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ASIN : 0133074676
Language : English
ISBN-10 : 9780133074673
ISBN-13 : 978-0133074673
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ruinerait l’avenir de son mari. Alors, elle restait au théâtre… et se
soumettait à le voir rarement.
Pleine de compassion pour tant d’héroïsme, Mme Lean accueillait
toujours la charmante dame avec le plus grand respect. Quelquefois Mme
Duran passait quarante-huit heures à Brompton, car le prétexte préalable :
« Je suis horriblement fatiguée, et je vais aller pour deux jours à Brighton,
ou à Eastbourne (ou n’importe où), pour me remettre », était invariablement
accepté par M. Duran sans commentaire. Il mettait sa femme en hansom,
donnait l’adresse de la gare au cocher, et elle s’en allait en lui souriant, pour
revenir reposée et charmante.
Mme Duran, dans une phraséologie convenue, avait averti le colonel de
sa venue ; sa lettre avait été lue et mise à la poste par le cher Harry lui-
même qui n’y avait vu quoi que ce soit à redire et avait seulement prié sa
femme d’ajouter ses condoléances personnelles aux siennes.
Le colonel Blunt était infiniment sensible à la beauté ; lorsque Mme
Duran ayant enlevé le long manteau qui la couvrait entièrement parut
habillée de crêpe de Chine blanc, il s’avoua qu’elle était une merveille ; et
n’eut aucune peine, malgré ses arrière-pensées, à se montrer tendre pour
elle, d’autant qu’il tenait extrêmement à ne pas éveiller chez son amie
d’inquiétudes. Elle se comporta du reste avec un tact parfait, et son attitude
témoigna immédiatement que sa visite étant de condoléance devait se
maintenir dans une note purement amicale et affectueuse.
— Oh ! mon cher Cecil, dit-elle de sa voix très douce, quelle émotion
pour moi !… Il m’était si cruel toujours de penser à elle…
— Pourquoi ? demanda naïvement le colonel en baisant les belles mains
blanches et parfumées qui s’abandonnaient aux siennes.
Les yeux admirables de Mme Duran se levèrent d’abord vers un ciel
invisible et mystérieux ; puis sa tête s’inclina sur l’épaule de son amant et
elle murmura : « Les hommes ne comprennent pas… ils ne comprennent
pas un cœur de femme. » Et, se redressant, l’expression de son regard
langoureux se faisant soudain ardente :
— Je suis jalouse, Cecil ; vous ne le croyez pas, je le sais, mais c’est la
vérité : je suis terriblement jalouse.
— Comment une créature telle que vous peut-elle être jalouse d’un
homme comme moi ? Je n’espère vous plaire, ma belle Maud, qu’en me
faisant votre esclave.
— Oh ! oui, soyez mon esclave toujours, toujours… Jurez-le-moi.
Pour ne pas préciser ses serments, le colonel se contenta de répondre :
— Sur vos lèvres, Maud, sur vos lèvres…
Et de chercher la bouche fleurie qui ne se dérobait pas…
Mme Duran, malgré l’ensorcellement de ses caresses, le pathétique de
ses larmes et la finesse de ses insinuations, ne put arracher au colonel
aucune parole ayant rapport à un avenir où elle occuperait près de lui une
autre place.
En vain elle se laissa aller à gémir sur les tristesses de sa vie, sur les
servitudes affreuses, révoltantes pour sa délicatesse, que le mariage lui
imposait… elle n’obtint que l’invitation réitérée (et qui avait bien son prix
certainement) d’exprimer ses désirs. Souhaitait-elle quelque chose qu’il fût
au pouvoir du colonel Blunt de lui donner ?… Non, elle ne souhaitait rien,
si ce n’est cependant de se trouver à Hombourg, où au moins l’on pouvait
se voir plusieurs fois par jour… et puis Harry n’y resterait que peu de temps
cette année : il avait des engagements de cricket… Elle n’attendait que de
savoir les projets du colonel pour fixer les siens.
— Partez le plus tôt possible, chère, puisque le voyage vous amuse, et
moi je vous suivrai dès que je serai libre. Je vais avoir quelques affaires… Il
faut absolument que j’aille dans le Yorkshire.
— Est-ce que je ne pourrais pas vous y rejoindre ? Vous pourriez
m’enfermer ; personne ne me verrait.
— Vous êtes trop généreuse, non… Et Harry ? Soyez raisonnable…
comme vous l’êtes toujours…
L’entretien continua sur le même ton, sans que l’un des deux gagnât
quelque chose sur l’autre. Le colonel Blunt se vit, en douceur, mais avec
une fermeté extraordinaire, remémorer des droits qu’on jugeait avoir sur
lui ; mais il n’y eut pas moyen, quoi que fît Mme Duran, de parvenir à lui en
faire répéter l’aveu… Enfin, au moment de se quitter, ils arrivèrent
incidemment au sujet que l’un et l’autre avaient présent à l’esprit.
— A propos, que dites-vous de la proposition de votre jeune ami
français de faire mon buste ? Il vous en a parlé, n’est-ce pas ?
— Mais je dis qu’il sera bien heureux d’avoir l’occasion de vous
contempler longuement ; seulement, il m’avait exprimé le désir d’installer
un atelier chez moi ; je lui ai fait comprendre que ce n’était pas possible…
en ce moment.
— Oh ! Cecil, pourquoi ?… J’aurais été si heureuse du prétexte. J’aime
tant me sentir dans votre maison, darling…
— Vous y viendrez, mon adorable beauté, à d’autres occasions… mais
après l’événement de ces jours-ci… et, comme je dois m’absenter, vous
serez la première à reconnaître, en y réfléchissant, que c’eût été maladroit…
Il peut aller chez vous…
— Je comprends, vous avez raison ; je n’avais vu que mon désir…
Mais, s’il vient au cottage, vous ne pensez pas que sa cousine s’en offense ?
— S’en offense ? Non. Mais elle pourrait être un peu jalouse.
— Croyez-vous ?… Est-ce qu’ils sont fiancés ?
Et, souriant :
— Il paraît bien léger.
— On ne vous approche pas en vain, Maud. Gardonne ne m’a pas fait
ses confidences ; cependant, j’incline à penser que sa famille le verrait avec
plaisir épouser sa cousine… Je puis me fier à vous, n’est-ce pas ? Eh bien, il
m’entretenait hier soir encore du désir qu’il éprouvait de la voir retourner
en France… N’en dites rien, je vous en prie, à cause de Mme
Hurstmonceaux.
— Vous pouvez être sans crainte, répondit Mme Duran avec solennité ;
au fond, ce serait beaucoup plus naturel. Qu’est-ce qu’elle fait, cette jeune
fille, chez les Hurstmonceaux ? Je ne crois pas qu’elle se plaise en
Angleterre ; du reste, on ne sait pas, elle parle si peu. Elle cause avec vous
quelquefois cependant.
— Un peu, mais elle parle surtout beaucoup avec son cousin…
— Je ne voudrais pas faire de peine à cette petite fille… je suis si fidèle
de ma nature… C’est Henry qui m’a poussée à accepter l’offre de M.
Gardonne, mais ce n’est pas à lui que j’obéis, c’est à vous seul, Cecil ; je
ferai ce que vous m’ordonnerez…
— Je crois que le plus simple sera de s’en tenir à ce qui est décidé. Vous
partez dans quelques jours ; ce sera le dénouement naturel.
Elle fut d’accord et pleinement rassurée. Sylvaine retournerait en
France… et, en effet, comment avait-elle pu s’imaginer une rivalité
possible ?
Ils en revinrent après cette petite escarmouche à leurs affaires
personnelles : le voyage prochain à Hombourg et d’autres détails
méprisables dont Mme Duran ne s’occupait qu’à regret, mais dont elle
souffrait que le colonel Blunt s’occupât pour elle. Ils se séparèrent enfin
avec une grande tendresse apparente : lui se jurant qu’il ne reviendrait
jamais avec elle dans cette petite maison de Brompton ; elle, se croyant sûre
de l’avenir, et éprouvant cette exaltation particulière et conquérante que
procure la sensation de tenir en poche un chèque dont le chiffre allège de
tout souci.
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