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Gwendal Giguelay

Les Grands
Classiques du
piano
Les Grands Classiques du piano pour les Nuls

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Fax : 01 44 16 09 01
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Site Internet : www.pourlesnuls.fr

ISBN : 9782412084847
Dépôt légal : août 2022

Maquette intérieure : Stéphane Angot

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Remerciements
Merci du fond du cœur à tous mes élèves qui ont permis la
naissance de cet ouvrage, ainsi qu’à Stéphane Angot, Wayne
Byars, Frédérique Cassereau, Jacques Comby, Jeanne-Marie
Fourel, Paul Goussot, Juliette Granier, Sylvain Griotto, Wim
Hoogewerf, Catherine Kintz et Marina Pizzi.
Remerciements tout particuliers, pour leur générosité et leur
patience à toute épreuve, à Guillaume Fournier, Katell Mest,
Sandra Monroy et Louis Rodde.
Introduction
Cher lecteur,
Si vous me tenez entre vos mains, c’est que vous n’êtes pas
indifférent au piano, roi des instruments, à ses dents de crocodile
d’ivoire et d’ébène, à ses pédales dorées et à ses longues cordes
harmonieuses. Ou alors est-ce simplement la musique qui exerce
sur vous son charme ensorceleur ? Cherchez-vous, à travers le
piano, à exprimer toute la richesse et la profondeur de votre
être ?
Je suis sûr que vous en jouez admirablement. Les pièces sont ici
classées dans un ordre le plus progressif possible : voilà un
exercice complexe tant les difficultés y sont de tous ordres ! Ce
qui est compliqué pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre,
et dans tous les cas, il est toujours bon de démarrer par la
simplicité avant d’accéder à la virtuosité !
Permettez-moi quelques conseils en préambule. Retenez-les
bien : ils vous feront gagner du temps, et vous guideront dans les
méandres de ces pages. Gardez à l’esprit que ce sont des
conseils « ouverts », non-personnalisés. Il y a autant d’âmes que
de visions du monde, et du reste, qui donnerait des cours à
distance ? Voici les différentes rubriques que vous retrouverez
tout au long du livre.

Carte d’identité
Avant tout, il faut connaître les informations essentielles de
chaque pièce, que j’ai regroupées ici :
• L’année de composition et/ou de publication et le courant
artistique auquel elle appartient.

• La tonalité : sommes-nous en présence d’un nombre


outrageux de bémols ou excessif de dièses ?

• Le chiffrage de la mesure : binaire ou ternaire ? S’agit-il


d’une valse à trois, cinq, mille temps ?

• Tempo moyen : entre léthargique et hystérique, il y a un


monde.

• Lexique : « a piacere » est-il synonyme de « ad


libitum » ?

• Mots-clefs : ils vous sont proposés, mais ils


m’appartiennent. Puisque vous êtes votre meilleur
professeur, j’aimerais que vous y ajoutiez le ou les vôtres !
N’oubliez pas que :

• Le titre en dit long sur l’univers musical d’un morceau.


Une danse ? Un appel à l’imaginaire ? Une forme
classique ?…

• Écoutez les grands pianistes de toutes les époques, et si


possible les compositeurs eux-mêmes : j’en cite quelques-
uns dans cet ouvrage, mais ça n’est jamais assez !

• Une de vos sources d’inspiration doit être la musique pour


orchestre ! Lorsque vous jouez une transcription ou
paraphrase, ruez-vous chez votre disquaire ou sur Internet
pour écouter les pièces originales : vous fourmillerez
d’idées !

Le tempo
Attardons-nous sur les indications de tempo : elles sont le plus
souvent en italien. Pour résumer, nous avons, du plus lent au
plus rapide :
Largo (très lent) > Lento (lent) > Adagio (à l’aise, mais on
l’entend souvent comme lent également) > Andante (assez
lent mais dans un sentiment allant) > Moderato (modéré) >
Allegretto (assez allègre) > Allegro (allègre) > Vivace (vif) >
Presto (rapide) > Prestissimo (très rapide).
Il y a autant de subtilités de tempo que d’œuvres musicales. Je
suppose que votre battement de cœur est régulier ? La pulsation
des morceaux composant ce recueil l’est aussi, malgré le fait que
certaines pièces se jouent avec rubato. De l’italien rubare
(dérober), on peut dire qu’on vole du temps à un endroit… pour
mieux le restituer ailleurs ! Voici comme Liszt décrit le rubato
chopinien : « Regardez ces arbres : le vent joue dans les feuilles,
les fait ondoyer ; mais l’arbre ne bouge pas. » On l’utilise dans
la plupart des pièces romantiques mais aussi dans certaines
pièces baroques.
Si vous n’en possédez pas, investissez dans un métronome
mécanique ou électronique. Celui-ci vous procurera le repère
d’une pulsation stable donnée à titre indicatif pour chaque pièce,
en BPM (battements par minute). Dans la plupart des cas, un
tempo moyen s’entend dans une fourchette : de même que le
tempo du battement de cœur est variable d’un individu à l’autre,
la pulsation musicale est subjective, en témoignent les
interprétations divergentes d’une même pièce. Dans certains cas
en revanche, le compositeur donne une indication très précise :
régler votre métronome sur la valeur indiquée vous donnera une
idée du tempo à atteindre, après un travail lent, naturellement.

Repères
Voici quelques informations toujours utiles pour briller en
société – et, accessoirement, pour mieux comprendre la musique
qui coule sous vos doigts : connaître le contexte historique et
artistique d’une œuvre n’est pas vain, bien au contraire ! Je ne
saurais que vous engager à consulter plusieurs éditions d’une
même œuvre, notamment celles portant la mention Urtext
(éditions tirant ses sources de l’original), voire les manuscrits
originaux si vous pouvez mettre la main dessus. Plongez-vous, si
vous en avez le temps et l’envie, dans les ouvrages sur la
musique et le piano ou plus spécialisés encore : monographies
de compositeurs, essai sur tel ou tel courant artistique…
Le pianiste chilien Claudio Arrau confirme cette nécessité dans
le livre de Juergen Meyer-Josten, Conservations : « Il m’a
toujours paru primordial de tenter une approche des œuvres et
des compositeurs en étudiant l’atmosphère intellectuelle de leur
temps, l’ambiance dans laquelle avait baigné leur destin
personnel. Aussi me suis-je efforcé de m’imprégner de la
sensibilité de chaque époque, de l’assimiler afin que mes
interprétations la reflètent un peu. »
Vous trouverez des informations parfois moins sérieuses – mais
au fond, qui a parlé de sérieux ? Une anecdote croustillante ?
Une réutilisation étonnante de la pièce musicale, un souvenir du
compositeur ? Cela aussi fait partie de la vie d’une œuvre, bien
après sa composition !

Conseils de travail
Comment aborder une œuvre ?

• Défrichez. Brossez du regard la partition : quelle en est la


forme ? Passez les éléments répétés, vous les jouerez bien
assez. Focalisez-vous plutôt sur les événements de toute
nature : changements de tempo, rythmes complexes,
altérations accidentelles, évolutions harmoniques,
déplacements et croisements de mains…
• Bâtissez. Jouez assez vite les mains ensemble. Murray
Perahia témoigne en ce sens : « Autrefois, mon professeur
me disait toujours : « Travaille d’abord la main gauche
seule, puis la main droite seule ». Mais cela n’a aucun
sens ! Il faut au contraire comprendre dès le début
l’écriture harmonique et contrapuntique. » C’est dans le
travail technique que l’on pourra se concentrer sur une
main ou sur l’autre. On accordera tout de même une
attention particulière à la main gauche, « maître de
chapelle qui ne peut faillir » selon Chopin.

• Fignolez. Ce n’est qu’après cette étape que l’on pourra se


lancer dans un travail de détail, avant de clore sa séance
par un enchaînement « récapitulatif », tel la cerise sur le
gâteau, donnant une vue d’ensemble et permettant
d’inscrire dans sa mémoire le travail effectué afin
d’envisager sereinement la prochaine répétition.

L’ornementation
Particulièrement abondante dans la musique baroque, où on
l’appelle aussi « agrémentation », on ornemente les notes dans
toutes les musiques, sans exception. Trilles, gruppettos,
tremblements, pincés, broderies… autant de mots énigmatiques
et excitants ! En parlant de broderie : quelles formes peut-on
faire avec une aiguille et du fil ! Des courbes, des arêtes, des
volutes, des points… L’ornementation en musique, c’est un peu
la même chose : prenons une aiguille et du fil et enjolivons une
ou plusieurs notes de notre choix :

• Avec la note supérieure, en un ou deux battements. En


baroque, nous l’appellerons tremblement :
On pourra commencer par la note supérieure ou non : c’est
une question de choix, les spécialistes se divisant sur la
question depuis des siècles !

• Avec la note inférieure, en un battement. En baroque et en


France, c’est un pincé (les Allemands le nommeront
mordant) :

• En passant par-dessus puis par-dessous. C’est un


gruppetto :

• En faisant vibrer deux notes ensemble de manière


continue. C’est le trille :
Vous avez là les principaux ornements, théorisés à l’époque
baroque et que l’on retrouve des siècles plus tard sous des
formes tout-à-fait semblables. Il en existe d’autres, mais rien qui
ne vous sera nécessaire dans le cadre de ce recueil. Si vous
voulez en savoir plus, n’hésitez pas à consulter des ouvrages de
référence tels que l’Essai sur la véritable manière de jouer les
instruments à clavier de Carl Philipp Emanuel Bach ou L’Art de
toucher le clavecin de François Couperin, entre autres.
Les notes d’un ornement, comme toutes les autres, peuvent être
altérées. S’il s’agit de la note supérieure, nous indiquerons
l’altération au-dessus du symbole représentant l’ornement ; si
l’altération affecte la note inférieure, elle sera notée au-dessous :
logique !
Je conseillerai dans un premier temps de déchiffrer chaque pièce
sans ses ornements, puis de les incorporer rapidement afin de
vous y accoutumer. Nous y reviendrons !

Quelques considérations
techniques
« Horowitz pense […] qu’il faut essayer d’obtenir ce que l’on
entend au fond de soi-même. […] Il s’est vu un jour à la
télévision et s’est aperçu qu’il jouait avec les doigts plats, alors
qu’il avait toujours cru avoir les doigts ronds. Cette constatation
l’étonna beaucoup, tout comme de s’apercevoir qu’il était très
raide au piano. » Ce témoignage de Murray Perahia sur un
pianiste légendaire est très intéressant ! La technique est au
service de la musique, pas l’inverse : on connaît bien l’histoire
de Schumann qui s’est paralysé un doigt en voulant le renforcer
à l’aide d’une poulie…
Nous ne nous étendrons pas longtemps sur la position juste au
piano. Votre dos doit être allongé, les épaules et les bras
relâchés, les coudes et les poignets à la hauteur des touches
blanches. La main doit avoir la même forme bombée que lorsque
qu’elle est au repos. Attention donc à ce qu’elle ne s’affaisse pas
sur le cinquième doigt et ne se creuse au niveau de la première
phalange.
Vous êtes détendu, tel un jeune arbre dont les branches ploient
souplement dans le vent. Pensez à ce vent, et respirez ! Un
défaut que l’on voit beaucoup est le jeu en apnée : attention !
Vous ne pourriez pas projeter le poids de votre corps dans le
clavier – certains pianistes sautent littéralement de leur
tabouret ! Connaissez-vous les nombreuses caricatures de Liszt
au piano ? Observez-les, elles vous amuseront !

Du doigté
Comment choisir ses doigtés ? Vaste débat… Naturellement, il
faudra lire la musique avant de penser à ses doigts ! Je me
souviens d’une élève qui avait écrit les notes de son morceau en
autant de chiffres sur un Post-it : 5 1 2 3 4 5… mais elle ne
savait plus où se placer sur le clavier !
Je sais d’expérience que les doigtés seront différents selon que
vos mains soient toutes petites ou qu’au contraire vous en ayez
d’imposantes ; que vous n’ayez pas dépassé votre première
décennie ou que votre expérience vous honore… C’est du cousu
main – c’est le cas de le dire ! Ravel, dit-on, avait de très longs
pouces, ce qui ne l’a pas empêché de composer pour le piano, et
pas n’importe quoi !
Dans les partitions, chaque doigté écrit au-dessus d’une note
concerne la MD (main droite), l’inverse est vrai pour la MG
(main gauche, au-dessous). Les doigtés de substitution sont
notés grâce à une petite liaison, comme ceci :
Vous remarquerez que dans les passages répétés, réexpositions
ou transpositions, je ne les réinscris pas : faites fonctionner votre
mémoire ! Mes doigtés seront à remettre en question si la
morphologie de votre main s’éloigne de la mienne, et/ou si votre
goût personnel vous indique un autre chemin. Par exemple,
certaines mains jouent facilement les octaves sur les touches
noires avec le pouce et le quatrième doigt, d’autres préfèrent
utiliser le cinquième.
Pour choisir vos doigtés, vous devrez :

• Ne pas aller à l’encontre de la musique, du phrasé, ne pas


ralentir les déplacements ;

• Vous adapter aux deux hauteurs du clavier (touches


blanches, touches noires) ;

• Éviter les trop grandes extensions ;

• Vous servir d’un passage de pouce souple qui ne torde ni


le poignet, ni le coude. On peut dans certains cas passer
au-dessus du cinquième avec le quatrième ou le troisième
doigts, ce que Chopin affectionnait particulièrement ;

• Essayer des substitutions simples que vous pourrez


réaliser sans y penser ;

• Vous autoriser, avec parcimonie, quelques arrangements.


Par exemple, prendre avec une main moins occupée ce qui
était prévu dans l’autre. Vous trouverez au fil de ces pages
des crochets vous proposant des arrangements :
• Celui-ci indique que l’on joue la note concernée
avec la main droite.

• Ici, on la prend à gauche.

• Ce dernier crochet signifie que l’on joue deux


notes avec le même doigt – le pouce dans la plupar
des cas.

Voici ce que pense la mythique Martha Argerich à ce sujet :


« Pourquoi serait-il interdit de faire des arrangements s’ils
permettent de mieux faire sonner un passage ? » Et Alfred
Brendel de confirmer : « Peu importe au compositeur qui est
assis là et qui écoute les yeux bandés, si l’on joue avec son nez
ou avec son pied ! » Hindemith quant à lui, donne cette
indication dans sa Suite 1922 : « Ne te soucie pas de savoir si tu
dois jouer le ré dièse avec le quatrième ou le sixième doigt. »

La pédale
Savez-vous conduire ? Si oui, c’est parfait. Les pédales au piano,
c’est un peu comme dans une voiture :

• La pédale de droite, dite « pédale forte » ou « sostenuto »,


soutient tous les sons, en soulevant les étouffoirs qui
laissent les cordes vibrer ensemble. En voiture, si vous
sentez que le moteur rugit, vous allégez le pied ou vous
changez de vitesse. Au piano, pour simplifier, on mettra la
pédale forte pour faire résonner les sons ensemble, mais si
ceux-ci se mélangent trop, vous lèverez le pied pour aérer
l’ensemble. Le changement de pédale peut être
harmonique (changement d’accord), mélodique (attention
aux appogiatures et ornements, aux demi-tons et à certains
intervalles mal-aimés tels que le triton !), rythmique :
lancez-vous dans les Danses roumaines de Bartók si vous
ne me croyez pas !
Il existe une infinité de quarts, tiers, demi-pédales, que l’on
utilise de plus en plus inconsciemment à mesure que notre
pianisme s’étoffe, notamment dans le répertoire du XXe siècle.
Ces pédales sont extrêmement complexes à noter, et le pianiste
qui les utilise est souvent bien en peine de les expliquer à
d’autres. Pour l’heure, les pédales indiquées dans cet ouvrage, si
elles sont rudimentaires, sont indiquées de manière précise. Vous
êtes bien sûr libre de les adapter à votre goût, votre piano,
l’environnement sonore qui vous entoure…
Voici comment la pédale forte est indiquée dans cet ouvrage :
• Appuyez : ou

• Changez la pédale, c’est-à-dire levez-la et réenclenchez-la


immédiatement :

• Relevez nettement, jusqu’en haut, sans la réenclencher :

• Relevez progressivement – cela se fait, sur une durée


déterminée :

• Enfoncez progressivement – c’est moins fréquent :

Lorsqu’on change de pédale, on ne la relève qu’au moment où


les doigts jouent leur(s) note(s), une nouvelle harmonie, et pas
avant. Le pied doit être preste, comme celui d’un danseur, mais
non bruyant : on ne doit pas entendre la mécanique. Si vous
n’êtes pas précis, vous risquez des trous d’air entre les sons sans
que vous le désiriez, ou alors des sons brouillés ! Parfois, on
appuie sur la pédale avant de démarrer un morceau, une section,
notamment dans le cas d’un accord plaqué : les étouffoirs sont
tous relevés et le piano résonne ainsi de la plus belle manière.

• La pédale de gauche est appelée una corda, car sur un


piano à queue, la mécanique se décale très légèrement afin
que le marteau frappe une seule corde au lieu de deux,
deux cordes au lieu de trois. De ce fait, le son est moins
fort, plus feutré, plus rond. En général, on l’utilise à partir
de la nuance pianissimo, mais on peut s’en servir pour
rechercher des couleurs particulières, dans un univers de
rêves et de mystères...
L’utiliser pour des nuances fortes serait à contre-emploi.
Certains compositeurs l’indiquent, d’autres non : à vous de
choisir quand elle vous semble de bon aloi. Le
compositeur peut aussi préciser quand vous l’ôterez, par
l’indication tre corde.

• Si vous faites partie des chanceux qui possèdent un piano


à trois pédales, c’est fantastique : vous pouvez soit
actionner la sourdine qui vous permet de moins déranger
vos voisins (si c’est un piano droit), soit bénéficier d’une
pédale « tonale » qui permet de tenir certains sons et pas
d’autres – nous ne l’utiliserons pas dans le cadre de cet
ouvrage et, puisqu’elle fut créée vers la fin du XIXe siècle,
elle est utilisée surtout dans la musique moderne et
contemporaine.

• Enfin et pour clore ce sujet, je n’ai pas noté de pédale sur


les pièces de l’époque baroque. Elles ont été écrites pour
d’autres instruments (clavecin, clavicorde, voire orgue),
qui ne disposent pas de la pédale sostenuto. Il n’est pas
proscrit de l’utiliser mais par petites touches, pour aider à
faire sonner l’instrument, à tenir et lier les sons, et non à
donner des couleurs excessivement diffuses et résonantes à
un morceau qui n’a pas été pensé comme tel. Cherchez
donc à reproduire avec les doigts la sensation du
claveciniste ou de l’organiste, et ne transformez pas un
menuet en salmigondis de cathédrale !

Attention
Ce symbole parle de lui-même. Une attention à porter à un
détail, une erreur souvent commise… Ce triangle de
signalisation vous permettra d’éviter de drôles de sonorités !

Lexique
Dans ce recueil, j’utiliserai les abréviations suivantes :

• MD = main droite
• MG = main gauche

• ME = ensemble

• MS = séparées

• m. = mesure
Quelques mots italiens et abréviations à connaître :

• accelerando = en accélérant

• agitato = agité

• animato = animé

• assai = très

• cadenza = cadence (dans le sens d’une section improvisée


et virtuose, et non d'une suite d’accords)

• cantabile = chantant

• cresc. ou crescendo = en augmentant progressivement


l’intensité sonore sur une durée déterminée

• da capo (al fine) = reprendre du début (jusqu’à


l’indication « fin »)

• decresc. ou decrescendo = en diminuant l’intensité sonore


(= diminuendo)

• dim., dimin. ou diminuendo = en diminuant l’intensité


sonore (= decrescendo)

• dolce (dolcissimo) = (très) doux

• e = et !
• grazioso = gracieux

• legato (legatissimo) = (très) lié

• leggiero ou leggero = léger

• marcato = « marqué » : court et accentué

• martellato = martelé

• meno = moins

• moderato = modéré (tempo)

• molto = beaucoup

• morendo = en mourant, en affaiblissant le son petit-à-petit


(= smorzando)

• (meno / più) mosso = indication de mouvement (moins /


plus vite)

• (con) moto = (avec) mouvement

• perdendo = en se perdant, en atténuant le son


progressivement, comme si on s’éloignait

• piú = plus

• (un) poco = (un) peu

• poco a poco = peu à peu

• rall., rallen. ou rallentando = en ralentissant

• ritard. ou ritardando = en retardant


• riten. ou ritenuto = retenu
L’abréviation rit. est ambiguë, elle renvoie tantôt au
ritenuto, tantôt au ritardando. Mais ça n’est pas comme
s’ils étaient antonymes…

• sempre = toujours

• senza = sans

• smorzando = en mourant, en affaiblissant le son petit-à-


petit (= morendo)

• sopra = au-dessus : la main joue au-dessus de sa jumelle.


Moyen mnémotechnique : pensez à la soprane !

• sotto = au-dessous : vous m’avez compris.

• staccato = piqué

• staccatissimo = très piqué, on accordera une attention

supplémentaire à la note ainsi ponctuée

• tempo primo ou tempo I = au tempo du début

• ten. ou tenuto = tenu, mais non connecté à la note

suivante, autrement dit : détaché

• tre corde = sans pédale de gauche

• una corda = avec pédale de gauche

Écoutez  !
La musique est l’art des sons. Jouez une tierce majeure, dans le
registre médium. Pianissimo, c’est une harmonie céleste, une
fusion chatoyante. Fortissimo, tapé contre le clavier avec
brusquerie, c’est un klaxon, rien de plus ! Pourtant, il n’y a pas
de mauvais piano, seulement des mauvais pianistes… Le chant
est un des moyens d’expression primitif de l’homme : le piano
doit toujours chanter ! Parfois, il chante à plusieurs, en choeur :
c’est la polyphonie.
Au cinéma, il y a plusieurs plans : le premier (un personnage
important), le second (des personnages secondaires), le troisième
(le décor). En musique, nous avons les plans sonores : la
mélodie doit ressortir, ainsi que la basse, les harmonies les
soutenant de manière équilibrée. Heinrich Neuhaus, professeur,
entre autres, de Sviatoslav Richter, écrit ceci dans son livre L’Art
du piano : « Le jeu d’un grand maître vous fait souvent penser à
un tableau aux multiples niveaux : les silhouettes au premier
plan semblent sortir du cadre, alors qu’au fond les montagnes ou
les nuages font tout juste une tâche bleue. »
Voici, en guise de vœux de bonheur pour votre parcours dans ces
pages, les mots d’Alfred Brendel, dans L’Abécédaire d’un
pianiste : « Le piano est un lieu de métamorphose. Il évoque, si
le pianiste le veut, le chant de la voix humaine, le timbre
d’autres instruments, de l’orchestre, de l’arc-en-ciel, de
l’harmonie des sphères. Cette capacité de métamorphose, cette
alchimie est notre richesse. » Bon voyage sur les sentiers de la
musique !
Menuet
BWV Anh. 114, extrait du Petit Livre d’Anna Magdalena Bach
J. S. Bach (1685-1750) / C. Petzold (1677-1733)

Carte d’identité
• Composition : autour de 1725 (époque baroque)

• Tonalité : sol majeur, un fa # à l’armure

• Mesure binaire : =3♩

• Tempo moyen : ♩ = 144

• Mots-clefs : danse – légèreté – élégance

Repères
Peu d’entre nous savent que ce menuet n’a été attribué que
récemment à Christian Petzold, compositeur et organiste
allemand contemporain de Bach. Il aurait simplement été
recopié dans le Petit Livre d’Anna Magdalena Bach, l’épouse du
compositeur. Ces cahiers, cadeau de Bach à sa femme,
comportent un certain nombre des œuvres du maître, mais aussi
de son fils Carl Philipp Emanuel, dont vous retrouverez le
Solfeggietto, et d’autres compositeurs tels que François
Couperin, compositeur des Baricades mistérieuses.
Conseils de travail
C’est une danse : elle doit donner envie de se dandiner ! Pensez
qu’avant d’être joué par des musiciens en herbe sur des pianos
électriques, ce menuet a été imaginé pour le clavecin. Dépourvu
de nuances, le claveciniste trouve son expression dans d’autres
ressources, notamment la ponctuation. Pour trouver de la
légèreté, je vous propose mon « millefeuille » de la ponctuation :

• Les croches sont le plus souvent conjointes et


s’enchaînent par définition plus vite : lions-les.

• Les noires et les blanches quant à elles, plus étendues,


peuvent être « aérées » : détachons-les et tendons ainsi la
main vers le danseur.

• Autorisons-nous toutefois quelques noires legato,


notamment dans une mélodie conjointe : c’est le cas aux
m. 13-16 par exemple. Par contre, conserver votre MG
détachée sera du plus bel effet.

• Vous trouverez de nombreuses éditions de ce menuet qui


incluent des liaisons et autres signes de ponctuation.
Sachez simplement qu’ils ne sont pas d’origine et sont du
bon vouloir de l’éditeur : écoutez plutôt des menuets du
répertoire et inspirez-vous-en.

• Enfin, ne négligez pas l’écriture de la MG dans les


mesures 25-26, qui implique qu’on tienne les tierces de la
MG dans une perspective harmonique. Notez d’ailleurs
que la MG n’est pas en reste dans ce menuet : il serait
dommage de la reléguer aux oubliettes, ce qui est un
défaut hélas répandu. À ce titre, amusez-vous à jouer ce
Menuet la MG forte, la MD piano.

• Ornementation : n’hésitez pas à vous référer à la table des


ornements dans notre introduction, ainsi qu’aux doigtés,
qui vous indiqueront la marche à suivre. Dans ce style
baroque, je vous propose de placer la première note de
l’ornement en même temps que la basse, de cette façon (m.
5) :

Attention
Observez l’appogiature de la m. 8 : la petite note si n’est pas
barrée, ce n’est donc pas une acciacatura, c’est-à-dire une note
très courte qui « agrippe » la note qu’elle précède. Ici, cette note
diminue de sa valeur la note suivante, en l’occurrence ici la
blanche pointée. On pourra la jouer ainsi :

Menuet
J. S. Bach (1685-1750) / C. Petzold (1677-1733)
Präludium
E. Tetzel (1870-1936)

Carte d’identité
• Tonalité : do majeur, aucune altération à l’armure. De
même qu’il y a des œuvres écrites pour les touches noires
(Chopin, Étude op. 10 no 5, entre autres), il existe des
pièces entières qui n’utilisent que les touches blanches :
c’est le cas ici !

• Mesure binaire : C = =4♩

• Tempo moyen : ♩ = 120

• Lexique : Mäßig bewegt, feierlich = modérément animé,


solennel

• Mots-clefs : cérémonieux – simplicité – lumière

Repères
Vous ne connaissez peut-être pas Eugen Tetzel, compositeur,
musicologue et pédagogue allemand. À dire vrai, peu d’entre
nous le connaissent, si ce n’est à travers cette pièce que l’on
retrouve dans plusieurs ouvrages. Déchiffrez ce Prélude et dites-
moi…
Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ? Si c’est le cas,
c’est bien naturel : il s’agit de la même marche harmonique
descendante que celle du Canon de Pachelbel en ré majeur !
Seules les deux dernières mesures de l’enchaînement diffèrent.

Conseils de travail
C’est une pièce d’une relative simplicité… en apparence
seulement ! On peut l’aborder à différents niveaux.

• Travaillez les MS, en découpant le morceau en sa moitié :


enchaînez les deux suites d’accords à la MD puis la MG,
en cherchant à lier le son le mieux possible sans pédale.

• Étudiez également les croches voyageuses à la MG puis à


la MD. J’ai choisi un doigté agréable, mais vous pouvez
tout autant utiliser ceux-ci (exemple sur la mesure 1) :
1 – 2 – 5 ou 2 – 2 – 2 ou 3 – 3 – 3…
Et ainsi de suite ! À vous de ruser et de trouver votre
système. « Là, on tombe en plein dans le domaine de la
géométrie non-euclidienne, car notre premier axiome dit
que la distance la plus courte entre deux points n’est pas la
ligne droite mais la courbe. » écrit Heinrich Neuhaus : ne
figez rien, déplacez-vous tel un chat !

• Vous êtes prêt à éprouver l’indépendance de vos deux


mains. D’abord sans la pédale, afin de garder à l’oreille les
plans sonores : les accords s’allongent tels un orchestre à
cordes, accompagnés des pizzicati de violoncelle et de
contrebasse (MG) ou des scintillements de flûte ou de
piccolo (MD). Autrement dit : cuivrez la note supérieure
des accords, caressez les croches, sans perdre la pulsation !

• Enfin, actionnez la pédale telle qu’elle est indiquée dans


la partition.
Attention
M. 6-7 puis 11, 13, 15 : n’oubliez pas que le petit 8 suivi de
tirets indique qu’il faut jouer à l’octave supérieure (8va = octava
alta), ou jouer à l’octave inférieure (8vb = octava bassa).

Präludium
E. Tetzel (1870-1936)
Vieille Chanson française
Extrait de L’Album pour enfants op. 39, no 16
P. I. Tchaïkovski (1840-1893)

Carte d’identité
• Composition : 1878 (époque romantique)

• Tonalité : sol mineur, un si et un mi -  sont à l’armure

• Mesure binaire : =2♩

• Tempo moyen : ♩ = 84

• Lexique : moderato assai = très modéré

• Mots-clefs : mélancolie – slave – souvenir

Repères
Tchaïkovski a écrit son Album pour Enfants op. 39 en 1878, et
l’a dédié à son neveu de six ans. Il y fait référence à un
imaginaire enfantin (Le Petit Cavalier, La Poupée malade, La
Sorcière…), tout comme Schumann dans son propre Album pour
la jeunesse op. 68. Il est intéressant de savoir que les deux
compositeurs ont écrit leurs « enfantines » lors de périodes de
repos, dans un geste spontané. Le voyage ou le fantasme de
contrées lointaines font également leur apparition chez
Tchaïkovski, à travers ces pièces : Chanson russe, Chanson
italienne, Chanson allemande, Chanson napolitaine…

Conseils de travail
Cette pièce, en apparence facile, présente quelques difficultés
dans la réalisation :

• La mélodie de la MD devra être jouée de façon legato,


comme s’il s’agissait d’un instrument à cordes ou d’une
voix chantée. Vous devriez presque avoir l’impression de
ramper dans le clavier ! Phrasez bien le thème musical
répété : pas de faux accent, ni de coupure en cas de note
répétée. Imaginez plutôt qu’un doigt laisse sa place en
douceur à son partenaire. À cet égard, la double croche m.
7, 15 et 31 est dangereuse : on a tôt fait de la brusquer.
Considérez-la avec amour, le son vous le rendra.

• La MG elle aussi doit être liée, et qui plus est, tenir les
sons afin de créer une harmonie : travaillez-la
indépendamment et lentement, et écoutez la résonance des
sons entre eux.

• Étudiez les mains séparées également dans la deuxième


phrase, des m. 17 à 24 :
• Dans la MD, les motifs mélodiques se font plus
courts et plus rapides. Il y a quelque chose d’un
peu haletant là-dedans, mais gardez la tête froide !
• L’accompagnement de MG est délicat à rendre :
ces pizzicati légers seraient plus aisés s’ils ne
parcouraient pas ce large espace, avec force
passages de pouces. Étudiez la MG legato, afin
d’éprouver physiquement les justes intervalles.
Utilisez également les « boucles » : répétez chaque
mesure à l’infini en la jouant dans les deux sens –
sans trop vous en demander ! – et le geste
deviendra de plus en plus naturel.
• Cette pièce est belle parce qu’elle est simple, la
phrase déploie son galbe jusqu’au point culminant
de la m. 22 : ne négligez pas les nuances, elles
donnent sa forme à cette miniature.

Attention
Les deux déplacements successifs m. 30 et 31 sont
impitoyables : là encore, pensez au chat tombant de haut, et
dites-vous qu’au regard de ce grand clavier et de l’univers tout
entier, ce n’est pas si loin ! Éventuellement, accompagnez la
dernière croche de chacune de ces deux mesures d’un petit coup
de pédale, qui vous aidera à passer le cap voluptueusement.

Vieille Chanson française


P. I. Tchaïkovski (1840-1893)
Arabesque
Extrait des 25 Études faciles et progressives op. 100, no 2
J. F. F. Burgmüller (1806-1874)

Carte d’identité
• Publication : 1852 (époque romantique)

• Tonalité : la mineur, aucune altération à l’armure.


Attention toutefois aux sol # accidentels (c’est la sensible)

• Mesure binaire : =2♩

• Tempo moyen : ♩ = 152

• Lexique : scherzando = en s’amusant, risoluto = résolu

• Mots-clefs : excitation – volute – jeu perlé

Repères
Cette étude fait partie d’un ensemble fort réjouissant : 25 Études
faciles et progressives op. 100 de Friedrich Bürgmuller,
compositeur allemand du XIXe siècle. Les jeunes pianistes se les
arrachent, tant L’Adieu, L’Harmonie des anges, la Tarentelle ou
la Chevaleresque leur racontent une histoire tout en leur offrant
un challenge technique certain. L’Arabesque est peut-être
l’extrait le plus célèbre du recueil, et je n’oserai pas vous faire
l’affront de vous demander si vous avez déjà entendu sa
ritournelle.
Le titre est tout-à-fait suggestif : pensez aux courbes, aux
ornements que vous avez peut-être déjà admirés dans l’art
oriental, qu’il s’agisse de peinture ou d’architecture. En
musique, Schumann, Debussy et bien d’autres ont écrit des
Arabesques : écoutez-les et délectez-vous de ces volutes
évocatrices.
Le titre fait peut-être également référence à la courbe du motif
conjoint qui irrigue toute l’étude, successivement à chaque main.
Observez la rotation de votre poignet, lorsque les doigts de
déroulent l’un après l’autre : n’est-ce pas là une belle
arabesque ?

Conseils de travail
• Veillez à bien équilibrer les mains, ne jouez pas les
accords de la MG trop fort : restez près du clavier, sur
lequel vous rebondissez avec un poignet souple. La MD
est plus volubile, ses doubles croches frétillantes prennent
tout leur sens dans un jeu articulé, perlé. Répétez le mot
« ballabile » plusieurs fois en pensant que le spectateur du
dernier poulailler doit comprendre distinctement chaque
syllabe. Vous voyez ?

• Le rapport s’inverse à la m. 12 où la MG prend la parole.


Elle a quelque chose à dire, et le clame haut et fort –
n’écrasez pas le son pour autant. La MD est plus discrète
dans cette partie centrale, mais les deux larronnes se
rejoignent et font la paix à la m. 18 : le nuage est passé. En
somme, savourez les contrastes de nuances, les sforzandi
et les différentes humeurs au sein de la pièce.

• Attention à bien anticiper les déplacements, MD comme


MG : il s’en faut de peu pour se placer au mauvais endroit.
Imaginez que c’est la croche piquée à la fin du motif qui
propulse légèrement la main, par l’énergie du doigt, à son
nouvel emplacement.

Attention
Soyez vigilant quant à la structure de la pièce. Si vous n’êtes pas
familier des reprises, c’est l’exemple idéal : sachez qu’on saute
la mesure de 1ère fois à la reprise pour aller directement à la
mesure de 2e fois : on ne les joue qu’une fois chacune.

Arabesque
J. F. F. Burgmüller (1806-1874)
Arietta
Extrait des Pièces lyriques op. 12, no 1
E. Grieg (1843-1907)

Carte d’identité
• Composition : 1867 (époque romantique)

• Tonalité : mi -  majeur, si mi et la sont -  à l’armure

• Mesure binaire : =2♩

• Tempo moyen (rubato) : ♩ = 54

• Lexique : poco andante e sostenuto = peu allant et


soutenu

• Mots-clefs : tendre – méditation – bluette

Repères
Avec le Concerto en la mineur op. 16, les Pièces lyriques sont la
gloire pianistique d’Edvard Grieg, compositeur norvégien. Le
succès de ces pièces de petit format, réparties en plusieurs
recueils composés tout au long de sa vie (de 1867 à 1901) était
tel que ses éditeurs lui en demandaient toujours de nouvelles !
D’une dimension propice à leur exécution dans les salons
mondains, à l’instar des Romances sans paroles de
Mendelssohn, elles recèlent de purs joyaux tels que Papillon
op. 43 ou la Marche des trolls op. 54 que je vous invite à
découvrir… sous vos doigts ? Les thèmes chers au compositeur
y sont présents : le folklore norvégien bien sûr, ainsi que la
nature. Grieg éprouvera des sentiments mitigés sur ces pièces,
comme en témoigne Guy Sacre dans La musique de piano : « Il
alla jusqu’à s’écrier que ces morceaux étaient “les poux et les
mouches” de sa vie d’artiste. […] Et cependant, tout son art se
reflète dans ces miniatures, avec son âme et sa pensée. »
L’Arietta est la toute première pièce ouvrant le premier opus.
Elle semble lever le voile sur un univers poétique, telle une
invitation au voyage. Son thème sera réemployé dans la toute
dernière pièce Souvenirs op. 71 : écoutez-les tour-à-tour, trente-
cinq années les séparent et pourtant, la même émotion en surgit.

Conseils de travail
• J’ajouterais volontiers le qualificatif cantabile (chantant),
à ce feuillet. Ici, la mélodie et la basse sont principalement
jouées par le cinquième et le quatrième doigts de la MD :
Neuhaus aurait dit fort-à-propos : « Rappelons qu’Anton
Rubinstein appelait les deux cinquièmes doigts les
« conducteurs de la musique ». Par exemple, m. 1 à 4, des
blanches trop faiblement timbrées par la MG ne
parviendraient pas à soutenir les soufflets dans la mélodie.

• Les doubles croches d’accompagnement ne doivent pas


être trop présentes, elles doivent passer d’une main à
l’autre avec une fluidité toute « harpistique ».

• La pédale est très importante ici. Elle permet d’infinies


nuances, en enveloppant les sons d’une lumière
chaleureuse. Du coup, exit tout bruit mécanique ! Sachez
que sur la plupart des pianos, il y a une petite distance
entre le moment où tous les étouffoirs sont posés sur les
cordes, et le relevé total de la pédale forte. Profitez-en pour
sensibiliser votre bout de pied, rien n’est plus désagréable
que le bruit sourd d’une pédale lâchée un peu trop
brusquement. La prochaine fois, nous nous attarderons sur
le couinement du tabouret.

Arietta
E. Grieg (1843-1907)
Prélude no  1
BWV 846, extrait du Clavier bien tempéré
J. S. Bach (1685-1750)

Carte d’identité
• Composition : 1722 (époque baroque)

• Tonalité : do majeur, aucune altération à la clef, mais de


nombreux emprunts induisent des altérations accidentelles

• Mesure binaire : C = =4♩

• Tempo moyen : ♩ = 72

• Lexique : simile = de la même façon, continuez ainsi

• Mots-clefs : voyage harmonique – style luthé –


improvisation

Repères
En guise de préface à son Album pour la jeunesse op. 68,
Schumann offre ses Conseils aux jeunes musiciens, que Franz
Liszt traduira en français. « Faites votre pain quotidien du
Clavier bien tempéré [de Bach] : il fera de vous à lui seul un bon
musicien. »
Et en effet, chaque cahier du Clavier bien tempéré
comporte 24 préludes et fugues : vous avez le temps de voir
venir ! Pourquoi ce titre ? Parce que si vous entendiez votre
instrument accordé comme à l’époque, il vous paraîtrait très
faux ! Bach explore les possibilités qu’offrent le tempérament
égal, c’est-à-dire la division du clavier en douze demi-tons
égaux. Ce premier Prélude parcourt l’harmonie, par des dessins
d’accords brisés, véritables formules d’accompagnement, en
témoignent les nombreuses utilisations de ce prélude, de Gounod
à Maurane !
N’en déplaise à quelques-uns, on joue beaucoup aujourd’hui ce
monument au piano ! Glenn Gould, pianiste canadien, dit : « Il
n’y a rien en vérité qui empêche le piano contemporain de
représenter fidèlement les implications architecturales du style
baroque en général, de ce celui de Bach en particulier. » C’est
une œuvre intemporelle, à laquelle le piano peut offrir sa
sonorité et ses nuances, notamment pour donner à comprendre
les différentes voix superposées des fugues et faire danser les
préludes.

Conseils de travail
• Le mot prélude est issu du verbe latin praeludo : préluder,
s’essayer à. Le musicien joue quelques notes pour accorder
son instrument et s’échauffer. C’est une sorte de
préambule, on dit bonjour : votre prélude ne devra pas être
trop « amidonné » dans une pulsation stricte. Fiez-vous à
votre oreille : quels sont les accords de tension ?
(septièmes de dominante, septièmes diminuées, septièmes
tout court…!), où sont les accords de repos ? À quel
moment vous sentez-vous en voyage et quand avez-vous le
sentiment de clore un cycle ?

• Ce caractère quasi-improvisé peut vous permettre de


choisir vos doigtés sur le moment. Néanmoins, il n’est pas
du tout obligatoire de garder le même doigté sur deux
cellules qui se répètent : anticipez ce qui suit, et travaillez
par empreintes, c’est-à-dire en plaquant chaque accord
lentement.

• N’hésitez pas à utiliser la pédale, à la blanche ou à la


mesure, mais attention aux trois dernières mesures 33-35
qui devront en faire l’économie. Laissons ces accords
cadentiels sur pédale de tonique rassembler les âmes et
ralentissons très légèrement les doubles croches précédant
le dernier accord.

Prélude no  1
J. S. Bach (1685-1750)
Le Cavalier sauvage  &  Le Gai
Laboureur
Extraits de L’Album pour la jeunesse op. 68, no 8
R. Schumann (1810-1856)

Carte d’identité
• Composition : 1848 (époque romantique)

Le Cavalier sauvage
• Tonalité : la mineur, avec une partie centrale en fa majeur

• Mesure ternaire : = 6 ♪ ou 2 ♩.  – notez que c’est la


première mesure ternaire de notre recueil !

• Tempo moyen : ♩. = 116

• Mots-clefs : staccato – décidé – caractère

Le Gai Laboureur
• Tonalité : fa majeur, un si -  à l’armure

• Mesure binaire : =4♩


• Tempo moyen : ♩ = 140

• Lexique : Frisch und munter = frais et joyeux

• Mots-clefs : optimisme – rythmé – incontournable

Repères
« On n’a jamais fini d’apprendre ». Tels sont les mots des
Conseils aux jeunes musiciens qui accompagnent L’Album pour
la jeunesse de Schumann. Composé en 1848 pour sa fille Marie,
c’est un ensemble de 43 pièces en deux parties qui mêlent des
pièces anciennes et nouvelles, faisant appel à l’imaginaire
enfantin. On connaît notamment la Mélodie, le Pauvre Orphelin
ou la Sicilienne. Le Cavalier sauvage et Le Gai Laboureur font
partie des pièces les plus célèbres, tant elles sont entraînantes et
parce qu’on en retient l’air du premier coup !

Conseils de travail
• On veillera, dans le Cavalier sauvage, à distinguer
nettement la ponctuation : staccato et legato se côtoient,
avec une nette prédominance du premier. On peut
accompagner d’un bref coup de pédale les sforzandi.

• Attention à l’équilibre entre les deux mains dans Le Gai


Laboureur, les accords à la MD ne doivent pas prendre
trop de place, sous peine de couvrir la mélodie de la MG !

• À partir de la m. 9, c’est une autre histoire : les doublures


mélodiques sont fréquentes chez Schumann, et en voici un
bel exemple, la MD jouant la même mélodie que la MG à
la dixième supérieure – mais en conservant la primeur des
accords. Cela implique un véritable soin à donner à
l’indépendance des doigts dans la MD : mélodie plus
timbrée, accompagnement plus discret.

• Les deux pièces sont très rythmées, elles ne souffriraient


pas de changements intempestifs de pulsation, de ralentis
ou d’accélération. Étudiez-les dans un mouvement modéré,
comptez à voix haute, jouez en marquant le temps avec le
bout de votre pied (gauche, droite !) et utilisez le
métronome avant de jouer a tempo.

Attention
Le Gai laboureur : m. 3 et similaires, observez le glissement de
pouce, qui peut s’avérer salutaire pour certaines formes de
mains. C’est un geste que vous retrouverez dans le Tango
d’Albéniz. Il ne faudra ni s’affaler de tout son poids dans le
clavier lors du glissement, ni craindre de jouer le la, ce qui le
ferait paraître trop terne.
M. 9 et 15 : afin de faciliter le legato de la mélodie de la MD et
sans mettre à mal celui de la MG, je prends les deux si -  des
troisième et quatrième temps avec le pouce de la MG : les
pouces se saluent et reviennent à leurs moutons.

Le Cavalier sauvage
R. Schumann (1810-1856)
Le Gai Laboureur
R. Schumann (1810-1856)
La Tartine de beurre
K. Anh. 284n
W. A. Mozart (1756-1791), ou L. Mozart (1719-1787), ou…

Carte d’identité
• Composition : difficile à dire (époque classique ?)

• Tonalité : do majeur, comme le Präludium de Tetzel,


seulement des touches blanches !

• Mesure binaire : =3♩

• Tempo moyen : ♩ = 140

• Lexique : gliss. = glissando ; da capo al fine = reprendre


du début jusqu’au mot fin (Fine m. 8).

• Mots-clefs : humour – valse – patinage artistique

Repères
Qu’est-ce alors que ce drôle d’objet ? On connaît le caractère
espiègle de Mozart, ou les velléités pédagogiques de son père
Léopold. Certains éditeurs ont pu faire passer des pièces de leur
composition pour des œuvres de grands maîtres… Dans le cas
qui nous occupe, difficile d’avoir une réflexion sérieuse sur une
pièce apocryphe (dont l’authenticité n’est pas établie), tant elle
est amusante !

Conseils de travail
• Commençons par la MG, voulez-vous ? Puisqu’il s’agit
de toute évidence d’une valse, voici la manière dont vous
en pouvez ponctuer l’accompagnement :

Ainsi sentirons-nous distinctement le temps d’appui et les


deux temps faibles. Vous pourrez mettre un peu de pédale
en début de mesure… mais chaque chose en son temps !

• Déchiffrez la MD seule également. Voici un cas d’école


pour ce qui est du glissando, et la partition ne contient que
bien peu de doigtés pour la MD… Le choix vous incombe,
mais attention à ne pas se râper la peau ! Pour l’essentiel,
c’est l’ongle qui glisse et non pas la chair du doigt, la pièce
ne s'appelant pas la Tartine de sang…

• Pour les glissandos ascendants, utilisez plutôt le deuxième


ou le troisième doigt, en faisant une rotation de la main
vers l’extérieur (un demi-tour vers la droite). Expérimentez
les deux doigtés avant d’en choisir un ! On peut s’arrêter
lorsqu’on est arrivé avec ce même doigt, ou attraper la
note d’arrivée (do, puis ré, puis mi) avec le pouce, comme
pour rebondir dessus.
• Pour les glissandos descendants : jouez avec le pouce, la
main dans sa position pianistique habituelle.

• M. 17 et suivantes : mettez le même doigt sur chaque


note – savez-vous qu’on appelle aussi cette pièce la Valse à
un doigt ? Profitez-en, cela n’arrivera pas souvent !

• M. 19 : glissez le doigt à plat, comme si vous étaliez le


beurre sur la tartine, puis insistez.

• M. 25 : le glissando de trois notes est dans cette pièce le


summum de la virtuosité tant le chemin à parcourir est
minuscule. Entraînez-vous avec votre deuxième ou votre
troisième doigt dans un geste minimal, qui donne à la fois
un peu d’élan mais ne va pas trop loin sur le clavier.

• Avant de mettre les ME, je vous propose une étape


intermédiaire : frappez délicatement la pulsation en noires
à la MG et jouez en même temps la MD telle qu’elle est
écrite. Attention à bien doser le glissando : pour ne pas
qu’il s’interrompe, il faut le jouer dans l’élan du bras, et le
lancer très peu de temps avant le troisième temps. Je sais,
la sensation de perte de contrôle est inévitable, comme si
vous glissiez sur une tartine qui aurait respecté la loi de
Murphy !

La Tartine de beurre
W. A. Mozart (1756-1791), ou L. Mozart (1719-1787), ou…
Préludes
Op. 28, no 4 & 7
F. Chopin (1810-1849)

Carte d’identité
• Composition : 1836-1839 (époque romantique)

Prélude no 4
• Tonalité : mi mineur, un fa # à l’armure

• Mesure binaire : =4♩

• Tempo moyen (rubato) : ♩ = 54

• Lexique : stretto = « serrer », accélérer le tempo

• Mots-clefs : gravité – insistance – phrasé

Prélude no 7
• Tonalité : la majeur, fa do et sol sont # à l’armure

• Mesure binaire : =3♩


• Tempo moyen (rubato) : ♩ = 88

• Mots-clefs : mazurka – innocence – souvenir

Repères
Chopin a terminé son recueil de 24 Préludes à Majorque. Ceux-
ci parcourent l’ensemble des tonalités, à l’image des Préludes du
Clavier bien tempéré de J. S. Bach. Ce sont des pièces courtes,
que l’on peut jouer à la suite ou en choisir une sélection. Pour
Liszt, ils sont « admirables par leur diversité, le travail et le
savoir qui s’y trouvent… Ils ont la libre et grande allure qui
caractérise les œuvres de génie ».
Le Prélude no 4, de tonalité sombre, est particulièrement
poignant. On l’a joué à l’orgue lors des funérailles du
compositeur. Si c’est une des premières pièces de Chopin que
l’on aborde, sa célébrité a dépassé les frontières du piano,
comme en témoigne la chanson Jane B de Serge Gainsbourg,
entre autres.
Le Prélude no 7 est quant à lui beaucoup plus lumineux, naïf.
C’est une sorte de mazurka, danse du pays natal du compositeur,
lente et qui ne comptabilise pas plus de seize mesures.

Conseils de travail

Prélude no 4
• Les accords de la MG doivent s’enchaîner de manière
absolument fluide dans la nuance p, sans à-coup, comme
s’ils étaient tous joués dans le même archet. C’est une
gageure, et là encore, travaillez avec les boucles :
enchaînez les deux premiers accords en aller-retours afin
d’éprouver le déplacement dans les deux sens, et ainsi de
suite. Attention à ne pas confondre souplesse et mollesse :
par souci d’égalité des sons dans chaque accord, la main
doit, sans dureté excessive, « tenir » l’empreinte.

• La main droite doit être très chantée, legato. À ce titre,


consultez les conseils de travail pour la Rêverie de
Schumann. Il faut être très scrupuleux quant à l’équilibre
entre les mains, car si la MD comporte deux notes à la m.
1, la MG en comporte 24, regroupées en triades ! Vous
voyez où je veux en venir…

Prélude no 7
Dans ce prélude, des harmonies de tension (accords de
dominante ou de sixième degré « majorisé ») et de détente
(accord de tonique) se succèdent, comme un jeu de question /
réponse : au début par deux mesures, puis dans la seconde
phrase, la réponse se fait désirer par une pirouette harmonique,
ce qui allonge la période de tension, et fait désirer la résolution.
Des nuances sont écrites : à vous de jouer ! Et si vous en avez
l’occasion, voyez le ballet The Concert de Jerome Robbins, où
cette pièce est traitée avec humour et poésie.

Attention
• Ne prenez pas la mauvaise habitude répandue de décaler
systématiquement les deux mains. On le fait parfois pour
révéler une harmonie inattendue, un passage-clef... mais
c’est tout !

• Prélude No 4 : on pourra réaliser le gruppetto m. 11 ainsi :


Prélude no  4
F. Chopin (1810-1849)
Prélude no  7
Solfeggietto
H. 220, Wq. 117/2
C. P. E. Bach (1714-1788)

Carte d’identité
• Composition : 1766 (époque baroque – préclassique)

• Tonalité : do mineur, si mi et la sont -  à l’armure, le si sera


fréquemment bécarre, puisqu’il s’agit de la sensible

• Mesure binaire : C = =4♩

• Tempo moyen : ♩ = 144

• Mots-clefs : optimisme – modulation – articulé

Repères
Originellement baptisée Solfeggio, cette pièce du fils de J. S.
Bach est petit à petit devenue Solfeggietto : sont-ce les
nombreuses anthologies et méthodes de piano qui en ont travesti
le titre, ou une sorte de mode « à l’italienne » en musique qui a
inspiré ce diminutif ? Toujours est-il que cette petite toccata
plaît, et impressionne d’autant plus qu’elle est aisée
d’interprétation puisque, la plupart du temps, une seule note est
jouée à la fois !
Conseils de travail
• Il faudra donner l’illusion, sauf dans les passages où les
deux mains jouent ensemble, qu’une seule main est à
l’œuvre, par un relais impeccable de l’une à l’autre, une
régularité et une égalité des doigts à toute épreuve dans les
gammes et les arpèges. L’habileté à se déplacer sur le
clavier pourra se travailler, une fois la pièce sue par cœur,
lentement et les yeux fermés.

• Attention aux passages où les mains se chevauchent. À


l’époque de l’écriture de cette pièce, on pouvait utiliser le
double clavier du clavecin, ce qui simplifiait la tâche de
l’interprète. Là, il faudra chercher et décider précisément
qui joue au-dessus et qui joue au-dessous, le noter et... s’y
tenir !

• Allez-y franco pour faire entendre de véritables


contrastes, à l’aide des nuances écrites. Imaginez cette
pièce à l’orchestre, où s’alterneraient les solos d’un
musicien et les tutti orchestraux !

Attention
M. 21 à la distribution des mains : on peut prendre, par
commodité, la première double croche de chaque temps à la
main gauche.
M. 22 et suivantes : c’est une demi-pause, qui vaut une blanche
de silence. Ne la raccourcissez pas, cela ne doit pas sonner
précipité.
M. 25 : voici comment on peut réaliser l’ornement :
Solfeggietto
C. P. E. Bach (1714-1788)
Une larme
M. Moussorgski (1839-1881)

Carte d’identité
• Composition : 1880 (époque romantique)

• Tonalité : sol mineur, si et mi sont -  à l’armure, les fa #


courent les rues ; la partie centrale est en sol majeur, avec
un fa # à l’armure.

• Mesure binaire : C = =4♩

• Tempo moyen (rubato) : ♩ = 72

• Lexique : con moto = avec mouvement ; legato e


cantabile = lié et chantant ; senza / con sordino = sans /
avec la pédale una corda

• Mots-clefs : langueur – Sibérie – chant du cygne

Repères
Cette pièce est l’une des dernières de Moussorgski. Elle est
particulièrement dépouillée, comparativement aux autres œuvres
de son auteur : les harmonies y sont rudimentaires et se posent la
plupart du temps sur une pédale de tonique (sol) ; le rythme est
fait de noires et de croches, et la mélodie ne se prive pas de
répétitions – d’ailleurs, on ne s’en lasse pas. Remarquez
toutefois les carrures irrégulières, avec ces allongements pleins
de charme (m. 12, 23).
Au cœur du mouvement, un ange passe : ce chant en mode
majeur est comme un murmure d’espoir, une caresse, dans un
écrin de velours… avant de céder la place à la nostalgie qui s’en
revient. Écoutez-la dans sa version orchestrale, cela vous
inspirera !

Conseils de travail
• Là encore, un juste dosage entre les mains sera nécessaire.
La MD doit chanter sa mélancolie slave avec émotion : les
doigts se relèvent légèrement pour bien timbrer et déporter
le poids naturel du bras d’une touche à l’autre. La MG,
elle, caresse le clavier.

• Des m. 13 à 23, la MG doit impérativement être jouée de


la manière la plus détendue : Olivier Bellamy évoque dans
son Dictionnaire amoureux du piano comment
« appréhender une figure à la main gauche comme si on la
jouait en un accord avec des doigts qui tombent sans effort
sur les touches […] ». Votre repère physique ici est le
troisième ou deuxième doigt qui joue la note ré : c’est le
doigt pivot, et si le sol à la basse joué par le cinquième
doigt demeure, il n’en est rien du pouce qui joue des si, des
do et des ré. Éprouvez la distance entre le ré central et la
note aiguë : sixte, septième, octave ? Entraînez-vous avec
cet exercice simple, que vous pouvez jouer dans les deux
sens :
• Observez le doigté liant à la MG m. 1-2 : on remplace
souplement un doigt par un autre afin d’assurer la
continuité de son, de legato de la voix grave : c’est une
substitution.

Attention
M. 4, temps 4 : jouez le do et le ré avec le pouce, afin de
simplifier l’empreinte et le déplacement qui précède.

Une larme
M. Moussorgski (1839-1881)
Gymnopédie no  1
E. Satie (1866-1925)

Carte d’identité
• Composition : 1888 (musique moderne)

• Tonalité : ambiguë ! L’armure est celle de ré majeur (fa et


do # à l’armure), mais il est délicat de parler de tonalité ici,
tant Satie semble emprunter à divers tons au fur et à
mesure que la musique se déploie – notez les nombreuses
altérations accidentelles, et l’accord de ré mineur qui clôt
la pièce

• Mesure binaire : =3♩

• Tempo moyen : ♩ = 80

• Mots-clefs : calme – original – ameublement (musique d’)

Repères
Satie était-il un peu fou, ou incroyablement fantasque ?
Inclassable, rien n’est plus sûr ! On le considère comme
précurseur du surréalisme ou de la musique minimaliste et
répétitive. Connaissez-vous ses Vexations ? « Pour se
jouer 840 fois de suite ce motif, il sera bon de se préparer au
préalable, et dans le plus grand silence, par des immobilités
sérieuses. » Telle est la note d’intention du compositeur… Satie,
qui possédait sept fois le même costume de velours moutarde, a
fondé sa propre église, l’« Église métropolitaine d’Art et de
Jésus conducteur » ! Mais l’aventure finit par cesser, puisqu’il en
était l’unique membre…
Dans l’Antiquité grecque, une gymnopédie était une danse
pratiquée par des éphèbes nus lors de fêtes à Sparte, et c’est
après la lecture de Salammbô de Flaubert qu'est venue à Satie
l'idée de composer cette œuvre.

Conseils de travail
• Voici les éléments qui composent cette pièce : une
mélodie en noires et blanches pointées, jouée
exclusivement par la MD ; des basses jouées uniquement
par la MG et un accord récurrent sur le second temps, joué
la plupart du temps par la MG, excepté dans les cas
suivants :
• Lorsqu’il s’agit d’un accord de quatre sons que la
MG ne peut pas plaquer : on joue la note supérieure
avec le pouce de la MD aux mesures 24 et
semblables.
• Lorsque l’accord comporte une note appartenant à
la mélodie : plutôt que de la jouer à gauche et de la
perdre au changement de pédale de la mesure
suivante, je suggère qu’on la répète à nouveau par
la MD, en veillant à lui imprimer la même sonorité
que la MG dans son accord (m. 9 et similaires).
• On peut même jouer deux notes de l’accord, par
confort : m. 37 et 76, troisième temps.

• Voyez-vous comme, à la reprise, les harmonies changent à


partir de la m. 72 ? Cela ouvre de nouvelles fenêtres
sonores, et le fait que l’on termine en mode mineur une
pièce commencée en majeur n’est certainement pas
anodin.

• Pour le reste, soyez précis, les indications de nuances sont


claires !

Gymnopédie no  1
E. Satie (1866-1925)
Gnossienne no  3
E. Satie (1866-1925)

Carte d’identité
• Composition : 1890, publiée en 1893 (vers une musique
moderne)

• Tonalité : ambiguë également (cf. Gymnopédie no 1),


l’armure est celle de la tonalité de la mineur, qui semble
l’harmonie de repos, du moins à la fin

• Pas de mesure, métrique binaire. Tout prête à penser que


cette Gnossienne a été pensée dans une mesure à 8  mais…
motus !

• Tempo moyen : à votre libre appréciation

• Mots-clefs : pensif – loufoque – introspectif

Repères
L’origine du mot Gnossienne a fait couler beaucoup d’encre : ce
n’est pas aujourd’hui que vous saurez ce que Satie a voulu
signifier par là ! Peut-être ces pièces tirent-elles leur nom de la
Gnose, ou de Gnosse (Knossos), ville légendaire de Crète...
Depuis les Quatre Ogives pour piano composées en 1887, il est
fréquent que les œuvres du compositeur ne comportent pas de
barre de mesure : on pourra croire que l’éditeur a terminé sa
gravure après une soirée bien arrosée ! Je ne puis m’empêcher
de penser au recueil Alcools d’Apollinaire, où la ponctuation
brille par son absence – les deux artistes se connaissaient et
s’admiraient mutuellement.
Ce n’est donc pas par oisiveté que je n’ai indiqué ici ni doigtés,
ni pédale ! Cela serait, à mon sens, contradictoire avec les
indications du compositeur, sortes de didascalies saugrenues…
Cela vaut le coup d’aller découvrir les indications des autres
Gnossiennes : « très luisant », « ne sortez pas », ou encore « sur
la langue »… Faites-en votre miel, je ne veux pas le savoir !

Conseils de travail
• Ici, contrairement à la Gymnopédie no 1, on pourra jouer
l’accord en rythme de syncope uniquement avec la MG.

• Pour le reste, c’est l’occasion rêvée de chercher par vous-


même comment mettre la pédale, quels doigtés choisir !
Néanmoins :
• La régularité de la basse en rondes, ainsi que les
silences qui marquent la polyphonie tracent une
voie claire pour ce qui est de la pédale.
• À titre personnel, dans les volutes orientalisantes
en croches (p. 1, système 3 et p. 2, système 1,
2 et 3), qui me font penser à des arabesques, j’évite
les pouces sur les touches noires.

Attention
• Puisque nous n’avons pas de barre de mesure, quid des
altérations ? Nous partirons du principe que les règles
habituelles s’appliquent ici pour chaque motif mélodique,
même si des altérations de précaution ont été ajoutées.

• La petite note est barrée. Cela signifie qu’elle est très


courte, comme une sorte de griffure : ce n’est donc pas une
croche, on la joue juste avant le temps.

• Le rythme est parfois malmené dans cette pièce, du fait


que l’on a tendance à raccourcir les valeurs longues,
notamment la blanche de la syncope lorsque la MG est
seule.

Gnossienne no  3
E. Satie (1866-1925)
Hémiones
Extrait du Carnaval des animaux
C. Saint-Saëns (1835-1921)

Carte d’identité
• Composition : 1886 (fin du romantisme)

• Tonalité : do mineur, si, mi et la sont -  à l’armure ; vous


rencontrerez fréquemment des si =

• Mesure binaire : =4♩

• Tempo moyen : ♩ = 184… après quelques heures d’étude !

• Lexique : furioso = furieusement

• Mots-clefs : chevauchée endiablée – esprit – carnavaux !


(F. Blanche)

Repères
Les Hémiones sont un extrait du Carnaval des animaux,
« Grande Fantaisie zoologique » composée par Camille Saint-
Saëns en 1886 pour un concert de Mardi gras. Il ne voulait pas
que son œuvre soit jouée en public, mais elle a été interprétée
lors de soirées privées avant d’être publiée à titre posthume.
Réputé pour être un compositeur sérieux, il se pourrait qu’il vise
d’un peu trop près des confrères dans ses pastiches… Cela ne
semble pas le cas dans cette pièce : un hémione est un âne
sauvage d’Asie. Lisez le texte de Francis Blanche !

Conseils de travail
• Important : les arrangements possibles sont multiples et
appartiennent à chacun : pas un pianiste sur cette planète
ne met le même doigté de bout en bout. Joué à deux
pianos, si les deux musiciens souffrent du même défaut de
doigté au même endroit, l’édifice vacille quelque peu.
Mais vous êtes seul et bien seul. Prenez cette pièce pour
étude technique et mise en doigt post réveil-matin et pré-
brossage de dents, un peu comme le Solfeggietto.

• Le public fermant ses yeux ne devrait pas deviner quelle


main joue et quand s’opère le relais entre les deux, ni
déceler les pouces sur les touches noires ou les doigts plus
fragiles dans les chromatismes… Travaillez ainsi :
• Jouez quatre doubles croches dans un sens puis
dans l’autre, dans un mouvement circulaire, jusqu’à
vous y habituer.
• Quelques rythmes contrôlés, pour donner à chaque
doigt l’occasion d’être tantôt un doigt de passage,
tantôt un doigt d’appui :

• Placez le métronome suffisamment lentement pour jouer


proprement, puis augmentez la vitesse progressivement.

• Les nuances sont progressives : crescendos et


decrescendos. Les crêtes sont parfois marquées d’un
sforzando, qui suggère le renforcement de la note visée.

• Vous pouvez faire briller les sommets aigus de chaque


ascension par un léger renfort du pied droit, en faisant
attention à ne pas mélanger les harmonies, ainsi que les
deux accords conclusifs.

Attention
• La mise en page précise la distribution des mains :
hampes (queues) vers le haut ? MD. Vers le bas ? MG. Et
c’est tout !

• Dans les m. 9 à 12, ce sont des doubles croches continues,


faites attention à la manière dont elles sont agencées.

• M. 19 et analogues : je prends le sol avec la MD, ce qui


me permet de ne pas trop étirer la MG, et constitue une
sorte de rendez-vous rythmique.

• M. 27 : je termine la gamme avec la MD uniquement afin


que la MG anticipe son déplacement et que les deux
accords finaux n’interviennent pas trop tard.

Hémiones
C. Saint-Saëns (1835-1921)
Le Petit Nègre
C. Debussy (1862-1918)

Carte d’identité
• Publication : 1909 (musique moderne)

• Tonalité : do majeur ; la partie centrale emprunte la


tonalité de fa majeur, vous y rencontrerez plusieurs si -

• Mesure binaire : =2♩

• Tempo moyen : ♩ = 120

• Lexique : giusto = juste (ni trop vite, ni trop lent)

• Mots-clefs : cake-walk – syncopette – enjoué

Repères
Quelle jubilation que cette pièce ! Debussy se déguise en Scott
Joplin, comme il l’a fait peu avant dans Children’s corner et son
Golliwog’s cake-walk. La pièce tire son déhanchement de la
syncopette, figure rythmique caractéristique de cette musique
d’origine afro-américaine et précurseuse du jazz. C’est une pièce
facile d’accès qui fait le bonheur des pianistes en herbe, malgré
son titre quelque peu racorni. Publiée dans la Méthode
élémentaire de piano de Théodore Lack, on en reconnaît le
thème musical dans la Boîte à joujoux : c’est le soldat anglais !

Conseils de travail
• Qui a travaillé Le Petit Nègre a forcément cauchemardé à
cause de la fameuse gamme en tierce descendante : il faut
la travailler MS, en marquant du bout du pied la blanche
pour s’imprimer des repères à chaque mesure. Travaillez
ces tierces le plus legato possible, puis piquez-les.

• M. 9 et suivantes : la MG passe au-dessus de la MD,


rebondissant d’un côté puis de l’autre, telle une balle de
ping pong. Attention à ce que le geste soit bien courbe, et
que les mains ne se gênent pas : la MD doit ici rester près
du clavier.

• Partie centrale : elle n’est pas si aisée d’exécution. Il faut


assurer un legato dans les liaisons, tout en ajoutant des
couleurs harmoniques dans la MD. Écoutez les plans
sonores, même quand les accords sont des croches !

• Voyez comme la ponctuation est variée : staccato, legato,


tenuto, accentué et marcato ! C’est le sel de cette pièce, et
il faut varier la force et le geste d’attaque selon ce que
vous voulez entendre : la ponctuation est en lien direct
avec le poignet. Pour ce qui est des notes courtes, il devra
rebondir de manière verticale, l’articulation libérée vous
faisant penser à un pantin dont un fil tire à la pliure du
poignet. Pour ce qui est legato, l’action du poignet sera
plutôt latérale, afin d’accompagner chaque doigt sur sa
touche, et d’y transférer naturellement le poids de la main,
du bras. Bien évidemment, les bras et les coudes
accompagneront ce mouvement, sans le forcer.
Le Petit Nègre
C. Debussy (1862-1918)
Valse en la mineur
Op. posthume
F. Chopin (1810-1849)

Carte d’identité
• Publication : 1955 (date de composition inconnue)

• Tonalité : la mineur, vous rencontrerez des sol #

• Mesure binaire : =3♩

• Tempo moyen (rubato) : ♩ = 126

• Mots-clefs : bal – intime – fleur bleue

Repères
On ignore presque tout de la composition de cette Valse en la
mineur, publiée à titre posthume en 1955 dans la Revue
musicale. Pourtant, la pièce n’est pas loin d’être victime de son
succès, tant on l’entend dès qu’un piano se trouve à proximité –
ce qui ne lui enlève rien !

Conseils de travail
• Lisez ces quelques mots de Stefan Askenase, pianiste
polonais, dans le livre Conversations de Juergen Meyer-
Josten : « Les œuvres de Chopin doivent être jouées avec
naturel. Il ne faut pas se comporter en virtuose, ni exagérer
le caractère mélancolique, ni jouer avec emphase, ni
surtout faire du sentiment : il faut simplement faire de la
musique. […] Il faut jouer librement, mais ce rythme doit
toujours être perceptible. » C’est limpide ! Vous pouvez
utiliser le rubato, mais sans perdre de vue que la valse est
une danse ! D’ailleurs, l’avez-vous déjà dansée ? Avez-
vous expérimenté le temps fort, l’appui sur le premier
temps, puis la légèreté, la suspension à 2, 3 ? Cette valse
de Chopin, toute romantique qu’elle soit, ne doit pas
sonner excessivement expressive, ampoulée ou pesante :
c’est une page fraîche, pleine d’élégance et de retenue.

• Attention à la pédale. La mélodie est très conjointe : à part


quelques sauts dans les intervalles, elle est essentiellement
composée de secondes majeures ou mineures, c’est-à-dire
de tons ou de demi-tons. Il faut veiller à ce qu’ils ne se
retrouvent pas longtemps ensemble dans la pédale, d’où
mon choix d’une pédale changée le plus souvent sur le
deuxième temps. Dans un tempo plus rapide, on pourra
envisager une pédale plus longue... en gardant les oreilles
ouvertes !

• L’arpège de la m. 21 constitue le défi technique de cette


valse : il doit s’envoler, sonner « libre » et les passages de
pouces doivent être aussi discrets que souples. Enchaînez
cet arpège de bas en haut puis de haut en bas, sans la MG.
Sentez l’aide précieuse du poignet et du coude, dont la
légère rotation aide la main à se déplacer.

• De petites notes ornementales embellissent la mélodie.


Elles doivent être considérées dans une perspective
romantique et vocale : ne les séparez pas du chant cher à
Chopin, et placez la note réelle sur le temps, c’est-à-dire en
même temps que la basse, de cette façon (m. 3-4) :

Valse en la mineur
F. Chopin (1810-1849)
Le Coucou
Extrait du Premier livre de Pièces de clavecin, Troisième Suite
L.-C. Daquin (1694-1772)

Carte d’identité
• Publication : 1735 (époque baroque)

• Tonalité : mi mineur, un fa # à l’armure et un ré #


récurrent (sensible)

• Mesure binaire : =2♩

• Tempo moyen : ♩ = 140

• Mots-clefs : articulé – volubile – rondeau

Repères
Nous avons tantôt découvert un extrait du Carnaval des
Animaux : écoutez-le en entier ! Saint-Saëns choisit, pour imiter
le Coucou au fond des bois, une tierce majeure. Daquin, lui,
utilise la tierce mineure tout au long de la pièce : « sol – mi » est
« coucou » ! « L’appel du coucou, à la main gauche, se détache
clairement sous les guirlandes légères de doubles croches tissées
par la main droite », écrit Adélaïde De Place dans le Guide de la
musique de piano et de clavecin. Voici une pièce descriptive fort
amusante !
Conseils de travail
• Par souci de style, mais aussi pour être au plus près du
son du coucou, nous détacherons toutes les noires, ainsi
que les croches, excepté celles qui s’inscrivent dans un
mouvement conjoint des deux mains et que nous lierons :
m. 4, 10, 15, 28, 32 et 65. Les doubles croches seront liées,
mais avec un jeu articulé, perlé, qui fuira comme la peste
toute bavure et note « collée » à mauvais escient.

• La MD est bavarde, pleine de tremblements et de pincés,


et n’est pas toujours aisée à réaliser, notamment avec les
notes répétées au pouce et deuxième doigt. Voici un
exercice avec trois doigtés différents qui pourra vous aider
à l’appréhender :

N’hésitez pas à transposer votre exercice dans les tonalités


utilisées dans la pièce, notamment si mineur, car comme
l’écrit Heinrich Neuhaus dans L’Art du piano : « Si un
jeune pianiste rencontre dans un nouveau morceau des
difficultés inconnues dans lesquelles il s’embourbe, qu’il
démontre son ingéniosité en composant, à partir des
passages difficiles, des exercices utiles. Qu’il joue jusqu’à
ce que l’inconnu devienne connu, l’incommode commode,
le difficile facile. »

Attention
• Observez de près la MG dans la mesure 41. L’écriture en
est complexe du fait de la polyphonie. Deux voix
cohabitent dans cette MG : les hampes vont vers le haut ?
C’est la voix du haut, qui comporte un demi-soupir et une
noire pointée. On joue les deux sol en même temps, et on
tient la touche jusqu’à la fin de la mesure. Vous voyez
deux notes, mais n’en jouez qu’une seule : vous
retrouverez ce type d’écriture dans de nombreuses
partitions.

• M. 69 : voici comment réaliser l’ornement :

• C’est une forme rondeau, ou rondo : le refrain revient


après chaque couplet :

Refrain – 1er couplet – Refrain – 2e couplet – Refrain.

Le Coucou
L.-C. Daquin (1694-1772)
Sarabande
Extrait de la Suite no 4 en ré mineur HWV 437 pour clavecin
G. F. Haendel (1685-1759)

Carte d’identité
• Publication : 1733 (époque baroque)

• Tonalité : ré mineur, l’armure comporte un si -  et les do #


sont légion

• Mesure binaire : =3

• Tempo moyen : = 63

• Mots-clefs : gravité – variations – polyphonie

Repères
La sarabande est une danse de cour lente, à trois temps, dont on
allonge le deuxième temps, souvent une mesure sur deux, pour
glisser le pied au sol, ce qui en fait sa spécificité. Vous pouvez
découvrir les sarabandes des suites instrumentales de Bach –
mais les compositeurs modernes tels que Debussy, s’en sont
également emparées.
Dans la Suite no 4 du Deuxième volume de pièces pour le
clavecin de Haendel, la Sarabande, à qui on trouve un lien de
parenté avec la Folia, est le quatrième mouvement d’une suite
de danses à la française : elle est entourée d’une Courante et
d’une Gigue ; les deux premiers mouvements de la suite sont un
Prélude et une Allemande.
Elle fait partie des pièces que l’on connaît par cœur sans en
connaître le nom, pour l’avoir entendu chez Kubrick ou pour
Levi’s !

Conseils de travail
• Avant que vous ne vous ruiez sur la pédale, étudiez cette
Sarabande sans son secours. Pensez au clavecin, ou à
l’orchestre, et sentez la solennité de cette danse. Les
accords comportent quatre ou cinq sons : ce sont autant
d’instruments à cordes ou à vent qui doivent émettre leur
son de manière synchronisée – mais aussi les couper avec
la même précision. La pédale ne favorisant pas ce travail,
je vous suggère de la mettre en sourdine – sans mettre la
sourdine, vous me comprenez.

• Dans votre lecture, faites attention à la polyphonie et aux


silences, qui appartiennent à chacune des voix : donnez à
chaque note sa durée exacte, ce qui implique parfois de
relever une partie des doigts de la main, en gardant les
autres enfoncés, comme le fait la MG à la m. 8. Attention
également à ne pas écourter les valeurs rythmiques
longues, telles que les blanches et les soupirs, ce qui
nuirait au caractère de la pièce.

• C’est un thème et variations. Ici le compositeur conserve


l’harmonie et la mesure, mais dans la première variation,
trois voix s’épanouissent de concert : la voix aiguë en haut
de la MD, la voix plus grave en bas de la MG et la voix
centrale aux deux mains. Des substitutions vous aideront à
aménager ces trois voix : munissez-vous d’un feutre fluo
afin de surligner cette voix intermédiaire (sur la copie que
vous aurez fait au préalable de votre partition, s’entend !).
Jouez cette variation en en chantant chaque voix, en vous
efforçant à jouer une voix plus forte que les autres, et
n’oubliez pas qu’à la reprise, un nouveau monde de
possibles s’ouvre à vous.

• La deuxième variation est plus facile, ouf ! C’est la MG


qui se déplace : travaillez-la legato, détachée, en mêlant
les deux : ce qui est conjoint, lié, ce qui ne l’est pas,
détaché… Variez, puisqu’on vous le demande !

• Pour terminer, n’oubliez pas les reprises, et respirez entre


les variations, pour faire entendre la forme à l’auditeur, et
irriguer votre concentration.

Sarabande
G. F. Haendel (1685-1759)
Chant de gondolier vénitien
Extrait des Romances sans paroles op. 30, no 6
F. Mendelssohn (1809-1847)

Carte d’identité
• Composition : 1833-34 (époque romantique)

• Tonalité : fa # mineur, vous verrez des mi #

• Mesure ternaire : = 6 ♪ ou 2 ♩.

• Tempo moyen : ♩. = 63

• Mots-clefs : romance – balancement – Venise

Repères
Mendelssohn a composé ses Romances sans paroles (Lieder
ohne Worte) entre 1830 et la fin de sa vie. Huit cahiers de six
pièces rassemblent quarante-huit pièces courtes, parmi lesquelles
on trouve de véritables bijoux : La Fileuse, La Chasse, Chanson
de printemps… Le piano romantique y chante en petit format,
s’inspirant du lied. Le public reçoit chaque feuillet au compte-
gouttes et s’y plaît, s’y complaît ! Si je puis vous donner un
conseil : courez vous offrir le recueil complet, et déchiffrez une
ou deux romances chaque dimanche, afin de vous mettre un peu
de baume au cœur !
La Romance sans parole op. 30, no 6 est le deuxième chant de
gondolier vénitien, l’opus 19 offrant lui-même un Venetianisches
Gondellied. Ce sont deux souvenirs d’un voyage du compositeur
à Venise en 1830.

Conseils de travail
• Point de pathos dans cette barcarolle, mais la simple
évocation en forme de carte postale des oscillations d’une
gondole dans un canal de Venise : pas trop de fluctuations,
de la simplicité avant tout ! La beauté naîtra du timbre que
vous réussirez à donner à la mélodie et à son
accompagnement. L’indépendance de vos deux mains est
nécessaire : le chant de la MD doit avoir une sonorité
pleine et généreuse, tel un gondolier chantant de tout cœur,
et la MG l’accompagne de ses arpèges effleurant le clavier
de manière délicate.

• Soyez sensible à la structure de la pièce : après une « mise


en bouche » de six mesures, une phrase se déploie dans la
nuance piano, avec soufflet puis sforzandi sur l’harmonie
de cinquième degré (dominante). On répond à cette tension
en répétant la phrase qui prend une autre tournure et se
résout sur l’accord du premier degré (tonique) : tout va
bien. Mendelssohn ne s’arrête pas là, et surenchérit dans
une partie centrale più forte puis fortissimo, à grands
renforts de sforzandi et d’accents… qui disparaissent pour
laisser place à un instant magique, entre deux feux : ce
trille des m. 33-34 naît, brille et s’éteint. C’est la lueur
pleine de promesses d’un phare qui disparaît trop vite,
nous laissant seul avec notre nostalgie. Son souvenir
reviendra nous hanter dans la coda (m. 44), où il semble se
refléter dans les flots apaisés de la lagune.

Attention
Ne vous bloquez pas dans les trilles, mais travaillez-les
lentement, en étant attentif à la légère rotation du poignet, puis
en accélérant progressivement. On ne mesure pas les battements
d’un trille romantique : « Ils [les trilles] peuvent être gracieux ou
inquiétants, mystérieux ou démoniaques, souriants ou
menaçants, innocents ou tentateurs. », écrit Brendel dans
L’Abécédaire d’un pianiste.

Chant de gondolier vénitien


F. Mendelssohn (1809-1847)
Moment musical no  3
Extrait des Six Moments musicaux D. 780, op. 94
F. Schubert (1797-1828)

Carte d’identité
• Composition : 1823 (période charnière entre la musique
classique et romantique)

• Tonalité : fa mineur, si, mi, la et ré sont -  à l’armure et


vous croiserez fréquemment des mi =

• Mesure binaire : =2♩

• Tempo moyen : ♩ = 88

• Lexique : sempre staccato e leggero = toujours staccato et


léger (MG)

• Mots-clefs : chaloupé – syncope – candeur

Repères
Les Six Moments musicals (ils furent publiés sous ce nom !)
constituent un recueil de pièces éparses, de dimensions
disparates, réunies en 1827. Le troisième d’entre eux est le plus
célèbre de tous et la pièce la plus ancienne : il fut publié
en 1823 sous le titre Air russe, bien qu’il comporte plutôt des
inflexions hongroises et rappelle sa sœur la Mélodie hongroise,
composée un an plus tard. Sorte de danse légère comme une
polka, ce Moment musical alterne mode mineur et mode majeur :
« Il […] ne résiste pas, quand il a trouvé une belle phrase dans
un mode déterminé, à l’essayer dans un autre mode ; ce
balancement perpétuel entre majeur et mineur est une de ses
marques les plus saillantes. » écrit Guy Sacre à propos de
Schubert.

Conseils de travail
• Les syncopes ont une place particulière dans la musique
de Schubert, que décrit Brendel : « Les syncopes ne sont
pas des notes ordinaires. Il faut rendre audible le fait
qu’elles se prolongent jusque dans l’unité rythmique
suivante et faire entendre leur caractère spécial. […] Il
existe pour la syncope un geste spécifique qui, appuyé sur
les doigts, pousse un peu le poignet à l’aide du bras en
direction du couvercle du clavier. »

• La MG doit être régulière et suivre les inflexions du chant


de la MD. On appelerait aujourd’hui cette formule
d’accompagnement une « pompe » : c’est l’ancêtre du
« stride » du jazzman (voyez les pièces de Joplin !) – si
vous me pardonnez cet anachronisme !

• On pourrait mettre plus de pédale que ce que j’ai indiqué.


Néanmoins, il faudra veiller à conserver une certaine clarté
dans le discours : les bavures dans la pédale sont souvent
plus gênantes qu’un legato imparfait.

Attention
M. 3 : la petite note doit être très courte, comme si elle était
barrée, telle un clin d’œil complice.
M. 4 : faites attention à ne pas garder la note centrale de
l’ornement (si -), seule la tierce la -  - do doit subsister.
M. 9 : ne jouez pas le fa entre parenthèse dans la MD, puisque
vous le jouez à gauche !
M. 20 : vous pouvez glisser le cinquième doigt à la MD du
la -  au sol, c’est plus commode si l’on veut tenir la tierce avec
les doigts.

Moment musical no  3


F. Schubert (1797-1828)
Rêverie
Extrait des Scènes d’enfants op. 15, no 7
R. Schumann (1810-1856)

Carte d’identité
• Composition : 1838 (époque romantique)

• Tonalité : fa majeur

• Mesure binaire :

• Tempo moyen (rubato) : ♩ = 54

• Mots-clefs : songe – lumière – polyphonie

Repères
L’Album pour la jeunesse, dont vous avez découvert deux
pièces, s’adressait spécifiquement aux petites et moyennes
mains. Ce n’est pas le cas des Scènes d’enfants op. 15, où le
compositeur s’attache pourtant à l’univers enfantin. Ce sont des
pièces d’une autre veine, plus introspectives. Schumann a vingt-
huit ans, il n’est plus un enfant – n’est pas Peter Pan qui veut. Il
est alors aux prises avec le père de Clara, qui lui refuse sa main.
Le temps d’un bref regard en arrière, il nous livre treize
miniatures dont la Rêverie est un des emblèmes.
Conseils de travail
Voilà l’archétype de la pièce qui doit sonner facile, pure et
spontanée, mais qui n’est pas aussi simple à réaliser que ce que
l’on croit !

• Même si l’on utilise la pédale, il faut veiller à tenir les


sons, en gardant les doigts dans le clavier et en utilisant les
doigtés de substitution, dans un souci de conduite
mélodique. Travailler sans pédale n’est peut-être pas très
agréable, mais très bénéfique ici.

• Cette perspective du chant au piano nous conduit à deux


réflexions :
• Les sons graves prennent plus de volume et
d’espace que les sons aigus. Il faut penser à un
équilibrage des mains satisfaisant, où la ligne
mélodique aiguë, celle que vous chantez sous votre
douche, conduit le discours. Attention à ne pas
« plantez des clous » à la MG !
• Le son d’une note, au piano, suit toujours la même
courbe, selon que la note soit aiguë ou grave, forte
ou piano : elle diminue progressivement jusqu’à
s’éteindre. Plus les notes s’enchaînent rapidement,
moins le son aura le temps de diminuer, et
inversement. De ce fait, si vous désirez passer
d’une note à l’autre de manière vocale, c’est-à-dire
fluide, non-heurtée, il faudra prendre conscience de
la courbe du son dans sa durée, et adapter chaque
note en fonction de celle qui la précède et celle qui
la suit, afin de les « fondre » dans un galbe
mélodique qui naît, se déploie – on en cherchera le
point culminant – et s’éteint.
Ainsi, dans la mélodie de la Rêverie, les valeurs
longues telles que la blanche pointée m. 1 ne
devront pas être trop piano si on veut les voir
durer : ce sont des notes « polaires ». En revanche,
les croches sont plus courtes et devront être
entendues comme des notes dans un groupe, telles
les perles d’un collier.

• Variez les couleurs, ce n’est pas parce que chaque phrase


partage le même squelette rythmique que l’on doit répéter
incessamment les mêmes inflexions. Suivez les nuances de
Schumann, utilisez un rubato retenu et ressentez au creux
de vous-même la progression en paliers de cette pièce
pudique et magnifique.

Attention
• M. 6 et 22 : pour jouer la seconde à la MD, le pouce se
placera entre les deux touches.

• M. 22 : si vous ne pouvez pas plaquer l’accord de la MG,


ce qui est probable… arpégez-le !

• M. 24, temps 2 : je prends le sol écrit dans la portée du


bas à la MD, ce qui me simplifie la tâche.

Rêverie
R. Schumann (1810-1856)
Valse en la bémol
Extrait des Valses op. 39, no 15
J. Brahms (1833-1897), adapté par l’auteur

Carte d’identité
• Composition : 1865 (époque romantique)

• Tonalité : la -  majeur

• Mesure binaire :

• Tempo moyen (rubato) : ♩ = 100

• Mots-clefs : tendresse – arpeggio – berceuse

Repères
Les seize Valses op. 39 ont été écrites pour piano à quatre mains,
et créées en novembre 1866 par Albert Dietrich et Clara
Schumann, épouse de Robert.
Aimez-vous Brahms ? nous demande Françoise Sagan. Il fallut
bien qu’on aimât ses valses pour que le compositeur lui-même
les arrange pour piano solo dans une version simple et une
version plus difficile. Cette avant-dernière Valse no 15, où les
triolets de sixtes typiquement brahmsiens finissent par fleurir,
est transposée de la à la -, ce qui ajoute encore, si possible, une
certaine douceur. Pour l’anecdote, écoutez donc la Valse des
regrets de Georges Guéthary, car Gainsbourg n’est pas le seul à
s’être emparé des grands thèmes du répertoire ! Attention
toutefois, ne soyez pas aussi démonstratif dans vos phrasés…

Conseils de travail
• Votre bout du pied peut être plus fin que la traditionnelle
pédale « à la mesure », notamment lorsque deux harmonies
s’y succèdent : ouvrez grandes vos écoutilles !

• Voici ce qu’écrit Brendel sur l’accord arpégé : « On


oublie souvent que le mot arpège vient de arpa, la harpe.
[…] » Mains gauches, soyez donc… une harpe délicate, et
égrenez délicatement chacun de vos accords de bas en
haut !

• N’oubliez pas les soufflets, ils donnent une sensation de


flux et de reflux, dans un balancement qui rappelle celui
d’une barcarolle.

Attention
• M. 7, temps 3 : lorsqu’un accord étendu est difficile à
attraper, on peut passer le pouce à l’intérieur afin de
fluidifier l’arpège. Tout dépend de la morphologie de votre
main.

• M. 14 et 28 : il faudra bien sûr jouer le la -  et le si -  de


l’accord de cinq sons avec le pouce allongé en travers des
touches.

Valse en la bémol
J. Brahms (1833-1897), adapté par l’auteur
Les Sauvages
Extrait des Nouvelles Suites de Pièces de Clavecin, Suite en sol
J.-P. Rameau (1683-1764)

Carte d’identité
• Publication : vers 1728 (époque baroque)

• Tonalité : sol mineur

• Mesure binaire : =2

• Tempo moyen : = 108

• Mots-clefs : décidé – saltatoire – agrément

Repères
On connaît bien cette pièce de Rameau dans la version de son
opéra-ballet de 1735, Les Indes galantes, où la danse du Grand
Calumet de la Paix fête le retour à la paix entre les troupes
franco-espagnoles et les Indiens. Cette pièce tire son inspiration
d’une danse des Indiens de Louisiane que Rameau avait vue à la
Comédie-Italienne, et du mythe rousseauiste du bon sauvage.
Page d’un caractère jubilatoire, elle est tirée de la Suite en sol,
elle-même extraite du Troisième livre de pièces de clavecin
publié autour de 1728 à Paris. Je ne puis que vous suggérer
d’écouter Les Sauvages au piano (Grigory Sokolov en livre une
version épatante), au clavecin (par Blandine Rannou) ou encore
à l’orchestre : écoutez les percussions !

Conseils de travail
• Nous l’avons évoqué précédemment, pensez au
millefeuille de l’articulation : les noires et les blanches
seront détachées, les croches liées, d’autant que celles-ci
sont la plupart du temps conjointes ou constituent les notes
d’un accord brisé. Les doigtés indiqués sont pensés en ce
sens, ne cherchez pas à tout lier ! Bien sûr, en cas de notes
répétées (m. 6-7 et similaires), on ne pourra techniquement
jouer legato : articulez plutôt que de lier les croches par
deux, ce qui pourrait s’avérer pesant.

• Les ornements sont des tremblements et des pincés :


référez-vous à ma table d’ornementation dans
l’introduction. On conseille souvent de travailler une pièce
sans l’ornementation pour l’ajouter ensuite. Ce n’est pas
mauvais, mais ne le faites pas longtemps : vous auriez du
mal à la rajouter. Traditionnellement en baroque, nous
jouons la première note de l’ornement sur le temps, et je
vous conseille dans un premier temps de rythmer votre
ornement de la façon ci-contre, pour l’assimiler plus
facilement.
• Notez la rythmique à 2 : le temps fort est sur la première
blanche. En outre, ne négligez pas la structure de la pièce :
c’est un rondeau, revenez au refrain à chaque indication…
« au rondeau » !

Attention
Vous savez peut-être que le tremblement peut commencer sur la
note réelle, ou sur la note supérieure : cela est induit par
plusieurs règles, et doit se décider en regard de la note
précédente. Ici, les doigtés vous mettront sur la voie, bien que
vos choix puissent différer des miens. Notez simplement ces
réalisations :
1) m. 7, 4ème temps
2) m. 23, 4ème temps
3) m. 48, MG (roulement de tambour !)

• Si une altération est notée au-dessous de l’ornement (m.


29, 33, 36, 37, 41, 43, 45 et 48), altérez la note inférieure.
Enfin, notez que les tremblements peuvent comporter plus
de battements, comme vous l’entendrez souvent !

Les Sauvages
J.-P. Rameau (1683-1764)
Tango
Extrait de España op. 165, no 2
I. Albéniz (1860-1909)

Carte d’identité
• Composition : 1890 (fin du romantisme)

• Tonalité : ré majeur

• Mesure binaire : , mais beaucoup d’éléments ternaires !

• Tempo moyen (rubato) : ♩ = 60

• Lexique : grazioso = gracieux

• Mots-clefs : nonchalance – vague à l’âme – autrefois

Repères
On ne connaît pas tant d’œuvres du compositeur catalan, sauf
peut-être Asturias, extrait de la Suite espagnole (1886), et ce
Tango, extrait de la suite España op. 165 (1890) – nuance ! Cette
dernière est un ensemble de six « feuilles d’album pour le
piano », empreintes du souvenir de son pays natal. On perçoit en
effet une forme de nostalgie dans ce tango, qui a connu la gloire
dans de nombreux arrangements, tant son propos semble
universel : « C’était bien, avant… »
Conseils de travail
Vous avez rêvé d’une pièce alternant puis juxtaposant le binaire
et le ternaire ? Albéniz l’a fait dans son Tango, modèle du
genre ! La principale difficulté est rythmique : il est
indispensable de procéder par étapes, et de dissocier ce qui est :

• binaire (croches, doubles croches, rythme pointé que vous


connaissez peut-être sous l’appellation « saute »…)

• ternaire (triolets de croches)


• Solfiez chaque voix séparément, avec nom des
rythmes ou nom des notes, dans une pulsation
stable : faites-le en marchant dans l’espace, en
frappant la pulsation dans vos mains ou en vous
aidant du métronome.
• Ensuite, il faudra travailler les MS, en restant
extrêmement rigoureux sur la régularité de la
pulsation. Tout vient à point à qui sait attendre, y
compris les italiens rubato, ritenuto et
ritardando…
• Procédez comme la fourmi qui amasse son butin
par bribes : mettez les mains ensemble sur un
temps, en incluant la première note du temps
suivant, et répétez-les plusieurs fois afin de les
intégrer. Répétez l’opération sur le temps suivant,
puis faites la même chose sur une mesure
complète, un ensemble de mesures, une phrase
entière. Ce travail peut sembler laborieux, mais
ayez à l’esprit que :

- La mémoire s’entretient, et ce qui vous résistera au début


vous demandera moins de temps ensuite.
- Les schémas se répètent : la première phrase est jouée trois
fois, et si elle prend des directions différentes, c’est une
douzaine de mesures dont on fait l’économie !

• Pour travailler les « trois pour deux » (juxtaposition de


triolets et de croches binaires) et les « quatre pour trois »,
(doubles croches et triolets), lisez les conseils de travail
pour le Notturno de Grieg (p. 108).

Attention
Voici m. 3 et analogues un exemple de glissé de pouce au
panthéon de la pédagogie pianistique ! Dans ce type de pièce,
nous jouerons petites notes et ornements avant le temps.

Tango
I. Albéniz (1860-1909)
Aria
Extrait des Variations Goldberg BWV 988
J. S. Bach (1685-1750)

Carte d’identité
• Publication : 1742 (époque baroque)

• Tonalité : sol majeur

• Mesure binaire :

• Tempo moyen : ♩ = 50

• Mots-clefs : pureté – onirique – profondeur

Repères
Publiées en 1741, les Variations Goldberg sont la quatrième
partie du Clavier-Übung (pratique du clavier) de J. S. Bach.
Elles ont été composées dans le but de faire dormir le comte
Hermann von Keyserling, qui n’y parvenait pas ! On comprend
que cette Aria ornementée, reprise du Petit Livre d’Anna
Magdalena Bach, ait pu bercer son commanditaire, lorsqu’un
élève de Bach, Johann Gottlieb Goldberg (vous me suivez ?) le
lui jouait. Quelle intériorité lumineuse, et quelle intelligence
dans ces pages en forme de sarabande !
Conseils de travail
Voici une proposition de réalisation - qui n’est qu’une
proposition ! C’est une manière de vous mettre sur la voie, car
les ornements devront sonner libres, presque improvisés.
Inspirez-vous des grands maîtres, et écoutez des personnalités
aussi variées que Gustav Leonhardt ou Scott Ross pour le
clavecin, Glenn Gould ou Zhu Xiao Mei pour le piano… entre
autres !

• Rien n’est plus beau que cette MG délivrant ses


harmonies au compte-gouttes : plutôt que de noyer le tout
dans la pédale, tenez les notes dans le clavier jusqu’au
dernier instant, puis déplacez-vous prestement mais
souplement. On jouera les deux mains legato, près du
clavier.

• Je ne propose pas de pédale écrite ici, car la façon


habituelle de la transcrire ne saurait que la trahir, tant une
extrême finesse sera nécessaire. On pourra l’utiliser bien
sûr, mais uniquement pour donner un peu de couleur et de
résonance, en aucun cas pour mélanger les sons : attention
à la profusion ornementale ! En outre, elle aidera à lier les
mesures, sans « trou d’air » à la MG, mais sans mettre à
mal une pulsation régulière qui ne soit pas excessivement
lente mais simplement paisible.

• Écoutez les notes tenues à la MD dès la m. 27, délices de


la polyphonie !

Attention
• M. 11 : on entend souvent l’arpège joué à l’envers.
Pourquoi pas ! Mais puisqu’il y a une reprise, profitez-en
pour varier vos effets !
• M. 14 et 15 : la voix intermédiaire se partage entre les
deux mains, soyez bien attentifs aux crochets.

• M. 17 : j’ai préféré anticiper l’ornement de la MG, car


c’est plus facile à réaliser ainsi. Vous pouvez le jouer sur le
temps, mais il faudra l’accorder avec celui de la MD.

• M. 20, temps 2 : prenez le fa # avec la MD.

Aria
J. S. Bach (1685-1750)
Romance sans paroles
Op. 17, no 3
G. Fauré (1845-1924)

Carte d’identité
• Publication : 1880 (fin du romantisme), composition
antérieure

• Tonalité : la -  majeur

• Mesure binaire :

• Tempo moyen (rubato) : ♩ = 69

• Lexique : con suono = faites sonner ; sino al Fine =


jusqu’à la fin

• Mots-clefs : diaphane – intime – salon

Repères
Les Romances sans paroles de Fauré sont une œuvre de la
première période du compositeur, située entre 1881 et 1886 –
nous sommes à peine une vingtaine d’années après la
publication posthume des dernières Romances sans paroles de
Mendelssohn. Œuvres de jeunesse, à qui l’on a pu reprocher
d’être « salonnardes » à défaut d’être solennelles, elles ne sont
pas dénuées d’attrait, notamment pour leur technique
relativement accessible et leur simplicité d’écoute, qui évoque
l’univers de Verlaine et son Clair de lune, mis en musique par le
même Fauré :
« Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d’extase les jets d’eau,
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres. »
Fêtes Galantes, Paul VERLAINE, 1869

Conseils de travail
• Cette musique du jeune Fauré est écrite dans un langage
purement romantique : respectez les nuances écrites,
notamment les soufflets, chantez la mélodie. Le public doit
sentir la forme globale, l’ascension vers le point culminant
de la m. 53 puis l’apaisement consécutif.

• Utilisez le rubato sans en abuser : la coupe binaire et le


rythme pointé suggèrent malgré tout de jouer dans une
pulsation stable.

• M. 41 : c’est un canon, dont les voix se rassemblent aux


m. 47 puis 54. À moins que vous n’ayez des mains
immenses, il faudra arpéger certains accords et recourir à
quelques arrangements : la MG prendra certaines notes de
la mélodie centrale, comme indiqué entre crochets. Ouvrez
vos oreilles, et travaillez tout particulièrement la voix alto,
qui passe de main en main, en la chantant avec votre voix,
ou en la mettant d’abord particulièrement en valeur.
Tâchez ensuite de la faire répondre à la voix soprano, dans
les inflexions subtiles que vous lui insufflerez ! En des
termes plus prosaïques, n’écrasez pas vos pouces.
• M. 61-62 et 65-66 : comme nous aimons ce contrechant
en lettres d’or !

• Mettez un point d’honneur à faire entendre ce chemin


mélodique de la basse à la m. 67, on en trouve de
semblables un peu partout chez Fauré, et c’est peut-être le
plus beau moment de la Romance sans parole, que l’on
quitte, à regret.

Romance sans paroles


G. Fauré (1845-1924)
Nocturne no  20
Op. posthume
F. Chopin (1810-1849)

Carte d’identité
• Composition : 1830 (époque romantique)

• Tonalité : ut (do) # mineur

• Mesure binaire (rubato) : C =

• Tempo moyen : ♩ = 54

• Lexique : con gran espressionne = avec une grande


expressivité ; sotto voce = à mi-voix

• Mots-clefs : grave – sanglot – réminiscence

Repères
Composée en 1830, l’œuvre est dédiée à sa sœur, en ces mots :
« À ma sœur Ludwika comme un exercice avant de commencer
l’étude de mon second Concerto ». En effet, on reconnaît dans
ces pages des citations du Concerto no 2 en fa mineur du
compositeur.
On sait que le nocturne a été joué par la pianiste Natalia Karp,
sur l’ordre du commandant du camp de concentration de
Kraków-Płaszów. Celui-ci, bouleversé, épargnera Natalia et sa
sœur, qui survivront à l’holocauste.
On entend également ce nocturne dans le film Le Pianiste de
Roman Polanski. S’il ne fut publié qu’en 1875, vingt-six ans
après la mort du compositeur, ce nocturne a fait couler de
l’encre ! La partition a été réalisée à partir de fragments
incomplets, ce qui laisse planer le doute sur certains éléments :
nuances, tempi, ponctuation précise… Il figure pourtant
aujourd’hui parmi ses œuvres les plus célèbres.

Conseils de travail
• Les quatre premières mesures me font penser à un quatuor
à cordes, d’ailleurs il y a quatre voix ! Attention à ce que
l’émission et la fin des sons soient aussi synchronisées que
s’il s’agissait d’un groupe d’instrumentistes.

• Ici plus qu’ailleurs, l’équilibre doit être splendide entre


une MG veloutée et une MD cantabile. Chopin aimait tant
le bel canto qu’il a pour ainsi dire essayé de le reproduire
au piano. Le trille de la m. 5 doit par exemple être très
chanté : « Chez Chopin, le trille est toujours vocal,
principalement dans les Nocturnes, et il est indissociable
de la mélodie, il en est le prolongement intrinsèque, la
sève, la psyché. » écrit Olivier Bellamy dans son
Dictionnaire amoureux du Piano.

• Pour les trois pour deux des m. 15, 49 et 53, référez-vous


aux conseils pour le Notturno de Grieg (p. 108). Attention
de ne pas transformer ce cri déchirant du cœur en exercice
de rythme mal fagoté ! Le piège dans lequel on tombe tous
est celui-ci :
• On peut donner à la deuxième partie m. 21 un peu plus de
mouvement, d’autant que l’on s’achemine vers le « bal »
central, joué traditionnellement plus vite, tel un
mouvement de valse, malgré le manque d’indication.

• Aux m. 42 et suivantes, ne laissez pas votre MD en


jachère !

• La réexposition nous fait entendre de belles guirlandes de


gammes. Il est illusoire de vouloir les jouer au tempo, et
c’est dans ce type de passage que le rubato chopinien nous
sauve d’un pétrin technique ! Mon conseil : comptez le
nombre de notes et divisez-le par les quatre croches de la
MG. Si cela donne un chiffre entier, c’est gagné ! Sinon,
on procédera à un partage équitable en prenant en compte
le phrasé. Dans cet exemple, puisque la courbe de la
phrase monte, qu’on essaie de la faire briller dans les aigus
puis qu’elle redescend, je propose ceci :
Le fait que les deux ré # soient ensemble sur le quatrième temps
est d’un avantage mnémotechnique certain. Ce principe pourra
être remis en question selon le nombre de valeurs dont se
compose la figure rythmique, comment elle est introduite et où
elle va, quelles nuances et harmonies l’accompagnent, etc.
Ensuite, avec un peu de laisser-aller, le geste se fluidifiera… et
les gammes s’apaiseront, jusqu’à une tierce picarde (m. 62 –
certaines éditions attendent la m. 64), inoubliable.

Nocturne no  20
F. Chopin (1810-1849)
«  L’Empereur  »
Concerto no 5, op. 73, 2e mouvement
L. van Beethoven (1770-1827), adapté par M. Moszkowski
(1854-1925)

Carte d’identité
• Composition : 1809 (époque classique), transcription :
1921

• Tonalité : si majeur

• Mesure binaire : C =

• Tempo moyen : ♩ = 44

• Lexique : un poco moto = peu de mouvement

• Mots-clefs : humanisme – symphonique - majesté

Repères
Beethoven… vous connaissez la Lettre à Élise, la Cinquième
symphonie op. 67 : « Tatatataaa » ! Celle-ci est contemporaine
du Cinquième concerto op. 73, dont voici un arrangement du
deuxième mouvement par le pianiste et compositeur Moritz
Moszkowski, pour The Etude Magazine. En voici la note
d’intention :
« Le splendide 5e Concerto de Beethoven est trop difficile, sauf
peut-être pour les artistes accomplis, mais ce fragment exquis du
mouvement lent, transcrit par Moszkowski, offre un charmant
numéro pour piano seul. »
Évidemment ça ne sera pas comme jouer le concerto avec
orchestre, mais si n’êtes pas Florence Foster Jenkins, vous
n’aurez pas forcément les moyens de payer cinquante musiciens
pour vous faire répéter…

Conseils de travail
• Pour choisir le bon tempo, les professeurs ont coutume de
conseiller le passage le plus difficile dans le mouvement :
où se trouve-t-il à votre avis ?

• M. 1 et suivantes : la MG imite des pizzicati de


contrebasses et violoncelles. Il faut que cela sonne
staccato, et que la pédale, qui aide à lier les accords,
n’attrape aucune croche dans ses filets.

• M. 10, temps 3 : on appelle cet enchaînement harmonique


une cadence évitée. Écoutez et ressentez l’effet produit en
vous : on ne pourra définitivement pas jouer cet accord de
la même façon que les autres !

• Attention à la pulsation, on a toujours tendance à


raccourcir valeurs longues et silences : comptez vos temps
à la petite valeur, et faites en sorte que les silences soient
chargés d’attente, et non pas là car il le faut !

• M. 16 : avant, c’était l’orchestre. Là, c’est le soliste, tel le


funambule sur son fil ! Cherchez la magie de l’équilibre
sonore entre la MD et la MG ! Dites-vous que la longueur
de son au piano était moindre sur les pianos d’époque :
autorisez-vous une pédale résonante… d’autant que, si je
ne m’abuse, vous êtes soliste dans un grand concerto !
• M. 35 : si j’osais, je vous dirais de ne pas vous « prendre
la tête » avec les petites liaisons de la MD, l’essentiel étant
que le thème central chante, tantôt à la MG, tantôt à la
MD. On dit que Thalberg a inventé la technique de la main
à dix doigts, qui fait chanter les pouces. Ici Moszkowski
leur a offert un thème initialement joué à la flûte :
identifiez la mélodie, cuivrez-la, faites-la surplomber le
reste, elle le mérite !

• M. 47 : pourvu qu’il n’y ait pas d’erreur, gardez cette


longue pédale afin de faire sonner l’harmonie de si majeur
de part et d’autre du clavier.

Attention
M. 30, temps 3 et 4 : attention à bien observer le retour du
binaire (croches MG, doubles croches MD). N’accélérez pas !

«  L’Empereur  »
L. van Beethoven (1770-1827), adapté par M. Moszkowski
(1854-1925)
Le Vieux Château
Extrait des Tableaux d’une exposition
M. Moussorgski (1839-1881)

Carte d’identité
• Composition : 1874 (fin du romantisme, éveil des nations)

• Tonalité : sol # mineur

• Mesure binaire : = 6 ♪ ou 2 ♩.

• Tempo moyen : ♩. = 50

• Lexique : con dolore = avec douleur

• Mots-clefs : légende – lancinant – mystère

Repères
Les Tableaux d’une exposition sont un ensemble de dix pièces
pour piano, composées en très peu de temps par Modest
Moussorgski en 1874 et publiées en 1886. Les « tableaux » font
référence à ceux de son défunt ami Victor Hartmann : ses
œuvres, paysages ou personnages fantasmagoriques, furent
exposées aux Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg. Moussorgski les
dépeint dans une musique intense, pleine de contrastes, et
compose une sorte de leitmotiv : la « Promenade » assure la
transition entre les tableaux et se transforme au contact de
chaque toile, allégorie des pas du flâneur aux prises avec ses
émotions.
Maurice Ravel a transcrit les Tableaux pour orchestre en 1922 :
écoutez comme il confie le thème au saxophone ! D’ailleurs,
cette pédale obstinée de sol # pourrait bien rappeler sa pièce Le
Gibet…
Quoi qu’il en soit, laissez ce Vecchio Castello transporter votre
imaginaire : la pierre, les grincements, les contes et les peurs de
l’enfance…

Conseils de travail
• C’est un poncif de dire que nous sommes dans la société
de la vitesse, du zapping à tout poil. Néanmoins, cette
pièce requiert du temps : pour l’écouter, l’apprivoiser,
l’interpréter et l’apprendre. Acceptons cet état de fait, et
immergeons-nous dans cet univers imaginaire sans
regarder notre montre.

• Pensez à faire sonner les notes longues, afin que l’arche


de chacune de ces longues phrases tienne l’auditeur en
haleine.

• Il y a de nombreux rythmes de sicilienne, mais l’esprit


n’est pas tout à fait celui d’une sicilienne telle que celle de
Fauré : ne raccourcissez pas la double croche en voulant la
faire danser, cela pourrait passer pour du mauvais goût - je
sais qu’il n’en est rien.

• M. 3, deuxième temps : on nomme cette ponctuation


(notes piquées surmontées d’une liaison) portato (ou
portamento) – le terme italien parle de lui-même ! On doit
avoir la sensation de « porter » les notes dans une
direction, vers un rendez-vous : appui, note polaire,
bouleversement harmonique… C’est une sorte de legato…
mais articulé ! Bien souvent au piano, la pédale nous
aidera à réaliser ce type de ponctuation.

• M. 29 et analogues : veillez à tenir les noires pointées


ainsi que les blanches pointées des voix intermédiaires,
notamment lorsque vous changez la pédale.

• À la fin, les souvenirs affluent par bribes, entrecoupés de


silences moribonds : ne ralentissez pas, conservez la
régularité obsédante de ce glas.

Attention
• M. 7, 29 et similaires : attention à la polyphonie, nous
avons détaillé cette question dans la notice du Coucou de
Daquin (p. 56). Certaines notes semblent successives,
observez les hampes, qui vous indiquent… qu’on les joue
ensemble.

• M. 24, 2e temps : voici à la MD un double dièse, qui vaut


deux dièses (la note est rehaussée d’un ton). Il est souvent
présent dans les tonalités avec beaucoup de dièses à
l’armure, et particulièrement ici où Moussorgski parsème
ses harmonies de notes étrangères : je préfère vous le
signaler, car vous le croiserez de nouveau dans moins de
temps qu’il n’en faut pour le lire. Le double bémol existe
également : il abaisse la note concernée d’un ton.

• M. 55, 72 et 74 : l’intervalle est trop grand pour la plupart


des MG : prenez le si # à la MD.

• M. 98 : Il est plus aisé de jouer une partie du contrechant


central avec la MD.

• M. 100 et analogues : pour respecter les demi-soupirs, il


est judicieux de changer la pédale tel que nous l’avons
détaillé, ce qui n’est pas follement naturel mais qui semble
mieux respecter le souhait du compositeur.

Le Vieux Château
M. Moussorgski (1839-1881)
«  Lettre à Élise  »
Bagatelle en la mineur, WoO 59
L. van Beethoven (1770-1827)

Carte d’identité
• Composition : 1810 (période classique, prémices du
romantisme)

• Tonalité : la mineur

• Mesure binaire : = 3 ♪ ou 1 ♩.

• Tempo moyen : ♩. = 46

• Mots-clefs : rosalie – galant – Thérèse

Repères
Cette Bagatelle en la mineur, surnommée Für Élise, était en fait
destinée à une certaine… Thérèse ! Parfois, une méprise de
l’éditeur peut sceller le destin d’une œuvre intemporelle. Cette
Thérèse était une élève de Beethoven, pour laquelle il semblait
avoir des sentiments profonds : la Bagatelle est donc plus qu’un
caprice. Hélas, la demande en mariage restera lettre morte :
Beethoven était-il au mieux de sa lucidité ce soir-là pour confier
la pureté de ses sentiments en musique ?
Conseils de travail
Nous nous réfèrerons à cette analyse de la structure :

A (m. 1) – B (m. 25) – A (m. 41) – C (m. 61) – A (m. 85)


Notez qu’il ne faudra pas oublier les reprises.

• A : Les deux mains devraient s’enchaîner sans l’ombre


d’un heurt, comme un arpège de harpe.
M. 13 : Vos mains marchent dans les pas l’une de l’autre,
cela doit vous aider à vous placer et à mémoriser ce
passage.

• B : Voici une phrase très classique et très lumineuse !

• C : C’est un fait, on ne peut plus mettre la pédale


aujourd’hui comme on la mettait alors, car les instruments
sont trop différents. On ne peut pas en faire l’économie
non plus car il faut lier les sons de la MD. Avec un jeu de
pédales relâchées finement et progressivement, on parvient
à un meilleur résultat qu’avec une pédale pleine et
permanente.
M. 79 : Voici un passage souvent craint par les élèves !
C’est une cadence virtuose, certes, mais dites-vous que :
• L’opportunité d’étudier un arpège est toujours à
saisir ;
• De même pour la gamme chromatique : amusez-
vous à la jouer aux deux mains, en montant et en
descendant.
• Connaissez-vous déjà ces éléments techniques ? Si
oui, assemblez-les et le tour est joué !
• Je profite de ce sujet pour évoquer la boîte à outils
technique que vous pouvez ouvrir avant de vous lancer
dans toute pièce pianistique de langage tonal. Cela vous
permettra d’éprouver le relief du clavier inhérent à la
tonalité de la pièce, et vous pourrez étudier les mêmes
éléments à la relative :
• Gamme en sens parallèle et contraire ; on peut la
jouer aussi à la tierce, à la sixte, en octaves…

• Arpège de l’accord parfait à l’état fondamental


dans les deux sens ; on en connaîtra également les
renversements.
• Pour terminer, une cadence simple qui recense les
principaux accords de la tonalité.

«  Lettre à Élise  »
L. van Beethoven (1770-1827)
Notturno
Extrait des Pièces lyriques op. 54, no 4
E. Grieg (1843-1907)

Carte d’identité
• Composition : 1891 (fin du romantisme, éveil des nations)

• Tonalité : do majeur

• Mesure ternaire : = 9 ♪ ou 3 ♩.

• Tempo moyen : ♩. = 54

• Mots-clefs : charme – trois pour deux – clair de lune

Repères
Voici une nouvelle pièce lyrique de Grieg. Cette pièce est plus
tardive que l’Arietta, et fait partie du cinquième recueil op. 54,
après la très célèbre Marche des trolls. Le Notturno recèle des
trésors de beauté. Ne trouvez-vous pas un air de famille entre la
partie centrale (m. 21) et celle du Clair de lune de Debussy, qui
lui est tout à fait contemporain ?

Conseils de travail
C’est la pièce par excellence pour travailler les trois pour deux !
On les trouve dès la m. 5 : observez comme la MD joue des
duolets (croches binaires) alors que la MG continue son
accompagnement ternaire. Notre leçon pourrait porter le titre
rien moins mensonger que « Ta tatie t’a quitté » :

• Dites, avec ce rythme, les paroles inscrites :

• Variez les appuis :


• Accentuez les onomatopées commençant par le
phonème t, faites-le pendant un petit moment.
• Accentuez les syllabes avec le phonème a.
Répétez la formule en boucle.
• Posez une main sur le couvercle fermé du piano,
disons la MD. Frappez, sans malmener votre
instrument, les consonnes t, tout en continuant de
susurrer la formule magique. Petit à petit, quand
vous vous sentez à l’aise, ajoutez la MG
uniquement sur le premier temps (ta).
• Continuons ! Et recommençons avec la MG : elle
frappera les voyelles a, puis la MD frappera avec
elle le premier temps uniquement (ta).
• Voici l’étape ultime. Assemblez vos deux mains,
en affectant à chacune sa voyelle ou sa consonne,
de cette manière :
Il faudra être capable, petit à petit, de se focaliser sur une main
ou sur l’autre, puis l’une et l’autre successivement. Bien sûr, cet
exercice pourra être répété dans les deux sens, car dans d’autres
pièces telles que le Nocturne en ut # mineur de Chopin par
exemple, c’est la MD qui joue trois pour deux à la MG !
On peut aussi tout décomposer en comptant à la croche :

Dans ce dernier cas de figure, le 2 et le 6 seront prononcés mais


non frappés.

• Je crois que vous êtes mûr pour mettre de belles notes et


accords dans vos doigts : dans le Notturno, le rythme de
trois pour deux se trouve à partir de la m. 5 et s’écrit ainsi :
Notez encore qu’on peut compter 1, 2 et 3, mais c’est plus terre-
à-terre ! Procédez au fur et à mesure, par temps, puis par mesure,
en répétant pour trouver le geste rythmique adéquat et le rendre
naturel.

Attention
• Vous voyez dès cette m. 5 que la troisième croche de la
MG est liée à la suivante, ce qui ne nous simplifie pas la
tâche ! Dans un premier temps, ignorez la liaison et jouez
cette valeur, vous la tiendrez dans les touches ensuite.

• M. 9 et semblables : voici une bonne surprise, on peut


aussi jouer un trois pour deux… à une seule main ! Pas de
panique, c’est le même principe, et profitez du soutien de
la MG pour placer vos croches ternaires à la MD.

• M. 29 : je propose un doigté pour ce passage à la MG,


mais n’hésitez pas à jouer toutes les notes avec le même
doigt (pouce et/ou deuxième), si cela vous aide à les
accentuer !
• M. 51 et suivantes : puisque le signe d’arpège parcourt les
deux portées de bas en haut, on égrène les notes de la plus
grave à la plus aiguë avec suavité, alors qu’on arpègera le
dernier accord beaucoup plus lentement, d’une manière
solennelle.

Notturno
E. Grieg (1843-1907)
Prélude no  1
G. Gershwin (1898-1937)

Carte d’identité
• Composition : 1926 (musique moderne)

• Tonalité : si -  majeur

• Mesure binaire :

• Tempo moyen : ♩ = 100

• Lexique : ben ritmato e deciso = bien rythmé et décidé

• Mots-clefs : jazz – brillant – chaloupé

Repères
Il semble que Gershwin joua plus de trois Préludes à la toute fin
de l’année 1926 dans un hôtel de New York. Le compositeur de
la Rhapsody in Blue voulait peut-être se mesurer à ses illustres
prédécesseurs (Bach, Chopin, Debussy…) en en composant
vingt-quatre, mais ce projet ne vit le jour que par six préludes,
dont ne furent retenus et publiés que ces trois-là, en 1927. Le
succès de ces pièces est tel qu’on les entend aujourd’hui dans
des transcriptions variées : duo à deux pianos, clarinette et
piano, quatuor de saxophones… Ils ont même été adaptés pour
orchestre par Arnold Schönberg.
Le premier Prélude comporte de nombreux éléments empruntés
au jazz, tel qu’on l’imagine dans les années 1920 : motif blues,
rythmes syncopés, accords de septièmes… tout cela dans une
pièce endiablée qui passe en un coup de vent : take it easy !

Conseils de travail
• De bons rythmes et appuis sont essentiels. S’ils ne sont
pas si complexes, on peut les comprendre et les apprendre
de plusieurs manières :
• En comptant la subdivision : on décompose à la
double croche, et on compte ainsi la m. 3 :
1 2 3 4 5 6 7 8 1…
• En travaillant les MS avec un métronome dans un
tempo modéré, puis en mettant les ME sur de
courtes sections.
• En écoutant la pièce dans des interprétations
fidèles, le nez dans la partition, pour s’immerger
dans cet univers !

• M. 36, 41 (MG) et 58 (MD), n’hésitez pas à faire sonner


vos notes accentuées avec les pouces ou avec les premiers
doigts réunis, j’imagine ici des sections de cuivres !

• M. 61, étudiez la gamme comme vous étudieriez une


gamme diatonique : en montant et en descendant, en vous
arrêtant sur les toniques, sur une étendue plus grande, avec
quelques rythmes ou accents simples mais sans en abuser,
etc.
Attention
• Si vos mains sont trop petites pour plaquer les accords
avec neuvième ou dixième, arpégez-les très vite : cela
serait dommage que la précision rythmique en pâtisse !

• M. 3, 11, 20… et similaires : la pédale forte n’a pas pour


unique vocation de tenir les sons, elle donne de
l’amplitude à l’instrument !

• En ce qui concerne les croisements de mains (m. 32) et


grands sauts en sens contraire (m. 46), qui sont rapides et
périlleux, trouvez-vous des repères tels que deux pouces
qui se côtoient (m. 46-49), un cinquième doigt remplaçant
un pouce (m. 53), la mémoire des empreintes : enchaînez
uniquement les premiers accords des m. 46 à 49, qui sont
voisins ! N’allez pas trop vite et pensez à Neuhaus qui
évoque la « géométrie non-euclidienne » : ne rasez pas le
clavier tel le retour de chariot d’une machine à écrire, mais
osez le déplacement, volez-y, vous ne tomberez pas plus à
côté – pas moins, mais pas plus ! En revanche vous
convaincrez mieux votre auditeur, car comme le disait
Beethoven, grand maître du déplacement sur noir et blanc :
« Jouer une fausse note est insignifiant ; jouer sans passion
est inexcusable. » CQFD.

Prélude no  1
G. Gershwin (1898-1937)
Les Baricades mistérieuses
Extrait du Second Livre de Pièces de Clavecin, 6e ordre
F. Couperin (1668-1733)

Carte d’identité
• Composition : 1716 (époque baroque)

• Tonalité : si -  majeur

• Mesure binaire : =2

• Tempo moyen : = 80

• Mots-clefs : style luthé – sibyllin – clavecin

Repères
Les Baricades mistérieuses (sic)… qu’est-ce que cela veut dire ?
S’agit-il plutôt des retards et appogiatures formant comme des
barricades à une harmonie parfaite ? Ou bien peut-être, comme
certains le pensent, Couperin évoque-t-il les cils ou pis encore,
les jupons des dames virevoltant lors des danses et des parties de
« trouve-moi si tu peux »…
Ce bijou énigmatique est emblématique d’une écriture issue du
luth, chère à Couperin et aux clavecinistes français du XVIIIe
siècle. En cela, elle rappelle le Premier Prélude de L’Art de
toucher le clavecin, mais aussi, d’une certaine façon, un prélude
de J. S. Bach déjà effleuré par vos doigts…

Conseils de travail
Bien que la pièce se ressemble de bout en bout, elle n’est facile
qu’en apparence ! Je la vois comme une excellente étude pour :

• La tenue et l’indépendance des voix au piano : vous aurez


l’impression d’avoir les doigts dans le pot de confiture
durant toute la pièce, mais rien n’est plus enthousiasmant
que de découvrir ces glissements harmoniques !

• Les doigtés de substitution : il faut ruser pour lier les voix


et anticiper sur ce qui est à venir !

• Les nuances : comment donner vie par le piano à une


pièce composée pour un instrument si différent ? Voici ce
qu’écrivait François Couperin dans sa préface de L’Art de
toucher le clavecin en 1713 : « Le clavecin est parfait
quant à son étendue, et brillant par luy même ; mais
comme on ne peut ni enfler ni diminuer les sons, je
sçauray toujours gré à ceux qui, par un art infini soutenu
par le goût, pourront arriver à rendre cet instrument
susceptible d’expression. » Vous êtes au XXIe siècle, assis
au piano : à charge pour vous de chercher vos nuances, en
fonction des harmonies de tension et de détente, des
phrasés, des marches harmoniques, de la structure
générale…

• À ce propos, soyez attentif à la forme de la pièce : elle se


compose d’un refrain et de trois couplets de dimensions
variées. Cela vous aidera à ne pas vous perdre dans ce
dédale de croches louvoyantes, et à l’apprendre par cœur.
• Le terme rubato sonnerait ici « avant l’heure ».
Néanmoins, il est évident qu’on ne jouera pas cette pièce
avec rigidité : faites bouillonner cette texture mouvante
avec goût et esprit, et soignez les fins de phrases afin que
l’on identifie les différentes sections.

• Je ne vous donnerai pas de recette miracle pour ce qui est


des ornements : les doigtés vous suggéreront un chemin, et
plus vous écouterez la pièce jouée au clavecin ou au piano,
mieux vous serez à-même de les réaliser.

• Vous serez tentés d’utiliser une (fine) pédale, pour créer


une sorte de brume sonore, dans une perspective quasi-
impressionniste… Attention à ce qu’elle ne soit pas
« cache-misère », ne noyez pas le poisson !

Les Baricades mistérieuses


F. Couperin (1668-1733)
«  Clair de Lune  »
Sonate no 14, op. 27 no 2, 1er mouvement
L. van Beethoven (1770-1827)

Carte d’identité
• Composition : 1801 (époque classique, prémices du
romantisme)

• Tonalité : ut (do) # mineur

• Mesure binaire : a = =2

• Tempo moyen : ♩ = 54

• Lexique : sostenuto = soutenu ; Si deve suonare tutto


questo delicatissimamente e senza sordini = tout ceci devra
sonner délicatement et avec pédale

• Mots-clefs : hypnotique – émotion – intemporel

Repères
La Sonate no 14, op. 27 no 2, a été composée en 1801 et dédiée à
la comtesse Giulietta Guicciardi, pour laquelle Beethoven
semble avoir eu un amour passionné – décidément ! Le fait de
commencer une sonate par un mouvement lent n’est pas sans
audace, et Beethoven a avoué l’avoir improvisé près du cadavre
d’un ami, d’où l’intitulé exact de l’œuvre : Sonata quasi una
Fantasia per il Clavicembalo o Piano-Forte, l’expression
« quasi una Fantasia » faisant référence à ce caractère
improvisé. Le titre sous lequel nous connaissons l’œuvre serait
un contresens dû au poète allemand Ludwig Rellstab, qui la
baptisa « Clair de lune » quelques années après le décès du
compositeur. L’atmosphère nous rapproche plus de la marche
funèbre que de l’évocation poétique, mais il faut dire qu’en
musique il n’y a pas une vérité : à chacun de recevoir et ressentir
l’œuvre à sa façon…

Conseils de travail
• Sans être inflexible, la pulsation sera immuable, tel un
rouet nocturne : le temps s’arrête !

• Le thème en rythme pointé est comme un glas lointain.


On a beaucoup glosé sur cette juxtaposition rythmique à la
m. 5 : la double croche se place après la dernière croche de
triolet, mais elle n’est pas la double croche d’un sextolet,
ce qui la placerait à équidistance de la dernière croche du
triolet et du temps suivant. Nous devons entendre un
rythme pointé purement binaire dans la voix supérieure :
• Je vous propose de dissocier les deux voix de la
portée du haut, et de les partager aux deux mains :
triolets à la MG seule, puis le rythme pointé à la
MD seule, dans une pulsation très stable. Mettez
les mains ensemble dans cette configuration, et
focalisez-vous tantôt sur le ternaire (triolets), tantôt
sur le binaire (rythme pointé), puis les deux à la
fois.
• Disposez le tout dans votre MD, en imaginant
qu’on l’a « coupée » en deux. L’équilibre sonore
doit être maîtrisé entre les deux voix, le motif
thématique doit sonner sensiblement plus timbré
que son accompagnement de triolets.

• Nous l’avons évoqué plus tôt : pensez à porter les notes


longues, notamment aiguës, pour qu’elles ne disparaissent
pas dans les méandres harmoniques. Les basses s’en
sortiront toujours, rassurez-vous !

• La MG est écrite legato : un jeu en profondeur du clavier


et des substitutions vous y aideront.

• M. 18 : à vouloir chanter les voix extrêmes, on en


oublierait presque que les triolets sont les mieux placés
pour accompagner ces soufflets (crescendo et
decrescendo). Les vagues seront subtiles, car selon les
indications de Beethoven, tout doit être joué entre la
nuance piano et pianissimo.

• Pour apprendre la trame harmonique, n’hésitez pas à jouer


la pièce en accords plaqués et à étudier par empreintes la
partie centrale, vous retiendrez plus vite et plus
durablement !

«  Clair de Lune  »
L. van Beethoven (1770-1827)
«  Alla Turca  »
Sonate no 11, K. 331, 3e mouvement
W. A. Mozart (1756-1791)

Carte d’identité
• Composition : 1778 (époque classique)

• Tonalité : la mineur, sections en do majeur (sa relative),


ainsi que la majeur ou fa # mineur

• Mesure binaire :

• Tempo moyen : ♩ = 132

• Lexique : alla turca = à la turque

• Mots-clefs : rondo – fanfare – pastiche

Repères
On oublie souvent que la « Marche turque » est le final « Alla
turca » de la Sonate K. 331 en trois mouvements, dont vous
reconnaîtrez certainement le premier en forme de thème et
variations, si vous y jetez une oreille. Cette sonate semble un
hommage de Mozart à la France, et ce rondo, dont la coda a été
ajoutée quelques années plus tard, sonne en bien des endroits
plus français que turc !
Le mouvement imite le style d’une compagnie de janissaires
(soldats d’élite de l’armée ottomane). Mozart s’amuse d’un
certain exotisme, c’est pourquoi interpréter cette marche avec un
excès de précautions serait de mauvais aloi ! De là à lui ajouter
des myriades d’éléments pyrotechniques, comme le fait Fazil
Say, pourquoi pas, mais on peut tout à fait jouer la pièce sans
artifice, dans un esprit proche de l’opera buffa !

Conseils de travail
• Je ne vous insulterai pas en vous expliquant comment se
joue la première levée en doubles croches et les suivantes,
vous les avez certainement entendues autant que moi !
Attention à ne pas faire de faux accent sur la première ou
la dernière note du motif, ce qui arrive trop souvent.

• Allegretto n’est pas allegro : ne jouez pas les premières


pages trop vite, il faudra tenir la cadence militaire.
Reportez-vous aux m. 89 et suivantes ou à la coda pour
déterminer un tempo qui vous sied.

• Les contrastes de nuances et de caractères sont


primordiaux. Peu de nuances sont écrites, mais on perçoit
les sections jouées piano, d’un caractère léger et spirituel,
et celles jouées forte, martiales. Parfois, on peut ajouter
des nuances à celles écrites, si on les estime trop rares. Par
exemple, on entend souvent ceci (en incluant les
anacrouses) : m. 9 mf, m. 11 p, m. 13 mf, m. 15 p…

• M. 25, 89 et similaires : ne crispez ni la main ni le poignet


dans les octaves plaquées et brisées, il faut être en capacité
de relâcher le maximum du poids du corps dans le clavier
afin que cela sonne ! N’ayez pas peur de donner du
volume à la MG également, et si l’arpège en petites notes
précède le temps, il me semble qu’il faut le tenir
brièvement dans les doigts ou le faire sonner dans la
pédale pour qu’il ne soit pas trop sec.

• M. 33 : ces perles de doubles croches devront être bien


chantées ; on appuiera légèrement l’appogiature (c’est un
pléonasme !) m. 44 (la #).

• M. 96 : c’est la coda, le bouquet final : le piano doit


vibrer, trembler, rugir… S’il y a un moment où vos voisins
vous haïssent, c’est maintenant ! Dites-leur qu’il existait
une pédale de « turquerie », apparue sur les pianos
viennois à la toute fin du XVIIIe siècle !

«  Alla Turca  »
W. A. Mozart (1756-1791)
Doctor Gradus ad Parnassum
Extrait des Children’s Corner
C. Debussy (1862-1918)

Carte d’identité
• Composition : 1908 (musique moderne,
« impressionnisme »)

• Tonalité : do majeur

• Mesure binaire :

• Tempo moyen : ♩ = 152

• Mots-clefs : parodie – perlé – couleurs

Repères
Dans le recueil Children’s corner, Debussy exprime son intimité
avec le répertoire enfantin. L’œuvre est dédiée à sa fille, « avec
les tendres excuses de son père pour ce qui va suivre ». Le
compositeur voulait une éducation anglaise pour Chouchou, ce
dont le titre de l’œuvre témoigne, en quelque sorte. Les pièces
sont pleines d’un humour pince-sans-rire, mais aussi de poésie,
d’une émotion distinguée… Drôle de titre que ce Doctor Gradus
ad Parnassum. Il fait référence, non sans une pointe de
sarcasme, aux études pianistiques Gradus ad Parnassum de
Muzio Clementi, de qui on se moquait déjà en son temps pour
savoir jouer les tierces, les octaves… . et rien d’autre !
Debussy semble perplexe sur ces méthodes d’un autre temps…
Il commence sur les touches blanches, comme les ouvrages
pédagogiques tels que le Pianiste virtuose de Hanon et autre
Déliateur de Van de Velde, puis il s’évade, divague : des bémols,
des dièses, des croisements de mains, de l’expressivité, de la
pédale, des surprises… Mais l’enfant s’ennuie de son jeu, et la
partie centrale est une rêverie dans laquelle il se laisse aller
avant de reprendre son activité de plus belle : la pièce se termine
comme une sorte de toccata en modèle réduit.

Conseils de travail
• Profitez des premières mesures pour travailler votre jeu
perlé à la française !

• Entendez-vous ces vagues m. 7, avec cette disposition à la


Debussy ? On en retrouve de semblables dans La Mer…

• M. 11 : j’utilise un arrangement que l’on m’a transmis et


que l’on peut reproduire à la « coda » m. 57. Afin de
donner de l’ampleur sonore au thème, la MG ne prend que
la première double croche de chaque temps, les trois
suivantes étant jouées à la MD. C’est plus confortable et la
MG est vraiment libre pour chanter. Libre à vous de
respecter la disposition originale, sachez simplement que
Debussy n’inscrivait pas de doigté sur ces partitions, pour
laisser le choix libre à son interprète...

• M. 24 : ces croisements de mains sont ludiques et


acrobatiques ! Veillez à faire ressortir les motifs aigus
joués par la MG et soulignés par les liaisons.
• M. 33 : reconnaissez-vous, dans cette partie centrale, le
thème des premières mesures ? Transposé, étiré, il revêt
une dimension à la fois lyrique et énigmatique…

• M. 57 : c’est le bouquet (final) ! Utilisez toutes vos


ressources et celles de l’instrument pour nous éblouir avec
les lueurs crues du do majeur que nous avions quittées
quelques temps !

• M. 68 et 70 : d’aucuns gardent la pédale toute la mesure.


Essayez, et choisissez !

• M. 75 : les deux derniers sons doivent être péremptoires,


nets, tranchants, sans ambiguïté. Point, final.

Attention
• M. 13 : il est fort probable que ce passage soit plus aisé à
réaliser avec la MG constamment au-dessus.

• M. 31 : soyez vigilant quant au partage des mains. On


peut aussi jouer toutes les doubles croches à la MD.

• M. 33 et suivantes : gardez les basses le plus longtemps


possible dans le clavier. On peut également les
« reprendre » après un déplacement et avant un
changement de pédale, mais c’est une opération délicate !

• M. 67 : voyez comme la mélodie centrale passe de la MG


à la MD ! Faites sonner votre index droit…

Doctor Gradus ad Parnassum


C. Debussy (1862-1918)
Consolation no  3
S. 172
F. Liszt (1811-1886)

Carte d’identité
• Composition : 1850 (époque romantique)

• Tonalité : ré -  majeur

• Mesure binaire : C =

• Tempo moyen (rubato) : ♩ = 69

• Lexique : placido = paisible ; cantando = chantant ; quasi


cadenza = comme une cadence ; perdendo = en se perdant
(disparaissant)

• Mots-clefs : chant – nocturne – cadenza

Repères
Les Six Consolations de Franz Liszt voient le jour dans les
années 1850, pendant la période weimarienne du compositeur.
C’est aussi le titre d’un recueil de poèmes de Sainte-Beuve
de 1830, dont Liszt avait eu connaissance et qu’il avait apprécié.
Les pièces sont des sortes de nocturnes, emplis de mélancolie et
d’intimité. En 1849, Chopin disparaît, or on sait que les
compositeurs se sont largement côtoyés ! Connaissez-vous cette
anecdote rapportée par Charles Rollinat, proche de George
Sand ?
Liszt jouait souvent les pièces de Chopin dans les salons de
Nohant, en y ajoutant fioritures et envolées de son cru. Cela
exaspéra Chopin, qui se mit un jour au piano et en joua un heure
durant, dans le noir, car les lampes s’étaient éteintes. Le public
était ému aux larmes, Liszt y compris : « Tu es un vrai poète et
je ne suis qu’un saltimbanque. » Quelques jours plus tard, même
heure et même public, Franz demanda qu’on éteigne la lumière
et pria Frédéric de se mettre au piano. À nouveau, des torrents
d’émotion, dans la plus pure pudeur et élégance chopinienne.
Mais lorsqu’on alluma les lampes… Liszt était au piano ! « Liszt
peut être Chopin quand il veut, mais Chopin pourrait-il être
Liszt ? »
Quelle que soit la morale de cette histoire, consolez-vous avec
cette pièce, c’est une des plus accessibles du compositeur !

Conseils de travail
• M. 1 : voyez ces grandes liaisons qui lient les rondes de
mesure en mesure. Il me semble qu’elles ne doivent pas
être prises au premier degré, et que certaines basses
devront être répétées, sans quoi, à cause des changements
de pédale successifs, nous les perdrions complètement.
Certains pianistes, tels que Daniel Barenboïm, prennent les
toutes premières basses avec la MD, en croisant les mains,
afin de limiter les déplacements de la MG.

• Voici un bel exemple de juxtaposition entre binaire et


ternaire telle que nous l’avons vue dans le Tango
d’Albéniz ou le Notturno de Grieg, dont la notice (p. 108)
vous donnera des clefs de travail pour en surmonter la
difficulté. Idéalement, il faudra veiller à ce que la MD
chante souplement, dans un legato parfait, et que la MG
continue sans heurt ce halo harmonique ondoyant.

• M. 6, temps 4 et similaires : vous savez réaliser vos trois


pour deux, mais les quatre pour trois, c’est une autre
chanson ! Il ne sera donc pas utile ici de décomposer le
rythme pour étudier ces guirlandes de doubles croches, car
ce serait travailler à une échelle vraiment trop lente une
juxtaposition rythmique complexe. Je miserais plutôt sur le
naturel du geste, à travailler dans des boucles :
• Placez votre métronome à un tempo moyen, tel
que ♩ = 60. Prononcez des séries de « tri-o-lets »
puis des séries de « qua-tre dou-bles » croches dans
la pulsation. Frappez-les dans vos mains, par
longues puis plus courtes séries. Essayez d’alterner
les deux, en conservant la spécificité de chacun : le
ternaire donne une sensation de rondeur, le binaire
est plus « carré ».
• Frappez des triolets dans vos mains et prononcez
« qua-tre dou-bles » ; faites l’inverse, puis alternez
les deux, sans trahir l'un ou l'autre rythme.
• Posez vos deux mains sur le couvercle du piano, la
MG frappera les triolets, la MD les doubles
croches – le tic-tac du métronome est toujours à
l’œuvre. Commencez avec une main, l’autre
rejoindra le mouvement lorsqu’elle sera prête.
Quand c’est acquis, inversez !
• Avant de jouer le texte intégral ME, jouez la MD
telle quelle en vous accompagnant d’accords
plaqués à la MG.
• Saupoudrez, et c’est prêt ! Vous pouvez vous
lancer, et répéter les passages concernés en boucle
afin que cela devienne automatique.
• Les tierces et les octaves font partie intégrante de la
technique lisztienne de piano. Les deux notes devront être
jouées de manière synchrone, dans un phrasé très chanté :
ne forcez pas le son et faites briller légèrement les parties
supérieures.

• M. 56 : c’est une cadence, écrite en enharmonie. Pensez à


l’origine des cadences improvisées dans les concertos
classiques, et jouez-la très librement : ce n’est pas qu’un
élément de virtuosité technique, c’est aussi une sorte
d’ellipse temporelle, un envol… avant que les dernières
notes ne s’évanouissent, dans une pédale subtile (on aura
privilégié des demi-pédales).

Consolation no  3
F. Liszt (1811-1886)
Mélodie hongroise
D. 817
F. Schubert (1797-1828)

Carte d’identité
• Composition : 1824 (prémices du romantisme)

• Tonalité : si mineur

• Mesure binaire :

• Tempo moyen : ♩ = 84

• Mots-clefs : contretemps – populaire – sensible

Repères
Cette Mélodie hongroise fut notée au vol par Schubert
en 1824 alors qu’elle était chantée par une servante du comte
Esterházy lors d’un séjour à Zselíz en 1824, mais ne sera publiée
qu’une centaine d’années plus tard. C’est la mélodie du
Divertissement à la hongroise D. 818, composé l’année d’après.
C’est un thème obsédant, qui se répète tout au long de la pièce :
en anglais on l’appellerait earworm (vers d’oreille), tant il ne
nous quitte plus une fois ouï ! J’aime le côté haletant de ce
rythme sur les contretemps : rien n’est posé jusqu’à la fin de la
pièce.
Conseils de travail
• Cette pièce devra se jouer dans un tempo stable, pas trop
rapide, qui ne fasse pas entrevoir d’enjeu technique
particulier : cela ne doit pas sonner « difficile ».

• Les contretemps sont mis en valeur dans la mélodie.


Attention toutefois à ne pas trop les accentuer, et à donner
à chaque grande phrase un souffle, une progression telle
que la décrit Brendel dans L’Abécédaire d’un pianiste, qui
nous éclaire de son propos : « Les indications […] de
Schubert sont parfois, dans les œuvres de piano, moins
concluantes ou moins complètes que dans sa musique de
chambre. On connaît ses passages pianissimo auxquels
succèdent les multiples diminuendi, sans que le
compositeur ait noté les espaces intermédiaires de
dynamique qui, seuls, permettent ces diminuendi et leur
donnent du sens. L’interprète peut, dans ces cas, ajouter
certains compléments. » Les anacrouses de trois doubles
croches vous permettront de passer d’un palier à l’autre en
termes de nuances ; aidez-vous de subtils crescendos ou
decrescendos.

• Chaque triple croche devra être exactement rythmée, ni


trop serrée (ce n’est pas une petite note barrée), ni trop
détendue (c’est un rythme pointé binaire et non ternaire).

• Les motifs en tierces ne sont pas aisés à réaliser : ne les


écrasez pas dans le clavier, et gardez des doigts toniques
mais légers.

• M. 13, 61 et semblables : ces mesures doivent danser !


Faites rebondir la première croche de chaque temps,
comme si vous compensiez le repos sur la deuxième.

• M. 25 : voici les fameuses syncopes schubertiennes !


Lisez la notice du Moment musical no 3 en fa mineur.
• M. 73 : goûtez à ces intervalles de seconde, si expressifs,
dans des mélismes irrésistibles. Là, on se sent vraiment en
voyage, des parfums étrangers nous envahissent, amenant
dans leurs sillages une conclusion majeure des plus
poignantes (m. 89).

Attention
• M. 49 et suivantes : le pouce de la MD doit être
extrêmement agile pour laisser la place à son homologue
de la MG !

Mélodie hongroise
F. Schubert (1797-1828)
Sicilienne
Op. 78
G. Fauré (1845-1924), adapté par l’auteur

Carte d’identité
• Publication : 1898 (fin du romantisme)

• Tonalité : sol mineur

• Mesure binaire : = 6 ♪ ou 2 ♩.

• Tempo moyen : ♩. = 56

• Mots-clefs : douceur – balancement – impression

Repères
La Sicilienne de Fauré est ce qu’on peut appeler sans complexe
un « tube » de la musique française. Maintes et maintes fois
chorégraphiée, utilisée dans pléthore de films, elle fut d’abord
destinée à la scène pour Le Bourgeois gentilhomme de Molière,
puis Fauré l’intégra comme musique de scène au deuxième acte
du Pelléas et Mélisande de Maeterlinck. La bague de Mélisande
glisse dans le puits : nous sommes dans le monde du mystère, du
désir, de l’imaginaire…
On connaît de nombreuses versions à la pièce, notamment
l’original pour violoncelle et piano, mais aussi harpe et flûte par
exemple. Pour vous approcher du style de la sicilienne, écoutez
celle du Concert op. 21 de Chausson ou celle de la Sonate pour
flûte BWV 1031 de Bach, transcrite au piano par Wilhelm
Kempff. Et sachez que l’on retrouve le rythme de sicilienne dans
la chanson traditionnelle anglaise Greensleeves, le premier
mouvement de la Sonate K. 331 de Mozart ou le second
mouvement de son Concerto op. 488.

Conseils de travail
Cette transcription d’un compositeur pianiste sonne
admirablement au piano, pourvu qu’on soit attentif aux éléments
suivants :

• Les plans sonores : écoutez la version orchestrale, et


inspirez-vous de la façon dont Fauré marie les familles
d’instruments. S’agit-il d’une mélodie de flûte ? D’un
contrechant de violon ? Comment faire sonner les notes
courtes comme des pizzicati de cordes, l’accompagnement
comme des arpèges de harpe, les nappes harmoniques
comme des tenues de vents ou de cordes ? Comment
rendre les contrastes des m. 26 et suivantes ?

• Le tempo ne devra pas être trop lent ni trop rapide ; le


rythme de sicilienne doit pouvoir faire danser une mélodie
ample, épanouie et hypnotique.

• Dans la partie centrale m. 44, la pédale vous paraîtra peut-


être trop généreuse. Nous devons prendre en compte les
notes impossibles à tenir avec les doigts, et des plans
sonores équilibrés permettront de pallier cette difficulté.
Une pédale trop courte donnerait un résultat saccadé hors
de l’atmosphère recherchée, comme si certains instruments
avaient pris subitement leur pause syndicale !

• M. 77 : cette ligne de basse a comme un air de déjà vu !


Mettez votre nez dans la Romance sans parole, vous voyez
la ressemblance ?

Attention
• M. 9, temps 2 : parfois, on privilégie l’empreinte des
accords, même si l’ordre des notes change. Ne vous
emmêlez pas les pinceaux !

Sicilienne
G. Fauré (1845-1924), adapté par l’auteur
«  Valse minute  »
Op. 64, no 1
F. Chopin (1810-1849)

Carte d’identité
• Composition : 1847 (époque romantique)

• Tonalité : ré -  majeur

• Mesure binaire :

• Tempo moyen (rubato) : = 100… si ce n’est plus


rapide !

• Mots-clefs : virtuosité – fugace – petit chien

Repères
Pour les uns, c’est la Valse minute, qui se jouerait, selon la
légende, en moins d’une minute – il y a fort à parier que ceux
qui vous assureront pouvoir le faire… soient de fieffés fripons !
Pour les autres, c’est la Valse du petit chien : alors que celui de
George Sand tournait sur lui-même pour attraper sa queue,
Chopin aurait improvisé quelques notes de ce qui deviendra une
œuvre célébrissime. Le compositeur employait une autre image,
en disant que les premières mesures « sont à dévider comme une
pelote ». Pas de panique, cette œuvre est plus impressionnante
qu’elle n’est difficile ! Je propose d’ailleurs qu’on la rebaptise
ainsi : Valse facile en deux ou trois minutes, pour un vieux petit
chien qui ne courait pas si vite. Ça va mieux ?

Conseils de travail
• Ici plus qu’ailleurs, en vue de la vitesse espérée, il sera
nécessaire d’avoir des repères précis quant à la
synchronisation des deux mains en début de mesure. Je
vous proposerai un exercice simple, afin de vous assurer
que vous êtes « dans les clous ». Allez-y mollo, et placez
comme un petit point d’orgue sur la première croche de
chaque mesure, ou rythmez-la de cette façon :

• Je travaille la vitesse… très lentement ! Dans une œuvre


technique, je considère que le cerveau n’est pas prêt à
passer à la vitesse supérieure s’il n’est pas capable
d’enchaîner au moins une section dans un certain tempo.
Le métronome vous aidera à accélérer les BPM, mais ne
jouez pas comme une machine pour autant, prenez rendez-
vous avec la qualité musicale !

• Les soufflets sont minutieusement notés dans la partition.


N’hésitez pas à graduer les progressions, pour ne pas
« monter dans les tours » des crescendos trop tôt, ou
diminuer subitement le volume sonore dans des
diminuendos s’étalant sur plusieurs mesures. On peut
imaginer ceci, sans marquer les paliers (ce ne sont que des
repères !) :
m. 5 et 6 : p vers mp / m. 7 et 8 : mp vers mf / m. 9 : mf
vers mp / m. 10 : mp vers p, et ainsi de suite…

• On travaillera bien entendu legato dans la lenteur, puis


dès que l’on s’approchera du tempo, on cherchera un jeu
articulé, presque perlé, malgré les grandes liaisons, comme
si chaque note était jouée avec une légère impulsion
électrique dans le doigt ! Remarquez qu’une pédale bien
mise aide à trouver cette légèreté.

• M. 1 puis m. 70 : laissez s’épanouir le trille puis démarrez


le « manège » tranquillement. Les croches accélèrent
progressivement comme si on commençait à tourner la
manivelle d’un limonaire. Le vrai tempo commence
respectivement sur la première basse m. 5 et 78.

• M. 38 : voilà une partie centrale que l’on pourra jouer


plus souplement. Attention à ne pas raidir la main lorsque
l’index enjambe le pouce. Pensez que le deuxième doigt
vous propulse vers le grelot en petite note de la mesure
suivante. Si ce doigté vous incommode, vous pouvez faire
une substitution sur la blanche (1-2), afin de jouer le
troisième temps avec un pouce. M. 45, pas d’inquiétude
rythmique, un peu de rubato bien placé et on n’y verra que
du feu !

• Enfin, le dernier trait MD est composé de croches


« libres » : je conseillerai dans un premier temps de le
rythmer ainsi, dans l’idée d’une volée de notes virtuoses
cavalant vers des accords de cadence fugitifs :
Ensuite, vous pourrez les jouer plus ad libitum, et étirer un
brin le dernier accord m. 125 – un peu de douceur dans ce
monde de brutes…

«  Valse minute  »
F. Chopin (1810-1849)
Clair de Lune
Extrait de la Suite bergamasque
C. Debussy (1862-1918)

Carte d’identité
• Composition : 1890 (fin du romantisme,
« impressionnisme ») ; publication : 1905

• Tonalité : ré -  majeur

• Mesure binaire : = 9 ♪ ou 3 ♩.

• Tempo moyen : ♩. = 48

• Lexique : calmato = calmé

• Mots-clefs : textures – touches de couleurs – imaginaire

Repères
La Suite bergamasque est une œuvre du premier Debussy, dont
le titre semble s’inspirer des Masques et bergamasques de
Verlaine. Les pièces sont teintées d’angélisme, et trois d’entre
elles font référence à des formes passées (Prélude, Menuet,
Passepied). Au centre, le Clair de lune, pièce à part dans la
littérature pour piano, est pleine d’onirisme et de tendresse…
L’auditeur a l’impression d’être dans une autre temporalité, au
contact d’un univers sonore nouveau, d’une écriture pianistique
qui laisse présager des beautés à venir. Je ne saurais que vous
conseiller, une fois de plus, d’en écouter l’orchestration, et peut-
être de visionner la belle création de Walt Disney (1996).

Conseils de travail
• Bien jouer la première partie n’est pas si facile :

• Il faut respecter absolument le rythme sans que


l’auditeur sente les barres de mesure ! Soignez
l’alternance entre croches ternaires et duolets, dans
ce premier chant mais aussi dans la deuxième
page : ne pressez pas les duolets – et ne traînez pas
les croches ternaires. Pas de pathos ni de mauvais
goût, distinction de rigueur : comptez vos temps et
ne noyez pas l’ensemble dans la pédale.
• Le legato des deux voix est un legatissimo, et je
pense à deux instruments : flûte et clarinette ? En
tous cas, vous ne couperez pas aux substitutions !
• M. 10 et suivantes : bien qu’il faille tenir dans la
pédale les basses en blanches pointées, les sons ont
tendance à trop se mélanger à notre goût : on sera
d’autant plus attentif aux équilibres et aux plans
sonores. La mélodie est dans les cimes, les basses
soutiennent sans imposer, et les accords offrent des
teintes pastel. Dans cette partition, j’ai indiqué des
pédales « pleines », mais le pianiste confirmé
pourra utiliser un jeu de demi-pédales, afin de
libérer certains sons de l’harmonie. Cela demande
quelques heures de vol, et une écoute à toute
épreuve.
• M. 15 : la règle selon laquelle on porte les notes
longues et on fait attention à ne pas écraser les
notes courtes et répétées est bien entendu de
rigueur, d’autant plus s’il s’agit d’accords
étendus… Elle doit être appliquée dans le cadre
d’une progression vers un dôme forte (m. 25), dont
on redescend en deux mesures : ne vous hâtez pas !

• M. 27 : dans cette partie centrale, l’enjeu principal est de


ne jamais couvrir la mélodie à grands renforts de doubles
croches. Voyez celles-ci, non pas comme une toile de jute
opaque, mais comme des voiles transparents qui se
déposeraient délicatement dans le clavier. Ce sont parfois
des déferlantes de vagues, mais elles supportent les
phrases plutôt qu’elles les engloutissent ! Les mélodies
seront timbrées avec un toucher plus consistant,
« nervuré ».

• Les deux instruments joués par la MD sont soutenus par


une ligne de basse et parfois par un contrechant (m. 30).
Attention, l’équilibre général doit prendre en compte ceux-
ci !

• Par magie (et par enharmonie), le ré b devient do #, les


forces telluriques s’agitent (« en animant »), et le point
culminant de cette forme en arche, aux m. 38-40, est
difficile à réaliser car dans un registre aigu du clavier :
faites sonner les voix extrêmes, mettez-y du cœur car c’est
la marée haute ! Les vagues vont redescendre, et les
nuances avec.

• M. 43 : mettez en relief le contrechant de la MD que l’on


retrouve à la MG m. 47 dans le même registre. À la m. 45,
malgré la liaison, il s’agit d’accords de trois sons : allégez-
les ! Lorsque les mains « s’enchevêtrent », cherchez la
meilleure disposition… et tenez-vous-y !

• Petit à petit, les éléments se calment véritablement, et


nous apportent sur un plateau la réexposition, agrémentée
d’une écume d’arpèges en doubles croches. Aidez-vous de
cette subdivision pour mesurer vos valeurs longues et
garder une pulsation stable.

Clair de Lune
C. Debussy (1862-1918)
Six Danses populaires
roumaines
Sz. 56, BB 68
B. Bartók (1881-1945)

Carte d’identité
• Composition : 1915 (musique moderne)

• Bartók utilise de nombreux modes traditionnels. Attention


à l’armure, qui change à chaque danse !

• Mesures binaires :
• I, II et III :
• IV :

• V :
• VI :

• Tempi indiqués en BPM pour chaque danse

• Lexique : allarg. = allargando = en élargissant ; la 2.


volta = la deuxième fois ; slargando = en élargissant ;
attaca = « attaquez ! » (enchaînez le mouvement suivant
sans préambule) ; ossia = ou bien
• Mots-clefs : folklore – contrastes – intensité

Repères
On croit souvent que les Danses roumaines ont été écrites pour
violon et piano, ou pour l’orchestre. Originellement, elles ont été
composées pour le piano, instrument joué par Bartók, même si
elles s’inspirent du violon tzigane, instrument de prédilection de
ces thèmes transylvaniens. Certains caractères d’articulation lui
sont propres, et on entend beaucoup de quintes, que l’on imagine
« frottées à vide » sur un instrument à cordes. Bartók a beaucoup
voyagé afin de collecter des airs de son pays et d’ailleurs :
roumains, slovaques… Les chanteurs et musiciens traditionnels
les lui transmettaient de manière orale, et d’autres ont collecté de
la même façon des airs bretons, basques, corses…
Bartók disait que l’ensemble des six pièces devait durer quatre
minutes et trois secondes : y avait-il une symbolique là-dedans ?
Les indications de tempo sont de la main du compositeur, qui
donnait un minutage minutieux, à la demi-seconde près !
Néanmoins, la plupart des musiciens « débordent » un peu, de
cinq à sept minutes selon leurs tempi successifs…
C’est un ensemble bigarré, excitant, passionnant que Bartók
nous offre. Si cette musique vous plaît, écoutez aussi les Six
Danses en rythmes bulgares issues de ses Mikrokosmos pour
piano… et jouez-les !

Conseils de travail
• Il s’agit de musique traditionnelle : les tempi devront être
stables, avec souvent des temps forts appuyés, sauf
contrordre ! Travaillez avec le métronome, votre allié, et
caractérisez les rythmes !
• Soyez attentifs aux modes : entendez-vous, notamment
dans les danses no 3 et 4, ces intervalles serrés ou écartés
(secondes mineures ou augmentées), inhabituels à l’oreille,
issus de plusieurs traditions modales ? Écoutez les
harmonisations différentes des thèmes, comme si Bartók
proposait un catalogue de possibilités, tel un exercice de
style.

• Les signes de ponctuation sont nombreux et riches. Se


côtoient : de longues liaisons, les accents, staccato, tenuto
(trait) que vous connaissez bien, mais aussi marcato (en
forme de chevron), staccatissimo (très court), plusieurs
d’entre eux à la fois, sans parler des sforzandi et autres
nuances… Variez les plaisirs !

• De manière générale, les ornements seront « mordants »,


comme on peut les entendre dans le violon tzigane. Ce ne
sont pas les agréments d’une aubade à la cour mais bel et
bien les fières prouesses d’un musicien de caractère – et
s’il se trouve en goguette, ses « ratés »…

• La pédale sera tour à tour rythmique, englobante,


perturbante ou consensuelle… mais le pied sera preste !

• Contrastes : on passe du rire aux larmes, d’une danse


endiablée à une méditation aux consonances orientales,
d’un chant d’amour à l’ivresse d’une fin de nuit.
Considérez ces danses comme autant d’univers en soi, et
travaillez-les indépendamment pour mieux révéler le secret
de chacune. Par exemple, amusez-vous à les enchaîner
dans un ordre qui n’est pas celui que l’on connaît : partez
de la fin, jouez toutes les paires puis les impaires…
N’oubliez pas cependant que Bartók a organisé cet
ensemble de pièces dans une sorte de grand crescendo
dynamique qui galvanise les foules !
Attention
• No 6, m. 16 : nous n’avons pas encore vu de virgule dans
ces pages. Prenez une grande respiration, et c’est reparti !

• M. 49 : vous remarquerez un ossia. C’est ici une MG


alternative : choisissez celle que vous préférez !

Six Danses populaires


roumaines
B. Bartók (1881-1945)

Bot tánc / Jocul cu bâta  –  Danse


du bâton
Brâul –  Danse du châle

Topogó / Pe loc  –  Sur place


Bucsumí tánc / Buciumeana –
  Danse de Bucsum

Román polka / Poarga


Româneasca –  Polka roumaine
Aprózó / Marunțel –  Danse
rapide
Rêve d’amour no  3
S. 541
O lieb’, so lang du lieben kannst ! – Aime tant qu’il t’est donné
d’aimer !
F. Liszt (1811-1886)

Carte d’identité
• Composition : 1850 (époque romantique)

• Tonalité : la -  majeur

• Mesure binaire : =6♩

• Tempo moyen (rubato) : = 46 ou ♩ = 138

• Lexique : con affetto = avec affection ; con passione =


avec passion ; stringendo = en serrant (en pressant) ;
rinforzando = en renforçant ; appassionato assai = très
passionné ; affrettando = en pressant le mouvement ;
armonioso = harmonieux… tout un programme !

• Mots-clefs : lyrique – solitude – virtuose

Repères
Les Trois Nocturnes (Liebesträume) ont été composés en 1850,
et sont contemporains des Consolations. Le Rêve d’amour
no 3 avait d’abord été conçu pour la voix et le piano sur un
poème de Ferdinand Freiligrath, avant que naisse une version
pour piano seul. Cette pièce, parangon du romantisme, montre
une science de l’écriture pianistique virtuose, notamment dans
des cadences en petites notes, telles des rivières de perles, qui
ponctuent de vibrants chants d’amour joués de part et d’autre du
clavier, accompagnés d’harmonies riches, modulantes et
enchanteresses. C’est, peut-être, une musique de salon, mais on
y reconnaît l’empreinte du génie ! Et n’oublions pas les mots de
Liszt, dans ses Lettres d’un bachelier ès musique : « Mon piano,
jusqu’ici, c’est moi, c’est ma parole, c’est ma vie ; c’est le
dépositaire intime de tout ce qui s’est agité dans mon cerveau
aux jours les plus brûlants de ma jeunesse ; c’est là qu’ont été
tous mes désirs, tous mes rêves, toutes mes joies et toutes mes
douleurs. »

Conseils de travail
• Les pouces et les deuxièmes doigts se partagent la
mélodie centrale, rien de neuf sous le soleil. Tout autour,
les mains ont beaucoup à faire : basses longues et
profondes, accompagnement en arpèges veloutés. C’est
paradoxal, au piano, ce sont le plus souvent les doigts
faibles qui timbrent, et les doigts forts qui accompagnent.
Là, Liszt rend aux pouces ce qui leur appartient.

• M. 23 : voyez-vous ce point d’orgue ? Ce n’est pas un


poing d’ogre : ne le jouez pas trop fort, mais faites-le
durer, entretenez le suspense. Que va-t-il se passer ?

• M. 25 : voici la cadence la plus délicieuse qui soit. Les


doigtés sont très personnels, vous le savez : adaptez ma
proposition en fonction de votre main, de vos goûts ! Les
mains devront rester légères, se déposer dans le clavier
comme les feuilles de l’automne sur le sol. Donnez un peu
de mouvement et faites briller le climax (point culminant)
de cette cadence, puis laissez retomber le son délicatement.

• M. 26 : j’aime cette façon dont Liszt varie avec le même


matériau mélodique ! Cette fois, le thème est joué par le
haut de la MD, et les arpèges redoublent d’intensité du fait
que la MG les joue aussi. Les indications animato,
stringendo, appassionato confirment un caractère plus
agité que l’exposé initial. Le poète, le compositeur et le
pianiste expriment la puissance de leurs sentiments grâce à
des éléments de virtuosité : octaves, arpèges brisés (m.
37 et suivantes). Il faudra travailler lentement cette section,
pour s’habituer aux déplacements (m. 41 et similaires) qui,
s’ils seront souples, ne nuiront pas au déroulé mélodique
en prenant trop de temps.

• Une deuxième cadence, c’est d’un luxe ! Ici encore, on


utilisera les doigtés de son choix. Certains n’aiment pas
l’utilisation des cinquièmes doigts à gauche, ou seront plus
à l’aise en répétant les mêmes doigtés de bout en bout.
Trouvez vos repères en vous arrêtant toutes les huit ou
douze croches, ou encore à chaque octave parcourue.
Ensuite, donnez un élan à cette vague chromatique de
tierces brisées, elle doit sonner comme une rafale qui nous
conduit, par magie, vers l’accord de dominante de la
tonalité principale.

• La dernière section, dolce armonioso, est plus calme,


malgré les croisements de mains. L’orage est passé ! C’est
un amour plus sage, plus mature, tel que l’évoque le
poème de Freiligrath. Écoutez cette progression
harmonique toute lisztienne aux m. 68 et suivantes.

• La fin approche, et on se croirait dans un récitatif d’opéra


posant des questions sans y répondre… Liszt fait durer le
plaisir et, après une incertitude harmonique, conclut dans
la tonalité de départ.
Attention
• M. 5, 7 et similaires : attention d’attraper les basses dans
la pédale. Ces grands intervalles arpégés sont dangereux et
pourraient nous laisser orphelins de piliers harmoniques !

• M. 26 et suivantes : le pouce de la MD et le deuxième


doigt puis le pouce de la MG se partagent la même note (ré
# pendant trois mesures, puis cela change). Ils devront tour
à tour prestement libérer l’espace.

• M. 81 : si vous avez d’assez grandes mains, vous pouvez


prendre à la MD les deux blanches pointées de la portée de
la MG, afin que cette dernière tienne la basse lors du
changement de pédale.

Rêve d’amour no  3


F. Liszt (1811-1886)
Maple Leaf Rag  &  The
Entertainer
S. Joplin (1868-1917)

Carte d’identité
• Composition : années 1900 (prémices du jazz)

• Tonalité :
• Maple Leaf Rag : la majeur
• The Entertainer : do majeur

• Mesure binaire :

• Tempo moyen :
• Maple Leaf Rag : ♩ = 104

• The Entertainer : ♩ = 84

• Lexique : tempo di marcia = tempo de marche ; not fast =


pas vite

• Mots-clefs : syncopé – pompe – off-beat (décalé)

Repères
« Puis il commença à jouer. Mais ce n’est pas jouer le mot. Un
jongleur. Un acrobate. Tout ce qu’il est possible de faire avec un
clavier de quatre-vingt-huit notes, il le fit. À une vitesse
hallucinante. » Voici comment Alessandro Barrico évoque Jelly
Roll Morton, « l’inventeur du jazz », dans Novecento : pianiste.
Et voici ce que j’attends de vous ! Trêve de plaisanterie, à la
naissance de celui-ci, Scott Joplin était déjà un pianiste virtuose
et devenait un compositeur prolifique de « rags ».
Le ragtime, qui tire son origine de la communauté afro-
américaine, a émergé aux États-Unis dans les années 1890. Il
tient son étymologie du mot anglais rag (lambeau, chiffon) ou
bien de ragged (rugueux, haché). C’est une musique syncopée,
écrite pour le piano principalement, avec un accompagnement en
« stride », c’est-à-dire en pompe : « oumpah, oumpah »… On
trouve tous ces ingrédients dans la musique de Joplin, dont
Maple Leaf Rag (1899) et The Entertainer (1902) sont d’illustres
et populaires représentants. On entend ce dernier dans le film
L’Arnaque (1973) : c’est bien là où vous l’aviez entendu !

Conseils de travail
• Je ne m’étendrai pas sur la MD, qui comporte pourtant un
certain nombre d’éléments techniques à étudier : octaves à
jouer tel un chat, doubles ou triples notes, etc.

• Notez que dans Maple Leaf Rag, on peut faire


« swinguer » le rythme, c’est-à-dire rallonger légèrement
la double croche qui se trouve sur le temps (sur chaque
croche), et raccourcir celle qui la suit. Des enregistrements
d’époque sur rouleau existent, on y entend les musiciens
procéder comme tel, ce qui donne un vrai entrain à la
pièce.

• J’ai mis volontairement peu de pédale, car je suis un fan


inconditionnel de cette esthétique de piano « bastringue »
où les ragtimes, joués à l’emporte-pièce ou triturés dans
tous les sens, accompagnaient, souvent sans pédale – car
celle-ci ne fonctionnait plus sans que personne ne s’en
soucie, la scène d’amour ou d’assassinat d’un film muet,
sans aucune vraisemblance stylistique et historique !

• Notez les structures de chaque pièce. Voici celle de Maple


Leaf Rag : A A-B B-A-C C-D D, qui fut standardisée par
Joplin. Cela vous aidera à vous y retrouver !

• La plus grande difficulté de ces pièces réside dans les


déplacements de la MG, le fameux « stride », en français :
la pompe. Des virtuoses du genre tombaient presque
toujours juste ! Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas fait
leurs premières armes avec pertes et fracas, bien au
contraire…
• J’utilise les quatrièmes doigts dans les octaves
jouées sur les touches noires, mais c’est à vous
d’en décider selon vos possibilités.
• La première étape est de travailler la MG seule,
lentement, au fond du clavier, et de rester dans une
empreinte jusqu’au moment où vous êtes sûr de la
suivante et que vous êtes prêt à vous y déplacer.
Dans un premier temps, le voyage de l’une à l’autre
se fait à une vitesse modérée, souplement, sans à-
coup. La main doit être détendue pour se défaire en
cours de route de l’empreinte précédente et
s’adapter à la suivante, surtout dans une alternance
entre octaves et accords de trois ou quatre sons.
Amusez-vous à claquer légèrement dans vos doigts
entre chaque empreinte.
• La question du regard est très importante
également, il s’agit de ne pas de faire le yo-yo entre
la basse, la partition, l’accord, la partition, la
basse… Il faudra :
- Travailler par sections, les apprendre par
cœur afin de se libérer du texte écrit et de
viser un point fictif entre le pouce de l’octave
et le quatrième ou le cinquième doigt de
l’accord. « Travaillez en boucles » pourrait
être le sous-titre de ce recueil !
- Chercher les suivis mélodiques dans les
basses (The Entertainer m. 5-6, 17-19 et
similaires), trouver des repères dans le
rapprochement de vos mains (Maple Leaf
Rag, m. 7-8, m. 51-52 et semblables), trouver
les notes communes à la basse et à l’accord,
qui sont parfois lointaines, parfois plus
proches que ce que l’on croit !
- Travailler votre connaissance tactile du
clavier afin de minimiser les aller-retours du
regard. On peut travailler certaines partitions
avec un foulard léger cachant la main, mais
cela fonctionne mieux sur les passages
conjoints. Ici, entraînez-vous à jouer de
courtes sections en boucle sans regarder vos
mains : fixez la partition, ou mieux, si vous
savez le texte par cœur (bravo !), les yeux
fermés. Vous savez que lorsque nous sommes
privés d’un de nos sens, les autres tournent à
plein régime et se développent, comme pour
compenser. Tâtez votre clavier, caressez-le et
essayez de vous y retrouver dans ce que mes
professeurs appelaient ciseaux et fourchettes
(respectivement groupe de deux et trois
touches noires). Essayez de jouer une note
précise, et vérifiez qu’il s’agit bien de celle-ci.
Dans votre pompe de MG, placez-vous au bon
endroit, enchaînez une mesure ou deux et
répétez l’opération les yeux fermés. Y
parvenez-vous ? Au début, ce jeu est un peu
paralysant, mais je vous promets que l’on s’y
fait !
- Patience est mère de toutes les vertus : « Et
les Shadoks pompaient, pompaient… »

Attention
• The Entertainer, m. 61 : Le pouce MG peut vous servir à
jouer deux notes, c’est plus facile ainsi !

Maple Leaf Rag


S. Joplin (1868-1917)
The Entertainer
S. Joplin (1868-1917)
Juin  –  Barcarolle
Extrait des Saisons op. 37a
P. I. Tchaïkovski (1840-1893)

Carte d’identité
• Composition : 1876 (romantisme)

• Tonalité : sol mineur

• Mesure binaire : C =

• Tempo moyen (rubato) : ♩ = 96

• Mots-clefs : nature – lyrisme – orchestre

Repères
Les Saisons de Tchaïkovski sont en fait des « Mois », selon le
titre russe exact. Elles furent composées en 1875 et 1876 pour la
revue musicale Le Nouvelliste, qui publiait une pièce tous les
mois. Tchaïkovski composait de bonne grâce (sous l’œil vigilant
de son domestique), bien qu’il ne fût intéressé, semble-t-il, que
par ses honoraires… Chaque mois est accompagné d’une
épigraphe proposée par Nikolaï Bernard, l’éditeur du magazine.
Voici celle du mois de Juin, d’Alexeï Pletcheiev :
Nous rejoignons la côte
Où les ondes câlineront nos pieds.
Les étoiles, par une tristesse secrète,
Brillent sur nous.

Le sous-titre semble impropre : on a l’habitude d’entendre des


barcarolles ternaires, mais une barcarolle à quatre temps
binaires, c’est une première !

Conseils de travail
• Dans cette pièce, il faudra chanter, chanter, chanter ! Nous
connaissons le Tchaïkovski des ballets, et nous nous
sommes pâmés devant ses pas de deux d’un lyrisme à
couper le souffle. L’équilibre entre les deux mains est très
important : basses amples, accords profonds, chant
envoûtant et contrechants tels des échos…

• On dissociera dans chaque main ce qui est mélodique de


ce qui est harmonique. M. 4, temps 4, la tierce jouée par la
MD fait partie de l’harmonie. De même, la MG joue un
motif mélodique m. 5, soutenu par des tierces
harmoniques. La direction des hampes vous montre la
voix : ne jouez pas l’harmonie trop forte.

• Soyez sensible aux carrures : dans cette première partie,


les phrases s’étendent sur quatre puis six mesures à chaque
fois. Respirez légèrement entre chaque phrase, comme le
ferait un chanteur ou un instrumentiste à vent.

• M. 32 : cette partie centrale est plus animée du fait des


contretemps à la MG. Lier les doubles notes de la MD
n’est pas facile, mais avec un travail MS, vous y arriverez.
Imaginez qu’une fraction de seconde après avoir joué
chaque double note, la main se détend complètement tout
en conservant l’empreinte dans les doigts, afin de se
préparer au déplacement. La souplesse verticale et latérale
de votre poignet vous permettra de lier les notes sous les
liaisons, et de voyager sur le clavier.

• M. 36 : attention à la manière dont est écrite la MG, vous


pouvez délivrer le poids naturel de la main dans
l’appogiature, et le libérer sur chaque accord en croche.

• M. 40 : voici le moment de gloire des cuivres ! Soyez très


régulier et timbrez les notes accentuées, comme si nous
étions dans un hymne patriotique. M. 44, j’entends une
trompette au loin ! Par ailleurs, la ponctuation est fine :
faites-en autant.

• M. 47 et suivantes : ces chromatismes ascendants


(attentions aux altérations !) nous conduisent au zénith de
cette partie, si ce n’est de toute la pièce. J’aime prendre le
temps pour arpéger chaque accord, comme si la note aiguë
précédait de peu la basse suivante ! Imaginez un pupitre de
quatre harpes à l’orchestre symphonique… puis, à la m.
52, ce sont les cors du Concerto pour piano no 1 op. 23 :
ne soyez pas timide, envoyez !

• Voilà que l’on retrouve notre première partie, agrémentée


de délicieux contrechants dans la MG : il n’y a plus une
croche qui ne soit pas jouée. Ces mélodies sont comme des
vases communicants : elles s’inspirent mutuellement.
Passez de l’une à l’autre, et vice versa, avec volupté, en
gardant les carrures intelligibles.

• M. 83 : voici une coda remarquable. Loin des cuivres de


la partie centrale, nous voici dans le grand vent, où les
branches des arbres frétillent, et les feuilles nous volent
tout autour, augurant (déjà !) l’automne. Donnez à
entendre les motifs mélodiques qui passent de la MD à la
MG (m. 85-87 et similaires), et jouez vos basses d’une
main de velours.
• Les deux derniers systèmes devront être joués d’une seule
traite, dans un crescendo contenu (poco). Certains
pianistes accélèrent pour mieux ralentir les derniers
accords. Pourquoi pas, mais gardez la tête froide, se
tromper est facile ici ! Petite astuce pour avoir des
repères : travaillez en jouant chaque croche de la MD une
croche plus tôt (sur le temps, en même temps que la MG),
en marquant une pause tous les quatre puis huit temps, de
cette manière :

Puis « déroulez le fil » tel qu’il est écrit, vous verrez, c’est
magique !

Attention
• M. 7 : ce doigté à la MD vous paraîtra un peu baroque…
mais il a l’immense avantage d’éviter un passage de pouce
hâtif que l’on pourrait difficilement ne pas entendre.
Essayez-le !

• M. 32 et suivantes : soyez très vigilant quant à la pédale,


que l’on cale d’abord sur la MG, avant de la déplacer sur
la MD (m. 36) : c’est un coup à prendre !

Juin  –  Barcarolle
P. I. Tchaïkovski (1840-1893)
Danse slave
Op. 72, no 2
A. Dvořák (1841-1904), adapté par R. Keller (1828-1891)

Carte d’identité
• Composition : 1886 (fin du romantisme)

• Tonalité : mi mineur

• Mesure binaire : = 3 ♪ ou 1 ♩.

• Tempo moyen (rubato) : ♪ = 120 ou ♩. = 40

• Mots-clefs : mélancolie – bal – bohème

Repères
Les Danses slaves d’Antonín Dvořák sont presque aussi célèbres
que sa Symphonie no 9 « Du Nouveau Monde » : deux séries
comportent chacune huit pièces hautes en couleurs, composées
pour le piano à quatre mains, avant que le monde entier ne
pousse Dvořák à les orchestrer. Ces pièces s’inspirent du
folklore slave, et quelques-unes revêtent un caractère lyrique.
C’est le cas de cette Danse slave op. 72 no 2, une dumka, c’est-
à-dire une complainte d’origine ukrainienne (étymologiquement,
une « pensée »), que l’on retrouve dans la musique du
compositeur tchèque : Trio no 4 « Dumky », Dumka du Quintette
avec piano no 2…
Goûtez à cette transcription pour piano seul de Robert Keller,
éditeur allemand du XIXe siècle, avant d’associer vos forces avec
un partenaire…

Conseils de travail
• C’est une danse : donnez-lui du mouvement grâce aux à
l’accompagnement staccato, à la ponctuation portato qui
entraîne la mélodie vers un appui sur la deuxième mesure
de chaque groupe de quatre mesures. Pensez au flux et au
reflux des vagues, qui dansent, à leur manière.

• M. 17 : le bal s’envole, les robes tournoient. Ici, le phrasé


fonctionne par paires de mesures, avec un appui sur la
deuxième.

• M. 25 : voyez comme la mélodie circule : tantôt dans les


aigus, elle se fond parfois dans un registre central (quatre
mains oblige), et il faut malgré tout la rendre lisible, en
jouant ce qui l’entoure de manière légère et subtile.

• M. 33 : la légèreté qualifie tout autant ce qui suit : ces


ornements et triples croches volubiles chantent un
printemps bourgeonnant, plein d’espérance.

• M. 41 : voyez comme à nouveau, Dvořák intervertit les


voix et offre à tous les instruments de l’orchestre
l’occasion de se faire entendre. Entendez les couleurs ! Et
soudain… La majesté ouvre ses ailes, et un thème qui
pourrait être celui d’une mazurka émerge du tumulte. À
l’orchestre, le compositeur déploie un arsenal ; au piano,
on déploie les registres et on chante à tous les étages.
• M. 77, entendez-vous ces flûtes et piccolos ? N’oubliez
pas de respirer entre les parties afin de rendre la forme
lisible pour l’auditeur.

• M. 85 : retour du thème principal. Dvořák ne se contente


pas de réexposer platement. Il se cite en filigrane, et on
reconnaît la nature luxuriante qui bruisse dès la m. 94,
avec de mutins croisements de mains, avant de conclure la
pièce en mi majeur. On en aura vécu, des aventures, en
l’espace d’une soirée dansante...

Attention
• M. 33 et semblables : lisez bien, le cas échéant,
l’altération accompagnant l’ornement. Si elle est au-
dessus, elle concerne la note supérieure. L’ornement sera
joué avant le temps, et attrapera au vol la tierce sur la
dernière note.

• M. 35, 50 et similaires : jouez les secondes avec les


pouces de la MD, cela vous permettra de lier la mélodie.
M. 39, c’est aussi valable pour la MG !

Danse slave
A. Dvořák (1841-1904), adapté par R. Keller (1828-1891)
Prélude en ut dièse mineur
Extrait des Morceaux de fantaisie op. 3, no 2
S. Rachmaninov (1873-1943)

Carte d’identité
• Composition : 1892 (fin du romantisme)

• Tonalité : ut (do) # mineur

• Mesure binaire :

• Tempo moyen (rubato) : ♩ = 34… ou moins !

• Mots-clefs : destin – lugubre – cloches

Repères
Sergei Rachmaninov est particulièrement connu pour ses
Concertos pour piano et ce Prélude en ut dièse mineur. Il a
composé cette pièce dans sa jeunesse, à la sortie du
conservatoire, alors qu’il commençait tout juste sa carrière. Le
Prélude faisait d’abord partie des Morceaux de fantaisie op. 3,
puis il l’intégra à ses 24 Préludes. On le surnomme les
« Cloches de Moscou », car le début rappellerait celles du
Kremlin, dans un lointain hiver… J’imagine Rachmaninov
écumer ces cloches tout au long de ses tournées aux États-Unis
sur ses pianos Steinway, le public hurlant « le prélude ! » ou
« C-sharp ! » (Do dièse), pour un bis : lui l’avait déjà pris en
grippe ! Il n’en fit qu’un bénéfice ridicule, quarante roubles à
peine, malgré son succès ! Quel cynisme...
Le Prélude fut beaucoup réutilisé dans la culture populaire :
avez-vous vu le sketch du piano transformé en harpe dans le film
A Day at the Races des Marx Brothers ? Ou le numéro
Rachmaninov had big hands d’Igudesman and Joo ? L’un
comme l’autre, à visionner à tout prix !

Conseils de travail
• Le spectre des nuances devra être géré de manière
progressive : il s’agit d’une forme ABA en arche, qui
évolue de manière lancinante et culmine sur une troisième
partie en éruption ! Écoutez l’interprétation du
compositeur lui-même, facilement trouvable sur Internet.
C’est limpide, notamment les plans sonores, le tempo et le
rubato. Soyez sensible à ces chromatismes expressifs et
pessimistes, dans des mouvements descendants que vous
retrouverez partout chez Rachmaninov, personnalité
tourmentée !

• Attention aux plans sonores : nous commençons avec


deux « strates », et vous noterez que j’ai conservé le doigté
des trois premières cloches autant que possible (m. 3 et
suivantes), à dessein ! Vous pourrez éventuellement utiliser
des demi-pédales pour clarifier la polyphonie, ne pas trop
relever le pied permettant parfois de garder la basse…
Prenez des risques !

• Il ne sera pas nécessaire de jouer les mains séparées bien


longtemps : puisqu’elles se croisent et font des
mouvements parallèles, autant les mettre ensemble tout de
suite. Notez qui est au-dessus, qui est au-dessous, en
colorant légèrement votre partition par exemple.
• Voilà un travail d’empreintes demandant une bonne assise
de la main. Les doigts ne doivent pas se rétracter, car on
travaille sur leur extension : certains accords sont difficiles
à plaquer ! On le comprend quand on sait que le
compositeur était « capable de réunir sans effort (et sans
arpéger) le do central et le sol de l’octave supérieure »,
comme l'écrit Olivier Bellamy. Il faudra détendre la main à
chaque changement d’empreinte ou à chaque fois que l’on
se déplace, afin de ne pas garder une position crispée en
permanence. Ce prélude n’est pas si difficile, même pour
des petites mains, si l’on sait les relâcher au juste moment.
Pour travailler ceci, refermez-les régulièrement dans le
travail, faites un arc de cercle avec le poignet, haussez puis
relâchez les épaules.

• M. 14 et suivantes : attention aux équilibres, ne couvrez


pas tout avec de tonitruants triolets, privilégiez les lignes
conjointes, que vous étofferez d’une délicate harmonie !

• La polyphonie se flanque, après une cascade d’accords, de


deux portées de plus (m. 45), comme s’il s’agissait d’une
partition d’orchestre. Vous pourrez travailler les deux
strates séparément (portée 2 MD + 4 MG et portée 1 MD
+ 3 MG), en en chantant les mélodies. Mieux vous les
connaîtrez, plus les déplacements seront faciles, car vos
mains sauront où aller !

• M. 55 : les derniers accords rappellent le début du


Concerto no 2 op. 18, à ceci près qu’ici, on peut plaquer les
accords sans avoir recours aux arpeggios : ce sont de
véritables cloches !

Attention
Nous sommes dans une partition dont l’armure comporte
beaucoup de dièses, et les nombreux chromatismes ne nous
facilitent pas la tâche. Soyez très attentifs aux doubles dièses et
respectez scrupuleusement la règle d’or selon laquelle une note
altérée, sauf contre-indication, le reste tout au long de la mesure.

Prélude en ut dièse mineur


S. Rachmaninov (1873-1943)
Le Vol du bourdon
N. Rimski-Korsakov (1844-1908), adapté par S. Rachmaninov
(1873-1943)

Carte d’identité
• Composition : 1900, transcription : 1929

• Tonalité : la mineur

• Mesure binaire : =2♩

• Tempo moyen : le plus vite possible, ♩ = 164 sera un bon


début…

• Mots-clefs : bourdonnement – chromatisme – acrobatique

Repères
Si cette pièce très courte de Rimski-Korsakov est un interlude
pour son opéra Le Conte du tsar Saltan, il semble qu’il ait
sacrément éclipsé l’œuvre complète ! Aujourd’hui, on joue la
pièce isolée à l’orchestre, souvent comme bis, tant et si bien
qu’une foule de transcriptions existent, dont plusieurs pour
piano : celle de Rachmaninov est très fidèle au texte original.
Cette pièce figurative est divertissante, quoiqu’un peu agaçante !
On dirait que le musicien se moque du bourdon, de lui-même, du
public, et ce rythme effréné et ininterrompu de doubles croches
chromatiques nous donne envie de nous munir d’une tapette à
mouches. Plus c’est rapide, plus ça énerve ! Un peu par jalousie,
évidemment… heureusement que c’est court !
Écoutez-la jouée dans le film Shine de Scott Hicks, qui relate la
vie de Daniel Helfgott, pianiste un peu fou (mais génial) !

Conseils de travail
• Croyez-moi, tous ceux qui jouent cette pièce dans un
tempo délirant sont passés par la case : travail
extrêmement lent. Tous ! « On ne peut jouer vite que si
l’on pense vite. […] C’est dans la lenteur analysée
parfaitement que s’élabore la vitesse. » explique Jean
Fassina, éminent pédagogue, dans son livre Lettre à un
jeune pianiste. Laissez-vous le temps de monter la vitesse,
comme les blancs en neige !

• C’est un mouvement perpétuel : il faudra le découper en


sections de dimensions plus ou moins égales, qui
comportent des éléments de technique semblables. Je vous
propose :
• M. 1 – 24 incluse : on travaillera la régularité du
relais entre les deux mains (m. 1-4), puis la
manière souple d’arpéger les accords étendus (m.
9 et suivantes). Les doubles croches seront
articulées, et on travaillera la graduation dans les
soufflets (m. 14 et analogues).
• 25 – 40 : les notes alternées ne sont pas d’une
réalisation aisée. Marquez légèrement la première
de chaque temps dans le travail, et aidez-vous des
soufflets. Utilisez la pédale pour faire sonner votre
piano (m. 30-31 et semblables).
• 41 – 52 : parfois, les doubles croches passent
d’une main à l’autre, comme c’est le cas m. 41 : le
public ne doit pas percevoir cette
« prestidigitation » ! M. 45-46, il n’est pas facile de
synchroniser les mains : marquez les « repères »
sur les temps, travaillez avec quelques rythmes
simples qui ne vous tendent pas.
• 53 – 62 : là encore, les mains devront vraiment
jouer ensemble : travaillez avec un minuscule point
d’orgue sur chaque temps, en marquant légèrement
la pulsation avec vos deux pieds successifs.
• 63 – 78 : imaginez que cette double croche aiguë
appartient à l’accord de la MG, qu’elle est jouée
par un piccolo par exemple. Elle doit être courte et
tonique.
• 79 – 90 : attention à ce que les déplacements ne
vous fassent pas faire d’accent malvenu, nous
sommes toujours pianissimo. M. 87, ne crispez pas
la MG et restez très près des touches, en gardant la
main dans l’axe du clavier.
• 91 – fin : n’oubliez pas que pour la nuance pp, et
les nuances au-dessous, on utilisera la pédale una
corda, comme nous l’évoquons dans l’introduction
de cet ouvrage.

Et toujours, les méthodes traditionnelles de travail pour une


pièce virtuose :

• Quelques rythmes simples à appliquer à la pièce entière


(cf. Hémiones, p. 44).

• La répétition par section avec le métronome en


accélération progressive ; placez le battement sur chaque
temps mais aussi sur les temps faibles (deuxième noire),
les contretemps (deuxième croche de chaque temps), etc.

• Travaillez « à rebours », c’est-à-dire en remontant depuis


la fin de la pièce jusqu’à son début. Lorsqu’on enchaîne un
morceau, on en connaît souvent mieux les premières
pages, et la concentration s’étiole au fil des mesures :
faisons un sort à ce mauvais présage, en travaillant à
l’envers !

• Une connaissance parfaite de la MG sera essentielle : si


vous parvenez à la jouer par cœur en entier sans la MD,
c’est (presque) un gage de réussite !

Attention
M. 46, dernière double croche : une note entre parenthèses
correspond le plus souvent à la même note jouée par l’autre
main. Respirez à la MD, ça en fait toujours une de moins…

Le Vol du bourdon
N. Rimski-Korsakov (1844-1908), adapté par S. Rachmaninov
(1873-1943)
Concerto no  23
K. 488, 2e mouvement
W. A. Mozart (1756-1791), transcrit par C. Reinecke (1824-
1910)

Carte d’identité
• Composition : 1786 (époque classique)

• Tonalité du mouvement : fa # mineur

• Mesure binaire : = 6 ♪ ou 2 ♩.

• Tempo moyen : ♪ = 84

• Lexique : tutti = tout l’orchestre ; con grazia = avec grâce

• Mots-clefs : émotion – sagesse – éternel

Repères
Je tenais à ce que ce deuxième mouvement du Concerto no 23 K.
488 termine notre recueil, tant il est d’une profonde beauté : on
ne l’oublie jamais une fois découvert. Composé en 1786, il est
contemporain des Noces de Figaro. Deux mouvements
lumineux, optimistes, entourent ce mouvement unique. Mozart a
atteint l’âge « mûr » de trente ans – il mourra à trente-cinq ans.
Il se livre, en toute intimité, avec expressivité, semblant ouvrir la
voie à un romantisme naissant. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard
si les compositeurs romantiques auront une grande affection
pour ce concerto, en témoigne cette magnifique transcription
pour piano seul de l’artiste allemand Carl Reinecke.
Saviez-vous que ce mouvement est la seule œuvre du
compositeur écrite en fa # mineur ? La mélancolie figure
rarement sur la scène à cette époque-là, et c’est une véritable
confession que nous offre Mozart, qui met son âme à nu. On
raconte que le mouvement émouvait Joseph Staline à en pleurer,
notamment lorsqu’il était joué par la pianiste Maria Yudina, et
que c’est la dernière musique qu’il aurait écoutée avant sa mort.
Si vous aimez la danse, hâtez-vous de voir le ballet Le Parc
d’Angelin Preljocaj, et la scène de l’abandon, accompagnée par
cette œuvre divine.

Conseils de travail
• Je crois qu’il ne faut pas jouer ce mouvement trop
lentement. Les éditions oscillent entre l’indication
andante, que propose Reinecke, et adagio – qui n’est ni
lento, ni largo. Ayez à l’esprit une recherche d’unité dans
le tempo : dans la partie centrale (m. 35), avec les tierces
parallèles et les triples croches, on a tendance à trop
ralentir.

• Soignez votre toucher, et l’équilibre entre les deux mains :


cherchez la pureté du timbre dans une mélodie chantée,
accompagnée d’accords et de basses feutrées.

• La ponctuation est simple : legato, staccato, ou portato.


Voici ce qu’écrit Brendel sur cette dernière : « Le portato
exclut la brièveté : la séparation des notes est minimale,
pour peu qu’elle ait lieu, quand on la joue avec pédale. Le
portato sur des notes répétées suggère une liaison du son
avec lui-même, un tenuto cantabile. »
• Ayez l’orchestration dans l’oreille ! La place des vents est
prédominante dans ce mouvement, notamment dans le
deuxième thème et le thème en mode majeur, où la flûte et
la clarinette se font entendre. C’est nouveau pour l’époque,
on a la sensation d’écouter de la musique de chambre et
non pas un grand orchestre ! Connaître l’alternance entre
les tutti (en petites notes), les solos et les moments de
dialogue vous aidera à apprendre ce mouvement de forme
ABA. En concerto, le soliste respire souvent, écoute
l’orchestre et en tire sa propre inspiration ! Je suis certain
que votre interprétation revêtira une dimension
supplémentaire si vous le connaissez par cœur.

• M. 84 et suivantes : à l’orchestre, les petites notes de la


MG sont jouées par les pizzicati des cordes. On peut
mettre plus de pédale que ce qui est indiqué, mais je crois
que si vous parvenez à jouer cette partie de la manière la
plus sobre et la plus pure possible, sans mélanger les sons
dans la pédale, vous toucherez au plus près l’essence
même de cette musique. M. 90 cependant, on mettra un
peu plus de pédale forte pour tenir le sol de la MD que l’on
ne peut maintenir par les doigts.

Attention
• M. 11-12 et 36 : les crochets vous indiquent des
arrangements de confort.

• M. 47 et 79 : comment réaliser ces gruppettos ? Il est


temps pour vous de prendre votre envol, et de faire votre
miel de tout cela. Écoutez, essayez, cherchez toujours avec
la même passion et la même foi en la musique. N’oubliez
pas : la beauté est universelle.
Concerto no  23
W. A. Mozart (1756-1791), transcrit par C. Reinecke (1824-
1910)
« Ô privilège du génie ! Lorsqu’on vient d’entendre un
morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de
lui. »
Sacha Guitry, « Toutes réflexions faites », Cinquante ans
d’occupations
Sommaire

Couverture
Les Grands Classiques du piano pour les Nuls, 2e éd
Copyright
Remerciements
Introduction
Carte d’identité
Le tempo
Repères
Conseils de travail
L’ornementation
Quelques considérations techniques
Du doigté
La pédale
Attention
Lexique
Écoutez !

Menuet
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Menuet

Präludium
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Präludium

Vieille Chanson française


Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Vieille Chanson française

Arabesque
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Arabesque
Arietta
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Arietta

Prélude n° 1
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Prélude n° 1

Le Cavalier sauvage & Le Gai Laboureur


Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Le Cavalier sauvage
Le Gai Laboureur

La Tartine de beurre
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
La Tartine de beurre
Préludes
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Prélude n° 4
Prélude n° 7

Solfeggietto
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Solfeggietto

Une larme
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Une larme

Gymnopédie n° 1
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Gymnopédie n° 1

Gnossienne n° 3
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Gnossienne n° 3

Hémiones
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Hémiones

Le Petit Nègre
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Le Petit Nègre

Valse en la mineur
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Valse en la mineur

Le Coucou
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Le Coucou

Sarabande
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Sarabande

Chant de gondolier vénitien


Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Chant de gondolier vénitien

Moment musical n° 3
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Moment musical n° 3

Rêverie
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Rêverie

Valse en la bémol
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Valse en la bémol

Les Sauvages
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Les Sauvages

Tango
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Tango

Aria
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Aria

Romance sans paroles


Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Romance sans paroles

Nocturne n° 20
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Nocturne n° 20

« L’Empereur »
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
« L’Empereur »

Le Vieux Château
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Le Vieux Château

« Lettre à Élise »
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
« Lettre à Élise »

Notturno
Carte d’identité
Repères
Conseils de travail
Attention
Notturno
Prélude n° 1
Carte d’identité
Repères
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Prélude n° 1

Les Baricades mistérieuses


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Les Baricades mistérieuses

« Clair de Lune »
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« Clair de Lune »

« Alla Turca »
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« Alla Turca »

Doctor Gradus ad Parnassum


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Doctor Gradus ad Parnassum

Consolation n° 3
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Consolation n° 3

Mélodie hongroise
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Mélodie hongroise

Sicilienne
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Sicilienne
« Valse minute »
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« Valse minute »

Clair de Lune
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Clair de Lune

Six Danses populaires roumaines


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Six Danses populaires roumaines

Rêve d’amour n° 3
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Rêve d’amour n° 3
Maple Leaf Rag & The Entertainer
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Maple Leaf Rag
The Entertainer

Juin – Barcarolle
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Juin – Barcarolle

Danse slave
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Danse slave

Prélude en ut dièse mineur


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Prélude en ut dièse mineur

Le Vol du bourdon
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Le Vol du bourdon

Concerto n° 23
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Concerto n° 23

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