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03/07/2023 12:44 Il sorpasso de Dino Risi : entre rire et rictus, le double visage d'une Italie euphorique

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Italies
Littérature - Civilisation - Société

4 | 2000
«Humour, ironie, impertinence»
"Humour et société"

Il sorpasso de Dino Risi : entre rire et rictus, le


double visage d'une Italie euphorique
José Pagliardini
p. 577-605
https://doi.org/10.4000/italies.2324

Abstract
José Pagliardini effectue une analyse sociologique du film de Dino Risi, Il sorpasso (1962), montrant combien ce film, dans sa trame générale
et dans ses détails, reflète l’euphorie de l’Italie du miracle économique, mais aussi ses faiblesses. La fin tragique, inattendue, contraste avec les
rebondissements, les effets comiques, l’humour dont est semée la pellicule.

Termini di indicizzazione

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03/07/2023 12:44 Il sorpasso de Dino Risi : entre rire et rictus, le double visage d'une Italie euphorique

Mots-clés : cinéma, comédie, Gassman (Vittorio), miracle économique, Risi (Dino)


Indice cronologico: XXe

Testo integrale
« Qui giace V.G.
Fu attore e non fu mai impallato. »
(Vittorio Gassman, 1995)

1 Tous les chemins menant à Rome, on voudra bien nous pardonner d'y rejoindre Dino Risi et son film Il sorpasso (titre
français : Le Fanfaron) par un itinéraire détourné, dont l'unique prétention est de rendre hommage aux auteurs d'un manuel
qui, depuis plus de vingt ans, a conquis un large public de jeunes et de moins jeunes italianisants.
2 En 1979, en effet, Odette et Georges Ulysse publiaient Questa è l'Italia1, manuel destiné aux élèves de troisième année
d'italien et volume initial d'une future trilogie2. Dans une section du livre, consacrée au tourisme et aux vacances, les auteurs
avaient choisi de faire figurer, sous le titre de Ferragosto3, le début d'une nouvelle d'Italo Calvino extraite de Marcovaldo
ovvero le stagioni in città4.
3 Par son évocation de l’atmosphère urbaine du 15 août en Italie (« le vie vuote di macchine e deserte, la siepe grigia delle
saracinesche abbassate, una spider lanciata a cento all’ora »), ce texte rappelle, de manière trop précise pour n’être que fortuite,
le générique du film Le Fanfaron, de Dino Risi. Le film date de 1962 et le recueil de Calvino a été publié en 1963. En outre, dans
la même nouvelle, Calvino fait une allusion plus explicite au cinéma italien du début des années 60, en parodiant une célèbre
scène fellinienne de La dolce vita5. Au demeurant, chez Calvino comme chez Risi, l’Italie représentée est celle du bien-être
consécutif au redressement économique de la fin des années 50, mais avec ses limites : la dégradation de la société et la
marginalisation de l’individu, d’un côté ; l’euphorie illusoire et l’échec existentiel, de l’autre.
4 Film emblématique de l’Italie du miracle économique, Il sorpasso est aussi l’archétype de la comédie « à l’italienne », tant la
satire sociale et la dérision des comportements y confinent au drame, voire à la tragédie. Dans un ouvrage entièrement consacré
à ce film, Oreste De Fornari rapporte une réaction de l’acteur Jean-Louis Trintignant, qui illustre a contrario l’ambiguïté de la
comédie : « Lors d’une projection du Sorpasso, Trintignant fut surpris de constater que le public riait. Il était convaincu d’avoir
interprété un film dramatique. Voici un bon test pour reconnaître une comédie à l’italienne : quand on ne sait pas très bien si
elle fait rire ou si elle attriste »6.
5 Les protagonistes que tout sépare, Bruno (Vittorio Gassman) et Roberto (Jean-Louis Trintignant), sont réunis par le hasard et
les conséquences du 15 août à Rome, que l’exode festif a rendue déserte. Bruno Cortona est un quadragénaire exubérant et
fanfaron (d’où le titre français du film), excessif en tout et toujours en mouvement. Il conduit son existence comme sa voiture de
sport décapotable, le pied au plancher. Envahissant jusqu’à la muflerie, il prend part à toutes les conversations et affiche une
apparence de dominateur en émettant des opinions faussement définitives à tout propos. Il vit séparé de sa femme et de sa fille
âgée de quinze ans. À l’opposé, Roberto Mariani est un jeune homme timide, discret et réservé. Étudiant en droit, il mène une
vie sédentaire, paisible, plutôt terne. Il ne fume pas, ne boit pas7, ne sait pas conduire et brûle d’amour pour sa jolie voisine
Valeria, sans oser se déclarer. Les rares expériences signifiantes de son bagage existentiel sont liées à l’enfance et à des séjours

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renouvelés chez son oncle et ses tantes, dans la région de Grosseto. Roberto laisse Bruno monter dans son appartement pour
téléphoner ; Bruno détourne Roberto de ses études et l’entraîne dans une vertigineuse virée de célibataires.
6 La solitude de Bruno et celle de Roberto, en ce jour de Ferragosto, rendent possible l’association de deux caractères
radicalement contraires. Le critique et essayiste Goffredo Fofi y a vu réunies une tradition littéraire et une référence
psychanalytique : « On y trouve avant tout un couple de personnages qui se réfère substantiellement à un procédé littéraire
typique depuis quelques siècles : les amis, dont le premier est extroverti, dynamique, a du succès, et le second est introverti,
timide, plus jeune et inexpert. En somme, les deux caractères fondamentaux de Jung »8. C’est le moteur principal de l’action et
le début d’un parcours à la fois géographique et psychologique où Bruno, mentor bouillonnant, emporte Roberto en une course
effrénée, initiatique mais fatale.
7 Sur le plan structurel, à partir de cette rencontre, le film est conçu comme un road movie9 avec quatre déplacements et trois
arrêts majeurs, en alternance, sur un itinéraire qui conduit l’action de Rome aux environs de Livourne10. Valerio Caprara,
historien du cinéma, précise : « Le premier mouvement du film a été vertical : Bruno monte à l’appartement, puis Roberto
descend pour un petit tour “ histoire d’aller boire un apéritif ”. Mais le reste défile sur l’horizontalité de la route qui, in extremis
seulement, se brise dans la chute tragique du haut de l’à-pic des rochers de Calafuria »11. Cette construction par étapes rappelle
la structure du film à sketches et favorise la diversité des situations propices aux rencontres, aux rebondissements, à l’humour et
aux effets comiques dont l’accumulation crescendo anticipe, en l’accentuant, le contraste avec l’issue tragique. C’est aussi
l’occasion, pour le metteur en scène Dino Risi, de tracer le portrait, par touches successives, de l’Italie et des Italiens du
moment, tel qu’il le définit dans ce commentaire : « Et derrière, ces vacances du boom : période d’euphorie avec un fond un peu
sombre, période de relax et de fausseté, une sorte d’accalmie provisoire durant laquelle les gens montrent souvent ce qu’il y a de
pire en eux. Mais aussi période de vagabondage, de connaissances et de mises en présence, avec des gens qu’en temps normal
on ne rencontrerait jamais »12.
8 Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale le néo-réalisme a reflété, sur les écrans, les pénibles conditions économiques et
sociales d’un pays ruiné et famélique. Mais, de 1954 (début de la « reconstruction ») à 1963, on assiste à un nouveau départ et à
une expansion rapide de l’économie italienne, avec une période généralement qualifiée de « miraculeuse » entre 1959 et 1962.
D’abord l’aide américaine et la main-d’œuvre bon marché, ensuite la paix sociale13 et politique instaurée (provisoirement) par le
gouvernement de centre gauche, ont permis une augmentation considérable du produit intérieur brut et de la production
industrielle. Cette période dite du « boom économique » s’est traduite, dans le domaine cinématographique, par l’abandon des
graves thèmes sociaux néo-réalistes, en faveur d’une inspiration plus légère, renaissance et exutoire conformes aux goûts et aux
préoccupations du public de l’époque. Les Italiens du « miracle », en somme, désiraient un cinéma qui fût le miroir fidèle et
jouissif de leurs nouvelles conditions de vie.
9 Telle est bien l’optique envisagée et retenue par les scénaristes du Fanfaron, Ettore Scola et Ruggero Maccari, comme eut
l’occasion de le préciser Scola : « L’optique avec laquelle nous avons observé la société du bien-être, dans Il sorpasso, faisait
partie de notre formation14 […] on “ inventait ” à partir de la réalité, des informations des quotidiens, de l’observation de ce qui
nous entourait […] toute chose détachée de la réalité était refusée […]. Il sorpasso est truffé d’observations sur la réalité et nous
avons construit le personnage en étant attentifs aux histoires courantes, aux nouvelles fraîches… »15.
10 Les années du « miracle » entraînèrent une ascension décisive dans l’évolution du mode de vie des Italiens qui y découvrirent
simultanément le bien-être et les loisirs. Ces changements qui concernaient, entre autres, le pouvoir d’achat, le confort et
l’agrément, firent passer le pays, en l’espace d’une décennie, du statut de nation indigente à celui de société de consommation.

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L’historienne Catherine Brice explique comment « Sollicitées par une publicité jusqu’alors inconnue, les familles italiennes
commencèrent à se muer en consommatrices : en 1958, 12% des familles possédaient un téléviseur, elles sont 49% en 1965. Sur
la même période, les possesseurs de réfrigérateurs passèrent de 13% à 55%. Quant aux automobiles privées, elles augmentèrent
de 342 000 à 4 670 000… »16. Il sorpasso offre une vision concrète et assez précise de cette transformation aux premières
lueurs des années 60.
11 La grande révolution de ces années-là fut, pour de nombreuses familles, la possibilité d’acquérir une voiture. Cela modifia
considérablement les perspectives de sorties dominicales, avec l’accès à une totale liberté de déplacement. En tête des ventes et
du succès populaire, on trouve la Fiat 600 dont les innombrables exemplaires constellent la route suivie par Bruno et Roberto
dans la première moitié du film17. Avec une voiture, on pouvait aisément s’éloigner de chez soi pour Ferragosto18 et, comme on
le voit dans une séquence, ceux qui n’en possédaient pas s’ingéniaient quand même à faire tenir toute la famille sur un moyen de
transport plus modeste, comme le side-car. Lors d’un dépassement, Bruno, en verve et grisé par la supériorité sociale écrasante
de sa Lancia Aurelia Sport supercompressa19, ne se prive pas de souligner ironiquement le grotesque de cette situation :

Il nonno non è voluto veni’, l’avete lasciato a casa ? Le belle famiglie italiane !

Du reste, les passagers d’une Fiat 600 ne sont pas épargnés, non plus, par la superbe courroucée du maître de la route :

Guarda ‘sti cornuti se me danno strada. Ma ‘ndo vo’ anna’ co’ ‘sta Seicento ?

Seul Michelangelo Antonioni semble digne de « considération », non pas pour son œuvre de cinéaste mais parce qu’il roule en
Lancia Flaminia Zagato :

L’hai vista « L’eclisse » ? Io ci ho dormito, una bella pennichella. Bel regista Antonioni, c’ha una Flaminia Zagato. Una volta,
sulla fettuccia di Terracina, m’ha fatto allunga’ il collo.20

12 La mécanisation au service du bien-être favorisa aussi un autre secteur de la production industrielle : celui de
l’électroménager. Comme l’ont montré, plus haut, les chiffres avancés par Catherine Brice, réfrigérateurs et téléviseurs étaient
devenus le fer de lance économique du modernisme de grande diffusion à la portée des ménages italiens. Dans son essai, Oreste
De Fornari déclare : « Parmi les objets désirés de l’époque, choisis par Dino Risi, après l’automobile il y a le réfrigérateur qui fait
son apparition comme par erreur dans un cadre tragique. Ce sont les années où Zanussi, Ignis, Indesit devenaient des
entreprises leaders en Europe »21. En parlant d’un « cadre tragique », Oreste De Fornari ne fait pas une allusion implicite à la
fin du film, mais à un épisode précis que l’on peut situer toujours dans la première moitié du Fanfaron. Il s’agit d’un accident
survenu entre un camion transportant des réfrigérateurs, et une voiture. Le conducteur de la voiture a été tué. Bruno s’arrête,
obéissant, dans un premier temps, à un simple instinct voyeuriste. Il manifeste, à sa façon, une curiosité compatissante « de
circonstance » (« Guarda che frittata ! ») et, dans un second temps, se transforme en champion de l’opportunisme cynique,
déclarant au chauffeur du camion, effondré, son intention « d’acheter l’accident », c’est-à-dire de racheter le chargement
renversé de réfrigérateurs. Cette démarche est significative non seulement de l’état d’esprit du personnage, mais encore de
l’enjeu mercantile que représentait, pour l’époque, un stock de réfrigérateurs, même endommagés.
13 À des degrés d’utilité (et donc de production) divers, le film est jalonné d’autres objets qui apparaissent comme autant de
manifestations d’un modernisme croissant. Il y a, par exemple, le mange-disque dont est équipée la spider de Bruno et sur

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lequel Roberto et lui écoutent un air à la mode depuis le festival de San Remo de 1958 : L’uomo in frac, de Domenico
Modugno22. C’est l’occasion, pour Bruno, de montrer sa connaissance des maux psychologiques dont souffre son époque et
d’évoquer Michelangelo Antonioni sous un jour un peu plus intellectuel (mais toujours ironique dans le propos de Risi) :

A me Modugno me piace sempre. Quest’ « Uomo in frac » me fa impazzi’… perché pare una cosa da niente e invece… oh, c’è
tutto : la solitudine, l’incomunicabilità… poi quell’altra cosa… quella che va di moda oggi… la… l’alienazione come nei film di
Antonioni, no ? 23

14 Lorsque Bruno et Roberto s’arrêtent sur une aire de service de la via Aurelia, on découvre que le bar de la station est pourvu
d’un distributeur automatique de cigarettes qui, d’ailleurs, fonctionne très mal et après lequel Bruno s’acharne en le qualifiant
de « voleur automatique » (jouant sur une homophonie suffixale, féminine en italien : « distributrice / fregatrice »). Dans le
même local, une balance pèse-personne (comble du luxe pour un bar routier) est assidûment interrogée par les consommateurs
de passage, dont l’inévitable Bruno.
15 Mais l’appareil omniprésent, et sans doute le meilleur symbole de l’euphorie générale du boom, c’est le juke-box.
Constamment en branle-bas dans les bars, les restaurants et sur les plages, il joue et rejoue inlassablement les chansons à
succès : Guarda come dondolo et Pinne, fucile ed occhiali, d’Edoardo Vianello ; Per un attimo, Saint-Tropez twist et Don’t Play
that Song, de Peppino Di Capri. Confrontant ce phénomène à l’ensemble de l’illustration musicale du film, Oreste De Fornari
dit : « Mais les chansons, surtout celles d’Edoardo Vianello et de Peppino Di Capri, dominent. Des chansons portemanteaux
pour y suspendre les souvenirs de l’été, des musiques provisoires pour des épopées saisonnières, des airs qui s’infiltrent dans
l’histoire par tous les côtés, des musiques, dans un certain sens, hebdomadaires, prélevées dans la chronique. Elles ne naissent
pas avec le film, elles ne se fondent pas mystérieusement avec les images, elles ne puisent pas aux sources magiques du
cinéma »24. Le cinéma italien de cette époque a néanmoins intégré le juke-box dans le répertoire de ses composantes
thématiques, comme un élément catalyseur des pulsions libératrices de la société du boom. Il l’a même fait figurer à l’affiche et
dans les titres de certaines productions comme : Juke-box urli d’amore, de Mauro Morassi et I ragazzi del juke-box, de Lucio
Fulci, qui sont deux films de 195925.
16 Aux progrès du confort et des diverses structures d’agrément correspond une nécessaire évolution des mentalités. Cela se
vérifie, certes, dans l’Italie bourgeoise, mais aussi dans les strates plus profondément pétries de traditions et de valeurs
archaïsantes, comme le milieu aristocratique (La dolce vita l’a montré avec une perspective décadente), et le monde rural que Il
sorpasso évoque à travers quelques instantanés pris au hasard de la route, et un développement plus étoffé, à l’occasion d’une
halte dans la famille de Roberto26.
17 Il s’agit, pour l’essentiel, d’une volonté d’affranchissement envers les contraintes ataviques transmises par la morale
traditionnelle et la religion chrétienne. Les deux domaines d’épanchement de cette mutation sont la mode et les comportements
sociaux. Ainsi, dans le film, on se rend compte qu’à la ville les femmes ont adopté le pantalon moulant et le short, et à la plage
elles s’affichent au regard des hommes dans des maillots de bain bikini, dont le procédé noir et blanc du film occulte la diversité
bariolée (sauf pour une jeune veuve qui porte, suprême élégance, un bikini noir en signe de deuil). En la matière, Oreste De
Fornari commente le passage des années 50 aux années 60 sur les écrans italiens du cinéma : « (…) à cette époque l’exhibition
de décolletés n’était certainement pas encouragée, au contraire il suffisait d’un bikini pour encourir une amende (tout le monde,
alors, était un peu bigot, même à gauche. À propos de Poveri ma belli27, le critique Aristarco déplora “ le passage du néo-
réalisme au néo-érotisme ”). Ensuite, avec le boom et le centre gauche, les mailles de la censure commencèrent à s’élargir, les

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dimensions des bikinis à rétrécir et arrivèrent les premiers topless, appartenant à des Polynésiennes, des mulâtres et assimilées
(on pouvait en déduire la mentalité colonialiste des censeurs) »28.
18 En même temps qu’elles allégeaient leur tenue vestimentaire, les femmes ont raccourci leurs cheveux ou les ont dénoués. Il
reste bien quelques réfractaires comme Lidia, la plus jeune tante de Roberto, qui vit à la campagne et garde ses cheveux noués
en chignon. Elle le fait moins par attachement aux traditions que par timidité et par crainte de franchir le pas. C’est Bruno qui
lui révèle, dans un miroir, la beauté encore épanouie de son visage, soulignée par la chute de ses cheveux de jais (mais dès que
les deux visiteurs quittent la ferme, elle recompose son chignon). Dans les champs, les jeunes paysannes sont vêtues à la
dernière mode, tendance sexy29, comme Bruno, en connaisseur, le fait remarquer à Roberto :

Oh, hai visto come si so’ scafate30 le donzellette : pantaloni Capri e reggiseno Scandal.

19 Les vêtements masculins ont aussi évolué et les hommes dans le vent, comme Bruno, portent un tee-shirt à même la peau. Il
s’étonne que Roberto en soit resté au stade du maillot de corps et lui signale qu’il fait figure d’arriéré :

Ah ah ah ! Vedi un po’, metti pure la canottiera, ammazza ! Proprio un selvaggio sei.

20 L’opposition de ces deux conceptions, Bruno tenant du modernisme et Roberto prisonnier du conformisme, est récurrente
dans le dialogue, par exemple quand ils envisagent une liaison entre Roberto et sa voisine Valeria :

Roberto : Come faccio a impegnarmi con una ragazza ? Io prima mi devo laureare, poi trovare una sistemazione, poi…
Bruno : Ma che c’entra ? Intanto ci esci, vi conoscete, andate a letto insieme, può darsi pure che dopo un mese vi siete bell’e
rotti tutti e due. E che c’è bisogno di impegnarsi con una donna ? Ma quale impegno ? Mica stiamo nel Medioevo.

Ou encore, lorsque Bruno reproche à Roberto ses études de procédure civile, peu adaptées au progrès et au futur :

Bruno : Io capirei… non so, studiare diritto spaziale.


Roberto : Diritto spaziale ?
Bruno : Certo : due astronavi si scontrano, chi è che paga, no ? Oppure : i terreni sulla luna si possono lottizzare ? Hai capito ?

21 L’évolution des mentalités, des idées, des habitudes vestimentaires, la libération des corps, tout cela est accompagné, dans le
film, par l’apparition de nouveaux rythmes et de danses convulsives comme le twist, véritable hymne du Fanfaron (on s’y
adonne au night-club, sur la plage, mais aussi dans un bal champêtre). La progression de ces rites profanes et jubilatoires
contribue à l’effritement des tabous, en même temps que diminue le carcan religieux qui, jusque-là, entravait les Italiens dans
leur quête du plaisir. Cette distance qui s’instaure vis-à-vis de l’Église est perceptible à deux reprises au cours des trente-cinq
premières minutes du film. D’abord, lorsque des prêtres, victimes d’une crevaison, arrêtent Bruno pour lui demander, en latin,
un cric : « Elevator nobis necesse est ». Celui-ci leur répond, railleur : « Non habemus cric, desolatus » et ajoute, pour Roberto :
« Mannaggia, ci siamo persi le donne mò ! Amen ». Sa seule préoccupation est alors de suivre deux jeunes Allemandes,
promesses de bonnes fortunes, roulant comme eux, à grande vitesse et en décapotable. Ensuite, au cours d’une scène qui se
déroule au restaurant, à Civitavecchia, et qui oppose à nouveau Bruno et Roberto. Tandis que Roberto fait preuve d’un intérêt
poli à l’égard de deux religieuses quêteuses, et leur donne un peu d’argent, Bruno adopte une attitude désinvolte, à la limite du
sous-entendu galant, et semble mettre en doute l’existence de leur ordre. Quelques secondes plus tôt, un homme nettement plus

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âgé que Bruno leur avait aussi refusé l’aumône, contre l’avis de sa propre femme, se déclarant hostile à ce genre de pratique. Par
un jeu de mots facile, on pourrait en conclure que prêtres et religieuses sont des exclus du « miracle »31.
22 La seconde moitié du film voit apparaître trois nouveaux personnages que l’on peut considérer comme les représentants de la
réussite sociale et professionnelle32. Il s’agit de la femme de Bruno, dont il vit séparé depuis des années33, de leur fille
adolescente et du fiancé de cette dernière, un homme de… soixante ans. Au total, une famille éclatée où règne un esprit moderne
d’indépendance peu conforme à l’image traditionnelle du noyau familial italien. Le propos est évidemment satirique et brosse,
sous le couvert de la caricature, le tableau précurseur et audacieux de l’évolution des mœurs. Catherine Spaak, qui interprétait
alors le rôle de Lilli, la fille de Bruno, rétablit, avec le recul des années, la juste mesure des usages de l’époque : « J’avais seize ou
dix-sept ans, j’arrivais de France, j’étais déconcertée par les mœurs italiennes… Il ne faut pas oublier qu’à l’époque s’appliquait
l’autorité parentale34, les femmes étaient jetées en prison pour adultère, il était hors de question que les jeunes filles partent
vivre seules, la majorité était fixée à vingt et un ans, le divorce n’existait pas, l’avortement non plus35 : Mina36 a été bannie de la
R.A.I. car avoir un enfant et ne pas dire qui en était le père faisait scandale »37. L’émancipation de la femme par le travail et par
le choix de son mode de vie est un aspect majeur du portrait de l’Italie proposé par le film. Nous l’avons gardé pour la fin, dulcis
in fundo, pas seulement pour respecter la chronologie du scénario, mais aussi parce que le film y consacre pratiquement toute
sa deuxième moitié, comme un long regard conclusif porté sur les changements advenus dans la société italienne du début des
années 60. L’action subit une inflexion tonale graduelle et, si l’humour en est toujours le maître, il recèle intrinsèquement et à
plusieurs titres les indices d’un déclin : il souligne l’agitation illusoire des personnages, met à nu leurs échecs familiaux ou
existentiels, conduit progressivement et sournoisement les deux protagonistes, comme le spectateur, vers le revirement tragique
final.
23 L’épouse de Bruno se prénomme Gianna. Belle, la quarantaine, c’est une femme indépendante et résolue. Elle travaille à Pise,
dans une agence de publicité et possède une villa à Castiglioncello, sur la riviera toscane, où elle passe ses vacances en
compagnie de sa fille. Elle ne se fait aucune illusion sur l’évolution de Bruno, n’a nullement envie de recommencer à vivre avec
lui et il n’y a pas d’autre homme dans sa vie (« Sto bene così, non ho bisogno di nessuno »). Elle explique ainsi à Roberto les
sentiments qu’il lui reste à l’égard de son mari :

Non tornerei con Bruno neppure morta. Sento per lui quello che sentirebbe una madre per un figlio un po’… be’, diciamo
sfortunato.

24 Extrêmement permissive avec sa fille, elle la laisse fumer, rentrer à deux heures du matin et ne voit pas d’inconvénient à ce
qu’elle épouse un homme qui pourrait être son grand-père. Lorsque Bruno s’en indigne (avec une sincérité qui est peut-être de
pur principe)38, elle lui répond d’un jugement sans appel qui condamne implicitement la faillite de leur propre union :

Dico che è meglio sposare un uomo di ottant’anni che uno di venti. Io vado a letto, buona notte !

25 Gianna vit l’euphorie du « miracle » avec la distance d’une simple observatrice. Elle n’atteint pas à la plénitude par sa réussite
professionnelle et subit la contrepartie de l’échec familial. D’un abord sévère et froid, voire marmoréen avec Bruno, c’est une
femme profondément triste. Elle appartient à une fraction privilégiée de la société, qui « surfe » sur l’onde du boom, mais elle
ne parvient pas à se couler en lui39.
26 Il en va tout autrement de Lilli et de son sémillant fiancé, Bibì, qui sont pleinement absorbés par la vague euphorique du
« miracle » et entendent bien en profiter. Lilli, solidement campée sur ses quinze ans, agit en femme mûre, responsable,
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déterminée et bardée de projets tout à fait sérieux. Cela situe la jeune fille à l’opposé de son père (qu’elle appelle par son
prénom), superficiel et instable. Du reste, lorsque Lilli lui décrit la personnalité de Bibì, elle fustige, en sous-entendu, cette
différence :

È un uomo molto in gamba, di quelli che hanno sgobbato, di quelli che si sono fatti una posizione solida e hanno tutte le carte
in regola per far felice una donna.

27 Le conflit des générations entre la fille et le père trouve un contrepoint ironique dans la parfaite entente des deux amants,
malgré les nombreuses années qui les séparent. Lilli ne veut pas d’un mariage d’amour raté comme celui de son père, et elle le
lui dit d’une manière à peine détournée :

E poi oggi il mondo è pieno di matrimoni d’amore falliti. Gli esempi non mancano.

Elle le met au pied du mur, sans attendre de réponse :

Comunque, se ci vorrai onorare con la tua presenza, ci sposiamo a Natale.

De même, lorsqu’elle lui fait part de son « rêve américain », nous sommes loin de l’aventure stéréotypée de l’émigrant italien. Il
s’agit d’un séjour aux États-Unis ponctuel et programmé, qui doit être suivi d’un retour en Italie avec, à la clef, la double
obtention d’un emploi enviable et d’un statut social privilégié :

A gennaio Bibì va in America per lavoro e mi porterà con sé. Mi iscrive all’università di Harvard, mi fa fare un corso di public
relations e poi m’impiega nella sua industria come direttrice del reparto « Ricerche chimiche ».

28 On peut donc légitimement reconnaître en Lilli l’incarnation, certes excessive et caricaturale, de l’adolescente (voire de la
femme) italienne en quête d’émancipation, dans une époque de transformations sociales et économiques où tout paraît possible
et facile. Mais, derrière cette carapace de certitudes et de résolutions, se cache aussi un être fragile qui se dévoile à Bruno, sur la
plage, à la faveur d’un aparté affectueusement filial :

Io ti sembro sicura ? No, ti sbagli, in questo non ho preso proprio da te : la mamma dice che tu sei nato vincitore. Io, invece,
certe volte ho la sensazione di andare avanti al buio, sottobraccio a… a uno senza braccia, capisci ? Per questo vorrei avere una
vita sicura.

29 Cette sécurité a les traits d’un fiancé sexagénaire et la fortune d’un industriel milanais : Danilo Morelli, dit Bibì. Sa Jaguar et
son yacht sont les signes extérieurs de sa réussite professionnelle et de son rang social40. Avec l’insouciance que lui procure la
richesse, il se distrait en couvrant de longues distances à grande vitesse, sur terre comme sur mer, sans autre nécessité que
celles d’aller se promener ou de déjeuner ailleurs41. On pourrait s’attendre à un affrontement entre Bibì et Bruno à propos de
Lilli et d’une différence d’âge pour le moins voyante. Or, s’il y a bien un affrontement, c’est dans un autre cadre qu’il se produit :
l’opposition entre Milanais et Romains ou, sur un plan plus général, entre Italiens du Nord et Italiens du Sud. C’est Bibì qui
remporte cette bataille :

Io a Roma ci vado sempre malvolentieri. È triste, umida e antilavorativa. Scusino, eh, ma io la penso così : si può andare in
qualunque città e ognuno resta quello che è : il genovese un genovese e il fiorentino un fiorentino. A Roma, invece, dopo tre

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giorni si diventa tutti romani.

30 Bibì exprime le mépris du Milanais laborieux et productif pour le Romain qui, comme Bruno, vit d’expédients et aux crochets
d’autrui42. Pour l’industriel septentrional, le simple fait d’être romain est une maladie contagieuse qui se contracte rapidement
et engendre l’oisiveté43. Bruno prend sa revanche sur un terrain où il est plus à l’aise : le tennis de table, qui lui permet, au
passage, de soutirer 50 000 lires à son futur gendre, de rembourser l’argent qu’il doit à Roberto et de reconquérir l’admiration
de sa fille.
31 Mais au total, si une union semble possible entre Lilli et Bibì, c’est au prix d’un choix et d’un renoncement. Le choix est
d’ordre économique et nous le connaissons déjà, le renoncement est d’ordre sentimental et il est exprimé, en des circonstances
différentes, par les deux personnages au même interlocuteur : Bruno. Voici d’abord la nature des sentiments de Lilli pour son
fiancé :

Lo stimo moltissimo e preferisco lui a tutti i ragazzi della mia età.

Puis, le point de vue lucide et les « attentes » de Bibì à l’égard de Lilli :

A me Lilli piace. Naturalmente non pretendo che sia innamorata di me, ma è una ragazza con la testa sul collo e sa che con me
non le mancherà mai niente.

32 Implicite dans le premier cas, explicite dans le second, l’aisance matérielle est envisagée au détriment de tout sentiment
amoureux44. Elle fait de ces personnages des êtres déshumanisés, des marionnettes. Le scénario les frappe au coin du
bozzettismo45 et il deviennent des automates bourgeois dont le mécanisme est programmé en vue de satisfaire un « fanatisme
productif rapace »46, garant de l’opulence et du bien-être. Conditionnés pour entretenir le mythe fallacieux du luxe et de la
facilité, ils apparaissent comme des produits du « miracle » destinés à œuvrer pour le « miracle ». Leur quête n’est pas celle du
bonheur, mais celle de la sécurité face à « l’incertitude d’une société qui pratique la fuite en avant et qui ne peut s’arrêter un seul
instant par peur de contempler le caractère artificiel de son bien-être, par peur de découvrir le néant qui se cache derrière les
apparences »47.
33 La fuite en avant, observée in vivo par Dino Risi et ses scénaristes, est bien le fil conducteur du Sorpasso48. Sur ce plan, le
personnage le plus représentatif est sans aucun doute l’infatigable et turbulent Bruno. Sa fuite permanente revêt de multiples
facettes : exubérance, vitesse, séduction, simulation, dérision, opportunisme. Jouant alternativement sur chacun de ces
registres, il vit le miracle économique au-dessus de ses moyens, pas seulement matériels, d’ailleurs49. Même sa voiture ne fait
pas illusion50. S’il a une grande faculté d’adaptation par son audace, ses pirouettes et son indéfectible sens de la répartie, ce
« vainqueur » éphémère est néanmoins voué à un échec total et rédhibitoire51. C’est l’orientation finale qu’adopte le film, à
partir du moment où les deux protagonistes, devenus amis et complices, reprennent la route. Nous sommes dans les cinq
dernières minutes, ce qui semble être un nouveau départ va bientôt devenir une fin terrible. L’heure est au bilan : l’arrêt
prolongé à Castiglioncello a confronté Bruno à une série d’épreuves et de défis dont il est sorti perdant, aussi bien dans son rôle
de mari que dans son rôle de père. Quelques fanfaronnades sur la plage lui ont tout au plus permis de donner le change et de
masquer ses échecs familiaux par des prestations sportives à son avantage (acrobaties, natation, ski nautique, ping-pong). Mais
sa véritable victoire est ailleurs et elle est double : d’une part il a gagné la confiance et l’amitié de Roberto, d’autre part il a eu
raison des inhibitions du jeune homme et l’a métamorphosé à sa propre image.

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34 Roberto a d’abord été emporté dans un tourbillon de propositions récréatives (en réalité des décisions déjà prises par Bruno)
qui l’ont éloigné, malgré lui, de Rome et de ses études. Puis, progressivement, de docile et influençable, il est devenu confiant,
curieux et dubitatif quant au bien-fondé de son propre mode de vie. Le changement s’est très nettement amorcé au cours de la
halte à la ferme familiale, près de Grosseto, quand quelques minutes ont suffi à Bruno pour faire découvrir à son naïf
compagnon des vérités cachées sur sa famille, qu’en vingt ans il n’avait jamais soupçonnées. Dans le dialogue, en voix off,
Roberto ponctue son évolution de réflexions intimes (dont l’emblématique : « E se fossevero che sto sbagliando tutto… »), qui
sont autant de didascalies à l’usage du spectateur. Plus tard, à Castiglioncello, il ose adresser la parole à une jeune Turinoise qui
ressemble à Valeria, se jette dans une bagarre pour défendre Bruno, s’énivre, fait un compliment équivoque à Gianna52 et, pour
finir, téléphone à Valeria (qu’il ne parvient pas à joindre). Au terme de cette étape géographique et, plus encore, psychologique,
il n’a plus envie de rentrer à Rome, il veut, au contraire, continuer jusqu’à Viareggio pour rejoindre la jeune fille, qui y passe ses
vacances. Sur la route, sa métamorphose est achevée, il se comporte comme Bruno : l’élève a rattrapé le maître. Roberto
n’apparaît plus comme un pâle faire-valoir de Bruno, il est désormais son égal. Grisé par la vitesse, insouciant, refusant tout
programme, il rit, hurle, gesticule et apostrophe les gens. Il avoue à Bruno qu’il vient de passer avec lui les deux plus beaux jours
de sa vie et l’incite à entreprendre des dépassements hasardeux. Sur le visage de Bruno, cependant, le rire se transforme peu à
peu en rictus, c’est le rire forcé de quelqu’un qui ne maîtrise plus la situation, est conscient des risques, mais ne veut pas
renoncer, confiant son sort et celui de son ami à une pendeloque porte-bonheur, en forme de corne, suspendue au tableau de
bord. La vitesse excessive, un virage de trop et un camion arrivant en face lui font perdre le contrôle de son véhicule. La voiture
bascule dans le vide et le film dans la tragédie. Bruno est éjecté mais se relève indemne, tandis que Roberto meurt au pied des
rochers de Calafuria53. Pour les deux hommes c’est la fin du « miracle » et de la fuite en avant, au simple titre de victime pour
Roberto54, au double titre de victime et de bourreau involontaire pour Bruno55.
35 En raison de la stricte économie du dialogue (plus de digressions, plus de commentaires sur les « clichés » de l’Italie du
boom) et du recentrage de l’action sur la vitesse et les prouesses aléatoires de Bruno au volant, l’épilogue possède un niveau
élevé de concentration dramatique qui devrait préparer le spectateur à l’issue fatale. Mais tout va si vite qu’en réalité la
consternation ne succède pas au rire, elle l’étrangle. Le choix de cette fin particulièrement tragique a dérouté plus d’un critique,
surtout à l’époque où le film est sorti. C’est le cas de Giulio Cattivelli, qui écrivait alors dans Cinema Nuovo : « La fin,
inopinément tragique, représente un dernier facteur de déséquilibre : ayant vaincu sa timidité et étant résolu à imiter
l’assurance de son ami, Roberto encourage Bruno à accomplir un dépassement dangereux et il perd la vie dans l’accident.
Morale cohérente avec l’amertume sous-jacente du film (Roberto est la victime innocente d’une émulation erronée et il complète
l’image négative de Bruno), cet épilogue fait cependant l’effet d’un brusque coup de massue sur le spectateur pris au dépourvu et
détourné du ton trop hilare du reste de l’œuvre »56. Pourtant, rétrospectivement, on se rend compte que la mort était déjà
présente dans le film et pouvait avoir valeur de mise en garde : Bruno et Roberto l’ont croisée une première fois dans un
cimetière où ils avaient suivi les deux touristes allemandes, et une seconde fois dans l’accident du camion transportant des
réfrigérateurs. Du reste, les courses folles et les nombreux dépassements, à grand renfort de coups de klaxon, qui donnent le ton
de toute la première moitié du film, peuvent aussi être interprétés a posteriori comme autant de signes prémonitoires. Même si
la mort n’est pas omniprésente dans le récit (contrairement à ce que d’autres critiques ont déclaré, allant jusqu’à faire d’elle le
troisième protagoniste)57, ses apparitions sporadiques et voilées apportent, si besoin est, une justification à la disparition du
jeune héros, innocent de surcroît58. C’est pourquoi le mot « déséquilibre », employé par Giulio Cattivelli, ne nous semble rendre
compte ni du propos narratif ni de la démarche structurelle du Sorpasso, et nous préférerons parler d’ « oscillation ». S’en tenir

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à un constat de déséquilibre, en effet, reviendrait à entacher le film d’une faiblesse d’inspiration et d’une disparité dans la mise
en scène, qui lui sont étrangères. La mort de Roberto s’inscrit dans une phase oscillatoire qui fait très nettement pencher
l’action du côté de la tragédie, mais ne remet pas pour autant en question l’équilibre de l’ensemble. Ce qui fait la force du
Sorpasso, au contraire, c’est sa composition générale unitaire parfaitement maîtrisée par le réalisateur qui réussit à imprimer
au film une oscillation constante entre des forces apparemment inconciliables : l’invention et la vérité, la caricature et le
réalisme, l’exubérance et la timidité, la dureté et la tendresse, l’Italie euphorique et l’Italie suicidaire, l’aveuglement et la prise de
conscience, la comédie et le drame, la vie et la mort. Chacun est alors libre d’interpréter le film et sa fin abrupte comme il
l’entend (après tout 1962 est aussi l’année où Umberto Eco publie Opera aperta)59, à l’instar du débat contradictoire qui a
mobilisé la critique à la sortie du film60.
36 On retrouve, enfin, cette hésitation dichotomique, selon d’autres modalités expressives, dans la confrontation des deux
affiches italiennes du Sorpasso : l’une, dessinée par Marcello Colizzi, montre le visage de Bruno hilare et sûr de lui, superposé à
un panneau d’interdiction de doubler, avec, à l’arrière-plan, Lilli en maillot de bain, regardant vers le public ; l’autre, signée par
l’affichiste Maro (pseudonyme pour Mauro Innocenti), opte pour le visage grimaçant d’anxiété de Bruno au volant, seul dans sa
voiture, avec à nouveau une femme en bikini à l’arrière-plan, mais vue de dos61. La première affiche présente un héros
triomphant qui éprouve un plaisir jubilatoire à braver les interdits (incluant de probables connotations incestueuses)62, et vit
pleinement l’euphorie du moment. La seconde, en revanche, suggère l’éloignement par le dos tourné et par la voiture fonçant
dans la direction opposée, mais aussi le retour à la réalité et la conscience du danger, par le visage contracté de Bruno, celui que
nous lui connaissons dans les dernières minutes du film. Or, c’est bien dans l’espace compris entre ces deux conditions, la
participation et l’exclusion, l’euphorie et l’illusion, que s’agite vainement la société du miracle économique, et c’est entre le rire
et le rictus que trouve son style cinématographique Il sorpasso, parangon et paradigme63 de la comédie à l’italienne.

Allegato
FICHE TECHNIQUE
IL SORPASSO /LE FANFARON
Année……………………. 1962
Réalisation………………. Dino Risi
Scénario…………………. Dino Risi, Ettore Scola, Ruggero Maccari
Dialogues……………….. Ettore Scola, Ruggero Maccari
Photographie……………. Alfio Contini
Musique…………………. Riz Ortolani
Montage…………………. Maurizio Lucidi
Producteur………………. Mario Cecchi Gori
Production………………. Fair Film / Incei Film / Sancro Film
Directeur de production… Pio Angeletti
Distribution Italie……….. Incei Film
Distribution France……... Dicifrance
Durée……………………. 1h40
Interprétation :
Vittorio Gassman : Bruno Cortona
Jean-Louis Trintignant : Roberto Mariani
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Catherine Spaak : Lilli
Claudio Gora : Bibì
Luciana Angiolillo : Gianna
Linda Sini : la tante Lidia
John Francis Lane : le cousin Alfredo
Mila Stanic : la jeune Turinoise
Luigi Zerbinati : le « Commendatore »
Annette Stroyberg, Margaretha Robsam : les Allemandes

Note
1 Odette et Georges Ulysse, Questa è l'Italia - Troisième année d'italien, Paris, Hachette, 1979.
2 Les deux volumes suivants s'intitulent : Scopriamo l'Italia, Paris, Hachette, 1980et Italia viva, Paris, Hachette, 1982.
3 O. et G. Ulysse, op. cit., p. 152.
4 Italo Calvino, Marcovaldoovvero le stagioni in città, Torino, Einaudi, 1966.
5 Il s’agit de la scène du bain de Sylvia (Anita Ekberg), une diva du cinéma, dans la Fontaine de Trevi.
6 Oreste De Fornari, I filobus sono pieni di gente onesta, Roma, Edizioni Carte Segrete, 1992, p. 22.
7 Sauf dans une séquence où, à la suite d’une bagarre, Roberto a bu et arrive complètement ivre chez la femme de Bruno. Plus tard, Bruno
interroge Roberto et le décrit ainsi : « Oh, tu sei un tipo strano, sai ? Non fumi, non bevi, se bevi t’imbriachi subito… non sai nemmeno guidare
la macchina… ma come campi, eh ? Che te godi tu della vita ? ».
8 Goffredo Fofi, La comédie du miracle, in « Positif », n° 60, avril-mai 1964, p. 21.
9 Des spécialistes américains du genre se sont exprimés sur ce sujet : le metteur en scène, Dennis Hopper, a ainsi déclaré que Il sorpasso est
le modèle dont il s’est inspiré pour son film Easy Rider ; Martin Scorsese, de son côté, considère Il sorpasso comme le premier véritable
road movie. Les références critiques à cette double reconnaissance américaine ne manquent pas. On pourra consulter, par exemple, Paolo
D’Agostini, Dino Risi, Milano, Il Castoro, Cinema, 1995, p. 59.
10 Cela représente une distance d’environ 300 km.
11 Valerio Caprara, Dino Risi maestro per caso, Roma, Gremese, 1993, p. 39.
12 Franca Faldini e Goffredo Fofi (a cura di), L’avventurosa storia del cinema italiano raccontata dai suoi protagonisti, 1960-1969, Milano,
Feltrinelli, 1981, p. 123.
13 FIAT jouant alors, en Italie, le rôle de thermomètre de l’agitation sociale, il faut savoir que l’entreprise n’a connu aucune grève entre 1954
et 1962 (cf. Catherine Brice, Histoire de l’Italie, Paris, Hatier, 1992, p. 443).
14 Ettore scola et Ruggero Maccari ont été formés à l’école du journal satirique « Marc’Aurelio », comme la plupart des grands scénaristes du
cinéma de l’après-guerre (cf. Laurence Schifano, Le cinéma italien 1945-1995, crise et création, Paris, Nathan, 1995, pp. 7-8).
15 F. Faldini e G. Fofi, op. cit., pp. 122-123.
16 C. Brice, op. cit., p. 444.
17 Selon Enrico Giacovelli (La commedia all’italiana, Roma, Gremese, 1995, p. 150), la Seicento « se situe au plus bas degré de l’échelle
sociale, guère plus haut que l’insoutenable humiliation de la bicyclette ou de la marche à pied : elle est la base de tout, le point d’arrivée (pour
ceux qui n’en ont pas) et le point de départ (pour ceux qui en ont une), qu’il faut accepter sans rien dire, comme son premier salaire. Durant
toutes les années 60, l’ascension des petits et des grands arrivistes commence véritablement par : “ Je me suis acheté une Fiat 600 ”… ». Nous

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ajouterons que pour Alfredo, le cousin de Roberto, qui fait une brève apparition dans l’épisode familial à Grosseto, la « réussite » se
matérialise par l’acquisition d’une Fiat 1500.
18 Le film en fait une règle : lorsque Bruno et Roberto suivent un camion dont la bâche relevée laisse voir un salon reconstitué et un homme
assis dans un fauteuil, en train de manger un sandwich, Bruno lui lance, à la fois étonné et ironique : « Ma che, rimani a pranzo a casa pure a
Ferragosto ? »
19 À propos de l’Aurelia Sport, Enrico Giacovelli (op. cit., p. 151) explique : « Immortalisée par Il Sorpasso, elle fut la voiture de luxe par
antonomase au cours des années 50 (La provinciale, Guendalina), mais au début de la nouvelle décennie, elle est plutôt mal en point : un
signe extérieur de richesse un peu décrépit, entre les mains d’hommes qui, au fond, sont restés des adolescents, ou qui veulent jouer les
jeunots tout en frisant la cinquantaine ».
20 À cette époque, les relations entre Risi et Antonioni s’inscrivaient dans une parenthèse de guerre froide. On ne s’étonnera donc pas de voir
le réalisateur de L’Eclipse quelque peu malmené dans le dialogue du Sorpasso. Ce jugement de Risi est d’ailleurs explicite : « Antonioni ne fait
pas partie des réalisateurs que j’aime. Au contraire, je crois qu’il a fait du mal à beaucoup de jeunes cinéastes : ils ont cru que l’on pouvait faire
du cinéma en photographiant un réverbère ou le mur d’une maison ».
21 O. De Fornari, op. cit., p. 14.
22 Il s’agit d’une chanson mélancolique mais ambiguë, triste sous une apparence légère, dont le thème est le suivant : dans une ville traversée
par un fleuve, à une époque qui peut être le XIXe siècle ou le début du XXe, entre minuit et l’aurore, un homme en frac marche lentement et
solitaire. Anonyme, très élégant et apparemment serein, il se dirige vers le fleuve où il se suicide, avec l’aube pour seul témoin. Les derniers
vers de la chanson permettent de comprendre que la raison du suicide est d’ordre sentimental.
23 Dans la chronologie du dialogue, cette réplique précède celle consacrée à la voiture d’Antonioni.
24 O. De Fornari, op. cit., p. 59.
25 Concernant Il Sorpasso, on retiendra encore ce qu’écrit Gianni Borgna (cf. Valerio Caprara [a cura di], Mordi e fuggi, la commedia
secondo Dino Risi, Venezia, Marsilio, 1993, p. 60), qui contredit partiellement Oreste De Fornari : « Dans Il Sorpasso […] c’est encore avec la
“ chansonnette ” que Risi obtient les meilleurs résultats. Prenons, par exemple, la séquence de l’établissement balnéaire où un groupe de
jeunes danse tandis que le juke-box répand les notes de Don’t Play that Song. Dans ce cas, le morceau de Ben E. King (ici dans la version
italienne de Peppino Di Capri) n’est plus seulement un commentaire sonore, il ne fait qu’un avec l’image. Les premiers plans des jeunes gens
vaguement hagards, découpés dans un noir et blanc limpide et en même temps spectral, et cette musique si rageuse et plaintive, brisent
soudain le climat de comédie du film et laissent présager le tragique final ».
26 Épisode encore situé dans la première moitié du film.
27 Pauvres mais beaux, comédie de Dino Risi, 1956.
28 O. De Fornari, op. cit., p. 56. Le postulat sur lequel se fonde le commentaire d’Oreste De Fornari est un slogan en vigueur en Italie dans les
années 50 et dont l’origine est peut-être d’ordre journalistique ou imputable à Giulio Andreotti, alors jeune ministre, qui détestait le néo-
réalisme : « Meno tetti e più tette » (moins de toits et plus de seins). Il s’agit de l’expression simpliste d’une volonté de voir le cinéma italien
évoluer vers des registres d’évasion (ici, symboliquement, l’image de la femme dénudée), au lieu de s’enfermer dans l’engagement social néo-
réaliste avec des films comme, précisément, Il tetto, de Vittorio De Sica (1956), qui narre les vicissitudes de deux jeunes mariés privés d’un
toit. Lorsqu’il évoque l’exotisme des poitrines nues de femmes d’outre-mer, De Fornari fait probablement allusion aux documentaires
érotiques (faussement ethnographiques) dont la vague s’est abattue sur l’Italie entre 1959 et 1964, mais peut-être aussi à des films de fiction
comme Odissea nuda, de Franco Rossi, en 1961.
29 En 1962, le style sexy envahit les défilés de mode du Palais Pitti, à Florence, avec de larges décolletés qui font grincer des dents les
conformistes et « bien-pensants ».
30 Scafate : dégrossies, dégourdies, délurées.
31 À bien y regarder et écouter, on se rend compte que, d’une certaine manière, ces représentants de l’Église participent au climat de l’époque.
Les quatre prêtres, en effet, se déplacent en voiture (non identifiable, mais en tout cas d’un gabarit largement supérieur à celui d’une Fiat
600). Quant aux deux sœurs de charité, elles accompagnent leur quête d’un air de mandoline qui n’a rien de sacré : il s’agit de Quando,
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quando, quando, une chanson d’amour à la mode, déjà entendue dans le film, sur le juke-box de la station-service. Dans une optique plus
générale, historique et non anecdotique, la contribution majeure de l’Église au climat politique du « miracle » est sans doute l’élection,
en 1958, d’un pontife à l’esprit d’ouverture : Jean XXIII, qui succède à Pie XII. En 1961, Jean XXIII condamne la politique inégalitaire de
droite menée par la Démocratie Chrétienne, et favorise l’ouverture à gauche, pour la création d’un gouvernement de centre gauche. Si cet
aggiornamento semble nécessaire, l’Église entend quand même freiner le déclin de la suprématie de la Démocratie Chrétienne, amorcé
en 1953. C’est pourquoi, dans un film de 1961, Divorce à l’italienne, de Pietro Germi, on voit un prêtre sicilien qui, se gardant bien de faire
ouvertement de la propagande, montre néanmoins le droit chemin des urnes à ses paroissiens, lors d’un sermon : « Je vous engage à donner
vos suffrages à un parti qui soit populaire, c’est-à-dire démocratique et donc respectueux de notre foi chrétienne. Un parti, en somme, qui soit
démocratique et chrétien ». On l’aura compris, les « voix » du Seigneur ne sont pas impénétrables.
32 Nous laissons de côté, dans la première moitié, le cousin Alfredo qui est une pure caricature d’arriviste rural, fasciste et prétentieux.
33 En réalité, sa femme l’a quitté car elle lui reprochait, entre autres, d’être plus amoureux de sa voiture que d’elle-même. Elle avait fait
parvenir à Bruno la somme de 600 000 lires pour obtenir de l’Église l’annulation de leur mariage, mais Bruno a préféré garder cet argent pour
lui. Vers 1960, le nombre de couples italiens en « situation irrégulière » est évalué à 600 000 [coïncidence numérique ?] (cf. Dominique
Schnapper, Sociologie de l’Italie, Paris, P.U.F., Que sais-je ?, 1974, p. 17).
34 La patria potestà : le droit, pour le père (ou, à défaut, la mère), de se faire obéir de ses enfants et d’administrer leurs biens.
35 En Italie, une première proposition pour instaurer le divorce est formulée précisément en 1962, mais il faut attendre 1970 pour une
légalisation partielle et 1974 pour une adoption complète par référendum. L’avortement est légalisé en 1978.
36 La chanteuse Mina, pseudonyme d’Anna Maria Mazzini (née à Crémone en 1940), qui a connu un important succès populaire entre la fin
des années 50 et le début des années 70. Dans le film, c’est la chanteuse préférée d’un vieux paysan auto-stoppeur que les protagonistes
laissent monter dans la spider.
37 O. De Fornari, op. cit., p. 35. Ajoutons qu’à la même époque, dans le milieu du cinéma, Claudia Cardinale a vécu une situation semblable à
celle de Mina et, refusant de révéler le nom du père de son enfant « illégitime », l’actrice a dû livrer une rude bataille pour sauver sa carrière.
38 C’est aussi l’avis de Paolo D’Agostini (op. cit., p. 58) : « Et devant le spectacle un peu sordide de sa fille âgée de 16 ans [15 ans ?] qui a un
amant chenu (un personnage classique pour Claudio Gora), il ne peut que feindre l’indignation – du haut de quelle chaire pourrait-il donner
des leçons de vie et de morale – et grogner, impuissant ».
39 Curieusement, la critique est muette en ce qui concerne le personnage de Gianna. C’est dommage car, d’une part sa forte personnalité et
son opposition à Bruno font d’elle un révélateur non négligeable de certaines faiblesses chez le héros dominateur et, d’autre part, son attitude
en retrait accentue les contours superficiels et illusoires de l’euphorie générale.
40 Pour Enrico Giacovelli (op. cit., pp. 151-152), posséder une Jaguar représente « L’apogée, le gotha, le paradis terrestre de tout arriviste
(mais une fois qu’il l’a atteint, l’arriviste se sent arrivé et, à vrai dire, même un peu fini). Celui qui y parvient a achevé son ascension sociale
(au-dessus il n’y a que la Jaguar de la mer : le yacht qui, cependant, est difficile à exposer). Et, en effet, il ne sait pas trop bien où aller… ».
41 La nuit où il fait la connaissance de Bruno, il a couvert, dans la soirée, la distance séparant Punta Ala de Forte dei Marmi, avec retour à
Castiglioncello, soit environ 250 km, laissant Lilli conduire à plus de 180 km/h. Le lendemain, sur son yacht, il décide d’aller manger des
« lasagne col pesto » à Portofino et, pour finir, met le cap sur l’Ile d’Elbe.
42 Depuis leur départ de Rome, Bruno ne vit qu’avec l’argent qu’il emprunte à Roberto régulièrement (cigarettes, essence, consommations),
mais qu’il lui remboursera avant de quitter Castiglioncello. Quant au métier de Bruno, il semble les exercer tous et n’en avoir aucun. Il faut se
contenter de cette explication : « Ho fatto una decina di mestieri : non so, domani vanno bene i mobili antichi e io mi metto a battere le
campagne e ti scopro la cassapanca del Settecento ; va forte la pittura e io ti aggancio Guttuso… ».
43 Cette opinion négative sur les Romains est partagée par un « Commendatore » de Varese avec qui Bruno a été en affaires, et qu’il
rencontre par hasard à l’entrée d’un night-club : « Con voialtri, romani, si può fare tutto meno che il piantare degli affari ! ».
44 Oreste De Fornari considère que « La fille (Catherine Spaak) s’est trouvé un substitut du père (Claudio Gora) », et que Claudio Gora « fait
des affaires avec l’Amérique et obtiendra sa récompense en épousant une nymphette » (op. cit., pp. 15 et 27).
45 Représentation schématique et caricaturale.
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46 V. Caprara, op. cit., p. 40.
47 Jean A. Gili, La comédie italienne, Paris, Henri Veyrier, 1983, p. 125.
48 Pour Valerio Caprara (op. cit., p. 39), « C’est parce qu’ils sont soumis à l’odieux chantage du cycle biologique, que les personnages de Risi
ont soif d’ “ ici et maintenant ”, qu’ils pénètrent sans délai dans l’esprit de l’époque, qu’ils cherchent avidement à atteindre l’orgasme de
l’instant qui fuit ».
49 Comme le montre la fin du film où il ne contrôle plus rien, au sens propre comme au sens figuré.
50 Voici ce qu’en pense Oreste De Fornari (op. cit., p. 11) : « La spider lui ressemble : avec sa portière en assez piteux état, peut-être achetée
d’occasion, rugissante et provisoire comme lui. Peut-être est-elle aussi un succédané de puissance sexuelle, un moyen de se sentir plus jeune et
de paraître plus riche ».
51 Parmi les nombreux portraits de Bruno que contiennent les pages de la critique, il en est peu qui prennent vraiment le temps d’observer le
personnage en soulevant son masque. Nous citerons ces quelques lignes écrites par Freddy Buache, qui possèdent la qualité rare de souligner,
chez Bruno, les faiblesses plus que la force, l’échec potentiel plus que l’image du vainqueur : « Ce débrouillard cynique sans le vouloir n’est pas
dupe de sa médiocrité ; mais il la masque aux yeux des autres en se fuyant dans l’exubérance. Ainsi il s’oublie, se donne des alibis en dégustant
quelques menus plaisirs au gré des rencontres et s’approprie illusoirement une importance sociale. C’est un produit actuellement courant
d’une société de consommation livrée à la vitesse, à la superficialité dans tous les domaines, à la paresse intellectuelle et spirituelle, aux
apparences représentatives : le seul déplacement dont il est encore capable s’effectue au volant » (cf. Freddy Buache, Le cinéma italien 1945-
1979, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1979, pp. 278-279).
52 Lorsque, sur la plage, Gianna lui demande s’il est sensible aux charmes d’une jeune femme qui promène son chien, sous prétexte qu’elle
plaît à tous les hommes, Roberto répond, en fixant Gianna avec un regard de conquérant : « Non è mica la sola ».
53 Oreste De Fornari fait observer que même « L’accident de voiture final reflète une donnée statistique (9 400 morts pour la seule année
1962) » (op. cit., p. 32).
54 Dans le projet initial du film, il était prévu que Roberto survive et que Bruno meure, morale sûrement jugée trop simpliste par la suite.
Selon Aldo Tassone, historien du cinéma, « Dans un premier temps, le metteur en scène avait pensé faire mourir Gassman, mais il était
normal que ce soit justement ce fanfaron, obnubilé par le mythe du “ dépassement ”, qui contemple du talus le fond du ravin où la voiture a
roulé » (cf. Aldo Tassone, Le cinéma italien parle, Paris, Édilig, 1982, p. 191).
55 Comparant le sort des deux protagonistes, Claudio Carabba écrit : « le saut de Trintignant est passif, peu conscient, attendu dans une large
mesure, mais en rien libérateur. Son destin n’en est pas moins préférable à celui de Gassman qui restera sur la route, inutilement vivant,
condamné à recommencer de futiles exercices de survie » (cf. V. Caprara [a cura di], op. cit., p. 77).
56 Giulio Cattivelli, « Cinema Nuovo », n° 161, février 1963.
57 Aldo Tassone est du nombre de ces critiques. Il nous semble, en revanche, que l’expression « troisième protagoniste » aurait été employée
à bon escient si elle avait désigné, par exemple, la voiture ou l’Italie du boom.
58 Lilli l’avait surnommé « le jeune Werther » : peut-être un autre signe prémonitoire, quand on connaît la fin tragique du héros romantique.
Oreste De Fornari propose une interprétation assez inattendue et optimiste de la mort de Roberto. Pour le critique, en effet, elle « est plus le
fait du hasard que celui de la morale, et il n’est pas exclu que dans l’ascenseur pour le paradis Trintignant se comporte comme ce personnage
de Lubitsch, qui, voyant passer une jeune fille, décide que le ciel peut attendre » (op. cit., p. 32). Le film d’Ernst Lubitsch est Heaven Can
Wait, U.S.A., 1943.
59 Le cinéma, d’ailleurs, y est représenté avec, entre autres, des allusions à L’avventura et à La notte, de Michelangelo Antonioni, dans le
cadre d’une réflexion sur les similitudes de certaines scènes de ces films avec les prises de vues en direct de la télévision (cf. Umberto Eco,
Opera aperta, Milano, Bompiani, 1962, 2a edizione nei « Tascabili Bompiani », 1976, pp. 200-209).
60 On pourra consulter, sur ce point, O. De Fornari, op. cit., pp. 40-41.
61 L’affiche de Marcello Colizzi est visible, en noir et blanc, dans : Aldo Viganò, Commedia italiana in cento film, Genova, Le Mani, 1995,
p. 93 ; en couleurs, sur une reproduction détachée, incluse dans : O. De Fornari, op. cit. (mais aussi en noir et blanc, ibidem, p. 98) ; en

https://journals.openedition.org/italies/2324?lang=it 15/17
03/07/2023 12:44 Il sorpasso de Dino Risi : entre rire et rictus, le double visage d'une Italie euphorique
couleurs, dans Il cinema, grande storia illustrata, Novara, Istituto Geografico De Agostini, 1982, vol. 6, p. 208. Quant à l’affiche de Maro, elle
est reproduite dans : Maurizio Baroni, Platea in piedi 1959-1968, Sasso Marconi, Bolelli, 1995, vol. 1, p. 75.
62 Le panneau d’interdiction couvre partiellement la jeune fille et semble faire allusion à une scène qui se déroule sur la plage où Bruno, ne
reconnaissant pas Lilli coiffée d’une perruque brune à la Cléopâtre, tente de séduire sa propre fille.
63 Il sorpasso est imité dès 1963 avec Il successo. Ce film, de qualité moindre et de faible notoriété, est signé par le metteur en scène Mauro
Morassi, mais il a été réalisé en grande partie par Dino Risi (non crédité au générique). On y retrouve le même producteur, les mêmes
scénaristes et acteurs principaux que dans Il sorpasso.

Per citare questo articolo


Notizia bibliogafica
José Pagliardini, «Il sorpasso de Dino Risi : entre rire et rictus, le double visage d'une Italie euphorique», Italies, 4 | 2000, 577-605.

Notizia bibliogafica digitale


José Pagliardini, «Il sorpasso de Dino Risi : entre rire et rictus, le double visage d'une Italie euphorique», Italies [Online], 4 | 2000, online dal
22 décembre 2009, consultato il 03 juillet 2023. URL: http://journals.openedition.org/italies/2324; DOI: https://doi.org/10.4000/italies.2324

Autore
José Pagliardini
Université de Provence

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03/07/2023 12:44 Il sorpasso de Dino Risi : entre rire et rictus, le double visage d'une Italie euphorique

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