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ARLEQUIN. − Nous deviendrons maigres, étiques, et puis morts de faim ; voilà mon sentiment et notre histoire.
IPHICRATE. − Nous sommes seuls échappés du naufrage ; tous nos amis ont péri, et j’envie maintenant leur
sort.
ARLEQUIN. − Hélas ! ils sont noyés dans la mer, et nous avons la même commodité.
IPHICRATE. − Dis-moi ; quand notre vaisseau s’est brisé contre le rocher, quelques-uns des nôtres ont eu le
temps de se jeter dans la chaloupe ; il est vrai que les vagues l’ont enveloppée : je ne sais ce qu’elle est devenue ;
mais peut-être auront-ils eu le bonheur d’aborder en quelque endroit de l’île et je suis d’avis que nous les
cherchions.
ARLEQUIN. − Cherchons, il n’y a pas de mal à cela ; mais reposons-nous auparavant pour boire un petit coup
d’eau-de-vie. J’ai sauvé ma pauvre bouteille, la voilà ; j’en boirai les deux tiers comme de raison, et puis je vous
donnerai le reste.
IPHICRATE. − Eh ! ne perdons point notre temps ; suis-moi : ne négligeons rien pour nous tirer d’ici. Si je ne
me sauve, je suis perdu ; je ne reverrai jamais Athènes, car nous sommes seuls dans l’île des Esclaves.
IPHICRATE. − Ce sont des esclaves de la Grèce révoltés contre leurs maîtres, et qui depuis cent ans sont venus
s’établir dans une île, et je crois que c’est ici : tiens, voici sans doute quelques-unes de leurs cases ; et leur
coutume, mon cher Arlequin, est de tuer tous les maîtres qu’ils rencontrent, ou de les jeter dans l’esclavage.
ARLEQUIN. − Eh ! chaque pays a sa coutume ; ils tuent les maîtres, à la bonne heure ; je l’ai entendu dire
aussi ; mais on dit qu’ils ne font rien aux esclaves comme moi.
IPHICRATE. − Mais je suis en danger de perdre la liberté et peut-être la vie : Arlequin, cela ne suffit-il pas pour
me plaindre ?
ARLEQUIN, prenant sa bouteille pour boire. − Ah ! je vous plains de tout mon cœur, cela est juste.
ARLEQUIN siffle. − Hu ! hu ! hu !
ARLEQUIN, riant. − Ah ! ah ! ah ! Monsieur Iphicrate, la drôle d’aventure ! je vous plains, par ma foi; mais je
ne saurais m’empêcher d’en rire.
IPHICRATE, à part les premiers mots. − Le coquin abuse de ma situation : j’ai mal fait de lui dire où nous
sommes. Arlequin, ta gaieté ne vient pas à propos ; marchons de ce côté.
ARLEQUIN. − Je t’en prie, je t’en prie; comme vous êtes civil et poli; c’est l’air du pays qui fait cela.
IPHICRATE. − Allons, hâtons-nous, faisons seulement une demi-lieue sur la côte pour chercher notre cha-
loupe, que nous trouverons peut-être avec une partie de nos gens; et, en ce cas-là, nous nous rembarque- rons
avec eux.
Questions :
1) Comparez l’attitude d’Arlequin à celle d’Iphicrate dans les premières répliques. Justifiez
vos analyses en vous appuyant sur le texte.
2) Lorsqu’Iphicrate propose de chercher les rescapés, comment réagit Arlequin ? En quoi son
attitude relève-t-elle de la bouffonnerie ?
3) Lorsqu’Iphicrate présente l’île à Arlequin, quels sont les éléments qui trahissent sa peur ?
4) Comment Arlequin réagit il à ce qu’il apprend ? Justifiez votre réponse en citant le texte ?
5) Dans l’enchaînement de brèves répliques entre le maître et son esclave, qu’est-ce qui
montre qu’Arlequin a choisi de se saisir de sa liberté ?