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Une mouche sous la soupe d'Ariel


Henry;
Le phénomène du bwakale: un segment
du déterminisme social haïtien.
Emmanuel FRANEZIL

Résumé : le bwakale est un phénomène social, récent qui ébranle le système établi, il est soumis
au déterminisme qui explique son mode opératoire pouvant amener soit à une révolte ou une
guerre civile. Le risque de guerre civile est expliqué par la contrainte du déterminisme social
haïtien. Malgré que le bwakale est segmenté, il peut échapper au contrôle des gardiens du
système et resurgir à n'importe quel moment.

Haïti est un pays marqué par des luttes intermittentes dans son histoire de peuple qui est tout à
fait résilient. Les problèmes de ce pays sont nombreux et disséqués si nous analysons l'histoire
des mouvements de ce pays post-1804. La lutte des masses n'arrive pas toujours à terme,
problème posé lors des discussions controverse sur 1946 : peut-on parler de révolution en 1946?
La situation ne se diffère pas en 1986 avec la chute des Duvaliers et non plus en 2004. Elle
s'enchaîne aussi avec des évènements du 6 et 7 juillet 2018, où le peuple se réunit en masse pour
porter leur revendication au plus haut niveau en demandant, du coup, un aller mieux.

Par ailleurs, depuis après l'assassinat du président Jovenel Moïse l'ennemi qui tire le ficelle
semble de plus en plus invisible comme si les acteurs qui agissent sur le baromètre de la
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politique en Haïti sont intouchable et indétectable d'où la notion des forces profonde expliquée
par Pierre Renonvin et Jean Baptiste Duroselle. De plus, avec l'arrivée de Ariel Henry à la tête de
la primature, la situation de masse prend une autre tournure. En tout cas, "vaut-il mieux pour le
prince être craint ou être aimé ? … Mais la réalité est autre, le prince a tout avantage à se faire
craindre plutôt qu'aimer" (Machiavel, 1532). En outre, les revendications populaires sont
paralysées ce qui rendent le pouvoir stable et légitimes mais en crise:

● Stable : le gouvernement d'Ariel Henry jouit d'une stabilité grâce à des gangs armés qui
font pression sur la population et étouffent dans l'œuf tout moment populaire. En effet,
pour accroître cette stabilité, le Président- ministre, Ariel, assoit le gouvernement sur
l'élection et la sécurité. Comme l'élection pour être crédible doit se faire dans un climat
de paix alors donc, alimenter l'insécurité et perdurer le pouvoir serait le mieux à faire. car
cette stabilité qu'on observe aujourd'hui a été minutieusement préparée par la fédération
des gangs. En 2020, création de G-9, G- Pep,400 mawozo et autres. Notons que cette
pratique n'est pas différente des autres parce que chaque gouvernement a tendance à créer
ses sbires.

● Légitime: La légitimité est la qualité de ce qui est fondé en droit, en justice, ou en équité.
La légitimité repose sur une autorité qui est fondée sur des bases juridiques ou sur des
bases éthiques ou morales, et permet de recevoir le consentement des membres d'un
groupe (définition du Petit Larousse). Arrivé à la tête de la primature grâce à un tweet, le
Dr Ariel Henry n'est ni du peuple ni du parlement. Dans ce cas, pour être légitime la
communauté internationale l'invite dans tous les grands rendez-vous internationaux qui
engagent le pays et ainsi les différents accords dits accord émanant de la société civile
procure à celui-ci une certaine légitimité.
En ce sens, comment le "bwa kale" comme mouvement populaire peut-il ébranler et en même
temps reconfigurer une stratégie établie par les forces profondes ?

Bwakale comme phénomène :


Le "bwakale" comme mot pris isolément n'aurait pas vraiment de sens sinon qu'un mot que plus
d'un aurait l'habitude d'entendre dans les musiques qui ont une tendance populaire. Après celui-ci
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devient un slogan sous les lèvres d'une pluralité pendant un certain temps, il est aussi un mot très
polysémique que seul le contexte peut nous aider à déceler le sens plus au moins exact. Pour tout
ce qui est du peuple et qui peut avoir une dynamique sociale, le bwakale rentre dans le jeu avec
un ton conscient qui équivaut presque à advienne que pourra en mettant en défi l'ordre établi.
Jusque là peut-on parler de phénomène? Si ce mot composé ou slogan engage une lutte et
court-circuiter l'ordre établi pour baisser le niveau de la criminalité et rendre du coup l'appareil
aux gangs armés. Dans ce cas on peut parler de phénomène selon la définition du centre national
de ressources textuelles et lexicales : Ce que l'on observe ou constaté par l'expérience et qui est
susceptible de se répéter ou d'être reproduit et d'acquérir une valeur objective, universelle.

Le bwakale peut-être le résultat de plusieurs faits passés susceptibles de mener à une révolution
ou une guerre civile. Alors comme fait surprenant si l'on se met à étudier cette expérience, quelle
sera son degré de scientificité ?

Pour comprendre l'aspect scientifique du bwakale, l'approche du déterminisme s'avère


nécessaire. Le déterminisme : c'est un système philosophique : les événements sont déterminés
par des précédents c'est la loi de cause à effet, tout fait découle d'un autre ( Émile Durkheim).

● Chez Spinoza : le nécessitarisme, une modalité de déterminisme ( aucun fait n'arrive au


hasard mais par la nécessité d'une chaîne de causalité.) Les hommes se trompent quand
ils se croient libre
● Karl Popper : le déterminisme scientifique, la structure du monde est tel que tout
évènements peut-être rationnellement prédit
● Paul Valéry, le déterminisme seule manière de représenter le monde, et l'indéterminisme
seule manière d'y exister
● Gaston Bachelard, le déterminisme c'est la notion qui signe la prise humaine sur la
nature.
● Jean Paul Sartre, l'homme qui se croit déterminé se masque sa responsabilité.

À la lumière de plusieurs définitions proposées par des auteurs, nous allons poursuivre ce travail
tout en adoptant l'approche Durkheimienne.
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Le bwakale peut-être un fait social, un fait économique, un fait politique ou même géopolitique.

Fait social : "toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une
contrainte extérieure; ou bien encore, qui est générale dans l'étendue d'une société donnée tout en
ayant une existence propre, indépendante de ses diverses manifestations au niveau individuel" (
Durkheim, 1895). Le phénomène du bwakale peut-être pris individuellement pour être soumis à
une étude ou une expérience. Et, aussi il peut étudier à partir d'autres faits ou événements.
Exemple : le phénomène bwakale peut être comparé avec les événements de 1986 qui ont
chambardé le régime des Duvaliers ou qui ont provoqué la chute des Lavalas en 2004. À l'aide
de ces exemples, on serait en mesure de déterminer si le bwakale pourrait déboucher sur une
révolution. Donc, les précédents du bwakale sont nombreux dans la société haïtienne.

Fait économique : le fait économique découle du social, pour la sociologie c'est une dimension
du fait social. Selon Émile Durkheim, le social est constitué par les "manières de faire, de penser
et de sentir" qui s’imposent à l’individu. L’activité économique comme toute activité sociale
prend donc des formes qui préexistent à l’action de l’individu et qui, suivant la formule
consacrée, "s’imposent à lui"( Ibidem). La portée économique du bwakale constitue un fait
social avancé, c'est le point déterminant qui peut faire bouger le système en place. Si le taux de
chômage augmente au même titre que le taux d'inflation, il faut sans doute attendre le pire.

Fait politique ou géopolitique:


Les événements de canapé vert n'ont pas été sans précédent, alors pour apporter une certaine
explications sur l'endroit où l'on considère comme l'éclatement du phénomène bwakale, passons
en revue certaines théories. Ce que nous appelons force profonde en sciences politiques a
toujours été au cœur de tout événement c'est pourquoi un contrôle strict des zones chaudes (
foyer de mouvement populaire) était important. Donc arriver à créer une certaine stabilité dans
l'instabilité serait l'œuvre d'un génie en politique, de ce fait, connaître le pivot qui peut apporter
cette stabilité dans le chaos serait la mission de ces hommes. Selon Halford John Mackinder qui
voulait faire de la géographie politique une science avec sa théorie de Heartland pense que pour
digérer le monde il faut connaître le pivot sur lequel s'assoit le pouvoir du monde c'est-à-dire où
se trouve le pouvoir du monde ? Tiré dans son texte le pivot géographique. Cette question aurait
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un sens dans le cas d'Haïti, où se trouve le pouvoir en Haïti ? Cependant là n'est pas notre
objectif, de préférence nous nous intéressons avec la périphérie qui donne le pouvoir en Haïti ou
encore foyer sur lequel il faut toujours faire pression si l'on veut contrôler le territoire dans le
sens pour qu'il y ait pas de manifestation, pas de rassemblement pour contester le pouvoir en
place. Le génie de la machination de la politique en Haïti comprend très bien le phénomène et il
sait aussi qu'à n'importe moment un foyer de soulèvement peut éclater, mais la question reste à
savoir où ? L'espace n'est pas statique, elle est dynamique. Contrôler Bel-Air, Cité Soleil,
bicentenaire et martissant, Grand Ravine, Ti bwa, la boule, croix des bouquets, Raboto pour ne
citer que cela serait revenir à mettre l'emprise sur chaque zone et, du coup pacifier le pays dans la
peur. Notons que géographiquement ces territoires formes à peu près un cercle du palais national
à quelques rayons de kilomètres. C'est la raison pour laquelle Nicolas Spykman développe la
théorie de Rimland dans le sens que pour contrôler le pivot, il faut contrôler la périphérie. Alors
les zones que nous venons de citer seraient périphérique au pivot du pouvoir en Haïti. En effet, le
soulèvement de canapé vert avec la mort de tous ces gangs dans une matinée est un fait prédit du
déterminisme haïtien.

Quand le bwakale dérange, Ariel fait des aveux :

Il serait quasiment impossible d'étudier le phénomène bwakale sans tenir compte de la position
du gouvernement en place. Le comportement du pouvoir d'Ariel Henry n'est pas sans
conséquence dans la réaction du peuple.
La fin de 2022 et le début de l'année 2023 sont marqués par la montée extrême du taux de
criminalité dans le pays. L'augmentation de l'insécurité fait partie de la stratégie d'un retour des
forces internationales dans le pays, campagne lancée par les proches du pouvoir. Après plusieurs
réunions du conseil de l'ONU, il n'était pas évident selon le conseil de faire pénétrer une mission
de maintien de l'ordre dans le pays. Dans cette contrée, pour convaincre les internationaux à
statuer sur le cas d'Haïti, l'insécurité serait l'arme de pression et le lobbying pour enjoliver cette
scène de chorégraphie politique. Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse
lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre
n’existent plus…( Machiavel, 1532), alors Le bwakale vient comme une anomalie pour le prince
qui veut outrepasser les élections parce que celui-là n'a vraiment d'importance pour lui. Donc s'il
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veut garder le pouvoir, il doit avoir la ruse du renard. En effet, lorsque la population attaque le
facteur qui stabilise le pouvoir à savoir lyncher les gangs ou abattre tout individu qui semble
menaçant, le pouvoir s'ébranle. Il suffit seulement de l'étincelle de canapé vert pour que la
situation échappe entre les mains des forces profondes.

Ainsi, après des jours d'échauffement dans la capitale et quelques villes avoisinantes. Le
gouvernement passe à l'action avec les tournées médiatiques. "Nous ne pouvons pas être
d’accord avec le fait de brûler des gens et de les assassiner sur place sans procès. Donc, nous
demandons aux gens de remettre les personnes présumées bandits à la police, à la justice pour
que nous puissions faire notre travail" (Prophète, 3 Mai 2023). Dans cet extrait du discours de la
ministre sur les ondes de Métropole, la ministre est en droit de faire respecter la loi et la non
violence mais le dilemme se pose sur son comportement d'avant lorsque déclare qu'il y a des
territoires perdues… et le peuple doit faire légitime défense. Par contre quand le peuple s'auto-
justifie. Le discours change. Et de plus, c'était sous le silence du gouvernement que les gens sont
kidnappés, pourchassés de leur maison. Alors pourquoi le gouvernement s'oppose face au
bwakale ? Pourquoi les conférences de presse se font multipliées après la journée du 24 avril
2023 ? "Haïti a choisi la démocratie comme modèle de gouvernement. L’insécurité dans laquelle
nous nous trouvons est révoltante. Nous comprenons que le peuple doit reprendre ses activités.
Mais ne laissons pas de mauvais plans nous faire jouer de sales jeux" ( Henry, 1 er mai 2023).
C'est ainsi que quand le bwakale dérange Ariel fait des aveux.

Blason redoré dans une société au tissu déchiré :

La société haïtienne fait face à des défis majeurs, des congénères abandonnent le territoire sous
pression de l'insécurité et du chômage à grande échelle. De nos jours, nous comptons des
émigrés économiques dans toute l'Amérique et un peu partout à travers le monde. Sans détour, il
se peut que tout le monde ne peut pas quitter le pays et entre autres il faut assurer la survie du
pays. Depuis le 6 et 7 juillet 2018, et la grève via l'augmentation du pétrole dans le pays en 2022,
on dirait que le peuple était plongé dans un sommeil sans espoir… Le bwakale est un phénomène
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qui touche toutes les couches de la société. C'est de cette causalité que prend source ce
phénomène qui était susceptible de mener à une révolte en 2023.
Le bwakale a pour priorité de redorer le blason haïtien mais les conséquences pourraient être
terribles puisque c'est un mouvement sans leaders où les gens se font passer pour des justiciers.

Pourquoi le bwakale comme mouvement populaire serait susceptible à deux conséquences : soit
une révolte pour chambarder le système en place, soit déboucher sur des violences sans
précédent menant à une guerre civile ?

Le bwakale dans le déterminisme social haïtien:

Le déterminisme social est un concept sociologique selon lequel les pensées et les
comportements des humains résultent d'une contrainte sociale qui s'exerce sur eux, la plupart du
temps sans que ceux-ci en aient conscience (Christine, Jean-Renaud, Sandrine, 2017). Le
comportement des personnes revendiquant appartenir à ce mouvement est plutôt discriminatoire,
dans ce cas des personnes étaient ciblées seulement à cause de leur zone d' appartenance ce qui
fait que le bwakale en tant que mouvement est soumis à des complications qui le rendent
impraticable au cours de son évolution. Cet handicap laisse comprendre que le bwakale était plus
proche d'une guerre civile qu'une révolte consistant à chambarder un système. Le rang social et
le milieu social détermine si une personne est un présumé bandit. En plus de cela, des jeunes
filles se sentent menacées par leurs choix d'habillement ce qui provoque un sentiment sexiste du
mouvement. Ce processus de stigmatisation était déjà très courant chez les Haïtiens. Et aussi, des
personnes profitent de ce mouvement pour faire la peau de leurs adversaires.

Le problème posé dans le déterminisme social haïtien est vraiment sérieux, des gens se
distinguent des autres par rapport à leurs vécus et estiment être plus lotis que se qui sont dans la
masse population. Les gens du quartier populaire créent leur système d'autodéfense au même
titre que d'autres quartiers. La problématique du "nèg anwo" et du "nèg an ba" est le choc du
déterminisme social haïtien qu'il faut combattre si le bwakale veut transformer en révolte et non
en guerre.
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Selon Bourdieu, nous sommes déterminés par le milieu social auquel nous appartenons car ce
milieu social va décider de notre accès à la culture ou à un certain type de culture, il va décider
des personnes que nous connaissons, de notre réseau et il va également décider de notre capital
économique ( Caroline, le déterminisme social selon Bourdieu).

Si le milieu social est déterminant dans notre décision, le bwakale comme phénomène peut-être
aussi un mouvement de masse mais inégalitaire, alors comme Bourdieu conçoit cette inégalité ?
Selon la théorie des capitaux Bourdieu met en place trois types de capitaux :
Le capital économique : il fait apparaître les biens économiques que possèdent une personne.
Exemple : les personnes qui possèdent des biens immobiliers ou en encore d'une grande valeur
dans le pays se sentent déjà différents des autres, le bwakale serait une menace pour lui parce que
à n'importe quel moment il peut être victime du mouvement même s'ils apportent leur soutien au
bwakale mais leur vision des choses seront différentes.

Le capital culturel: même si en Haïti, on peut dire que nous sommes culturellement proches,
mais il y a des personnes qui pensent qu'elles sont mieux placées par rapport à leurs
connaissances, leur manière. Ces gens-là ont toujours tendance à comparer Haïti avec les autres
pays et tentent du coup, de qualifier de "barbare" le mouvement populaire.

Le capital social : il y a des gens qui penchent sur leurs relations sociales, si le cercle où ils font
partie ne sont pas les mêmes, le phénomène bwakale leur importe peu. Et, parfois s'ils
s'emmêlent, on dirait qu'ils auront une tendance conservatrice.

Ainsi, dans ce nid d'inégalités le phénomène bwakale est contraint au déterminisme social c'est la
raison pour laquelle les forces profondes ont repris le contrôle de la situation avec une campagne
de diversion. Le plus important c'est le signal envoyé par un foyer de résistance auquel on ne
s'attendait pas. Le bwakale en tant que phénomène social peut resurgir à n'importe quel moment
avec beaucoup plus de consistance. En dépit d'un contrôle strict fourni par les gardiens du
système, les foyers de résistance sont nombreux. Alors en ce Haïti peut avoir soit une révolte ou
une guerre civile.
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Bibliographie

Dollo Christine, Lambert Jean-Renaud, & Parayre Sandrine, Lexique de sociologie, Dalloz, 2017
Http:// www. rfi.fr/ Haïti: le Réseau national de défense des droits humains dénonce "une spirale
de violence"
Halford John Mackinder, le pivot géographique de l'histoire, 1904
Machiavel, Le Prince, Gallimard, Paris, 1980.
Serge Paugam, «< Concepts », dans Les 100 mots de la sociologie, Paris, Presses Universitaires
de France, 2010

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