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1/3 Eglogue V

Menalcas
ÉGLOGUE V.
Cur non, Mopse, boni quoniam conuenimus ambo MÉNALQUE, MOPSUS.
tu calamos inflare leuis, ego dicere uersus,
hic corylis mixtas inter consedimus ulmos?
MÉNALQUE.
Mopsus
Puisque nous voici réunis, cher Mopsus, habiles tous les deux,
Tu maior; tibi me est aequom parere, Menalca, toi, dans l’art d’enfler un léger chalumeau, moi, de chanter des
vers, pourquoi ne pas nous asseoir à l’ombre de ces ormes et
siue sub incertas Zephyris motantibus umbras, 5
siue antro potius succecimus. Aspice ut antrum de ces coudriers qui confondent leur feuillage ?
siluestris raris sparsit labrusca racemis.
MOPSUS.

Menalcas Plus jeune que toi, Ménalque, je te dois obéir. Reposons-


nous, si tu le veux, sous ces arbres, dont les zéphyrs agitent
Montibus in nostris solus tibi certat Amyntas. les ombrages mobiles, ou plutôt dans cette grotte ; vois comme
une vigne sauvage en tapisse l’entrée de ses grappes jetées
Mopsus çà et là !

MÉNALQUE.
Quid, si idem certet Phoebum superare canendo?
Seul, sur nos montagnes, Amyntas oserait te disputer le prix du
Menalcas chant.

MOPSUS.
Incipe, Mopse, prior, si quos aut Phyllidis ignis 10
aut Alconis habes laudes aut iurgia Codri; Eh ! à Phébus même ne le disputerait-il pas ?
incipe; pascentis seruabit Tityrus haedos.
MÉNALQUE.

Mopsus Commence, Mopsus ; dis, si tu te les rappelles, ou les amours


de Phyllis, ou les louanges d’Alcon, ou la querelle de Codrus.
Immo haec in uiridi nuper quae cortice fagi Commence : Tityre veillera sur nos chevreaux qui paissent.
carmina descripsi et modulans alterna notaui,
MOPSUS.
experiar: tu deinde iubeto certet Amyntas. 15
Non, j’aime mieux essayer ces vers que, l’autre jour, j’ai inscrits
Menalcas sur la verte écorce d’un hêtre, chantant et écrivant tour à tour :
écoute, et dis ensuite à ton Amyntas de me disputer le prix.
Lenta salix quantum pallenti cedit oliuae,
MÉNALQUE.
puniceis humilis quantum saliunca rosetis,
iudicio nostro tantum tibi cedit Amyntas. Autant le saule flexible le cède au pâle olivier, l’humble lavande
Sed tu desine plura, puer; successimus antro.
à la rose purpurine ; autant, à mon avis, Amyntas le cède à
Mopsus.
Mopsus
MOPSUS.
Exstinctum Nymphae crudeli funere Daphnim 20 Berger, n’en dis pas davantage ; nous voici dans la grotte.
flebant (uos coryli testes et flumina Nymphis),
cum complexa sui corpus miserabile nati Daphnis n’était plus ; les nymphes pleuraient sa mort cruelle.
atque deos atque astra uocat crudelia mater. Coudriers, et vous, fleuves, vous fûtes témoins de la douleur
Non ulli pastos illis egere diebus des nymphes, lorsque, serrant entre ses bras les déplorables
frigida, Daphni, boues ad flumina: nulla neque amnem 25 restes de son fils, une mère reprochait aux astres et aux dieux
libauit quadrupes, nec graminis attigit herbam. leur cruauté. En ces jours de deuil, nul berger, ô Daphnis ! ne
Daphni, tuom Poenos etiam ingemuisse leones guida, au sortir du pâturage, ses taureaux vers les fraîches
interitum montesque feri siluaque loquontur. fontaines ; nul troupeau n’effleura l’eau du fleuve, nul l’herbe
Daphnis et Armenias curru subiungere tigris
des prairies. Daphnis, les lions d’Afrique eux-mêmes gémirent
instituit; Daphnis thiasos inducere Bacchi, 30 de ta mort : les forêts, les montagnes sauvages redisent
et foliis lentas intexere mollibus hastas.
encore leurs cris de douleur. Daphnis nous apprit à soumettre
Vitis ut arboribus decori est, ut uitibus uuae,
ut gregibus tauri, segetes ut pinguibus aruis, au joug les tigres d’Arménie ; Daphnis, le premier, conduisit, en
tu decus omne tuis. Postquam te fata tulerunt, l’honneur de Bacchus, des danses sacrées, et enlaça d’un
tendre feuillage le thyrse flexible. La vigne embellit les arbres,
ipsa Pales agros atque ipse reliquit Apollo. 35
Grandia saepe quibus mandauimus hordea sulcis, le raisin la vigne, le taureau un troupeau nombreux, les
infelix lolium et steriles nascuntur auenae; moissons une fertile campagne ; ainsi, Daphnis, tu fus la gloire
pro molli uiola, pro purpureo narcisso des tiens. Depuis que tu nous as été ravi, Palès, Apollon lui-
carduos et spinis surgit paliurus acutis. même, ont déserté nos campagnes. Dans ces sillons, auxquels
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Spargite humum foliis, inducite fontibus umbras, 40 nous avons tant de fois confié nos semences les plus belles,
pastores (mandat fieri sibi talia Daphnis), dominent la triste ivraie et l’avoine stérile. Plus de douces
et tumulum facite, et tumulo superaddite carmen: violettes, plus de narcisses pourprés : partout naît la ronce aux
Daphnis ego in siluis hinc usque ad sidera notus pointes aiguës. Bergers, couvrez la terre de feuillage, et
formosi pecoris custos formosior ipse. d’ombres les fontaines : tels sont les honneurs que réclame
Daphnis. Élevez-lui un tombeau, et sur ce tombeau inscrivez
Menalcas ces paroles : « Je fus Daphnis, habitant des bois, d’où mon
nom s’est élevé jusqu’aux cieux : gardien d’un beau troupeau,
Tale tuom carmen nobis, diuine poeta, 45 plus beau moi-même. »
quale sopor fessis in gramine, quale per aestum MÉNALQUE.
dulcis aquae saliente sitim restinguere riuo.
Nec calamis solum aequiperas, sed uoc magistrum; Tes chants, poëte divin, sont pour nous ce qu’est pour le
fortunate puer, tu nunc eris alter ab illo. voyageur fatigué le sommeil sur un tendre gazon, ce qu’est,
Nos tamen haec quocumque modo tibi nostra uicissim 50 dans les ardeurs de l’été, la source jaillissante où s’étanche
dicemus, Daphnimque tuom tollemus ad astra; notre soif. Égal à ton maître, pour la flûte, tu l’es encore pour le
Daphnim ad astra feremus: amauit nos quoque Daphnis. chant, heureux berger ! tu seras un autre Daphnis. Cependant
je vais, à mon tour, essayer de mon mieux quelques vers où
Mopsus j’élève jusqu’aux astres ton cher Daphnis ; oui, je porterai
Daphnis jusqu’aux astres ; et moi aussi, Daphnis m’aima.
An quicquam nobis tali sit munere maius?
Et puer ipse fuit cantari dignus, et ista MOPSUS.
iam pridem Stimichon laudauit carmina nobis. 55 Quel présent nous pourrait être plus agréable qu’un tel
souvenir ? Oui, ce jeune berger était bien digne de tes chants ;
Menalcas et depuis longtemps Stimicon m’a fait l’éloge de tes vers.

Candidus insuetum miratur limen Olympi MÉNALQUE.


sub pedibus uidet nubes et sidera Daphnis.
Daphnis, tout brillant de lumière, contemple avec
Ergo alacris siluas et cetera rura uoluptas
Panaque pastoresque tenet Dryadasque puellas. étonnement le palais de l’Olympe, son nouveau séjour ; il voit
sous ses pieds et les astres et les nuages. Aussi la plus vive
Nec lupus insidias pecori, nec retia ceruis 60
allégresse anime nos bois et nos campagnes : le dieu Pan, les
ulla dolum meditantur: amat bonus otia Daphnis.
Ipsi laetitia uoces ad sidera iactant bergers et les jeunes Dryades, tout en ressent les transports.
intonsi montes; ipsae iam carmina rupes, La brebis ne craint plus les embûches du loup ; le cerf, les
ipsa sonant arbusta: "Deus, deus ille, Menalca!" toiles du chasseur. Divinité bienfaisante, Daphnis aime la paix.
Sis bonus o felixque tuis! En quattuor aras: 65 Les montagnes à la cime touffue renvoient jusqu’au ciel mille
ecce duas tibi, Daphni, duas altaria Phoebo. cris de joie ; les rochers, les buissons eux-mêmes redisent :
Pocula bina nouo spumantia lacte quotannis, « C’est un dieu, oui, c’est un dieu, Ménalque ! »
craterasque duo statuam tibi pinguis oliui,
et multo in primis hilarans conuiuia Baccho, Ô Daphnis ! sois propice aux pasteurs, tes anciens amis ; sois
ante focum, si frigus erit, si messis, in umbra, 70 leur bienfaiteur ! Voici quatre autels, deux en ton honneur, deux
uina nouom fundam calathis Ariusia nectar. autres en l’honneur d’Apollon. Tous les ans, je t’offrirai deux
Cantabunt mihi Damoetas et Lyctius Aegon; coupes où brillera l’écume d’un lait nouveau, et deux vases
saltantis Satyros imitabitur Alphesiboeus. remplis du jus onctueux de l’olive ; puis, par des flots de vin
Haec tibi semper erunt, et cum sollemnia uota égayant le repas, près du feu l’hiver, l’été sous un berceau, je
reddemus Nymphis, et cum lustrabimus agros. 75 ferai couler des flacons de Chio une liqueur pareille au nectar.
Dum iuga montis aper, fluuios dum piscis amabit, Damète et le Crétois Ægon feront entendre leurs chants ;
dumque thymo pascentur apes, dum rore cicadae, Alphésibée imitera, par ses bonds, la danse des Satyres. Ces
semper honos nomenque tuom laudesque manebunt. hommages, ô Daphnis ! nous te les rendrons en tous temps,
Vt Baccho Cererique, tibi sic uota quotannis
soit aux fêtes solennelles des nymphes, soit lorsque autour de
agricolae facient: damnabis tu quoque uotis. 80 nos champs nous promènerons la victime propitiatoire. Oui,
tant que le sanglier se plaira sur les montagnes, le poisson
Mopsus dans les eaux ; tant que l’ abeille se nourrira de thym, la cigale
de rosée, ton nom, tes vertus et ton culte vivront parmi nous.
Quae tibi, quae tali reddam pro carmine dona? Comme à Bacchus et à Cérès, les laboureurs, chaque année,
Nam neque me tantum uenientes sibilus Austri t’adresseront des vœux que tu les forceras d’accomplir, en les
nec percussa iuuant fluctu tam litora, nec quae exauçant.
saxosas inter decurrunt flumina uallis.
MOPSUS.
Menalcas
Quels dons, quel prix t’offrir pour de tels accents ? Moins doux
sont à mon oreille le souffle naissant de l’Auster, le bruit des
Hac te nos fragili donabimus ante cicuta: 85 flots qui battent le rivage, le murmure d’un ruisseau roulant à
haec nos "Formosum Corydon ardebat Alexim",
haec eadem docuit "Cuium pecus? an Meliboei?"
3/3 Eglogue V

travers les vallées sur un lit de cailloux.


Mopsus
MÉNALQUE.

At tu sume pedum, quod, me cum saepe rogaret, Je veux qu’auparavant tu reçoives de moi ce léger chalumeau ;
non tulit Antigenes (et erat tum dignus amari), c’est lui qui chanta : « Corydon brûlait pour le bel Alexis ; » et
formosum paribus nodis atque aere, Menalca. 90 encore : « À qui ce troupeau ? à Mélibée ? »

MOPSUS.

Et toi, Ménalque, accepte cette houlette ; bien souvent, sans


avoir pu l’obtenir, Antigène me la demanda (alors cependant
Antigène méritait d’être aimé) ; elle est remarquable par
l’égalité de ses nœuds et l’airain dont elle est ornée.

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