait une élévation cliniques et épidémiologiques [4]. Sur le plan épidémio-
du CA 125 à 73,8 U/mL (normale < 35), l’ACE et le logique, le sex-ratio fait apparaître une prédominance
CA 19,9 étant normaux. féminine (H/F à 0,69). Les caractères cliniques des
La patiente bénéficiait alors d’une cœlioscopie pre- métastases ombilicales ne permettent généralement pas
mière qui permettait de confirmer la nature suspecte de de les différencier à l’œil nu des lésions primitives. La
la masse ovarienne gauche, suivie d’une laparotomie présentation clinique est le plus souvent celle d’un
médiane avec hystérectomie totale et annexectomie bila- nodule de taille variable, plus ou moins douloureux, par-
térale, associée à une omentectomie, une appendicecto- fois ulcéré ou suintant comme chez notre patiente [5].
mie et un curage pelvien lomboaortique. L’examen his- Il peut s’agir du seul point d’appel clinique, ailleurs la
tologique de la pièce opératoire confirmait la présence lésion survenant dans un contexte d’altération de l’état
d’un adénocarcinome tubulopapillaire moyennement général ou en association à un tableau douloureux abdo-
différencié de l’ovaire gauche associé à deux ganglions minal. Le diagnostic histologique est celui d’un adéno-
Nodule de Sœur Mary Joseph 721

carcinome dans près de 75 % des cas, plus rarement un draine la paroi abdominale antérieure. Cependant, Maj-
carcinome épidermoïde, un cancer indifférencié ou mudar et al. avaient montré que des facteurs pouvaient
encore une tumeur carcinoïde [5, 6]. L’enquête étiolo- intervenir dans ce délai moyen de survie (lésion inaugu-
gique retrouve dans plus de 55 % des cas une origine rale ou récidive, étiologie, traitement), le pronostic le
digestive (estomac, colon, rectum, pancréas par ordre de plus « favorable » étant celui d’une patiente présentant
fréquence décroissant) avec une nette prédominance un adénocarcinome ovarien révélé par le nodule et béné-
masculine. Les cancers gynécologiques représentent la ficiant alors d’un traitement agressif (chirurgie + chi-
deuxième étiologie, les cancers ovariens étant de loin les miothérapie) [8]. Cette réflexion présente malgré tout
plus fréquents (34 %) devant les atteintes de l’endomè- un biais important avec une sélection de patientes dont
tre (12 %) et du col (5 %). Le nodule de Sœur Mary l’état général est le meilleur, capables de supporter le trai-
Joseph représente ainsi plus de 60 % des tumeurs mali- tement le plus lourd.
gnes ombilicales (primitives ou secondaires). Le primi- Toute lésion ombilicale suspecte doit donc bénéficier
tif n’est pas mis en évidence dans environ 10 % des d’une biopsie qui pourra révéler une néoplasie abdomi-
cas [4, 5]. Les principaux diagnostics différentiels à évo- nopelvienne asymptomatique ou traduire une récidive
quer sont l’endométriose dont la présentation clinique métastatique chez une patiente aux antécédents gynéco-
est le plus souvent celle d’un nodule bleuté ou pourpre logiques carcinomateux. Son pronostic demeure péjo-
subissant des modifications en fonction des menstrua- ratif. Les différents travaux n’ont pas permis à ce jour de
tions [7], les tumeurs malignes primitives de l’ombilic définir un consensus sur les indications thérapeutiques,
(mélanome, carcinome épidermoïde ou basocellulaire, un traitement combiné chirurgie–chimiothérapie sem-
sarcome], les tumeurs bénignes (nævus, kyste épidermi- blant cependant apporter une meilleure réponse en
que, botryomycome, histiocytofibrome, chéloïde] ou terme de survie pour les cancers ovariens.
bien encore les kystes pilonidaux, hernies étranglées et
reliquats embryonnaires du canal omphalomésentéri- RÉFÉRENCES
que et de l’ouraque [6].Cette métastase ombilicale peut
être de découverte inaugurale comme dans notre obser- 1 Bailey H. Demonstrations of physical signs in clinical surgery. ed.
11. Baltimore : The Williams and Wilkins Co 1949 : 227.
vation ou témoigner d’une récidive néoplasique. Les tra- 2 Key JD, Shepard DAE, Walters W. Sister Mary Joseph’s nodule and
vaux de Majmudar avaient montré que l’atteinte ombi- its relationship to diagnosis of carcinoma of the umbilicus. Minn Med
licale était révélatrice du carcinome gynécologique chez 1976 ; 59 : 561-6.
3 Lookingbill DP, Spangler N, Sexton FM. Skin involvment as the pre-
60 % des patientes étudiées [8] senting dign of internal carcinoma. A retrospective study of 7316 can-
La physiopathologie du nodule de Sœur Mary Joseph cer patients. J Am Acad Dermatol 1990 ; 22 : 19-26.
4 Dubreuil A, Dompmartin A, Barjot P, Louvet S, Leroy D. Umbili-
est encore incomplètement élucidée. Plusieurs hypothè- cal metastasis or Sister Mary Joseph’s nodule. Int J Dermatol 1998 ;
ses ont été avancées [9, 10]. Le mécanisme supposé est 37 : 7-13.
celui d’un envahissement par contiguïté des métastases 5 Powell FC, Cooper AJ, Massa MC, Goellner JR, Su D. Sister Mary
Joseph’nodule: a clinical and histologic study. J Am Acad Dermatol
péritonéales à l’ombilic, théorie confirmée, semble-t-il, 1984 ; 10 : 610-5.
dans notre cas. D’autres voies de diffusion à l’ombilic 6 Shetty MR. Metastatic tumors of the umbilicus. A review
ont été évoquées (reliquats embryonnaires fibreux, veine 1830–1989. J Surg Oncol 1990 ; 45 : 212-5.
7 Albrecht LE, Tron V, Rivers JK. Cutaneous endometriosis. Int J Der-
ombilicale, diffusion hématogène, perméation lympha- matol 1995 ; 34 : 261-2.
tique, circulation lymphatique rétrograde). La significa- 8 Majmudar B, Wiskind AK, Croft BN, Gatewood Dudley A. The sis-
ter (Mary) Joseph nodule: its significance in gynecology. Gynecol
tion pronostique de cette métastase ombilicale est péjo- Oncol 1991 ; 40 : 152-9.
rative. Sa découverte implique en effet un pronostic 9 Glover RP, Waugh JM. The retrograde lymphatic spread of carci-
sombre avec une médiane de survie entre dix et 12 mois noma of the “rectosigmoid region”. Its influence on surgical proce-
dures. Surg Gynecol Obstet 1946 ; 82 : 434-48.
selon les différentes séries, la métastase essaimant à son 10 Batson OV. The role of the vertebral veins in metastatic process. Ann
tour du fait du courant lymphatique rétrograde qui Intern Med 1942 ; 16 : 38-45.

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