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468 NOTRE-DAME DE massa A MAUBRANCHE, ETC.

des paralytiques recouvrant l’usage de leurs membres, des in


firmes de toute espèce subitement guéris, une enfant morte
rendue à la vie; et jusqu’en 93, Maubranche ne cessa d’être un
lieu de refuge, où les affligés, les malades et les infirmes ve—
naient chercher et trouvaient un remède aux tristesses de l’âme
et aux douleurs du corps.
Mais alors l’esprit révolutionnaire n’épargna pas plus ce
sanctuaire que les autres. Une troupe d’environ soixante hommes
vint piller toutes les richesses de la chapelle et renversa la
sainte statue d’où elle était placée. Après leur départ, on releva
cette statue miraculeuse, dont le bras droit avait été brisé dans
la chute, et on la cacha sous les degrés de l’entrée du couvent.
La chapelle fut vendue, ainsi que les bâtiments occupés par
les Carmes, auxquels les archevêques de Bourges avaient
confié depuis 1636, le service du pèlerinage.
En 4800, la famille de Villemenars, devenue proprié
taire de la chapelle et de ses dépendances, retrouva la statue
dans le lieu où on l’avait cachée, et la replaça sur l’autel où
on la voit encore. En 1801, une partie de la chapelle fut dé
molie; toutefois en ne toucha pas à l’autel, où plusieurs ecclé
siastiques ont encore celébré quelquefois les saints mystères.
Depuis quelques années, le pèlerinage reprend individuelle—
ment, la piété y refleuriraï

Notre-Dame d’.’ligurande à son origine et à la Révolution!

L’origine de ce pèlerinage est incertaine, son histoire incon—


nue jusqu’aux temps modernes. Si on en croit la tradition du
pays, il remonterait au temps des persécutions; un chrétien
:

1 Notre—Dame de France, Ibid. — Annales de N.-D. du Sacré-Cœur.


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aurait été martyrisé à une petite distance d’Aigurande; les
chrétiens, au sortir de la persécution, auraient construit, à
l’endroit même ou ce confesseur de la foi avait été enterré tout
vivant, une chapelle en l’honneur de Notre—Dame des Martyrs,
sous le vocable de Notre-Dame de Pitié, et un solitaire serait
venu établir un ermitage àcôté, afin de veiller sur le précieux
dépôt et d’être le gardien de la chapelle. Voilà la tradition.
« Une chose paraît certaine,» dit M. Meunier, doyen d’Aigu—
rende, dans la Notice manuscrite qu’il nous a adressée sur ce
pèlerinage, « c’est que ce fut à l’occasion du glorieux martyr
« en ce lieu, ou à raison du séjour qu’y fit le religieux, que
« la chapelle de Notre-Dame de Pitié fut érigée. »
On ne saurait énumérer le nombre de miracles obtenus dans
cette chapelle. Les archives de l’église d’Aigurande conservent,
depuis plus d’un siècle, l’original d’un procès-verbal attestant
différentes grâces obtenues par l’intercession de Notre-Dame
de Pitié. Tantôt la prière adressée à Marie fait cesser la pluie,
dont la continuité porte préjudice aux biens de la terre; tan
tôt elle la fait tomber, lorsqu’une extrême sécheresse met ces
biens en péril. Un enfant de six ans, perdus des deux jambes,
est guéri devant l’autel de Notre-Dame ; des malades y trouvent
la santé. Le procès—verbal qui relate ces deux classes de pro
diges de nature différente, est signé par une multitude de té
moins. Quelques années avant la grande Révolution, un jeune
homme, boiteux depuis de longues années, par suite d’un
accident, qui rendait toute guérison impossible, fit vœu d’ac
complir le grand pèlerinage du mardi de la Pentecôte à Ai gu
rande. Sa confiance ne fut point déçue : pendant le saint sacrifice
de la messe il fut instantanément guéri, sous les yeux de
milliers de spectateurs. Le procès—verbal de ce prodige, dressé
au retour de la procession, fut signé par les notables de la pa—
roisse, ainsi que par un grand nombre d’autres personnes,
témoins du miracle, et déposé dans l’étude d’un no
taire’.
1 L’abbé Meunier, Notice manuscrite sur Notre—Dame d’AigurandeL—Voir aussi
dans Notre—Dame de France Notre—Dame d’Aiyurande.
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Quand éclata la Révolution, des démocrates envahirent la
chapelle de Notre—Dame, brisèrent le tabernacle, les statues,
lacérèrent les tableaux, les ornements sacrés. Des agents du
district s’emparèrent des vases sacrés, descendirent la cloche et
rasèrent le clocher au niveau du toit; ils enlevèrent jusqu’aux
ferrements des fenêtres. Mais là ne s’arrêtèrent point les profa—
nations : les septembriseurs- s’emparèrent de la statue. de
Notre-Dame de Pitié etde celle de Saint Boch, les attachèrem‘.
àla queue de leurs chevaux, et les trainèrent ainsi jusqu’à la
place Saint-Jean. Là, en présence d’une foule de peuple, après
avoir brisé la statue de saint Hoch, ils essayèrent de scier par
le milieu du corps celle de la Vierge. Mais en vain se mirent
ils à l’œuvre, la scie se refusa a la perpétration du sacrilège.
Irrité de cette résistance imprévue, un de ces forcenés saisit
une hache, et, frappant à coups redoublés, sépara du tronc la
tête qui roula dans les rangs de la foule. Un jeune homme
nouvellement marié la ramassa et la porta à sa jeune femme;
celleæi, craignant de se compromettre, refusa le précieux dépôt.
Mais la sœur du courageux jeune homme, âgée de douze ans,
s’en empara aussitôt et la cacha dans sa garde-robe. On ne
tarda pas à s’apercevoir du pieux larcin, et on voulut savoir ce
qu’était devenue la tête de la statue. De minutieuses recherches
furent faites dans les maisons voisines, notamment dans la
maison Pipoux; mais ce fut en vain. La mère de la jeune fille,
qui ignorait que le précieux dépôt fùt dans sa maison, s’apprê—
tait à ouvrir l’armoire de sa fille; les terroristes refusèrent
d’y faire des recherches, disant qu’ils ne voulaient pas se per—
mettre de fouiller dans les vêtements d'une jeune personne.
C’est ainsi que la Providence conserva la tête de la statue m13—
raculeuse et sauva la famille qui la recélait. Nous tenons ces
détails, nous écrit dans saNotz‘ce manuscrite M. Meunier, doyen
d’Aigurande, de Mme Veuve Rondeau, née Pipoux encore exis—
tante, âgée de 98 ans, qui conserva cette précieuse re—
lique.
Mais revenons à son bonheur de posséder la tête de la sta
tue. Elle ne tarda pas en faire l’objet d’un culte privé. Ayant
.—-——_ _.__—v___—æm__.—m_u .-. .- _ .. -"”

NOTRE-DAME DE LIESSE A. MAHBRANCHE. ETC.

découvert chez ses parents un vase allongé en terre, elle le


revêtit d’une robe blanche et posa à l’orifice la. tète qu’elle cou—
vrit d’un voile et d’une couronne de fleurs artificielles. Elle
eut ainsi une nouvelle statue de Notre-Dame de Pitié. Chaque
soir, les dames pieuses d’Aigurande se réunissaient dans un
appartement de la maison Pipoux, pour y prier à la lueur des
flambeaux; et ce culte secret dura tout le temps de la Révo
lution. Quand on rouvrit les églises, M“° Pipoux, que Marie
récompensa de son acte de dévouement par une longévité aussi
me qu’heureuse, s’empressa de remettre à M. Salomon, nommé
curé—doyen d’Aigurande, la tête de Notre-Dame de Pitié, à la
quelle il fit ajuster un corps, et qu’il expose de nouveau à la
vénération des fidèles. La figure de cette Vierge exprime la
»bonté ; à la manière dont elle abaisse les regards, à son expres
sion douloureuse, on reconnaît la Mère de Pitié, Mater dolo
rosa. A en juger par l’analogie qu’elle offre avec une autne
statue de 14.88, placée dans l‘église d’0rsennes, on peut lui
assigner la date du.xv° siècle. C‘est le sentiment d’artistes de
.mérite.
La chapelle de Notre»Dame de Pitié, déjà très-ancienne lors
de.la Révolution de 89, ayant subi de grandes dévastafioæ,
tombait en ruine, quand elle fut mise en vente comme proprié
té nationale au district de la Châtre. M“° Thérèse Desgouttes
pria son frère d’acheter à quelque prix que ce fût cette cha
pelle, afin de la conserver à sa destination. M. Champvillant,
'alors maire d’Aigurande, se présenta à. la vente de la chapelle,
—et pria M. Desgoùttes de ne point mettre de surenchère, qu’il
ne l’acquérait que pour la conserver au culte; elle lui fut ad
jugée. Malgré son état de. délabrement, au rétablissement du
culte, on y déposa la. statue et on y célébra les saints mystères.
aux fètes'de Vierge, et quand des fidèles le réquéraient pour
des malades. Sous M. l’abbé Giraudon, curé d’un grand zèle et
d’une grande science. M. Champvillant Léonard la recons
truisit à l’instigation de sa vertueuse épouse‘.

1 M. Meunier, curé-doyen d’Aigurande. Notice manuscrite.


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172 NOTRE-DAME DE massa A MAUBRANCHE, ETC.


La dévotion reprit avec un nouvel élan. En 1820, un aveugle
recouvra instantanément la vue. De nombreux témoins ocu—
laires encore vivants sont là pour l’attester. Cette guérison
raviva la confiance, on eut recours depuis à Notre-Dame de
Pitié dans toutes les circonstances douloureuses. Une maladie
se déclare-t-elle dans une famille du canton d’Aigurande,
ou du canton de Bonat, qui appartient au diocèse de Limo
ges, mais avoisine Notre-Dame de Pitié, on part pour le pèle—
rinage. Si c’est un homme qui est malade, trois hommes;
si c’est un jeune homme, trois jeunes gens sont dépu
tés à la chapelle. Si c’est une femme, trois femmes; si
c’est une jeune fille, trois demoiselles sont envoyées pour
accomplir le pèlerinage Si c’est un jeune garçon, trois jeunes
garçons, ou une petite fille, trois petites filles partent réso—
lûment. Les pèlerins désignés arrivent en récitant le cha—
pelet, les hommes la tête découverte. Ils traversent ainsi
toute la ville et se rendent à la chapelle de Notre-Dame de
Pitié, où ils prient assez longtemps. De là, ils se dirigent vers
la croix de l’ermitage, où ils s’agenouillent et font une
sta ion. Puis, ils continuent leur marche, jusqu’à la fontaine
de la Bouzanne, où ils plongent une chemise de la personne
-malade, et dont ils emportent de l’eau. Malgré sa fraîcheur
glaciale, jamais l’eau de cette source n’a fait mal à qui s’y est
désaltéré. Ces rites accomplis, les trois pèlerins s’en retournent
en priant. '
Une autre dévotion d’un usage très—ancien a lieu le Jeudi
et le Vendredi saint. Un grand nombre de personnes ne man
quent jamais d’aller, les uns le jeudi vers le soir, les autres,
le vendredi a la pointe du jour, en pèlerinage à Notre—Dame
de Pitié et à la fontaine de la Bouzanne. Mais c’est le mardi
- de Pâques et le mardi de la Pentecôte que l’affluence des fidèles
de tout le pays est la plus grande. Cette année, à l’occasion
du Mois des pèlerinages, eut lieu, le dimanche après l’Assomp—
fion, un grand pèlerinage auquel figurèrent dix mille pèle
rins. «La messe fut célébrée en plein air, au milieu du plus
« profond recueillement qu’interrompit seul le chant des cens
NOTRE—DAME DE massa A MAUBRANCHE, arc. 473
« tiques à Marie. On priait avec ferveur, » nous écrit M. Da
mourette, prêtre de Châteauroux, « car on priait pour le salut
« de l’Eglise et de la France ’. » Le soir, une magnifique pro
cession aux flambeaux termina dignement la fête ’.

La lointaine de Notre-Dame de la Bouzanne.

La fontaine de la Bouzanne où cette rivière prend sa source,


et où vont boire et puiser de l’eau tous les pèlerins de Notre
Dame de Pitié, possède aussi sa chapelle monumentale, établie
par M. Meunier, doyen actuel d’Aigurande. Cette fontaine, la
plus célèbre du diocèse de Bourges, était, depuis des siècles,
renfermée dans un bassin en pierre, en avant d’un petit mo
nument en maçonnerie, dans lequel était pratiquée une niche,
contenant une statue de Notre-Dame de Pitié. Il se terminait
par un'piédestal supportant une statue de la Vierge—Mère. Mais
l’une et l’autre avaient, sans doute au temps de la Révolution,
été décapitées à coups de fusil par un chasseur. M. l’abbé
Meunier, doyen d’Aigurande, reconstruisit ce _monument sur
des proportions plus grandioses, en superbe pierre granitique
du pays. Une arcade, accompagnée de quatre clochetons super—
posés, renferme Notre—Dame de Pitié, dans l’expression d'une
douleur profonde mais résignée. Cette arcade en accolade est
surmontée d’un large piédestal qui supporte une Vierge—Mère
en fonte d’une belle dimension, modelée sur celle de la cha
pelle de la Vierge, dans l’église de Saint-Sulpice, à Paris.
L’inauguration du monument eut lieu le mardi de Pâques
1866. La fête fut splendide. Soixante jeunes gens portaient
les deux statues à tour de rôle. La statue miraculeuse de Notre—
Dame de Pitié était portée par les hommes, à qui était réservé
ce privilège dans les processions annuelles des mardis de Pâ
* Damourette, Lettre du ‘19 août 1873. — 2 Meunier, Notice manuscrite.

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