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“DroitAuteur” (Col. : GuideAction) — 2010/11/4 — 11:57 — page 833 — #857


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CHAPITRE

210. Créations vestimentaires


et articles de mode

SECTION 0 14◦ Les créations des industries saisonnières de l’habille-


ment et de la parure. Sont réputées industries saisonnières
ORIENTEUR de l’habillement et de la parure les industries qui, en rai-
son des exigences de la mode, renouvellent fréquemment
210.00 Plan du chapitre la forme de leurs produits, et notamment la couture, la
Sect. 1 Origine et évolution de la protection des fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la
articles de mode ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute
§1 Des origines à 1952 nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les produc-
§2 Loi de 1952 sur la protection des industries tions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus
saisonnières de l’habillement
d’ameublement.
Sect. 2 État actuel de la législation sur les articles de
mode 210.02 Jurisprudence de référence
Sect. 3 Quelques problèmes particuliers aux • CA Paris, 4e ch., 11 sept. 1996, Antik Batik c/Monoprix,
créations de mode RDPI 1996, n◦ 69, p. 22
Sect. 4 Protections des créations vestimentaires «Si aucune des antériorités ne reproduit intégralement,
autres que le droit d’auteur c’est-à-dire "de toutes pièces", la combinaison revendi-
§1 Brevets quée, il convient de rappeler qu’il ne suffit pas pour qu’un
§2 Droit des marques
modèle soit nouveau au regard de la loi que sa forme
§3 Droit des dessins et modèles
n’ait pas été préalablement divulguée. Il lui faut en outre
Sect. 5 Protection des articles de mode par le droit constituer une création c’est-à-dire présenter un caractère
d’auteur original, décoratif ou ornemental, témoignant de l’effort
Sect. 6 Protection des créations de mode en droit personnel ou de l’interprétation individuelle de son auteur.
positif Or, les éléments issus du domaine public tels que groupés
§ 1 Boutons, fermetures, etc. et assemblés en l’espèce ne présentent pas une configu-
§ 2 Tissus et matières ration particulière qui distinguerait le modèle invoqué des
§ 3 Dessins, croquis et figurines de modèles
autres modèles pouvant appartenir au même style »
§ 4 Sous-vêtements, lingerie, slips et soutiens-gorge
§ 5 Chaussettes et bas • CA Paris, 4e ch., 11 janv. 1990, Deguy c/Snoboy, PIBD
§ 6 Vestes, manteaux, cabans, blousons et boléros 1990, III, 311
§ 7 Pantalons et jeans « si le mérite de l’œuvre n’est pas le critère de la pro-
§ 8 Ensembles, costumes et tailleurs
tection, seule l’originalité, fut-elle minime, ouvre droit à
§ 9 Chemises et chemisiers
cette protection. En assemblant dans un même pantalon
§ 10 T-shirts
une ceinture élastique, deux poches à soufflets en biais
§ 11 Pulls, chandails et gilets
§ 12 Jupes et robes
sur le côté, deux poches plaquées au niveau du genou à
§ 13 Chaussures et semelles ouverture droite avec une fausse poche au même niveau à
§ 14 Ceintures, boucles de ceinturons et bretelles pattes latérales fixées par pression, deux surcoutures allant
§ 15 Chapeaux, foulards et cravates de la taille jusqu’au bas du pantalon en bordant les poches,
§ 16 Sacs M. Sibon n’a pas marqué ce vêtement de l’empreinte de
§ 17 Montres sa personnalité. Qu’aucun effort créatif ne s’est manifesté,
§ 18 Lunettes que le modèle n’est donc pas protégeable au titre du droit
§ 19 Bijoux, bagues, colliers et boucles d’oreilles d‘auteur »
§ 20 Parfums
• CA Paris, 4e ch., 22 nov. 1993, Serdanelli c/Bouvet, PIBD
Sect. 7 Aspects procéduraux
1994, III, 161.
§1 Appréciation de la contrefaçon en matière de
créations vestimentaires « La contrefaçon n’est pas constituée dès lors que les res-
§2 Action et demandes distinctes en concurrence semblances entre les modèles ne résultent que d’emprunts
déloyale communs au domaine public »
§3 Evaluation des dommages et intérêts
• CA Paris, 4e ch., 28 sept. 1993, Soka c/Thorn, Gaz. Pal.
210.01 Principaux textes applicables 7 juin 1994, somm. 17.
CPI, art. L. 112-2 « La contrefaçon n’est pas constituée dès lors que les res-
Sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au semblances existant entre deux modèles relèvent de la
sens du présent code : reprise d’un genre et non de la reproduction de caractéris-
(...) tiques spécifiques du modèle opposé »

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834 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

210.03 Bibliographe indicative Ce cumul de protection n’est pas sans poser de nombreux
Ouvrages – Bertrand A., La Mode et la loi, Cedat 1998, problèmes.
255 p. Il est également important de noter que jusqu’au début de
Actualisables – Greffe F., J.-CL. MARQUES – DESSINS ET
l’année 2009, la quasi-totalité du contentieux relatif aux
MODÈLES, « Mode », fasc. 3250.
créations vestimentaires était de la compétence des tribu-
naux de commerce, car ce contentieux opposait souvent
Articles – Bisson G., « La protection de la création ves- des commerçants. Suite aux modifications induites par la loi
timentaire : étude d’une application problématique des du 29 octobre 2007, et des textes subséquents, ce conten-
droits intellectuels », Cah. Propr. intell. 1993, Vol. 5, no 3, tieux, même lorsqu’il ne porte que sur des questions de
p. 301 – Eder E., « Copyright in the textile industry », droit d’auteur, relève aujourd’hui de la compétence exclu-
[1986] 10 EIPR 312 – Grenon C., « La protection juridique sive des 9 TGI désignés par le décret 9 octobre 2009. On
des articles de mode », Cah. dr. auteur 1990, no 33, p. 7 risque donc d’assister à une évolution de la jurisprudence
et no 34 – Kahn A.-E., « Un an de droit de la mode », dans ce domaine au cours des prochaines années.
CCE sept. 2009, no 9, p. 23, § 8 ; sept. 2008, no 9, p. 26,
§ 8 ; sept. 2007, p. 22, § 8 ; sept. 2006, p. 21 – Lange P.,
« The law and protection of Designs with particular refe-
rence to the textile and fashion sector », [1993] 1 EIPR
SECTION 1
16 – Pamoukdjian J.-P., « Les créations des industries de la ORIGINE ET ÉVOLUTION DE LA PROTECTION
haute-couture et du prêt-à-porter à l’épreuve de la contre- DES ARTICLES DE MODE
façon », LPA 8 juin 1984, no 69, p. 26.
210.04 Questions essentielles 210.11 Problématique. Les vêtements s’insèrent
• Quels sont les articles de mode qui peuvent bénéficier de dans un ensemble de rapports sociaux complexes.
la protection du droit d’auteur ? Dans de nombreuses sociétés primitives, ils ont
* V. ss no 210.14 pour fonction sociale essentielle d’indiquer, d’une
• A quelles conditions doit satisfaire une création vesti- manière visible, l’appartenance des personnes qui les
mentaire pour pouvoir bénéficier de la protection du droit portent à une tribu (par ex., ahendir chez les berbères
d’auteur ? du Moyen et du Haut Atlas), ou à un clan (par ex.,
* V. ss no 210.15 les tartans écossais), si ce n’est même dans certains
• Comment apprécie-t-on la contrefaçon en matière de cas, leur statut et leur rang social (ainsi, la coiffe
créations vestimentaires et d’articles de mode ? pointue pour les femmes mariées ou divorcées dans
la tribu des Aït Hadiddou 1 du Haut Atlas). Ainsi, au
* V. ss nos 210.13 s.
Moyen Âge, le port de certains types de vêtements
• Comment évalue-t-on les dommages-intérêts en matière
était réservé à certaines catégories de personnes.
de créations vestimentaires et d’articles de mode ?
L’édit somptuaire du 17 décembre 1485, signé par
* V. ss no 210.36 Charles VIII, interdisait les draps d’or à tous, le
210.05 Synthèse. velours aux écuyers et réservait les soieries aux gen-
À la charnière de la propriété artistique et de la propriété tilshommes justifiant de revenus déterminés. Enfin,
industrielle, le droit des créations vestimentaires et des le costume ou les vêtements peuvent également avoir
articles de la mode, traduit à la fois le poids économique pour objet d’affirmer visiblement l’appartenance ou
des industries du luxe et celles du prêt-à-porter. En France, la soumission de celui qui les porte à une religion.
plus de 70 % des litiges qui mettent en jeu le droit d’auteur La notion de “ création vestimentaire ”, telle que
concernent des articles de mode. Comme ces litiges portent
nous la connaissons aujourd’hui, est étroitement liée
rarement sur des modèles de haute couture fabriqués en
France, mais plutôt sur des modèles de prêt-à-porter fabri-
au phénomène de la “ mode ” qui n’est apparu que
qués bien souvent massivement en Chine, le droit d’au- vers 1860, à Paris, avec le couturier d’origine anglaise
teur est devenu dans ce contexte un moyen d’obtenir un Charles Frédéric Worth. “ En élevant le statut du cou-
monopole d’importation, ce qui n’est pas sans poser des turier, Worth révolutionne les habitudes vestimen-
problèmes tant au regard des fondements et de l’objet de taires. Longtemps traditionnel et régional, le vête-
ce droit qu’au regard du droit de la concurrence déloyale. ment se standardise en même temps qu’il évolue.
Enfin, comme la mode fait référence à un engouement L’intervention du couturier s’opère sur l’élément le
populaire passager, il convient de s’écarter des concepts plus déterminant et le plus changeant de la mode,
traditionnels pour appréhender différemment la contrefa- la parure ; s’ordonnent autour d’elle tous les métiers
çon en la matière, afin de ne pas conférer des monopoles
annexes, des tisseurs aux brodeurs. Reconnu comme
indus qui interdiraient certaines tendances et variations qui
un artiste à part entière, le couturier, d’artisan ano-
font justement la richesse de ce type de créations.
nyme, accède au statut de créateur et peut griffer
Mais, le droit d’auteur n’est qu’un des nombreux droits pri-
ses créations. Mais les honneurs dont il fait l’objet
vatifs que l’on invoque devant les tribunaux pour protéger
ne se limitent pas à son travail ; très recherchée, sa
les créations vestimentaires et les articles de mode. Dans de
très nombreux cas, ces créations sont également protégées
au titre des dessins et modèles et/ou au titre du droit des
marques, quelquefois même au titre du droit des brevets. 1. Bertrand, Tribus berbères du Haut Atlas, Edita/Vilo 1977.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.11 835

compagnie accélère le processus de sa reconnaissance teurs n’achètent pas les foulards Hermès ou Vuitton
sociale ” 1 . pour leurs dessins, mais essentiellement pour leurs
Pour la majorité des Français, la “ mode ” est indis- marques et le symbole social qu’elles véhiculent...
sociable de la “ haute couture ”. Si cette dernière est Néanmoins en ce qui concerne les vêtements,
importante sur le plan médiatique, elle est néanmoins on constate que leur commercialisation est depuis
marginale sur le plan économique. Depuis la Seconde quelques années assurée massivement aux États-Unis,
guerre mondiale, la “haute couture” a profondément en Europe et au Japon par des grands groupes inter-
évolué et son existence, pour ne pas dire sa survie, nationaux parmi lesquels on peut notamment citer :
dépend essentiellement des marques de parfums et – le groupe espagnol Inditex (marques Zara, Mas-
de prêt-à-porter qui lui sont adossées. Mais, depuis simo Dutti, Pull & Bear, Berskha, Stradivarius, Oysho,
une vingtaine d’années, l’industrie de la mode, voire etc.), qui avec 4 430 magasins dans 73 pays (qui
l’industrie vestimentaire tout court, s’inscrit dans employait 90 000 personnes et 900 sous-traitants)
un marché plus complexe où les marques sont fina- réalisait en 2008 un chiffre d’affaires de 10,4 mil-
lement les éléments essentiels de la différenciation liards d’euros et un bénéfice de 1,25 milliard d’eu-
des modèles fabriqués industriellement dans le tiers- ros ;
monde ainsi que de leurs ventes (souvent dans le – le groupe américain Gap, qui avec près de 3 145
cadre de boutiques franchisées). magasins réalisait en 2008 un chiffre d’affaires de
En réalité, dans ce domaine comme dans la majo- près de 9,9 milliards d’euros (14,5 milliards de dol-
rité des autres relevant du droit d’auteur, il convien- lars), soit plus de 30 % de moins que le CA réalisé
drait de parler de “production de créations vestimen- 3 ans plus tôt même si son bénéfice était encore de
taires”. Les modèles, qu’il s’agisse de modèles de tis- 947 millions de dollars ;
sus ou de vêtements, sont généralement créés dans le – le groupe suédois H&M qui avec 1 840 magasins
cadre de contrat de commande, ou par des struc- réalisait en 2008 un chiffre d’affaires de 8,3 milliards
tures spécialisées dans ces seules créations, avant d’euros et un bénéfice de 1,44 milliard d’euros4 ;
d’être “adoptés” par une grande entreprise qui, à la – le groupe japonais Fast Retailing (marques Uni-
manière d’un producteur, le fera fabriquer industriel- qlo 5 et en France les marques Comptoirs des Coton-
lement par des sous-traitants (souvent situés en Asie) niers, Theory et Princess Tam Tam), qui avec près de
pour, ensuite, les commercialiser sous sa marque. Les 2 000 magasins (860 magasins Uniqlo dont 780 au
groupes qui régissent le commerce des créations ves- Japon), réalisait en 2008 un chiffre d’affaires de près
timentaires sont aujourd’hui souvent des entreprises de 7 milliards de dollars.
virtuelles. Comme l’a noté une étude d’Eurostaf, “ le
Les chiffres ci-dessus doivent être comparés avec
prêt à porter est devenu au fil des décennies une
ceux des enseignes de luxe. Pour mémoire en 2008,
industrie sans usines dont la priorité est l’axe de la
le groupe LVMH a réalisé un chiffre d’affaires de
création et de la gestion des marques. Or, ces deux
17,2 milliards d’euros dégageant ainsi un résultat net
fonctions sont principalement l’apanage des distri-
d’exploitation de 2 milliards d’euros, mais ce groupe,
buteurs. Parce que ces derniers entretiennent le lien
comme la plupart des groupes de luxe qui regroupe
le plus direct avec le consommateur, ils disposent
de nombreuses marques (Louis Vuitton, Christian
d’un pouvoir incontournable ” 2 . Déjà entre 1985-
Dior, Guerlain, Givenchy, Kenzo, Céline, Berluti...)
1995, la part des grands circuits de distribution (hyper
n’opère pas seulement dans le domaine vestimentaire
et supermarchés, VPC, magasins populaires, chaînes
et les accessoires de mode (maroquinerie, montres et
spécialisées) était ainsi passée en France de 48 % à
joaillerie) mais également dans les parfums, les vins
64 %, alors que le poids du petit commerce indépen-
et les spiritueux (Moët & Chandon, Ruinart, Veuve
dant chutait de 38 % à 28 %.3 Cette tendance s’est
accentuée depuis que l’on a libéralisé les échanges
dans ce domaine avec la Chine. 4. Le chiffre d’affaires de H&M est passé de 2,7 milliards
d’euros en 1998 à 11,9 milliards d’euros en 2009 (O. Bou-
En ce qui concerne les “ produits de luxe ”, leur chara, « Comment H&M est devenu une cash machine »,
attrait relève plus du rattachement emblématique Capital avr. 2010 p. 32.
car les marques qu’ils affichent sont censées incar- 5. « Mondialisation oblige, la marque possède deux bureaux
ner le statut social de ceux qui les arborent. Le de style, l’un à New York et l’autre à Tokyo, afin de
modèle, en tant que création intellectuelle, n’a dans mieux percevoir les tendances de l’Orient et de l’Occi-
dent. Cette année 2009 Uniqlo a fait appel à la grande
ce contexte qu’un caractère marginal. Les consomma-
styliste allemande Jil Sanders qui dessinera désormais des
‘microcollections’ (100 vêtements pour femmes et 40 pour
hommes), baptisées +J. Tout en gardant aussi la possibi-
1. D. Grumbach, Histoires..., préc., p. 20. lité, comme H&M, de donner une carte blanche à des
2. P.-A. Gay, “ L’industrie de l’habillement est passé sous stylistes de renom (Sonia Rykel, Jimmy Choo ou Matthew
la coupe de la distribution ”, Le Monde 25 févr. 1995, Wiliamson...) pour une seule collection » (N. Vulser, « Le
p. 18. japonais Unqlo attaque H&M, Gap et Zara en France »,
3. P.-A. Gay, préc., p. 18. Le Monde 30 sept. 2009, p. 13).

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836 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

Clicquot, Hennessy...). Le noyau « mode » de LVMH Ainsi, il avait été jugé que :
est semble-t-il en réalité équivalent à celui du groupe
« La loi de 1806, malgré l’étendue de son application, ne
Inditex (Zara, etc.).
protège pas les articles de mode dont les modèles sont
Tout au long du XIXe siècle, ce marché connaissait aussi éphémères que la fantaisie qui l’a créé. »2
déjà des « ventes à distance », on disait alors « par
correspondance », dont les plus célèbres étaient et Aussi, pendant tout le XIXe siècle, à l’exclusion de
sont encore en France les sociétés La Redoute et Les quelques décisions portant sur la reproduction illicite
3 Suisses. Mais ce type de vente est depuis quelques de dessins et de gravures de modes 3 , les tribunaux
années complété par celui réalisé au moyen d’internet. ont toujours refusé aux créations vestimentaires la
Selon la Fédération du e-commerce et de la vente à dis- protection du droit d’auteur et/ou du droit des dessins
tance (Fevad) ce secteur « pesait » en 2008 environ et modèles 4 .
1,6 milliard d’euros soit 5,6 % des ventes d’habille- C’est par un arrêt rendu le 26 octobre 1905 5 que
ment, et qui a encore connu au 1er semestre 2009 la cour d’appel de Paris a intégré les conséquences de
une croissance de 21 % (dans un marché en recul la loi de 1902 en affirmant la protection des articles
de 4 %), répartis pour 51 % entre les vépécistes tra- de modes 6 . Mais, il convient de noter que, malgré la
ditionnels, pour 15 % les chaînes de magasins et de loi de 1902 qui avait consacré la théorie de l’unité
sport (Kiabi, Camaïeu, etc.), pour 12 % les sites de de l’art, la jurisprudence de l’époque était réticente
ventes dégriffées, pour 7 % les sites de ventes entre pour étendre à ce type de création le bénéfice du droit
particuliers (e-Bay), les 15 % restant étant divisés d’auteur au motif que :
entre divers autres acteurs.
« Quels que soient l’élégance et le bon goût des robes,
Enfin, il est important de souligner que le com- costumes et manteaux, on ne saurait, sans tomber dans
merce mondial du textile (vêtements inclus) est crois- l’abus de langage et l’hyperbole, les qualifier d’œuvres d’art,
sant puisqu’il a généré en 2006 un total de 530 mil- et qu’il s’ensuit que, si une protection est due au modèle
liards de dollars, c’est-à-dire 50 milliards de plus déposé, ce ne peut être que celle de la loi de 1806. »7
qu’en 2005.
Cette jurisprudence reste donc un bon point de
Pour conclure, on notera que par la diversité de repère quand on sait que les deux tiers des litiges
ses acteurs, le marché des créations vestimentaires relatifs à des questions de droit d’auteur dont sont
interdit cependant toute généralisation hâtive, mais saisis les tribunaux français portent en réalité sur des
les juristes comme les magistrats ne peuvent ignorer créations vestimentaires.
les particularismes propres à chaque type de création
Bien que la jurisprudence, à partir de 1920, ait été
lorsqu’ils sont confrontés à des problèmes de contre-
relativement unanime pour reconnaître aux articles
façons.
de mode le bénéfice du droit d’auteur, les créateurs
devaient en pratique affronter de nombreuses difficul-
§1 tés, comme celle du dépôt préalable de leurs créations
Des origines à 1952 (supprimé par la loi du 29 mai 1925). Aussi, après
la Seconde guerre mondiale, la Chambre syndicale
210.12 France : un cas particulier. La France était,
des grands couturiers œuvra pour l’adoption d’une
jusqu’à l’adoption du code de la propriété intellec-
loi qui réprimerait plus facilement les contrefaçons.
tuelle en juillet 1992, l’un des rares pays où il existait
Une loi sur “ la protection des créations des industries
une loi ayant spécifiquement pour objet la protec-
saisonnières de l’habillement et de la parure ” fut donc
tion des articles de mode. Cette loi avait été adoptée
adoptée, le 12 mars 1952, sous l’impulsion de Me
en 1902 parce qu’à l’origine, les créations vestimen-
Moro Giafferi.
taires étaient exclues de la protection de la loi de
1793 sur le droit d’auteur ainsi que, d’ailleurs, de
la loi de 1806 sur les dessins et modèles. « Le pré-
texte invoqué était que protéger les créations fugaces
de la mode serait risquer de gêner le développement
du commerce, d’autre part, qu’il était bien difficile
d’apprécier si de tels objets constituaient ou non une
création au sens véritable du mot. »1
2. T. corr. Seine, 14 mai 1897, Ann. 1899, 118.
3. CA Paris, 18 janv. 1868, Louviers, Ann. 1969, 279.
4. T. Seine, 16 mai 1869, Ehrard, Ann. 1860, 895 – CA Paris,
25 avr. 1895, Monin, Ann. 1895, 152.
5. Paquin c/Beer Ann. 1906, 7.
6. – DANS LE MÊME SENS, T. civ. Seine, 10 janv. 1907, Ann.
1907, 2, 38 – T. corr. Seine, 5 déc. 1907, Poiret, Ann.
1. E. Pouillet, Traité théorique et pratique des dessins et 1908, 2, 7.
modèles, Paris 1911, no 96. 7. CA Paris, 25 oct. 1905, Ann. 1906, 71.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.13 837

§2 les dispositions de la loi du 12 mars 1952 aussi long-


Loi de 1952 sur la protection des temps que le modèle conserve son originalité – prin-
cipe dégagé par la chambre civile en 1958 –, tel n’est
industries saisonnières de l’habillement
plus le cas lorsque celui-ci est devenu démodé”. La
210.13 Principe. La loi du 12 mars 1952 protégeait, Cour semblait donc poser une condition supplémen-
sans formalités, “les créations des industries saison- taire à l’application de la loi : il fallait que l’article
nières de l’habillement et de la parure ”, notamment “ne soit pas démodé”, condition qui semble très dif-
par un système de saisie expéditif. Mais, dans la pra- ficile à apprécier dans de nombreuses circonstances,
tique, le bénéfice de cette loi était peu invoqué et ce, car la mode se caractérise par des cycles. Démodé
pour trois raisons majeures : aujourd’hui, mais demain ?
1◦ d’abord, par son champ d’application, puis- La loi de 1952 ne protégeait pas toutes les créations
qu’étaient “réputées industries saisonnières de l’ha- des industries saisonnières, encore fallait-il que celles-
billement et de la parure (...) celles qui, en raison des ci fussent marquées “par une nouveauté qui s’ac-
exigences de la mode, renouvellent fréquemment la compagne d’un effet manifeste de création”.7 Ainsi,
forme de leurs produits et notamment la couture, la la cour d’appel de Paris a refusé la protection à un
fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaus- modèle dit “Scala” car il ne présentait pas “les carac-
sure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus téristiques de nouveauté et d’originalité le rendant
de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture et susceptible de protection en application de la loi du
les productions des paruriers et des bottiers”. Étaient 11 mars 1957 modifiée et de la loi du 12 mars 1952”.8
assimilées aux industries saisonnières de l’habille- L’avantage de la loi du 12 mars 1952, en dehors de
ment “ les fabriques de tissus d’ameublement ” (art. sa procédure expéditive de saisie, était d’offrir une
2) ; mais bien que l’énumération de l’article 2 ne fut protection assez large puisque, selon l’alinéa 3 de
pas limitative, elle ne visait cependant que les créa- son article 3, “une reproduction même déguisée sous
tions qui se renouvelaient “fréquemment” ; une déformation d’ordre secondaire suffit à constituer le
2◦ ensuite, parce que le terme de “parure” avait délit [de contrefaçon], dès l’instant où l’originalité créa-
été interprété restrictivement par la jurisprudence, trice du modèle contrefait s’en trouve usurpée”.9 Mais la
notamment de façon à exclure les coiffures “parce reproduction d’un élément banal, comme l’encolure
qu’elles ne sont pas des objets manufacturés” ;1 d’un col, ne constituait pas un acte de contrefaçon
3◦ enfin, parce que la protection accordée par la même au regard de la loi de 1952.10
loi du 12 mars 1952 ne durait que pendant la période La loi du 12 mars 1952 n’interdisait pas le recours
où les articles étaient à la mode. à la loi de 1909 sur les dessins et modèles, ni à celui
Il a même existé une controverse jurisprudentielle de la loi de 1957 sur le droit d’auteur au motif que
sur le fait de savoir si un article pouvait être à la mode « le fait de déposer un modèle conformément à la
pendant plusieurs saisons 2 . Mais, selon la Cour de loi du 14 juillet 1909 n’entraîne aucune renoncia-
cassation, la protection accordée par la loi de 1952 tion à la protection des lois de 1952 et 1957 »,11 ni
pouvait être “invoquée pendant tout le temps que le même à celui de la concurrence déloyale si des faits
modèle n’a rien perdu de son originalité”,3 ou “tant distincts de la contrefaçon le justifiaient. D’ailleurs,
que le modèle garde la faveur du public, c’est-à-dire la loi de 1957 était souvent utilisée par les tribu-
aussi longtemps que le consommateur s’y intéres- naux pour interpréter celle de 1952. La loi de 1952
se”,4 ou encore, tant “que dure son exploitation”.5 présentait cependant un important écueil pour les
Dans un arrêt rendu par la chambre criminelle de employeurs, car l’alinéa 3 de son article 3 exigeait
la Cour de cassation, le 20 février 1992 6 , il y a été impérativement une cession écrite pour que ceux-ci
jugé que “s’il est exact que le créateur d’un modèle puissent bénéficier des droits patrimoniaux sur les
d’habillement ou de parure est recevable à invoquer

1. TGI Paris, 3e ch., 15 oct. 1982, Harlow c/Ohana, PIBD 7. CA Chambéry, 5 janv. 1982, Fusalp c/Veleda, PIBD 1982,
1983, III, 65 ; D. 1985, somm. 10, obs. J.-J. Burst. III, 69.
2. T. com. Nice, 6 févr. 1953, D. 1953, 216 – CA Aix-en- 8. CA Paris, 4e ch., 31 janv. 1989, Cah. dr. auteur 1989,
Provence, 27 oct. 1953, D. 1953, 704. no 16, p. 17.
3. Civ. 12 mars 1958, Gallay c/Gros et Crim. 7 oct. 1959, 9. CA Chambéry, 5 janv. 1982, Fuseurop c/Veleda, PIBD
Ann. 1959, 230, note C. Piat – CA Paris, 13e ch., 20 janv. 1982, III, 68 – TGI Paris, 3e ch., 27 juin 1985, YSL c/Esterel,
1982, Kergal c/Coissar, J.-CL. DESSINS, fasc. VII, mise à jour RDPI 1985, no 2, p. 118.
rose. 10.TGI Paris, 3e ch., 13 juill. 1988, Pierlot c/Turquoise, PIBD
4. TGI Paris, 3e ch., 30 mars 1989, Look c/Sibille, PIBD 1989, 1989, III, 126.
III, 547. 11.CA Chambéry, 5 janv. 1982, Fuseurop c/Veleda, PIBD
5. CA Paris, 4e ch., 21 mars 1990, Quennie c/CMC, D. 1990, 1982, III, 68 – TGI Paris, 3e ch., 27 juin 1985, YSL c/Esterel,
IR 102. RDPI 1985, no 2, p. 118, en appel CA Paris, 4e ch., 16 juin
6. “Pellegrino et autres”, D. 1992, IR 201. 1987, Cah. dr. auteur 1988, no 1, p. 23.

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838 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

articles de modes créés par leurs employés.1 Mais, rieurement par la jurisprudence à propos de la loi
en tout état de cause, dès lors qu’ils constituaient de 1952 4 , alors que le droit d’auteur a, par principe,
des “ créations originales ”, les modèles utilisés dans une protection équanime compte tenu de la directive
le domaine de l’habillement bénéficiaient également, d’harmonisation de la durée de protection – 70 ans
en l’absence de formalités, de la protection accordée post mortem, pour l’œuvre créée par une personne
par le droit d’auteur.2 La règle dégagée par l’alinéa 2 physique après la retranscription en droit français de
de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1909 (l’ancien ladite directive, ou 70 ans à compter de la date de la
art. L. 511-1, modifié depuis par l’ordonnance du publication pour une œuvre collective. Il a cependant
25 juillet 2001), qui excluait l’application du statut été jugé a contrario que “ l’article L. 112-1 du CPI pro-
des dessins et modèles lorsque la fonction utilitaire tégeant les œuvres qu’elle qu’en soit la destination,
absorbait l’élément ornemental, était applicable aux le créateur d’un modèle déposé est en droit d’invo-
créations saisonnières protégées par la loi du 12 mars quer cumulativement les dispositions des lois de 1957
1952 car son régime de protection se superposait à [l’actuel Livre I du CPI], de 1909 [l’actuel Livre V du
celui des dessins et modèles 3 . CPI] et de 1952 [abrogée depuis 1992] lorsqu’il s’agit
au surplus d’une création de l’industrie saisonnière
de l’habillement ” 5 .
SECTION 2
ÉTAT ACTUEL DE LA LÉGISLATION SUR LES
SECTION 3
ARTICLES DE MODE
QUELQUES PROBLÈMES PARTICULIERS AUX
210.14 Principe. À la différence des autres textes, CRÉATIONS DE MODE
les dispositions de la loi du 12 mars 1952 n’ont
pas véritablement été réintégrées dans le code de 210.15 Sources de contradictions et de difficultés.
la propriété intellectuelle. Seul l’alinéa 14 de l’ar- Actuellement, le droit des créations vestimentaires est
ticle L. 112-2 du CPI fait encore référence aux “ créa- relativement incohérent, ce qui peut, à long terme, se
tions des industries saisonnières de l’habillement et de révéler préjudiciable à tous ses acteurs. Cette situation
la parure ” en disposant que celles-ci font parties résulte d’une conjonction de phénomènes, à savoir :
des “ œuvres de l’esprit ”, lesquelles peuvent béné- – 1◦ ) la contradiction existant entre les
ficier de la protection du droit d’auteur. En d’autres notions de “ protection ” et de “ mode ”. La mode
termes, depuis l’entrée en vigueur du CPI, les articles est, en effet, définie “ comme une manière éphémère
de modes ne bénéficient plus d’un régime spécifique, de se vêtir en accord avec les goûts collectifs propres
mais seulement du régime “commun” du droit d’au- à une époque, à un lieu ou à un milieu donné ” 6 .
teur s’il s’agit de “ créations originales ”, cumulé, le “ C’est la mode qui se vend qui fait la mode ” 7 . Par
cas échéant, avec le régime des dessins et modèles “vocation”, la mode “ est donc destinée à être copiée ”
si ces créations sont “ nouvelles ” et ont fait l’objet (la phrase serait même de Coco Chanel). Le vête-
d’un dépôt auprès de l’Inpi. ment ou l’élément vestimentaire qui ne fait pas
Mais, le champ de l’alinéa 14 de l’article L. 112- l’objet d’une sorte d’appropriation collective ne peut
2 peut être sujet à controverse dans la mesure où il être considéré comme faisant partie de la “ mode ”.
précise que “ les créations des industries saisonnières Phénomène individuel en permettant une identifica-
de l’habillement et de la parure ” sont des créations tion, la mode est également un phénomène de masse.
“ renouvelées fréquemment ”. Cette formulation main- Elle se caractérise par des normes ou des tendances
tient indiscutablement les exigences dégagées anté- que suivent la majorité des modélistes, comme le
montre le phénomène de la minijupe dans les années
soixante et la longueur des jupes et des robes au fil
1. TGI Paris, 3e ch., 7 juin 1983, Meille c/Fourrures Georges
V, PIBD 1983, III, 217, en appel Paris 4e ch., 13 févr. des années... On peut également mentionner les
1985, D. 1987, somm. 40, obs. J.-J. Burst – Crim. 11 avr. modes “ juniors ”, caractérisées avant tout par une
1975, no 74-91.695, Rojas Herrera, Bull. crim., no 91 ; D. ambiance : héros de l’aviation des années quarante,
1975, 759, note Desbois ; RIDA 1975, no 85, p. 184 – Cf. nostalgie de l’Amérique de Norman Rockwell sur le
§ 7.411.
2. Il en a été jugé ainsi pour un modèle de robe (CA Paris,
4e ch., 29 févr. 1980, Pample et Mousse c/MK, Ann. 4. Qui exige notamment que la création ne soit pas “ démo-
1981, 167), de T-Shirt (TGI Paris, 3e ch., 22 juin 1987, dée ”, Crim. 20 févr. 1992, no 91-84.380, “Pellegrino et
Baril c/Boukhris, Cah. dr. auteur 1988, no 2, p. 35), de autres”, Bull. crim., no 80 ; D. 1992, IR 201.
chaussures (CA Paris, 4e ch., 10 janv. 1978, Marcoux 5. CA Paris, 4e ch., 6 juill. 1994, Plastitemple c/Sahara, D.
c/Beneteau, Ann. 1981, 166), de survêtement (CA Paris, 1994, IR 226.
4e ch., 9 nov. 1988, Kam’z Créations c/Adidas, Cah. 6. Article “ Mode ”, in La Grand Encyclopédie Larousse.
dr. auteur 1989, no 15, p. 18), de sac (CA Paris, 4e ch., 7. P.-A. Gay, “ L’industrie de l’habillement est passé sous
12 nov. 1974, Hermès c/Renast, Ann. 1975, 214). la coupe de la distribution ”, Le Monde 25 févr. 1995,
3. Crim. 10 oct. 1962, Sage, D. 1962, jur. 52. p. 18.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.15 839

fond de “ be bop ”, de base-ball, de voiture de rêves, – 6◦ ) la fabrication à l’étranger : le fait que de


cow-boys au soleil couchant... “ Toute cette imagerie plus en plus de modèles soient fabriqués à l’étran-
fait vendre des vêtements sans imagination ” 1 . Ces ger, n’est pas sans poser d’épineux problèmes quant
“ tendances ”, qui relèvent en réalité plus d’un genre, à leur propriété, car de plus en plus nombreuses sont
ne peuvent, en principe, par leur nature faire l’ob- les personnes qui revendiquent des droits sur des
jet d’une appropriation privative. Mais il convient créations qu’elles n’ont fait qu’importer. Même s’il
de ne pas généraliser en la matière car toutes les est de bon ton, en France, d’accuser certains pays
“ tendances de la mode ” ne relèvent pas nécessai- notamment la Chine d’être des nids de contrefac-
rement du domaine public ; il en est ainsi lorsque teurs, ce qui n’est pas tout à fait exact puisque ce pays
celles-ci traduisent, en réalité, la volonté de parasiter emploie dix fois plus de designers que la France, un
la popularité et le succès d’un modèle particulier... certain nombre de dessins et modèles déposés à l’Inpi
– 2◦ ) l’existence de millions d’antériorités depuis quelques années sont en réalité des dépôts
dans un contexte mondial. Peu de créations ves- réalisés frauduleusement au mépris de créateurs chi-
timentaires sont réalisées ex nihilo. Il existe des mil- nois auprès desquels on s’est procuré quelques échan-
lions d’antériorités dans tous les domaines de la mode tillons. Par ailleurs, les titulaires de droits étrangers
dont on peut s’inspirer comme source de créations, sont rarement informés du fait que des sociétés fran-
ou qu’on peut même redéposer ou revendiquer frau- çaises bénéficient d’une présomption de titularité sur
duleusement, et ce dans un contexte mondial. Pour les modèles qu’elles ne font qu’importer, qui leur per-
mémoire, la société Zara qui emploie 300 designers met de les déposséder à leur insu et en toute légalité
affirme à elle seule créer près de 30 000 modèles par de leurs droits.3
an2 . Étant précisé qu’en novembre 2009 on trouvait – 7◦ ) les disparités importantes qui existent
plus de 76 400 dépôts dans la Classe 02 « habille- dans la protection accordée aux articles de mode
ment mercerie » de la base de données des dessins sur le plan international. Ces disparités qui sont
et modèles de l’Inpi. Et pour la seule année 2008, déjà importantes au sein de l’Union européenne, et
l’Ohmi a enregistré près de 78 000 dessins et modèles qui font déjà qu’actuellement qu’une société comme
toutes classes confondues. la société italienne Tod’s, qui ne peut interdire à cer-
– 3◦ ) le fait que de nombreux articles de mode tains de ses concurrents italiens de fabriquer certains
puissent bénéficier d’un cumul de protections modèles en Italie où la jurisprudence n’est très pro-
(droit d’auteur/dessin et modèle/marque tridimen- tectrice, n’hésitent pas à assigner en France en contre-
sionnelle), dont les fondements, comme les règle façon les importateurs de ces modèles d’origine ita-
d’appréciation de la contrefaçon sont totalement dif- lienne. Le droit d’auteur est ainsi devenu un obstacle
férents, pour ne pas dire contradictoires, est de nature à la libre circulation des produits.
à remettre en cause certains grands principes de la Les litiges portant sur les créations vestimentaires
propriété intellectuelle, ce qui est dangereux à long sont, de ce fait, des litiges de plus en plus complexes.
terme et source d’une grande insécurité juridique. La propriété intellectuelle est ainsi devenue, bien sou-
– 4◦ ) l’application de la théorie de l’unité de vent, un moyen radical pour protéger des genres de
l’art aux créations vestimentaires leur permettait vêtements, obtenir des monopoles sur des modèles
traditionnellement de bénéficier de la protection du qui relevaient à l’évidence du domaine public et/ou
droit d’auteur (Livre I du CPI) et de celle du droit des qui ne comportent aucune créativité leur permettant
dessins et modèles (Livre V du CPI). Or la théorie de bénéficier d’un droit privatif. Dans de nombreux
de l’unité de l’art est aujourd’hui remise en question cas, elle est aussi un moyen commode pour se débar-
et suscite, de ce fait, de nombreuses questions quant rasser de concurrents dont le seul tort est de s’appro-
aux conditions mêmes de la protection accordée par visionner auprès du même fabricant asiatique.
la loi.
– 5◦ ) le recours à des techniques de la cou-
ture, pour ne pas dire même à des logiciels et/ou
des systèmes de conception assistée par ordina-
teur qui relèvent de divers savoir-faire qui sont par
nature insusceptibles d’appropriation n’est pas suffi-
samment pris en compte par les magistrats qui pro-
tègent des articles de mode qui ne peuvent être quali-
fiés véritablement de créations. 3. V. cep. une affaire où le demandeur qui affirmait détenir
des droits sur un modèle de sac d’origine italienne a dû
faire face à l’intervention volontaire de son fournisseur
qui a obtenu 50 000 euros de dommages-intérêts pour
1. M. Silber, Le Monde 22 déc. 1992, p. 28. l’atteinte portée à ses droits de propriété intellectuelle
2. Comment Zaza habille le monde, Le Figaro 25 oct. 2009, (T. com. Paris, 9e ch., 16 oct. 2008, Questions de Peaux
p. 32. et Martine c/Sellerie Saint Placide et Ste Delfino, inéd.).

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840 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

SECTION 4 tufté". On trouve également ici et là quelques brevets


"folkloriques" comme le brevet du porte-jarretelles3 .
PROTECTIONS DES CRÉATIONS Toutefois, le tribunal civil de la Seine a validé un bre-
VESTIMENTAIRES AUTRES QUE LE DROIT vet pour « un soutien-gorge permettant de maintenir
D’AUTEUR correctement les seins sans le secours d’aucun balei-
nage mais simplement par l’assemblage de trois pièces
210.16 Principe. Les articles de mode et les créa- de tissus. »4
tions vestimentaires peuvent également bénéficier de N’est pas protégeable au titre des dessins et
la protection des dessins et modèles, du droit des modèles le modèle dont « les caractéristiques sont
marques et même des brevets. Ce cumul de protec- exclusivement imposées par sa fonction technique »
tion pose divers types de problèmes. Parmi ceux-ci, il (art. L. 511-8), c’est-à-dire lorsque sa forme est insé-
fait citer le fait qu’en matière pénale les douanes et parable ou indivisible de sa fonction : cette forme
les titulaires de droits invoquent plutôt le droit des ne peut alors être protégée que par un brevet par
marques et le droit des dessins et modèles qui com- application des dispositions de l’article L. 511-8 du
portent des dispositions qui leur sont plus favorables CPI5 et ce “même si cette forme peut varier ou pro-
plutôt que le droit d’auteur. duire un effet ornemental”6 . La solution s’impose
Mais, compte tenu de ces cumuls de protection, on également « lorsque l’aspect obtenu n’existe pas par
ne peut pas envisager la protection de cette catégorie lui-même, mais résulte uniquement du procédé mis
de créations sous le seul angle du droit d’auteur. en œuvre »7 .
Bien souvent les créations de modes bénéficiant
§1 qui sont brevetées sont notamment les vêtements
destinés aux sportifs ou aux handicapés, les sous-
Brevets
vêtements ou encore les lunettes...
210.17 Principe. Comme les brevets ne concernent
que les inventions qui ont des applications indus- §2
trielles, et non les créations de forme qui relèvent du
Droit des marques
droit d’auteur ou du droit des dessins et modèles, ne
peuvent faire l’objet de brevets dans le domaine des 210.18 Principe. Tout signe “distinctif” c’est-à-dire
créations vestimentaires que : tout signe arbitraire qui :
– les nouvelles matières synthétiques (Nylon, Ter- – n’est ni générique, ni descriptif,
gal, etc.), – ne porte pas atteinte à un droit antérieur
– les fonctionnalités particulières de certains vête- (marque antérieure, dénomination sociale, droit
ments ou accessoires, comme par exemple le pliage d’auteur, appellation d’origine, etc.), et
des sacs, – n’est pas déceptif ou contraire aux bonnes
– les nouveaux procédés de fabrication1 , mœurs,
– les nouvelles machines mécaniques ou électro- peut faire l’objet d’un dépôt et donc d’un enregis-
niques ayant pour objet de couper, de filer, de tisser, trement au titre des marques à l’Inpi.8
de coudre2 , etc.
Le mensuel "L’Industrie Textile" publie régulière-
3. Brevet français no 112985 du 20 mai 1876 délivré à Féréol
ment dans chacun de ses numéros une sélection de
Dedieu.
résumés de brevets français, européens et PCT ayant 4. Trib. Civ. Seine 24 mai 1934, Negri c/Lhoste, Ann. 1938,
des applications dans le domaine du textile. Dans son 218.
n◦ 1298 de mai 1998, on trouvait ainsi le résumé 5. DANS LE MÊME SENS, pour un bijou formant une broche
d’un "procédé pour le filage, l’étirage et le bobinage (CA Paris, 4e ch., 10 févr. 1937, Veuillet c/Van Cleef, Ann.
d’un fil synthétique", "un procédé de fabrication d’un 1938, 226) ; pour un tissu fabriqué de manière à res-
sembler à de l’astrakan (CA Lyon, 2 mai 1944, Digonnet
fil polyester continu", "un procédé et dispositif de réa-
c/Bechetoille, Ann. 1940/1948, 369).
lisation d’effets épais/mince dans un fil continu de 6. CA Paris, 8 oct. 2003, Odda c/GL, Prop. ind. 2004, no 4,
préparation non entièrement orienté", "une machine p. 28, note P. Greffe.
de teinture sans rouleaux", "un dispositif électro- 7. CA Paris, 4e ch., 6 avr. 1994, Wilfine c/Snobissimo, Gaz.
nique magnétique pour l’actionnement automatisé Pal. 7 juin 1994, somm. p. 15, à propos de l’emploi d’une
des aiguilles d’une mécanique jacquard" et "un tissu fibre de polyester qui contribue à assurer une permanence
au plissé ; – DANS LE MÊME SENS pour un slip CA Paris, 4e
ch., 9 juill. 1975, Éminence c/Belpaume, Ann. 1976, 103,
1. T. com. Lyon, 6 sept. 1932, Thibaut c/MVP, Ann. 1938, et pour un soutien gorge TGI Paris, 3e ch., 6 déc. 1989,
253. Playtex c/Dim, PIBD 1990, III, 313.
2. Pour mémoire, la machine à coudre, dont l’« ancêtre » a 8. Sur l’ensemble de la question, Bertrand, Le Droit des
été inventé en 1830 par le français Barthélémy Thimonnier, marques et des signes distinctifs, Dalloz, 2e ed. 2005 (3e
a été une des grandes inventions du XIXe siècle. éd. à paraître fin 2010). Le 20 avril 2010, respectivement

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.19 841

Le monopole conféré au titulaire de la marque est – des marques composées par des éléments d’un
limité aux produits et/ou services désignés lors de produit, le croissant3 "Adidas", le tab des jeans Levi’s
l’enregistrement. Les "classes de produits et/ou de et « l’aile de mouette » 4 qui décore en surpiqûre les
services" auxquelles se réfère l’Inpi, à savoir : poches de ces mêmes jeans, la toile "monogram" et
– la classe 18 pour les sacs et malles en cuir, du cuir "épis" de Louis Vuitton5 , le motif de tartan
– la classe 24 pour les tissus et produits textiles, écossais de la société Burberrys6 , et
– la classe 25 pour les vêtements, chaussures et – enfin la forme même des produits (sac Kelly
chapellerie et, d’Hermès, les flacons de parfums, etc....).
– la classe 26 pour les dentelles, broderies et passe- Étant précisé que la jurisprudence s’avère fluc-
menterie, tuante en ce qui concerne certaines de ces marques
puisqu’en 1987 le TGI de Paris7 avait, compte tenu
n’ont en principe qu’une valeur administrative, afin
de son caractère fonctionnel, conclu à la nullité de la
de faciliter notamment les recherches d’antériorités.
marque constituée par le "croissant" placé à la partie
Il est donc important de bien lister les produits ou les
supérieur du talon des chaussures Adidas, alors que
services que l’on entend protéger. Mais, lorsqu’une
dix ans plus tard la cour d’appel de Paris en a jugé
marque est notoire ou renommée, comme c’est géné-
autrement8 .
ralement le cas des marques de Haute Couture, la pro-
tection va au-delà des produits ou services désignés Ces marques ne devraient pas être validées dès
dans son enregistrement. La notoriété de la marque lors qu’elles ont pour objet de contourner certains
fait éclater le principe de spécialité, et toute utilisa- principes fondamentaux de la propriété intellectuelle,
tion de la marque notoire, même hors de son contexte notamment le fait que les créations doivent à un
habituel, est assimilée par la loi à un acte de parasi- moment donné ou à un autre tomber dans le domaine
tisme (CPI, art. L. 713-5). public.
Le code de la propriété intellectuelle (CPI) sanc- Le droit des marques est également utilisé par les
tionne aussi bien la contrefaçon de marque "stricto fabricants de produits de luxe et de parfums pour leur
sensu", c’est-à-dire la reproduction de la marque permettre de les distribuer et de les vendre par le biais
à l’identique pour désigner des produits identiques de distributeurs agréés.9
(L. 713-2) ou similaires (L. 713-3 [a]), que l’imi- Il est également important de constater que les
tation illicite de marque, c’est-à-dire la reproduc- grandes sociétés sont toutes titulaires de portefeuilles
tion d’une marque modifiée pour des produits iden- de plusieurs centaines de marques nominatives, figu-
tiques ou similaires dans des conditions de nature à ratives ou tridimensionnelles (1054 marques Dior,
créer une confusion dans l’esprit du public (L. 713- 751 marques Chanel, 255 marques Adidas, etc.), ce
3 [b]) : ainsi, la marque "Swatch" est contrefaite qui est de nature à freiner la libre concurrence.
par la marque "Scratch" utilisée pour désigner des 210.19 Un cas « topique » : les marques aux trois
montres... bandes d’Adidas. La société Adidas, qui est connue
Le champ des signes pouvant constituer des pour être « la marque aux trois bandes » a en réa-
marques valides est extrêmement large et, dans le lité déposé plusieurs dizaines de marques comportant
domaine de la mode et des créations vestimentaires, trois bandes, dépôts qui ne sont pas sans poser de
on peut citer traditionnellement : problèmes et qui sont source d’une grande insécurité
– les marques nominales, formées d’un nom arbi- juridique. On constate en effet que la marque Adidas
traire (Hermès), les marques patronymiques for- a notamment déposé les marques suivantes : com-
mées d’un patronyme (Dior, Louis Vuitton, Given- munautaires no 6968846, classe 25 du 29 mai 2008,
chy...), noms patronymiques (Christian Dior, Given- internationale no 799035 et no 799844 en classe 25
chy, Levi’s, Nike, etc.), et du 3 février 2003 :
– les marques figuratives dont des logos1 , les des-
sins (crocodile "Lacoste", aigle d’American Eagle). 3. CA Paris, 4e ch., 1er oct. 1997, Royer c/Adidas, Ann. 1998,
Mais, la principale difficulté et confusion qui existe 46.
dans le domaine des créations vestimentaire tient aux 4. CA Paris, 4e ch., 12 juin 1990, Seror c/LS, Ann. 92, 13.
que l’on peut également déposer à titre de marque 5. CA Paris, 4e ch., 7 févr. 1996, Stocks Sacs c/LV, PIBD 1996,
III, 345 – TGI Paris, 6 avr. 1994, LV c/Mozart, PIBD 1994,
– des marques figuratives, il en est ainsi des 3 III, 387 – TGI Paris, 23 sept. 1995, PIBD 1995, III, 12.
bandes "Adidas"2 ; 6. Notamment la Cour de Justice du Benelux, 14 avr. 1989,
Burberrys Ltd v/Superconfex [1989] 7 EIPR D-122 sur
renvoi de la Cour suprême des Pays-Bas.
123.783 et 253.904 marques étaient enregistrées dans la 7. TGI Paris, 3e ch., 30 avr. 1987, PIBD 1987, III, 450.
base de données de l’Inpi en classes 18 et 25. 8. CA Paris, 4e ch., 1er oct. 1997, Royer c/Adidas, Ann. 1998,
1. Les 2 C entrelacés de la société Chanel, CA Paris, 4e ch. 46.
Chanel c/Vanell, PIBD 1982, III, 105. 9. Bertrand, Droit des marques, signes distinctifs, noms de
2. TGI Paris, 3e ch., 30 mars 1981, Ann. 1981, 288. domaines, 2e ed. Dalloz 2005, p. 523.

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842 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

Le problème, c’est que d’autres sociétés ont éga-


lement déposé des bandes à titre de marques. On
citera ainsi la société Palladium qui revendique plu-
sieurs marques à deux bandes, et notamment les
marques no 3149704 et no 3149712 déposées par
La marque communautaire no 5271572 classes 3, cette société le 22 février 2002 en classe 25, ainsi que
9, 14, 18, 25 et 28 du 28 juillet 2006, la marque la no 3012921 déposée le 3 mars 20002 , notamment
française no 93458476 en classes 14, 16 et 28 du en classe 25, toutes trois reproduites ci-dessous :
4 mars 1993, la marque française no 1569216 en
classes 18, 25 et 28 du 29 novembre 1988,

La marque française no 1574962, no 1574960, Les marques des sociétés Adidas et Palladium préci-
n 1579661, no 1574963, no 1574957 et no 1574959
o tées ne sont pas exhaustives des marques constituées
en classes 18, 25 et 28 du 7 février 1990 par une, deux, trois, quatre, cinq, etc. bandes et la
multiplicité de celles-ci sur ce que l’on peut qualifier
d’un décor banal qui devrait rester à la libre dispo-
sition de tous n’est pas sans poser de problèmes de
droit de la concurrence.
Par ailleurs, le public, comme les revendeurs, ont
souvent des difficultés avec les « signes » déposés à
titre de marque des diverses sociétés qui interviennent
Marques internationales no 952310 et no 948935 sur le même segment de marché. Ainsi en matière de
en classe 25 du 14 décembre 2007, marques commu- chaussures de sport, la marque no 3149712 déposée
nautaires no 6081889 en classe 18 et 28 du 9 juillet par la société Palladium le 22 février 2002 en classe
2007 et no 4269072 en classe 25 du 2 février 2005. 25, se distingue peu de la marque no 581191 éga-
lement déposée par la société Puma en classe 25,
marque qui par ailleurs a été jugée différente3 de la
marque no 800770 déposée par la société Cortina en
classe 25, ci-dessous reproduites

Les marques listées et ci-dessus reproduites ne sont les 3 bandes d’Adidas et ses arrêts ont toujours été peu
qu’une partie des marques figuratives déposées par la convainquant (CJCE 10 avr. 2008, no C-102/07, Adidas
société Adidas, et n’ont pour but que de démontrer c/Marca Moda et autres et CJCE 23 oct. 2003, no C-
que cette société a déposé des dizaines de marques 408/01, Adidas c/Fitnessworld).
2. Déchue pour défaut d’exploitation par la 4e sect. de la 3e
incluant trois bandes afin d’obtenir ainsi un véritable
ch. du TGI de Paris, 9 juill. 2009, Palladium c/EXHL, PIBD
monopole sur l’utilisation de ce type de décor en 2009, III, 1519.
matière de vêtements et d’accessoires vestimentaires, 3. « En dehors de la seule forme évasée du logo, les deux
étant précisé que la marque Adidas essaie régulière- signes sont très différents dans leur composition de telle
ment d’étendre le champ de ses dépôts à ces décors sorte qu’ils ne peuvent être confondus ; qu’en effet,
comportant deux ou quatre bandes, stratégie qui a la marque PUMA par ses lignes parallèles en pointillés
réussi en Allemagne, où cette société a son siège et où évoque une route ou les couloirs d’un stade alors que
la marque contestée n’évoque nullement une route, le
la jurisprudence a tendance a considérer que l’utili- consommateur lisant, au premier plan, la voyelle A sur-
sation d’une quelconque bande en matière vestimen- montée de deux ovales, ou voyant une sorte de tour
taire constitue à tout le moins une imitation illicite eiffel stylisée qui n’évoquent pas un même concept ; que
ou un acte de parasitisme de ces marques aux trois l’identité entre les produits en cause et la notoriété de
bandes.1 cette marque – au demeurant non établie, n’effacent
pas, pour un consommateur moyennement attentif l’im-
pression d’ensemble très différente des signes en cause »
1. La CJCE a été saisie déjà à deux reprises du champ de la (CA Paris, 4e ch. B, 3 déc. 2004, Puma c/Inpi et Cortina,
protection qu’il fallait accorder à la marque constituée par accessible surwww.inpi.fr.).

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.20 843

– la directive no 98/71/CE du 13 octobre 1998,


qui a été retranscrite en droit français par l’ordon-
nance du 25 juillet 2001, a non seulement harmo-
nisé le droit des dessins et modèles dans l’ensemble
de l’Union européenne, mais il a également profon-
dément modifié certains principes de ce droit ;

– le règlement no 6/2002 du 12 décembre 2001 en


créant un nouveau titre le dessin et modèle commu-
Mais, toujours en matière de chaussures (classe 25)
nautaire délivré par l’Ohmi, a instauré un titre unique
on pourrait citer d’autres marques figuratives com-
qui permet par un seul dépôt d’obtenir un enregis-
posées par des bandes, notamment la marque inter-
trement dans les 27 pays de l’Union européenne au
nationale déposée par la société Geox n◦ 1009123
1er janvier 2009.
déposée le 22 mai 2009, et ci-dessous reproduite :
Mais, les conditions formelles de délivrance et de
validité des dessins et modèles communautaires sont
néanmoins identiques à celles des dessins et modèles
nationaux. Aussi, comme c’est le cas en matière de
marques nationales et de marques communautaires
il existe entre les dessins et modèles nationaux et
les dessins et modèles communautaires un lien fonc-
§3 tionnel. De ce fait, la jurisprudence des divisions et
Droit des dessins et modèles chambres de recours de l’Ohmi, comme celles du
210.20 Principe. Les créations vestimentaires TPICE et de la CJCE rendue en matière de dessins et
peuvent être déposées à l’Inpi ou à l’Ohmi en tant de modèles communautaires peut, et dans certains
que dessins et modèles français ou communautaires. cas même doit, servir à interpréter le droit national
L’Inpi comme l’Ohmi procèdent aux enregistrements des dessins et modèles.
en vérifiant simplement si les conditions formelles
Comme les tribunaux français n’ont pas encore
des dépôts sont satisfaites, notamment le paiement
intégré, les changements induits par la directive sur
des taxes de dépôt. La validité de ces dépôts peut
les dessins et modèles, dans le cadre de cette section
ensuite être contestée si elle ne satisfait pas aux obli-
nous sommes obligés de nous référer au règlement
gations de fond, soit devant la chambre d’annulation
no 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et
de l’Ohmi pour les dessins et modèles commu-
modèles, qui a instauré un titre unique qui permet
nautaires, soit devant les tribunaux, notamment à
par un seul dépôt d’obtenir un enregistrement dans
titre reconventionnel, pour les dessins et modèles
les 27 pays de l’Union européenne au 1er janvier
français.
2009. Le 19 considérant du Préambule du règlement
Pour mémoire, une interrogation de l’ensemble de précise que :
la classe 2 « Articles d’habillement et mercerie » le
22 mars 2010 dans la base de données des dessins « (19) Pour être valide, un dessin ou modèle commu-
et modèles de l’Inpi produisait 77 242 réponses et nautaire devrait être nouveau et posséder un caractère
individuel par rapport à d’autres dessins ou modèles. »
celle de l’ensemble de la classe 3 « Articles de voyages,
étuis, parasols et objets personnels » 38 096 réponses.
Ce même jour, on constatait que dans cette même Le principe figure donc à l’article 4 du règlement
base : intitulé « Conditions de la protection » qui dispose
que :
– 3 350 dessins et modèles étaient enregistrés au
nom de la société Création Nelson (qui commercia- « 1. La protection d’un dessin ou modèle par un dessin ou
lise des produits sous l’enseigne Comptoir des Coton- modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure
niers et qui en réalité une filiale du groupe japonais où il est nouveau et présente un caractère individuel.
Fast Retailing), 2. Un dessin ou modèle appliqué à un produit ou incorporé
– 871 dessins et modèles étaient enregistrés au dans un produit qui constitue une pièce d’un produit
complexe n’est considéré comme nouveau et présentant
nom de la société Nitya.
un caractère individuel que dans la mesure où :
– 862 dessins et modèles étaient enregistrés au
a) la pièce, une fois incorporée dans le produit complexe,
nom de la société My Design. reste visible lors d’une utilisation normale de ce produit,
La directive, comme le règlement sur les dessins et
et modèles ont totalement bouleversé le droit en la b) les caractéristiques visibles de la pièce remplissent en
matière en introduisant un véritable « changement tant que telles les conditions de nouveauté et de caractère
de paradigme ». Pour être plus précis : individuel.

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844 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

3. Par "utilisation normale" au sens du paragraphe 2, graphe 1, point a), et à l’article 6, paragraphe 1, point
point a), on entend l’utilisation par l’utilisateur final, à a), ou à l’article 5, paragraphe 1, point b), et à l’article 6,
l’exception de l’entretien, du service ou de la réparation. » paragraphe 1, point b), selon le cas, sauf si ces faits, dans
la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonna-
Comme en matière de dessins et modèles com- blement être connus des milieux spécialisés du secteur
munautaires, sous le régime issu de l’ordonnance du concerné, opérant dans la Communauté. Toutefois, le des-
25 juillet 2001, pour bénéficier de la protection accor- sin ou modèle n’est pas réputé avoir été divulgué au public
dée par la loi les dessins et modèles doivent satisfaire s’il a seulement été divulgué à un tiers sous des conditions
à au moins deux conditions de fond : explicites ou implicites de secret.
– être nouveaux (CPI, art. L. 511-2 et L. 511-3), et 2. Aux fins des articles 5 et 6, il n’est pas tenu compte
– présenter “un caractère individuel” (expression d’une divulgation si un dessin ou modèle pour lequel la
protection est revendiquée au titre de dessin ou modèle
du règlement et de la directive) ou “un caractère
communautaire enregistré a été divulgué au public :
propre” expression retenue par le législateur français
(CPI, art. L. 511-2, L. 511-4 et L. 511-5). a) par le créateur ou son ayant droit ou par un tiers sur la
base d’informations fournies ou d’actes accomplis par le
Non seulement on a voulu créer volontairement créateur ou son ayant droit, et ce,
une confusion dans l’esprit des magistrats et des
b) pendant la période de douze mois précédant la date
juristes en préférant l’expression « caractère propre » de dépôt de la demande d’enregistrement ou la date de
aux articles L. 511-2 et L. 511-3 du CPI en lieu et priorité, si une priorité est revendiquée.
place de celle de « caractère individuel », mais cette
3. Le paragraphe 2 est également applicable lorsque le
confusion est accentuée par le fait que ce caractère dessin ou modèle a été divulgué au public à la suite d’une
propre est apprécié non pas au regard de « l’utilisateur conduite abusive à l’égard du créateur ou de son ayant
averti » (expression retenue par le règlement et la droit. »
directive), mais de « l’observateur averti » (CPI, art.
L. 511-4). Le règlement, comme la directive et le droit fran-
En conséquence de ce qui précède, au regard de çais (L. 511-3) font donc référence à une nouveauté
l’article L. 513-5 du CPI dispose que : « objective » comme c’est le cas en matière de brevets.

« La protection conférée par l’enregistrement d’un dessin En ce qui concerne la deuxième condition de fond,
ou modèle s’étend à tout dessin ou modèle (nouveau) l’exigence du « caractère individuel » (ou du « carac-
qui ne produit pas sur l’observateur averti une impression tère propre » en droit français), le 14e considérant
visuelle d’ensemble différente. » du préambule du règlement précise que :

Pour être nouveau au sens du règlement, le modèle « (§ 14) L’appréciation du caractère individuel d’un des-
ne doit pas avoir été divulgué antérieurement par le sin ou modèle devrait consister à déterminer s’il existe une
déposant, et il ne doit pas faire l’objet d’antériorités, différence claire entre l’impression globale qu’il produit
qui ne se distinguent du modèle dont la protection sur un utilisateur averti qui le regarde et celle produite sur
lui par le patrimoine des dessins ou modèles, compte tenu
est réclamée que « par des détails insignifiants ». L’ar-
de la nature du produit auquel le dessin ou modèle s’ap-
ticle 5 du règlement intitulé « Nouveauté » dispose
plique ou dans lequel celui-ci est incorporé et, notamment,
que : du secteur industriel dont il relève et du degré de liberté
« 1. Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle. »
si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au
public : L’article 6 du règlement, intitulé « Caractère indi-
viduel » précise quant à lui que :
[...]
b) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire « 1. Un dessin ou modèle est considéré comme présentant
enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregis- un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit
trement du dessin ou modèle pour lequel la protection est sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un
demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au
priorité. public :
2. Des dessins ou modèles sont considérés comme iden- a) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire non
tiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle
des détails insignifiants. » pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au
public pour la première fois ;
L’article 7 du règlement intitulé « Divulgation »
b) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire
précise que : enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregis-
« 1. Aux fins de l’application des articles 5 et 6, un des- trement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date
sin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s’il de priorité.
a été publié à la suite de l’enregistrement ou autrement, 2. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte
ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin
toute autre manière, avant la date visée à l’article 5, para- ou modèle. »

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.20 845

En ce qui concerne le modèle de montre suivant : que l’impression globale produite sur l’utilisateur averti
par le modèle communautaire ne diffère pas de celle pro-
duite sur ce même utilisateur par le modèle antérieur D8.
En effet la plupart des caractéristiques du modèle commu-
nautaire sont contenues dans le modèle antérieur d’une
part, et les différences observées entre les deux modèles,
compte tenu de l’influence qu’elles exercent sur l’aspect
du modèle considéré dans son ensemble, ne suffisent pas
pour produire une impression globale différente, ce qui
semble corroboré par l’idée que le modèle communautaire
Modèle déposé Modèle déposé fut conçu pour créer une montre dont l’aspect serait le
Il a d’abord été jugé par la Chambre des recours de plus proche possible des instruments de bord conçus pour
les cockpits d’avion, que fabrique, entre autres, le titulaire
l’Ohmi que :
de la marque Sinn.
« (44) l’utilisateur averti s’identifie au consommateur (25) En conclusion sur ce point, le modèle communau-
final des produits, c’est-à-dire des bracelet-montres. Il ne taire est dépourvu de caractère individuel au sens de l’ar-
s’agit donc pas du designer ou de l’ingénieur qui a passé du ticle 4 du RDC. » 2
temps à concevoir le cadran venant s’ajuster au bracelet,
mais d’une personne qui va acheter ledit modèle, qui Il résulte de ce qui précède que l’appréciation « du
connaît le marché des montres et les différentes marques caractère propre » (concept du CPI) d’un dessin ou
commerciales. Vu le coût dudit produit sur le marché, il d’un modèle doit tenir compte « du degré de liberté
s’agit certainement d’un véritable amateur de montres du créateur », et se faire « au regard de son impression
qui s’est informé sur les différentes formes et types de d’ensemble sur l’observateur averti » (L. 511-4), qui
montres par le biais, par exemple, de magazines spécialisés est donc un professionnel du domaine considéré,
ou de recherches sur Internet ou s’est renseigné dans et non pas un consommateur moyennement avisé,
des magasins, tels que des bijouteries, qui proposent ces comme c’est le cas en matière de marque.
produits à la vente. Contrairement à ce que soutient la
titulaire, l’utilisateur averti ne saurait se limiter à l’examen Dans le même ordre d’idée on peut citer une
des modèles de montres inspirés de l’aéronautique, mais autre décision de la division d’annulation de l’Ohmi
il s’agit d’une personne qui s’intéresse au marché des portant sur l’enregistrement d’un motif de tissu de
montres en général et se tient régulièrement informée »1 . style écossais proche celui déposé au titre des marques
par la société Burberry’s3 , en ce sens qu’elle a retenu
Ensuite en ce qui concerne son « caractère indi- que des marques pouvaient constituer une antériorité
viduel » la division d’annulation de l’Ohmi a jugé destructrice de la nouveauté d’un modèle.
que :
« (23) L’impression globale que le modèle communautaire
produit sur l’utilisateur averti, amateur de montres et
familier du corpus historique de modèles de montres,
doit être appréciée à la lumière du degré de liberté du
créateur dans ce domaine, très haut compte tenu du fait
que les contraintes techniques sont en la matière limitées
au caractère lisible de la montre, à savoir qu’elle doit
permettre à l’utilisateur de lire l’heure indiquée par la
montre. À cet égard, il faut constater que ni la forme, la
taille ou les proportions du boîtier, ni celles du cadran ou
des inscriptions qui y figurent, ni celles des aiguilles (dont Marque internat n◦ 732879 Marque com n◦ 377580
la présence est elle-même facultative) ne viennent limiter
Modèle déposé qui a été annulé pour absence de
cette liberté.
nouveauté :
[...]
(24) Compte tenu de ce haut degré de liberté du créateur,
les choix opérés par celui-ci ont pour conséquence le fait

1. Ohmi Décis. 3e ch. de recours, 27 oct. 2009, no R.


1267/2008, 3, Bell & Roos c/Klockgrossisten, accessible sur
le site de l’Ohmi. La Divison d’annulation ayant quant à elle
jugé que « l’utilisateur averti est un amateur de montres
familier du corpus historique de modèles de montres »
(Ohmi Décis. Div. d’ann., 12 août 2008, no 4307, Klock- 2. Ohmi Décis. Div. d’ann., 12 août 2008, no 4307, Klock-
grossisten c/Norden, § 23 – Sur cette question : J.-P. Gas- grossisten c/Norden, § 23, 24 et 25.
nier, « Regards sur l’utilisateur averti dessiné par l’Ohmi », 3. Ohmi Décis. Div. d’ann., 8 févr. 2006, no 000286430-
Prop. ind. sept. 2008, no 9, p. 20, § 18). 0001

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846 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

SECTION 5 210.22 Nécessité d’une création. L’article L. 111-


1 du CPI dispose spécifiquement que l’auteur jouit
PROTECTION DES ARTICLES DE MODE PAR LE des droits d’auteur sur une œuvre du "seul fait de sa
DROIT D’AUTEUR création". C’est l’acte créatif qui donne naissance au
droit d’auteur. Il ne peut donc y avoir de protection
210.21 Principe. Comme c’est le cas pour les autres par le droit d’auteur en l’absence de cette "création".
types de créations, pour que les articles de mode L’ancien article L. 511-1 du CPI, dans sa rédaction
bénéficient de la protection accordée par le droit antérieure à l’ordonnance du 25 juillet 2001, dispo-
d’auteur loi il faut impérativement qu’ils satisfassent sait quant à lui que "tout créateur" d’un dessin ou
à deux conditions à savoir : d’un modèle déposé avait le droit exclusif de l’exploi-
1◦ ) constituer des "créations" ; ter4 . La "création" est quant à elle définie par :
2◦ ) qui doivent être "originales". – « une production qui se manifeste par un effort,
La condition "d’originalité" n’est exigée qu’en aussi minime soit-il, mais certain, qui a présidé à une
matière de droit d’auteur, alors que celle de "nou- nouvelle création dans le domaine des formes »5 ,
veauté" n’est exigée qu’en matière de droit des des- – « une réelle activité créatrice et non des déclinai-
sins et modèles. Théoriquement, ces deux conditions sons ou des transpositions »6 .
visent des droits différents, le droit d’auteur et le Dans ce sens la Chambre commerciale de la Cour
droit des dessins et modèles procédant de fondements de cassation a confirmé un arrêt qui avait refusé
juridiques distincts. D’ailleurs, la Cour de cassation la protection du droit des dessins et modèles à un
rappelle régulièrement que « la notion d’antériorité briquet Dupont au motif que "les différences présen-
est inopérante en matière de propriété littéraire et artis- tées par le modèle litigieux avec les antériorités étant à
tique ».1 . peine perceptibles, ce modèle ne traduisait aucun effort
Pourtant les deux notions sont étroitement liées de création"7 . Par ailleurs, les tailleurs de quartiers
en droit positif, notamment en ce qui concerne les comme les designers professionnels ont un minimum
articles de mode car la nouveauté est souvent per- de connaissances, pour ne pas dire de savoir faire,
çue comme une preuve objective d’originalité2 , ou a dans le domaine de la couture et des vêtements. En
contrario parce que l’existence d’œuvres identiques, conséquence, en matière de créations vestimentaires,
donc en l’absence de nouveauté, il est difficile de par- ne constitue manifestement pas une création :
ler d’originalité. C’est pourquoi en matière de créa- – le fait de raccourcir ou de rallonger une jupe ou
tions de mode, la jurisprudence assimile souvent les des manches ;8
deux concepts3 . Nous les aborderons de ce fait dans
la même section.

1. Civ. 1re , 23 févr. 1994, no 91-20.528, Well c/Haye,


Bull. civ. I, no 79 ; D. 1995, somm. 53, obs. Colombet –
Civ. 1re , 11 févr. 1997, no 95-11.605, Zip Zag c/Milgrom, cune antériorité valable ne lui ait été opposée » (TGI Paris,
Bull. civ. I, no 56 ; D. 1998, jur. 290, note F. Greffe. 3e ch., 7 mars 1991, Chanel c/La Bagagerie, RDPI 1991,
2. Ainsi à propos d’une bague, il a été jugé « qu’en l’ab- no 35/36, p. 28).
sence de toutes antériorités le modèle est nouveau et l’on 4. « En réservant le bénéfice de la loi à tout créateur de
ne saurait soutenir qu’il ne constitue pas une création ori- modèle (anc. art. L. 511-1) et en énonçant que la propriété
ginale correspondant à un effort créateur de son auteur, appartient à celui qui l’a créé ou à ses ayants droit, le
une combinaison d’éléments connus étant susceptible de législateur exige également que cette œuvre constitue
constituer une création originale dans la mesure où elle une création ce qui implique d’évidence qu’elle doit porter
est nouvelle » (CA Paris, 4e ch., 30 juin 1986, Lebenstein l’empreinte de celui qui en est l’auteur » (CA Paris, 4e
c/Mauboussin, Ann. 1987, 221) – CONTRA cep. un arrêt ch., 19 juin 1996, Kickers c/Rautureau, RDPI 1996, no 69,
plus récent de la même Cour : « en l’absence d’anté- p. 32).
riorités opérantes, le juge n’est pas obligé, par principe, 5. DANS LE MÊME SENS, CA Paris, 4e ch., 12 oct. 1989, Thieral
d’admettre le caractère nouveau et original d’un modèle c/Amazone, PIBD 1990, III, 154 – TGI Paris, Bobigny 5e ch.,
de bijou et, en conséquence, de lui reconnaître la protec- 15 déc. 1992, Reverchon c/Diester, PIBD 1993, III, 274.
tion au titre de la loi sur la propriété littéraire et artistique. 6. CA Paris, 4e ch., 27 oct. 1993, LMI c/Ma Sauvagine, Gaz.
Il est constant que l’originalité ou la nouveauté requises Pal. 7 juin 1994, p. 21 – CA Paris, 4e ch., 19 juin 1996,
pour bénéficier du droit des dessins et modèles ne se Kickers c/Rautureau, RDPI 1996, no 69, p. 32 – DANS LE
réduit pas à la constatation de l’absence d’antériorités » MÊME SENS, CA Paris, 31 janv. 1996, Magnenaz c/Alma
(CA Paris, 4e ch., 17 janv. 1997, Valet SPA c/Camoue Mater, PIBD 1996, III, 233, pas de création à reproduire
Entreprise, RDPI 1997, no 73, p. 35 ; Gaz. Pal. 15/17 juin des tableaux impressionnistes sur des t-shirts.
1997, p. 34). 7. Com. 13 févr. 1996, no 94-12.102, NP, D. 1998, jur. 290,
3. « En l’absence d’une antériorité de toutes pièces destruc- note F. Greffe.
trice d’originalité le fuseau "Talma" constitue une œuvre 8. CA Paris, 4e ch., 7 juin 1995, PIBD 1995, III, 434. DANS
protégeable par le droit d’auteur » (TGI Paris, 3e ch., LE MÊME SENS, à propos des réductions d’échelle, CA Paris,
8 nov. 1990, Thiéral c/Saraco, RDPI 1991, no 32, p. 61) ; 4e ch., 26 janv. 1960, Chabaud c/Bonnichon, Ann. 1969,
« un modèle étant reconnu original pour autant qu’au- 89.

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“DroitAuteur” (Col. : GuideAction) — 2010/11/4 — 11:57 — page 847 — #871
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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.23 847

– l’emploi d’éléments traditionnels en matière de Pour reprendre le principe dégagé par la jurispru-
couture comme l’encolure d’un col ;1 dence, en matière de droit d’auteur14 , qui figure égale-
– l’utilisation d’une couleur particulière ;2 ment à l’article L. 511-3 du CPI, ne constitue pas une
– un changement de matière qui n’affecte pas la "création" le fait de modifier par des « détails insigni-
forme, comme par exemple l’utilisation d’un tissu fiants » une création antérieure. Ainsi, même s’il a pu,
non tissé en lieu et place d’un tissu traditionnel3 , car malheureusement en être jugé autrement, au regard
« la matière dans laquelle un vêtement est fabriqué de la loi ne constitue pas une création le fait de modi-
est étrangère au domaine de la protection, celle-ci fier le nombre de boutons d’une chemise ou d’une
étant attachée uniquement aux formes linéaires ou veste, de cintrer plus ou moins un modèle de chemise
plastiques » ;4 ou de veste, ou de déplacer une poche du côté gauche
sur le côté droit ou vice-versa, etc. même si ces modi-
– « le fait d’orner un tissu en y traçant des rayures
fications peuvent avoir d’importantes conséquences
parallèles de couleurs plus vives » ;5
visuelles et donner au vêtement ainsi modifié une
– le fait de rajouter des poches6 ou une fermeture impression d’ensemble que l’on pourrait qualifier de
éclair7 à un pantalon ou à une veste ; distinctive ou même d’originale. Par ailleurs, tout le
– le fait de rajouter un volant à une jupe à monde peut s’inspirer et adapter des modèles tombés
volants ;8; dans le domaine public.
– le fait de mettre une fermeture éclair sur le milieu En principe, ne constitue pas non plus une créa-
d’un blouson et des boutons à ses poignets 9 tion au sens du droit d’auteur ou du droit des des-
– le fait de remplacer sur une manche un gros sins et modèles un simple changement de destination
bouton par deux petits boutons ou de rajouter un d’une création existante15 , notamment le fait de des-
bouton sous le col d’un chemisier 10 tiner à des hommes un modèle créé antérieurement
– le fait d’utiliser à titre de ceinture un corset à pour des femmes ou vice versa16 . Mais, la solution
ruban seulement diminué de longueur par le haut 11; doit néanmoins être pondérée puisque le choix, la
sélection et l’arrangement, même d’éléments connus,
– le fait de remettre au goût du jour un modèle
peuvent donner lieu à une création originale, mais
ancien tombé dans le domaine public, notam-
sous réserves d’être marquée par un effort créatif.
ment un motif de tissu reproduit à l’identique12 ou
même adapté simplement avec des modifications 210.23 Une « création » de plus en plus
« mineures ».13 informatisée. Depuis une vingtaine d’années,
les outils de la création comme ceux de la production
ont profondément changé. "Le monde des ateliers
semble bien révolu. La mode vit désormais à l’ère
de la micro-informatique... là où des mannequins
étaient plus ou moins rembourrés selon la nécessaire
1. TGI Paris, 3e ch., 13 juill. 1988, Pierlot c/Turquoise, PIBD
1989, III, 126. gradation des tailles, un ordinateur, à partir d’un
2. TGI Paris, Bobigny 5e ch., 15 déc. 1992, Reverchon standard redessine automatiquement le modèle à la
c/Diester, PIBD 1993, III, 274, pour une couleur « fluo » ; taille souhaitée. Là où des ouvrières patronnaient,
Com. 21 janv. 1973, D. 1973, 52. on dessine sur un écran ; un logiciel conçoit le pla-
3. CA Paris, 4e ch., 4 oct. 1995, Matfer c/Pal, PIBD 1996, III, cement du patron sur le tissu pour en limiter les
27. chutes. Une traceuse au laser assure la découpe du
4. CA Paris, 4e ch., 24 nov. 1993, Brajntich c/SARL, PIBD
1994, III, 164 – DANS LE MÊME SENS TGI Paris, 3e ch., 29 janv. patron sur carton ou sur papier. Dans les usines,
2003, Sunyoung, Prop. ind. 2003, no 11, obs. P. Greffe des chariots matelasseurs permettent d’accélérer et
5. CA Paris, 4e ch., 11 mai 1987, Mamou c/Micosancho,
D. 1988, somm. 393, obs. J.-J. Burst.
6. CA Paris, 4e ch., 11 janv. 1990, Deguy c/Snoboy, PIBD 14.CA Paris, 4e ch., B., 16 avr. 1992, FDS c/Chaix, RDPI 1992,
1990, III, 311 no 44, p. 58 – CA Paris, 4e ch., 27 oct. 1993, LMI c/Ma
7. T. com. Seine, 13 janv. 1931, Sem. Jur. 1931, 239 cité Sauvagine, Gaz. Pal. 7 juin 1994, p. 21.
par P. et F. Greffe ; Les dessins et modèles, Litec 1974, 15.« L’idée d’utiliser comme insigne un morceau de fil de
p. 190. fer barbelé sans la moindre modification ni la moindre
8. T. com. Paris, 15e ch., 13 déc. 1996, Pit’choun c/P’tit stylisation, n’a rien en soi d’original, en l’absence de
môme, RDPI 1997, no 79, p. 50. configuration distincte et reconnaissable lui conférant un
9. CA Paris, 4e ch., 20 mars 1996, Tucker c/Galerie Lafayette, caractère de nouveauté » (TGI Paris, 3e ch., 10 févr. 1982,
PIBD 1996, III, 419 Bouquet c/Cassegnere, D 1983, jur. 235, note P. Greffe).
10.CA Paris, 4e ch., 7 juin 1995, PIBD 1995, III, 434 16.CONTRA cep. CA Paris, 4e ch., 29 févr. 1980, Pample et
11.T. corr. Paris, 25 avr. 1895, Monin c/Lanclair, Ann. 1895, Mouce c/M.K., Ann. 1981, 167 : « Est protégeable un
152. modèle de robe, caractérisé par l’application d’éléments
12.CA Nîmes, 2e ch., 21 janv. 1993, Les Olivades c/Hello, utilisés jusque-là dans des vestes d’hommes dites saha-
RDPI 1992, no 52, p. 42 riennes : en effet, le modèle de robe se différencie de ses
13.CA Paris, 4e ch., 1er mars 1996, Euromarché c/Ehrenreich, similaires par une configuration distincte et reconnaissable
PIBD 1996, III, 382. qui lui donne un caractère original et de nouveauté ».

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848 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

de simplifier la coupe. L’informatique permet de Mais, la notion de « création » doit à l’évidence être
suivre à tout moment les stades de fabrication du revue en conséquence. On pourrait d’ailleurs même
vêtement. Le temps de travail sur un vêtement est dire que la création est devenue dans ce domaine un
décomposé de plus en plus finement afin d’aug- jeu d’enfants puisqu’il existe de nombreux logiciels,
menter la productivité en maintenant la qualité. notamment les différents logiciels Jeune Styliste, desti-
Des robots d’assemblage, des machines à poser les nés aux petites filles qui permettent non seulement de
manches ou les boutonnières ont grandement modi- réaliser de véritables créations de mode mais même
fié les tâches"1 . En 1998, on annonçait déjà que " de réaliser des défilés virtuels des créations ainsi réa-
la société Gartner a ouvert un site spécialisé dans le lisées. Sans parler des nombreux jeux gratuitement
commerce électronique des vêtements sur mesure... accessibles sur internet qui permettent également de
À partir d’une vingtaine de modèles de base affichés réaliser de nombreuses créations dont des motifs de
sur le site le client est invité à composer lui-même tissus...
l’architecture de son vêtement en cliquant sur des La notion de création doit pour ce type de créa-
photos et en remplissant un questionnaire. Poches tions être revue en conséquence, dans un sens plus
passepoilées ou plaquées, cols vénitiens ou anglais, restrictif, d’autant plus que la France est le seul pays
poignets mousquetaires ou pans coupés, il choisit d’Europe à protéger quasi-systématiquement tous les
tous les détails de coupe. Avec plus de 50 tissus réfé- articles de mode, ce qui pose d’épineux problèmes de
rencés, près de 30 000 combinaisons sont possibles... droit communautaire et de droit international, dès
Une fois la commande enregistrée et transmise au lors que la plupart des créations qui ne sont pas pro-
fabricant, installé à Azenay, en Vendée, les délais de tégées à l’étranger, y compris dans les autres pays de
livraison sont de dix jours... Pour élargir sa clientèle, l’Union européenne, le sont en France.
le site possédera bientôt des versions en Anglais et en
Japonais"2 .
210.24 « Nouveauté » et « originalité » : deux
concepts indissociables en matière d’articles de mode.
Il existe aujourd’hui une large variété de logiciels En matière de créations de mode, l’exigence d’une
de « design numérique », comme ceux commerciali- « création originale » est étroitement liée à celle de
sés par la société française Lectra, qui propose toute "nouveauté" même si, théoriquement, comme nous
une gamme de logiciels professionnels, et notamment l’avons déjà souligné, ce concept ne devrait entrer en
Kaledo Print, un logiciel de création d’imprimés origi- ligne de compte que pour les créations déposées au
naux, Kaledo Knit un logiciel de création de maille et titre des dessins et modèles. Ce lien est quelquefois
Kaledo Weave un logiciel de création de tissés teints.... exprimé clairement par la jurisprudence puisque cer-
L’image ci-dessous reproduit l’écran d’un de ces logi- taines décisions ont affirmé que la loi ne protégeait
ciels Kaledo dont l’utilisation modifie à l’évidence le que les modèles marqués « par une nouveauté qui s’ac-
processus de création, qui devient de plus en plus compagne d’un effet manifeste de création »3 et que « le
technique et de moins en moins artistique. seul droit privatif opposé étant le droit d’auteur régi par
les dispositions du CPI, le critère de la nouveauté n’est
pas pertinent »4 .
Aux termes de l’article L. 112-1 du CPI, le droit
d’auteur protège toutes les créations "quel qu’en soit le
mérite". Il en résulte que les juges n’ont pas à s’ériger
en jurys d’art afin de distinguer entre les créations
qui doivent ou non bénéficier de la protection de
la loi. Mais, a contrario, la formulation de l’article
L. 112-1 du CPI implique néanmoins bien que la
création manifeste un certain "mérite", si minime
soit-il. Même si la doctrine affirme généralement que
l’originalité et/ou la nouveauté ne peut ou ne doit pas
être comparée à l’activité inventive exigée en matière
Ces logiciels ont beaucoup d’autres avantages puis- de brevets, cette analogie ne doit pas être écartée dès
qu’ils permettent de visualiser les prototypes en trois
dimensions pour les proposer aux clients sans avoir
à les fabriquer préalablement. On peut également 3. CA Chambéry, 5 janv. 1982, Fusalp c/Veleda, PIBD 1982,
modifier les couleurs des modèles d’un simple click. III, 69.
4. CA Paris, 4e ch., 28 mars 2001, Shoe Bizz c/stés Stéphane
Kelian et Mosquitos, RDPI 2001, no 127, p. 13 – DANS LE
1. J. Lanzmann & P. Ripert, Weill, cent ans de prêt à porter, MÊME SENS plus récemment « En matière de droit d’auteur,
éd. PAU 1992, p. 139. la notion d’antériorités est inopérante, seule la notion
2. A.-M. Quilleriet, « Dessiner puis commander son costume d’originalité pouvant être retenue » (TGI Paris, 3e ch. 1re
ou sa chemise sur Internet », Le Monde jeudi 28 mai 1998, sect., 6 oct. 2009, Yu Ye c/Laurent, Prop. ind. mars 2010
p. 29. n◦ 3 p. 41, § 18, PIBD 2010, III, 41).

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.24 849

lors qu’on est dans le domaine des arts appliqués, « L’originalité d’un modèle peut résider, comme en l’es-
et plus particulièrement celui de la mode. S’il n’y a pèce, non point dans la singularité de ses caractéristiques,
pas un minimum "d’apport personnel", il n’y a pas dont chacune prise isolément peut être connue, mais dans
"création". leur combinaison en vue de produire un effet d’ensemble
qui porte l’empreinte de la personnalité de son auteur »3 .
La cour d’appel de Paris a ainsi refusé la protection
du droit d’auteur à un modèle de pantalon au motif Cependant, pour bénéficier de la protection de la
que : loi, une combinaison d’éléments du domaine public
doit également constituer une "création originale",
« si le mérite de l’œuvre n’est pas le critère de la protection,
seule l’originalité, fut-elle minime, ouvre droit à cette de simples « transpositions étant exclusives de tout
protection. En assemblant dans un même pantalon une effort de création »4 . La Cour de cassation exige que
ceinture élastique, deux poches à soufflets en biais sur le les juges du fond ne se bornent pas à énoncer que la
côté, deux poches plaquées au niveau du genou à ouverture combinaison d’éléments du domaine public consti-
droite avec une fausse poche au même niveau à pattes tue une œuvre originale mais qu’ils recherchent dans
latérales fixées par pression, deux surcoutures allant de quelle mesure ils peuvent être agencés en une combi-
la taille jusqu’au bas du pantalon en bordant les poches, naison constituant une œuvre originale5 . Satisfait en
M. Sibon n’a pas marqué ce vêtement de l’empreinte de sa principe à cette condition « la combinaison formée
personnalité. Qu’aucun effort créatif ne s’est manifesté, d’éléments connus en eux-mêmes qui peut être réali-
que le modèle n’est donc pas protégeable selon la loi du sée de différentes manières ; elle ne présente donc pas
11 mars 1957 »1
un caractère nécessaire, et elle a non seulement une
Il est par contre évident, et unanimement reconnu, nouveauté mais encore une originalité créatrice »6 .
qu’il n’existe pas de création ex nihilo dans le domaine Enfin, dans l’hypothèse où la protection reven-
des formes dont la protection est l’objet même du diquée porte sur une combinaison d’éléments du
droit d’auteur et du droit des dessins et modèles. Pour domaine public, la protection accordée par la loi ne
parodier la célèbre formule de Lavoisier, "rien n’est s’étend pas aux éléments du domaine public, mais
créé, tout se transforme". En conséquence, la jurispru- seulement aux éléments distinctifs de la combinai-
dence considère que la nouveauté comme l’originalité son. En d’autres termes, le domaine public est par
peuvent résulter d’une combinaison d’éléments du nature à la disposition de tous et ne saurait, de ce fait,
domaine public : faire l’objet d’une appropriation privative.
« Un modèle est protégeable alors même qu’il n’inclut que Il est néanmoins malheureux que les tribunaux
des éléments du domaine public dès lors que leur réunion confondent "nouveauté" et "originalité" même s’il
témoigne d’une originalité qui porte la marque personnelle est évident que l’existence d’antériorités, donc l’ab-
de son créateur »2 . sence de nouveauté, est une preuve objective de l’ab-
sence d’originalité7 . Car les deux concepts ont des
effets concurrentiels bien différents.

1. CA Paris, 4e ch., 11 janv. 1990, Deguy c/Snoboy, PIBD


1990, III, 311 – DANS LE MÊME SENS, CA Paris, 4e ch., 3. CA Paris, 4e ch., 24 mars 1994, Errarie c/New Licence,
20 mars 1996, Tucker c/Galerie Lafayette, PIBD 1996, III, RDPI 1994, no 53, p. 65.
419, « mais, considérant qu’il n’en demeure pas moins 4. CA Paris, 4e ch., 19 juin 1996, Kickers c/Rautureau, Juris-
que la loi ne protège qu’un modèle qu’autant que son Data no 023229 ; RDPI 1996, no 69, p. 32.
auteur a marqué celui-ci de l’empreinte de sa personnalité, 5. Com. 11 mars 1986, Felice c/Marcols, RDPI 1986, no 5,
a fait œuvre originale et ce indépendamment du mérite p. 191.
de la création qui n’est pas un critère de protection. Or, 6. CA Paris, 4e ch., 7 déc. 1988, Fargeon c/Van Hulle, Ann.
considérant en l’espèce que la forme générale du blouson 1990, 74 – DANS LE MÊME SENS à propos d’une bague,
ne revêt aucun caractère spécifique, que la présence d’une CA Paris, 4e ch., 30 juin 1986, Lebenstein c/Mauboussin,
fermeture éclair aux poignets est strictement utilitaire et Ann. 1987, 221
que les éléments revendiqués pris dans leur ensemble ne 7. Ainsi il a été jugé qu’un dessin ne comportait aucune "ori-
confère au modèle aucun caractère ornemental. Qu’en ginalité" dès lors qu’il reproduisait des dessins remontant
réalisant un blouson de style coupe-vent dont les coutures à 1800/1830 exposés au Musée de l’impression sur étoffe
ne sont au demeurant pas surpiquées, mais simplement de Mulhouse (CA Nîmes, 2e ch., 21 janv. 1993, Les Oli-
pratiquées sur l’endroit, et, en combinant des poches vades c/Hello, RDPI 1992, no 52, p. 42) – A contrario il a
passepoilées et une capuche qui se roule dans le col, été jugé que « en l’absence d’antériorités certaines mon-
l’auteur de ce modèle n’a pas fait un effort particulier trant le caractère banal de ces modèles, la protection doit
de création susceptible de lui conférer une physionomie être accordée » (CA Paris, 4e ch., 3 déc. 1984, Consult
propre, et n’a pas marqué ce vêtement de l’empreinte de Eqquipe c/Deschemaker, Ann. 1984 no 2) – CONTRA cep. :
sa personnalité. Que ce modèle, qui ne présente donc TGI Paris, 3e ch. 1re sect. 6 oct. 2009, Yu Ye c/Laurent,
aucune originalité, n’est donc pas protégeable sur le Prop. ind. mars 2010 n◦ 3 p. 41, § 18, PIBD 2010, III,
fondement de l’article L. 112-1 du CPI ». 41 qui a jugé que « les circonstance que les défendeurs
2. CA Paris, 17 sept. 1991, HT c/Bath, D. 1992, somm. 312, n’opposent pas d’antériorités, ne saurait conférer par prin-
note J.-J. Burst – DANS LE MÊME SENS, CA Paris, 4e ch., cipe une originalité au modèle de sac revendiqué dans la
1er mars 1993, Paulina c/Vesna, PIBD 1993, III, 400. mesure où la notion d’antériorité est inopérante dans le

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850 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

Il a souvent été jugé que l’absence d’antériorité de La production d’antériorités permet dans ce
toutes pièces, démontrait à la fois l’antériorité de la contexte de démontrer l’absence soit d’originalité, si
création et son « originalité ». Il s’agit là encore d’une l’antériorité est de toutes pièces, soit de création dans
grave erreur de droit, car « une antériorité de toute le cas contraire. On se trouve dans une situation
pièce n’est pas nécessaire pour démontrer le défaut comparable à celle qui existe en matière de brevet, ou
d’originalité »1 . Si une création se démarque insuf- l’existence d’antériorités proches, permet de conclure
fisamment des créations antérieures, et notamment à l’absence d’activité inventive. En matière d’arts
des antériorités produites en justice, elle n’est à l’évi- appliqués, et notamment de créations vestimentaires
dence pas marquée par un effort créatif digne d’en l’existence d’antériorités proches, même si elles ne
faire une œuvre protégée au titre du droit d’auteur. sont pas « de toutes pièces » permet de conclure à
Il a ainsi été jugé que : « l’absence de création ».
Pour mémoire, on peut invoquer toutes les anté-
« Si aucune des antériorités ne reproduit intégralement,
riorités existantes, sans limites dans le temps ou dans
c’est-à-dire "de toutes pièces", la combinaison revendi-
quée, il convient de rappeler qu’il ne suffit pas pour qu’un l’espace. Ainsi, des modèles de bijoux peuvent être
modèle soit nouveau au regard de la loi que sa forme antériorisés par des modèles de bijoux remontant à
n’ait pas été préalablement divulguée. Il lui faut en outre "la plus haute Antiquité" ainsi que par des bijoux
constituer une création c’est-à-dire présenter un caractère modernes d’origine italienne5 . Mais, généralement
original, décoratif ou ornemental, témoignant de l’effort les antériorités produites en justice sont des copies
personnel ou de l’interprétation individuelle de son auteur. de catalogue, notamment de vente par correspon-
Or, les éléments issus du domaine public tels que groupés dance6 . Pour que les antériorités soient recevables, il
et assemblés en l’espèce ne présentent pas une configura- est cependant impératif qu’elles puissent être datées
tion particulière qui distinguerait le modèle invoqué des d’une manière certaine7 . Ainsi, il a été jugé que « les
autres modèles pouvant appartenir au même style »2 . documents relatifs à une robe qui aurait été com-
« N’est pas protégeable un modèle de chaussure dérivé mercialisée en 1992 par deux sociétés présentent une
d’un modèle antérieur publié, dès lors que les différences fiche de fabrication assortie d’un croquis quasiment
qui distinguent le modèle de l’antériorité sont trop légères identique à celui qui figure sur la fiche de fabrication
pour donner au modèle des qualités d’originalité suffi-
(du modèle litigieux), mais ne peuvent pas être tenus
santes »3 .
pour probants en raison de leur caractère lacunaire
« Il résulte de l’examen des antériorités nombreuses et et du fait que la fiche de fabrication porte une date
dont les différences avec le modèle opposé sont minimes
illisible »8 .
que [celui-ci ne porte pas la marque de la personnalité
de son auteur] » à propos un chemisier qui ne se dis- 210.25 Droit comparé et européen. Lors d’un ate-
tinguait des chemisiers antérieurs que par des éléments lier européen sur la mode et la loi qui s’est tenu à Lille
insignifiants4 . le 4 juin 2010, il a été constaté que la quasi-totalité
des modèles de créations vestimentaires et d’articles
de mode, jugés protégeables au titre du droit d’auteur,
cadre de l’application du droit d’auteur où seule compte ne seraient pas protégeables au titre du droit d’auteur
la notion d’originalité ». dans la quasi-totalité des pays européens, à l’excep-
1. CA Paris, 4e ch. B., 21 nov. 2008, Ado c/Onkel, Juris-Data tion peut être de la Belgique. Dans les pays nordiques
no 373512.
2. CA Paris, 4e ch., 11 sept. 1996, Antik Batik c/Monoprix,
(Suède, Norvège et Danemark), qui ont la même
RDPI 1996, no 69, p. 22. Également « mais, considérant législation et se réfèrent aux mêmes jurisprudences,
que les documents Gepy de 1989 et Kickers de 1989 moins d’une dizaine de décisions ont été rendues à ce
s’ils ne constituent pas une antériorité de toutes pièces à jour en matière de créations vestimentaires. Les créa-
défaut de reproduire toutes les caractéristiques sus visées tions jugées dignes de bénéficier de la protection du
dans la combinaison revendiquée, révèlent néanmoins droit d’auteur y sont d’autant plus rares que dans ces
que la ligne de couleur sombre reliant deux bumpers ou
pays les tribunaux délèguent à des commissions de
l’un deux au-devant de la chaussure était au moment
de la création du modèle invoqué, chose commune dans professionnels du secteur (de la mode ou du design),
la chaussure de style sport ; que la simple transposition l’analyse des modèles revendiqués, afin de détermi-
d’une telle semelle à une basket d’enfant de type classique, ner si ceux-ci peuvent effectivement être qualifiés de
à tige haute ou basse, et le déplacement de l’étiquette
de caoutchouc du talon à la face latérale de la chaussure
est exclusive de toute création et par trop banale pour 5. Com. 18 nov. 1997, no 95-20.685, Ballet c/Gay, NPT, PIBD
permettre à l’auteur de la combinaison une quelconque 1998, III, 85.
protection que ce soit au titre des dessins et modèles ou 6. CA Paris, 4e ch., 29 mai 1991, Dino c/San Dirgo Boots,
au titre du droit d’auteur » (CA Paris, 4e ch., 19 juin 1996, RDPI 1991, no 38, p. 73.
Kickers c/Rautureau, Juris-Data no 023229 ; RDPI 1996, 7. TGI Paris, 3e ch., 21 oct. 1992, Chapelier c/Europ Shop,
no 69, p. 32). PIBD 1993, III, 70.
3. CA Paris, 4e ch., 26 avr. 1955, AABR c/Producteurs Asso- 8. CA Paris, 4e ch., 28 sept. 2001, Mathilde Industrie
ciés, Ann. 1956, 196 c/Promotion du prêt à porter Pimkie, RDPI 2002, no 139,
4. CA Paris, 4e ch., 7 juin 1995, PIBD 1995, III, 434. p. 16.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.27 851

« créations » au sens du droit d’auteur. En Italie, bien de pulls8 , de pantalons9 , de t-shirts10 , de chemisiers11 ,
que la loi ait été modifiée par un décret du 2 février de cabans12 ainsi que les "accessoires de mode" à pro-
2001, qui a étendu le champ de la protection du droit prement parler notamment les modèles de sacs13 , de
d’auteur aux œuvres des arts appliqués et donc aux chapeaux14 , de lunettes15 , de boucles d’oreilles16 , de
articles de mode, moins d’une demi-douzaine de juge- bijoux17 , de montres18 et même des boutons19 .
ments ont au 1er juin 2010 protégé effectivement des On doit cependant noter que la loi est plus stricte
articles de mode par le droit d’auteur. À cette date pour accorder la protection du droit d’auteur aux
aucun modèle de la société Todd’s n’avait été jugé motifs de tissus.
protégeable au titre du droit d’auteur en Italie. L’évo- Enfin, comme nous l’avons déjà souligné, ces
lution de la législation italienne pose d’ailleurs un mêmes créations de mode dès lors qu’elles sont nou-
épineux problème de droit transitoire, car il a été velles et enregistrées à l’Inpi ou à l’Ohmi peuvent
jugé à plusieurs reprises sous le droit antérieur que la également bénéficier de la protection au titre des des-
chaise longue et les canapés de Le Corbusier ne pou- sins et modèles français ou communautaires, étant
vaient être protégés en Italie au titre du droit d’auteur. précisé que la loi exige actuellement que ces créations
Se pose la question de savoir si ces créations jugées soient caractérisées par une nouveauté absolue, et
à plusieurs reprises comme étant du domaine public qu’elle semble limiter strictement la protection qui
peuvent aujourd’hui suite à l’évolution de la législa- leur est accordée à ce titre.
tion retomber dans le champ du droit d’auteur. La
Cour de Milan a donc saisi la CJUE de ce problème le
23 avril 2010 par le biais de questions préjudicielles1 . §1
En Allemagne, les tribunaux sont également assez res- Boutons, fermetures, etc.
trictifs pour étendre la protection du droit d’auteurs
210.27 Historique. Un grand nombre de ferme-
à des articles de mode.
tures, sont protégées soit par des brevets et/ou des
marques. On peut ainsi citer la célèbre « fermeture
SECTION 6 Éclair », marque déposée en France par la société
Éclair Prestil, dont on peut demander si elle est encore
PROTECTION DES CRÉATIONS DE MODE EN valide dès lors qu’elle est couramment utilisée d’une
DROIT POSITIF manière générique pour désigner un système de fer-
meture à glissière dont le principe avait été breveté à
210.26 Une large variété de créations. Sous réserve la fin du XIXe siècle. Dans le même ordre d’idées on
qu’ils satisfassent à la condition de création et d’ori- peut citer le Velcro, dont le principe a été breveté en
ginalité peuvent bénéficier de la protection du droit 1951 avant d’être exploité commercialement à par-
d’auteur les motifs des tissus2 , les dessins, croquis tir de l’année suivante sous la marque Velcro déposée
et figurines de modèles3 , les vêtements à propre- par la société du même nom.
ment parler et, notamment, les modèles de blou-
sons4 , de vestes5 , de survêtements6 , de chaussures7 ; 8. CA Paris, 4e ch., 22 oct.1992, Sama c/CMC, RDPI 1993,
no 49, p. 71 – TGI Paris, 3e ch., 3 juin 1992, Kabuki
c/Jugephanie, RDPI 1992, no 44, p. 64.
9. TGI Paris, 3e ch., 21 oct. 1992, Foale c/Jas, PIBD 1993, III,
1. CJUE, aff. C-198/10, Cassina c/Alivar. 72.
2. Notamment, des dessins de palmiers sur étoffe, CA Paris, 10.CA Paris, 4e ch., 26 févr. 1992, D. 1993, somm. 299, note
4e ch., 13 juill. 1989, Creeks c/Euromarché, PIBD 1989, III, J.-J. Burst.
675 ; une combinaison de couleurs vives, CA Paris, 4e ch., 11.CA Paris, 4e ch., 12 juill. 1988 Richard c/Axeline Cah. dr.
18 janv. 1982, Soie de Paris c/ADM, PIBD 1982, III, 144. auteur 1988 no 8 p. 20.
3. « La contrefaçon de ces croquis mis en vente avant même 12.CA Paris, 4e ch., 29 janv. 1990 Reby c/Manoukian Ann.
que les robes ne soient confectionnées, exposées ou ven- 1992, 69.
dues par une maison de couture est, pour cette maison 13.TGI Paris, 3e ch., 28 oct. 1992 Chapelier c/Opportunity
de couture, une cause de préjudice encore plus consi- PIBD 1993 III, 107 ; TGI Paris, 3e ch., 21 oct. 1992 Cha-
dérable que les contrefaçons des robes elles-mêmes » pelier c/Europ Shop PIBD 1993 III, 70 ; CA Paris, 4e ch.,
(CA Paris, 13e ch. corr., 9 nov. 1936, Mouraud c/Bruyère, 15 mai 1990 Parlux c/MH Ann. 1991, 162.
Ann. 1939, 286). 14.Crim. 9 nov. 1935, Bloch c/Agnès, Ann. 1937, 251.
4. CA Paris, 4e ch., 9 avr. 1992, Sylman c/Dam, PIBD 1992, 15.CA Paris, 4e ch., 11 juin 1985, Allex c/Carrera, Ann. 1986,
III, 503. 304.
5. CA Paris, 4e ch., 4 juin 1992, Brendlin c/Deville, RDPI 16.Com. 25 mars 1991, no 89-11.204, Jacmarel c/Remy, NPT,
1993, no 49, p. 65 – CA Paris, 4e ch., 1er oct. 1992, Ascot RDPI 1991, no 38, p. 88.
c/Gaultier, PIBD 1993, III, 35. 17.Com. 16 juin 1992, no 90-18.539, Vikim c/Fred, NPT, RDPI
6. CA Paris, 4e ch., 22 oct. 1992, Sport Outlet c/Adidas, PIBD 1992, no 44, p. 66.
1993, III, 104. 18.CA Paris, 4e ch., 30 juin 1993, New Bijou c/Chanel, Gaz.
7. CA Paris, 4e ch., 12 nov. 1992, Dino c/Cazbin’s, PIBD Pal. 5 juin 1993, somm. p. 17.
1993, III, 138 – Com. 12 nov. 1992, Technica c/Biotteau, 19.Civ. 1re , 11 févr. 1997, no 95-11.605, Zip Zag c/Milgrom,
RDPI 1993, no 49, p. 74. Bull. civ. I, no 56 ; D. 1998, somm. 189, obs. Colombet.

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852 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

210.28 Principe. Si un genre de fermeture n’est pas « tissu » permettait de constater que celle-ci produi-
susceptible d’être protégé au titre du droit d’auteur sait 4 292 résultats plus ou moins pertinents. Mais, il
il en va autrement des boutons dont la forme ou le est préférable de procéder à la recherche par la classi-
motif constituent des créations originales. Ainsi, est fication de Locarno, la classe 5 qui répertorie tous les
protégeable “un modèle de bouton qui s’inspire du « articles textiles non confectionnés » comportant
soleil mais qui est personnalisé par la reproduction 36 055 dessins et modèles répartis en plusieurs sous-
d’un visage inspiré de l’art antique, dont l’abondante catégories à savoir notamment la 02 « dentelles »
chevelure se déploie et se mêle aux rayons supérieurs (370 modèles), la 03 « broderies » (2 312 modèles),
latéraux”1 . la 04 « rubans, galons » (513 modèles), la 05 « tissus
et étoffes » (13 902 dessins et modèles).
§2 Exemple de modèles de tissus déposés à l’Inpi le
Tissus et matières 14 novembre 2008 par les Créations Nelson (Comp-
toir des Cotonniers) à savoir un modèle à fleurs
210.29 Principe. En France, selon l’Union des (no 093460-005) et madras-écossais (no 093460-
Industries Textiles (UIT)2 en 2008 l’industrie du 006).
textile comptait 804 entreprises employant près de
82 160 personnes. Cette même année, la France a
importé pour 12,9 milliards d’euros, dont 2,5 mil-
liards en provenance de Chine et 1,6 milliard d’Italie,
et exporté pour près de 8 milliards d’euros de pro-
duits dont 880 millions d’euros vers l’Italie, 870
vers la Belgique, 839 vers l’Espagne et 809 vers l’Al-
lemagne. Contrairement à une idée bien établie, à
savoir que la quasi-totalité des produits textiles sont Une recherche effectuée dans la base de données
actuellement importés d’Asie, la Chine, l’Inde et des dessins et modèles de l’Ohmi ce même 15 sep-
le Bangladesh ne représentaient que 3,7 milliards tembre 2009 dans la classe 05.05 « tissus et étoffes »
d’euros d’importations, dont moins de 30 % des produisait au moins 1 0000 dessins et modèles com-
importations. munautaires enregistrés, étant précisé que l’interroga-
Bien que la production des tissus soit de plus en tion de cette base ne permet pas de savoir le nombre
plus délocalisée dans des pays comme le Maroc, la total des modèles qui y sont enregistrés. Exemple de
Turquie, l’Inde, le Bangladesh et la Chine, il existe modèles de tissus déposés à l’Ohmi le 1er octobre
encore quelques fabricants de tissus en France. Les 2008 par la société espagnole Alhambra Internacio-
étoffes dont les motifs sont obtenus pas le tissage de nal, sous les no 000857149-0002 et no 000857149-
fils colorés, souvent des tissus d’ameublements ou 0007 à noter que ces modèles ne sont accessibles
des tissus de laine, comme le tweed, appellent peu qu’en noir et blanc ce qui n’est pas sans poser un
de commentaires particuliers car ces tissus font rare- problème de sécurité juridique.
ment l’objet de procès, soit parce qu’ils sont difficiles
et coûteux à reproduire, soit parce que leurs motifs
sont des motifs traditionnels qui relèvent du domaine
public3 .
La matière dans laquelle sont réalisés certains tis-
sus peut être brevetée. Le cas le plus connu est celui du
Nylon. Les motifs tissus originaux bénéficient en prin-
cipe de la protection du droit d’auteur, protection que
l’on peut qualifier de droit commun. Si les modèles
sont nouveaux, ils peuvent être déposés à l’Inpi ou à De nombreux, voire plusieurs centaines de motifs
l’Ohmi et être protégés en tant que dessins et modèles de tissus imprimés sont également enregistrés dans
français ou communautaires. Une recherche effec- la classe 0205 celle des cravates et des foulards. À
tuée dans la base des données de l’Inpi le 15 sep- titre d’exemples on peut citer les dépôts effectués le
tembre 2009, via le site www.inpi.fr avec le mot-clef 20 février 2009 (no 090813-006 et 090813-008) par
la Ste Épice Sarl :

1. CA Paris, 4e ch., 17 sept. 1997, Mauro c/SBM, RDPI 1998,


no 86, p. 50, qui accorde environ 30 000 euros au titre
des actes de contrefaçon, 15 000 au titre de la concur-
rence déloyale et 6 000 euros d’article 700 du C. pr. civ.
2. Voir le Rapport 2008 de l’UIT sur le site www.textile.fr. 210.30 Protection des motifs de tissus par le droit
3. L’article « Textile » accessible sur wikipedia.org résume des marques. Plusieurs sociétés ont tenté de protéger
les principales techniques de fabrication et d’impression. des motifs de tissus par le droit des marques. Il en

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.31 853

est ainsi du motif tartan de la société Burberrys1 et,


dans le même registre, on peut citer le cuir "en épis"
de la société Louis Vuitton2 . Si dans l’un et l’autre
cas la jurisprudence française a admis la protection
de ces motifs par le droit des marques, la solution
reste controversée3 . Si l’on admet la validité de ces
marques rien n’interdit alors « à des petits malins » On peut également citer dans le même ordre
de déposer des motifs couramment utilisés en matière d’idées, que le cuir épis, la marque communau-
de confection, comme le Vichy, les rayures des pulls taire no 00391615 déposée le 14 octobre 1998 par
marins, le Prince-de-galles, etc., et s’en réserver ainsi la société Christian Dior Couture dans les classes 18,
un monopole d’exploitation. 24 et 25 pour désigner notamment les articles de
maroquinerie, les sacs et les vêtements, et qui a été
Pour être plus précis, on citera à titre d’exemple,
validée par un jugement du 10 juin 2009 rendu par
deux marques déposées par Louis Vuitton Malletier
la 3e section de la 3e chambre du TGI de Paris6 .
d’abord un motif à damier4 , la marque communau-
taire no 006587851 déposée le 4 janvier 2008, et le
cuir épis5 , marque communautaire no 001259761
du 29 juillet 1999, déposée en classe 18 pour dési-
gner notamment les bagages, les sacs et les porte-
monnaie :

210.31 Principe. La protection7 ne peut, en prin-


cipe, porter sur la fabrication ou la texture (par ex.
« le genre velours côtelé »8 ), qui ne peut être pro-

Toujours en ce qui concerne Louis Vuitton 6. Mais qui écarte néanmoins la contrefaçon au motif que
Malletier, on peut également noter différents « le cuir du sac argué de contrefaçon présente un motif de
motifs de fleurs stylisés déposés à titre de marque cannage dont la seule similitude avec le signe déposé est
communautaire en classe 18 pour désigner notam- celle de l’existence d’un double quadrillage : l’un formé de
ment les bagages, sacs et porte-monnaie à savoir les doubles lignes horizontales et verticales se croisant à angle
droit et formant des carrés et l’autre par de simples lignes
no 000311985 et no 000310151 déposées le 24 juillet
diagonales formant également des carrés et coupant le
1996) non seulement en classe 18 (bagages, etc.) premier quadrillage à 45o. Toutefois, l’aspect visuel des
mais également en classe 14 (bijoux) et classe 25 deux quadrillages est très différent : alors que dans le
(vêtements), ainsi que la marque no 003958444, cannage Dior, les carrés constitués par les surpiqûres en
déposée le 30 juillet 2004 dans les classes 9, 14, 18 s’imbriquant l’un dans l’autre forment des lignes de motifs
et 25 : réguliers (une ligne formée d’un carré vide, une ligne
formée d’un carré rempli d’une croix etc.), dans le cannage
Esprit, toutes les lignes sont constituées d’un petit carré
barré d’une diagonale, les surpiqûres à 45o dans un fil
plus clair formant un grand carré à cheval sur quatre
1. Marque déposée le 28 janv. 1979 à l’Inpi sous le petits carrés. Compte-tenu de cette importante différence
no 1084525 pour les classes 18, 24 et 25 afin de dési- visuelle, du fait de l’utilisation courante dans le domaine
gner notamment des articles textiles et des articles d’ha- de la maroquinerie de motifs de cannage pour obtenir un
billement ; TGI Paris, 3e ch., 18 févr. 1988, Burberrys c/LR, effet matelassé (v. sacs Chanel, Marc Jacobs, Balenciaga,
inéd. Pollini, Misako, Darel etc.) et de la notoriété de l’enseigne
2. CA Paris, 4e ch., 7 févr. 1996, Stocks Sacs c/LV, PIBD 1996, Esprit, le tribunal considère qu’il n’y a aucun risque de
III, 345 – TGI Paris, 6 avr. 1994, LV c/Mozart, PIBD 1994, confusion sur l’origine du sac V45100, étant remarqué
III, 387 – TGI Paris, 23 sept. 1995, PIBD 1995, III, 12. au surplus que la société Christian Diore Couture ne
3. La Cour Suprême des Pays-Bas avait le 2 octobre 1978, peut s’arroger le monopole du genre "cannage" pour
après avoir fait droit à l’argument de la société Supercon- désigner des sacs à mains, son monopole d’occupation
fex, selon lequel le motif tartan écossais de la société Bur- étant strictement limité au dessin particulier qu’elle a
berrys ne pouvait constituer une marque valide, avait saisi déposé » (Christian Dior Couture c/Esprit de Corp. France
la Cour de Justice du Bénélux d’une question préjudicielle et autres, accessible sur www.inpi.fr).
sur cette question. Le CJB avait confirmé cette position 7. Sur l’ensemble de la question : L’industrie textile face à la
par un arrêt du 14 avril 1989 (Burberrys Ltd v/Superconfex contrefaçon – Journée d’Etude du Centre Paul Roubier –
[1989] 7 EIPR D-122). Lyon 14 mai 1997, Litec 1997, p. 157.
4. Qui fait en réalité l’objet d’au moins 5 dépôts différents. 8. CA Lyon, 3 juill. 1935, Ann. 1937, 216 – Il en est de
5. Qui fait en réalité l’objet d’au moins 11 dépôts correspon- même de l’emploi d’une fibre 100 % polyester pour un
dants des coloris différents pantalon qui contribue à assurer une permanence au

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854 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

tégée que par le biais d’un brevet visant le procédé composition du dessin, le regroupement des motifs en bou-
de fabrication. Mais, dans certains cas exceptionnels, quets, MP a créé une œuvre originale portant sa marque
notamment en matière de tricots, la disposition des personnelle : elle est donc protégeable par le droit d’au-
mailles peut effectivement donner à l’ensemble du teur » « Constitue la contrefaçon d’un modèle représen-
vêtement « un aspect distinctif, caractéristique d’une tant un fond marin avec des algues, des formes florales,
création originale »1 . des méduses, etc. un modèle pratiquement "superposable"
au modèle invoqué »6
« Les qualités relatives à l’emploi du tissu, telles
« Sont protégeables par le droit d’auteur deux modèles
que son tombant, sa solidité, sa facilité de manipu-
de tissus caractérisés l’un par la combinaison de deux
lation, sa résistance à l’usure, etc. ne sont pas proté- motifs juxtaposés, le second par une succession de rayures
geables par le droit d’auteur [ou le droit des dessins et de couleurs donnant un effet particulier : en l’absence
modèles], car ce sont là, non pas des effets extérieurs, d’antériorités, certaines montrant le caractère banal de
mais des résultats industriels (...) ainsi, le genre dit ces modèles, la protection doit être accordée »7
"côtelé" ne peut être considéré pour un tissu comme
constituant un caractère de nouveauté, ce caractère Ainsi, il a été jugé que bénéficiaient de la protection
se trouvant dans la variété même du côtelé » 2 . Par de la loi :
ailleurs, le droit d’auteur sur le motif étant indépen- – un modèle comportant une combinaison de
dant de son support, la reproduction d’un motif du couleurs vives8 ;
domaine publique figurant sur une assiette ou une – « un dessin se caractérisant par un motif de
image sur un tissu ne constitue pas une création3 , et grosses fleurs stylisées et par ses couleurs, composé
a contrario, la reproduction d’un dessin protégé par d’une jonchée de fleurs à larges corolles dont les
un droit d’auteur sur un tissu sans l’autorisation de pétales sont constitués de touches non circonscrites
son auteur ou de son ayant droit constitue un acte de de couleurs peintes »9 ;
contrefaçon. – une impression en cachemire avec des motifs
Mais, en principe le dessin ou le décor d’un tissu : imitant la peau de félins10 ;
– s’il est original, bénéficie en principe de la pro- – « un fond évoquant la peau tachetée d’un léopard
tection accordée par le droit d’auteur : et une fleur stylisée dont les pétales sont largement
« En regroupant les œillets en bouquets suivant un ouverts »11 ;
ordre déterminé et en choisissant pour représenter – un motif à rayures et à pois12 ;
certains d’entre eux les couleurs grenat et vieil or qui
– un motif appartenant au genre « tartan écos-
ne sauraient être considérés comme une reproduction
sais »13 .
de la nature, l’auteur du dessin a fait une œuvre
originale méritant protection »4 Comme le droit d’auteur protège toutes les œuvres
originales, sont généralement considérés comme pro-
« Est protégeable par le droit d’auteur un modèle
tégeables les tissus qui traduisent « par une interpré-
représentant un fond marin avec des algues, des
tation particulière la personnalité de leur auteur »14 .
formes florales, des méduses, etc. En effet, le dessin
Comme le droit des dessins et modèles protège
ne se contente pas de reproduire des formes de la
les œuvres nouvelles, sont traditionnellement proté-
nature, la disposition adoptée pour l’ensemble de ces
geables au regard de la jurisprudence les motifs "qui
formes et l’utilisation des couleurs choisies montrent
l’expression de la personnalité de l’auteur »5
« Par le choix des fleurs et des feuilles dont aucune ne
reproduit exactement celles produites par la nature, la 6. CA Paris, 4e ch., 23 avr. 1992, Porthault c/Frette, PIBD
1992, III, 563
7. CA Paris, 4e ch., 3 déc. 1984, Consult Equipe
plissé : CA Paris, 22 sept. 1993, Chazalon c/Dias, Gaz. c/Deshemaker, Ann. 1984, 150
Pal. 5 juin 1994, somm. 15 – DANS LE MÊME SENS pour un 8. .CA Paris, 4e ch., 18 janv. 1982, Soie de Paris c/ADM PIBD
piquage particulier destiné à empêcher la formation de 1982, III, 144.
« picots » : Crim. 21 juin 1928, Calemard c/Perrin, Ann. 9. CA Paris, 4e ch., 18 juin 1997, Baby-Love c/Unibébé
1929, 161. c/Grands Magasins, Gaz. Pal. 7 janv. 1998, p. 21
1. Civ. 1re , 8 déc. 1987, no 86-13.859, Hayat c/Bendji, 10.CA Paris, 4e ch., 24 sept. 1997, Saint Ys c/Galeries
Bull. civ. I, no 341 ; RIDA 1988, no 136, p. 139 ; Cah. Lafayette, PIBD 1998, III, 22
dr. auteur 1988, no 4, p. 22 ; pour un velours côtelé, 11.CA Paris, 4e ch., 28 mai 1997, Josse c/Happy Rain, Gaz.
CA Lyon, 3 juill. 1935, Ann. 1937, 216. Pal. 7 janv. 1998, p. 23
2. CA Lyon, 3 juill. 1935, Ann. 1937, 216. 12.CA Paris, 4e ch., 5 mars 1987, Dan Cle c/Syg, RDPI 1987,
3. CA Rouen, 17 mars 1858, S. 1860, 2, 22 et CA Paris, no 13, p. 156.
29 déc. 1835, DP 1836, 2, 25 cités par P. et F. Greffe, Les 13.CA Paris pôle 5, 2e ch., 11 déc. 2009, Deveaux c/C&A
dessins et modèles, Litec 1974, p. 189. France, PIBD 2010, III, 190 (« l’originalité tient à la dif-
4. TGI Paris, 3e ch., 18 juin 1986, Liberty c/Ch. Restoin, RDPI férence introduite dans un genre imposé qui singularise
1986, no 7, p. 110 l’œuvre et reflète la personnalité de son auteur »).
5. CA Paris, 4e ch., 19 nov. 1987, Textile Maurice c/Goutarel, 14.CA Paris, 4e ch., 28 mai 1997, Baby Love et Unibébé
Ann. 1988, 105 c/Grands Magasins, Gaz. Pal. 7 janv. 1998, p. 21

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.31 855

ont une physionomie propre et nouvelle"1 . Il en est ainsi l’est pour les autres créations de la mode, ce dont la
du : jurisprudence n’a jamais tenu compte jusqu’à ce jour.
« Modèle de tissu contesté qui constitue une véritable La protection accordée par la loi, ne peut comme
œuvre de création et qui ne peut être qualifié de simple c’est le cas traditionnellement en matière de droits
mise en carte d’un dessin. Il s’apparente à un patch- d’auteur et/ou de dessins et modèles, être étendue
work réalisé à partir de cinq motifs différents, selon une pour couvrir tous les tissus d’un même genre :
séquence d’assemblage particulière. Or, c’est l’assemblage – tissu écossais (modèle reproduit ci-dessous) au
qui réalise le processus de création. C’est cette repré- motif que :
sentation qui constitue la définition du modèle puisqu’y
figurent les principales caractéristiques du tissu fabriqué. « Si le genre "tissu écossais" ne bénéficie pas de la protec-
Peu importe que certains ou tous les motifs soient connus tion de la loi il en va autrement d’un modèle particulier
individuellement préalablement. La création réside dans qui par la disposition harmonieuse de couleurs vives et
la séquence d’assemblage à l’origine de l’effet esthétique attrayantes, alternées dans un ordre bien déterminé et
recherché »2 . savamment dosé, aboutit à un effet extérieur lui donnant
« Sont protégeables au titre du droit d’auteur, les dessins une physionomie propre exclusive de toute banalité »4 ;
de tissu se caractérisant par la combinaison d’une part,
de roses anciennes stylisées de différentes tailles, plus
ou moins ouvertes, plus ou moins plates, de jonquilles
stylisées, dont la partie centrale est formée d’un tube
qui s’ouvre en forme de corolle et est entourée de quatre
pétales aux formes rondes, de tiges formant des arabesques
très stylisées avec des extrémités plus ou moins élargies
formant les feuilles et d’un fond coloré délicatement
dégradé, composé de bandes de couleurs alternées dans
des tons chauds, d’autre part, de bandes de marguerites
naïves formées d’un rond central et de cinq pétales et
placées sur deux rangs, de bandes de fleurs orange de taille
moyenne, au dessin plus pointu reliées entre elles par des
arabesques de couleurs sombres, de bandes de marguerites – treillis militaires ou tissus de camouflage5
naïves, marrons, reliées par des arabesques, de bandes de (modèle reproduit ci-dessous) :
semis de petites fleurs à six pétales et de petits ovales de
couleur claire alternés et d’un fond coloré composé de « Le dessin créé par la société Deveaux doit être considéré
bandes de couleurs dégradées, les bandes de fleurs et les comme original dès lors que l’ensemble des caractéris-
bandes du fond étant décalées les unes par rapport aux tiques tenant à la combinaison de carreaux aux lignes de
autres, et enfin, de petites fleurs sombres à six pétales aux largeurs différentes associés à un autre dessin de “camou-
contours naïfs, alternant avec des motifs clairs de forme flage" placé en surimpression porte l’empreinte de la per-
ovale et d’un fond coloré composé de bandes dégradées. En sonnalité de son auteur » ;
effet, si chacun des motifs ou bandes de couleurs dégradées
ne présente pas d’originalité particulière, la combinaison
de ces différents éléments et leurs proportions confèrent
à l’ensemble une originalité, portant l’empreinte de la
personnalité de son créateur »3 .

Mais, attention, l’application traditionnelle du


droit commun aux tissus devrait être pondérée, car
l’alinéa 14 de l’article L. 112-2 du CPI qui définit les
œuvres protégeables au titre du droit d’auteur ; fait
pour les tissus référence "à la fabrique de tissus de
haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, ainsi
qu’à la fabrique de tissus d’ameublement".
La loi est donc plus exigeante pour admettre la
protection des tissus par le droit d’auteur qu’elle ne
4. T. com. La Roche-sur-Yon, 21 nov. 1967, CPT c/Tissages
Bertreau, Ann. 1968, 238 ; CA Paris Pôle 5, 2e ch., 11
déc. 2009, Deveaux c/C&A France, PIBD 2010, III, 190,
accessible également sur www.inpi.fr publication judi-
1. CA Paris, 4e ch., 28 mai 1997, Josse c/Happy Rain, Gaz. ciaire d’une pleine page dans Le Journal du Textile du
Pal. 7 janv. 1998, p. 23 2 févr. 2010 p. 31.
2. CA Lyon, 2e ch., 20 nov. 2003, Renaud c/NJ Ouahbe, 5. CA Paris, Pôle 5, 2e ch., 4 déc. 2009, Deveaux c/The One,
Juris-Data no 234919 accessible sur www.inpi.fr publication judiciaire d’une
3. CA Paris, 4e ch. B, 15 nov. 2002, Trocobel c/Katya, Juris- pleine page dans Le Journal du Textile du 2 févr. 2010
Data no 207676. p. 33

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856 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

– à fleurs : – Prince-de-galles ;
« Il n’est pas possible de revendiquer la protection d’un — Vichy.
genre (semis de grosses et de petites fleurs), d’incriminer Bien entendu ne constitue pas une création le
tous les dessins reproduisant des fleurs de manière sty- fait de remettre au goût du jour des motifs anciens
lisée. Ainsi, un modèle de tissu représentant de grosses ou traditionnels, du domaine public, comme par
et moyennes fleurs au milieu desquelles on distingue par exemple des motifs du XIXe siècle appartenant aux
endroits des grappes de petites fleurs, le tout se détachant collections d’un Musée7 , ou d’adapter un tel dessin
nettement du fond, les grosses fleurs regroupées par deux, avec des modifications "mineures"8 .
les fleurs dépourvues pour l’essentiel de tiges sont séparées
les unes des autres par des feuilles, le fond du tissu étant Plusieurs décisions ont refusé la protection du
visible, n’est pas contrefait par un modèle représentant droit d’auteur à des dessins et modèles de tissus
des grosses fleurs disposées par groupes de trois et non par manque d’originalité. Il en est ainsi d’un tissu
de deux, ayant des pétales plus effilés que sur le modèle à rayures dont « ni la disposition des rayures ni leurs
revendiqué, aucune grappe de petites fleurs n’existant, et largeurs, d’ailleurs différentes sur les deux tissus, ni
le fond du tissu étant presque invisible » ;1 leur écartement, ne portent l’empreinte de la person-
nalité de l’auteur, et ces éléments ne correspondent
– à rayures :
qu’à de simples choix sans aucun effort de création
« L’idée d’orner un tissu en y traçant des lignes parallèles ni originalité particulière »9 .
de taille et de couleur différentes est une idée ancienne qui Au regard de la jurisprudence ne sont pas non plus
remonte à la nuit des temps et fait partie du fonds commun protégeable :
des tissus d’habillement et des tissus d’ameublement du
« l’envers d’un tissu caractérisé par une apparence
monde entier, et ne peut donc être protégeable en tant que
telle. Certes une recherche particulière dans la disposition artisanale, qui n’est que le résultat de l’application
des rayures et des couleurs pourrait être protégée au titre d’une technique : par là même l’effet n’est pas nou-
du droit d’auteur. Or, force est de constater qu’en l’espèce, veau, mais existe nécessairement dès que la technique
les couleurs n’apparaissent pas essentielles à la création est employée »10 ;
puisque la société Boussac imprime ce dessin en cinq le fait pour un fabricant de coordonner des tissus
coloris différents. De même, ni la disposition des rayures ni dès lors que ses clients n’ont aucune obligation de les
leurs largeurs, d’ailleurs différentes sur les deux tissus, ni coordonner11 .
leur écartement, ne portent l’empreinte de la personnalité
de l’auteur, et ces éléments ne correspondent qu’à de
Pour contester le caractère protégeable d’un tissu,
simples choix sans aucun effort de création ni originalité un défendeur avait invoqué le fait que le motif liti-
particulière, et la contrefaçon ne pourrait exister qui si gieux avait été réalisé par ordinateur. Cet argument
le tissu Revert avait été une copie à l’identique du tissu a été rejeté au motif que la preuve n’en était pas rap-
Boussac, ce qui n’est pas le cas » ;2 portée12 . Dans un autre litige où le dessin en cause,
avait été réalisé en faisant pivoter un logo en forme
– à losanges ;3 de G avec un ordinateur, le tribunal a jugé « que si
– "ottoman" ;4 les attestations versées aux débats établissaient d’une
– "tweed" ;5 manière incontestable le rôle créateur du demandeur,
– "africain" ;6 elles ne démontraient pas pour autant qu’il était l’auteur
du dessin litigieux »13 . Même réalisé par ordinateur
– madras ;
un modèle de tissu bénéficie de la protection du droit
d’auteur s’il est nouveau ou original, à moins que l’ap-
1. CA Paris, 4e ch., 5 févr. 1990, Liberty c/CSS, Ann. 1992, port créatif soit minime et que, de ce fait, ce modèle
91. Étant néanmoins précisé que « toutefois, si la société ne puisse être qualifié de "création" : ce serait effec-
S ne peut s’approprier toute composition florale formée tivement le cas d’un motif réalisé simplement par
de marguerites et de tulipes, il n’en demeure pas moins la copie d’un dessin ou d’un logo préexistant qu’on
que, par la représentation stylisée de ces fleurs, par leur aurait simplement fait pivoter. Néanmoins le recours
agencement et les nuances choisies, l’auteur du dessin (...) au même logiciel de création pourra expliquer les res-
en a fait une interprétation qui reflète sa personnalité »
(CA Paris, 4e ch., 26 juin 2002, Savitri c/Comptoir Français
de la Mode, RDPI 2003, no 150, p. 40). 7. CA Nîmes, 2e ch., 21 janv. 1993, Les Olivades c/Hello,
2. CA Montpellier, Boussac c/Revert, PIBD 1998, III, 356 – RDPI 1992, no 52, p. 42.
DANS LE MÊME SENS, CA Colmar, 1er ch., 11 févr. 1987, 8. CA Paris, 4e ch., 1er mars 1996, Euromarché c/Ehrenreich,
D. 1988, somm. 393, note J.-J. Burst. PIBD 1996, III, 382.
3. CA Lyon, 1er ch., 18 juin 1974, D. 1974, 658. 9. CA Montpellier, Boussac c/Revert, PIBD 1998, III, 356.
4. T. com. Paris, 15e ch., 5 déc. 1997, Tricosim c/Greytex, 10.CA Paris, 4e ch., 16 oct. 1971, La Filandière c/Patifet, Ann.
inéd. 1972, 88.
5. T. com. Paris, 15e ch., 29 nov. 1996, Placide Joliet c/Sud 11.CA Montpellier, Boussac c/Revert, PIBD 1998, III, 356
Tiss, inéd. 12.CA Paris, 4e ch., 28 mai 1997, Josse c/Happy Rain, Gaz.
6. CA Metz, 23 févr. 1994, Gewe c/Exclusif Int’., JCP 1994, Pal. 7 janv. 1998, p. 23
IV, 1912. 13.TGI Paris, 3e ch., 27 juin 1997, PIBD 1997, III, 644.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.32 857

semblances existant entre certains modèles de tissus d’images textiles où l’on peut obtenir des recherches
et excuser la contrefaçon. d’antériorités parmi plus de 40 000 modèles qui
210.32 Une grande partie des litiges porte encore sont, en principe, du domaine public4 . Les fabricants
aujourd’hui sur des tissus imprimés. L’impression
peuvent également sélectionner des modèles parmi
de motifs sur des tissus ou "l’art de colorier partiel- ces antériorités, modèles qui seront ensuite retirés de
lement une étoffe est aussi ancienne que celui du tis- la banque d’image textile pendant quelques mois afin
sage"1 . Il existe plusieurs techniques traditionnelles qu’ils ne puissent être également sélectionnés par des
d’impression des tissus, les plus connues étant celles tiers concurrents.
des ligatures et le batik d’origine indienne. Introduites La principale difficulté en matière de dessins de
en Europe au XVIe siècle, ces techniques seront perfec- tissu tient au fait que contrairement aux autres créa-
tionnées et industrialisées avec la mise au point par tions de la mode, qui sont généralement tridimen-
Perrot en 1832 de la Perrotine, une machine à impri- sionnelles, il est facile de copier dans un catalogue ou
mer une, deux ou trois couleurs simultanément2 . Les un ouvrage ancien un dessin et de le déposer ensuite
machines actuelles reprennent la même technique, à à son nom à l’Inpi ou même à l’Ohmi. Il est égale-
savoir l’impression, par couleurs successives, à partir ment facile, après un voyage en Inde ou en Chine, de
de rouleaux gravés sur du tissu prêt pour être imprimé rapporter des échantillons de tissu de ces pays et de
("PPI"). les déposer ensuite à son nom à l’Inpi ou à l’Ohmi.
Les dessins des tissus sont souvent achetés à des De nombreuses personnes physiques et morales n’hé-
designers professionnels, pour un prix relativement sitent pas à déposer ainsi, ou quelquefois chez des
modeste (de 400 à 800 euros par dessin), plus rare- notaires, des dessins de tissu provenant d’ouvrages
ment ils sont créés par des salariés employés à cet publiés ou des morceaux de tissus achetés à l’étran-
effet. Les dessins sont ensuite décomposés selon des ger.
coloris primaires, afin que l’on puisse ensuite graver, Une consultation rapide des dessins déposés à
ou faire graver chez un sous-traitant, les rouleaux de l’Inpi permet de constater que certaines sociétés n’hé-
cuivre correspondant à chaque coloris, nécessaires à sitent pas à déposer ainsi plusieurs centaines de
leur impression industrielle. La gravure de chacun modèles par mois en toute illégalité puisque, le dépôt
des rouleaux se superposant, coloris par coloris afin à son nom de la création d’un tiers est un acte de
de donner le résultat final. Si nécessaire toute entre- fraude et de concurrence déloyale.
prise qui imprime des tissus est donc en mesure de Bien que le dépôt à l’Inpi ne soit que déclaratif de droits,
fournir en justice des éléments quant à la gravure des la présomption qui en résulte est difficile à combattre par-
rouleaux ainsi que les calques montrant les superpo- ticulièrement lorsque l’échantillon déposé a été importé
sitions des différents coloris. de l’étranger. la jurisprudence retient rarement les attesta-
Il existe de nombreux ouvrages3 qui répertorient tions d’origine étrangères :
des dessins de tissus, ainsi d’ailleurs qu’un Musée « Sont impuissantes à renverser la présomption de l’article
Historique des Tissus à Lyon, qui possède une banque L. 511-2 (ancien – actuel L. 511-9) du CPI des attestations
"notariées" établies plusieurs mois après l’introduction
de l’instance et plus d’un an après le dépôt du modèle. De
1. M. Daumas, Histoire des techniques : histoire générale telles attestations ne suffisent pas à rendre incontestables
des techniques Vol. 3 – L’expansion du machinisme Puf les dates figurant sur le document sous seing privé remis au
1996, p. 649. "Notaire public" indien et ne confèrent pas date certaine
2. M. Daumas, Histoire des techniques : histoire générale
à la création alléguée d’antériorité »5
des techniques Vol. 3 – L’expansion du machinisme Puf
1996, p. 649. et les tribunaux ne trouvent jamais étonnant
3. R. Bertrand & D. Le Magne, Textiles du Guatemala éd.
qu’une personne physique, ou même une petite
Studio Editions 1991, p. 112 – Cl. Browne, Soies du
XVIIIe siècle, éd. Thames & Hudson 199§, p. 112 – PME/PMI puisse déposer plusieurs centaines de des-
D. Clarke, The art of African textiles, Grange Books 1991, sins par an !
p. 128 – B. Forman, Batik Ikat – Art suprême de l’In- Le problème n’est pas nouveau, puisqu’il a dix
donésie Cercle d’Art 1988, p. 188 – St. Calloway, Le ans nous soulignions déjà qu’en matière de dessins
style Liberty, éd. Armand Colin 1992, p. 224 – J. Har-
et modèles qu’il ressortait des statistiques de l’Inpi
ris, 5 000 ans de textiles, éd. Parkstone 1994, p. 320 –
Jh. Gillow & N. Barnard, Textiles traditionnels de l’Inde, qu’en 1997 le 4e déposant français, avec 139 dépôts
éd. Thames & Hudson 1991, p. 158 – R. Kiracoffe, Au (chaque dépôt pouvant comporter 100 modèles),
pays des quilts, éd. Flammarion 1994, p. 290 – S. Meller était la société “M” qui, d’après ses statuts, était plu-
& J. Elffers, Les tissus – Encyclopédie des motifs de tissus tôt spécialisée dans l’import/export et le courtage en
imprimés, co-éd. Flammarion 1991, p. 464 – A. Racinet,
L’ornement polychrome, éd. Firmin Didot réimp. 1996,
p. 288 – V. Reilly, Paisley Patterns – A design source 4. Musée Historique des tissus, 30/34 rue de la Charité,
book, éd. Portland House NY 1989 – A. Völker, Textiles de 69002 Lyon ; Tél. 04 72 77 61 24 ; fax : 04 72 40 25 12.
la Wiener Werkstätte 1910-1932, éd. Flammarion 1994, 5. CA Paris, 4e ch., 7 mars 1997, Tricobel c/Nitya, Gaz. Pal.
p. 224. 17 juin 1997, p. 13.

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858 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

gros d’articles textiles et qui, d’après Info greffe, avait 2◦ ) la date de sa mise en gravure, ainsi normale-
réalisé en 1996 un chiffre d’affaires d’une dizaine de ment que le nom et la facture du graveur, ainsi que
millions d’euros avec un effectif d’à peine une qua- les calques6 ayant permis la gravure, et
rantaine d’employés, alors que le 6◦ déposant, avec 3◦ ) les livres de productions, ainsi que les condi-
104 dépôts, était la société Nike1 , leader mondial de tions et la date de ses premiers échantillonnages.
la chaussure de sport dont le chiffre d’affaires mon- Toutes les décisions de justice doivent impérative-
dial était alors de près de 10 milliards d’euros2 . Nous ment faire référence à ces éléments en matière de
faisions également remarquer que les dépôts effec- contrefaçon de tissus. Ainsi, on ne peut qu’approuver
tués à l’Inpi par un habitant de Marseille figurent un jugement du TGI de Paris qui a déclaré recevable
notamment des morceaux d’affiches rock des années une action en contrefaçon "sur un modèle de tissu
soixante, copiées semble-t-il de l’ouvrage "The art dont le demandeur justifie de l’exploitation et des droits
of rock"3 , et qu’il était pour le moins étonnant que de reproduction dès lors qu’il a été démontré que :
de nombreux litiges en contrefaçon de modèles de
– ce tissu a été réalisé à partir d’un dessin original
tissus portés devant les tribunaux le soient par des
d’un créateur qui lui a cédé le copyright ;
personnes physiques ou des entreprises qui n’avaient
jamais fabriqué et/ou imprimé un seul mètre de tissu4 , – qu’elle produit la déclaration de cession ;
qui avaient souvent été déboutées, pour ne pas dire – l’original de la maquette du dessin ;
condamnées, pour des dépôts douteux. – ainsi qu’un métrage du tissu le reproduisant et
Nous avons déjà dénoncé dans le cadre du présent comportant sa marque en lisière".7
ouvrage, les conséquences néfastes de la présomption Toute personne accusée de contrefaçon et/ou de
légale, en faveur de la personne qui exploite un article, concurrence déloyale doit être en mesure de se
dégagée par la jurisprudence Aero. Il ne suffit pas défendre utilement. Comme "il incombe à chaque
de vendre un tissu pour bénéficier sur celui-ci de partie de prouver conformément à la loi les faits néces-
droit d’auteur. La solution s’impose d’autant plus dès saires au succès de ses prétentions" (C. pr. civ., art.
lors que l’exploitant ne commercialise pas des tissus 9), le demandeur se doit d’apporter spontanément
mais des vêtements. Même si la société Peugeot ne un minimum de pièces de nature à établir l’origine de
commercialise que des modèles de voitures qu’elle la création et par voie de conséquence l’existence et la
a effectivement fabriqué, les pièces qui composent matérialité des droits de propriété intellectuelle qu’il
celles-ci proviennent de sous-traitants qui restent invoque. Par ailleurs, "les parties sont tenues d’ap-
propriétaires de leurs modèles et de leurs inventions... porter leurs concours aux mesures d’instruction sauf
On peut être fabricant ou imprimeur de tissus sans au juge à tirer toute conséquence d’une abstention
être pour autant titulaire des droits sur les motifs ou d’un refus" (C. pr. civ., art. 11). Si le demandeur
qu’on imprime. Ainsi, un arrêt de la cour d’appel de ne verse pas ces éléments aux débats, "il appartient
Paris a, fort justement, débouté un fabricant de tissus au juge d’ordonner d’office toutes les mesures légale-
de son action au motif « qu’il n’avait pas qualité pour ment admissibles" (C. pr. civ., art. 12), notamment
agir en contrefaçon, dès lors qu’il ne prouvait pas être sous astreinte. Les tribunaux ne sauraient s’abriter
le créateur de l’œuvre ou le cessionnaire de ses droits derrière la jurisprudence Aéro pour permettre à un
de reproduction »5 . demandeur personne morale de s’exonérer de sa com-
La personne qui revendique des droits sur un tissu munication de pièces, sauf à voir leur responsabilité
imprimé doit pouvoir sans difficulté produire en jus- engagée, dès lors qu’ils encouragent ainsi de véritables
tice des informations et des éléments sur 3 éléments fraudes aux jugements.
essentiels : Dès lors que les tribunaux hésitent à prendre en
1◦ ) l’origine du dessin, compte des attestations d’origine étrangères pour ren-
verser la charge de la preuve posée par la jurispru-
dence Aéro en matière de droits d’auteur et/ou l’ar-
ticle L. 511-9 du CPI pour les dessins et modèles,
ils doivent néanmoins tirer toutes conséquences des
faits, et notamment de ceux contraires aux usages de
1. L. Alary-Grall, Les dépôts de brevets, marques et de des-
sins progressent, Industries juill/août 1998, no 39, p. 28.
2. Le Figaro Économie 11/12 juill. 1998, p. 33. 6. « Rien ne permet d’affirmer que les calques originaux
3. Artabas 1987, p. 516. de chacun des modèles ainsi que les livres de produc-
4. Sauf CA Paris, 4e ch., 14 mai 1992, SETL c/Sellam, RDPI tion faisant remonter la création à une date déterminée,
1992, no 44, p. 56, qui relève que « Le demandeur, agent fussent-ils internes à l’entreprise, aient été établis pour
commercial, et non professionnel de la confection, ne les besoins de la cause » (CA Paris, 4e ch., 12 oct. 1992,
précise en rien les circonstances de la création des dessins Tai Ping c/Pierre et Meunier, Gaz. Pal. 18/19 août 1993,
et ne justifie pas de sa qualité d’auteur... ». p. 8).
5. CA Paris, 4e ch., 22 oct. 1992, Ehrenreich c/Ishwar, Juris- 7. TGI Paris, 3e ch., 18 juin 1986, Liberty c/Restoin, RDPI
data no 023570. 1986, no 7, p. 110.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.33 859

la profession. Ainsi, en matière de dépôt à l’Inpi il est hypothèses que nous venons de décrire, essentielle-
d’usage de déposer des dessins de motifs de tissu. Les ment compte tenu du fait que les magistrats ne s’en
dépôts qui ne portent pas sur des dessins mais sur des tiennent souvent qu’à l’apparence dégagée par les
photos d’échantillons de tissu doivent être considérés pièces versées aux débats. Les magistrats tendent sys-
comme « suspects »1 , car un dessin et une gravure tématiquement à juger que la société qui a acquis
ont nécessairement précédé ce tissu, et ils laissent un modèle de tissu ou de vêtement à l’étranger a en
supposer que le déposant s’est en réalité contenté de quelque sorte agi à ses risques et périls, et ne peut s’en
photographier des échantillons de tissus qu’il s’est prendre qu’à elle-même si elle est ensuite poursuivie
procurés plus ou moins licitement. Sont également pour contrefaçon ou concurrence déloyale. Ils n’ont
suspects les dépôts qui portent sur des modèles de peut-être pas tort, mais il est aussi critiquable de faire
tissus fabriqués industriellement à l’étranger que le fabriquer ou de sous-traiter la fabrication de tissus
demandeur se contente d’importer. Enfin, comme à l’étranger et de se plaindre ensuite devant les tri-
selon le principe général du droit selon lequel "la bunaux français des agissements indélicats des sous-
fraude corrompt tout", dès lors qu’il est établi qu’un traitants. L’entreprise française qui dessine un modèle
modèle figurant dans un dépôt à l’Inpi est fraudu- en France pour le faire ensuite fabriquer industrielle-
leux, les magistrats se doivent d’annuler l’ensemble ment dans un pays du tiers-monde, agit encore plus
du dépôt. légèrement que l’entreprise française qui se contente
210.33 Trois hypothèses. En matière de tissus, on d’y acheter des produits déjà fabriqués. En faisant
peut grossièrement distinguer trois cas de figures : fabriquer des modèles originaux à l’étranger, on court
le risque qu’ils y soient copiés, à moins d’avoir mis
1◦ ) le tissu est effectivement imprimé à
en place tout un ensemble de contrôles pour éviter ce
l’étranger par un sous-traitant à partir d’un des-
risque.
sin créé en France, mais il arrive alors souvent que
le sous-traitant, ou certains de ses employés, mettent Il est également important que le revendeur de
d’importantes quantités du dit tissu sur le marché bonne foi puisse se défendre, notamment par une
local où il sera acheté de bonne foi par une entre- mise en état et des communications de pièces les plus
prise française qui sera ensuite poursuivie en France complètes possible, y compris si nécessaire afin de lui
pour contrefaçon ; permettre d’appeler son fournisseur étranger, si ce
2◦ ) le tissu est imprimé à l’étranger par un n’est en garantie, du moins dans la cause afin d’ob-
sous-traitant à partir d’un dessin créé en France, tenir ainsi des informations sur l’origine de l’article
mais sans frais de gravure, à la condition que le litigieux.
commanditaire s’engage à prendre un minimum de S’il est établi que le tissu est effectivement fabri-
[5 000] mètres de tissus, étant entendu – conformé- qué en sous-traitance à l’étranger, se pose alors sur le
ment aux usages de la profession – qu’en l’absence plan juridique une question fondamentale, celle de
d’une telle commande le modèle deviendra alors la son statut. Dès lors que le modèle de tissu n’a pas été
propriété de l’imprimeur qui pourra le commerciali- déposé à l’Inpi au titre des dessins et modèles anté-
ser librement, y compris sur le marché français. Le rieurement à sa fabrication à l’étranger, son statut est
principal danger dans cette hypothèse c’est que les alors régi par le lieu de divulgation ou sa publication
acheteurs de bonne foi ont ensuite toujours des dif- par application des dispositions de l’article 5.4 de la
ficultés à se défendre en cas de poursuite par le com- convention de Berne. Lorsqu’un dessin, qui n’a pas
manditaire initial. été divulgué ou publié en France est envoyé en Tur-
3◦ ) le tissu est créé et fabriqué totalement quie ou en Inde pour faire l’objet d’une fabrication
à l’étranger par des tiers, mais un importateur industrielle dans ce pays, ce modèle est alors vu par
français peu scrupuleux revendiquera sur celui-ci des dizaines d’employés et de fonctionnaires turcs,
des droits privatifs, y compris si nécessaire par le qui sont susceptibles d’en prendre des échantillons
biais d’un dépôt au titre des dessins à l’Inpi, afin de ou même de le reproduire illicitement, et ce d’autant
poursuivre ensuite pour contrefaçon en France ses plus que le droit local ne protège certainement pas
concurrents directs qui auront acheté ce tissu tout à les motifs de tissu par le droit d’auteur.
fait licitement à l’étranger. Dès lors que l’entreprise française qui a fait fabri-
Il est difficile de défendre les sociétés importa- quer le tissu industriellement en Chine ou en Inde
trices, souvent de bonne foi, poursuivies pour contre- n’est pas en mesure de démontrer qu’elle a pris toutes
façon et/ou concurrence déloyale dans les diverses les mesures nécessaires afin d’empêcher la divulga-
tion de son modèle en Asie, y compris par des accords
de confidentialité versés aux débats comme c’est le
1. DANS LE MÊME SENS CA Paris, 4e ch., 14 mai 1992, SETL
c/Sellam, RDPI 1992, no 44, p. 56, qui relève « qu’au
cas en matière de brevets, on doit alors considérer
reste les photographies annexées au dépôt effectué à que ce modèle a été divulgué publiquement en Chine
l’Inpi montrent non des croquis, mais des morceaux de ou en Inde, et qu’il est donc de ce fait soumis à la
foulards...» loi chinoise ou indienne. La notion de publication

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860 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

qui n’est pas définie par le code de la propriété intel- concerné : pour un motif classique ce sera essentielle-
lectuelle est régie par les dispositions de l’alinéa 3 ment la combinaison des couleurs qui sera protégée,
de l’article 3 la convention de Berne qui la définit alors qu’un motif très original sera protégé autant
grossièrement comme "la fabrication d’exemplaires pour son motif que dans sa combinaison de couleurs.
faites avec le consentement de l’auteur". Le pays de D’une manière générale, pour qu’il y ait contrefa-
publication est considéré comme étant le "pays d’ori- çon « il ne suffit pas que les tissus aient en commun
gine de l’œuvre" par application des dispositions de une inspiration à la mode, mais il faut également une
l’article 5.4 de cette même convention. identité des motifs et des couleurs »4 . Aussi, il ne peut
Il n’existe pas actuellement de jurisprudence en ce y avoir contrefaçon entre deux tissus :
sens, mais il a déjà été jugé par la cour d’appel de
« dès lors que leurs motifs sont différents par leurs formes,
Paris1 , que dans l’hypothèse inverse, celle d’un des-
leurs couleurs et leurs combinaisons » ;5
sin acquis à l’étranger, en l’occurrence en Italie, mais
« dès lors que l’acheteur, normalement attentif, au-delà
imprimé industriellement sur un tissu en France, que
des similitudes du genre, aux particularités propres de
celui-ci devait être considéré comme publié en France
chaque dessin, peut aisément apercevoir les dissemblances
par application de l’article 5.4 de la convention de essentielles qui séparent les deux modèles en cause : il en
Berne. Dans un autre litige où le revendeur d’un tissu est ainsi, dans le cas de modèle de tissu d’ameublement
contrefaisant avait appelé en garantie son importa- caractérisé par l’emploi de motifs à bulbes, dès lors que
teur français ainsi que son imprimeur italien, la cour ces motifs, qui appartiennent à un même genre connu de
d’appel de Lyon a jugé que l’imprimeur italien, qui figures, diffèrent entre eux par leur forme et leur disposi-
avait imprimé le tissu litigieux à la demande de l’im- tion » ;6
portateur français, ne pouvait être condamné pour « dès lors que le motif du premier tissu reproduit des fleurs,
contrefaçon dès lors qu’il n’était pas établi que (i) la feuilles et tiges évoquant la nature se détachant sur un
loi italienne protégeait les motifs des tissus imprimés fond blanc, alors que sur le motif du second tissu les fleurs
et que (ii) l’imprimeur avait eu conscience qu’il avait sont dispersées et non regroupées en bouquets, que si on
adapté le dessin d’un tiers2 . y retrouve des feuilles évoquant un trèfle ou une ombrelle,
elles sont traitées de manière différente... qu’ainsi l’im-
210.34 Analyse de la contrefaçon. Le droit d’auteur pression d’ensemble des deux dessins est différente » ;7
ne sanctionne que « la reproduction » faite sans l’au-
« dès lors que le tissu utilisé par la société K. ne repro-
torisation de l’auteur ou de des ayants droit. Il n’y duit pas l’apparence particulière donnée par la matière
a donc contrefaçon que lorsqu’il y a reproduction extensible mise en œuvre par la société B et ne repro-
des motifs dans la même disposition3 . Mais, l’appré- duit donc nullement la combinaison qui est seule reven-
ciation de la contrefaçon dépend en réalité du tissu diquée, la reprise des éléments géométriques reproduits
mécaniquement pour lesquels, en eux-mêmes, l’appelante
ne revendique aucune originalité ne pouvant constituer
1. CA Paris, 4e ch., 24 sept. 1997, Saint Ys c/Galerie une contrefaçon. »8
Lafayette, PIBD 1998, III, 22
2. CA Lyon, 1er ch., 30 mai 1984, Brunat et Bustese
210.35 Concurrence déloyale. Dès lors qu’il n’y
c/Desmemaker et Eutex Intermaille, PIBD 1984, III, 190. a pas contrefaçon et que des motifs de tissus ne
3. CA Paris, 4e ch., 18 juin 1997, Baby Love c/Unibébé, Gaz. peuvent être confondus, le fait qu’un des tissus soit
Pal. 8 janv. 1998, p. 21, préc. ; « Il ressort de la comparai- vendu moins cher ne constitue pas un acte de concur-
son des deux tissus en litige que les bouquets d’œillets sont rence déloyale9 . En l’absence de droits privatifs ou de
agencés et disposés de la même façon, qu’ils comportent clause d’exclusivité il n’y a pas non plus concurrence
les mêmes couleurs, notamment grenat et vieil or et que
déloyale à s’approvisionner chez le même fournisseur
d’une manière générale, le tissu fabriqué par le défendeur
présente avec celui de la défenderesse une ressemblance qu’un concurrent10 . La concurrence déloyale ne peut
telle qu’il est permis d’affirmer qu’il n’a pu le réaliser qu’en non plus être retenue pour l’utilisation des mêmes
prenant le second pour modèle : il s’en suit que la société couleurs servant de fond à des motifs (relevant du
demanderesse doit être déclarée bien fondée en son grief domaine public) dès lors qu’il s’agit de couleurs de
de contrefaçon » (TGI Paris, 3e ch., 18 juin 1986, Liberty
c/Ch. Restoin, RDPI 1986, no 7, p. 110, préc.) ; « Consti-
tue la contrefaçon d’un modèle représentant un fond 4. CA Metz, 23 févr. 1994, Gewe c/Exclusif Int’., JCP 1994,
marin avec des algues, des formes florales, des méduses, IV, 1912.
etc. un modèle pratiquement "superposable" au modèle 5. CA Montpellier, Boussac c/Revert, PIBD 1998, III, 356.
invoqué » (CA Paris, 4e ch., 19 nov. 1987, Textile Maurice 6. CA Paris, 4e ch., 16 oct. 1971, La Filandière c/Patifet, Ann.
c/Goutarel, Ann. 1988, 105). « Constitue une contrefa- 1972, 88.
çon des modèles présentant une ressemblance telle avec 7. CA Paris, 4e ch., 23 avr. 1992, Porthault c/Frette, PIBD
d’autres modèles qu’il n’est pas possible qu’ils aient été 1992, III, 563 ; RDPI 1993, no 44, p. 51.
réalisés sans avoir sous les yeux le modèle d’origine dont 8. CA Paris, 4e ch., 7 févr. 2003, Billon Frères c/Kenzo, RDPI
ils reproduisent les caractéristiques, la physionomie exté- 2004, no 160, p. 35.
rieure et la symphonie des couleurs » (CA Paris, 4e ch., 9. CA Montpellier, Boussac c/Revert, PIBD 1998, III, 356
3 déc. 1984, Consult Equipe c/Deshemaker, Ann. 1984, 10.CA Paris, 4e ch., 14 mai 1992, SETL c/Sellam, RDPI 1992,
150). no 44, p. 56

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.37 861

base (blanc, bleu, rouge...) dont l’usage est exclusif dont le tissu avait un dessin particulier souffre d’un
d’une recherche de confusion dans l’esprit du public1 . préjudice réduit lorsque ce dessin est réutilisé par la
La cour d’appel de Paris a encore jugé en mars 1997, suite par une autre société.
que la copie servile dans un tissu de moindre qualité Pour conclure cette section on notera que dans
pouvait constituer un acte de concurrence déloyale deux arrêts rendus récemment par la cour d’appel
distinct de la contrefaçon2 . Mais, cette solution ne de Paris, pour un motif de dessin de type tartan, et
semble plus pertinente au regard de la jurisprudence un autre motif de type camouflage, les dommages-
actuelle. intérêts accordés semblent relativement peu élevés, la
Cour prenant semble-il en compte le fait qu’il s’agit
210.36 Évaluation des dommages-intérêts.
Comme dans d’autres domaines, les tribunaux de motifs d’un genre connu et très répandu3 .
ont, en matière de tissus, des difficultés à déterminer
précisément les conséquences des actes de contrefa- §3
çon et/ou de concurrence déloyale. Pour ce faire, il Dessins, croquis et figurines de modèles
est important de tenir compte des particularismes de
l’industrie ainsi que de la situation commerciale du 210.37 Historique. Jusqu’à ces dernières années, les
demandeur qui peut être soit : grands couturiers ébauchaient leurs créations sous la
forme de croquis, et c’est également sous cette forme
1◦ ) un fabricant de tissu imprimé, et qui en cas
qu’ils étaient diffusés par les revues de mode, ainsi
de contrefaçon de son modèle aura des difficultés à
d’ailleurs, que sous forme de patrons.
continuer sa commercialisation et risque également
Même si la pratique est devenue nettement moins
d’avoir des difficultés avec le client auquel il aura
courante, les grands couturiers commercialisent
éventuellement vendu son modèle en exclusivité. La
encore des patrons de leurs modèles auprès de cer-
mise au point d’un nouveau modèle de tissu coûte
tains clients. Autrefois, certains “couturiers en gros”
entre 1 000 et 5 000 euros en comptant l’achat du
étaient même admis aux collections en payant un
dessin et les frais de gravure. Une société spécialisée
“droit de vision” qui leur permettait de s’inspirer des
met sur le marché une cinquantaine de nouveaux
modèles sans avoir néanmoins le droit de les copier
modèles par an avec l’espoir que certains de ces
servilement4 .
modèles pourront être vendus sur une période de 3/5
ans. Or, les tissus contrefaits sont généralement ceux Au début du XXe siècle, la contrefaçon des créa-
qui ont le plus de succès, privant ainsi l’entreprise tions des grands couturiers était réalisée essentiel-
d’un juste retour sur investissement et d’un gain lement par la copie de leurs modèles par le biais
manqué. de dessins et de croquis ainsi que par la duplica-
tion, manuelle, de leurs patrons. L’affaire Milton
2◦ ) un "producteur", non pas de tissus mais
qui défraya la chronique judiciaire dans les années
de vêtements, c’est-à-dire une société qui aura acquis
soixante est une bonne illustration de certaines de
un dessin auprès d’une société spécialisée avec l’in-
ces pratiques blâmables. Frédéric Milton faisait com-
tention de le faire imprimer sur un tissu en sous-
merce d’albums de croquis5 constituant un digest de
traitance, généralement à l’étranger. Le tissu ainsi
la mode parisienne. Il les diffusait dans toutes les par-
obtenu servira à la fabrication de vêtements divers,
ties du monde cinq jours après la présentation des
échantillonnés auprès de divers distributeurs indépen-
collections parisiennes. Pour faire dessiner clandesti-
dants ou, commercialisés directement par son réseau
nement les modèles et les transmettre à destination
ou son système de distribution habituel.
dans de courts délais, il utilisait le bélinographe. Cette
Les frais de fabrication du tissu sont réduits pour performance était très lucrative si l’on songe que ses
le producteur car ils sont souvent supportés par l’im- abonnés lui versaient 1 000 dollars par an en 1956
primeur sous-traitant dès lors qu’on lui passe une (environ 4 500 euros). Quatre couturiers – Lanvin,
commande importante (d’au moins 5 000 mètres). Dior, Patou et Fath – s’estimant particulièrement
N’étant pas dans le commerce des tissus, elle n’est pas
affectée directement par l’existence du tissu contre-
faisant, à moins que celui-ci ne soit utilisé pour la 3. CA Paris Pôle 5, 2e ch., 11 déc. 2009, Deveaux c/C&A
France, PIBD 2010, III, 190, accessible également sur
fabrication de vêtements similaires à ceux qu’elle dis- www.inpi.fr qui accorde seulement 7 000 € au titre
tribue dans son réseau de distribution. Par ailleurs, des dommages-intérêts, mais 14 000 € au titre de l’ar-
comme dans la grande distribution les gammes de ticle 700 C. pr. civ., et ordonne trois publications judi-
vêtements changent rapidement, une société qui a ciaires à concurrence de 15 000 € – CA Paris, Pôle 5,
cessé de commercialiser des modèles de vêtements 2e ch., 4 déc. 2009, Deveaux c/The One, qui accorde
30 000 € de dommages-intérêts et 10 000 € au titre de
l’article 700 C. pr. civ.
1. CA Nîmes, 2e ch., 21 janv. 1993, Les Olivades c/Hello, 4. D. Grumbach, Histoires de la mode, préc.
RDPI 1992, no 52, p. 42. 5. Deux pages d’un album de croquis de Milton sont repro-
2. CA Paris, 4e ch., 7 mars 1997, Tricobel c/Nitya, PIBD 1997, duites par J. Borgé et N. Viasnoff, Les archives de la Mode,
III, 312. éd. Michèle Trinckvel 1995, p. 194 et 197.

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862 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

spoliés l’assignèrent devant la Cour Suprême améri- principe de la protection du droit d’auteur. La copie
caine et lui réclamèrent conjointement 50 millions ou la reproduction d’un croquis et/ou d’une photo,
de francs (1955). Ce n’est qu’après la mort de Jacques ainsi que l’enregistrement audiovisuel d’un défilé est
Fath et de Christian Dior que, le 31 mars 1962, un licite dès lors qu’elle a pour objet la constitution
accord négocié mettra fin au procès"1 . d’une copie destinée à l’usage privé du copiste (CPI,
Les supports de reproduction et les moyens de dif- art. L. 122-5-2).
fusion ayant évolué avec la technologie en 1996-1997, L’enregistrement audiovisuel d’un défilé, réalisé
la Fédération de la Couture a découvert sur le marché lors du défilé lui-même ou de sa retransmission à la
un cédérom qui reprenait frauduleusement toutes les télévision, peut licitement être représenté "gratuite-
créations et modèles de ses adhérents. Sur citation ment dans le cercle de famille" (CPI, art. L. 122-5-1).
directe, cette affaire a fait l’objet d’un jugement de la Le fait de mettre un dessin, une photo ou un extrait
31e chambre correctionnelle du TGI de Paris2 . À cette d’enregistrement à la disposition du public sans l’au-
époque, la Fédération de la Couture était également torisation de l’auteur ou de ses ayants droit sur inter-
intervenue pour tenter de mettre fin aux agissements net constitue également un acte de contrefaçon.
de First View, un serveur américain qui, sans autorisa- Sous réserve d’être originaux, bénéficient égale-
tion, diffusait régulièrement sur internet l’ensemble ment de la protection du droit d’auteur les manne-
des présentations et des défilés de ses adhérents3 . quins en bois ou en matière plastique utilisés par les
210.38 Principe. Réaliser la copie d’un modèle par commerçants pour présenter des vêtements6 .
le dessin4 , la photo et/ou un enregistrement audiovi-
suel constitue un acte de reproduction qui doit être §4
autorisé par le titulaire des droits d’auteur sur le Sous-vêtements, lingerie, slips et
modèle ou son ayant droit. Il en est de même du
commerce de tels croquis5 , dessins et photos. Bien
soutiens-gorge
entendu il existe une tolérance naturelle envers les 210.39 Historique. On ignore souvent que les cale-
photographes de mode qui, par leur métier, sont cen- çons7 et plus particulièrement les slips sont d’ori-
sés photographier les modèles pour permettre leur gine récente. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les
reproduction dans les revues spécialisées. femmes mettaient quelquefois sous leurs jupes des
Mais, la tolérance ne vise que l’usage à des fins "pantalons" qui pouvaient être ouverts "à la fran-
artistiques ou documentaires. Les croquis, comme çaise" ou fermés. "Le pantalon se cousit, d’abord
les photos de modèles ou leurs enregistrements sur par devant puis complètement. L’illogisme gouverne
support audiovisuel lors des défilés, bénéficient en le féminin. Aussi, contrairement à l’établissement,
la province conservatrice garda la brèche jugée plus
1. D. Grumbach, Histoires de la mode, éd. du Seuil 1993, convenable au moins jusqu’à l’après 1914-1918 ;
p. 71. firent de même les ouvrières et les paysannes – on ne
2. Ministère de l’économie et des finances, Bilan du Comité dira jamais assez la mentalité rétrograde du “monde
National Anti-Contrefaçon, juin 1998, p. 7. du travail” – et les filles de joie ; celles-ci pour des rai-
3. Ministère de l’économie et des finances, Bilan du Comité sons professionnelles... Il faut aussi rappeler que beau-
National Anti-Contrefaçon, juin 1998, p. 8 – DANS LE MÊME
coup de femmes des milieux populaires continuaient,
SENS, il a été jugé que « commettent le délit de contrefaçon
d’œuvres de l’esprit en violation des droits des auteurs, et continuèrent pendant des années, à ne même pas
sans pouvoir invoquer l’exception résultant de l’article s’embarrasser d’un tel sous-vêtement... C’est le sport
L. 122-5, alinéa 1er , 9o du CPI dans la rédaction résultant qui, en entrant dans les mœurs, vers la fin des années
de la loi du 1er août 2006, qui n’est pas applicable aux trente, fera passer à la jeunesse puis aux adultes, un
créations des industries saisonnières de l’habillement et article de bonneterie, pas très joli mais tout simple et
de la parure, les photographes bénéficiant d’une accrédi- bien pratique car enfin conforme à la fonction qu’on
tation de la Fédération française de la couture qui, après
attendait de lui. Suivant le processus qui avait été
avoir photographié plusieurs défilés de mode, diffusent en
ligne les images ainsi obtenues, sans autorisation des titu- celui de l’« indispensable » de nos aïeules, de l’en-
laires des droits d’auteur sur les créations qu’elles repro- fantine « culottes bateau » boutonnée à un corset,
duisent, sur un site internet auquel n’est pas étendu le on fit un modèle sur élastique, en mailles de coton
bénéfice de leurs accréditations de presse » (Crim. 5 févr. à côtes ou en jersey interlock. Les Français avaient
2008, no 07-81.387, Bull. crim., no 28). donné, vers 1925, le nom de slip (de to slip, "glis-
4. « Le fait de reproduire des modèles de haute-couture dans
des dessins, croquis ou toiles, constitue une contrefaçon
artistique » (CA Paris, 13e ch. corr., 21 févr. 1956, Babb 6. CA Paris, 4e ch., 14 mars 1991, La Rosa c/Almax, Ann.
c/Dior, Carven Grès, Ann. 1956, 243). 1991, 82.
5. « Le fait de vendre des croquis portant faussement le nom 7. Au Moyen-Âge, comme Saint Benoît avait même interdit
d’un couturier constitue le délit de fraude artistique [loi le port du caleçon aux moines, Rabelais disait d’eux qu’ils
du 9 février 1895] et le délit d’usurpation de nom [loi du avaient les « couilles longues », J.-Cl. Bologne, Histoire de
28 juillet 1824] » (CA Paris, 13e ch. corr., 21 févr. 1956, la pudeur, éd. Olivier Orban 1986, coll. Hachette/Pluriels,
Babb c/Dior, Carven Grès, Ann. 1956, 243). no 8500, p. 53.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.41 863

ser") à un caleçon court, masculin et de tricot. Les soutien-gorge déposés le 25 octobre 2006 à l’Inpi
Anglo-Saxons en rient encore »1 . (no 064932-001 et 064932-004) par la Ste Chan-
On crédite Herminie Cadolle, corsetière au 24 de telle :
la rue Chaussée-d’Antin à Paris d’avoir "inventé" en
1889, le soutien-gorge, alors baptisé "bien-être"2 . La
société américaine Warner est quant à elle à l’origine,
en 1935, des bonnets de soutien-gorge à profondeur
variable, de A, petit à D, fort.
210.40 Enregistrements dans la base de données
de l’Inpi. Une recherche effectuée dans la base de
données des brevets de l’Inpi le 15 septembre 2009,
via le site www.inpi.fr avec les mots clefs « soutien- Une recherche effectuée dans la base de don-
gorge » produisait 615 résultats. Parmi ceux-ci on nées des dessins et modèles communautaires de
citera notamment, au hasard, le brevet FR 2882229 l’Ohmi permettait de constater que plus de 1 000
pour « des bonnets de soutien-gorge avec saillies pour modèles de sous-vêtements y étaient enregistrés
recouvrir les mamelons », déposé le 20 février 2006 (classe 02.01), dont des dizaines de couches déposées
sous priorité par Lin Shian Yi, dont l’abrégé est rédigé par Procter & Gamble, étant précisé que cette base ne
de la manière suivante « un soutien-gorge 1 comprend liste pas nombre total des dessins et modèles d’une
deux bonnets 12 reliés l’un à l’autre, et deux bandes classe de produits. On citera à titre d’exemple, deux
latérales sont reliées aux deux bonnets 12 respectivement. autres modèles déposés par la société Chantelle les
Chaque bonnet 12 a un bord supérieur 122 et une saillie no 000612544-0004 et 0005 du 26 octobre 2006 :
121 s’étend à partir du bord supérieur 122 de chaque
bonnet 12. Chaque saillie 121 recouvre une zone de
mamelon des utilisatrices et elle est faite d’un matériau
élastique et à mémoire de forme de sorte que les saillies
121 soient facilement recourbées vers le bas pour laisser le
bébé accéder aux mamelons lorsqu’il le faut. Les bonnets
12 apportent un espace libre suffisant pour les seins de
sorte que les seins ne sont pas comprimés par les bonnets
12 ». 210.41 Principe. À la condition d’être nouveaux
et/ou originaux, des modèles de slips et ou de
soutiens-gorge peuvent, comme les autres créations
de mode, bénéficier de la protection du droit d’auteur
et/ou du droit des dessins et modèles :
« est protégeable la forme d’un soutien-gorge qui présente
un aspect original, une configuration distincte et recon-
naissable lui donnant une physionomie propre »3 .
« est protégeable un soutien-gorge qui se différencie de ses
similaires en ce qu’il comporte un losange accompagné
de fronces de chaque côté qui donne au modèle un aspect
d’ornementation particulier »4
Une recherche effectuée dans la base de données
des dessins et modèles de l’Inpi le 15 septembre 2009, En d’autres termes :
via le site www.inpi.fr avec les mots clefs « soutien- « Est protégeable au titre du droit d’auteur, le modèle
gorge » et « slip » permettait de constater que celle- de soutien-gorge qui présente une apparence propre en
ci produisait respectivement 1 232 et 729 résultats, raison de sa forme bustier, de pinces dans les bonnets, du
la classe 0201 celle des sous-vêtements comportant prolongement de la broderie dans le dos ou du jour échelle
2 369 enregistrements. Exemple de deux modèles de central. Est également protégeable par le droit d’auteur, le
dessin de broderie de ce soutien-gorge consistant en un
dessin de feuilles superposées avec des bandes latérales de
1. M. Toussaint-Samat, Histoire technique et morale du vête-
ment, éd. Bordas 1990, p. 407/408 – Sur l’histoire des
sous-vêtements : W. Willet & Ph. Cunnington, The history
of underclothes Dover 1992, p. 266.
2. Sur l’histoire du soutien-gorge : M. Toussaint-Samat, His-
toire technique et morale du vêtement, éd. Bordas 1990, 3. T. com. Lyon, 8 oct. 1952, Montaya c/Bourvis, Ann. 1953,
p. 401 – B. Fontanel, Corsets et soutiens-gorge –L’épopée 146.
du sein de l’Antiquité à nos jours, éd. de la Martinière 4. CA Paris, 4e ch., 31 oct. 1951, Grosjean c/Rebours, Ann.
1997, p. 160. 1951, 298.

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864 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

jours, ce dessin constituant un agencement particulier qui « Constitue une contrefaçon d’un modèle de soutien-gorge
reflète la personnalité de son auteur et est original »1 . et de son dessin de broderie, le soutien-gorge présentant
« Les articles de mode sont, dans leur ensemble, composés les caractéristiques originales de ce modèle, notamment, la
d’éléments appartenant au domaine public tels que bon- forme bustier, les pinces dans les bonnets, le prolongement
nets, basque ou petits nœuds pour les soutiens-gorge. Ils de la broderie dans le dos et le jour échelle central et
ne sont pas pour autant exempts de protection si leur com- fabriqué avec un tissu de broderie qui est la copie servile
binaison offre un aspect particulier révélant une œuvre du dessin de broderie »7 .
nouvelle, originale et personnelle. Ainsi, sont protégeables « Constituent une contrefaçon d’un modèle de soutien-
par le droit d’auteur en raison de leur esthétique et de leur gorge et d’un modèle de combinaison quasi-identiques,
forme, d’une part, le modèle de soutien-gorge qui com- qui, bien que confectionnés en matériaux moins luxueux,
porte des bonnets en forme de balconnets confectionnés ne présentent que quelques différences minimes, peu appa-
avec du satin matelassé à petits losanges, dont la cou- rentes au premier regard, notamment un troisième nœud,
ture horizontale a été réalisée à la "deux aiguilles" bordés une basque plus haute et non matelassée et des bretelles
d’un biais à cheval coupé dans un même satin, de fines doubles au lieu de bretelles fines »8 .
bretelles en satin stretch ; d’autre part, le modèle de com- « Il y a contrefaçon dès lors que deux modèles de soutiens-
binaison qui se compose du modèle de soutien-gorge et gorge comportent les mêmes éléments caractéristiques, dès
d’une pièce de tissu synthétique bordée d’un ourlet de lors que la différence d’attache ne modifie pas l’aspect du
satin identique à celui des bonnets. En effet, l’assemblage modèle et que la confusion entre les deux sous-vêtements
de ces divers éléments, joint à l’unicité de couleur et de est possible »9 .
matière ainsi que la pose du tissu matelassé dans le sens
vertical en opposition avec le biais et la couture horizon- Les broderies qui ornent les soutiens-gorge peuvent
tale qui accentue l’impression visuelle de bonne tenue du également être protégées au titre du droit d’auteur
soutien-gorge donnent une originalité particulière à ces mais la jurisprudence minimise les dommages et inté-
modèles à la fois élégants, confortables et luxueux qui les rêts alloués à leurs créateurs compte tenu du fait
différencie nettement des modèles déjà connus »2 . qu’elles ne sont pas commercialisées d’une manière
La protection de la loi leur est souvent refusée au indépendante, et que leur utilisation dépend du fabri-
sous-vêtement par la jurisprudence, notamment par cant de soutiens-gorge10 .
application des dispositions de l’article L. 511-8 (anc. Il n’y a pas contrefaçon quand « des slips se res-
Art. L. 511-3) du CPI compte tenu du « caractère semblent par leur appartenance à un genre ("brési-
fonctionnel » de leurs formes. Il en a été ainsi : lien") et que les soutiens-gorge relèvent de la banalité
– d’un modèle de slip même d’aspect particulier, ou de la fonctionnalité »11 . Les caleçons imprimés
dès lors que les éléments constitutifs de la nouveauté sont protégés à la manière des T-shirts. Ainsi il a été
du modèle sont inséparables de ceux d’une inven- jugé que bénéficiaient de la protection du droit des
tion3 ; dessins et modèles deux modèles de caleçons déposés
à l’Inpi dont un "confectionné dans un tissu blanc sur
– d’un modèle de caleçon dont la forme de la poche
lequel sont imprimés différents dessins de lèvres de
en tissu ne répond qu’à des modalités d’ordre fonc-
femme couleur rouge vermillon" et l’autre "la phrase
tionnel et est dépourvue de tout caractère esthétique
« Je t’aime » en lettres manuscrites rouge vermillon
ou de fantaisie4
donnant l’impression qu’on a écrit directement au
– d’un modèle de soutien-gorge dont la forme feutre rouge sur le tissu"12 .
est indissociable des éléments caractéristiques d’un
Comme pour les autres créations, « il n’y a pas
brevet5 .
contrefaçon entre deux modèles de slips, et il n’y a
Il y a nécessairement une certaine ressemblance pas non plus concurrence déloyale, alors qu’existent
globale entre différents modèles de bustiers en entre les deux modèles leur tissu, leur coupe et leur
"macramé", suite à la double contrainte technique confection des différences substantielles, l’infériorité
et fonctionnelle induite par ce genre de broderie6 . de prix en faveur de l’un des modèles n’étant pas à
Mais il a été jugé que :

1. CA Lyon, 22 mars 2007, Mehouenou c/Lejaby, Juris-Data 7. CA Lyon, 22 mars 2007, Mehouenou c/Lejaby, Juris-Data
no 344073. no 344073.
2. CA Douai, 20 sept. 1999, Spatz c/Capucine, Juris-Data 8. CA Douai, 20 sept. 1999, Spatz c/Capucine, Juris-Data
no 120845. no 120845.
3. CA Paris, 4e ch., 9 juill. 1975, Éminence c/Belpaume, Ann. 9. CA Paris, 4e ch., 31 oct. 1951, Grosjean c/Rebours, Ann.
1976, 103. 1951, 298.
4. CA Paris, 4e ch., 8 oct. 2003, Odda c/Vallsfrance, RDPI 10.T. com. Paris, 15e ch., 9 janv. 1998, Broderies Montclercq
2004, no 158, p. 15. c/Les 3 Suisses, inéd.
5. TGI Paris, 3e ch., 6 déc. 1989, Playtex c/Dim, PIBD 1990, 11.T. com. Paris, 15e ch., 25 avr. 1997, CM c/Rasurel, RDPI
III, 313. 1997, no 79, p. 52.
6. T. com. Paris, 15e ch., 14 mars 1997, Brodly c/Maick 12.TGI Paris, 3e ch., 18 sept. 1986, Robin-Thomas c/Freeway,
Harold, inéd. PIBD 1987, III, 165.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.45 865

elle seule suffisante pour caractériser la concurrence §6


déloyale »1 . Vestes, manteaux, cabans, blousons et
boléros
§5
210.44 Historique. L’origine du manteau remonte
Chaussettes et bas
aux temps préhistoriques quand les hommes se cou-
210.42 Enregistrements dans la base de données de vraient de peaux de bêtes. À l’époque romaine il exis-
l’Inpi. Une recherche effectuée dans la base des don- tait déjà des capes et des manteaux de formes, de
nées de l’Inpi le 20 avril 2010, via le site www.inpi.fr couleurs (la pourpre des centurions...) et de maté-
avec le mot-clef « chaussette » produisait seulement riaux divers. Martin, soldat de l’armée romaine est
325 résultats, dont certains étaient dépourvus de devenu un saint pour avoir notamment donné la moi-
pertinence. La difficulté tient au fait que les chaus- tié de son manteau à un mendiant qui grelottait de
settes et les bas font partie de la classe 0204 qui froid, un soir d’hiver de l’an 360... Il est, selon les
comprend les chaussures et comportait, toujours le siècles, qualifié de surcot, de houppelande, de paletot...
20 avril 2010, 13 500 enregistrements. Exemple d’un Le manteau actuel trouve néanmoins sa forme défi-
modèle de chaussettes déposé le 2 mars 2008 à l’Inpi nitive dès la fin du siècle.
(no 081489-001) par la Ste Ganzoni France : Au début du XIXe siècle, les automobilistes puis les
aviateurs, ont recours d’abord aux vestes fourrées puis
aux blousons de cuir pour se protéger contre le froid,
la pluie et le vent. Les blousons décorés des pilotes
américains5 de la Seconde Guerre mondiale seront
remis au goût du jour dans les années quatre-vingt
notamment sous la marque Chevignon.
"Le trench coat, littéralement “manteau de tran-
chée” a été créé pendant la Grande Guerre pour les
officiers de l’armée britannique. Confectionné dans
Il est important de souligner qu’actuellement près une toile souple et résistante, en coton imperméa-
de 60 % de la production mondiale des chaussettes bilisé, il est garni d’une chaude doublure amovible.
est assurée par une seule usine située en Chine. En Son col comporte une mentonnière qui, attachée par
matière de création de chaussettes ou de cravate, une sangle, le bloque en position relevée, empêchant
l’originalité revendiquée est très souvent liée non pas la pluie de pénétrer à l’intérieur du cou. Les pattes
à la forme, fonctionnelle, mais au dessin reproduit sur d’épaules maintiennent les sangles du barda ainsi que
le modèle. Ainsi, est nouveau et original un modèle les éventuelles bandoulières. Les pattes de serrage des
de chaussettes déposé auprès de l’Inpi constitué par poignets évitent que l’eau ne ruisselle à l’intérieur
le dessin « d’un visage rieur stylisé [...] sans qu’il en des manches, un bavolet libre dans le dos permet
résulte l’appropriation d’un genre »2 ou un modèle de une plus grande aisance des bras. À l’intérieur des
cravate représentant des phoques jouant au ballon3 . pans de devant, deux bandes de tissus viennent s’en-
rouler autour des cuisses, maintenant le bas du vête-
210.43 Analyse de la contrefaçon. La contrefa-
ment bien collé au corps. Enfin, la ceinture comporte
çon s’apprécie au regard du dessin reproduit :
des anneaux où l’on peut suspendre, pour garder les
« le dessin diffusé sous la marque Achille se présente mains libres, la gourde ou les grenades. Devenu vête-
sous la forme d’un visage rieur dépourvu de nez dont ment de ville, le trench n’a rien perdu de sa spécifi-
les éléments sont réduits aux sourcils, aux yeux et à la cité."6
bouche alors que le dessin [concurrent, qui] est un visage
interrogatif ou surpris, les seuls éléments extraits d’un 210.45 Enregistrements dans la base de données
visage étant limités aux sourcils et aux yeux, le nez étant de l’Inpi. Une recherche effectuée dans la base des
matérialisé par un seul trait et la bouche remplacé par le données de l’Inpi le 15 septembre 2009, via le site
mot smile, dégage une impression d’ensemble différente www.inpi.fr avec les mots clefs « veste » et « man-
du premier »4 . teau » permettait de constater que celle-ci produi-
sait respectivement 2 713 et 1.495 résultats. Exemple
1. CA Lyon, 30 oct. 1952, D. 1953, jur. 10, cité par F. Greffe,
Contrefaçon : définition et caractères généraux, J.-CL. DES- 5. Deux ouvrages recensent des dizaines de ces blousons :
o
SINS ET MODÈLES, fasc. 3410, n 155. G. Lhotte, Le cuir des héros, éd. Filipacchi 1987 réimp.
2. CA Paris, 4e ch., 7 mars 2003, Jules c/Mle Dostal, Viastael, 1989, p. 158 – Kesaharu Imai Suit up! The flight Jacket
Breilly, RDPI 2004, no 155, p. 36. éd. World Photo Press [1994] p. 362. La société japonaise
3. Com. 17 déc. 2002, no 99-11.646, Sainte Foy c/Hermès Nakata commercialise également de nombreuses repro-
et aut., NP, PIBD 2003, III, 298. ductions de ces blousons par correspondance.
4. CA Paris, 4e ch., 7 mars 2003, Jules c/Mle Dostal, Viastael, 6. N. Bailleux et B. Remaury, Modes et vêtements, éd. Galli-
Breilly, préc. mard Coll. Découvertes 1995, p. 22.

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866 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

d’un modèle de veste de cuisinier déposé le 6 sep- – Aux cabans :


tembre 2001 à l’Inpi (no 015161-010) par la Ste Bra-
« Est ainsi protégeable un modèle de caban de marin qui
gard SA :
« se caractérise par des éléments du domaine public, dont
le choix et l’agencement portent la marque personnelle de
la créatrice et présentent une configuration particulière
le distinguant des autres modèles pouvant appartenir au
même style »5
« Un modèle de caban qui par l’agencement et le choix des
éléments qui le constituent porte la marque personnelle de
son créateur et distingue de vêtement des autres modèles
et fait apparaître son originalité ».6

210.46 Principe. De nombreuses décisions ont – Aux blousons :


étendu la protection du droit d’auteur et/ou du droit « Est protégeable au titre du droit d’auteur, le modèle de
des dessins et modèles : blouson dont l’ensemble des caractéristiques rend compte
– Aux vestes1 et boléros : des choix et de la personnalité de son auteur et donc de
son originalité, notamment, le blouson comportant une
« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, fermeture à glissière centrale partant du bas jusqu’en haut
du seul fait de sa création, d’un droit de propriété. Sont du col avec de chaque côté une bande de tissu fantaisie
protégeables par le droit d’auteur, des modèles de veste et identique, le col et le bas confectionnés en dentelle de
boléro, alors que les différents dessins de cœurs et de roses couleur, des manches montées avec une couture apparente
stylisés les ornant, les couleurs employées, les détails de partant du col vers le poignet, une couture dans le milieu
finition et la coupe en font des œuvres créatrices originales, du dos, du col vers la ceinture, et plusieurs tissus différents
le dessin de rose stylisée étant notamment un dessin disposés en bandes sur le devant et au dos. Constitue une
nouveau, dès lors que cette rose par sa forme, l’utilisation contrefaçon d’un modèle de blouson, le blouson qui en
des couleurs et les incrustations est totalement originale reprend l’essentiel des caractéristiques et en particulier la
par rapport aux motifs de rose antérieurs. Constituent une combinaison d’une fermeture à glissière centrale partant
contrefaçon de modèles de veste et de boléro, la veste et du bas jusqu’en haut du col, avec bande de tissu de chaque
le boléro qui comportent de nombreuses ressemblances côté, et des cols et bas de matières et couleurs différentes,
portant sur des éléments originaux de ces modèles, alors ces reprises étant telles que l’impression d’ensemble est
que les coloris de fond sont identiques, les motifs de globalement identique »7 .
rose stylisée des devants sont presque identiques, leurs
dispositions, leurs incrustations, leurs couleurs, y compris La protection s’étend aussi aux manteaux8 , spen-
celles de leurs incrustations sont identiques »2 . cers9 et « doudounes »10 sous réserve que toutes ces
« Est protégeable un modèle, internationalement déposé, créations soient originales.
de veste en fourrure et en tricot. S’il existait des vêtements
210.47 Originalité en matière de vestes. Mais, ne
assemblant fourrure et tricot, et comportant notamment
sont pas protégeables par le droit d’auteur et/ou le
un corps et un col en fourrure et des manches en tricot,
il n’est pas établi qu’aucun de ces vêtements montrait les
droit des dessins et modèles les vestes et blousons qui
mêmes caractéristiques que le modèle invoqué, dans le ne présentent aucune originalité. Dans ce sens il a
même agencement, et présentant la même forme. Si un été jugé que :
styliste peut être amené à suivre les tendances générales « Le simple fait de réaliser une veste en mouton retourné
de la mode, il fait œuvre nouvelle et originale, lorsqu’il de forme croisée avec des boutons de cuir ne constitue pas
assemble des éléments connus séparément et dans une
architecture donnant à son œuvre une forme qui lui est
propre, comme n’ayant jamais été réalisée auparavant »3
« Est protégeable une veste en mouton retournée ornée
d’une surpiqûre unique partant du revers du col, descen- 5. CA Paris, 4e ch., 29 janv. 1990, Reby c/Manoukian, Ann.
dant le long des épaules.... l’auteur du modèle lui ayant 1992, 69.
ainsi conféré un aspect particulier, original et décoratif le 6. Civ. 1re , 5 nov. 1991, no 90-13.892, NPT, Ann. 1992,
distinguant d’autres modèles en mouton retourné »4 330.
7. CA Paris, 4e ch. B., Lulu c/Carole John, Juris-Data no
365137
8. CA Paris, 4e ch., 21 nov. 1997, Motyka c/Weil, RDPI 1998,
1. CA Paris, 4e ch., 4 juin 1992, Brendin Modes c/Philippe no 84, p. 47 – CA Paris, 4e ch., 29 nov. 1996, Claire
Deville, RDPI no 49 p. 65. c/Catherine Gérard, RDPI 1997, p. 52 – Pour un modèle de
2. CA Versailles, 11 mars 1999, SNCD c/Chacok, Juris-Data veste en fourrure synthétique à longs poils, T. com. Paris,
042805. 5e ch., 20 nov. 1995, Chanel c/Bart, PIBD 1996, III, 106.
3. CA Paris, 4e ch., 9 juin 1982, Vera Mont c/CGD, Ann. 9. CA Paris, 4e ch., 21 nov. 1997, PFB c/Zenith, RDPI 1998,
1982, 222. no 84, p. 46.
4. CA Paris, 4e ch., 24 nov. 1993, Brajntich c/SARL, PIBD 10.CA Paris, 4e ch., 16 janv. 2002, People Rag c/Rossi, Prop.
1994, III, 164. ind. 2002 no 3 p. 26 obs. F. Greffe

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.50 867

une œuvre originale portant l’empreinte de la personnalité Comptoir des Cotonniers, filiale du groupe japonais
de son auteur »1 Fast Retailing) :
« N’est pas protégeable un blouson qui ne se démarque
de modèles antérieurs que par une fermeture éclair sur le
milieu et des boutons aux poignets qui sont strictement
utilitaires2.

Ne sont pas protégeables les vestes et blousons


antériorisés :
« N’est pas protégeable un modèle de pèlerine antério-
risé « qui n’a pour originalité qu’une accentuation de la
coupe en biais, et qui ne présente aucun effet d’ornemen-
tation permettant de dire qu’il y a nouveauté, la coupe en
biais se pratiquant depuis longtemps pour la confection
notamment des raglans, des pèlerines et des pardessus »3
« Est nul un modèle de blouson dont les caractéristiques
essentielles ont été présentées en 1942 par Clark Gable
dans un ouvrage intitulé Le cuir des héros »4 . 210.50 Principe. Un modèle de pantalon peut béné-
ficier de la protection du droit d’auteur s’il constitue
une « création originale » :
§7
Pantalons et jeans « Est protégeable au titre du droit d’auteur, le modèle de
pantalon dont l’originalité réside dans la combinaison des
210.48 Historique. Si l’ancêtre du pantalon, la caractéristiques suivantes : une amplitude des jambes, une
chausse n’apparaît qu’au Moyen-Âge, le pantalon tel ceinture à l’extrémité arrondie, fermée par un gros bouton
que nous le connaissons aujourd’hui existe depuis et une fausse poche passepoilée, placée sur le côté droit
plus d’un siècle, même si sa forme est modifiée pério- sous la ceinture. Constituent des actes de contrefaçon
diquement par détails mineurs ("pattes d’éléphant", d’un modèle de pantalon, l’importation et la commer-
ligne "tube" ou "cigarette", serré et/ou à revers, etc.). cialisation de pantalons reproduisant la combinaison des
C’est en 1853, à San Francisco, qu’Oscar Levi-Strauss caractéristiques conférant à ce modèle son originalité »5
eut l’idée fabriquer des overalls en toile de tente mar- « Constitue une œuvre protégeable par le droit d’auteur
ron, sans poche arrière ni passants de ceinture. En le modèle d’un pantalon dont la coupe est élargie à la
rupture de tissu, il utilisa du denim de couleur bleue hauteur du bassin, effet obtenu par trois pinces ouvertes
car teinte à l’indigo. Vingt ans plus tard, il s’asso- sur le devant, et qui comporte une ceinture haute de
8 cm sans passants, fermée sur le côté gauche par deux
cia avec Jacob Youphes, un artisan tailleur originaire
boutons-pression... un tel modèle est bien protégeable
de Lettonie, inventeur des rivets métalliques utili-
comme réunissant des éléments du domaine public dans
sés pour renforcer les poches et les coutures. Le jean l’agencement et la forme esthétique qui sont propres à
moderne était né. ce modèle et le différencient d’œuvres du même genre
210.49 Enregistrements dans la base de données antérieurement publiées »6 .
de l’Inpi. Une recherche effectuée dans la base « L’originalité est patente au vu des divers pantalons pré-
des données de l’Inpi le 15 septembre 2009, via le sentés sur lesquels sont visibles des surpiqûres constituant
site www.inpi.fr avec les mots clefs « pantalon » et des sortes de nervures, en oblique ou encore se croisant de
« jean » permettait de constater que celle-ci produi- manière à former des carreaux ou des losanges »7
sait respectivement 2 621 et 363 résultats. Exemple Il peut également bénéficier de la protection du
d’un modèle de jean déposé le 2 juillet 2009 à l’Inpi droit des dessins et modèles s’il est nouveau et déposé
(no 093207-015) par la Ste Créations Nelson (ie

5. CA Paris, 4e ch. B., 7 mars 2008, Rem’son c/Camaïeu,


Juris-Data no 361196.
1. CA Paris, 4e ch., 24 nov. 1993, Brajntich c/SARL, PIBD 6. CA Paris, 4e ch., 12 nov. 1985, Difca c/Pablo Cruze, Ann.
1994, III, 164. 1986, 301 – Concernant un pantalon "fuseau" auquel
2. CA Paris, 4e ch., 20 mars 1996, Tucker c/Galerie Lafayette, on ne peut opposer aucune antériorité de toutes pièces,
PIBD 1996, III, 419 ; RDPI 1996, no 65, p. 62. TGI Paris, 3e ch., 8 nov. 1990, Thiéral c/Saraco, RDPI 1998,
3. T. corr. Seine, 12e ch., 6 déc. 1928, VI c/Gersbourms, no 32, p. 61 – Égalt , CA Paris, 4e ch. 1er oct. 1997, Marc
Ann. 1930, 222. Laurent c/Jordao, PIBD 1998, III, 64. Mais en principe ne
4. CA Paris, 4e ch., 21 nov. 1990, Japa c/Good Life, Ann. constitue pas une création le fait de rajouter simplement
1991, 101 – DANS LE MÊME SENS, CA Paris, 4e ch., 28 mai une fermeture éclair à un pantalon, T. com. Seine, 13 janv.
1990, CID c/David Gérard, Ann. 1992 no 1 – CONTRA 1931, Sem. Jur. 1931, 231, cité par P. et F. Greffe, Les
cep. CA Paris, 4e ch., 21 déc. 1982, Adec c/DCDG, Ann. dessins et modèles, Litec 1984, p. 190.
1983, 243, pour un modèle de blouson inspiré de l’armée 7. CA Paris, 4e ch., 23 janv 2004, Stock J Jennyfer c/Anciens
américaine. établissements Marius, RDPI 2005, no 173, p. 15.

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868 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

à l’Inpi. Il en est ainsi d’un modèle de jean « si luche. Dans cette atmosphère compassée, les Anglais
comme l’ont relevé les premiers juges un genre ou des ont inventé le costume tailleur dont l’origine n’est
éléments fonctionnels ne sont pas protégeables, il ne contestée par personne. En cela, ils agissaient peut-
saurait être déduit du seul fait qu’il s’agit d’un "jean" être inconsciemment dans le sens d’un mouvement
que tout "jean" se ressemble et est fonctionnel »1 , qui allait prendre de plus en plus d’importance, celui
ou encore d’un modèle de pantalon qui présente de l’émancipation de la femme. Déjà en 1852, Mrs
une disposition originale d’une garniture en forme Amelia J. Bloomer avait inventé dans l’État de New
de laçage disposée sur les milieux, devant et dos du York, un costume pour femme qui tendait à se rappro-
pantalon à laquelle aucune antériorité ayant date cher de celui de l’homme dont le pantalon bouffant
certaine n’a pu être opposée2 porte toujours le nom de la créatrice. Et, vers 1870, les
Est également protégeable au titre du droit d’auteur tailleurs anglais mettent au point un ensemble com-
et/ou du droit des dessins et modèles un pantalon posé d’une jupe longue biaisée et d’une veste ajustée,
dont la forme est séparable d’une éventuelle inven- boutonnée jusqu’au cou. Le vêtement anglo-saxon va
tion3 . de pair avec le mouvement des suffragettes"9 . Après
Mais, n’est pas protégeable un modèle de pantalon la Seconde Guerre mondiale, "la tenue favorite des
qui reprend la forme utilisée depuis plusieurs années femmes demeure le tailleur, si proche des tenues mili-
par les pantalons militaires et ne traduit aucun effort taires"10 . En 1956 Coco Chanel lance son tailleur de
créatif4 , ou qui ne fait que combiner deux éléments tweed, porté par des chaînes dorées, qui s’impose uni-
d’une grande banalité5 . versellement. Dix ans plus tard, Yves Saint Laurent
présente son premier smoking pour femme.
Est contrefaisant « un modèle de pantalon qui pré-
sente avec le modèle invoqué des ressemblances qui 210.52 Enregistrements dans la base de données
ne peuvent se justifier par un emprunt commun au de l’Inpi. Une recherche effectuée dans la base
domaine public, les différences relevées étant insigni- des données de l’Inpi le 15 septembre 2009, via le
fiantes »6 . À noter également que constitue un acte site www.inpi.fr avec les mots clefs « costume » et
de contrefaçon l’importation de jeans des États-Unis « tailleur » permettait de constater que celle-ci pro-
en Europe et/ou en France sans l’autorisation du pro- duisait respectivement 447 et 208 résultats, étant
priétaire de la marque, ainsi que le fait de délaver des précisé que le mot « costume » comporte également
jeans Levi’s, sans l’autorisation de la société Levi’s, et des déguisements pour enfants et des maillots de
de les revendre ensuite sous la marque Levi’s7 . bains. Exemple d’un modèle de tailleur déposé le
10 mars 1997 à l’Inpi (no 971426-001) par la Ste
Christian Dior Couture :
§8
Ensembles, costumes et tailleurs
210.51 Historique. Quand on feuillette l’ouvrage
de John Peacock, La Mode au Masculin8 , on constate
que le costume-cravate que nous connaissons aujour-
d’hui remonte à 1860. Dès cette époque, il fut éga-
lement adopté, avec quelques modifications, par les
femmes. "L’époque victorienne a été une époque de
grand moralisme officiel qui supportait mal la fanfre-

1. CA Paris, 4e ch., 4 mars 1993, Signoles c/Lee Cooper,


PIBD 1993, III, 435, qui refuse néanmoins la protection 210.53 Principe. Les modèles de tailleurs11 et de cos-
dans ce cas précis pour absence de nouveauté.
2. Com. 1er avr. 1981, no 79-13.601, GSD c/Salvet,
tumes12 sous réserve d’être originaux et/ou nouveaux
Bull. civ. IV, no 173 ; Ann. 1981, 205.
3. Com. 20 déc. 1983, no 82-11.089, Fusalp c/Veleda,
Bull. civ. IV, no 356 ; Ann. 1984, 80. 9. J. Hénin, Paris Haute Couture, éd. Philippe Olivier 1990,
4. CA Paris, 4e ch., 11 janv. 1990, Deguy c/Snoboy, Juris- p. 26 – "Le tailleur, emprunté au vestiaire masculin,
Data no 20014 – CONTRA cep. CA Paris, 4e ch., 21 déc. fait quant à lui son apparition dans les années 1885",
1982, Adec c/DCDG, Ann. 1983, 243, pour un modèle N. Bailleux et B. Remaury, Modes et vêtements, éd. Galli-
de pantalon inspiré de l’armée américaine. mard Coll. Découvertes 1995, p. 43.
5. CA Paris, 6 févr. 2004, Diramode c/RB Fashion, Prop. ind. 10.J. Hénin, Paris Haute Couture, éd. Philippe Olivier 1990,
2004r no 10, p. 23, obs. F. Greffe. p. 64.
6. CA Paris, 4e ch., 12 nov. 1985, Difca c/Pablo Cruze, Ann. 11.Pour un modèle de tailleur protégeable au titre du droit
1986, 301. d’auteur, CA Paris, 4e ch., 30 janv. 1991, Ginger c/Jan Co,
7. CA Paris, 4e ch., 17 oct. 1997, Action Safety Products PIBD 1991, III, 554.
c/Levi’s, PIBD 1998, III, 49. 12.Pour un costume inspiré du style traditionnel chinois,
8. éd. Celiv Paris 1996, p. 216. déposé à l’INPI au titre des dessins et modèles (CA Paris, 4e

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.57 869

bénéficient de la protection du droit d’auteur et/ou données de l’Inpi le 15 septembre 2009, via le site
du droit des dessins et modèle. Bénéficie ainsi de la www.inpi.fr avec les mots clefs « chemise » et « che-
protection de la loi « un ensemble en tweed, constitué misier » permettait de constater que celle-ci produi-
d’une jupe et d’une veste longue, caractérisé par des sait respectivement 1 826 et 648 résultats. Exemple
bandes verticales sur le devant, des panneaux triangu- d’un modèle de chemisier déposé le 19 décembre
laires avec des fausses boutonnières et boutons dorés, 2001 à l’Inpi (no 017406-010) par la Ste Bragard :
car ce modèle comporte une découpe, un montage et
des éléments décoratifs qui marquent l’empreinte du
créateur »1 .
210.54 Application du droit d’auteur. Selon une
jurisprudence de la Cour d’Appel de Paris, la pro-
tection de la loi s’applique non pas à chacun des
éléments qui composent le costume et/ou le tailleur,
mais à l’ensemble qu’ils constituent :
210.57 Principe. Il existe peu de jurisprudence en
« Même si la veste du costume est quasi identique à la veste
matière de chemises et de chemisiers. Sous réserve
X (antérieure), il demeure qu’en associant cette veste à un
d’être originaux et/ou nouveaux, ils bénéficient néan-
pantalon de forme cigarette fendu sur les côtés et dotés de
moins de la protection du droit d’auteur et/ou du
deux poches plaquées, le créateur a conféré à son costume
une physionomie propre, un aspect évoquant le costume droit des dessins et modèles. La jurisprudence a ainsi
chinois tout en s’en distinguant par la silhouette et le considéré que :
caractère plus affiné »2 « Est protégeable au titre du droit d’auteur, le modèle
Mais, le simple fait de coordonner une veste avec de chemisier se composant d’un assemblage, marqué par
une certaine recherche, de résille transparente et de tissus
une jupe ou un pantalon n’est pas, à notre avis, un
opaque, avec surpiqûres, passants latéraux, rabats, large
acte créatif de nature à conférer la protection du droit
échancrure du col dont l’ensemble porte la marque d’une
d’auteur à cette coordination d’éléments. activité créatrice originale »4 .
« Un modèle de chemise est original en ce qu’il comporte
§9 deux poches de poitrine surdimensionnées et attachées à
Chemises et chemisiers la patte de boutonnage, qui occupent tout le devant de la
chemise. Aucune antériorité de toutes pièces n’est versée
210.55 Historique. "Les Gaulois, hommes et aux débats » 5
femmes portaient la camisia celte, véritablement la « Est protégeable un modèle de chemisier blanc, caractérisé
grande ancêtre de la chemise et qui lui donna son par un col rond sur lequel sont piqués deux croquets,
nom en Français, en Italien, en Espagnol, en Portu- un noir et un blanc, ainsi que par des petits boutons
gais, en Roumain, toutes langues latines, et aussi en recouverts de tissus »6
Albanais avec des manches courtes ou longues, cou- « Les caractéristiques de (douze) modèles de la société
pée sur des patrons venus du Proche-Orient et de Rayure, dont la banalité n’est pas établie dans les combi-
l’Égypte copte"3 . Pendant longtemps, la chemise fut naisons qui en sont faites et qui ne sont pas antériorisés
utilisée comme sous-vêtement, aussi quand le cos- (...) portent l’empreinte de la personnalité de l’auteur »7
tume fit son apparition, on n’enlevait jamais son
plastron en public.
210.56 Enregistrements dans la base de données 4. CA Paris, 4e ch. B., 22 févr. 2008, SSM c/Camaïeu, Juris-
de l’Inpi. Une recherche effectuée dans la base des Data no 361186.
5. T. com. Paris 6e ch., 9 oct. 1995, Yangtzekiang c/DM,
inéd., qui alloue environ 15 000 euros au titre de la contre-
ch., 2 juill. 1997, Kookoo c/Kali, PIBD 1997, III, 626) ; pour façon et 15 000 euros au titre de la concurrence déloyale,
un costume dit du Petit Marquis comportant une culotte à jugement qui nous semble critiquable dans la mesure où
la française et un spencer (TGI Paris, 3e ch., 27 juin 1985, augmenter la taille d’une poche même si elle donne un
YSL c/Estérel, RDPI 1985, no 2, p. 118). aspect nouveau à une chemise ne semble pas constituer
1. T. com. Paris, 5e ch., 20 nov. 1995, Chanel c/Bart, PIBD un acte de création ; « Est protégeable une blouse ou cor-
1996, III, 106 – Bénéficie également de la protection de la sage de femme qui possède tous les caractères nécessaires
loi une "combinaison de sport" dont « le boléro qui, par pour produire un effet spécial lui donnant une physiono-
son mouvement, simple en apparence donne une ligne mie propre et nouvelle » (T. corr. Seine, 4 déc. 1911, La
harmonieuse à l’ensemble et le distingue suffisamment Loi 5 déc. 1911, cité par P. et F. Greffe, Les dessins et
à la femme jalouse de sa toilette et qui veut en garder modèles, Litec 1974, p. 250) – CA Paris, 4e ch., 17 oct.
l’exclusivité » (CA Aix-en-Provence, 27 oct. 1953, Gros 1997, ST c/GB, RDPI 1998 no 86 p. 51.
c/Gallay, Ann. 1953, 301). 6. CA Paris, 4e ch., 22 nov. 1990 Turquoise c/Pierlot, PIBD
2. CA Paris, 2 juill. 1997, Kali c/x, RIPIA 1998, no 191, p. 75. 1991, III, 424
3. M. Toussaint-Samat, Histoire technique et morale du vête- 7. CA Paris, 4e ch., 11 nov. 2004, Infinitif c/Rayure, PIBD
ment, éd. Bordas 1990, p. 336. 2005, III, 90.

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870 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

La cour d’appel de Paris a infirmé un jugement du Navy : Hanes, qui en lance la production en 1935, et
TGI1 , et refusé la protection du droit d’auteur à un Union Underwear, dépositaire de la marque Fruit of the
modèle de chemisier « caractérisé par la combinaison Loom. Chaque américain achète aujourd’hui près de trois
d’un col requin fermant par un bouton sur la poitrine, T-shirts par an, l’Européen deux fois moins malgré une
d’un nœud situé à la hauteur de l’estomac, formé par croissance annuelle régulière de 10 %"4 .
deux grands pans en pointe terminant les côtés du 210.59 Enregistrements dans la base de données
devant et de manches longues se terminant par des de l’Inpi. Une recherche effectuée dans la base des
poignets fermés de deux boutons ». En effet, alors données de l’Inpi le 15 septembre 2009, via le site
que le TGI avait considéré que « cette combinaison www.inpi.fr avec le mot-clef « t-shirt » produisait 195
d’éléments connus dont la preuve n’est pas rapportée résultats. Exemple d’un modèle de t-shirt déposé le
qu’ils avaient déjà été réunis, le distingue de ses 4 septembre 2002 à l’Inpi (no 025-285-012) par la
similaires et reflète la personnalité de son auteur », société Paris Musées :
la Cour a jugé quant à elle, à juste titre que « si
le mérite de la création n’est pas un critère de la
protection, il ressort des antériorités nombreuses,
et dont les différences avec le modèle opposé sont
minimes, qu’en allongeant les manches et/ou en
remplaçant un gros bouton par deux petits boutons,
SV n’a pas marqué son modèle de sa personnalité »2 .

§ 10
T-shirts Mais, attention, un grand nombre d’inscriptions
210.58 Historique . et de motifs figurant sur les t-shirt sont bien sou-
vent déposes en tant que marques françaises ou com-
"Le maillot de corps apparaît en tant que sous-vêtement munautaires et il est souvent difficile de localiser
pour homme dans la seconde moitié du XIXe siècle, sous
certaines de ces marques figuratives dans la base de
une forme similaire à celle d’aujourd’hui : corps cylin-
données de l’Inpi ou de l’Ohmi.
drique en maille de coton et bordage plat à l’encolure.
Maillot de corps réglementaire de l’U.S. Navy dès 1899, il 210.60 Principe. Est protégeable la forme originale
s’impose comme vêtement à part entière grâce au dévelop- de certains modèles de T-shirts. Il en est ainsi du
pement des pratiques sportives. Dans les années 1920, les modèle réunissant en une combinaison nouvelle des
clubs sportifs des grandes universités américaines (UCLA caractéristiques pourtant isolément connues (enco-
notamment) commencent à le personnaliser à l’aide d’ins- lure arrondie, manches évasées en forme de pagode ;
criptions. Dans les années 1930, il devient un support
bases arrondies en pans de chemises, forme galbée)5 .
publicitaire vantant les mérites d’un camp de vacances
En principe le T-shirt traditionnel n’est qu’un support
ou d’un film, la première fois pour Le Magicien d’Oz en
1939. La Seconde Guerre mondiale contribue de manière
et ce sont donc les motifs et les inscriptions qui le
décisive à sa diffusion : porté par les militaires américains, décorent qui font l’objet de la protection par le droit
il est produit en masse, sur un modèle fixé en 1942 par d’auteur et le droit des dessins et modèles6 . Ces motifs
l’U.S., sous le nom de “T. Type shirt” désignant la forme ou inscriptions ne sont, comme pour les autres créa-
en T. Ramené à la vie civile par les marines, le T-shirt se tions, protégeables qu’à la condition de constituer
popularise aux États-Unis et en Grande Bretagne. Grâce une création. Il a été jugé que ne constituait pas une
notamment au cinéma et au rock’n roll, il finit par incar- création le fait de transposer et d’imprimer sur des T-
ner un modèle vestimentaire universel pour la jeunesse. shirts des tableaux de Renoir, Monet, etc.7 . Ont été
Devenu depuis trente ans l’un des supports privilégiés des protégés par la loi un T-shirt d’Inès de la Fressange,
messages, de la musique à la littérature et à la politique, "dont la particularité est une phrase : «À part ce T-
le T-shirt apparaît comme un exemple parfait de déplace-
ment d’usage et d’adaptation d’une pièce de vêtement à
la mode"3 . 4. N. Bailleux et B. Remaury, Modes et vêtements, éd. Galli-
« Leaders sur le marché mondial, deux sociétés améri- mard Coll. Découvertes 1995, p. 29.
caines se disputent la paternité de la création, ainsi que 5. CA Paris, 4 déc. 1973, RIPIA 1975, p. 21 cité par F. Greffe,
La mode, J.-CL. DESSINS ET MODÈLES, fasc. 3250, no 26.
la fabrication des T-shirts portés par les marins de l’U.S.
6. « Est valable le modèle consistant dans une chaussure
de basket comme motif décoratif d’un vêtement et sa
représentation stylisée à l’aide de paillettes circulaires
1. TGI Paris, 13e ch., 4 févr. 1993, Vauclair c/Cotonnade, juxtaposées ; en effet, ces caractéristiques confèrent au
PIBD 1993, III, 330 modèle auquel n’a été opposée aucune antériorité, une
2. CA Paris, 4e ch., 7 juin 1995, Vauclaire c/Cotonnade, PIBD originalité méritant protection » (CA Paris, 4e ch., 8 janv.
1995, III, 434 1990, Solyne c/Brodesign, Ann. 1991, 161).
3. N. Bailleux et B. Remaury, Modes et vêtements, éd. Galli- 7. CA Paris, 4e ch., 31 janv. 1996, Magnenaz c/Alma Mater,
mard Coll. Découvertes 1995, p. 28. PIBD 1996, III, 223.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.61 871

shirt, je n’ai rien nam’mettre »1 , ainsi qu’un T-shirt sins et modèles. Comme le droit d’auteur est indépen-
"orné d’une broderie représentant une chaise longue dant du support il y a contrefaçon à reproduire sur
et un parasol"2 . un T-shirt l’œuvre préexistante réalisée par un tiers –
comme par exemple Goldorak6 – sans l’autorisation
« Est protégeable au titre du droit d’auteur en raison de
de son auteur ou de son ayant droit. Les motifs de
son caractère original, le modèle de tee-shirt présentant
un décolleté bateau, un drapé de tout le panneau central nombreux T-shirts sont également déposés à titre de
partant d’une seule couture latérale, une boucle insérée marques7 . Il en est ainsi notamment des noms et des
dans le drapé et située au niveau de l’emmanchure et personnages Astérix8 et Mickey.
une coupe légèrement cintrée, alors que si les éléments De nombreuses organisations, d’origine améri-
qui le composent sont effectivement connus et appar- caine comme la NFL ou la NBA, ou d’origine indéter-
tiennent au fond commun de l’univers du vêtement fémi- minée comme la FIFA ou son bras séculier la société
nin, en revanche leur combinaison, confère à ce modèle marketing ISL, revendiquent des droits sur des déno-
une physionomie propre qui traduit un parti pris esthé- minations d’équipes de football, de basket ou d’événe-
tique portant l’empreinte de la personnalité de son auteur.
ments comme la coupe du monde de football. Pour-
Constituent une contrefaçon d’un modèle de tee-shirt, les
tant alors que des milliers de T-shirts ont ainsi été
fabrication et commercialisation d’une copie servile de ce
modèle »3 .
saisis par des douaniers et/ou des policiers lors de la
dernière coupe du monde, les droits de certaines de
« L’appréciation du caractère protégeable ou non d’un
ces organisations restent contestables. En effet, la loi
modèle doit s’effectuer de manière globale, en fonction
de l’aspect d’ensemble produit par la combinaison des du 13 juillet 1992 a inséré un article l’article 11-2
divers éléments le caractérisant, et non par l’examen de dans la loi du 16 juillet 1984 relative à organisation
chacun de ceux-ci pris individuellement. En conséquence, et à la promotion des activités sportives, qui réserve
est protégeable au titre du droit d’auteur, le modèle de tee- aux groupements sportifs l’usage de leurs marques
shirt caractérisé par la combinaison des éléments suivants : et signes distinctifs et n’en permet l’usage par des
un décolleté bateau, un drapé de tout le panneau central, tiers qu’après approbation de l’autorité administrative
un zip latéral situé au niveau de l’emmanchure et une selon les modalités fixées par le décret du 22 janvier
coupe légèrement cintrée, alors que même si les éléments 1993. Par ailleurs, on peut légitimement se demander
qui composent ce modèle sont, effectivement connus et si les noms des grandes manifestations sportives de
que pris séparément ils appartiennent au fond commun de caractère national ou international sont susceptibles
l’univers du vêtement féminin, leur combinaison confère de constituer des marques valides dès lors que ces
à ce modèle une physionomie propre qui traduit un parti
noms sont des dénominations, non pas arbitraires,
pris esthétique qui porte l’empreinte de la personnalité de
mais nécessaires pour désigner les événements déter-
son auteur. Constitue une contrefaçon d’un modèle de
tee-shirt, le tee-shirt qui le copie servilement »4 minés et qu’imprimés sur n’importe quel support – y
compris des T-shirts – ils ne sont pas utilisés à titre
La majorité des T-shirts – en coton – vendus en de marques pour désigner l’origine de produits et/ou
France sont importés d’Égypte. S’ils sont déjà impri- de service mais bel et bien l’événement désigné.
més, ce qui est peu courant, ils ne peuvent être impor-
tés – comme pour les jeans d’origine américaine – § 11
qu’avec l’autorisation du titulaire des droits sur leur
motif, car la jurisprudence française ne reconnaît
Pulls, chandails et gilets
pas actuellement d’épuisement des droits au niveau 210.61 Historique. Même si "les origines du tricot
international5 . sont des plus obscures"9 , elle est néanmoins d’ori-
La plupart des T-shirts en coton, même impor- gine ancienne. Mais, c’est le métier actionné au pied,
tés de l’étranger, sont imprimés en France par divers inventé à la fin du XVIe siècle par le pasteur William
procédés. S’ils sont originaux les divers dessins qui Lee qui fit faire à "la technique de la maille un prodi-
ornent les T-shirts constituent des créations proté-
geables au titre du droit d’auteur ou au titre des des-
6. CA Paris, 4e ch., 5 mars 1982, Ann. 1983, 240 – DANS LE
MÊME SENS pour la reproduction sur un t-shirt d’un dessin
mettant en scène une équipe de football, CA Paris, 4e ch.,
1. T. com. Paris, 15e ch., 1er mars 1996, PIBD 1996, III, 383. 11 sept. 1991, Quelle c/Teximprim, Ann. 1992, 328.
2. Civ. 1re , 5 mars 1991, no 89-13.831, Manoukian 7. Ainsi, les 3 Suisses ont déposé les marques "L’Exemplaire"
c/Brodesign, Bull. civ. I, no 85 ; RDPI 1991, no 50, p. 50. et "L’Exemplaire Unique" utilisés comme motifs pour des
3. CA Paris, 4e ch. A., 20 sept. 1996, Jaspe c/Axara, Juris- T-shirts, CA Paris, 4e ch., 26 mai 1997, 3 Suisses c/Stampa,
Data no 312300. PIBD 1997, III, 511.
4. CA Paris, 4e ch. A., 21 juin 2006, Tendance c/Axara, Juris- 8. Marque nominative no 962.673 et marque figurative
Data no 304929. no 1.002.836, TGI Paris, 3e ch., 17 janv. 1989, ICI
5. Pour des T-shirts importés d’Israel en Belgique avant d’être c/Goscinny, PIBD 1989, III, 333).
réimportés en France : Com. 2 déc. 1997, no 95-17.255, 9. M. Daumas, Histoire générale des techniques Vol. 2 Les
Carrefour c/OPS, Bull. civ. IV, no 320 ; RDPI 1998, no 87, premières étapes du machinisme X e - XVIIe siècle, éd.
p. 35. Quadrige/Puf 1996, p. 279.

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872 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

gieux bond en avant, non seulement en augmentant 210.63 Principe. Les pulls et les chandails bénéfi-
de façon considérable la rapidité de la production, cient comme les autres créations de mode de la pro-
mais encore et surtout en rendant possible l’emploi tection du droit d’auteur et/ou du droit des dessins
de textiles très fins, comme la soie”1 . et modèles, sous réserve d’être originaux :
210.62 Enregistrements dans la base de données « Est protégeable au titre du droit d’auteur, le pull qui
de l’Inpi. Les pulls peuvent être déposés et protégés reflète la personnalité de son auteur, notamment le pull
au titre des dessins et modèles. Il est difficile de dire en mailles jersey, à emmanchures carrées avec un col
combien de pulls, chandails, etc. sont déposés à ce cheminée dont l’empiècement est évasé sur les épaules et
titre puisque ce type de vêtements fait partie de la qui présente la particularité de comporter autour de son
Classe 0202, qui englobe également les robes, les encolure des clous en métal disposés comme des rayons de
pantalons, etc., et qui comptait donc plus de 31 800 soleil, la combinaison de ces caractéristiques témoignant
d’une originalité créatrice. Constitue une contrefaçon
modèles déposés en Octobre 2009 selon la base de
d’un modèle de pull le pull qui en est la copie quasi
données de l’Inpi.
servile ».4
À titre d’exemple d’un de ces dépôts, on citera ainsi
« Est protégeable par le droit d’auteur, le modèle de pull-
le pull « Romuald », déposé par la société Créations over présentant les caractéristiques d’une encolure en V
Nelson (ie Comptoir des Cotonniers, filiale du groupe soulignée de chaque côté par une bande de cinq torsades
japonais Fast Retailing) à l’Inpi sous le no 056131- se prolongeant sur l’ensemble du devant, séparées par une
017 le 21 décembre 2005, qui avait été jugé non bande centrale de sept côtes une à une ainsi que deux
protégeable par le tribunal de commerce de Paris le autres bandes de cinq torsades de chaque côté du dos. En
25 octobre 2007 avant d’être validé par un arrêt de effet, si chacun de ces éléments est connu, l’originalité
la Section A de la 4e chambre de la cour d’appel de du modèle tient à leur combinaison dans le même article,
Paris en date du 15 octobre 2008, tant au regard du à l’interprétation personnelle qui leur en a été donnée,
droit d’auteur2 que du droit des dessins et modèles3 : notamment dans le choix de l’emplacement spécifique
sur le vêtement des deux bandes torsadées situées sur le
devant comme de leur association avec le col ayant pour
effet d’accentuer la forme de l’encolure en V ainsi que de
leur prolongement en rappel dans le dos, dans le contraste
des différents points de tricot utilisés, côtes à une à une
et torsades complétées au bord par du jersey, et dans leur
importance respective dans la composition du vêtement,
qui se distingue dans son ensemble, des autres pull-overs
de style comparable existant sur le marché. Constitue une
1. M. Daumas, Histoire générale des techniques Vol. 3 L’ex-
contrefaçon d’un modèle de pull-over, le pull qui en consti-
pansion du machinisme 1725-1860, éd. Quadrige/Puf
tue la copie servile, alors que la forme, l’ampleur et les
1996, p. 687.
2. « Qu’il ressort de l’examen de ce modèle et de l’apprécia- points de tricot sont strictement identiques, les bandes
tion globale qui en résulte, que si certains des différents de torsades sont reprises et placées aux mêmes endroits,
éléments composant le modèle, pris séparément, relèvent le bord en jersey est similaire, la bande du milieu com-
de genres connus, en ce qu’ils appartiennent au domaine prend le même nombre de côtes tandis que la finition de
public de la mode et inappropriable, sur lesquels d’ailleurs l’encolure et le montage des manches sont aussi totale-
la société appelante ne revendique aucun droit, leur com- ment conformes, la seule différence résidant dans l’emploi
binaison traduit un parti pris esthétique qui porte l’em- de matières différentes n’étant pas de nature à modifier
preinte de la personnalité de son auteur, de telle sorte l’apparence ni le style de l’ensemble du modèle ».5
que ce modèle bénéfice également de la protection du
« Est protégeable un modèle de cardigan, caractérisé en ce
droit d’auteur », CA Paris, 4e ch. A., 15 oct. 2008, Créa-
qu’il est ouvert sur le devant, comporte quatorze boutons-
tions Nelson c/Esprit de Corp, accessible sur la base de
données de l’Inpi. pression en ligne ornés de nacre, a une encolure ronde
3. « Qu’il résulte de l’absence de toute antériorité de toutes bordée par une bande bonneterie surpiquée... Il est aisé
pièces susceptible de détruire la nouveauté de la com- de constater que ce modèle a une originalité marquée qui
binaison revendiquée, telle qu’elle a été précédemment résulte de la réunion en un ensemble d’éléments aupara-
caractérisée, laquelle n’est pas reproduite dans toutes ses vant connus séparément, dont certains n’étaient jamais
composantes, de sorte que le modèle de Créations Nelson, associés... Cet assemblage original confère au modèle un
répondant ainsi au caractère de nouveauté et présentant caractère protégeable»6
une impression visuelle d’ensemble propre, est, contraire-
ment à l’appréciation des premiers juges, protégeables au
titre du droit des dessins et modèles » (CA Paris, 4e ch. A., 4. CA Paris, 4e ch. B., 2 juill. 1999, Fuego c/Centrale U, Juris-
15 oct. 2008, Créations Nelson c/Esprit de Corp, acces- Data no 024708.
sible sur la base de données de l’Inpi). Étant précisé que 5. CA Versailles, 12e ch., 19 mars 1998, Manoukian c/Etam,
cet arrêt a accordé 60 000 euros de dommages-intérêts Juris-Data no 055372.
au titre de la contrefaçon, 10 500 euros de publications 6. CA Paris, 4e ch., 13 juin 1991, Quennie c/CMC, Ann.
judiciaires, une publication judiciaire pendant un mois sur 1991, 163 ; à propos du même cardigan Agnès B.,
la page d’accueil du site www.esprit.fr, et 15 000 euros CA Paris, 4e ch., 22 oct. 1992, Sama c/CMC, RDPI 1993,
au titre de l’article 700 C. pr. civ. no 49, p. 71 – Com. 4 juill. 1995, no 93-16.145, La

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.64 873

« Est protégeable au titre du droit d’auteur, le modèle ainsi, sans rechercher si le fabricant du modèle n’avait
de gilet caractérisé par la forme spéciale de l’encolure, pas fait œuvre personnelle en appliquant à la fabrication
un galon en crochet ajouté au niveau du décolleté, des des chandails de cette forme une technique de tissage
manches trois-quarts, la coupe et l’assemblage du tissu, particulière de nature à donner à l’ensemble un aspect
notamment, la hauteur des motifs sur l’avant et l’arrière distinctif, caractéristique d’une création originale, l’arrêt
et la dentelle différente pour les manches et bordures, ce n’a pas donné de base légale à sa décision. »5
modèle étant, en effet, le résultat d’un processus créatif
qui porte l’empreinte de la personnalité de son auteur. La Cour d’Appel de Paris rappelle à propos d’un
Constitue une contrefaçon d’un modèle de gilet, le modèle cardigan dont l’originalité résulte « de la réunion en
le copiant dans ses moindres détails, les infimes différences un ensemble d’éléments connus séparément dont
portant sur les coutures du galon à l’encolure et la finition certains n’avaient jamais été associés, comme par
du bas des manches, étant sans effet sur la contrefaçon, à exemple une forme simple et souple réalisée dans des
défaut d’affecter l’impression d’ensemble »1 . matières habituellement utilisés pour les vêtements
« L’agencement des dessins tricotés destinés à produire un de sport (...) fermé sur le devant par des boutons pres-
effet décoratif particulier confère aux modèles une origina- sions en ligne serrée dont l’aspect couture est souligné
lité certaine, révélatrice de la personnalité de son créateur par le revêtement de nacre », qu’un « modèle est pro-
et digne d’être protégée au titre du droit d’auteur »2 tégeable dans son ensemble, quelque soit l’utilisation
qui en est faite, la matière ou la taille. »6
et/ou nouveaux3 :
Comme la contrefaçon s’apprécie par les ressem-
« Si la torsade est un motif d’agrément de pull connu, la blances et non les différences, celle-ci est consti-
combinaison de cette torsade unique, épaisse, appliquée tuée dès lors que « les caractéristiques essentielles
sur le milieu à l’avant du tee-shirt pour remonter jusqu’au
des modèles protégés sont reprises d’une manière à
col roulé, qui contraste avec la maille fine du corps et des
l’évidence non fortuite dans les modèles argués de
manches et du bord à grosses côtes repliées des poignets »
est protégeable, « la nouveauté du modèle ne résultant pas contrefaçon ».7
du choix de ce motif mais de son agencement inédit sur le
tee-shirt »4 . § 12
Une question récurrente en matière de pulls et de Jupes et robes
chandail tient à la relation entre la maille utilisée et la 210.64 Principe. "La robe n’apparaît comme le vête-
forme obtenue par cette utilisation. Depuis un arrêt ment spécifique féminin des sociétés occidentales que
rendu le 8 décembre 1987 par la 1re chambre civile vers le XIIe siècle, même si la forme générale d’enve-
de la Cour de cassation, on admet que l’utilisation loppement tubulaire du corps, plus ou moins pourvu
d’une technique de tissage particulière pour donner de manches, exista dès la nuit des temps pour l’un
à un chandail un aspect distinctif n’interdit pas pour ou l’autre sexe"8 . À partir de la Renaissance, "la robe
autant sa protection par le droit d’auteur : reste la pièce centrale du vestiaire féminin, faisant
« Doit être cassé l’arrêt qui a refusé la protection du droit évoluer ses proportions au gré des modes : fourreau
d’auteur à un modèle de chandail, pour le motif que le sous l’Empire et la Restauration, en cloche jusque
fabricant de ce modèle n’avait pas créé le point de tricotage dans les années 1850, à crinoline jusqu’en 1870, à
utilisé pour donner au tissu un effet "natté" et que la tournure jusqu’en 1910"9 . Vers 1900 la jupe plis-
forme géométrique du modèle était banale. En statuant sée remplace la jupe à volants, sa forme générale se
stabilise. Après ce ne sera plus qu’une question de
longueur au fil des modes et des années. Après 1914
Redoute c/CMC, NPT, PIBD 1995, III, 505 et CA Paris,
4e ch., 15 déc. 2000, GAP c/Agnès B., Ann. 2001, 125.
1. CA Paris, 4e ch. A., 15 déc. 2004, Fan Fan c/Etam, Juris- 5. Civ. 1re , 8 déc. 1987, no 86-13.859, Hayat c/Bendji,
Data no 262724. Bull. civ. I, no 341 ; Ann. 1988, 190.
2. CA Paris, 4e ch., 27 juin 2001, Romys c/Rhonetex et aut., 6. CA Paris, 4e ch., 15 déc. 2000, GAP c/Agnès B., Ann.
RDPI 2001, no 139, p. 40. 2001, 125.
3. Pour un pull-over à motifs jacquard, CA Paris, 4e ch., 7. TGI Paris, 3e ch., 22 nov. 1990, Blanc Bleu c/Hazan, RDPI
28 nov. 1997, Hemsley c/Molinier Laur, RDPI 1998 no 85, 1991, no 32, p. 59 – Aussi TGI Paris, 3e ch., 3 juin 1992,
p. 47 ; pour un gilet-veste sans manches, TGI Paris, 3e ch., Barbara Bui c/Jugephanie, RDPI 1992, no 44, p. 63, qui
3 juin 1992, Barbara Bui c/Jugephanie, RDPI 1992, no 44, souligne que « malgré la dimension réduite des emman-
p. 63 ; pour des pulls ornés de motifs et d’inscriptions, chures, l’adjonction d’une matingale et la différence des
TGI Paris, 3e ch., 22 nov. 1990, Blanc Bleu c/Hazan, RDPI matériaux employés, l’aspect extérieur du vêtement, seul
no 32, p. 59, confirmé en appel par CA Paris, 4e ch., exposé à la clientèle révèle une volonté délibérée de
25 juin 1992, Juris-data no 22055 ; pour un modèle de copier toutes les caractéristiques constituant l’originalité
sweatshirt, CA Paris, 4e ch., 24 mars 1994, Errarie c/New du modèle revendiqué ».
Licence, RDPI 1994, no 53, p. 65. 8. M. Toussaint-Samat, Histoire technique et morale du vête-
4. CA Paris, 4e ch., 12 janv. 2005, Camaïeu c/Créations ment, éd. Bordas 1990, p. 349.
Nelson (Comptoir des Cotonniers), PIBD 2005, no 808, 9. N. Bailleux et B. Remaury, Modes et vêtements, éd. Galli-
III, 326. mard Coll. Découvertes 1995, p. 43.

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874 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

"la pénurie des textiles et les exigences de la vie pro- On peut également citer le modèle « Opinion »
fessionnelle raccourcissent les jupes qui se portent à également déposé par la Ste Créations Nelson (ie
mi-mollet... En 1916, les jupes remontent encore un le Comptoir des Cotonniers) à l’Inpi le 13 janvier
peu"1 . Dans les années vingt et trente les vêtements 2005 sous le no 050125-044, qui a été validé par
des femmes sont délibérément courts. En 1947, avec un jugement du tribunal de commerce de Paris du
la fin des restrictions dues à la guerre la jupe et la 21 juin 2007, lui-même confirmé par un arrêt du
robe se rallongent. Dior lance le New Look. Vingt 24 septembre 20083 :
ans plus tard les années soixante voient triompher la
mini-jupe.
210.65 Enregistrements dans la base de données
de l’Inpi. Une recherche effectuée dans la base des
données de l’Inpi le 15 septembre 2009, via le site
www.inpi.fr avec les mots clefs « robe » et « jupe »
permettait de constater que celle-ci produisait respec-
tivement 4 263 et 2 207 résultats.
À titre d’exemple, on citera le modèle de robe
« Roquette », déposé par la Ste Créations Nelson (ie le
Comptoir des cotonniers la filiale du groupe japonais
Fast Retailing) à l’Inpi le 21 décembre 2008 sous le
no 056131-022, étant précisé que ce modèle qui avait
été annulé par le tribunal de commerce de Paris le
25 septembre 2005 avant d’être validé par un arrêt
du 26 juin 2009 de la 2e chambre du Pôle 5 de la
cour d’appel de Paris au motif que « ce modèle dif-
210.66 Principe. Bénéficient de la protection du
fère de l’antériorité Lafayette produit, non seulement
droit d’auteur et/ou du droit des dessins et modèles
par la différence de boutons sur la patte traversant la
les jupes4 et les robes5 qui constituent des créations
bretelle gauche et la longueur du modèle mais égale-
qui sont originales et/ou nouvelles.
ment par la présence de rayures plus épaisses que sur
l’antériorité et qui confèrent au modèle déposé son « Est protégeable au titre du droit d’auteur, le modèle de
caractère propre et nouveau ; qu’il se dégage, du fait robe longue bustier assortie de plissés et d’une fente sur
de ces différences, une impression visuelle d’ensemble une partie de sa longueur, alors que le plissé placé au
qui aux yeux de l’observateur averti, le démarque des niveau de la poitrine duquel partent deux larges bandes de
modèles déjà divulgués »2 : parement libres placées le long de la couture du côté de la

3. CA Paris, 4e ch. A., 24 sept. 2008, Créations Nelson c/Naf


Naf, accessible sur le site de l’Inpi. Comme la société Naf
Naf avait commandé 4 450 robes litigieuses proposées à
la vente à un prix public de 69,90 euros HT, alors que le
modèle original de la Ste Création Nelson était offert à la
vente à 110 euros, elle a été condamnée à 150 000 euros
de dommages-intérêts au titre de la contrefaçon.
4. Pour une jupe habillée avec un volant rabattu formant
un « faux portefeuille », CA Paris, 4e ch., 30 avr. 1987,
Infinitif c/Dimitri Eliopoulos, RDPI 1987, no 13, p. 154 ;
pour une jupe constituée par un plissé horizontal pour la
découpe haute et un plissé vertical pour le bas, CA Paris,
4e ch., 12 oct. 1989, Thieral c/Fel, Juris-Data. no 25047.
Pour un modèle de jupe culotte jugé original et nouveau
associant aux 3 pans de chaque jambe des poches cava-
1. J. Hénin, Paris Haute Couture, éd. Philippe Olivier 1990, lières sur lesquelles est apposé un rabat de tissu partant
p. 46. de l’arrière de la jue ainsi que la forme particulière du
2. Arrêt accessible sur le site de l’Inpi www.inpi.fr. Cet arrêt dos, CA Paris, 4e ch, 14 nov. 2003, Contact c/Marcello
accorde 30 000 euros de dommages-intérêts au titre de la Diffusion, RDPI 2005, no 174, p. 23.
contrefaçon, ainsi que 10 000 euros de publications judi- 5. Pour une robe "saharienne" : CA Paris, 4e ch., 29 févr.
ciaires et 6 000 euros au titre de l’article 700 C. pr. civ. 1980, Pample et Mouce c/M.K., Ann. 1981, 167 ; pour

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.66 875

fente et recouvrant en partie cette dernière témoigne d’un « Est protégeable par le droit d’auteur, le modèle de robe
effort créatif »1 à smocks pour fillettes auquel le créateur a conféré une
« Sont protégeables au titre du livre I du code de la pro- physionomie propre, permettant de le distinguer d’autres
priété intellectuelle, les modèles de robes de mariée se robes à smocks et reflétant sa personnalité, par l’apposition
caractérisant, premièrement, par la combinaison d’un cor- aux emmanchures et à l’encolure d’un très fin volant plissé
set à bretelles en dentelle opaque, comportant une découpe du même ton et dans le même tissu que la robe et le décor
arrondie au milieu du dos, bordée d’un galon, rattaché à des smocks d’une guirlande de petites roses formant deux V
une jupe en soie ou en shantung par ce même galon repris aplatis. Ne constitue pas une contrefaçon d’un modèle de
au niveau de la découpe de la taille, deuxièmement, par la robe à smocks pour fillettes aux emmanchures « raglan"
même combinaison outre un gros nœud cousu au bas du et encolure bordées d’un très fin volant plissé et smocks
dos de la jupe de même matière que la jupe, troisièmement, à motif de guirlande de petites roses, la robe qui reprend
par la composition d’un corset lacé sur le devant de la robe comme thème de broderie des petites roses, mais dont la
qui comporte une encolure largement arrondie découvrant forme de la guirlande n’est pas la même et qui comporte
les épaules, une découpe en pointe au niveau de la taille et des petites manches avec un volant plissé et au col une
des manches ballon garnies de fleurs, et quatrièmement, petite collerette fixée par un biais et se posant à plat sur le
par la combinaison d’un bustier, au large décolleté sur les devant, ces éléments conférant à la robe une physionomie
épaules, garni de dentelle et d’un galon à l’encolure et d’ensemble entièrement distincte de celle du modèle » 3 .
aux hanches et pourvu d’un laçage dans le dos. En effet, « Est protégeable par le droit d’auteur l’ensemble jupe qui
les combinaisons adoptées résultent d’un processus créatif comporte, au-dessus d’une jupe plissée mi-longue en voile,
qui traduit un parti pris esthétique et confère aux modèles une veste associant tissus et dentelles, notamment dans
une apparence originale, leur permettant de bénéficier de les manches, les revers de poches et l’encolure, dès lors
la protection accordée par le droit d’auteur. Constituent que cet ensemble, même s’il peut reprendre divers apports
des actes de contrefaçon de modèles de robes de mariée, la du domaine public, en fait une combinaison originale,
fabrication et la vente de robes de mariée reproduisant les portant l’empreinte de la personnalité de sa créatrice.
caractéristiques de ces modèles, notamment, le corset à Constitue une contrefaçon d’un ensemble jupe, l’ensemble
bretelles en dentelle bordé d’un galon, le décolleté arrondi jupe le copiant servilement »4 .
dans le dos, le gros nœud au dos de la jupe, le corset à
lacet découvrant les épaules et se terminant en pointe sur Mais :
la jupe, les manches ballon piquées de fleurs et de petites « Ne peuvent bénéficier de la protection de la loi du
feuilles, le corset à la découpe arrondie décolletée sur les 11 mars 1957 aujourd’hui codifiée sous les articles L. 111-
épaules, bordée d’un galon et le laçage dans le dos »2 . 1 et suivants du CPI les modèles de robe pour fillettes que
le créateur n’a pas marqué de l’empreinte de sa person-
nalité et auxquels il n’a pas conféré un caractère original
une robe à bretelles tressées, élargie vers le bas avec permettant de les distinguer d’autres modèles appartenant
une écharpe, CA Paris, 4e ch., 2 mai 1984, Francel c/Saul, au même style. En conséquence, ne sont pas protégeables
PIBD 1984, III, 249 ; pour une robe brodée, CA Paris, 4e par le droit d’auteur, d’une part, le modèle de robe compor-
ch., 7 févr. 1984, Nehlig c/Garnier, PIBD. 1984, III, 177 ; tant sur le devant un gros grain avec des boutons de nacre
pour une combinaison d’un drapé et d’un décolleté en comme patte de boutonnage, alors qu’il était connu pour
pointe autour duquel partent des plissés plus une large des robes pour fillettes de placer sur le devant une patte
ceinture plissée, CA Paris, 4e ch., 7 févr. 1990, Melrose de boutonnage avec des boutons de nacre, et d’utiliser des
c/Ginger, Juris-Data no 20202 ; une robe longue sans
bandes de gros grain décoratives, d’autre part, le modèle
manches, cintrée à la taille, comportant deux fentes sur les
de robe associant un col Claudine blanc connu depuis
côtés et se fermant par six boutons en tissu de forme de
spirales, CA Paris, 4e ch., 12 mars 1997, Etam c/Jean Marc de longues années pour égayer les robes de fillettes à une
Philippe, PIBD 1997, III, 377 ; un modèle de robe « cache- robe de forme trapèze sans manches également connue, et
cœur », TGI Paris, 3e ch., 14 mars 1997, Elbilia c/Tension, enfin, le modèle de robe salopette, forme trapèze, en toile
PIBD 1997, III, 450 ; un modèle de robe smoking d’Yves écrue, avec une grande poche unique sur le devant, alors
Saint Laurent, T. com. Paris, 18e ch., 19 mai 1994, YSL que la robe salopette forme trapèze était connue, que la
c/Louis Dreyfus, Gaz. Pal. 27/28 juill. 1994, p. 9 ; une robe toile écrue ne donne pas un aspect ornemental ou décora-
dont le haut est représenté par une forme de chemisier tif à la robe et que la robe salopette avec une ou plusieurs
croisé devant sans boutonnage, CA Paris, 4e ch., 28 févr. poches sur le devant était largement commercialisée par
1996, Bauduret c/Mimsy, PIBD 1996, III, 357 ; une robe d’autres entreprises et correspondait à un phénomène de
longue sans manches, légèrement cintrée et presque mode pour fillettes »5 .
intégralement fermée sur le devant par un boutonnage
commençant en dessous d’un large décolleté en V et La Cour d’Appel a notamment affirmé « qu’en
comportant sur le décolleté, un nœud formé par deux matière de mode (dont il est communément affirmé
pattes terminales de l’encolure reliées entre elles par un
passant, pris en couture avec la parmenture, CA Paris, 4e
ch., 19 déc. 1997, Mathilde c/Naf Naf, RDPI 1998, no 85, 3. CA Paris, 4e ch. B., 12 mai 2000, LMDE c/Bonpoint, Juris-
p. 46. Data no 126917.
1. CA Paris, 4e ch. B., 21 nov. 2008, Ado c/Onkel, Juris-Data 4. CA Paris, 4e ch B., 4 déc. 1998 Twincky c/Helena Mod,
no 373512. Juris-Data no 023635.
2. CA Paris, 4e ch. À, 27 janv. 2003, Cymbeline c/G2M, Juris- 5. CA Paris, 4e ch. B., 12 mai 2000, LMDE c/Bonpoint, Juris-
Data no 206139. Data no 126917.

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876 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

qu’il s’agit d’un éternel recommencement), la per- billement. Certains modèles de sandales fabriqués
sonnalité du créateur s’exprime de manière d’autant dans la Grèce antique ont d’ailleurs traversé les temps.
plus forte que celui-ci décline, sur un mode qui lui À quelques rares exceptions9 jusque vers 1860 les
est personnel, les éléments marquants d’une période chaussures étaient fabriquées artisanalement par des
révolue, pour conférer à l’ensemble un aspect origi- bottiers, des savetiers et des cordonniers. L’invention
nal et nouveau qui, tout en révélant (comme en l’es- de la machine à coudre, de machines à couturer le cuir
pèce) les tendances générales de la mode du moment, et à agrafer les semelles permit enfin leur production
lui permettent de se démarquer des modèles de ses en série. Les brodequins fabriqués en 1870 par Alexis
concurrents » 1 Godillot pour l’armée française furent les premiers
Selon la jurisprudence, « la nouveauté d’un modèle produits de cette révolution industrielle. Dans les pre-
de robe appelle une appréciation d’ensemble »2 .Le fait mières années du XXe siècle des enseignes comme
que le modèle de robe appartienne à un genre n’em- Raoul et André voient le jour. Le développement de
pêche pas qu’il présente des caractéristiques propres l’industrie du caoutchouc, suite à la découverte de
qui le singularisent parmi les autres robes3 . la vulcanisation par Goodyear (1839), permet dès
Ne bénéficie pas de la protection du droit d’auteur 1908 aux États-Unis la fabrication par Converse des
un modèle de jupe dont la caractéristique – purement premières baskets, les All Stars10 .
utilitaire – réside dans un système de repli en petites En France, la Grande Guerre de 14/18 marque
dimensions, de manière à assurer le maintien du une rupture totale avec le passé. Pour chausser les
plissage4 . La protection accordée par la loi ne saurait soldats en l’absence de main d’œuvre qualifiée on
s’étendre à une idée ou à un genre, notamment « la importe massivement des machines d’origine améri-
simple superposition de volants »5 . caine. Dans les années vingt, les Français découvrent
« Comme la contrefaçon appelle une appréciation Heyraud et Weston et les premières enseignes étran-
d’ensemble », malgré des éléments communs l’aspect gères comme Bally et Bata. Fondée par Thomas Bata
particulier d’une robe peut conduire à écarter le grief le 24 août 1894 à Zlin en Tchécoslovaquie, la société
de contrefaçon6 . La contrefaçon est réalisée dès lors Bata produisait dès 1905 plus de 2 200 paires de
qu’il y a reproduction de tous les éléments du modèle, chaussures par jour. À l’heure actuelle, Bata fabrique
malgré quelques différences de détails, comme par près de 170 millions de paires de chaussures par an,
exemple, au niveau du décolleté, du boutonnage et et en vend 270 millions de paires dans 60 pays grâce
de la fermeture éclair7 . à ses 4 458 boutiques et ses 100 000 revendeurs ou
franchisés.
§ 13 Durant les années vingt, un bottier de Nice, André
Chaussures et semelles Perugia, accède grâce à son talent – et à sa courte
association avec Heyraud qui lui permit de diffuser
210.67 Historique. Les chaussures8 constituent cer- ses modèles à Paris – à la même renommée que les
tainement une des pièces les plus anciennes de l’ha- grands couturiers. Les tennis s’imposent également
sous diverses marques. L’après-guerre consacre de
1. CA Paris, 4e ch., 10 avr. 1996, Résonnances c/Torrente, nouveaux modèles et de nouvelles entreprises. En
PIBD 1996, III, 421. 1945, les Français découvrent les Pataugas. En 1946,
2. CA Paris, 4e ch., 17 nov. 1988, Atlantide c/Melloul, PIBD l’allemand Adi Dassler fonde Adidas qui en quelques
1989, III, 243. années va modifier le marché de la chaussure pour
3. Pour une robe de style empire : CA Paris, 4e ch., 28 sept.
adolescents. Roger Vivier qui avait lancé sa version
2001, Mathilde Industrie c/Promotion du prêt à porter
Pimkie, RDPI 2002, no 19, p. 16 (préc.). de l’escarpin avant la guerre continue sur sa lan-
4. Crim. 10 oct. 1961, JCP 1961, IV, 157. cée et dès 1953 ouvre un département souliers en
5. T. com. Paris, 1re ch., 13 déc. 1996, Pit’chouun c/P’tit association avec Christian Dior. À partir des années
môme, RDPI 1997, no 79, p. 50. cinquante, pour faire face à la concurrence, qui était
6. CA Paris, 4e ch., 17 nov. 1988, Atlantide c/Melloul, PIBD
1989, III, 243.
7. CA Paris, 4e ch., 7 févr. 1990, Melrose c/Ginger, Juris-
Data no 20202. 2 rue Sainte Marie, Romans-sur-Isère, Drome. Il existe
8. Revues professionnelles : Hebdo Cuir, Chausser, Le Maga- 3 livres sur les bottes mexicaines et les bottes de cow-
zine de la Chaussure. Ars Sutoria (Italie). Bibliographie : boys : L. Benayoun et Th. Mexicana, Western boots made
Dictionnaire technique de l’industrie de la chaussure, in Mexico, éd. Vers les Arts 1994 – G. Lhotte, L’Amérique
CTC 1973 – B. Heyraud, 5 000 ans de Chaussures, éd. des bottes, éd. Filipacchi 1989, p. 158 – Hamley & Co.,
Parkstone 1994, p. 189 – L. O’Keefe, Chaussures – Une 1942 Cowboy clothing and gear catalogue, Dover 1995,
fête : escarpins, sandales, chaussons, éd. Könemann 1997, p. 159.
p. 509 – McDowell, Haute pointure : une histoire de la 9. Dès 1795 à Lynn dans le Massachussets dès 1795 des
chaussure, éd. thames & Hudson 1998, p. 224 – Pati- usines produisaient près de 300 000 paires de chaussures
son & N. Cawthorne, A century of shoes Chartwell 1997, par an (St. Lubar, Engines of changes, National Museum
p. 160 – G. Provoyeur, Roger Vivier, éd. du Regard 1991 of American History 1986, p. 58).
– Musée de la Chaussure, Ancien couvent de la Visitation, 10.Fl. Müller, Baskets, éd. du Regard 1997, p. 105.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.70 877

alors essentiellement italienne, l’industrie française


de la chaussure s’est réorganisée. Déjà en 1968 elle ne
comptait plus que 670 entreprises contre 3000 vingt
ans auparavant. Mais "depuis les années quatre-vingt,
la diminution des obstacles et des droits tarifaires à
l’échelle internationale a entraîné un déplacement
important de la production de chaussures de l’en-
semble des pays développés vers les économies dis-
posant d’une main-d’œuvre bon marché, comme le 210.69 Une protection qui englobe les chaussures
bloc commercial asiatique que forment la Chine, l’In- et/ou leurs semelles. La jurisprudence ne protège pas
donésie, la Thaïlande, la Corée du Sud, Hong-Kong que les chaussures à proprement parler par le droit
et Taïwan"1 . En 2009, la ville de Wenzhou, au sud de d’auteur et/ou le droit des dessins et modèles puisque
Shanghai, était avec près de 4 000 usines la capitale quelques décisions isolées ont même étendu cette
mondiale de la chaussure. L’industrie française de la protection à des semelles.
chaussure qui s’était spécialisée dans les chaussures
de luxe a été affectée par cette évolution (liquidation 210.70 Chaussures. Les magistrats leur refusent sou-
judiciaire du chausseur Stéphane Kélian en mai 2005, vent la protection tant du droit d’auteur, que du droit
dépôt de bilan du chausseur Charles Jourdan en août des dessins et modèles, en jugeant que les modèles qui
2005), ainsi d’ailleurs que par la concurrence des leur sont soumis ne se démarquent pas suffisamment
pays de l’Europe du Sud (Italie, Espagne et Portugal) des modèles antérieurs et ne constituent pas de ce fait
où les coûts salariaux restent moins élevés. des "créations". Ainsi, il a été jugé que :
Selon diverses études et sondages, il apparaît que « N’est pas protégeable un modèle de chaussure dérivé
les femmes investissent deux fois plus en articles d’un modèle antérieurement publié, dès lors que les diffé-
de chaussures que les hommes, alors que marché rences, qui distinguent le modèle de l’antériorité, sont trop
hommes est lui à peu près égal au marché enfants. légères pour donner au modèle des qualités d’originalité
suffisantes »2 .
Alors que les hommes achètent des chaussures confor-
tables et solides par nécessité, le choix et la mode « Même si l’originalité d’une création peut résulter de
dictent les achats – plus impulsifs – des femmes. Hor- la combinaison nouvelle d’éléments connus, n’est pas
protégeable par le droit d’auteur le modèle de chaussures
mis le cas particulier de certaines chaussures de sport
de cyclisme qui ne présente pas une telle combinaison, dès
destinées aux adolescents (Nike, Reebok, Adidas...)
lors que l’empeigne haute prolongée par une languette, la
et des chaussures de luxe (Weston,...) dans la majo- fermeture par deux bandes de serrage parallèles apposées
rité des cas la marque ne semble pas être un facteur presque verticalement sur le coup de l’arrière du talon, de
décisif dans l’achat des chaussures qui répond dans la bande de renfort et du bourrelet ne révèlent pas une
la plupart des cas à un besoin. originalité créatrice »3
210.68 Enregistrements dans la base de données de « En se bornant à modifier la forme de l’enrobage en
l’Inpi et de l’Ohmi. Une recherche effectuée dans la caoutchouc d’un modèle de chaussure antérieur pour qu’il
base des données de l’Inpi le 15 septembre 2009, via soit de hauteur uniforme et épouse tout le pourtour de la
le site www.inpi.fr avec les mots clefs « chaussure » semelle, l’auteur du modèle revendiqué n’a pas marqué
celui-ci de l’empreinte de sa personnalité. En conséquence,
et « semelle » permettait de constater que celle-ci
doit être infirmé le jugement qui a dit que ce modèle était
produisait respectivement 9 713 et 2 839 résultats.
protégeable sur le fondement [du droit d’auteur] » 4
Une recherche effectuée le même jour dans la section
« En se bornant à façonner l’avant et l’arrière de la semelle
dessins et modèles de la base de données de l’Office
pour lui donner un aspect un peu carré et en réduisant
canadien de la propriété intellectuelle permettait de
légèrement la découpe au niveau du talon, l’auteur d’un
relever 2 371 modèles de « souliers » (clas. no 006- modèle de chaussures n’ayant pas marqué ce modèle de
05-03) et 1 284 modèles de semelles (clas. no 006- l’empreinte de sa personnalité, ce modèle pas protégeable
05-04).
Les chaussures peuvent également être déposées à
l’Ohmi et tant que dessins et modèles communau-
taires. Exemple, les modèles no 000243621-006 et
008 déposés le 18 octobre 2004 par la société Tod’s :
2. CA Paris, 4e ch., 26 avr. 1955, AABR c/Producteurs Asso-
ciés, Ann. 1956, 196
3. CA Paris, 4e ch A, 29 mars 2000, ADP c/Pohu, Juris-Data
no 121855.
1. Étude canadienne accessible sur Internet (http://strategis. 4. CA Paris, 4e ch., 26 févr. 1997, Sab Socks et Benetton
ic.gc.ca) qui précise que "le commerce mondial de la c/Bata et Ponvert, PIBD 1997, III, 313 ; Ann. 1998, 99 ;
chaussure s’élevait approximativement à 36 milliards de Gaz. Pal. 15/17 juin 1997, p. 15 – DANS LE MÊME SENS,
dollars US en 1995, soit un peu plus de 1 % des exporta- CA Paris, 4e ch., 19 juin 1996, Kickers c/Rautureau, RDPI
tions mondiales de produits manufacturés". 1996, no 69, p. 32 ; PIBD 1998, III, 475.

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878 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

par le [droit d’auteur], le renom du fabricant ne pouvant résulte d’un processus créatif et porte l’empreinte de la
suffire à donner un titre à la protection »1 personnalité de son auteur »6
« Lorsqu’un modéliste n’a pas su exprimer à ses modèles et/ou du droit des dessins et modèles :
un caractère particulier de nouveauté, qu’il existe entre
« Est protégeable [au titre des dessins et modèles] le modèle
les chaussures incriminées et celles du demandeur une
de chaussures dont certains éléments se retrouvent dans
certaine ressemblance imposée par la ligne de saison, il
le domaine public dès lors que leur combinaison pour
n’est pas possible de dire dans ces conditions qu’il y a
réaliser une bottine à caractère ambivalent, présentant une
création originale »2
certaine finesse tout en cherchant à rappeler les godillots
« Pour des bottes mexicaines, les modifications apportées de l’après-guerre lui confère une physionomie propre et
à la partie haute du modèle de la société Fox pour parvenir nouvelle » 7
au modèle Iroquois, n’étant pas de nature à conférer à ce
« Un modèle de chaussure, régulièrement déposé, est pro-
dernier une impression lui permettant de se démarquer de
tégeable dès lors que les antériorités opposées n’évoquent
ce modèle dont il reproduit, dans une même combinaison
même pas de loi le style de la chaussure dont la protection
les éléments caractéristiques : force est de constater qu’il
est revendiquée »8
s’agit d’un seul et même modèle »3
« Compte tenu de la marge très réduite de liberté dont dis-
Plusieurs décisions ont néanmoins admis la pro- pose le créateur en matière de chaussures enfantines, l’im-
tection des modèles de chaussures au titre du droit pression visuelle suscitée par ce modèle chez l’observateur
d’auteur : averti diffère de celle produit par le modèle (concurrent)
tant en raison de la forme générale des deux chaussures
« Est protégeable par le droit d’auteur un modèle de san- en présence que des finitions qui confèrent à ce dernier
dale caractérisé par l’entrecroisement des brides, la largeur un caractère propre (:) les différences dans la forme de
différente de celle-ci, le pont en Y renversé soutenant la la chaussure et des découpes ne peuvent constituer des
bride arrière, la combinaison de ces éléments donnant au détails insignifiants »9
modèle l’originalité et la nouveauté exigées par la loi, dès
lors qu’il n’est pas prouvé qu’un modèle antérieur réunis- À noter que « le fait de s’inscrire dans une tendance
sait les mêmes caractéristiques »4 de la mode révélée par le Cahier de la Fédération
« Est protégeable un modèle de chaussure à bout carré nationale de l’industrie de la chaussure en France ne
connu mais taillé en biseau, et qui offre, tant du fait de fait pas obstacle à ce que l’esprit créatif des stylistes
sa coupe que de l’heureuse disposition de son bandeau puisse s’exercer »10 . Dans le même sens :
couvre-pieds bordé par deux baguettes, une physionomie « Un modèle de chaussures, tout en participant à la ligne
originale qui ne se retrouve identique dans aucune anté- de la mode par des caractéristiques générales, peut cepen-
riorité »5 dant présenter un caractère de nouveauté par le seul fait
« Si les modèles reprennent des éléments connus dans d’une conception plus harmonieuse, obtenue la plupart
le domaine de la chaussure de sport, qu’il s’agisse du du temps au prix d’une organisation technique entraînant
tennis, du basket ou de la boxe, ils doivent être appréciés des frais considérables »11 .
dans la combinaison adoptée, (...) à savoir une semelle Dans un arrêt en date du 18 novembre 2009, la
formée de bulles lui conférant une forme incurvée et
cour d’appel de Paris a confirmé un jugement du
l’agencement particulier des empiècements composant la
tribunal de commerce qui avait jugé que le modèle
tige, qui confère à l’ensemble un aspect esthétique qui
de ballerine Bolchoi de la société Repetto, reproduit
ci-dessous était original :

1. CA Paris, 4e ch., 27 sept. 1993, R. Clergerie c/La Chaus-


seria, D. 1994, somm. 77, obs. M.-L. Isorche.
2. CA Limoges, 11 juill. 1963, Jourdan c/Faure, Gaz. Pal. Alors que la défenderesse invoquait de nombreuses
tables 1961-1965, PI no 442, cité aussi par F. Greffe, "La antériorités, selon la Cour, « force est de constater
mode", J.-CL. DESSINS ET MODÈLES, fasc. 3250, no 17.
3. CA Paris, 4e ch., 18 sept. 1996, Europe Style c/New Age,
PIBD 1996, III, 622 – DANS LE MÊME SENS, pour un modèle 6. CA Paris, 4e ch., 13 févr. 2003, Calypso c/Coflusa et
qui se distingue trop légèrement des antériorités, CA Paris, Cellini, RDPI 2004, no 155, p. 41.
4e ch., 26 avr. 1955, AABR c/Producteurs Associés, Ann. 7. CA Paris, 4e ch., 30 avr. 1997, Rautureau c/Sacaire, Gaz.
1956, 196 ; pour un modèle antériorisé par un modèle Pal. 8 janv. 1998, p. 22 – CA Paris, 4e ch., 20 sept. 1995,
antérieur qui en reprend les mêmes caractéristiques, Arche c/Myris, PIBD 1996, III, 24, qui souligne l’absence
Com. 27 mai 1997, no 95-13.827, Palladium c/Dresco, d’antériorité de toutes pièces.
Bull. civ. I, no 154 ; PIBD 1997, III, 475 – CA Paris, 4e ch., 8. CA Aix-en-Provence, 6 avr. 1995, Eti c/West Fargo, Ann.
8 avr. 1998, Palladium c/Oz, PIBD 1998, III, 419. 1996, 112
4. CA Paris, 4e ch., 28 juin 1955, Sartorio c/Huard, Ann. 9. CA Paris, 4e ch., 11 mars 2003, CEC c/Mod’8, inéd.
1956, 194. 10.CA Paris, 4e ch., 28 mars 2001, Shoe Bizz c/stés Stéphane
5. CA Paris, 4e ch., 23 déc. 1954, Chirol c/Clerget, Ann. Kelian et Mosquitos, RDPI 2001, no 127, p. 13.
1955, 182. 11.CA Lyon, 23 déc. 1954, D. 1955, 177, note P. Greffe.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.71 879

que si certains éléments qui composent le modèle à dessins et un enrobage en caoutchouc tout autour de la
de ballerine en cause sont effectivement connus et semelle »3
que pris séparément, ils appartiennent au fonds com-
Dans le même sens, il n’y a pas contrefaçon entre
mun de l’univers de la chaussure, en revanche, leur
deux modèles de chaussures qui « comportent les
combinaison telle que revendiquée, dès lors que l’ap-
caractéristiques communes appartenant au domaine
préciation de la cour doit s’effectuer de manière glo-
public » provenant « d’une communauté d’origine
bale, en fonction de l’aspect d’ensemble produit par
dans le style » ou « d’une inspiration commune rele-
l’agencement des différents éléments et non par l’exa-
vant des tendances de la mode »4 . Toutefois, un arrêt
men de chacun d’eux pris individuellement, confère
antérieur rappelle que dès lors qu’une « combinai-
à ce modèle une physionomie propre qui le distingue
son d’éléments dans des proportions précises confère
des autres modèles du même genre et qui traduit un
à l’ensemble un aspect esthétique qui, indépendam-
parti pris esthétique empreint de la personnalité de
ment de son mérite, est particulier [...], peu import(e)
son auteur. Par voie de conséquence, ce modèle est
que ce modèle s’inscrive dans les tendances de la
digne d’accéder à la protection du droit d’auteur »1 .
mode révélées par le cahier de la Fédération natio-
Cependant quand on analyse les caractéristiques du
nale de l’industrie de la chaussure en France, les dites
modèle Bolchoi et celles des antériorités, il semble
tendances ne faisant nullement obstacle à ce que l’es-
que seules « les trois pliures partant de chaque côté
prit créatif des stylistes puisse, comme en l’espèce,
sur le devant de la chaussure » étaient en quelque
s’exercer »5 .
sorte « nouvelles ». La question qui se posait à la cour
n’était donc pas de savoir si ladite ballerine consti- Enfin, la contrefaçon n’est pas réalisée lorsque la
tuait une combinaison nouvelle d’éléments connus, combinaison commune aux deux modèles de chaus-
mais de savoir si la réalisation de ces pliures consti- sures « présente un caractère fonctionnel et n’est
tuait une création au sens de la loi, puisque celle-ci pas susceptible de recevoir une protection, dans la
ne protège pas l’originalité résultant d’une combinai- mesure où les éléments fonctionnels ne sont pas
son, mais bel et bien la création pour ne pas dire indissociables de la forme et du résultat utilitaire
l’effort créatif. La question méritait d’autant plus recherché, sans conférer au modèle une quelconque
d’être posé que la Cour a condamné la défenderesse originalité »6 . En revanche, la contrefaçon est réali-
à 250 000 euros de dommages et intérêts pour avoir sée par « la copie quasi servile, présentant la même
vendu 3 352 paires de ballerines contrefaisantes, ainsi impression d’ensemble que le modèle protégé, dont
d’ailleurs qu’à d’importantes mesures de publications elle reproduit dans un même assemblage les caracté-
judiciaires. ristiques, ledit assemblage n’étant pas dicté par des
nécessités techniques »7 .
210.71 Analyse de la contrefaçon en matière de
Il a été jugé que ne sont pas des différences suscep-
chaussures. « Si la contrefaçon s’apprécie par les res-
tibles d’affecter l’impression d’ensemble identique
semblances et non les différences, il demeure qu’elle
qui se dégage de deux modèles de chaussures « la
ne peut être retenue lorsque les seules ressemblances
semelle cousue et non collée, le système de fermeture,
existant entre deux modèles de chaussures relèvent
la localisation de la marque et la matière de la tige »8
de la reprise d’un genre et non de la reproduction des
traits spécifiques du modèle opposé »2 . Il a ainsi été Il convient de souligner que la reproduction d’un
jugé que : modèle de chaussure dans un catalogue de vêtements
féminins où le modèle apparaît au premier plan ne
« Pour que le modèle de chaussures incriminé soit jugé peut être considérée comme étant accessoire ou secon-
contrefaisant du modèle revendiqué, il est nécessaire qu’il daire et constitue un acte de contrefaçon, même si
reproduise l’ensemble des caractéristiques de ce modèle le modèle est authentique et n’est pas commercialisé
dès lors que c’est cette combinaison spécifique qui est
dans le catalogue. Cette « utilisation illicite a pour
protégeable. L’originalité du modèle résidant dans l’inter-
prétation personnelle que l’intimée a donnée au moyen
de fermeture de la chaussure, à l’emplacement des surpi-
3. CA Paris, 4e ch., 26 févr. 1997, Sab Socks et Benetton
qûres, aux dessins de la semelle, elle ne peut sous peine
c/Bata et Ponvert, PIBD 1997, III, 313 ; Ann. 1998, 99,
de revendiquer la protection d’un genre, étendre le droit
Gaz. Pal. 15/17 juin 1997, p. 15 – Égalt , pour des chaus-
privatif qu’elle tient de son modèle à toute chaussure de sures « bateau », CA Paris, 4e ch., 13 sept. 2002, Arlito
montagne adaptée pour la ville comportant une semelle c/Technisynthèse, RDPI 2002, no 140, p. 40.
4. CA Paris, 4e ch., 14 févr. 2003, Arche c/Hirica, RDPI 2004,
no 160, p. 29.
5. CA Paris, 4e ch., 28 mars 2001, Shoe Bizz c/stés Stéphane
Kelian et Mosquitos, RDPI 2001, no 127, p. 13.
6. CA Paris, 4e ch., 14 févr. 2003, Arche c/Hirica, préc.
1. CA Paris, 18 nov. 2009, Pôle 5 ch. 1, Trois Suisses 7. CA Paris, 4e ch., 20 sept. 1995, Arche c/Myris, PIBD 1996,
c/Repetto, accessible sur www.inpi.fr. III, 24.
2. CA Paris, 4e ch., 30 avr. 1997, Rautureau c/Sacaire, Gaz. 8. CA Paris, 4e ch., 19 nov. 2004, Falc Spa c/Rautureau et
Pal. 8 janv. 1998, p. 22. aut., Ann. 2003, 526.

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880 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

effet de banaliser le modèle et l’absence de mention par définition sous la chaussure, donc peu ou prou
du nom du créateur est de nature à induire le public exposées aux regards, peuvent bénéficier de la protec-
en erreur sur son origine »1 tion du droit d’auteur et/ou du droit des dessins et
210.72 Évaluation du préjudice. En 1996-1998, modèles alors que dans un cas comme dans l’autre
5 % des litiges en matière de contrefaçons et d’imi- la loi ne protège que les formes "apparentes". Mais
tations illicites de produits soumis au tribunal de il peut néanmoins être jugé que des semelles bénéfi-
commerce de Paris concernaient des chaussures2 . cient de la protection du droit d’auteur et/ou du droit
La moyenne des condamnations prononcées par ce des dessins et modèles8 .
tribunal à l’encontre des contrefacteurs était, en Exemple d’un modèle de semelle déposé le
matière de chaussures, de l’ordre de 335 500 francs3 , 16 novembre 1999 à l’Inpi (no 997221-019) par les
soit environ 50 000 euros. Aussi, en la matière les tri- Ets Marquet & Cie :
bunaux allouent souvent à la victime une redevance
indemnitaire de 4 à 5 % du chiffre d’affaires réalisé
par la vente des produits contrefaisants, redevance
qui dans un cas précis a néanmoins atteint près de
400 000 euros4 . La cour d’appel de Paris a toutefois
jugé qu’il convient de tenir compte de « l’origina-
lité modeste du modèle invoqué [...] et du pouvoir Les semelles peuvent également être déposées à
attractif spécifique de la marque » du contrefacteur, l’Ohmi et tant que dessins et modèles communau-
pour retenir, en l’espèce, que les ventes manquées taires. Exemples, les modèles no 000318423-0007 et
correspondent à la moitié de celles réalisées par le 0006 déposés le 30 mars 2005 par la société Tod’s :
contrefacteur5 . Le préjudice est alors évalué pour la
première moitié de la masse contrefaisante corres-
pondant aux ventes manquées au nombre de pièces
multiplié par la marge brute de la société lésée (soit
environ 100 000 euros), et pour la seconde moitié
à une redevance indemnitaire de 5 % (soit environ
10 000 euros).
210.73 Semelles. Les semelles dont la structure ou
la forme présente un caractère inventif font souvent
l’objet d’un brevet6 . Leur forme "fonctionnelle" est
alors exclue de la protection au titre du droit d’au- Se pose alors la question complexe de l’évaluation
teur et/ou du droit des dessins et modèles7 . Se pose du préjudice résultant de la contrefaçon, dès semelles
ensuite la question de savoir si des semelles, qui sont lorsqu’à l’évidence cet élément est rarement détermi-
nant dans l’achat des chaussures par les consomma-
1. CA Paris, 4e ch., 21 mars 2001, Guy Laroche c/Christian teurs.
Louboutin, Ann. 2001, 265. On voit également apparaître des tentatives pour
2. Étude de M. Toporkoff, Président de la 15e chambre du protéger certains modèles de semelles par le droit des
Tribunal de commerce de Paris, publiée dans Les Échos marques9 . Pour mémoire ne sont pas distinctives au
du 14 mars 1998.
sens du droit des marques et ne peuvent donc consti-
3. Quelques exemples de condamnations : T. com. Paris,
12e ch., 22 avr. 1997, Ponvert c/Kairvian, inéd., envi- tuer des marques valides, les formes nécessaires à
ron 50 000 euros de DI, 3 000 euros art. 700 C. pr. civ., l’obtention d’un résultat technique, celles imposées
3 000 euros de publication judiciaire, interdiction sous par la nature même du produit, ainsi que celles qui
astreinte de 300 euros – T. com. Paris, 18e ch., 4 févr. confèrent au produit une valeur substantielle (L. 711-
1998, Ponvert c/CIC, inéd., environ 15 000 euros de DI, 2[c]). Encore une fois les magistrats devront se mon-
5 000 euros art. 700 C. pr. civ., 15 000 euros de publica-
trer extrêmement vigilants afin de ne pas valider, par
tion judiciaire, interdiction sous astreinte de 1 500 euros.
4. Ainsi, CA Paris, 4e ch., 13 juin 1991, Technisynthèse le droit des marques qui n’est qu’un droit d’occupa-
c/André, Ann. 1991, qui alloue une redevance indem- tion, des monopoles indus de nature anticoncurren-
nitaire de 4 % – Dans une autre affaire, CA Paris, 4e ch.,
21 févr. 1991, Technisynthèse c/Noël Frame, Ann. 1992,
331, alloue une redevance indemnitaire de 5 %. 8. DANS LE MÊME SENS pour « un modèle caractérisé par le
5. CA Paris, 4e ch., 21 déc. 2001, Rautureau Apple Shoes fait que la semelle du type cuvette se termine à la partie
c/Naf Naf Chaussures. supérieure par un bourrelet coupé d’encoches triangu-
6. Parmi les brevets, on peut citer celui de la semelle-sandale laires séparées par une gorge à fond plat d’une ligne
Pescura de Scholl, brevetée le 28 mars 1960 (A.-M. Quille- de plots pyramidaux » (TGI Paris, 3e ch., 21 févr. 1991,
riet, « Le retour des claquettes », Le Monde 13 juin 1998). Technisynthèse c/Carrefour, PIBD 1991, III, 555).
7. CA Paris, 4e ch., 9 mai 1990, Technisynthèse c/André, 9. TGI Nancy 2e ch., 2 avr. 1998, Doc Martens c/Pakita
RDPI 1990, no 33, p. 29 Barnes, PIBD 1998, III, 345.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.76 881

tielle. Dans ce sens, la Cour d’Appel de Paris a jugé, « une ceinture qui comprend quatre bandes de cuir dont
pour un modèle de semelles déposées par la société les deux extrêmes peuvent s’attacher au moyen d’une
Palladium à titre de marque, que : boucle et qui sont séparées à trois reprises par des éléments
décoratifs constitués de deux colonnes de quatre os longs
«Considérant que la marque déposée pour désigner des superposés, associés à des boules de métal argenté et réunie
chaussures et semelles de chaussures se présente comme par des perles de couleurs bleue, des anneaux métalliques
une semelle vue du dessous avec ses crantages et ses trous et des pièces de cuir disposées verticalement »4 .
d’aération. Qu’aucun logo, aucune dénomination n’y sont
adjointe. Que ce signe, en ce qu’il est exclusivement consti- La reproduction et l’assemblage d’éléments décora-
tué par une forme imposée par la nature des produits tifs protégés par un droit d’auteur, comme des cœurs,
visés au dépôt, montrant par le nombre et la forme des croix, soleils, pour la réalisation d’une ceinture consti-
cannelures représentées qu’il s’agit d’une semelle à carac- tue également des actes de contrefaçon et de concur-
tère antidérapant, ne présente aucun caractère distinctif rence déloyale5 .
pour désigner des semelles ou des chaussures lesquelles
Mais, ne constitue pas une création protégeable au
par essence comportent une semelle. Que la société Palla-
dium, qui a au demeurant déposé la même semelle à titre
titre du droit d’auteur et/ou du droit des dessins et
de modèle, ne saurait par le biais du droit des marques cher- modèles une ceinture réalisée à partir d’un corset à
cher à se constituer un droit susceptible d’être conservé ruban, déjà connu, seulement diminué de longueur
indéfiniment sur une forme imposée par la nature du pro- par le haut6 . Comme pour les autres créations il ne
duit »1 peut y avoir contrefaçon dès lors que les éléments
reproduits sont des éléments communs à toutes les
ceintures ou bretelles7 .
§ 14
Ceintures, boucles de ceinturons et Les ceintures étant des accessoires de mode ven-
dus souvent en quantités importantes, les dommages-
bretelles intérêts alloués en matière de contrefaçon par les tri-
210.74 Enregistrements au titre des dessins et bunaux peuvent s’avérer souvent assez importants8 .
modèles à l’Inpi. Une recherche effectuée sur dans la 210.75 Interférence du droit des marques. Le prin-
base des données de l’Inpi le 15 septembre 2009, via cipal problème que l’on rencontre en matière de
le site www.inpi.fr permettait de constater que le mot- ceintures tient aux boucles qui sont dans la plupart
clef « ceinture » produisait 2 501 résultats. Exemple des formes et des variations déposées soit à titre de
d’un modèle de ceinture déposé le 8 juin 2001 à l’Inpi marques, soit à titre de dessins et modèles. Ainsi,
(no 014707-023) par la Ste La Chemise Lacoste : toutes les lettres de l’alphabet (A, B, C, D, etc.) ont
été déposées à titre de marques par les grands coutu-
riers français, ce qui interdit de commercialiser des
boucles de ceintures reproduisant une quelconque
lettre de l’alphabet, sauf s’il s’agit d’une ceinture de
marque...

§ 15
Plusieurs décisions ont admis que les ceintures et Chapeaux, foulards et cravates
les boucles de ceinturons2 pouvaient bénéficier de
la protection du droit d’auteur et/ou du droit des 210.76 Historique. Compte tenu de leur symbo-
dessins et modèles3 . Ainsi, est protégeable : lisme religieux et sociologique, pour ne pas dire eth-
nologique, les chapeaux et foulards peuvent difficile-

1. CA Paris, 4e ch., 8 avr. 1998, Palladium c/Oz, PIBD 1998,


III, 419.
2. Pour un modèle de boucle de ceinture constitué de trois 4. CA Paris, 4e ch., 22 nov. 1988, Bellay c/Parlux, PIBD 1989,
têtes d’ours, CA Douai, 24 nov. 1997, Hisako c/Métal III, 243.
Form, RDPI 1998, no 84, p. 44. On trouvera de nom- 5. CA Paris, 4e ch., 22 mai 1996, Anne Ghez et Candice
breuses antériorités de ceintures et de ceinturons dans Fraiberger c/Lacroix
Hamley & Co., 1942 Cowboy clothing and gear cata- 6. T. corr. Paris, 25 avr. 1895, Monin c/Lanclair, Ann. 1895,
logue, Dover 1995, p. 159. 152.
3. Pour une contrefaçon de ceinture Chanel, T. com. Paris, 7. DANS LE MÊME SENS pour des "bretelles", CA Rouen, 5 janv.
20 nov. 1995, Chanel c/Bart, PIBD 1996, III, 107 ; pour 1995, PIBD 1995, III, 198.
un système de fermeture de ceinture, séparable d’une 8. Ainsi on note : environ 80 000 euros de DI, et
invention brevetée, protégée au titre du droit d’auteur 12 000 euros d’article 700 C. pr. civ. (CA Paris, 4e ch.,
et du droit des dessins et modèles, T. Marseille, 18 juill. 22 nov. 1988, Bellay c/Parlux, PIBD 1989, III, 243) ;
1929, confirmé par CA Aix-en-Provence, 18 mars 1931, 80 000 euros de DI (CA Paris, 4e ch., 22 mai 1996, Anne
Lambert c/Gavelle, Ann. 1931, 304. Ghez et Candice Fraiberger c/Lacroix).

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882 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

ment être qualifiés de simples accessoires de mode1 . Mercié, Philippe Model, Jacques Pinturier...) dont
Mais, la mode n’est plus aux chapeaux... "Dans les les modèles originaux, pour ne pas dire extravagants,
années cinquante, la plupart des hommes et des bénéficient assurément de la protection du droit d’au-
femmes des classes moyennes portaient un chapeau teur et/ou du droit des dessins et modèles4 . Ainsi, il
presque tous les jours, car on considérait qu’un cha- a été jugé :
peau bien choisi marquait la différence entre s’ha-
« Qu’on ne peut nier, que des chapeaux [que les modistes]
biller et bien s’habiller. Au début des années soixante,
éditent, procèdent de la science des formes, des volumes,
cependant, les chapeaux commencèrent à passer de des lignes des valeurs, des couleurs, des reliefs qui sont à
mode... Vers 1964, l’auteur d’un livre sur les règles la base de la peinture et de la sculpture, lorsque grâce à
de l’élégance écrivit : “Il faut dire bravo aux hommes l’ingénieuse combinaison d’étoffes, de pailles, de plumes,
qui portent encore un chapeau”. Les femmes com- de fourrures, même choisies avec discernement, leurs
mencèrent à leur tour à délaisser cet accessoire, en ouvrières matérialisent les dessins par elles conçus qui
partie à cause de la mode des coiffures gonflantes."2 prennent forme et vie au fur et à mesure que leurs doigts
habiles obéissent à leur pensée, modifient les aspects et les
210.77 Enregistrements au titre des dessins et
contours successivement imaginés, pour faire apparaître
modèles à l’Inpi. Une recherche effectuée dans la
enfin sous son aspect définitif une œuvre encore jamais
base des données de l’Inpi le 22 mars 2010, via le réalisée, véritable création et production de l’esprit »5 .
site www.inpi.fr avec le mot-clef « cravate » produi-
sait 1 715 résultats. La classe 0205 celle des cravates, Mais, comme le port des chapeaux est un peu passé
foulards, écharpes et mouchoirs comprenait 2 734 de mode, la jurisprudence qui les concerne est à la fois
enregistrements. rare et ancienne. Comme pour les autres créations,
l’idée ou le genre d’un chapeau ne peut néanmoins
210.78 Principe. Pour être protégés par le droit d’au-
bénéficier de la protection du droit d’auteur et/ou du
teur et/ou le droit des dessins et modèles, les cha-
droit des dessins et modèles. Ainsi, n’est pas proté-
peaux doivent impérativement constituer une "créa-
geable l’idée de donner à un chapeau la forme de la
tion", ce qui n’est pas le cas d’un chapeau réalisé
Tour Eiffel6 .
à partir d’éléments du domaine public qui ne pré-
sente pas de configuration particulière le distinguant Les foulards bénéficient quant à eux de la même
des autres modèles3 . À Paris il existe encore quelques protection que les tissus. Ainsi, est protégeable au titre
grands créateurs et créatrices de chapeaux (Jean Bar- du droit d’auteur « le modèle d’un foulard compor-
thet, Jean-Charles Brosseau, Gabrielle Cadet, Marie tant autour d’un motif central constitué par une vue
de La Mecque divers symboles inspirés du Coran »7 .

1. Sur les chapeaux : E. Bolomier, Le chapeau grand art et


savoir-faire, éd. Somoy Paris 1996, p. 159 – C. McDowell,
Le Chapeau et la Mode – Fascination, Charme, Rang et
Style – Des origines à nos jours, éd. Celiv Paris 1994 –
Musée du Chapeau, 16 rue St Galmier, 42140 Chazelles-
sur-Lyon ; Tél. 04 77 94 23 29 ; fax. 04 77 54 27 75.
2. V. Steele, Se vêtir au XXe siècle – De 1945 à nos jours,
éd. Adam Biro 1998, p. 46 – Sur l’histoire des chapeaux : 4. DANS LE MÊME SENS T. com. Paris, 12 juin 1857, à propos
M. Toussaint-Samat, Histoire technique et morale du vête- d’un chapeau de paille tressé avec du velours (jugement
ment, éd. Bordas 1990, p. 422. cité in T. corr. Seine, 16 mars 1860, Erhardt c/Durst-Will,
3. « Les demandeurs, qui ne contestent pas que leur modèle Ann. 1860, 425, qui refuse la protection au motif que
est composé d’éléments déjà utilisés dans le passé, notam- la protection de la loi sur les dessins et modèles ne peut
ment la forme "cloche", invoquent cependant l’existence s’appliquer à des formes nouvelles de chapeaux).
d’une combinaison nouvelle d’éléments connus tenant au 5. CA Paris, 18 juill. 1934, Gaz. Pal. 1934, 2, 295, concl. av.
matériau utilisé (le coton), à la réalisation (un tricot cro- gen. Guyenot cité par F. Greffe, La mode, J.-CL. DESSINS ET
cheté à maillage serré), à la forme et aux dimensions qui os
MODÈLES, fasc. 3250, n 8 et 12.
feraient dudit modèle un compromis entre le chapeau 6. DANS LE MÊME SENS pour une décision américaine concer-
cloche et le bob. Si aucune des antériorités ne reproduit nant un chapeau reprenant la forme de la statue de la
intégralement, c’est-à-dire "de toutes pièces", la combi- Liberté, mais le principe est transposable en droit français
naison revendiquée, il convient de rappeler qu’il ne suffit (Past Pluto Productions V. Dana, DC SD NY 1986, 1986
pas pour qu’un modèle soit nouveau au regard de la Copyright Law Décisions § 25,893 ; 627 F.Supp. 1435)
loi que sa forme n’ait pas été préalablement divulguée. 7. CA Paris, 4e ch., 11 mai 1987, Mamou c/Micosancho,
Il lui faut en outre constituer une création c’est-à-dire Ann. 1988, 311 ; pour un "carré de soie", CA Lyon, 3 déc.
présenter un caractère original, décoratif ou ornemen- 1955, Gaz. Pal. 1955, 1, 155 cité par F. Greffe, Contre-
tal, témoignant de l’effort personnel ou de l’interpréta- façon : définition et caractères généraux, J.-CL. DESSINS ET
o
tion individuelle de son auteur. Or, les éléments issus du MODÈLES, fasc. 3410, n 113 ; pour « un modèle de dispo-
domaine public tels que groupés et assemblés en l’espèce sitif pour maintien et ornement de la coiffure, notamment
ne présentent pas une configuration particulière qui dis- pour une queue-de-cheval consistant en une spirale de
tinguerait le modèle invoqué des autres modèles pouvant forme tronconique constituée par un fil métallique épais
appartenir au même style » (CA Paris, 4e ch., 11 sept. dont l’enroulement dessine des anneaux » (CA Paris, 4e
1996, Antik Batik c/Monoprix, RDPI 1996, no 69, p. 22). ch., 29 oct. 1990, Asrop c/van Hulle, Ann. 1991, 159).

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.81 883

§ 16 concerne les articles de maroquinerie et en particulier les


Sacs sacs féminins destinés à contenir et transporter des objets
personnels dont une personne désire pouvoir disposer ».
210.79 Historique. Parmi les ancêtres des sacs à
main, on cite généralement les bourses et les aumô-
nières du Moyen-Âge, proches des choukharas arabes
et berbères. Il fallut néanmoins attendre l’époque
du Directoire pour que cet accessoire devienne l’apa-
nage de la gente féminine. La première moitié du
XIXe siècle voit fleurir la mode des sacs gibecières
et étoffe brodée. À partir de 1870, les femmes com-
mencent à porter des sacs en cuir durant la journée,
réservant leurs sacs plus précieux pour le soir. Le
sac de voyage voit également le jour à cette époque.
Ainsi, dès 1892 la maison "Hermès Père et Fils asso-
ciés" propose un "sac haut à courroie", l’ancêtre du
fameux Kelly1 . Louis Vuitton, à l’origine malletier, se
lance dès 1901 dans la fabrication de sacs de voyage.
L’entre-deux-guerres consacra la "pochette".
Il existe aujourd’hui deux marchés bien distincts À condition d’être distinctive, la forme des sacs
en matière de sacs. D’une part celui des sacs de "luxe" peut être déposée et enregistrée au titre des marques
produits par des maisons de Haute Couture, dont la françaises ou communautaires. Nous avons déjà
marque est aussi importante que le modèle lui-même, mentionné certains problèmes posés par ce type de
et d’autre part, des sacs plus "grand public", fabriqués marque, à propos du sac Kelly d’Hermès, accepté à
à des centaines de milliers, voire même à des millions titre de marque tridimensionnelle communautaire
d’exemplaires dans des matières moins nobles que par l’Ohmi, alors qu’il semble que ce dépôt n’ait été
le cuir. Les litiges soulèvent des problèmes différents effectué que pour étendre la protection au titre du
dans l’un et l’autre cas. droit d’auteur dont bénéficiait ce modèle, qui aurait
dû, semble-t-il déjà tomber dans le domaine public,
210.80 Protection des sacs par le droit des
et du sac Pliage de Longchamp, dont le dépôt à titre de
brevets. Les caractéristiques techniques de certains
marque communautaire a été refusé par l’Ohmi pour
sacs, comme par exemple, leur caractère transfor-
absence de caractère distinctif, la société Cassegrain
mable, sont des fonctions techniques, qui relèvent du
ayant été débouté de son recours de cette décision
domaine des inventions et qui ne peuvent être proté-
devant le TPICE3 .
gées que par un brevet2 . À titre d’exemple, on citera
le brevet FR 2906113, portant sur « un sac à main 210.81 Un cas topique : le sac Pliage de
ou à bandoulière à montage sans couture », déposé par Longchamp. Le sac Pliage commercialisé par la
Nouria Nehari le 25 août 2006, dont l’abrégé est société Longchamp, qui est à l’origine de plusieurs
rédigé comme suit : dizaines de décisions, est un cas d’école particulière-
ment intéressant.
« une invention qui a pour objet un sac à main ou à
bandoulière à montage sans couture. Il est constitué de En premier lieu, parce ce que le principe même
trois pièces planes en matière souple, une pièce avant (4), du pliage qui caractérise ce sac ne fait que mettre en
une pièce arrière (5) avec rabat de fermeture (6) du sac œuvre un principe breveté en 1925 – pour ne pas
et une bande frontale (7) destinée à maintenir ledit rabat dire même en 1922 – aux États-Unis, et qui est dans
de fermeture, ces pièces étant assemblées par une lanière le domaine public depuis près de 70 ans comme on
(3) se prolongeant en anse ou en bandoulière et enfilée le constatera en comparant la photo de ce sac plié,
alternativement dans des fentes pratiquées sur des rabats ci-dessous à gauche, avec le modèle décrit dans le
latéraux et inférieurs prévus sur les pièces avant et arrière, brevet US déposé par M. Lederer en 19254 , ci-dessous
les rabats de la pièce avant étant agencés pour recouvrir à droite :
ceux de la pièce arrière de manière à former les côtés
et le fond du sac, la bande frontale (7) étant pourvue
d’ouvertures à chaque extrémité permettant le passage 3. TPICE 21 oct. 2008, no T-73/06, Cassegrain c/Ohmi acces-
de la lanière (3) pour assurer sa fixation. L’invention sible sur le site http://curia.europa.eu.
4. Brevet US 1553697 en date du 15 septembre 1925. Étant
précisé que le principe du sac « pliage », comportant
1. G. Picot, Le sac à main – Histoire amusée et passionnée, également un rabat avec un bouton-pression destiné à
éd. Du May 1993, p. 159. maintenir le sac dans sa position pliée a été divulgué dans
2. La section A45C et A45F de la classification internationale le brevet US Simms n◦ 1,606,107 du 1er octobre 1922
des brevets vise les sacs à volume variable et les sacs (un extrait de ce brevet étant reproduit dans le chapitre
transformables. consacré à la coexistence brevet/droit d’auteur).

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884 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

dans le but de renforcer celle-ci, ainsi que ses poi-


gnées rondes, car les modèles divulgués antérieure-
ment comportaient, semble-t-il des poignées plates.
Étant précisé qu’il existe de nombreuses autres anté-
riorités qui « divulguent » des sacs cabas ayant une
ou plusieurs caractéristiques reprises par le modèle
Pliage créé par M. Philippe Cassegrain4 .
Toutes les antériorités précitées, sont, c’est impor-
tant de le noter des brevets, car ils portaient presque
tous sur des systèmes de pliage. La combinaison de ces
Modèle Pliage Brevet Lederer 1925
brevets appréciée sous l’angle du droit des brevets, au
Le brevet de M. Lederer étant dans le domaine regard de l’activité inventive, permet d’affirmer que le
public, la société Longchamp ne saurait se réappro- modèle Pliage Longchamp ne présente aucune activité
prier à quelque titre que ce soit les principes et les inventive. Par ailleurs l’OHMI, comme le TPICE ont
enseignements du brevet Lederer qui est à la libre également jugé que la forme du sac Pliage que M. Cas-
disposition de tous. Dans la mesure où le pliage du segrain a tenté de déposer au titre des marques com-
brevet Lederer est caractérisé par un rabat, compor- munautaires n’était pas « distinctive »5 et qu’il ne
tant un bouton-pression, destiné à maintenir le sac pouvait donc pas constituer une marque valide. Pour-
plié, les tribunaux français ne sauraient conférer un tant, cette absence de caractère d’activité inventive et
quelconque droit de propriété ou considérer comme cette absence de caractère distinctif qui caractérise le
une caractéristique protégeable le rabat comportant sac Pliage de Lonchamp n’interdisent pas à celui-ci de
un bouton pressoir qui caractérise le modèle Pliage bénéficier de la protection du droit d’auteur, une pro-
de la société Longchamp et qui est donc totalement tection qui va perdurer au moins 97 ans, puisque ce
fonctionnel. sac a été « créé » en 1993 par M. Cassegrain qui n’est
En ce qui concerne le modèle Pliage 1 de la société pas décédé à ce jour... Cherchez l’erreur....Car, mal-
Longchamp, créé par M. Philippe Cassegrain en mai gré toutes les antériorités, versées en justice cela fait
1993, et qui a fait l’objet le 27 mars 1995 d’un dépôt plus de quinze ans que tous les tribunaux de France
international au titre des dessins et modèles2 , mais jugent d’une manière constante que le sac Pliage est,
rarement revendiqué devant les tribunaux, il est égale- par la combinaison de ses caractéristiques, une créa-
ment intéressant de comparer sa forme avec celle du tion originale de Mr. Cassegrain et qu’il bénéficie à
sac décrit dans le brevet US déposé par M. Niedorff3 ce titre de la protection du droit d’auteur.
en 1936. En réalité, le sac Pliage de Cassegrain/Longchamp,
comme le sac cabas Chapelier, dont il sera question
à la section suivante, posent un véritable problème
aux regards des dispositions de l’article 6 de la Conv.
EDH, qui garantissent à « toute personne que sa cause
soit entendue équitablement... par un tribunal impar-
tial ». Comment cela peut-il être le cas dès lors que
messieurs Cassegrain et Chapelier disposent à eux-
deux de plusieurs centaines de décisions de justice
ou de transactions6 validant leurs modèles, dont des
Modèle Pliage Brevet Niedorff 1936
dizaines de jugements rendus il y a quelques années
par des magistrats de première instance qui sont
Si l’on combine les enseignements des brevets US actuellement présidents ou conseillers de diverses
Simms (1922) et Lederer (1925), notamment de leur
système de pliage caractérisé par un rabat comportant
un bouton-pression et de ses poignées, et la forme 4. Notamment les modèles de sac Chapelier, déposés à l’Inpi
le 9 avril 1988 sous le no 882562 et le 7 décembre 1994
du sac décrite dans le brevet Niedorff (1936), on sous le no 946684, ainsi que toute une autre série de
s’aperçoit que les seuls éléments qui distinguent le sacs déposés dans le cadre de brevets US, Rodgers (1935),
modèle Pliage de Longchamp, réside dans les deux lan- Gauditore (1959), Winkler (1974), etc.
guettes situées aux extrémités de sa fermeture éclair 5. Aff. T-73/06, 21 oct. 2008, Cassegrain c/OHMI, accessible
sur curia.
6. Car les décisions rendues et publiées ne sont que la partie
1. Le modèle de sac Pliage reproduit correspond à la immergée de l’iceberg. Car, comme on le constatera à la
demande de marque communautaire no 8357212 dépo- lecture de certaines décisions de désistement d’instance
sée le 22 mai 2009 en classes 3, 9 et 18 pour désigner publiées sur le site www.inpi.fr, dans la plupart des litiges
notamment des sacs, qui a finalement été retirée. les défendeurs préfèrent transiger, sachant qu’ils n’auront
2. Dépôt Ompi du 27 mars 1995 no DM/032527. jamais droit à un procès équitable devant les juridictions
3. Brevet US 2038952 en date du 28 avril 1936. françaises...

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.82 885

chambres d’appel, ainsi que conseillers à la Cour de combinaison de caractéristiques considérée comme
cassation. Pour ne pas avoir à se déjuger, tous ces étant l’œuvre originale de Mrs. Cassegrain. Force est
magistrats ne peuvent que déclarer non pertinentes de constater que la protection accordée à ce sac est
les nouvelles antériorités versées aux débats, antério- une protection qui dépasse celle de ses caractéristiques
rités qui n’avaient jamais été produites il y a quelques propres, à savoir celles résultant de la seule combinai-
années,1 alors qu’on ne disposait pas des bases de don- son des caractéristiques qui constitue son originalité,
nées existantes aujourd’hui. Dans ce contexte aucun pour s’étendre à toutes les caractéristiques antério-
justiciable ne peut disposer en France de procès équi- risées, prises dans des combinaisons différentes, ce
table dès lors que celui-ci porte sur la contrefaçon des qui n’est pas acceptable. Les brevets Simms et Lederer
modèles de sac de messieurs Cassegrain et Chapelier. étant dans le domaine public depuis plus de cinquante
Mais, ce qui est critiquable dans de nombreux ans, tout le monde peut s’en inspirer, et on ne saurait
litiges concernant le sac Pliage de Longchamp c’est sous quelque motif que ce soit conférer à la société
que dans la plupart des cas, les sacs jugés contre- Longchamp un droit privatif sur ces brevets tombés
faisants ne reproduisent même pas l’ensemble de ses dans le domaine public.
caractéristiques. Car, alors qu’il est constamment jugé 210.82 Un autre cas topique : le sac cabas
que l’originalité de ce sac n’est pas affectée par l’exis- Chapelier. L’autre modèle de sac qui fait régu-
tence de nombreuses antériorités, dans la mesure où lièrement l’objet de litiges devant les tribunaux est le
cette originalité résulte justement de la combinaison sac cabas de Chapelier, qui a fait l’objet d’un dépôt
de caractéristiques précises, combinaison qui ne se le 19 avril 1988 au titre des dessins et modèles (publ.
retrouve pas entièrement dans les antériorités citées n◦ 249038), qui correspond au modèle ci-dessous
(à savoir notamment des poignées rondes en lieu de reproduit :
poignées plates), on constate néanmoins que la plu-
part des sacs jugés contrefaisants2 ne reproduisent la

1. Il semble que certains brevets US, comme le brevet Lede-


rer, n’aient été invoqués à titre d’antériorités que depuis
quelques années (CA Paris, 4e ch. B., 30 mai 2008, Mas-
simo Dutti c/Cassegrain, qui écarte les enseignements du
brevet Lederer)
2. « Que les différences, tenant à un aspect imperceptible-
ment plus rigide, à la présence de renforts aux coins infé-
rieurs du fond rectangulaire, à l’absence de pression au Ce sac cabas, qui aurait en réalité été créé le
dos du sac permettant de le replier, à l’ajout de poches, 11 décembre 19863 , qui a fait l’objet de dizaines de
sont sans incidences sur la contrefaçon à défaut d’affec-
ter l’impression d’ensemble qui se dégage de l’examen
des sacs opposés » (CA Paris, 4e ch. A., 2 juill. 2003, c/Hexagona, accessible sur www.inpi.fr, qui écarte le grief
Cassegrain c/HPO Le Monde du Bagage, accessible sur de contrefaçon au motif que « les modèle argués de
www.inpi.fr) – « Les intimées font valoir que le sac incri- contrefaçon ne présentent pas la même physionomie
miné dans ses deux tailles, présente avec le modèle des esthétique d’ensemble que les modèles Longchamp, de
appelants des différences significatives, tenant à l’absence sorte que ne se trouve pas caractérisé un éventuel risque
de contraste des couleurs, à la forme, à la matière du de confusion dans l’esprit du consommateur moyen de la
rabat qui ne comporte pas de bouton-pression doré, à la catégorie des produits concernés, normalement informé
déclinaison du modèle en deux tailles, et en cinq coloris et raisonnablement averti » (un arrêt qui mélange allé-
uniques, à la taille de la poche intérieure... Mais consi- grement les principes du droit d’auteur et du droit des
dérant que des différences tiennent à la différence de marques, le risque de confusion étant un concept étran-
qualité des matières utilisées (cuir ou plastique) et des fini- ger au droit d’auteur...) – Enfin, on citera le TGI Paris, 3e
tions du rabat notamment dont la forme d’ensemble bien Ch. 2e Sect., 2 juill. 2010, Cassegrain et al. c/Any Diffu-
que différente est très proche de celle du sac des appe- sion (inédit), qui écarte la contrefaçon au motif que « le
lantes... » (CA Paris, 4e ch. B., 30 mai 2008, Cassegrain sac argué de contrefaçon présente une languette passant
c/Aldi, accessible sur www.inpi.fr) – « L’absence de reprise entre les poignées et coiffant la fermeture à glissière, ne
à l’identique de l’élément constitué par le bouton-pression reproduisant pas ainsi les éléments originaux du modèle
sur le rabat est sans influence dès lors que tous les autres revendiqué », mais retient néanmoins le parasitisme suite
éléments originaux et caractéristiques sont repris à l’iden- à la reprise « des dimensions et du système de ferme-
tique, de même que le simple ajout de pressions sur les ture du sac Longchamp » (un brevet US tombé depuis
languettes qui ne constituent pas une caractéristique du cinquante ans dans le domaine public !).
sac Pliage. Que se trouve inopérant l’argument tiré par la 3. En réalité il s’agit d’une date arbitraire retenue par la
société appelante de la fonction pliante du modèle de sac cour d’appel de Paris dans un arrêt du 17 juin 1993. Car
Pliage, dès lors que celle-ci n’est pas revendiquée par les M. Chapelier revendique une date antérieure, à savoir le
intimées comme constituant une caractéristique de leur 6 novembre 1985, établie grâce au livre du coupeur et à
sac Pliage » (CA Paris, 4e ch. A., 24 sept. 2008, Maro- une attestation de ce dernier (CA Paris, 4e ch., 2 févr.
quinerie LHC c/Longchamp, accessible sur www.inpi.fr) – 1996, Euro Shop c/H. Chapelier, accessible sur www.
CONTRA : CA Paris, 4e ch. A., 18 juin 2008, Longchamp inpi.fr). Dans ce contexte il serait utile que ce coupeur

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886 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

litiges, est caractérisé de la manière suivante : « (i) Il est également important de noter que le modèle
une forme tronco-pyramidale, (ii) un fond plat de de sac Pliage de Longchamp, comme celui du sac cabas
forme carrée ou rectangulaire, (iii) un côté supé- d’Hervé Chapelier revendiquent une forme « tronco-
rieur formant une 4e face arrondie aux extrémités, pyramidale ». Mais, cette forme résulte du fait que
caractérisé par deux bandes de tissus reliées par une pliés à plat leurs coins sont rentrés vers l’intérieur.
fermeture à glissière, (iv) un contraste de couleurs En ce qui concerne le sac Chapelier qui a une base
entre la base et les côtés, (v), des doubles surpiqûres rectangulaire ou carrée selon les modèles, une fois
apparentes et (vi) des anses plates ». Mais, même plein, adopte la forme de sa base qui est rectangulaire
si ces caractéristiques donnent à ce sac « une phy- ou carrée.
sionomie propre et facilement identifiable »1 il est
difficile de savoir laquelle, ou même quelle combi-
naison de celles-ci, dénote une « création » suscep-
tible d’exprimer la marque de la personnalité de son
auteur, à savoir M. Hervé Chapelier. Car à l’évidence
– quoi qu’en disent les tribunaux – toutes les caracté-
ristiques de ce sac sont fonctionnelles et ne semblent
pas traduire de préoccupation esthétique particulière.
Pourtant non seulement ce modèle est protégé depuis
près de vingt ans, tant au titre du droit des dessins
et modèles que du droit d’auteur, mais il bénéficie de Sac papier « à plat » Sac papier « coins rentrés »
surcroît d’une protection très large. Ont ainsi été jugé
210.83 Serrures de sacs déposées à titre de
contrefaisants des sacs cabas « ayant le même aspect
marques. Parmi les nombreuses “dérives” que l’on
général », et ce « même s’ils comportaient quelques
constate en matière de droit des marques appliqué
différences à savoir, une poche extérieure, un logo
aux sacs, on doit mentionner celui qui consiste à
McDonald, une couleur différente et une absence de
déposer à titre de marques en classe 18 pour désigner
surpiqûres extérieures »2 . A noter cependant un juge-
des sacs des fermoirs ou des cadenas, notamment
ment plus récent, qu’on ne peut qu’approuver en ce
par les sociétés Louis Vuitton et Hermès.
qu’il rejette le grief de contrefaçon au motif que « le
sac argué de contrefaçon « est rectangulaire et non En ce qui concerne Hermès, on citera la marque
tronco-pyramidale, de couleur différente et que ses française tridimensionnelle no 806207A déposée le
anses sont plus longues que le modèle déposé. »3 6 février 2003 dans les classes 6, 14, 18, 25 et 26
pour désigner notamment les sacs et les vêtements,
En ce qui concerne le sac cabas d’Hervé Chapelier,
et la marque française figurative no 3285135 déposée
la seule question qui se pose est de savoir si le fait
le 9 avril 2004 dans les classes 18 et 25 pour dési-
de prendre le modèle de cabas divulgué en 1936 par
gner notamment les sacs, articles de maroquinerie et
le brevet Niedorff et de lui rajouter de grosses anses
vêtements :
plates constitue une « création ».

En ce qui concerne Louis Vuitton, on citera les


marques françaises figuratives no 833274 du 13 août
2004 dans les classes 9, 14, 18 et 25 (étant précisé que
la même marque déposée en tant que marque commu-
nautaire n◦ 3693116 a été annulée par la 1re chambre
des recours de l’OHMI le 24 février 20104 ), la marque
s’explique sur son rôle exact dans la fabrication de ce communautaire 3729191 déposée le 25 mars 2004
sac... dans les classes 14, 18 et 25 et enfin la marque inter-
1. TGI Paris, 3e ch., 10 déc. 1997, H. Chapelier et al. c/Iber, nationale no 815200 déposée le 1er septembre 2003
accessible sur www.inpi.fr. dans les classes 14, 18 et 25, pour désigner notam-
2. TGI Paris, 3e ch. 3e sect., 14 nov. 2000, H. Chapelier
et al.c/Prisunic, accessible sur www.inpi.fr qui condamne
à un total d’environ 15 000 € au titre du droit moral,
22 500 € au titre de la contrefaçon et 25 000 € au titre
de la concurrence déloyale. 4. OHMI, 1re ch. des recours, 24 févr. 2010, aff.
3. TGI Paris, 3e ch. 3e sect., H. Chapelier et al c/L’Oréal, no R1590/2008-1, Friis Group International ApS c/Louis
accessible surwww.inpi.fr. Vuitton Malletier.

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“DroitAuteur” (Col. : GuideAction) — 2010/11/4 — 11:57 — page 887 — #911
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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.84 887

ment les sacs, articles de maroquinerie et les vête- Malheureusement, en ce qui concerne les dessins
ments : et modèles communautaires lorsqu’on interroge la
base de données de l’Ohmi sur la classe 0301, celle
des sacs, on apprend simplement que plus de 1 000
modèles y sont enregistrés, sans connaître néanmoins
le nombre exact. Exemple de modèle de sac pliable
déposé le 8 août 2003 à l’Ohmi au titre des dessins
et modèles communautaires no 000062518-0001 par
Mme D. Chemmama :

Indépendamment du fait que certaines de ces ser-


rures ou fermoirs sont utilisés couramment dans le
domaine des malles ou de la maroquinerie, et que les
consommateurs n’ont pas pour habitude de différen-
cier l’origine des sacs par référence à leurs fermoirs,
si l’on accepte de valider ces marques, des centaines
de serrures et de fermoirs seront déposés à ce titre ce
qui aura pour effet de paralyser le commerce dans ce
domaine. On doit également et surtout évoquer le modèle
Il ne faut pas non plus oublier que des fermoirs de sac déposé à la fois en tant que modèle commu-
peuvent être déposés et donc protégés en tant que nautaire le 6 septembre 2005 sous le no 395660-001,
modèles, tant français que communautaire. Ainsi, et en tant que modèle national no 04/45536 par la
dans un arrêt en date du 19 février 2010, la cour société Design Sportswears Gérard Darel, à savoir
d’appel de Paris1 a retenu la contrefaçon du fermoir le modèle suivant, dénommé Charlotte, dont nous
suivant déposé à titre de modèle communautaire par reproduisons également la photo :
la société Piquadro :

En effet, ce modèle a fait l’objet d’une douzaine


de litiges. Pourtant il se trouve que ledit modèle est
fortement « inspiré » du modèle Théda GM de la
collection 2003 de la société Louis Vuitton reproduit
Modèle communautaire n◦ 000122767-0001 ci-dessous, dont on a simplement retiré la sangle
210.84 Enregistrements des sacs dans la base de centrale comme le montre également le montage à
données de l’Inpi au titre des dessins et modèles. droit ci-dessous :
A condition d’avoir une forme nouvelle les modèles
de sacs peuvent également être déposés et protégés
au titre des dessins et modèles français ou commu-
nautaires. Une recherche effectuée dans la base des
données des dessins et modèles de l’Inpi le 22 mars
2010, via le site www.inpi.fr avec le mot-clef « sac »
permettait de constater que celle-ci produisait 8 757
résultats.

On peut légitimement se demander si peut être


1. CA Paris, Pôle 5 Ch., 2, 19 févr. 2010, Piquadro c/Duo considérée comme une « création », constituant
Lynx, accessible sur www.inpi.fr qui juge également que
ledit fermoir est protégeable au titre du droit d’auteur et
« une œuvre originale de l’esprit, digne de bénéfi-
qui condamne la société Duo Lynx à 15 000€ au titre de cier la protection du droit d’auteur », le simple fait
la contrefaçon et à 7 000 € au titre de la concurrence d’avoir retiré un élément d’un modèle antérieur,
déloyale. appartenant de surcroît à un tiers ? À cette question,

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“DroitAuteur” (Col. : GuideAction) — 2010/11/4 — 11:57 — page 888 — #912
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888 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

les tribunaux français semblent répondre par l’affir- sieurs arrêts, pris par les deux chambres du Pôle 5,
mative, puisque dans tous les litiges portant sur sac débouté cette société, soit pour des raisons procédu-
Charlotte ils ont considéré que celui-ci était « origi- rales ayant conduit à l’annulation des saisies2 , soit
nal ». On peut notamment citer dans ce sens l’arrêt en limitant très strictement le champ de la protec-
rendu le 10 décembre 2008 par la 4e chambre A de tion accordé à ce modèle3 qui continue malgré tout
la cour d’appel de Paris, qui a jugé que : à être considéré comme une « œuvre originale » ce
qui est pour le moins contestable en l’absence d’une
« Attendu que les sociétés Pellegrini et Orphée Club sou-
véritable création4 . En ce faisant, on a l’impression
tiennent que le modèle de sac litigieux ne satisferait pas à
cette condition en ce qu’il s’inscrirait dans une tendance que la cour d’appel de Paris qui n’ose pas aujour-
générale de la mode et s’inspirerait d’un modèle commer- d’hui reconnaître qu’elle s’est totalement fourvoyée
cialisé par la société Louis Vuitton en 2003. Considérant en jugeant que le modèle Charlotte était original,
que la société Design Sportswear caractérise son modèle Y trouve d’autres moyens pour limiter les actions en
769, dénommé Charlotte par la combinaison des éléments justice de son propriétaire. Il est important de souli-
suivants : un sac rectangulaire réalisé avec un fond, sur le gner que toutes les décisions rendues à propos du sac
devant et le dos, des bandes de cuirs qui sont dans la pro- Charlotte ont validé celui-ci au regard du droit d’au-
longation des anses constituées de trois parties et reliées teur en évacuant en quelques mots le fait qu’il était
par des rivets en métal, chaque anse ayant des boucles également déposé à titre de modèle, ce qui est contes-
en métal, chaque côté du sac étant coulissé avec un cor-
don de cuir ou en coton passé dans des rivets métalliques,
l’intérieur du sac étant entièrement doublé en coton et
2. CA Paris, Pôle 5, 1re ch., 3 sept. 2009, Design Sportswears
comportant une poche zippée, le sac étant fermé par une
c/Christophe Cottin et al., accessible sur www.inpi.fr et
pression en métal intérieure, la version, sac de voyage sur Lexbase.
48 heures, comportant un zip apparent sur l’un des côtés 3. « Considérant par ailleurs, que l’originalité que reven-
extérieurs du sac. Considérant qu’il résulte de l’examen dique l’appelante tient à la combinaison des caractéris-
auquel la cour s’est livrée des modèles versés aux débats tiques sus-décrites ; qu’elle ne saurait cependant, sauf à
par la société Orphée Club, à savoir les sacs Chloe, Fendi, vouloir s’arroger un monopole d’exploitation sur un genre,
Givenchy, Marbi, Le Tanneur, Kookai, le sac Theda de la prétendre être investie de droits d’auteur sur toute forme
société Louis Vuitton, que s’ils présentent un effet bourse de configuration d’anses tripartites et toute forme de pro-
ou drapé, ils diffèrent néanmoins du modèle dit Char- longation des dites anses sur le corps du sac ; que ses
lotte opposée en ce qu’ils ne reprennent pas les caractéris- droits doivent en effet être circonscrits à la forme des
tiques de la combinaison revendiquée et n’établissent pas anses qu’elle a adoptée et à celle qu’empruntent leurs
sa banalité. Considérant qu’il résulte de ces constatations, attaches ainsi que leur prolongation sur le corps du sac.
Considérant que le sac commercialisé par la société Cen-
que, si certains des éléments qui composent le modèle
ter Bag présente certes une forme générale rectangulaire
de sac à mains revendiqué sont effectivement connus et
et des cordons passant par des rivets situés latéralement
que pris séparément ils appartiennent au fonds commun
et provoquant l’apparition de fronces ; Que cependant, la
de l’univers de la maroquinerie, en revanche leur com- forme très arrondie des anses au demeurant en deux par-
binaison, dès lors que l’appréciation portée par la Cour ties, n’évoque aucunement celle des anses revendiquées
doit s’effectuer de manière globale, en fonction de l’aspect en trois parties ; qu’il en est de même de leur accrochage
d’ensemble produit par l’agencement des différents élé- sur le corps du sac litigieux qui est figuré par deux boucles
ments propres à ce modèle et non par l’examen de chacun proéminentes traversées par des passants qui mordent
d’eux pris individuellement, confère au sac litigieux une largement sur le corps du sac incriminé alors que le sac
physionomie propre, le distinguant des autres modèles du revendiqué par les appelantes donne à voir une attache
même genre, qui traduit un effort créatif et un parti pris plus haute qui mord faiblement sur le corps du sac et pré-
esthétique portant l’empreinte de la personnalité de son sente des rivets. Considérant qu’il suit que les premiers
auteur. Que confirmant le jugement entrepris, le modèle juges ont, à bon droit, rejeté les demandes formées au
de sac référence Y 769 dénommé Charlotte bénéficie de la titre de la contrefaçon » (CA Paris, Pôle 5, 2e ch., 2 oct.
2009, Design Sportswears c/Center Bag, accessible sur
protection accordée par le Livre I du CPI »1 .
Lexbase ; – DANS LE MÊME SENS CA Paris, Pôle 5, ch. 2,
Alors que sur la période 2007-2008 la 15e chambre 20 nov. 2009, Zaza c/Design Sportswear, accessible sur
du tribunal de commerce de Paris avait dans six www.inpi.fr).
4. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 30 oct. 2009, Design Sports-
jugements favorables à la société Design Sportswear wears c/Center Bag, accessible sur Lexbase. Depuis, un
accordé à celle-ci un total de plus de 300 000 euros autre arrêt rendu à propos de ce modèle, a jugé que (i) la
de dommages et intérêts, la cour d’appel de Paris personne qui se prétendait sa créatrice devait être décla-
après avoir confirmé certains de ces jugements a, rée irrecevable en son action dans la mesure où elle ne
en septembre, octobre et novembre 2009, par plu- rapportait pas la preuve de sa qualité d’auteur, (ii) « l’ab-
sence de ressemblance concernant une caractéristique
particulièrement distinctive du modèle supposé contrefait
ne permet pas de retenir la contrefaçon alléguée », et par
1. CA Paris, 4e ch. A., 10 déc. 2008, Orphée Club, accessible voie de conséquence (iii) a condamné les demanderesses
sur www.inpi.fr et sur Lexbase. L’ensemble des décisions appelantes à 40 000 € au titre de l’article 700 C. pr. civ.
est aussi accessible sur Hipe.fr où l’on trouve un dossier (CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 31 mars 2010, Design Sportswear
complet sur le modèle Charlotte. c/Caractère, accessible sur Lexbase).

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“DroitAuteur” (Col. : GuideAction) — 2010/11/4 — 11:57 — page 889 — #913
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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.85 889

table, dès lors que l’on peut légitimement s’interroger « Constitue une création, susceptible de faire l’objet d’un
sur le fait de savoir si la théorie de « l’unité de l’art » droit de propriété artistique, un modèle de sac caractérisé
est encore pertinente, dans la mesure où le droit d’au- par deux parties cylindriques de mêmes dimensions entiè-
teur et le droit des modèles procèdent aujourd’hui de rement montées sur un fermoir rond métallique sur la
fondements distincts. surface duquel court un manche en cuir ou en matière
plastique à travers des anneaux fixés sur le fermoir. Il
Par contre, ce qui est certain c’est qu’au regard importe peu que le fermoir soit déjà connu : en effet, pour
du « nouveau droit des dessins et modèles » qui a apprécier le caractère d’originalité du sac il s’agit de le
abandonné la notion de création et celle d’origina- considérer dans son ensemble »4
lité au profit de celle de « nouveauté » par référence « Un "fermoir-bride à clapet" constituant dans son
« au caractère propre produit sur l’observateur averti » ensemble une création originale ayant un caractère artis-
(CPI, art. L. 511-4 s.), ou « du caractère individuel tique peut être protégé par le droit d’auteur et le droit des
produit sur l’utilisateur averti » (règl. no 6/2002, art. dessins et modèles »5
6), le modèle Charlotte bénéficie semble-t-il de la
protection du Livre V du CPI... En d’autres termes, Traditionnellement, il était jugé que les modèles
la simple modification de la création antérieure d’un de sacs pouvaient bénéficier de la protection du droit
tiers, si elle ne constitue pas une « création », est d’auteur6 ou du droit des dessins et modèles7 ou
néanmoins susceptible de donner lieu à un modèle cumuler les deux protections :
« nouveau », ayant un « caractère propre », ce qui « Le sac City Dior, par la combinaison adoptée présente
n’est pas sans poser de sérieux problème et d’ouvrir une originalité certaine et une apparence propre, lui per-
la porte à tous les abus et à toutes les fraudes. Par mettant de bénéficier tant de la protection par le droit
contre la modification de la création d’un tiers pro- d’auteur que de celle qui s’attache au modèle déposé »8 .
tégée par le droit d’auteur pour ensuite redéposer le
La protection du droit d’auteur a souvent été refu-
modèle ainsi modifié, constitue certainement un acte
sée à des modèles de sacs au motif que leurs formes
de contrefaçon et de fraude. Le problème c’est que
étaient « fonctionnelles ». En effet, « si une forme est
dans cette hypothèse seul le titulaire des droits sur le
asservie à la fonction qu’elle exerce qui la commande,
modèle qui a été modifié illicitement est en principe
qui la détermine, son auteur ne peut revendiquer
habilité à soulever cette fraude.
le bénéfice du droit d’auteur. Mais, l’exercice d’une
210.85 Principe. Les modèles de sacs sont proté- fonction utilitaire n’est pas exclusif d’une protection
geables par le droit d’auteur à condition de constituer par le droit d’auteur dès lors que la forme adoptée
des créations originales 1 : Il a ainsi été jugé dans ce révèle un apport original ».9
sens que :
« Est protégeable un modèle de sac dont les caractéris-
tiques, notamment les combinaisons dimensionnelles, 4. CA Paris, 4e ch., 10 févr. 1960, Elbaum c/Ropozyk, Ann.
ne répondent pas à des besoins fonctionnels et ne se 1960, 116
retrouvent pas dans les antériorités »2 5. T. civ. Seine, 10 févr. 1933 confirmé par CA Paris, 4e ch.,
20 nov. 1934, Millard c/Galeries Lafayette, Ann. 1937,
« Un sac présentant une forme particulière trapézoïdale en
278.
V assez haute, qui, avec les accessoires qui le complètent,
6. Pour un sac Chanel, en tissu matelassé « dès lors que les
telle une grande poignée en imitation d’écaille, lui donne antériorités proposées ne peuvent constituer une antério-
une physionomie propre doit en principe être regardé rité de toute pièce privant ce sac d’originalité » (TGI Paris,
comme une création artistique originale, tant qu’il n’est 3e ch., 7 mars 1991, Chanel c/La Bagagerie, RDPI 1991,
pas démontré que cette forme et cet aspect général étaient no 35/36, p. 28).
à l’époque de la fabrication et de la vente bien connus et 7. Pour un cartable « dont les caractéristiques, si elles pré-
tombés dans le domaine public »3 sentent des avantages fonctionnels, ne sont pas unique-
ment dictées par des nécessités économiques, mais pro-
L’originalité du sac doit être appréciée dans son cèdent d’une recherche esthétique certaine : que la simpli-
ensemble, toutefois, son fermoir peut bénéficier d’une cité apparente du modèle est le résultat d’un effort créatif
protection propre : visant à allonger la silhouette des cartables » (TGI Paris, 3e
ch., 12 mars 1997, Chapelier c/France Loisirs, PIBD 1997,
III, 413)
8. CA Paris, 4e ch., 18 déc. 2002, Butine c/Christian Dior
Couture, RDPI 2003, no 144, p. 35.
1. Pour un modèle de sac en plastique jugé original en 9. En l’espèce, « l’ensemble des caractéristiques du modèle
l’absence d’antériorité, CA Paris, 4e ch., 3 janv. 1956, de sac de voyage, bien que répondant à des fonctions
Szynkier c/Néo Sacs, Ann. 1956, 262 – DANS LE MÊME SENS, particulières, révèle, par le choix des formes et les cou-
CA Paris, 4e ch., 12 juin 1956, Brandehaft c/Le Sac Reptile leurs adoptées, une préoccupation ornementale à tra-
Ann. 1956, 258 vers laquelle transparaît l’empreinte de la personnalité
2. CA Paris, 4e ch., 20 sept. 1982, Seac c/Genaco-Filter, Ann. de son auteur » (CA Paris Pôle 5 ch. 2, 6 nov. 2009,
1983, 244 Sotual c/Delsey, PIBD 2010, III, 158) – CONTRA la protec-
3. CA Paris, 4e ch., 21 déc. 1960, Le Sac Reptile c/La Maison tion du droit d’auteur a été refusée à un sac au motif que
Bohat, Ann. 1961, 313 « même si l’ensemble doit présenter un aspect esthétique,

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890 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

On ne peut en principe prolonger la protection – avec d’une toile plastifiée avec un fond foncé avec
accordée par la loi à un modèle en modifiant celui-ci des dessins clairs en quinconce6 .
par des détails insignifiants, puisque la contrepar- Reste ensuite à appréhender la contrefaçon, ce qui
tie du droit privatif accordée à l’auteur ou à son peut se révéler délicat dans la mesure où de nom-
ayant droit implique qu’à un moment donné l’œuvre breuses caractéristiques des sacs relèvent du domaine
tombera dans le domaine public. Le problème se public. Ainsi il a été jugé que :
pose toutefois d’une manière récurrente avec certains
modèles commercialisés par des groupes de comme « Les deux modèles de sacs revendiqués par les sociétés
appelantes s’inspirent de la forme rectangulaire courante
par exemple le sac Kelly d’Hermès qui a, jusqu’à ce
du cabas destiné à contenir des provisions, qui répond à
jour, bénéficié d’une certaine "bienveillance" de la
une tendance de la mode reprise par de nombreux maro-
part des tribunaux. Ainsi, il a été jugé que :
quiniers ainsi qu’il résulte des modèles produits devant la
« la société Hermès s’enracine dans une tradition qui per- Cour, mais, la combinaison de cette forme connue et du
met à la fois de pérenniser des modèles et de les faire jonc recouvrant le rebord supérieur du sac, des replis laté-
évoluer avec la société et la mode sans rechercher l’ex- raux pressionnés sur lesquels les boutons-pression sont
travagance ni le spectaculaire mais en articulant chaque visibles, le mode de fixation des anses par des pattes cou-
nouveauté autour d’un progrès du modèle. Qu’elle a par- sues de surpiqûres apparentes et la fermeture au moyen
faitement le droit d’effectuer un dépôt à chaque évolution d’une barrette enserrée dans un lien qui ne se retrouve en
qu’elle estime significative. L’évolution du modèle [des 1994 dans aucun autre sac, par l’effort créatif et le parti
années vingt] faite en 1981 est significative d’une créa- pris esthétique qu’elle révèle, porte l’empreinte de la per-
tion nouvelle, passant d’une ligne de bagages à une ligne sonnalité de son auteur et constituent donc des œuvres
de sacs à main que la société Hermès sera dite avoir la pro- originales et protégeables par le droit d’auteur »7 .
priété, l’antériorité, et l’originalité nécessaire, le Tribunal
N’est pas non plus original un modèle de sac dont
dira qu’il n’y a pas lieu à se prononcer sur la validité des
dépôts postérieurs, la question ne se posant pas compte
la forme a un caractère purement fonctionnel8 , même
tenu de toutes les sécurités qui entourent le sac revendi- si un arrêt a cependant jugé que « si la réversibilité du
qué »1 . sac présente un caractère fonctionnel, il n’en demeure
pas moins que cette modalité procède également
On rappellera par ailleurs que les fabricants de d’une recherche esthétique de fantaisie et d’un effort
sacs avaient déjà profité des largesses de la Cour de de création »9
cassation qui, en étendant aux personnes morales
210.86 Appréciation de la contrefaçon. Il convient
le bénéfice des prolongations de guerre, avait ainsi
de tenir compte à la fois de l’impression d’ensemble
prolongé de 3041 jours la protection accordée à leurs
des modèles, ainsi que de leurs éléments particuliers.
modèles phares au titre du droit d’auteur2 .
Une grande partie de la jurisprudence est fort criti-
Comme pour les autres créations, les idées et les quable par son absence de motivation, se contentant
genres ne peuvent bénéficier de la protection du droit de conclure à la contrefaçon par suite de « ressem-
d’auteur ou du droit des dessins et modèles. “Les blances ». Dans le sens contraire, on peut néanmoins
idées appartiennent à tout ce qui n’est qu’en l’état de citer à titre d’exemple un jugement qui a débouté un
projet, tandis que le genre implique l’existence d’un demandeur de son action en contrefaçon au motif
groupe ou catégorie d’objets présentant un caractère que :
commun”3 . N’est donc pas protégeable le fait de
réaliser des sacs : « Si les deux modèles de sacs saisis chez Kelly et chez
Look Diffusion sont, comme celui de Cassegrain, de forme
– en rotins tressés aux coins avec des fermoirs en
pyramidale, avec un fond plat, une fermeture à glissière
bambou4 ,
sur le côté, une patte de fermeture et une bretelle unique
– avec une toile matelassée5 ou sur la face arrière du sac, cependant la forme pyramidale

la manière dont les pressions du sac sont positionnées et


l’existence de pattes de chaque côté du sac répondent à 6. TGI Paris, 3e ch., 14 juin 1985, LV c/Luxor, RDPI 1985,
un objectif purement fonctionnel, ce qui exclut toute pro- no 2, p. 95.
tection par le droit d’auteur » (TGI Paris, 3e ch. 1re sect. 7. CA Paris, 4e ch., 6 juin 2001, Longchamp, Cassegrain
6 oct. 2009, Yu Ye c/Laurent, Prop. ind. mars 2010 n◦ 3 c/Sun I.C, RDPI 2002, no 140, p. 12.
p. 41, § 18 note J-P. Gasnier, PIBD 2010, III, 41 8. CA Lyon, 22 mars 1978, Ann. 1979, p. 26, à propos d’un
1. T. com. Paris, 15e ch., 2 mai 1996, Hermès c/Bugatti, inéd. modèle de poche plaquée sur une valise – TGI Paris, 3e ch.
2. Civ. 1re , 15 avr. 1986, no 84-11.230, Chanel, Bull. civ. I, 1re sect., 6 oct. 2009, Yu Ye c/Laurent, Prop. ind. mars
no 88 ; JCP CI 1986, I, 15516. 2010 n◦ 3 p. 41 § 18 note J-P. Gasnier, PIBD 2010, III,
3. CA Paris, 18 sept. 2002, Galley c/YSL, Prop. ind. 2003, 41 (« la manière dont les pressions sont positionnées et
no 6, p. 29 obs. F. Greffe (à propos d’une collection de l’existence de pattes de chaque côté du sac répondent
vêtements réalisés en patchwork). à un objectif purement fonctionnel ce qui exclut toute
4. CA Paris, 4e ch., 8 déc. 1982, Group c/L’Ecuporium, PIBD protection par le droit d’auteur ... »).
1983, III, 128 ; Ann. 1983, 242. 9. CA Paris, 4e ch., 9 févr. 2005, Sté Sofipak c/Abacco, Prop.
5. T. com. Paris, 15e ch., 9 juill. 1997, Chanel c/Stolar, inéd. ind. déc. 2005, no 101, comm. P. Greffe.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.89 891

du modèle Cassegrain est obtenue par le repli de la face diale marque le tournant décisif : l’uniforme des
avant dudit modèle alors que celle des modèles argués de officiers, comme celui des soldats, ne favorise pas
contrefaçon est naturelle. La patte de fermeture du modèle l’élégance mais complexe opération qui consiste à
Cassegrain entoure le sommet du sac par un double cordon extraire et à consulter la montre faite pour les gous-
qui s’attache par un brandebourg, alors que celle des sets civils. Il faut connaître l’heure exacte, à tout
modèles Kelly et Look Diffusion ne recouvre que la moitié instant, de nuit comme de jour, et autant que pos-
gauche du haut de la pyramide pour s’attacher sur la face
sible sans bouger... La guerre prend fin, l’histoire
avant sur un bouton métallique pivotant. Que la bretelle
de la montre-bracelet continue, favorisée cette fois,
unique du modèle de Cassegrain est cousue à l’intérieur
de la face arrière du sac, recouvrant l’arrête supérieure dans sa conquête des marchés, par le progrès indus-
de ladite face, alors que celle des modèles Kelly et Look triel que la guerre elle-même a provoqué"4 . Malgré
Diffusion est cousue sur la face arrière de l’extérieur et à d’importantes révolutions techniques, la forme des
quelques centimètres en dessous de l’arrête. Que l’attache montres-bracelets a peu évolué depuis cinquante ans.
du point bas de la bretelle est réalisée chez Cassegrain par Les "montres-poignet" figurant dans le Catalogue de
une boucle se fixant elle-même par un “bouton de guêtre" la manufacture d’armes et de cycles de Saint Etienne de
alors que sur les modèles argués de contrefaçon c’est un 1928 n’auraient pas dépareillé la vitrine d’un horloger
mousqueton fixé au bas de la bretelle qui s’accroche sur de province des années soixante-dix. Depuis quelques
un anneau fixe sur la base de la face postérieure du sac. années, les montres classiques sont concurrencées
Que les ressemblances se limitent à un aspect général, un par des modèles en plastique, comme la gamme impo-
fond plat rectangulaire dont les petits côtés sont arrondis sante et colorée de la célèbre Swatch. Pour mémoire,
et à une fermeture à glissière sur le côté gauche, encore
la Swatch a été développée entre 1979 et 1981, les
que celle de Kelly et Look Diffusion assure la fermeture
premiers modèles ont été mis sur le marché en 1982,
totale du sac, ce qui n’est pas le cas chez Cassegrain. Que
si les modèles des défenderesses dont l’antériorité n’est et dix ans plus tard, en 1992 près de 100 millions de
pas prouvée, ont pu être largement inspirés de celui de modèles de Swatch avaient déjà été vendus dans le
Cassegrain, il n’en reste pas moins que les différences monde entier5 .
l’emportent sur les ressemblances. »1 210.88 Enregistrements au titre des modèles dans
Dans la même veine, la jurisprudence n’hésite la base de données de l’Inpi. Plusieurs sociétés, dont
pas à reconnaître la « contrefaçon partielle », un Chanel, ont déposé des cadrans de montres en tant
concept que l’on peut défendre en matière d’œuvres que marques figuratives. Une recherche effectuée dans
littéraires ou audiovisuelles mais qui n’existe pas en la base des données de l’Inpi le 22 mars 2010, via
matière d’œuvres des arts appliqués, donc en matière le site www.inpi.fr avec le mot-clef « montre » per-
de créations de mode : mettait de constater que celle-ci produisait 4 983
résultats. Exemple d’un modèle de montre déposé le
“ les sacs qui reproduisent toutes les caractéristiques (à 11 décembre 2009 à l’Inpi (no 096105-001) par la
savoir les surpiqûres, les bandoulières plates, les œillets M. Benjamin Muller :
dorés, les pompons frangés et le logo doré semblablement
disposé) à l’exception de la forme rectangulaire, consti-
tuent, par la comparaison qui peut en être faite, la contre-
façon partielle mais certaine du modèle opposé, les diffé-
rences de forme des sacs, qui leur confèrent le caractère
d’une simple déclinaison du précédent, n’étant pas telles
qu’elles permettraient auxdits modèles de se distinguer de
ce dernier ”2 .

§ 17
Montres
210.87 Historique. De nos jours, quand on parle 210.89 Principe. Sous réserves de satisfaire à la
de montres, on fait toujours référence aux montres condition de création et d’originalité, les modèles
bracelet créées à l’origine pour les femmes3 . En ce de montres peuvent bénéficier de la protection du
qui concerne les hommes "la Première Guerre mon- droit d’auteur :
« La disposition de lignes de godrons – 3 hori-
zontalement et 3 verticalement – enserrées par des
1. T. com. Paris, 15e ch., 26 sept. 1997, Cassegrain c/Kelly,
inédit.
2. CA Paris, 4e ch., 15 mars 2000, Stolar c/CCM et aut., PIBD Horloges, montres et instruments anciens, Office du Livre
2001, III, 528. 1970, p. 290.
3. Sur les montres anciennes et leur histoire : Ars Mundi 4. G. Grazzini, N.C. Gigli et G. Gregati, La Montre, éd. Ars
éd., La Montre, 1992, p. 111 – C. Cardinal, La montre Mundi 1992, p. 17.
des origines au XIXe siècle, Office du Livre 1985, p. 238 – 5. R. Carrera, L’extraordinaire aventure de la Swatch, éd.
S. Guye et H. Michel, Mesures du temps et de l’espace – Antiquorium 1992, p. 511.

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892 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

lignes horizontales qui se prolongent jusqu’au bord particulière, et ainsi à l’ensemble du modèle un aspect de
du cadran de la montre, associées à des angles arron- légèreté et d’élégance qui lui est propre. »5
dis du cadre révèle par l’opposition des courbes et des
La contrefaçon est réalisée lorsqu’il y a repro-
lignes droites l’empreinte de la personnalité de l’au-
duction des éléments caractéristiques du modèle de
teur et confère ainsi à la montre l’originalité requise
montre, mais :
pour la rendre protégeable au titre du droit d’au-
teur. »1 « Ne constitue pas une contrefaçon d’un modèle de
« Est protégeable au titre du droit d’auteur et du montre dont le cadran est dépourvu de tout chiffre et la
droit des dessins et modèles, le modèle de montre pré- proportion entre le volume du boîtier et celui des maillons
du bracelet assure une continuité parfaite entre les deux
sentant un cadran rectangulaire aux angles arrondis
éléments, le modèle de montre dont le cadran est revêtu
comportant quatre petits carrés en métal figurant les
de chiffres romains, la taille du boîtier est nettement plus
heures et deux aiguilles pour les heures et les minutes volumineuse, la taille et la forme des maillons du bracelet
en forme de baguettes, inséré dans un boîtier rectan- sont plus réduites, plus rondes et moins concaves et la pro-
gulaire qui se prolonge, sur chacune de ses largeurs, portion entre le volume du boîtier et celui des maillons du
par un demi-cercle, auquel est attaché le bracelet bracelet discrimine nettement ces deux éléments, à raison
composé de maillons, alors que si les éléments qui de l’étroitesse des maillons en comparaison de la largeur
composent cette montre sont connus pour apparte- du boîtier. »6
nir au fonds commun de l’horlogerie-joaillerie, leur
Il convient de souligner que la Cour d’Appel de
combinaison lui confère une physionomie propre qui
Paris a condamné pour parasitisme une société qui
traduit un parti pris esthétique et porte l’empreinte
offrait à sa clientèle une copie servile de la fameuse
de la personnalité de son créateur. »2
montre Tank de Cartier au motif que :
S’il sont nouveaux, les modèles de montres,
peuvent également prétendre à la protection du droit « L’offre sous forme d’un cadeau donné à la clientèle d’un
des dessins et modèles3 dès lors qu’il sont enregistrés modèle de montre qui constitue la copie servile d’une
à ce titre, étant néanmoins précisé que les effets com- montre de haute renommée traduit nécessairement la
binés du règlement et de la directive communautaire volonté d’appropriation de la notoriété qui se rattache
au modèle d’un concurrent ; une telle offre porte mani-
sur les dessins et modèles semblent avoir modifié le
festement atteinte à l’image de marque de la montre d’un
droit en la matière.
concurrent qu’elle vulgarise et déprécie, la rabaissant au
Mais, « un cadran de montre caractérisé en ce rang d’un simple gadget publicitaire. Il importe peu que
que le cadran est poli de façon à présenter l’as- les clientèles des deux sociétés soient distinctes dès lors
pect d’un miroir est nul pour défaut de nouveauté, qu’il n’est pas exclu que la clientèle de la société qui a
lorsqu’il résulte d’attestations, nombreuses, précises, offert une telle montre pouvait penser que la diffusion en
émanant pour partie d’organismes professionnels et avait été faite avec l’autorisation du fabricant de montres
dont certaines sont accompagnées de factures, que de haute renommée. »7
des cadrans-glace étaient antérieurement connus »4 .
En marge des problèmes de reproduction illicite, on
La loi protège également les bracelets et attaches doit également citer celui de la montre contrefaisante
de montres caractérisés par une originalité et/ou une confiée pour réparation à un horloger/joaillier et
nouveauté. Il a ainsi été jugé : retenue par celui-ci. La personne qui reçoit en cadeau
« Qu’une attache de montre « à trois plots déjà connus, une montre peut être excusée car « il n’est pas d’usage
dès lors que le modèle se caractérise par l’utilisation pour de réclamer au donateur la facture de son cadeau
cette fixation d’un plot très fin, de même volume que les quand des liens d’amitiés unissent les parties », mais
deux autres, ce qui n’avait pas été fait auparavant, et qui il en va différemment du donateur « dès lors que celui-
donne au système d’attache une apparence de fragilité ci n’a pu manquer d’ignorer l’origine frauduleuse du
produit. »8

1. CA Paris, 4e ch., 25 avr. 1997, L’Homme Moderne


c/Poiray, RDPI 1997, no 77, p. 21 ; Gaz. Pal. 8 janv. 1998, 5. CA Paris, 4e ch., 6 oct. 1982, Velic c/Van Cleef, Ann. 1983,
p. 25 ; pour un modèle de montre carrée dont la physio- 241 – Pour un modèle de bracelet pour montre formé de
nomie est « particulièrement moderne » (TGI Paris, 3e ch., deux parties coulissantes, TGI Paris, 3e ch., 6 mars 1984,
5 mars 1997, Opex c/Modino, PIBD 1997, III, 417). Zuccolo c/Frivolux, PIBD 1984, III, 204.
2. CA Paris, 4e ch. A., 20 févr. 2008, Dior c/Stolar, Juris-Data 6. CA Paris, 4e ch. A., 20 févr. 2008, Dior c/Stolar, Juris-Data
no 364579. no 364579.
3. Pour un modèle à double cadran (TGI Paris, 3e ch., 5 janv. 7. CA Paris, 4e ch., 5 janv 2000, Cartier c/Métro, Ann. 2000,
1983, Herail c/Richards, PIBD 1983, III, 115). 197.
4. CA Paris, 4e ch., 8 nov. 1955, Beuchat c/Ateliers du Léman, 8. TGI Paris, 3e ch., 3 mai 1990, Chanel c/X, PIBD 1990, III,
Ann. 1956, 259. 686.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.90 893

§ 18 la société Bollé, était à l’origine des entreprises spécia-


Lunettes lisées dans la transformation des matières plastiques,
notamment la production de peignes6 .
210.90 Historique. "Si l’invention des lunettes ne
Jusqu’à la Première Guerre Mondiale, le mar-
date que du Moyen-Âge, la découverte du principe
ché de la lunette était essentiellement un marché
de la lentille remonte vraisemblablement à l’Anti-
de lunettes correctrices classiques, distribuées quasi-
quité. L’apparition des premières lunettes, à la fin du
exclusivement par les opticiens. Les litiges étaient
XIIIe siècle, est étroitement liée à l’avènement d’une
alors inexistants. Ce n’est qu’à partir des années vingt
intense activité intellectuelle en Europe. Moines, pen-
que l’on a vu apparaître des modèles plus "fantaisies".
seurs ou médecins sont les premiers à recourir à l’in-
Parmi les créateurs français des années cinquante
vention des “besicles”, dérivés des bériles"1 . "Elles
et soixante, on peut citer Pierre Marly, le "coutu-
furent d’abord en cristal de roche taillé, puis elles
rier des lunettes", créateur de modèles "à damiers",
seront en verre une fois découvert le moyen de fabri-
"raquette de tennis", "pigeons", "extravagants"... et
quer un verre assez transparent. Elles ne s’adres-
de son propre musée "des lunettes et lorgnettes", rue
saient d’ailleurs initialement qu’aux presbytes et aux
Saint Honoré à Paris7 .
hypermétropes : les verres divergents pour myopes
ne paraissent pas antérieurs au XVIe siècle"2 . "Ce Les litiges, et la jurisprudence qu’ils ont générés ont
n’est que fort tardivement qu’on voit apparaître les essentiellement été suscités par la mode des lunettes
branches sur les lunettes. D’abord courtes, celles- de soleil et de sport. Après les Ray Ban, qui se sont
ci sont terminées par des anneaux, bien souvent imposées à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, on
recouverts de velours, tenus aux tempes par pression. a vu apparaître sur le marché des vagues successives
Quelques décennies plus tard, la branche se prolonge de modèles, avec pour commencer les lunettes de
au-delà des tempes pour s’accrocher aux oreilles"3 . skis, notamment les "Vuarnet". Au cours des quinze
Près d’une trentaine de lunettes, dont une dizaine de dernières années, le marché de la lunette de soleil a été
"lunettes colorées pour les yeux faibles", étaient déjà marqué par une importante créativité, due en partie
proposées au public dans le catalogue américain Sears à l’utilisation de nouveaux matériaux. Les années
& Roebuck de 1897. quatre-vingt-dix ont été marquées par les diverses
générations de lunettes très distinctives réalisées par
Depuis 1796, date à laquelle Pierre-Hyacinthe
la société californienne Oakley qui en renouvelant
Caseaux inventa la première lunette française, la ville
rapidement et massivement ses gammes de produits,
de Morez, dans le Haut-Jura, est devenue le prin-
à réussi à faire des lunettes un véritable « accessoire
cipal centre de production de lunetterie de France,
de mode » que l’on change à chaque saison.
principalement en montures en métal4 . L’entreprise
Vuillet-Véga y est implantée depuis 5 générations. En Europe selon l’association européenne ESA en
Situé à environ 50 kilomètres de Morez, le bassin 2004 on a vendu près de 88,8 millions de paires de
d’Oyonnax, qui est le second pôle français en matière lunettes de soleil, dont 7,8 millions avec des verres
de lunetterie est, pour des raisons historiques, plus correcteurs (8,8 %), le plus grand marché étant
spécialisé dans la fabrication des montures en plas- constitué par l’Italie avec 15,5 millions de paires,
tiques5 . En effet, la plupart de ces fabricants, comme dont seulement 4,5 % avec des verres correcteurs).,
alors qu’en France on a cette année-là vendu 9,6 mil-
lions de lunettes de soleil normales et 2,3 millions
1. "La lunetterie française s’expose au Forum des Halles",
avec des verres correcteurs8 . Selon la même source,
FORUM – Le journal du Forum des Halles mai/juin/luil. toujours en 2004, 76,5 millions de paires de lunettes
1998, no 18, p. 14. de soleil furent vendues aux États-Unis pour moins
2. M. Daumas, Histoire générale des techniques – Vol. 2 – de 15 US$, alors que 4,5 millions de paires l’étaient
Les premières étapes du machinisme XV-XVIIIe siècle, éd. à plus de 10 US$, mais ces deux groupes de lunettes
Quadrige Puf 1996, p. 69.
3. "La lunetterie française s’expose au Forum des Halles",
préc. p. 14. plastique et/ou des lunettes solaires. Chambre Syndicale
4. Il existe une association syndicale "GIFO" ou Groupement des plastiques Oyonnax Franche Comté, 66 rue Anatole
des industries françaises de l’optique, dont le siège est France, BP 3003, 01103 Oyonnax CEDEX.
39/41 rue Louis Blanc, 92400 Courbevoie. Selon le GIFO, 6. La société Bollé qui a été rachetée en 1987 par son
en 1995, le chiffre d’affaires de la lunetterie française distributeur américain Benson Eye Care (BEC) fabriquait
était de 2 647 millions de francs (403 M €), dont 1 363 près de 40 000 lunettes par jour dans son usine d’Arbent
(207 M €) à l’exportation. Ce secteur d’activité employait en 1998 (L. Guigon, « Les lunettes Bollé », Le Monde 25
près de 5 000 salariés. Les fabricants de Morez avaient juill. 1998, p. 17).
réalisé 49,6 % de ce CA français soit un CA de 1 411 mil- 7. "Musée Pierre Marly des lugnettes et lorgnons" ; il existe
lions de francs en 1995 (215 M €), dont 84 % avec des également un Musée de la lunetterie à Morez et en Italie :
montures en métal destinées à l’usage optique. Musée de la Lunetterie, Via degli Alpini 39, 32044 Pieve Di
5. En 1995, le CA réalisé par les lunetiers d’Oyonnax était de Cadore, Belluno, Italie. Parmi les revues professionnelles
667 millions de francs (environ 100 M €), soit 30 % de la on peut citer Inform’Optique.
production française, et ce à 94 % avec des montures en 8. www.esa-sunglasses.com.

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894 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

ont généré pour ainsi dire le même chiffre d’affaires Bien entendu, les modèles de lunettes qui sont nou-
chacun d’environ 675 millions de dollars. veaux et enregistrés à l’Inpi, bénéficient également de
210.91 Enregistrements au titre des modèles à la protection des dessins et modèles4 .
l’INPI. Une recherche effectuée dans la base des don- Constitue une contrefaçon un modèle de lunettes
nées de l’Inpi le 22 mars 2010, via le site www.inpi.fr qui reproduit servilement un modèle protégé au titre
avec le mot-clef « lunette » permettait de constater du droit d’auteur et/ou des dessins et modèles5 . Pour
que celle-ci produisait 1 743 résultats. Exemple d’un être plus précis :
modèle de montre déposé le 6 décembre 1996 à l’Inpi « Constituent une contrefaçon d’un modèle de lunettes,
(no 966901-001) par la Ste Oakley Inc. : les lunettes qui en constituent la copie servile, dès lors
qu’elles en reprennent toutes les caractéristiques, à savoir
la forme ovale et effilée sur les bords et la finition des
bords de chaque côté de la face par l’adjonction d’un
nœud papillon doré »6 .

Mais si la contrefaçon s’apprécie selon les ressem-


blances et non les différences, elle ne peut être rete-
nue lorsque les seules ressemblances existant entre
les modèles relèvent de la reprise d’un genre et non
210.92 Principe . Les modèles de lunettes originaux de la reproduction des traits spécifique des modèles
bénéficient de la protection du droit d’auteur. C’est opposés7 .
le cas par exemple d’une création de lunettes Dior Enfin certains éléments de la paire de lunettes
considérée comme œuvre de l’esprit au sens de l’ar- peuvent bénéficier d’une protection par le droit des
ticle L. 112-2 du CPI : brevets, notamment le verre, la monture ou encore la
technique de fixation du verre, ce qui peut également
« Est protégeable le modèle de lunettes présentent une
influer sur la forme du modèle. Toutefois, la contrefa-
configuration propre et reconnaissable, notamment un
çon d’un tel brevet est indépendante de l’éventuelle
verre unique bombé se rétrécissant dans sa partie centrale
par deux découpes, qui témoigne d’un effort de création contrefaçon du droit d’auteur ou du droit des des-
et qui leur confère un caractère d’originalité justifiant leur sins et modèles sur la création, et inversement. Ainsi,
protection » 1 le fait que deux sociétés concurrentes utilisent deux
« Est protégeable tant au titre du droit des dessins et techniques différentes de fixation des branches et du
modèles qu’au titre du droit d’auteur, le modèle de lunettes pontet aux verres, protégées par un brevet, est indiffé-
de lecture qui combine une demi-monture, supportant des rent dans l’analyse de la contrefaçon du modèle pro-
verres de forme ovale et présentant un nez un peu arrondi tégé : « les formes ainsi créées ne sont pas liées à la
qui n’atteint pas le quart supérieur des verres et des char- fonction qui consiste à rendre invisibles les montures
nières qui forment deux petits rectangles sensiblement mais ont bien été choisies pour donner une esthétique
à mi-hauteur des verres ainsi que des proportions parti- particulière aux lunettes en cause »et « témoignent
culières des divers éléments, alors que ce modèle n’est d’un effort créatif »8
antériorisé par aucune lunette et que cette combinaison
révèle l’effort créatif de l’auteur et confère à l’ensemble
une originalité qui porte l’empreinte de sa personnalité »2 . § 19
« Bénéficie de la double protection instaurée au titre du Bijoux, bagues, colliers et boucles
modèle déposé et du droit d’auteur, le modèle de lunettes d’oreilles
présentant une forme ovale, effilée sur les bords dont la
finition de chaque côté de la face comporte l’adjonction 210.93 Historique. Dès la plus haute Antiquité, les
d’un nœud papillon doré. En effet, ce modèle est à la femmes et les hommes ont éprouvé le besoin de se
fois original et nouveau : la combinaison des éléments parer de bijoux. Le tombeau de Toutankhamon nous
qui le constituent résulte d’un processus créatif portant a livré une quantité impressionnante de colliers, de
l’empreinte de la personnalité de l’auteur, la forme ovale
et effilée ne procède nullement d’un impératif technique
mais résulte bien d’un parti pris esthétique du créateur, le 4. CA Lyon, 1re ch., 31 oct. 1949, Les Frères Lissac c/Mathieu,
nœud papillon revêt une forme particulière et la preuve Ann. 1949, 320.
d’une antériorité n’est pas rapportée »3 . 5. TGI Paris, 3e ch., 20 mars 1984, PIBD 1984, III, 236 –
CA Paris, 4e ch., 11 juin 1985, Allex c/Carrera, Ann. 1986,
305.
1. CA Paris, 13e ch. corr., 25 févr. 2005, Christian Dior 6. CA Paris, 4e ch. A., 31 oct. 2000, Alcad c/Nina Ricci, Juris-
Couture, inéd. Data no 131775.
2. CA Paris, 4e ch. B., 25 oct. 2002, MTS c/Afflelou, Juris- 7. CA Paris, 4e ch., 25 mars 1998, Bausch & Lomb c/Oakley,
Data no 212448. PIBD 1998, III, 351.
3. CA Paris, 4e ch. A., 31 oct. 2000, Alcad c/Nina Ricci, Juris- 8. CA Paris, 4e ch., 20 déc. 2002, ODSM, OD 13 c/TIMON,
Data no 131775. RDPI 2003, no 145, p. 33.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.95 895

bracelets et de bagues. Mais, la joaillerie ne connaît d’éléments connus étant susceptible de constituer une
son âge d’or qu’à partir du XIIe siècle quand le métal création originale dans la mesure où elle est nouvelle »2 ,
devient simplement le support des pierres précieuses.
– des boucles d’oreilles :
De nos jours, les grands joailliers perpétuent encore
les techniques et les traditions ancestrales. « Est protégeable un modèle de boucles d’oreilles constitué
Les bijoux, dits de "fantaisie", ont une origine d’un disque en laiton convexé vers l’extérieur, suspendu
ancienne puisque les Égyptiens ont réalisé des col- à un disque identique de diamètre plus petit, sa surface
de ces disques présentant dans le premier modèle des
liers avec des perles en verre plusieurs siècles avant
stries concentriques et dans le second des ondulations
notre ère. Au Moyen-Âge, les vénitiens ont exporté
parallèles. En l’absence de toute antériorité, le modèle est
leurs perles de verre teintées jusqu’en Mauritanie. "Le nouveau : la combinaison formée d’éléments connus en
monopole vénitien se vit porter un rude coup quand, eux-mêmes aurait pu être réalisée de différentes manières ;
en 1675 un Anglais du nom de George Ravenscroft, elle ne présentait donc pas un caractère nécessaire, et elle a
aidé d’ailleurs par un verrier italien, découvrit le flint non seulement une nouveauté mais encore une originalité
glass ou flint, verre à base d’oxyde de plomb possédant créatrice »3 .
un fort taux de réfraction. Le cristal au plomb était né.
Il offrait un verre d’un éclat remarquable inconnu jus- – des bracelets :
qu’alors, comparable au diamant... Parmi les grands « Est protégeable un modèle de bracelet dont le motif déco-
noms du verre, il faut citer celui de George-Frédéric ratif est représenté par deux têtes de panthère s’opposant,
Strass (1700/1773) qui créa un cristal de plomb, dès lors qu’il est constaté que ce modèle se différencie des
coloré à l’acide d’oxyde métallique sensiblement plus bracelets antérieurs mis dans le commerce, en particulier
lumineux que le flint-glass de Ravenscroft : le strass"1 . par l’anneau qui relie les deux têtes de panthère et qui
Bien que le grand public ait une image souvent peu donne au bijou un aspect différent des autres bracelets de
flatteuse du bijou fantaisie des créateurs comme Coco la même inspiration qui restent ouverts »4
Chanel et Elsa Schiaparelli, pour ne citer que les plus « Est protégeable un bracelet réalisé en filins tressés »,
célèbres, ont consacré son rôle d’accessoire. contrefait par des articles de table, couteaux et couverts ».5

210.94 Enregistrements au titre des dessins et – des pendentifs :


modèles à l’Inpi. Le 22 mars 2010, la base de données
« Est protégeable un « pendentif représentant un per-
de l’Inpi répertoriait 16 524 enregistrements dans la
sonnage stylisé dans une position déterminée et auquel
classe 1101 correspondant aux « Objets d’ornements, aucune antériorité de toutes pièces n’est opposable »6 .
bijouterie et joaillerie. Exemple d’un modèle de bague
déposé le 15 octobre 2002 à l’Inpi (no 026232-011) – et des broches :
par la Ste Cartier International BV (société de droit
hollandais) :

2. CA Paris, 4e ch., 30 juin 1986, Lebenstein c/Mauboussin,


Ann. 1987, 221 – Un modèle de bague "présentant
un caractère de nouveauté" (Com. 10 juin 1997, no 95-
11.861, Devinlec c/Jourdan, NP, RDPI no 77, p. 19) – « Un
modèle de bague caractérisé par la combinaison d’un
anneau en or en forme de jonc fusiforme, d’une incrus-
tation en pierres dures et d’un motif central composé
de sept rangées de diamants » (CA Paris, 4e ch., 8 nov.
1978, Chelly c/Van Cleef, Ann. 1980, 35) – DANS LE MÊME
210.95 Principe. Sous réserve d’être des créations e
SENS CA Paris, 4 ch., 10 janv. 1996, Poncet c/Mauboussin,
originales et/ou nouvelles les bijoux peuvent, comme PIBD 1996, III, 201.
les autres créations de mode, bénéficier de la protec- 3. CA Paris, 4e ch., 7 déc. 1988, Fargeon c/Van Hulle, Ann.
tion du droit d’auteur et/ou du droit des dessins et 1990, 74 – Égalt , CA Paris, 4e ch., 18 févr. 1988, Gas
c/Lanz, Ann. 1989, 171 ; PIBD 1988, III, 317.
modèles. La jurisprudence a ainsi protégé :
4. CA Paris, 4e ch., 12 févr. 1980, Lanher c/Gay Frères, Ann.
– des bagues : 1981, 165 – Pour un bracelet ouvert comportant des têtes
de panthères, CA Paris, 4e ch., 6 oct. 1978, Ohoceor
« Est protégeable un modèle de bague comportant un dia- c/Sélection, Ann. 1980, 35 – Un modèle de bracelet pour
mant dans un cercle d’or et de part et d’autre de ce cercle montre formé de deux parties coulissantes, TGI Paris, 3e
des plaques de nacre ; en effet, en l’absence de toute anté- ch., 6 mars 1984, Zuccolo c/Frivolux, PIBD 1984, III, 204.
riorité le modèle est nouveau et l’on ne saurait soutenir 5. CA Paris, 4e ch., 14 mai 1990, Fred c/Vickim, Ann. 1991,
qu’il ne constitue pas une création originale correspon- 154 – Pour ce même bijou, CA Paris, 4e ch., 21 févr. 1997,
dant à un effort créateur de son auteur, une combinaison Drugstore Publicis c/Fred, PIBD 1997, III, 254
6. CA Paris, 4e ch., 7 oct. 1992, De Roy c/Snelling, Gaz Pal.
18 août 1993, p. 8 – Pour un modèle constitué de trois
1. J. Mulvagh, Fantaisies : les bijoux chic et toc, éd. Chêne têtes d’ours, CA Douai, 24 nov. 1997, Oe Hisako c/Métal
1989, p. 11. Form, RDPI 1998, no 84, p. 44.

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896 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

« Si l’effet du martelage est en soi connu, l’assemblage considérer que chaque bijou individuellement. Ainsi,
spécifique asymétrique de pastilles en métal martelé révèle il a été jugé à propos d’un collier et d’une broche de
également la personnalité de l’auteur et confère au bijou la même collection argués de contrefaçon que seul le
son originalité »1 . modèle de broche était contrefaisant7 .
Par absence de nouveauté n’ont pas été considérés Il a été jugé que les différences de type, de forme,
comme "originaux" et donc susceptibles de bénéficier de taille et de couleur de la pierre précieuse sertie
de la protection du droit d’auteur : sur la bague n’écartaient pas le grief de contrefaçon,
– un modèle de colliers composé de rubans multi- dans la mesure où « la combinaison des mêmes élé-
colores2 ; ments de sertissage et de pavage de diamants sur une
pierre précieuse inscrite dans un double jonc formant
– des modèles de bijoux réalisés depuis la plus haute
une chevalière, conduit à la même impression d’en-
antiquité3 ;
semble des deux bagues, la seconde constituant une
– des modèles de bijoux dont « la banalité exclut simple déclinaison de la première, en fonction des
leur protection au titre de la propriété intellectuelle » contraintes techniques liées au choix d’une pierre
et ce « malgré l’absence d’antériorités »4 . À noter précieuse différente »8 . Mais ce jugement est contes-
que si cette décision semble justifiée, cette formula- table dès lors que les ressemblances peuvent provenir
tion mérite la cassation car le terme de "banalité" de l’emprunt des mêmes éléments du domaine public,
implique une appréciation sur le mérite contraire à pour ne pas dire même d’un genre.
la loi.
Dans ce sens, on ne peut qu’approuver un juge-
– un fermoir "composé d’une partie lisse et de ment rendu par le tribunal de commerce de Paris le
deux godrons de chaque côté"5 . 20 janvier 2006 que :
En matière de bijoux, il convient de déterminer le
« Si la contrefaçon s’apprécie par les ressemblances et non
caractère protégeable de chaque élément de la collec-
d’après les différences, il demeure qu’elle ne peut être
tion. Ainsi, par exemple, au sein d’une même collec-
retenue lorsque les seules ressemblances existant entre
tion de bijoux, le collier et la broche vont être jugés les deux modèles relèvent de la reprise d’un genre et
originaux, alors que la bague ou le bracelet ne béné- non de la reproduction des traits spécifiques du modèle
ficiera d’aucune protection. La collection ou ligne opposé. En conséquence, ne constitue pas une contrefaçon
de bijoux peut toutefois être jugée originale et/ou d’une bague cabochon dont l’originalité est constituée
nouvelle dans son ensemble. Ainsi, ont été jugés pro- par sa transparence liée à sa réalisation en cristal, la
tégeables par le droit d’auteur, les modèles de bijoux bague cabochon réalisée en acrylique, alors que la forme
fantaisie déclinés en colliers, bagues et bracelets com- cabochon constitue un genre et que l’acrylique ne lui
posés de mailles élastiques nouées ensemble et pré- donne pas une transparence comparable. »9
sentant la caractéristique qu’une fois appliqués sur la
La cour d’appel de Paris ayant quant à elle jugé
peau ils ressemblent à un tatouage6 .
récemment que :
210.96 Analyse de la contrefaçon. Pour analyser la
« La personne qui revendique sur des modèles la protec-
contrefaçon, il convient de dissocier les différentes
tion du droit d’auteur, doit établir leur caractère d’origi-
créations issues d’une même ligne de bijoux et de ne
nalité comme constituant des créations présentant des
caractéristiques esthétiques détachables de tout caractère
1. CA Paris, 4e ch., 21 janv. 2005, Cécile et Jeanne c/Biche fonctionnel et exprimant la personnalité de son auteur au
de Bere, PIBD 2005 III, 285. travers des choix qui lui sont propres. En conséquence, ne
2. T. corr. Paris, 13e ch., 8 juin 1988, Deborah c/Nerbard, sont pas protégeables au titre du droit d’auteur, les modèles
PIBD 1989, III, 29 (« Si la combinaison de l’ensemble de d’attache reliée à un collier torque, s’agissant d’une part,
ces éléments – flot de rubans réunis par un système de fer- d’un modèle de forme parallélépipédique trouée, alors que
meture composé de deux calottes – présente un chatoie- les caractéristiques de ce modèle consistant en des élé-
ment attractif accentué par le mouvement, l’association ments purement fonctionnels ne procèdent d’aucun parti
de ces rubans avec des calottes ne saurait être regar-
pris esthétique qui traduirait une démarche créative por-
dée pour autant comme une création originale portant la
tant l’empreinte de la personnalité de l’auteur, et d’autre
marque personnelle du créateur, dès lors précisément que
part, d’un modèle combinant trois figures parallélépipèdes
ces calottes servent depuis longtemps dans le domaine de
la bijouterie fantaisie »). trouées, alors que les caractéristiques de ce modèle consis-
3. Com.18 nov. 1997, no 95-20.685, Ballet c/Gay, NPT, PIBD tant en l’association de deux figures parallélépipèdes sou-
1998, III, 97 ; RDPI 1998, no 84, p. 41. dées entre elles à un anneau relié à une troisième figure
4. CA Paris, 4e ch., 17 janv. 1997, Valetr SPA c/Camoue
Entreprise, RDPI 1997, no 73, p. 35 ; Gaz. Pal. 15/17 juin
1997 p. 34. 7. CA Paris, 4e ch., 21 janv. 2005, Cécile et Jeanne c/Biche
5. T. corr. Paris, 31e ch., 19 oct. 1989, Bry c/X, PIBD 1990, de Bere, PIBD 2005, III, 285.
III, 233 (le tribunal souligne également que les modèles 8. TGI Paris, 3e ch., 25 juin 2002, P. Rullière c/Pellegrin, PIBD
identiques avaient déjà été commercialisés). 2003, III, 55.
6. CA Paris, 4e ch., 12 juin 2002, Kevin Fashion c/Amazonia, 9. T. com. Paris, 15e ch., Lalique c/Rand, Juris-Data
PIBD 2003, III, 110. no 308681

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.97 897

parallélépipède, sont connues par leurs formes et propor- En 1996-1998, 6 % des litiges en matière de contre-
tions, pour appartenir au fond commun de la bijouterie façons et d’imitations illicites de produits soumis au
et que ces éléments ensemble, ni par leur agencement, ni tribunal de commerce de Paris concernaient de la
par leur combinaison, ne révèlent un effort de création bijouterie joaillerie de luxe et 5 % concernaient de la
portant l’empreinte de la personnalité de l’auteur »1 . bijouterie fantaisie5 . La moyenne des condamnations
Il arrive que des bijoux fantaisie reproduisant des prononcées par ce tribunal à l’encontre des contre-
bijoux de joailliers soient ensuite commercialisés sous facteurs était alors, en matière de bijoux, de l’ordre
la dénomination "Modèle d’après...". Cette pratique de 50 000 euros pour la bijouterie joaillerie de luxe
constitue non seulement une contrefaçon de des- et de 25 000 euros pour les bijoux fantaisie.
sins et modèles mais également une contrefaçon de
marque sanctionnée par l’article L. 713-2 et L. 716-1 § 20
du CPI. Ainsi a été condamnée à près de 25 000 euros Parfums
pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale
une boutique de la rue de Rivoli, qui présentait dans 210.97 Historique. À la périphérie des accessoires
sa vitrine des "Modèles de bijoux d’après Van cleefs de mode, on peut citer les parfums. "Il ne saurait être
& Arpels"2 . En ce qui concerne les bijoux, la jurispru- question de faire ici l’histoire de la parfumerie, le sujet
dence retient plus facilement le grief de concurrence suffirait à remplir plusieurs volumes"6 . On peut sim-
déloyale par surmoulage autant pour la confusion plifier cette histoire en considérant que la parfumerie
qu’il peut induire dans l’esprit du public que pour le moderne a vu le jour en 1828, sous Charles X, quand
parasitisme économique résultant de cet acte3 . Par un jeune chimiste, Pierre-François-Pascal Guerlain,
contre la mention « Réplique de joailliers » pour des ouvre un magasin rue de Rivoli à Paris. Quelques
répliques de bijoux de marques dont la forme est années plus tard il déménage rue de la Paix, et en
tombée dans le domaine public n’est pas condam- 1855 il devient le parfumeur "breveté" de la Maison
nable. Dans le domaine de la joaillerie, comme dans de l’Impératrice Eugénie pour son Eau de Cologne
d’autres, le droit d’auteur doit être appliqué avec Impériale ». Ainsi débuta une époque d’or grâce au
rigueur, ce qui implique qu’au terme du droit pri- perfectionnement des procédés de distillation à la
vatif les modèles de bijoux tombent dans le domaine vapeur et à l’effleurage. À une première série de pré-
public et peuvent de ce fait être fabriqués et commer- parations monoflorales furent substitués, peu à peu,
cialisés par tous, sauf à violer le droit des marques. des parfums obtenus par l’utilisation d’abord timide
puis massive des synthétiques7 . Pour être plus précis
La reproduction illicite de bijoux réalisés par des
jusqu’en 1940, l’industrie mondiale du parfum qui
joailliers et/ou des grands couturiers par des fabri-
avait alors son centre à Grasse utilisait massivement
cants de bijoux fantaisie pose un problème particulier,
des extraits de plantes françaises ou d’origine exo-
dans la mesure où ces deux catégories de bijoux sont
tique, ainsi que quelques autres produits rares comme
commercialisés auprès de clients bien différents. Il a
le musc. Mais la Seconde Guerre Mondiale a coupé
néanmoins été jugé : « qu’il est vain d’objecter qu’une
les parfumeurs français à la fois de leurs centres d’ap-
bague fantaisie et celle d’un grand joaillier sont desti-
provisionnement mais aussi de la plupart de leurs
nées à deux clientèles particulièrement différentes et
marchés et de leurs clients, les industriels américains
d’en déduire que la vente du modèle litigieux n’a pas
ayant alors eut recours à des produits de substitution
diminué le chiffre d’affaires de ce dernier. Le modèle
synthétiques, qu’ils ont continué à utiliser une fois la
revendiqué est, en effet, le fruit d’un important, long
paix revenue.
et coûteux travail de création et sa commercialisation
a nécessité un investissement publicitaire considé- Jusqu’au début du XXe siècle, les parfums étaient
rable. D’autre part, l’offre à la vente de bagues contre- fabriqués par de véritables sociétés de parfumerie
faisantes d’une qualité inférieure banalise et déprécie (Roger Gallet, Molinard, Bourjois, etc.). Le succès du
le modèle original et porte atteinte à la renommée de parfum Chanel no 5, fabriqué par un « nez » Ernest
son titulaire »4 . Beaux en 1921 – pour être ensuite commercialisé
sous le nom et la marque de la célèbre couturière

1. CA Paris, 4e ch. A., 26 mars 2008, Ubu c/Design Elles,


Juris-Data no 364573. environ 25 euros (contre 110/120 euros pour l’original)
2. CA Paris, 4e ch., 8 oct. 1997, Van Cleef c/Rimbaud, PIBD 5 365 copies de cabochons Lalique !
1998, III, 53 ; D. Affaires 1997, 1333, avec obs. 5. Étude de M. Toporkoff, Président de la 15e chambre du
3. CA Paris, 4e ch., 1er févr. 1990, Guillochon c/Artisanat Tribunal de commerce de Paris, publiée dans Les Échos
Moderne, Ann. 1992, 99. du 14 mars 1998.
4. CA Paris, 4e ch., 25 juin 1997, Marineche c/Mauboussin, 6. A. Corbin, Le miasme et la jonquille – L’odorat et l’imagi-
Gaz. Pal. 8 janv. 1998, p. 21 – Dans le même ordre naire social XVIIIe et XIXe siècles, éd. Champs Flammarion
d’idées, T. com. Paris, 15e ch., 13 déc. 1996, Lalique 1986, p. 229.
c/Agatha, inéd., qui condamne Agatha à payer près de 7. M. Lichtenberger, Pour quelques gouttes de parfum, éd.
300 000 euros de dommages-intérêts pour avoir vendu Gentleman 1987, p. 18.

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898 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

– a poussé un grand nombre de grands couturiers Cosmétique, Clarins. Les grands groupes pharmaceu-
(Jean-Paul Gauthier, Yves Saint Laurent, Pierre Car- tiques à fort département cosmétique, comme Sanofi-
din, etc.) pour ne pas dire leurs maisons de Haute Aventis et Johnson & Johnson, étant également des
Couture à lancer des parfums à leurs noms et/ou acteurs majeurs de cette industrie où des groupes
à leurs marques. Comme les ventes de ces parfums étrangers comme Shiseido, Beiersdorf, Henkel, Coty
étaient et sont encore bien plus rentables que celle Inc., Puig Group, Pacific Europe sont également actifs
des vêtements et accessoires de mode, on a assisté à y compris en France. Mais il existe d’autres groupes,
une dérive, puisque les créateurs français tendent à comme les Américains qui occupent des places de lea-
privilégier l’aspect visuel pour ne pas dire événemen- der aux États-Unis (Avon5 , Esthée Lauder6 , Colgate-
tiel des défilés, avec des créations qui ont pour seul Palmolive, Alcome Perfumes).
objet d’attirer l’attention du téléspectateur, souvent Selon FEBEA (Fédération des Entreprises de la
en le choquant, dans le seul but d’accroître ainsi la Beauté), l’industrie comprend 4 segments différents :
notoriété de leurs marques, notoriété qui sera ensuite – la parfumerie au sens strict (les parfums, eaux
exploitée pour la vente de parfums et de produits déri- de toilettes et eaux de Cologne) ;
vés comme les cosmétiques. La part de la Haute Cou-
– les produits de toilettes (les savons, gel douche,
ture dans l’industrie de l’habillement s’est réduite de
déodorants et dentifrices) ;
ce fait d’années en années, puisque leurs collections
servent essentiellement aujourd’hui d’outil marke- – les produits capillaires (shampoings, laques, gel,
ting à la vente des parfums. Étant également précisé mousse...) ;
que l’industrie du parfum est une industrie multina- – les cosmétiques (maquillage, crèmes de soins,
tionale contrôlée essentiellement par des groupes chi- produit pour bébé, crèmes solaires).
miques, notamment la société française L’Oréal, mais Pour en revenir à la France, le chiffre d’affaires
également par des groupes étrangers, américain ou total de cette industrie était de l’ordre de 15 milliards
japonais comme le groupe Shiseido qui produit les par- d’euros en 2006, le segment des parfums étant le plus
fums de Jean-Paul Gaultier. Ainsi, à titre d’exemple important avec près de 7 milliards d’euros, dont au
déjà en 1997 "Chanel, au chiffre d’affaires annuel moins 60 % étaient commercialisés à l’exportation
estimé alors à 1,5 milliard d’euros, était devenu au fil (notamment au Japon et en Chine). Ces chiffres sont
des ans un groupe de parfumerie à 97 %"1 . importants à plusieurs titres. Selon une étude glanée
On présente généralement les parfums/cosmétiques sur le web, « en 2006, les ventes de parfums féminins
comme un des piliers de l’industrie française, et on se sont élevées à 1,2 milliard d’euros, soit une progres-
oublie souvent, pour ne pas dire volontairement de la sion de 3,7 % pour 23,8 millions d’unités vendues.
replacer dans son contexte mondial. L’industrie des Angel de Thierry Mugler est toujours no 1 des parfums
cosmétiques et parfums réalisait en 2007-2008 un féminins suivi du No 5 de Chanel et de J’adore de Dior.
chiffre d’affaires mondial de l’ordre de 170 milliards Les nouveautés pèsent de plus en plus lourd : 11,6 %
d’US$, l’Europe représentant (encore) le premier du CA des féminins et mixtes en 2006 contre 10,1 %
marché mondial avec environ 63 milliards d’euros. en 2005 »7 . En 2005 et depuis quelques années déjà
En 2006, les ventes en France, en progression pour le parfum pour homme le plus vendu en France est
la 40e année consécutive, ont atteint le niveau record Le Male de Jean-Paul Gaultier, commercialisé par la
de 6,547 milliards d’euros (FIPAR). On affirme sou- société BPI, une filiale du groupe japonais Shiseido.
vent que la France est le premier exportateur mon- Il est également important de souligner que plus de
dial de produits cosmétiques et de parfums, mais la la moitié (environ 55 %) des parfums commerciali-
situation est plus complexe. Il est vrai que les entre- sés en France l’est par les enseignes spécialisées des
prises françaises sont bien représentées sur le plan sociétés Marionnaud (qui appartient à un groupe
mondial : L’Oréal2 , premier groupe mondial devant hong-kongais), Séphora et Nocibé. Près de 200 000
l’américain Procter & Gamble et Unilever3 ; suivent flacons de parfums sont commercialisés chaque jour
Chanel4 , LVMH, Yves Rocher ; Pierre Fabre Dermo en France.
Une recherche effectuée dans la base des données
des dessins et modèle de l’Inpi le 20 avril 2010, via le
1. L.-R. Béziers, « Mode : fissures dans la “Maison France” », site www.inpi.fr avec le mot-clef « flacon » permettait
Enjeux Les Échos, no 130, nov. 1997, p. 94. de constater que celle-ci produisait 7 470 résultats,
2. Parmi les grandes marques exploitées par l’Oréal, on peut étant précisé que les flacons de parfums figurent dans
citer Lancôme, Guy Laroche, Héléna Rubinstein, Georgio
Armami, Ralph Lauren, Vichy, et YSL et Roger & Gallet
(ces 2 dernières depuis 2008). 5. Avon Products, groupe présent dans 135 pays dont le
3. Groupe néerlando-britannique dont seulement une partie CA de 2008 était d’environ 10 milliards de dollars.
des activités est consacrée aux cosmétiques (Brut, Fabergé, 6. Esthée Lauder Inc. qui commercialise notamment les
Subsilk, Signal, Dove, Rexona). marques Esthée Lauder, Clinique, Dora Karan a réalisé
4. Groupe encore contrôlé à ce jour par la famille Werthei- en 2003 un CA d’environ 5 milliards de dollars.
mer, dont la plupart des membres vivent en Suisse. 7. www.mondadoripub.fr.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.99 899

la classe 0901, qui comprenait alors 10 862 dépôts, Les marques notoires de parfums, comme par
alors que les emballages (cartonnage des flacons) exemple Guerlain6 , Chanel7 , "Joy" de Patou8 , béné-
figurent dans la classe 0903 qui comprenait 15 416 ficient d’une protection plus étendue, contre toute
dépôts. On lance régulièrement de nouveaux parfums, forme de parasitisme, du fait de leur notoriété (CPI,
et ceux qui génèrent peu de chiffre d’affaires sont art. L. 713-5). La jurisprudence rappelle toutefois
rapidement abandonnés. Mais on peut néanmoins qu’il convient de distinguer alors entre la notoriété du
affirmer qu’en France on doit commercialiser en nom et celle du flacon déposé à titre de marque, ainsi
même temps plus de 1 000 parfums différents1 . c’est à bon droit « que les premiers juges ont estimé
210.98 Protection des flacons. Nous ne revien- que si "Diva", "Shalimar" et "Magie Noire" avaient
drons pas dans le cadre de cette section sur le une renommée mondiale, les flacons de ces parfums
problème de la protection des « fragrances » des par- déposés comme marque ou modèle n’étaient pas en
fums et celui des « tableaux de concordance » auquel eux-mêmes largement connus du grand public »9 . La
nous avons déjà consacré une section. protection accordée par le droit des marques étant
assez large, constitue une atteinte à la marque "Joy"
Dans la pratique, les parfums sont donc essentiel-
l’impression du terme "Joy" sur des T-shirts, ou la
lement protégés par le biais de leurs flacons2 , qui
reproduction d’un modèle de flacon Chanel no 5 sur
peuvent être protégés au titre du droit d’auteur et
un poster destiné à vanter les mérites d’une carte de
qui peuvent également être déposés et donc protégés
crédit10 .
en tant que modèles ou même en tant que marques
tridimensionnelles. La contrefaçon s’apprécie selon les ressemblances
et non les différences et un détail insignifiant ne
Sous réserve de satisfaire à la condition d’origi-
suffit pas à l’écarter. C’est le cas par exemple pour
nalité et/ou de nouveauté les flacons de parfums
des flacons vendus en solderie « lorsqu’il résulte de
peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur
l’examen des flacons que la seule différence entre les
et/ou du droit des dessins et modèles. Ont ainsi été
bouchons résidant dans leur matériau et leur facture
jugés protégeables :
grossière, est sans effet sur la contrefaçon »11
« le modèle de flacon utilisé pour la commercialisation de Néanmoins le droit d’auteur, comme le droit des
l’eau de toilette du couturier Issey Miyake sous les marques marques ne peut protéger que des formes ou des
"L’eau d’Issey" et "Issey Miyake" car il révèle un parti signes individualisés : la protection de la loi ne peut
esthétique original résultant, non pas du choix d’éléments s’étendre à des idées ou à des genres. Ainsi, n’est pas
connus en eux-mêmes, mais de leur combinaison et de
protégeable l’idée de donner à des flacons la forme de
leur assemblage qui suffit à établir l’apport intellectuel de
minéraux12 .
ses auteurs et porte l’empreinte de leur personnalité »3
« le modèle de flacon utilisé pour la commercialisation 210.99 Un cas topique : le flacon du parfum Classic
du parfum "J’Adore" de Christion Dior qui se caractérise de Jean-Paul Gaultier. Une grande partie des litiges
par la forme d’une goutte d’eau, étirée, sur laquelle se fixe portant sur des parfums concernent ce modèle, ou
dans son prolongement un bouchon très allongé, composé ses déclinaisons, notamment en buste d’homme (Le
de nombreux anneaux métalliques superposés, lui-même
surmonté d’une boule en verre transparente [...] l’auteur a
ainsi manifesté par la combinaison de ces caractéristiques 420 ; pour le flacon du parfum Chanel no 5, TGI Paris, 3e
(...) l’empreinte de sa personnalité qui confère au flacon ch., 28 nov. 1997, Chanel c/Europay, PIBD 1998, III, 178.
son originalité »4 . 6. TGI Paris, 3e ch., 15 déc. 1982, RIPIA 1983, 228.
7. CA Paris, 4e ch., 9 mars 1983, RIPIA 1983, 225 – TGI Paris,
Peut constituer une marque valide « la forme [dis- 3e ch., 28 nov. 1997, Chanel c/Europay, PIBD 1998, III,
tinctive...] du conditionnement d’un produit » (CPI, 178.
8. TGI Paris, 3e ch., 19 mars 1997, Patou c/Zag, PIBD 1997,
art. L. 711-1 [c]). En conséquence, de nombreux fla-
III, 370.
cons de parfums sont de ce fait déposés au titre des 9. CA Paris, 4e ch., 19 mars 1992, Paolo c/Ungaro, Guer-
marques5 . lain et Lancôme, PIBD 1992, III, 445, n’ayant pas retenu
la notoriété des flacons exclut la contrefaçon de marque
au regard du principe de spécialité mais condamne néan-
1. Voir sur wikipedia.org l’article « Liste des parfums », qui moins le défendeur pour contrefaçon de modèle.
en novembre 2009 listait près de 540 parfums. 10.TGI Paris, 3e ch., 28 nov. 1997, Chanel c/Europay, PIBD
2. Sur les parfums et leurs flacons : J.-Y. Gaborit, Parfums – 1998, III, 178.
Prestige et Haute Couture, Office du Livre 1985, p. 174 11.CA Paris, 4e ch., 5 nov. 2003, INPAC c/IDI, Marc de la
– J.-M. Courset, 5 000 miniatures de parfums, éd. Milan Morandière, RDPI 2005, no 172, p. 33.
1995, p. 158. 12.T. civ. Seine, 8 juill. 1932, Ann. 1933, 365. Il a égale-
3. CA Paris, 4e ch., 17 sept. 1997, BPI c/Prestige, PIBD 1997, ment été jugé que n’est pas protégeable le fait d’utili-
III, 658. ser un conditionnement de parfum vendu dans le com-
4. CA Paris, 4e ch, 8 avr. 2005, Parfums Christian Dior merce pour y mettre de l’encre (CA Paris, 4e ch., 27 oct.
c/Technique de la Source, inéd. 1995, Arabian c/Dupont, PIBD 1996, III, 76). En matière
5. Pour un flacon de parfum Givenchy, CA Paris, 4e ch., de marques, le principe a été réaffirmé à propos d’une
29 mars 1989, Temps Medias c/Givenchy, PIBD 1989, III, bouteille par CA Paris, 13 juin 1997, PIBD 1997, III, 552.

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900 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

Male parfum le plus vendu en France au cours des Jean-Paul Gaultier, son parfum Classic correspondant
dernières années) qui font également l’objet de dépôts à la marque no 60 0167 ci-après reproduite :
au titre des marques.
Ce flacon de ce parfum, est très caractéristique en
ce qu’il a la forme d’un buste de femme. Le fait,
pour ne pas dire le principe ou l’idée de réaliser
un flacon ayant une forme de buste de femme ou
d’homme est à l’évidence une idée, puisqu’elle peut
être matérialisée par plusieurs formes distinctes. Elle
est donc de « libre parcours ». Tous les parfumeurs
peuvent donc, théoriquement, commercialiser des
parfums dans des flacons ayant une forme de buste.
D’ailleurs, la matérialisation de cette idée n’est pas
nouvelle puisqu’en 1937 la célèbre couturière Elsa
Schiaparelli avait lancé avec un grand succès un
parfum Shocking dont le flacon reproduisait un buste
de femme inspiré des formes généreuses de l’actrice
La société Schiaparelli a alors assigné la société
américaine Mae West. Étant précisé que ce parfum
BPI en contrefaçon en Allemagne devant le TGI de
a fait beaucoup parler de lui lors de son lancement
Hambourg, ainsi qu’en Italie devant le TGI de Padoue.
en 1937 et les années qui ont suivi. Il figure de ce
Ces deux jugements sont intéressants puisque devant
fait dans tous les ouvrages sur les parfums, et peut à
le TGI de Hambourg la société BPI a soutenu que
l’évidence être considéré comme notoire.
« (...) l’idée du buste de femme, existant également sous
forme de torse était, lors de la création du flacon de par-
fum, depuis plus de 100 ans un thème artistique courant
dénué de toute valeur créative »2 . Dans les deux litiges,
les jugements ont écarté la contrefaçon en indiquant
que le buste de la société BPI représentait sans la
moindre équivoque un buste de femme portant une
guêpière selon les caractéristiques types du modèle
féminin du styliste Jean-Paul Gaultier, qui lui don-
nait de ce fait un genre différent du modèle Shocking
de Schiaparelli, malgré la notoriété de ce dernier et
alors même que ces deux flacons avaient la même
forme, les même proportions, ainsi qu’une couleur
de « jus » très proche, comme on peut le constater
Parfum Shocking d’Elsa Schiaparelli sur la photo reproduite ci-dessous :
(versions 1938 et 1967)
Ce qu’on ignore généralement, c’est qu’en 1990-
1993, quand la société japonaise Shiseido, proprié-
taire de la marque Jean-Paul Gaultier, via sa filiale
française BPI, a voulu mettre sur le marché un fla-
con ayant la forme d’un buste de femme elle a alors
engagé des pourparlers avec la société Schiaparelli.
L’intégralité des archives et études sur ledit parfum a
été mise à disposition de la société BPI et « au cours
des négociations, la société BPI a demandé à la société
Schiparellei de cesser, au plus tard en décembre 1992,
la fabrication et la commercialisation du parfum Sho- Shocking de Schiaparelli (version 1980) – Classic
cking prévoyant un nouveau lancement du produit en de Jean-Paul Gaultier
1993 par la société Shiseido »1 . Mais, comme finale-
Notre propos n’est pas de critiquer les jugements
ment Shiseido n’a conclu aucun accord avec la société
rendus par le TGI de Hambourg et de Padoue, mais
Schiaparelli quelques mois plus tard elle lançait néan-
de souligner qu’ils ont admis le principe que l’idée de
moins, via sa filiale française BPI et sous la marque
réaliser un flacon ayant la forme d’un buste relevait

1. TGI Padoue (Italie), 14 août 1993. 2. TGI Hambourg, 11 novembre 1993 (inédit).

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.99 901

d’une idée non protégeable et que la contrefaçon ne société BPI à l’encontre du modèle « Catsuit for men »
pouvait être retenue dès lors que les modèles mettant et dans un arrêt de principe en date du 3 mai 2004
en œuvre la même idée se distinguaient par des détails a rejeté les demandes et l’action en contrefaçon de
(une poitrine plus proéminente et une guêpière sur la société BPI et ce quelque soit le droit invoqué en
le modèle Classic de Jean-Paul Gaultier), et ce alors notant que :
même que depuis son lancement le modèle Shocking
« Le flacon de "Catsuit for men" représente un torse
de Schiaparelli pouvait être considéré comme notoi-
d’homme robuste en noir, nu jusqu’au bassin [...]. Le
rement connu. flacon du "Male" représente un corps d’homme taillé fin
Le modèle Classic a ensuite fait l’objet de nom- en couleur bleu-vert avec des lignes blanches sans épaules.
breuses déclinaisons notamment en un modèle repro- Dans les deux cas l’idée est donc exprimée d’une manière
duisant un buste d’homme dénommé Le Mâle, qui est différente ce qui mène à une image générale différente »
le parfum pour homme le plus vendu en France depuis
quelques années et qui a été enregistré en tant que Saisi d’une action en contrefaçon à l’encontre de
marque no 65 2943, dont les caractéristiques visent, un ces deux mêmes parfums, le TGI de Bobigny a le
corps masculin vu de 34 , de couleur bleue translucide 23 mai 2006 rendu un jugement motivé qui rejetait
en verre dépoli, agrémenté de bandes blanches, lais- la contrefaçon, tout en en retenant néanmoins le
sant apparaître très visiblement l’empreinte du sexe, parasitisme, aux motifs suivants :
selon la représentation suivante. « Tout d’abord, il convient d’observer que loin d’être insi-
gnifiantes les différences des bustes, principalement celles
liées à la musculature beaucoup plus importante en ce qui
concerne le flacon JP L’Homme et à l’absence de rayure
blanche, la marinière étant dans l’esprit du public, un élé-
ment déterminant du style Jean-Paul Gaultier, le flacon
"Le Mâle" plusieurs fois primé étant manifestement le plus
largement connu, donnent une impression d’ensemble
complètement différente de sorte que, le style Gaultier,
même s’il est évoqué, ne sera pas reconnu pour tel.
Néanmoins, les seules ressemblances entre les flacons de
la Senteur Mazal et les flacons JP Gaultier tiennent à l’ab-
sence de bras, ce qui est imposé par l’utilisation de l’objet
destiné à contenir du parfum et à être manipulé ce qui
exclut tout appendice fragile, ainsi qu’à l’absence de tête
Ce qui est par contre contestable, voire même très ce qui est également imposé par la fonctionnalité de l’objet
grave c’est que depuis 15 ans, les tribunaux fran- qui doit se terminer par un bouchon ou un vaporisateur.
çais ont étendu le monopole accordé au flacon Clas- Aucune autre caractéristique propre au modèle JPG ne se
sic et à ses déclinaisons pour étendre son champ retrouve dans les modèles de la Senteur Mazal ni dans les
au point de condamner pour contrefaçon tous les proportions, le buste n’est pas coupé au même niveau, ni
modèles mettant en œuvre le principe d’un buste, y dans la musculature qui est beaucoup plus exagérée dans le
compris quand ces modèles se distinguent fortement modèle argué de contrefaçon, ni dans la matière ni dans la
du modèle déposé par Jean-Paul Gautier. Parmi ces couleur, les flacons n’étant ni transparents, ni de couleur
bleutée. Les différences entre les flacons de la société Sen-
affaires, on n’en citera qu’une portant sur deux par-
teur et les flacons JP Gaultier sont aussi importantes que
fums fabriqués licitement aux Pays-Bas importés en
celles existants entre ces derniers, le flacon Schiaparelli et
France par la société Senteur Mazal à savoir « Inmate les flacons Héros ou Cyrus. »1
for Men » et « Catsuit for men » dont les flacons sont
reproduits ci-dessous : En appel, la 4e chambre A de la cour d’ap-
pel de Paris dans un arrêt en date du 23 février
2007 a conclu à « des différences insignifiantes...
de nature à créer un risque de confusion dans l’es-
prit du public » au regard du droit des marques
et « à des différences mineures » au regard du droit
d’auteur2 , et condamné la société Senteur Mazal à
150 000 euros de dommages-intérêts pour contrefa-
çon et 100 000 euros de dommages et intérêts pour

1. TGI Bobigny, 23 mai 2006, PIBD 2006, III, 661 – DANS LE


e
« Inmate for men » « Catsuit for men » MÊME SENS, TGI Marseille, 6 ch., 15 mars 2010 (inédit) qui
écarte le grief de contrefaçon entre Inmate for Men et Le
Il convient de préciser que la Cour d’Appel d’Anvers Mâle de J-P. Gaultier.
avait déjà eu à connaître un litige diligenté par la 2. CA Paris, 23 févr. 2007, PIBD 2007, III, 423.

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902 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

parasitisme, étant précisé que cette société avait été la marque déposée 1’emporte sur 1’impression de dissem-
condamnée à 28 000 euros de dommages et intérêts blance, étant observé que le dépôt de la marque "Le Mâle"
en 1er instance, chiffre qui correspondait grossière- ne confère pas à la société B.P.I un droit à la protection
ment au chiffre d’affaires qu’elle avait réalisé avec la d’un genre, à savoir le buste en général.
vente de ses produits. En l’espèce, la marque déposée sous le no 95587225 cor-
Plus grave encore on pourrait citer des dizaines respond, selon la description de la partie civile, à un flacon
de produit parfumant évoquant "un corps masculin, sans
d’affaires où soit en première instance, soit en appel,
bras, fortement musclé, de couleur bleu sombre, déposé
les magistrats des TGI et cours d’appel ont reconnu
en couleur, dont la partie au-dessus de la taille est consti-
lors des audiences que les flacons argués de contrefa- tuée de bandes blanches et dont l’élément supérieur est
çon n’avaient aucun point commun avec les modèles argenté.
déposés par Jean-Paul Gaultier, en dehors du fait
Il y sera ajouté que le flacon n’évoque pas uniquement
qu’ils reprenaient le principe d’un buste, mais les juge- un torse masculin, qu’il s’agit en fait d’un tronc, présen-
ments et les arrêts rendus quelques semaines plus tard tant également fessiers et pénis, l’ensemble présentant une
ont néanmoins tous conclus à la contrefaçon. Appa- forme élancée ; que la musculature, qui n’est pas représen-
remment, la société japonaise Shiseido et sa filiale tée de manière apparente puisque le torse est "habillé",
française la société BPI, qui possèdent la marque Jean n’y est qu’habilement suggérée et qu’enfin, il se dégage
Paul Gaultier peuvent impunément reproduire les de l’ensemble une impression de style et d’élégance, très
principales caractéristiques du célèbre modèle Sho- "couture", nettement induite par l’élément le plus carac-
cking d’Elsa Schiaparelli, mais aucune autre personne téristique de la marque à savoir le contraste entre la nudité
physique ou morale n’a le droit de s’inspirer de ce suggérée et la présence, tout en transparence, de la célèbre
même modèle ! Ces affaires démontrent une fois de marinière du non moins célèbre couturier, Jean Paul Gaul-
tier, dont le nom est gravé sur le flacon et sur 1’emballage
plus qu’en France la propriété intellectuelle est un
qui représente une boîte de conserve.
droit à géométrie variable...
Or, il n’existe aucune similitude auditive ou phonétique
210.100 Un jugement exemplaire. Étrangement un avec la très "French Touch, Jean Paul Gaultier" induite
des meilleurs jugements rendus à propos d’une pré- par la marque "Kindlocks", reproduite de manière très
tendue contrefaçon de parfum Le Mâle de Jean-Paul apparente en lettres blanches sur fond bleu ciel sur le
Gaultier est due au tribunal correctionnel d’Agen. "packaging", lequel participe de la première impression
Dans ce litige qui portait sur le parfum Kindlooks for faite sur le consommateur et qui en l’occurrence ne pré-
Men, reproduit ci-dessous : sente aucune similitude avec celui de la marque "Le Mâle".
Il ne ressort pas davantage une impression générale de
ressemblance induite par le flacon, alors que le seul élé-
ment de comparaison réside dans l’emploi du genre buste,
d’ailleurs peu original en matière de parfum, et dans la cou-
leur argentée du vaporisateur qui ne constitue cependant
qu’un accessoire non protégé, le flacon Kindlooks repro-
duisant uniquement un buste masculin, nu, de forme
massive, trapézoïdale, à la musculature apparente et exa-
cerbée, de couleur bleu ciel, le tout constituant un clin
Kindlooks for Men Le Mâle de J-P. Gaultier d’œil évident à la musculature des Sylvester Stallone ou
autres Schwarzenegger...
Dans son jugement du 4 mars 2009, véritable déci-
sion de principe dont la motivation s’avère remar- Et il serait faire offense au "Mâle" de Jean Paul GAULTIER
quable au regard de sa justesse juridique, le tribunal de considérer que l’impression générale laissée par ces
deux flacons procède de références culturelles, visuelles et
correctionnel d’Agen a écarté tout acte de contrefa-
esthétiques identiques. »
çon1 aux motifs suivants :
« Le délit de contrefaçon doit être apprécié au regard de
l’existence d’un risque de confusion créé dans l’esprit
du consommateur moyen par référence aux caractères
distinctifs de la marque objet du dépôt qui lui confèrent
210.101 À la périphérie des parfums. On notera
une originalité et des droits à la protection, mais également également qu’à l’occasion d’un litige qui opposait la
globalement, par référence à une impression d’ensemble société Mandonnaud L’Univers Beauté (MUB) qui
à laquelle participent les éléments de similitude visuelle, avait déposé des photographies de l’intérieur d’un
phonétique ou conceptuelle que dégage le produit litigieux. magasin et de présentoirs de parfums à titre de
Le délit s’apprécie en effet in concreto et doit être consi- marques le TGI de Paris après avoir jugé que « MUB
déré constitué, lorsqu’une impression générale de ressem- ne pouvait par le dépôt de sa marque étendre ses
blance induite par la reprise d’éléments caractéristiques de droits à tous les intérieurs de parfumerie » a néan-
moins conclu à la contrefaçon de sa seconde marque
– celle portant sur les présentoirs – et lui a accordé
1. Confirmé en appel, CA Agen, 13 sept. 2010 (inédit). près de 30 000 euros de dommages-intérêts au titre

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.102 903

de la contrefaçon de marque et 80 000 euros au titre L’inexistence de l’une de ces trois conditions suffit
du parasitisme de ses investissements1 à écarter la protection de la loi ” 5 .
En matière de concurrence déloyale, la jurispru- Dans son traité de propriété industrielle, publié il y
dence est comme d’habitude plus contradictoire. a plus de quarante ans maintenant, le doyen Roubier
Ainsi, alors qu’il a été jugé que « l’utilisation d’un soulignait déjà que :
jus d’une même couleur – rose – ne constitue pas un
“ Il ne faut pas perdre de vue que la protection des articles
acte de concurrence déloyale dès lors que le deman-
de mode sera toujours gênée par le fait que la “mode”, au
deur n’est pas le seul à utiliser cette couleur »2 , la sens propre du mot, a un caractère quelque peu collectif et
concurrence déloyale a néanmoins été retenue suite que, pendant une période de temps correspondant à cette
à la commercialisation à un prix inférieur « d’un par- “mode”, les modèles ont toujours quelques ressemblances
fum situé dans la même famille que celle du deman- générales, par exemple, si la mode est à l’emploi de tel ou
deur »3 . Enfin, il a également été jugé que « cause tel tissu, de telle ou telle forme (imitation des modes d’un
un indéniable préjudice commercial à son concur- peuple ancien, égyptien, hindou...). On retombe alors dans
rent direct le parfumeur qui commercialise une nou- cette idée que le genre ou le type de fabrication ne peut
velle ligne de parfums dans un flacon et un emballage être protégé, mais seulement certains détails, car on ne
constituant une copie servile de ceux utilisés antérieu- pourra poursuivre un contrefacteur simplement lorsqu’il
rement par le concurrent, dès lors qu’elle entraîne un aura suivi la mode ; il faudra une reproduction presque
risque de confusion dans l’esprit du consommateur servile de la création envisagée pour qu’on puisse parler
de contrefaçon ; il ne suffira pas que le couturier ou la
moyennement avisé »4 .
modiste soient inspirés de la mode en cours. Comme l’a dit
fort heureusement la cour d’appel de Paris dans un arrêt
du 18 juillet 1934, “ils sont contraints de s’inspirer de la
SECTION 7 mode, c’est-à-dire du goût du moment, dans la nécessité
ASPECTS PROCÉDURAUX d’obéir dès lors à une conception passagère des lignes, des
formes, voire des couleurs” ; par conséquent, les robes,
les chapeaux, les manteaux et autres objets de la toilette
§1 féminine présentent à chaque saison, quant à leur aspect
Appréciation de la contrefaçon en matière général, un nombre relativement restreint de types, et la
de créations vestimentaires simple imitation du caractère général de ces types n’est pas
une contrefaçon ; il en serait autrement, toutefois, pour
210.102 Principe. D’abord on rappellera que “ la des ouvrages de modes d’un caractère plus important,
contrefaçon, en dehors de la reproduction établie, d’une science plus profonde (par exemple des robes de
suppose cour), qui échappent d’une manière plus complète au
– une œuvre protégeable, domaine public. ” 6
– la justification par le requérant de sa propriété Par ailleurs, la notion de « tendance de la mode »
intellectuelle, n’est pas une simple expression, contrairement à ce
– la nouveauté de la création. que l’on pourrait croire, car toutes les sociétés qui
opèrent dans le domaine de l’habillement utilisent
les services de professionnels qui établissent pour
chaque saison des « cahiers de tendances », dont les
principes relèvent d’ailleurs le plus souvent des idées
1. TGI Paris, 3e ch., 4 mai 1995, PIBD 1996, III, 168
non protégeables au titre du droit d’auteur. Dans cet
2. TGI Paris, 3e ch., 25 oct. 1996, Lancôme c/Prestige, PIBD
1997, III, 122 ordre d’idées, on peut citer un arrêt de la Cour d’Appel
3. CA Paris, 4e ch., 6 juin 1997, Kenzo c/Via Paris, RDPI 1997, de Nîmes qui a jugé que :
no 77, p. 27
4. TGI Paris, 3e ch., 3 juill. 1987, Couturier c/Dior, D. 1988, "Il est de principe qu’en matière de créations vestimen-
somm. 396, obs. J.-J. Burst. Cependant en appel la Cour taires, l’appréciation de l’existence de la contrefaçon d’un
d’appel de Paris a infirmé partiellement ce jugement au modèle doit se faire en tenant compte des effets de mode
motif que « le demandeur, qui n’a pas fait protéger qui impliquent par essence un certain nombre de simi-
par un dépôt de marque le décor qu’il revendique, n’a litudes. Le fait pour un modèle de s’inspirer de la mode
pas subi d’atteinte à un droit privatif ; mais prétendant ambiante n’est pas suffisant à caractériser une contrefa-
néanmoins contester à tout autre fabricant de parfum le çon et ce, alors même qu’en raison de l’effet de mode,
droit d’employer pour ses parfums un fond vert marbré, les modèles présentent toujours un certain nombre de
il a la charge de démontrer qu’un tel emploi lui préjudice ressemblances générales"7 .
en tant que source d’une confusion génératrice à son
détriment d’un détournement de clientèle » (CA Paris,
4e ch., 7 janv. 1988, Ann. 1989, 271). Également sur 5. T. com. Paris, 12e ch., 20 févr. 1990, Eres c/La Redoute,
la protection des flacons de parfums par la concurrence PIBD 1990, III, 439.
déloyale et le parasitisme : CA Paris, 4e ch., 18 mai 1989, 6. P. Roubier, La propriété..., t. II, p. 427.
Parfums Ungaro c/J.-J. Vivier, JCP CI 1989, I, 18706 ; PIBD 7. CA Nîmes, 2e ch. com. sect. B., 17 janv. 2008, Carrefour
1989, III, 519. c/TRB, Juris-Data no 002190.

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904 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

En tout état de cause, la protection accordée par le – ne peut porter que sur les éléments distinctifs du
droit d’auteur ou le droit des dessins et modèles, en modèle invoqué qui constituent la véritable création,
matière de créations vestimentaires : pris non pas d’une manière individuelle mais par
– ne peut avoir pour objet de conférer un droit l’aspect particulier qu’ils confèrent au modèle dans
privatif sur des éléments qui relèvent à l’évidence son ensemble.
d’un genre 1 ou du domaine public 2 , ainsi que sur Il en résulte donc que, pour les créations de la
des tendances de la mode ; mode qui relèvent du prêt-à-porter, l’appréciation
– ne peut protéger des éléments du dessin ou du de la contrefaçon implique une démarche analytique
modèle pris d’une manière indépendante 3 ; comportant trois phases distinctes, selon le modèle
dégagé par la jurisprudence américaine en matière de
logiciels 4 que nous préconisons pour l’ensemble des
arts appliqués, à savoir :
1. Par « genre », on entend une idée ou une « famille de 1◦ la décomposition des modèles considérés en
modèles » susceptible de multiplicité de formes diffé-
leurs éléments essentiels ;
rentes, car la loi ne protège que les modèles « déterminés
et individualisables ». On ne saurait, en effet, par une 2◦ une analyse de ces éléments afin d’écarter ceux
seule création obtenir un droit privatif sur des familles, qui ne sont pas protégeables, notamment parce (i)
ou des groupes de créations, ayant des caractéristiques qu’ils relèvent du domaine public par manque de
communes. Ainsi, si l’on peut déposer et donc obtenir un nouveauté, ou d’originalité s’ils relèvent de formes
monopole d’exploitation sur un modèle de tissu imprimé courantes dans le domaine vestimentaire (pour l’en-
comportant des cocotiers, on ne saurait pour autant reven-
diquer un droit privatif sur l’ensemble des « chemises
colure d’un col 5 ), ou (ii) qu’ils correspondent aux
hawaïennes » sur lesquelles figurent également des coco- tendances générales de la mode, et en vue d’isoler
tiers ou des palmiers (CA Paris, 4e ch., 13 juill. 1989. ainsi les éléments distinctifs et protégeables 6 ; et,
Creeks c/Euromarché. PIBD 1989. III, 675) – « La contrefa- 3◦ comparer les éléments protégeables du modèle
çon d’un modèle ne peut être retenue lorsque les seules avec les éléments identiques ou similaires du modèle
ressemblances existant entre deux modèles relèvent de la
reprise d’un genre et non de la reproduction des traits
argué de contrefaçon.
spécifiques du modèle invoqué » (CA Paris, 4e ch., 8 janv. En principe, il y a contrefaçon :
1992. Bernardaud c/MMPH. D. 1993. somm. 299. obs. – “ dès lors que les éléments essentiels et caracté-
J.-J. Burst) – « Si la contrefaçon s’apprécie selon les res-
ristiques du modèle sont reproduits et que les modi-
semblances et non d’après les différences, il n’en demeure
pas moins que la contrefaçon d’un modèle ne peut être fications et adjonctions opérées loin de permettre de
retenue lorsque les seules ressemblances existant entre distinguer le modèle contrefaisant, lui donnent seule-
deux modèles relèvent de la reprise d’un genre et non de la ment l’aspect d’une variante du modèle original ” 7 ;
reproduction de caractéristiques spécifiques d’un modèle – lorsque “ l’objet qui, à un détail près et non
opposé » (CA Paris, 28 sept. 1993, Gaz. Pal. 7 juin 1994,
essentiel, constitue la contrefaçon d’un autre modèle,
somm. 17) – Mais, a contrario, ce n’est pas parce qu’un
modèle appartient à un genre connu ou à un genre « lon-
guement exploité du fait d’un retour de mode » qu’on ne s’étende qu’à ce dessin ou à ce modèle pris dans son
peut se permettre de contester la validité d’un modèle bien ensemble.
particulier (CA Paris, 4e ch., 16 nov. 1992, Fini c/Optimum, 4. “Computer Associates International Inc. v. Altai Inc.” 982
PIBD 1993, III, 142 – CA Paris, 4e ch., 15 déc. 1993, EG F. 2d 693 [2d Cir. 1992].
c/MCB, PIBD 1994, III, 220). 5. TGI Paris, 3e ch., 13 juill. 1988, Pierlot c/Turquoise, PIBD
2. Il s’agit des éléments antériorisés de toutes pièces. Le droit 1989 III, 126.
privatif reconnu au déposant ne saurait dépasser les élé- 6. On ne saurait, suite à “ l’amélioration ” de la forme
ments de sa “ création ” pour y englober des éléments d’un modèle préexistant, revendiquer des droits privatifs
du domaine public (CA Paris, 4e ch., 22 nov. 1993, Serda- autres que ceux conférés par l’élément distinctif de cette
nelli c/bouvet, PIBD 1994, III, 161) – « S’il est vrai que la amélioration. “ Ne bénéficie de la protection édictée par
contrefaçon s’apprécie par les ressemblances encore faut- le droit d’auteur et le droit des dessins et modèles que
il que celles-ci ne proviennent pas d’un commun emprunt le modèle se différenciant de ses similaires, soit par un
au domaine public » (CA Paris, 13 déc. 1993, Comtois caractère de nouveauté, soit par une physionomie propre
c/Capelle, Gaz. Pal. 5 juin 1994, p. 16). et nouvelle. Sur la base de ces principes, la doctrine comme
3. Alors que le droit d’auteur peut s’étendre aux éléments la jurisprudence considèrent que l’auteur d’un modèle qui
d’une création ou même à sa composition, le droit des des- l’a déposé ne peut revendiquer de protection que pour
sins et modèles protège une forme “ figée ”. L’utilisation ce qui constitue en réalité, de sa part, une création, alors
d’éléments d’un dessin ou d’un modèle préexistant pour qu’il s’agit de l’application nouvelle d’un objet existant
créer par un assemblage une forme nouvelle et distinctive déjà antérieurement. Il ne saurait prétendre à un droit
n’est pas, sauf cas très exceptionnel, de nature à consti- exclusif sur les éléments que lui offre le domaine public,
tuer un acte de contrefaçon (CA Paris, 4e ch., 30 juin mais seulement sur les détails à l’aide desquels il a pu
1987, PIBD 1988, III, 117). Cette règle est, en réalité, le donner à cet objet une forme ou un aspect nouveaux, une
corollaire de l’application du “ principe de nouveauté ”. configuration distincte ” (T. com. Amiens, 8 nov. 1991,
Dans la mesure où la nouveauté ne peut être détruite PIBD 1992, III, 266, qui mérite d’être approuvé).
que si le dessin ou le modèle est antériorisé de toutes 7. TGI Paris, 3e ch., 13 oct. 1989, Doregrill c/MAD, PIBD
pièces, il est logique que la protection reconnue par la loi 1990, III, 122.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.102 905

la différence n’étant pas suffisante pour atténuer la On citera plus particulièrement un arrêt déjà
ressemblance aux yeux de la clientèle d’attention ancien, qui mérite d’être approuvé, en ce qu’il a rejeté
moyenne ” 1 ; une action en contrefaçon de modèle de veste en
– “ lorsqu’il y a reproduction même imparfaite des jugeant que :
caractéristiques essentielles du modèle ” 2 ; « la matière dans laquelle un vêtement est fabriqué est
– “ au regard des articles L. 335-2 et suivants du étrangère au domaine de la protection, celle-ci étant atta-
CPI, la contrefaçon d’un modèle est réalisée par l’at- chée uniquement aux formes linéaires ou plastiques. Les
teinte portée aux droits exclusifs de l’auteur par, autres caractéristiques énoncées sont pour les unes exclu-
notamment, la reproduction sans son autorisation sivement fonctionnelles (boutons à pression, patte avec
des éléments qui caractérisent l’originalité de son pression), pour les autres du plus grand classicisme. Que
œuvre. L’existence d’une confusion n’étant pas une les boutons à pression et la patte avec pression étant exclu-
sivement destinées à permettre la fermeture du vêtement
condition nécessaire à la caractérisation de la contre-
ne sont pas des éléments protégeables en tant que tels sur
façon ” 3 .
le fondement du droit d’auteur. Que des poches en biais,
Néanmoins, toutes ces décisions précitées, nous dès lors qu’elles ne présentent aucun décor, aucune coupe
semblent contestables dès lors qu’elles élargissent particulière, ne relèvent pas d’un effort créatif, ne confé-
le champ de la protection qu’il convient d’accor- rant pas au vêtement une physionomie propre et nouvelle,
der à des modèles vestimentaires, qui en réalité pas plus que les manches raglan dont l’origine remonte au
doivent être analysés dans leur ensemble et ne sau- XIXe siècle et doivent leur nom à Lord Raglan [v. Larousse
raient être décomposés dans leurs différents éléments, en cinq volumes]. »9
sauf à étendre la protection reconnue par la loi
Alors qu’en droit d’auteur, on ne distingue pas
d’une manière contestable et dangereuse, car sus-
entre la contrefaçon partielle et la contrefaçon totale,
ceptible de créer une très grande insécurité juridique,
certaines décisions ont admis la notion de contrefa-
compte tenu notamment des milliers de nouvelles
çon partielle, en matière de modèles, lorsqu’ils étaient
créations vestimentaires qui apparaissent quotidien-
reproduits “ dans leurs éléments essentiels ” 10 . La
nement tant en France qu’à l’étranger.
directive sur les dessins et modèles admet également
En principe, il n’y a pas contrefaçon lorsque : la contrefaçon partielle, dès lors que l’élément repro-
– “ les dissemblances relevées sont essentielles, et duit illicitement “ remplit les conditions de nouveauté
que les ressemblances éventuelles sont insuffisantes et de caractère individuel ” (art. 3.3.). Néanmoins,
ou inopérantes pour permettre de laisser prospecter dès lors que l’originalité d’un modèle résulte d’une
l’action en contrefaçon ” 4 ; appréciation globale de ce modèle, on ne saurait
– “ sur le modèle incriminé les éléments du modèle ensuite le décomposer en ses éléments constitutifs
revendiqué ne se retrouvent pas ” 5 ; pour conclure à la contrefaçon par la simple repro-
– “ un aspect d’ensemble nettement distinct des duction de certains de ses éléments. Dans ce sens, la
deux modèles en cause écarte tout grief de contrefa- 4e chambre A de la Cour d’Appel de Paris a jugé que :
çon ” 6 ; « Pour bénéficier de la protection au titre du droit d’au-
– “ les ressemblances entre les modèles ne résultent teur, doit être établi le caractère d’originalité du modèle
que d’emprunts communs au domaine public ” 7 ; comme constituant une création présentant des caracté-
ristiques esthétiques et exprimant la personnalité de son
– “ les ressemblances existant entre deux modèles
auteur au travers des choix qui lui sont propres. L’apprécia-
relèvent de la reprise d’un genre et non de la repro-
tion portée par la Cour doit s’effectuer de manière globale,
duction de caractéristiques spécifiques du modèle en fonction de l’aspect d’ensemble produit par l’agence-
opposé ” 8 . ment des différents éléments propres au modèle et non
par l’examen de chacun d’eux pris individuellement. En
conséquence, est protégeable au titre du droit d’auteur, le
1. CA Paris, 13 nov. 1978, RIPIA 1979, 181.
2. Com. 12 nov. 1992, no 89-17.584, Biotteau, NPT, RDPI modèle de robe bustier caractérisé par la combinaison de
1993, no 49, p. 74. quatre éléments : la forme boule de la jupe, l’aspect rec-
3. CA Paris, 4e ch. B., 16 mai 2008, Manoush c/Quelia, Juris- tiligne et tendu du bustier, deux pans de tissu cousus sur
Data no 365135 les côtés du bustier liés entre eux et constituant un nœud,
4. T. com. Paris, 12e ch., 20 févr. 1990, Eres c/La Redoute, les couleurs noir et blanc cassé marquant une opposition
PIBD 1990, III, 439. entre le bustier et le bas de la robe, alors que cette combi-
5. CA Paris, 4e ch., 5 févr. 1990, Liberty c/CSS, Cah. dr. naison lui confère une physionomie propre, le distinguant
auteur 1990, no 30, p. 16 – CA Paris, 4e ch., 5 mars 1990,
Pollen, Cah. dr. auteur 1990, no 30, p. 17.
6. CA Paris, 4e ch., 21 févr. 1983, Giraudy c/SA, D. 1985,
somm. 12, obs. J.-J. Burst. 9. CA Paris, 4e ch., 24 nov. 1993, Brajntich c/SARL, PIBD
7. DANS LE MÊME SENS, CA Paris, 4e ch., 22 nov. 1993, Serda- 1994, III, 164.
nelli c/Bouvet, PIBD 1994, III, 161. 10.CA Paris, 4e ch., 17 mars 1988, D. 1990, somm. 188, obs.
8. CA Paris, 4e ch., 28 sept. 1993, Soka c/Thorn, Gaz. Pal. J.-J. Burst – CA Paris, 4e ch., 4 juin 1992, Deville RDPI
7 juin 1994, somm. 17. 1993, no 49, p. 65.

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906 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

des autres modèles du même genre, qui traduit un effort sans démontrer l’existence de faits distincts »3 . Étant
créatif et un parti pris esthétique portant l’empreinte de également précisé que « le caractère servile d’une
la personnalité de son auteur. reproduction s’il constitue une circonstance aggra-
La contrefaçon se caractérise par les ressemblances et non vante de la contrefaçon ne caractérise pas un fait
par les différences. En conséquence, ne constitue pas une distinct de concurrence déloyale »4 .
contrefaçon d’un modèle de robe bustier, la robe qui n’en Par ailleurs, “ la liberté du commerce autorise
reprend pas les éléments originaux et qui ne présente pas
l’offre et la vente d’articles concurrents ” 5 , et “ il n’y
la même physionomie esthétique d’ensemble, alors que
a pas concurrence déloyale à imiter les fabrications
ces modèles diffèrent par leur coupe, la robe première
comportant une unique pince centrale triangulaire for- d’un concurrent, dès lors que ces fabrications ne sont
mant effet bouffant tandis que la robe seconde dispose pas protégées par un droit privatif et qu’il ne s’agit
de quatre pinces droites de chaque côté et d’une bande pas de copie servile ou de surmoulage ” 6 . En consé-
de smocks cousue au dos du bustier, que de plus, la par- quence, la simple vente de vêtements identiques ou
tie supérieure de la robe première est constituée d’une similaires à ceux d’un concurrent n’est pas suffisante
bande noire nouée, figée et asymétrique qui n’est nulle- pour constituer un acte de concurrence déloyale : (i)
ment destinée à être défaite ou accommodée tandis que d’abord, parce que les commerçants peuvent avoir
la robe seconde comporte un simple bustier sur le côté le même fournisseur, ou enfin, (ii) parce que si les
duquel sont cousus deux larges rubans longs qu’il est pos- modèles ne sont pas protégés par un droit privatif, ils
sible de nouer librement de façon souple, et qu’enfin, la sont alors dans le domaine public, et donc, à la libre
forme et le positionnement de ces rubans sur un côté de disposition de tous 7 .
la robe, à mi-hauteur entre le bustier et la jupe, rendent
impossible, même lorsqu’ils sont noués, l’obtention d’un La concurrence déloyale qui implique des pratiques
effet similaire à celui du nœud-décolleté figé du modèle “ contraires aux usages loyaux du commerce ” ne peut
premier »1 . résulter que d’une faute établie et d’une volonté déli-
bérée de bénéficier de la réputation ou de l’achalan-
Comme la protection accordée par le droit d’auteur dage d’autrui en créant une confusion dans l’esprit
et/ou le droit des dessins et modèles ne porte que du public. Aussi, la concurrence déloyale résultera
sur la forme “ visible ” des modèles, dès lors qu’un plus, dans ce domaine, de la confusion créée dans
modèle protégé est reproduit dans ses caractéristiques l’esprit du public par des emballages ou des présen-
essentielles, la contrefaçon est constituée même si le tations identiques (ou similaires), que de la vente
modèle contrefaisant a été réalisé matériellement par de produits identiques ou similaires (par ex., concur-
un procédé ou avec un matériau différent. Ainsi, il a rence déloyale par l’utilisation d’emballages et d’éti-
été jugé que : quettes similaires pour des chaussures 8 ). Cependant,
“ Constitue la contrefaçon d’un modèle [un autre modèle “ la concurrence déloyale, consistant à produire une
lui] ressemblant à un point tel qu’il y a possibilité de confusion entre deux articles ne peut exister lorsque
confusion pour le client d’attention moyenne. Il importe l’article dont l’imitation est invoquée, n’a pas été indi-
peu que les galons incriminés de contrefaçon ne soient vidualisé et qu’il n’est pas précisé en quoi cet article
pas fabriqués suivant la même technique que le modèle, se différencie de ses similaires ” 9 .
dès lors que les conditions de fabrication n’ont aucune Le simple fait de vendre un vêtement de moindre
incidence sur les apparences. ” 2
qualité ou à un prix moins cher qu’un concurrent

§2 3. CA Nîmes, 2e ch. com. sect. B., 17 janv. 2008, Carrefour


Action et demandes distinctes en c/TRB, Juris-Data no 002190. – DANS LE MÊME SENS : “en
concurrence déloyale se fondant, pour prononcer une condamnation distincte
de celle résultant de la contrefaçon de modèles, sur des
210.103 Principe. L’action en concurrence déloyale faits qui ne se distinguent pas de ceux caractérisant cette
n’est recevable que si le demandeur invoque des faits contrefaçon, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code
civil” (Com. 19 janv. 2010, n◦ 08-15.338, 08-16.459, 08-
distincts, des faits allégués de contrefaçon. En consé-
16.469, NP, Infinitif c/Céline, CCE avr. 2010 n◦ 4 p. 30 §
quence, « il y a lieu de rejeter l’action en concurrence 32 note Caron)
déloyale dès lors que le titulaire de l’œuvre invoque 4. CA Paris, 4e ch. A., 13 mai 2009, Amar c/Sté Lipsy Clo-
des faits qui ont déjà été retenus au titre de la contre- thing Ltd, Juris-Data no 006113).
façon, à savoir la reproduction de certains motifs des 5. CA Paris, 4e ch., 13 juin 1990, Mend’Import c/Sancho,
tissus imprimés utilisés pour des maillots de bains, Ann. 1992, 98.
6. CA Paris, 4e ch., 4 déc. 1990, Snera c/Autax, Ann. 1992,
62.
7. CA Paris, 4e ch., 20 mars 1996, Tucker c/Galeries
Lafayette, PIBD 1996 III-420.
1. CA Paris, 4e ch. À, 11 févr. 2009, Paule Ka c/Zara, Juris- 8. CA Paris, 4e ch., 13 juin 1990, Mend’Import c/Sancho,
Data no 001868. Ann. 1992, 98.
2. CA Paris, 4e ch., 26 avr. 1977, Seaminex c/Houles, Ann. 9. CA Lyon, 2 mai 1944, Digonnet c/Bechetoille, Ann.
1978, 216. 1940/1948, 369.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.104 907

ne constitue donc pas en soi un acte de concurrence Ce risque doit être évalué d’une manière objective,
déloyale 1 , car la contrefaçon produit nécessairement comme c’est le cas en matière de marques, et au
des économies de coûts, et d’autant plus que l’alléga- regard de consommateurs moyennement avisés et
tion de vente à moindre ou à vil prix doit éventuelle- moyennement attentifs. Mais, dans de nombreux cas,
ment être pondérée pour tenir compte de la spécificité les modes et circuits de distribution sont de nature à
des circuits de distribution, ou de la moindre qualité écarter ce genre de risque. Dans ce sens il a été jugé
des matériaux utilisés. Il a ainsi été jugé que : que :
« si la vente d’une copie servile d’un modèle à un prix « Il est nécessaire, pour caractériser l’existence d’actes de
inférieur est susceptible d’aggraver le préjudice résultant concurrence déloyale, de prouver l’existence d’un risque
de la contrefaçon, elle ne constitue pas des faits distincts de de confusion avec les produits commercialisés par un
concurrence déloyale, d’autant moins que le prix de vente concurrent. En conséquence, ne constitue pas un acte de
du modèle contrefaisant, s’il est effectivement inférieur à concurrence déloyale la vente de bijoux fantaisie répliques
celui du modèle original, ne peut être considéré comme de bijoux de joaillerie, alors que par l’usage du terme "no 1
vil »2 ; du luxe jetable", qui s’accompagne de la vente à des prix
« ne constitue pas un acte de concurrence déloyale, la vente correspondants à des produits de fantaisie et par l’usage de
d’un produit copiant servilement le produit du concurrent, l’accroche publicitaire "réplique de joaillerie", la clientèle
alors que la différence du prix entre les deux produits, ne se trompe pas sur l’origine du produit et n’est pas
le produit du concurrent étant vendu 260 et la copie invitée à se détourner des sociétés de prestige, la qualité
servile 200 HT, ne caractérise pas une pratique de prix des bijoux n’étant pas de même nature »6 .
anormalement bas »3 ;
En ce qui concerne le parasitisme, qui « repose sur
« ne constituent pas des actes de concurrence déloyale, la la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de
commercialisation de copies serviles de modèles de robes
façon injustifiée, une personne morale ou physique
de mariée à un prix inférieur, alors qu’il n’est pas démontré
s’inspire ou copie une valeur économique d’autrui,
que le prix pratiqué serait vil »4 .
individualisée et procurant un avantage concurren-
En conséquence, dans la majorité des cas ne consti- tiel, fruit d’un savoir faire, d’un travail intellectuel
tue véritablement un acte distinct de concurrence et d’investissements, la demande formée à ce titre
déloyale que la vente à perte. ne peut aboutir, alors que le demandeur ne produit
La concurrence déloyale peut aussi résulter d’autres aucune pièce relative à ses investissements »7 .
actes, notamment de l’existence d’une confusion
dans l’esprit du public sur l’origine des produits5 . §3
Evaluation des dommages et intérêts
1. CA Paris, 4e ch., 10 mars 1994, TP c/Cocoprince, Gaz. Pal. 210.104 Principe. Indépendamment du fait que
28 janv. 1995, somm. p. 15 ; RDPI 1994, no 53, p. 67 l’évaluation des dommages et intérêts doit en matière
– CA Paris, 4e ch., 24 mars 1994, Errarie c/New Licence,
RDPI 1994, no 53, p. 65. de créations vestimentaires et d’articles de mode, être
2. CA Paris, 4e ch. A., 20 sept. 2006, Jaspe c/Axara, Juris- effectuée au regard des principes de l’Accord ADPIC
Data no 312300 – DANS LE MÊME SENS, « la pratique de et de la directive du 29 avril 2004 relative au res-
meilleurs prix ne saurait être répréhensible au regard de la pect des droits de propriété intellectuelle, qui ont été
liberté du commerce. En conséquence, ne constitue pas retranscrits imparfaitement par la loi du 29 octobre
un acte de concurrence déloyale, la commercialisation 2007, dans la mesure où celle-ci ne distingue pas
de jupes contrefaisantes, alors que ne sont établis ni un
entre les différentes catégories de contrefacteurs, et
effet de gamme ni la vileté du prix » (CA Paris, 4e ch. A.,
13 mai 2009, Amar c/Sté Lipsy Clothing Ltd, Juris-Data notamment « celui qui raisonnablement ne pouvait
no 006113) – Également dans ce sens CA Paris, 18 nov. pas savoir qu’il portait atteinte aux droits de propriété
2009, Pôle 5 ch. 1, Trois Suisses c/Repetto, accessible intellectuelle de tiers », ce qui est souvent le cas en
sur www.inpi.fr qui précise que « si le prix de vente du matière de créations vestimentaires qui ne sont pas
modèle contrefaisant (25 euros) est effectivement très
inférieur à celui du modèle original (170 euros), il ne peut
être considéré comme vil, la différence des prix trouvant concurrence déloyale, alors qu’il n’est pas démontré un
sa justification essentielle dans la différence des matières risque de confusion entre les produits » (CA Paris, 4e
utilisées ». ch. A., 21 janv. 2009, Lopez-Negrete c/Ferrero France,
3. CA Paris, 4e ch. B., 4 déc. 1998, Twincky c/Helena Mod, Juris-Data no 001664).
Juris-Data no 023635. 6. CA Paris, 4e ch. B., 5 déc. 2008, Camille & Lucie c/Dior,
4. CA Paris, 4e ch. A., 27 janv. 2003, Cymbeline c/G2M, Juris-Data no 006013.
Juris-Data no 206139. 7. CA Paris, 4e ch. À, 11 févr. 2009, Paule Ka c/Zara, Juris-
5. « Le commerce est libre sous réserve du respect de cer- Data no 001868 – DANS LE MÊME SENS, « il convient
taines conditions tenant notamment, à l’absence de faute de rejeter la demande formée au titre du parasitisme,
par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de alors qu’il n’est pas produit de justificatifs quant à la
la clientèle sur l’origine du produit, préjudiciable à l’exer- réalité des investissements effectués ou du savoir-faire
cice paisible et loyal du commerce. En conséquence, il déployé » (CA Paris, 4e ch. A., 21 janv. 2009, Lopez-
convient de rejeter la demande formée au titre de la Negrete c/Ferrero France, Juris-Data no 001664).

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908 2. PRATIQUE DES APPLICATIONS

emblématiques. Mais, même si l’on considère les dis- pas correspondre aux profits réalisés par le contrefac-
positions de l’article L. 331-1-3 du CPI, ou de l’article teur, il peut également lui être supérieur. L’évaluation
L. 521-7 du CPI, dans leur formulation qui résulte de du préjudice est donc une question de fait qui doit
la loi du 29 octobre 2007, à savoir que : tenir compte des caractéristiques du modèle et du
marché considéré 3 . Ainsi, il a été jugé que :
« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend
en considération les conséquences économiques négatives, “ Si le titulaire du modèle n’occupe qu’une part limitée
dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les du marché des chaussures “genre bateaux” et si un déclin
bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits et le consécutif à un phénomène de mode a pu être constaté
préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de par les observations statistiques, il demeure que le titulaire
l’atteinte. » du modèle avait mis sur le marché un produit nouveau
et de grande finition, qu’il pouvait espérer commerciali-
On peut d’abord en conclure, si l’on prend en ser au prix le plus avantageux, et que le contrefacteur, en
considération « les conséquences économiques néga- fabriquant le produit incriminé qui, bien que technique-
tives, dont le manque à gagner, subies par la partie ment différent, présentait pratiquement le même aspect
lésée » que celles-ci sont pour ainsi dire nulles, dès avec une moindre qualité qui lui permettait de vendre
lors que le demandeur n’exploite pas ou n’exploite à moindre coût, a ainsi pris au titulaire du modèle des
plus son modèle1 , ce qui est très souvent le cas en ventes ; il y a lieu d’évaluer les ventes manquées à 20 % de
matière de créations vestimentaires ou d’articles de la masse contrefaisante. Pour le surplus, à savoir 80 % des
mode, qui ne sont souvent exploités que pendant une ventes, il convient d’appliquer au chiffre d’affaires restant
saison. un taux de redevance indemnitaire. Sur les ventes man-
quées, s’agissant d’un produit nouveau et haut de gamme
Par ailleurs, la notion de conséquences écono-
sur lequel le bénéfice est le plus haut, c’est le résultat net
miques négatives, dépend fortement du taux de trans- courant impôt qui doit servir de base de calcul, et non le
fert ou de report des consommateurs du produit résultat net comptable applicable à toutes les productions
authentique vers le produit argué de contrefaçon. de l’entreprise prises dans son ensemble : en effet, en se
L’approche de la réparation doit, de ce fait, être fondée basant sur cette moyenne, l’évaluation aboutissait à négli-
sur la “nature emblématique” de la création vestimen- ger une perte de préjudice. Pour le calcul de la redevance
taire incriminée. En d’autres termes, il convient de indemnitaire, il y a lieu de la fixer au taux de 5 %. ” 4
déterminer si l’élément reproduit illicitement consti-
Dans le même ordre d’idées, on ne peut qu’ap-
tue ou non un facteur déterminant dans le choix des
prouver l’arrêt rendu, le 24 novembre 1993, par la 4e
consommateurs. Dans ce contexte, les dommages-
chambre de la cour d’appel de Paris pour avoir limité
intérêts auxquels le demandeur pourra prétendre :
à environ 3 000 euros le préjudice réparable au motif
– seront particulièrement élevés et pourront
“ que l’aspect strictement décoratif et protégeable du
atteindre l’ensemble du chiffre d’affaires générés
modèle n’était pas déterminant dans le choix du
par la vente des modèles contrefaisants, dès lors que
client ” 5 .
ces modèles sont très caractéristiques et sont de ce
Les tribunaux allouent également des dommages-
fait emblématiques (d’ailleurs, dans cette hypothèse,
intérêts pour l’atteinte portée au droit moral de l’au-
la contrefaçon de modèle se double généralement
teur du modèle original, et plus particulièrement pour
d’une contrefaçon de marque, comme c’est le cas –
l’atteinte à son droit de paternité ou à son droit à
par exemple – pour la vente de faux polo Lacoste) ;
l’intégrité de son œuvre. Mais, là encore il convient
– seront peu élevés, ou ne seront que symboliques
de tenir compte du principe de proportionnalité des
(et donc réparés par une indemnité de nature forfai-
délits et des peines, principe général du droit qui
taire), dès lors que les éléments reproduits sont peu
figure aujourd’hui à l’article 49.3 de la Charte des
distinctifs, et qu’il n’a donc pas constitué un facteur
Droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi
d’achat déterminant.
et surtout du fait que la notion de droit de paternité
Par ailleurs, au regard d’un principe général bien
établi en droit français, le noyau dur de l’indemnisa-
tion repose sur le “ gain manqué ” 2 . Celui-ci peut ne marge brute sur les ventes perdues, T. com. Paris, 13e ch.,
29 oct. 1086, SEB c/Tournus, PIBD 1987, III, 40.
3. CA Paris, 4e ch., 1er oct. 1992, Ascot c/Gaultier, PIBD
1. « Le propriétaire du modèle n’exploitant pas son modèle 1993, III, 35, qui alloue environ 15 000 euros de
ne peut prétendre qu’à une redevance indemnitaire » dommages-intérêts à la société du couturier J.-P. Gaul-
(CA Paris, 4e ch., 3 mars 1988, Dismat, Ann. 89, 180) – tier, suite à la contrefaçon d’un modèle de veste d’inspira-
DANS LE MÊME SENS, CA Paris, 4e ch., 20 mars 1995, Helios tion autrichienne – TGI Paris, 3e ch., 4 févr. 1993, Vauclair
c/Grosfilex, Ann. 1995, 220). c/Cotonnade, PIBD 1993, III, 331, qui alloue 22 000 euros
2. Sur les modes de calcul du gain manqué, T. com. Bobigny, pour la contrefaçon d’un modèle de chemisier.
3e ch., 27 janv. 1993, Grosfillex c/LCF, D. 1993, somm. 4. CA Paris, 4e ch., 21 févr. 1991, Technisynthèse c/Noèl
300, obs. J.-J. Burst – CA Paris, 26 févr. 1992, Ozastex Frame, Ann. 1992, 331.
c/L’Indémaillable, D. 1993, somm. 300, obs. J.-J. Burst – 5. CA Paris, 4e ch., 24 nov. 1993, Brajntich c/SARL, PIBD
La perte subie est généralement calculée à partir de la 1994, III, 164.

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210. CRÉATIONS VESTIMENTAIRES ET ARTICLES DE MODE 210.105 909

est étrangère aux créations vestimentaires, et qu’il est Lille le 4 juin 2010, il a été constaté que bien qu’en
difficile de considérer que la modification d’un article matière de dommage intérêts les législations de tous les
de mode puisse porter atteinte à l’intégrité de ce type pays européens avaient été harmonisées par la directive
d’œuvres. En conséquence, les dommages alloués à CE n◦ 2004/48 du 29 avril 2004, dans la quasi-totalité
ce titre doivent rester symboliques.1 de ces pays (et notamment dans les pays nordiques
et en Belgique) il était exceptionnel que les tribunaux
210.105 Droit comparé et européen . Lors d’un accordent plus de 50 000 € de dommages-intérêts en
atelier européen sur la mode et la loi qui s’est tenu à réparation des actes de contrefaçon de droit d’auteur.

1. La majorité des décisions rendues il y a quelques années


allouaient de 3 000 euros (TGI Paris, 3e ch., 4 févr. 1993,
Vauclair c/Cotonnade, PIBD 1993, III, 331) à 5 000 euros
en réparation du préjudice moral subi par l’auteur du
modèle du fait des actes de contrefaçon. À NOTER cep. un
arrêt de la 4e chambre de la cour d’appel de Paris qui avait
accordé environ 8 000 euros au couturier J.-P. Gaultier en
réparation de son préjudice moral, suite à la contrefaçon
d’un de ses modèles de veste d’inspiration autrichienne
(CA Paris, 4e ch., 1er oct. 1992, Ascot c/Gaultier, PIBD
1993, III, 35).

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