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NATURELLE RESTITUÉE
ENCHIRIDION PHYSICÆ RESTITUTÆ
J E A N D ’ E S P A G N E T
La Philosophie Naturelle restablie en sa pureté. Où l’on void à découvert toute
l’oeconomie de la nature, & où se manifestent quantité d'erreurs de la Philosophie
Ancienne, estant redigée par Canons & demonstrations certaines. Avec le traicté de
l’ouvrage secret de la philosophie d’Hermez, qui enseigne la materie, & la façon de
faire la Pierre Philosophale. Spes mea in agno.
II IV
La plupart des Sages ont enseigné que, de toute Celui qui transfère l’autorité suprême de l’Univers à
éternité, le Monde était dessiné dans son (propre) une nature autre que la nature divine, nie qu’il y ait
Archétype. Mais cet Archétype, qui est toute un Dieu. En effet, il n’est pas permis de reconnaître
lumière, replié sur lui-même comme un livre avant un (autre) vouloir incréé que cette nature, tant pour
la création de l’Univers, ne brillait que pour soi. Il produire que pour conserver les individualités de la
s’est ouvert et développé, dans la production du machine étendue, sinon l’esprit lui-même du divin
Monde comme s’il accouchait. Il a rendu manifeste Architecte, cet esprit qui au commencement planait
son ouvrage, auparavant caché en esprit comme sur les eaux, qui fit passer de la puissance à l’acte les
dans une matrice, par une extension de son essence, semences de toutes choses confusément mêlées dans
et il a ainsi produit le Monde idéal, puis — comme le chaos, et après qu’il les en eût tirées, traita les
d’après une image (déjà) redoublée de la divinité — essences inférieures en faisant tourner la roue d’une
le Monde actuel et matériel. C’est ce qu’indique le constante altération, pour les composer et les
Trismégiste l, lorsqu’il dit que Dieu changea de dissoudre selon un mode géométrique.
forme, et que toutes choses furent soudain révélées V
et converties en lumière. Le Monde n’est à la vérité Quiconque ne sait pas que cet esprit, créateur et
rien d’autre qu’une image à découvert de la divinité recteur du Monde, qui est répandu et infus dans les
dissimulée. Il semble que les Anciens aient fait œuvres de la Nature comme par un souffle continu,
comprendre cette naissance de l’Univers par (le qui se diffuse largement en toutes choses, et qui
mythe de) leur Pallas, extraite du cerveau de Jupiter meut selon son genre chaque universel et chaque
grâce à Vulcain, c’est-à-dire à l’aide d’un feu ou singulier par un acte secret et pérenne, est l’Ame du
d’une lumière. Monde, celui-là ignore les lois de l’Univers. Car le
III créateur se réserve le droit de gouverner ce qu’il a
L’éternel auteur des choses, non moins sage dans créé. Et il faut confesser que cet Esprit, toujours le
leur ordonnance que puissant dans leur création, a même, préside à la création, à la génération et à la
réparti la masse organique du Monde dans un ordre conservation.
tellement admirable, que les (choses les) plus hautes VI
avec les plus profondes, et les plus profondes avec Cependant, celui qui reconnaîtra que la Nature est la
les plus hautes, sont mélangées sans se confondre, et cause seconde universelle, au service de la première,
se ressemblent par quelque analogie. De sorte que et comme un instrument soumis au pouvoir de celle-
les extrémités de tout l’ouvrage, grâce à un nœud ci, qui meut sans (autre) médiation et avec ordre
toutes choses dans le Monde matériel, celui-là ne XI
s’éloignera pas de la pensée des Philosophes et Il est prévu par la loi de la Création que les choses
Théologiens, qui ont appelé la première, Nature inférieures obéissent et servent aux moyennes, les
naturante, et la seconde. Nature naturée. moyennes aux supérieures, et les supérieures au
VII suprême Recteur sans autre médiation que la
Celui qui a été instruit dans les arcanes de la Nature, volonté de celui-ci. Tel est l’ordre et la commune
ne contestera point que cette Nature seconde, mesure (symmetria) de l’Univers tout entier.
servante de la première, est l’Esprit de l’Univers, XII
c’est-à-dire une vertu vivifiante, et douée d’une Comme au seul Créateur il appartenait de créer de
fécondité secrète, de la lumière qui fut créée au rien, et de créer ce qui lui plût, de même à lui seul
commencement, et contractée dans le corps du est réservé le droit de faire retourner les choses
Soleil. C’est cet Esprit de feu que Zoroastre et créées au néant. Car tout ce qui porte le caractère de
Héraclite ont appelé un feu invisible, et l’Ame du l’Etre ou de la substance, ne peut plus en être
Monde. détaché, et par la loi de la Nature il lui est interdit de
VIII passer au non-être. C’est pourquoi le Trismégiste
L’Ordre de la Nature n’est rien autre que la suite, affirme justement que rien ne meurt dans le monde,
formant texture, des lois éternelles qui furent émises mais que toutes choses passent et changent. Car les
et promulguées par le Souverain suprême, et corps mixtes qui se composent des éléments, par la
imprimées à de multiples exemplaires pour ses roue de la Nature se résolvent derechef en leurs
peuples innombrables, chacun (les recevant) à sa éléments : « C’est la loi de la Nature, que de
manière. C’est sous leurs auspices que la masse de dissoudre à nouveau toute chose En ses éléments.
l’Univers exécute ses mouvements. La vie et la mort Mais sans cependant l’abolir jusqu’au néant. »
occupent tour à tour les extrémités ultimes de ce XIII
volume, et tout le reste est le mouvement qui se fait Les Philosophes ont cru qu’il y a une Matière
de l’une à l’autre et réciproquement. première, plus ancienne que les éléments. Mais
IX comme ils en ont eu peu de connaissance, ils la
Le Monde est comme un ouvrage d’artisan fait au décrivent peu, et comme sous un voile : (ils disent)
tour. Ses parties sont nouées par des étreintes qu’elle est exempte de qualités et d’accidents, mais
mutuelles comme les anneaux d’une chaîne. La qu’elle est le premier sujet des qualités et des
Nature est placée au milieu comme une Ouvrière accidents ; qu’elle est vide de quantité, mais que par
remplaçante (de l’Architecte), qui dirige les elle toutes choses sont quantitatives ; qu’elle est
changements de toutes choses, et, partout simple, mais qu’en elle siègent les contraires ;
représente, répare incessamment, comme le qu’inconnue aux sens, elle est la base des choses
Fabricateur lui-même, celles qui sont usées. sensibles ; qu’étendue partout, elle n’est perçue nulle
part ; que toujours désireuse des formes, elle n’en
X retient aucune. Racine de tous les corps, elle ne peut
Du fait que ce monde universel se présente d’une être conçue que par une opération de l’entendement,
triple nature, ainsi est-il divisé en trois régions, c’est- sans aucunement tomber sous les sens. Enfin, n’étant
à-dire la super-céleste, la céleste et l’inférieure. La rien en acte, elle est tout en puissance. Telle est la
super-céleste, qui a été appelée (monde) intelligible, manière dont ils ont établi un fondement de la
est la plus haute de toutes, étant entièrement Nature fictif et chimérique.
spirituelle et immortelle : elle est toute voisine de la
XIV
Majesté divine. La céleste est située entre les deux
autres : là sont attachés ces corps d’une espèce très Avec plus de prudence, Aristote, qui pourtant
parfaite qui la font abonder en esprits, et répandre croyait à l’éternité du monde, a parlé d’une certaine
des vertus innombrables et des souffles vitaux par matière première et universelle. Pour en éviter les
des canaux tout spirituels. Exempte de corruption, replis, il en parle de façon sommaire et en termes
elle n’échappe cependant pas à la mutation, chaque ambigus : il dit qu’il vaut mieux croire qu’il y a une
fois que sa période est achevée. Enfin, la région seule et même matière inséparable de toutes choses,
inférieure, qui est appelée vulgairement mais qui en diffère selon la raison ; que les premiers
l’élémentaire, occupe la plus infime et basse partie corps (imperceptibles) et ceux qui sont perceptibles
du Monde. Comme elle est en soi toute matérielle, en sont composés, et qu’elle constitue leur premier
elle ne possède que par emprunt les dons et les principe ; qu’elle n’en est pas séparable mais qu’elle
bénéfices spirituels, dont le principal consiste en la leur est toujours alliée avec répugnance ; qu’elle est
vie, et à charge d’en rendre le tribut au ciel. Dans la base et le sujet des contraires, et que d’elle sont
son sein nulle génération n’a lieu sans corruption, issus les éléments.
nulle naissance ne se produit sans mort.
FIN