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Un siècle de costume masculin, 1690-1790,

L’évolution de « l’Habit à la Française »


Reconstituer le XVIIIe siècle se heurte en premier lieu à la réalisation des costumes, particulièrement complexes, portés au « Siècle des
Lumières ». La difficulté de traiter cette période ne tient pas aux lacunes documentaires puisque contrairement à des époques antérieures très
pratiquées par les reconstitueurs (le Moyen Age essentiellement), les bibliothèques, dépôts d’archives, musées débordent de témoignages ou
d’objets permettant d’approcher au plus près tous les détails de la vie quotidienne. Nous avons même la chance de conserver en très grand
nombre des costumes et des accessoires vestimentaires contemporains, ce qui permet de coller étroitement à la réalité des textiles et des pratiques
techniques des tailleurs, corsetiers, couturières et autres lingères.
Mais cette richesse en terme d’information cache également quelques difficultés : la plupart des vêtements réels aujourd’hui conservés ont
appartenu aux sphères les plus favorisées de la société, alors que les tenues populaires se comptent sur les doigts d’une main.
Par ailleurs, il n’est plus question comme pour, par exemple, le XVe siècle, de reconstituer un costume en proposant une interprétation,
plus ou moins contestable et perfectible, d’une image du temps. L’objectif est bel et bien d’atteindre la perfection technique, facile à constater sur
les vêtements réels, des professionnels de la mode au XVIIIe siècle, ce qui n’est pas une mince affaire. Il faut en plus, de surcroît, s’imprégner du
goût de l’époque et devenir capable de choisir les étoffes, les couleurs, les motifs, les éléments de décor, les accessoires qui tombent « juste » par
rapport à la période souhaitée. Au XVIIIe siècle comme aujourd’hui, l’empire de la mode était incontournable et nul ne s’y pouvait soustraire, à
moins de vivre en plein bois comme les humbles charbonniers. Mais le renouvellement annuel, voire bisannuel des habitudes vestimentaires nous
est devenu particulièrement difficile à appréhender.

Le but de ce dossier est de fournir une documentation technique générale sur les pièces principales du costume masculin au cours du
XVIIIe siècle. Nous avons particulièrement insisté sur la coupe et le patronage de ces vêtements en illustrant ce dossier de patrons issus
d’exemplaires réels conservés dans des musées.
Chacun(e) devrait pouvoir être en mesure, à partir de ces modèles, de réaliser un costume bourgeois correct, en utilisant un simple drap de
laine uni de bonne qualité. Mais si vous êtes tentés par des gardes-robes plus luxueuses, vous pouvez choisir un satin ou un taffetas de soie, unis,
bien épais, un velours ras (proscrire les velours « frappés » ou côtelés), plus difficile à travailler.
Prudence pour les tissus à motif, les décors brodés, les galons ; le XVIIIe siècle est une période incroyablement raffinée et il faut souvent
très peu de chose pour transformer un costume authentique en déguisement de marquis pour farces et attrapes. La compétence technique ne
protège pas des terribles fautes de goût. Faire simple est, au moins au démarrage, le meilleur moyen de faire vrai.

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Premier époque : 1670-1700 : Les premiers justaucorps sont étriquées, longs et collent étroitement
au corps.

L’habit masculin tel qu’il est porté au XVIIIe siècle et que


l’on a encore aujourd’hui tendance à appeler « habit à la française »,
est en fait né…. En Angleterre…, vers le 18 octobre 1666. Il est rare
de pouvoir donner une date aussi précise à un phénomène
vestimentaire aussi révolutionnaire, mais plusieurs chroniqueurs
anglais décrivent la fierté de Charles II d’Angleterre, revêtant pour la
première fois la veste « à la persane » le justaucorps et la culotte,
tandis que la brassière, la rhingrave et le manteau étaient encore
portés à la cour de son jeune rival Louis XIV.
« L’habit carré » (c’est ainsi qu’on le nomme au XVIIe siècle), est
l’ancêtre direct de notre costume trois pièces d’aujourd’hui et
représente le vêtement par excellence de l’homme de qualité au
Siècle des Lumières, la période la plus raffinée que l’Europe ait
connue.
Le terme « habit » désignait d’ailleurs à l’origine la totalité des
pièces composant ce costume, en l’occurrence le justaucorps, la
veste (avec ou sans manches) que l’on porte au dessous, et la culotte
resserrée au genou couvrant les cuisses.

A partir du milieu du XVIIIe siècle, le terme justaucorps tend Voici ci-dessus deux vêtements de ce type datant de 1673 et 1680.
à disparaître, puisqu’on le baptise de plus en plus communément On remarque la coupe rigoureusement droite des devants, les
habit, tandis que la veste, qui perd ses manches depuis que l’on nombreux boutons très serrés et les poches fixées très bas. Le
prend l’habitude d’enfiler redingotes, fracs et surtouts pour se justaucorps de droite comporte un boutonnage des poches très
protéger des froidures de l’hiver, devient le gilet. caractéristique du XVIIe siècle : sur les dix petits boutons, seuls
ceux des extrémités sont effectivement prévus pour être boutonnés.
Ces différences pièces de vêtement ont connu, au cours du XVIIIe
siècle, une subtile évolution que nous allons tenter de brosser ici.

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Le patron donné ci-dessous (vers 1700) donne un autre modèle de
poche, ainsi que le détail assez complexe des parements de manches
divisés en plusieurs segments par une série de pinces stabilisés par
des coutures.

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Nous donnons également le patron d’un justaucorps des années 1700, conservé au V & A à Londres.

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Seconde époque : 1700- 1767 :
A la fin du règne de Louis XIV, le costume masculin adopte un certain nombre de caractères qui vont rester remarquablement stables jusqu’à
la fin du règne de Louis XV. Les justaucorps longs, près du corps et à la coupe très simple, comme nous l’avons vu ci-dessus, vont avoir tendance à
se cintrer à la taille, tandis que les basques prennent un énorme volume. L’excédent de tissu tombant sur les fesses est amorti par une série de plis en
accordéon rayonnant depuis un bouton fixé à la taille. Le justaucorps se raccourcit, les poches remontent vers la taille (à la hauteur des boutons du
dos). Les boutons, auparavant très serrés et de petite taille, augmentent de diamètre et sont cousus à des intervalles plus larges. Ils disparaissent le
long de la fente du dos, où ne subsistent que des boutonnières décoratives.

Tissus et couleurs : En dehors des éternelles étoffes unies (drap de laine, taffetas de soie, velours ras), les tissus utilisés pour tailler la garde-
robe masculine évoluent subtilement pendant la période évoquée ici. L’usage veut que quant on commande un habit à son tailleur, les trois pièces du
costume (justaucorps, veste et culotte) soient taillées dans la même étoffe. Le bon goût recommande de porter ces éléments ensemble, mais les
portraits du temps révèlent que ce principe était régulièrement transgressé, puisque l’on portait parfois une veste plus riche que le reste de l’habit. A
la fin du XVIIe siècle, on affectionnait encore, dans le contexte de la cour, des tissus à grands motifs végétaux richement rebrodés. Un exemple en
est montré sur l’image de gauche, à l’extrême gauche. Ce type de décor assez envahissant est toujours à la mode au début du XVIIIe siècle avec la
mode des soieries dites « bizarres », souvent produites en Italie et dont les étranges motifs abstraits s’inspirent des chinoiseries. Mais on ne les
utilise guère que pour tailler les vestes, le reste de l’habit étant plus sobre. Cette simplicité gagne et les grands motifs disparaissent progressivement,
remplacés par des semis caractéristiques qu’illustrent le tissu de droite sur la photo ci-dessous à gauche, les deux habits de droite sur le cliché du
centre et l’habit de l’image de droite. Cette étoffe était qualifiée de droguet et ces motifs répétitifs ornaient également les velours (habit ocre, photo
du centre).

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Habit et veste vers 1740 ;
Le raccourcissement de l’habit et la remontée des poches sont notables. Les deux boutons qui marquent la taille dans le dos sont encore relativement
bas et restent très écartés. Ils servent de point de part aux nombreux plis ménagés de part et d’autre des fesses qui réunissent l’excédent de tissu des
basques, et qui forment une véritable « jupe » dont l’ampleur est parfois accentuée encore par deux petits bourrelets remplis de crin fixés à la
doublure. Noter la longueur de la veste, encore presque identique à celle du justaucorps.

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Veste (gilet), vers 1730 :
C’est encore un vêtement presque aussi long que l’habit que l’on porte dessus. Une série de liens, à l’arrière, permet de le rendre réglable afin qu’il
prenne bien le ventre. La mode exigeait qu’on le laisse entrouvert pour montrer la finesse de sa cravate ou le jabot de sa chemise. Le boutonnage est
ici limité à la taille et ne descend pas, contrairement à celui de l’habit, jusqu’au bas des devants.

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Patron de justaucorps vers 1727.

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Patron de justaucorps et de culotte vers 1730.

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Patron de justaucorps, vers 1735, montrant l’énorme développement des basques. Notez la pièce carrée ABCD (le cran), qui permet de compenser le
vide créé par la formation des deux plis formés de part et d’autre de la fente du dos. C’est certainement le détail le plus délicat à reconstituer.

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Habit, vers 1750-1760 :

L’habit reste long avec des basques fort amples, mais la largeur des parements s’est réduite et ces derniers sont maintenant « en botte » (fermés sous
le dessous de la manche). Le boutonnage reste continu, du col au bas de l’habit. Cependant, les pans de l’habit ont tendance à s’écarter sur le ventre,
révélant le gilet.

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Veste (gilet), vers 1750-1760) :

La coupe des devants de la veste s’échancre également sur les cuisses, les cinq boutons du bas sont purement décoratifs et ne sont pas destinés à être
fermés. La veste n’étant jamais porté seule, le dos est le plus souvent taillé dans un tissu grossier (grosse toile), tandis que seuls les devants sont
réalisés dans un tissu plus riche assorti à celui de l’habit et de la culotte. Afin de donner de l’ampleur aux hanches, les côtés de la veste, taillés en
forme de triangle, sont plissés en forme de « godets » (cf. dessin ci-dessous, à droite)

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Patron de justaucorps, de veste et de culotte,
d’après l’art du tailleur de Garsault
Les domaines du vêtement et de l’apparence
occupant une part essentielle au XVIIIe siècle
(c’est le premier luxe de l’honnête homme, celui
qui permet de briller en société quel que soit le
statut ou la richesse réelle que l’on possède),
cette période voit la naissance d’une véritable
industrie du costume, préfigurant le « prêt-à-
porter » actuel. Standardisation, modèles, décors
-type apparaissent. Les habits sont brodés
d’avance sur des pièces d’étoffe que l’on taille
après coup aux mensurations du client. Les
traités techniques se multiplient, chaque corps de
métier (encore régi par des règles corporatives
très strictes), étant chargé des différentes pièces,
accessoires ou éléments de décor concourrant à
l’ensemble du costume. Publié en 1761, le traité
de l’Art du tailleur, de Garsault, est le premier
ouvrage synthétique traitant des métiers du
costume, tant féminin que masculin, illustré de
nombreuses gravures consacrées aussi bien à
l’histoire du costume depuis l’Antiquité, qu’aux
détails de coupes, de montage, d’installation
d’ateliers etc… Les planches de l’Encyclopédie
reprendront sans modification (alors qu’ils sont
pour certains d’entre eux démodés), les patrons
donnés par Garsault.

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Troisième époque, 1767-1791 :
A partir de la fin des années 1760, le costume masculin connaît une évolution radicale. Il semble que ce soit la réforme de l’uniforme
militaire français, après les défaites de la Guerre de Sept ans, qui ait été à l’origine de cette nouvelle mode. Avec les règlements de 1762 puis de
1767, l’armée royale adopte un nouvel uniforme inspiré des tenues étriquées et économes en tissu que les armées prussiennes puis autrichiennes
avaient distribuées à leurs troupes.
Ces nouveaux habits dégagent largement le ventre, laissant apparaître le gilet, facilitent la marche en réduisant considérablement les basques,
tandis que les parements de manches collent à l’avant-bras. Enfin, un petit collet droit se développe à l’encolure.
Cette nouvelle silhouette étriquée plaît, le goût « anglomane » ayant mis à la mode les tenues pratiques, sobres et confortables de la « gentry »
campagnarde britannique et le vêtement civil adopte la nouvelle coupe militaire. Cette révolution vestimentaire s’accompagne également d’une
modification technique discrète, mais décisive : la coupe du dos de l’habit se simplifie et adopte un principe nouveau, encore en usage aujourd’hui
(voir plus loin).
Les autres éléments du costume connaissent une évolution comparable : le gilet se raccourci très nettement, ses basques s’écartant pour dégager le
pubis. Enfin, la culotte change de coupe : la culotte « à la bavaroise » dite également « à pont » remplace la culotte à braguette.

Tissus et couleurs :
En dehors des éternels draps de laine, velours ras et taffetas de soie unis,
les étoffes de la fin du XVIIIe siècle sont en général ornées de petits motifs
géométriques. C’est l’âge des velours miniatures, décorés d’un semis de points ou
autres petits ornements répétitifs, aux couleurs assez contrastées. A partir des
années 1780, la mode des rayures déferle. Elles sont fines, verticales, soulignées
par des couleurs violemment opposées.
Les broderies somptueuses qui enrichissent les habits contrastent souvent
avec ces étoffes aux semis géométriques par leurs larges motifs végétaux et
floraux traités avec naturalisme.
Les chroniqueurs du temps détaillent avec délectation les teintes raffinées portées
par les « petits maîtres » parisiens, ces dandys toujours au fait des modes. « Boue
de Paris », « Entrailles de petits maîtres », « Puce », « Caca Dauphin »,
«Merd’oye »…
La mode se répand de porter un gilet d’une couleur (surtout claire) et d’un décor
différents que ceux de l’habit et de la culotte.

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Quelques beaux exemples des broderies
ornant les habits des années 1780, sur des
tissus unis (satins de soie) ou rayés. Noter
les gilets clairs. Les étoffes des culottes
sont assorties à celles des habits.

La photo de droite, en bas, montre une


veste de chasse en buffle, qui pouvait être
portée seule ou sous un habit de drap.

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Patron d’habit, de gilet et de culotte vers 1770. La culotte est encore une culotte à braguette.

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Quatre habits vers 1770-1780, illustrant les variantes de coupe du principal vêtement masculin peu de temps avant la Révolution. Les deux habits de
gauche, encore amples, conservent, malgré la réduction des parements des manches, la silhouette antérieure à la « révolution » des années 1770. En
revanche, la coupe des dos est moderne : les plis des basques se sont rapprochées du centre du dos et les deux plis parallèles à la fente du dos ont
disparu. L’habit en haut à droite est plus conforme à la nouvelle mode : les basques sont étroites, le ventre dégagé, l’encolure soulignée par un petit
col renversé « à l’anglaise », la coupe du dos plus cintrée. En revanche, bien qu’apparemment identique, l’habit en bas à droite est encore taillé, au
niveau du dos, conformément à l’ancienne mode : la fente du dos est encadrée de deux plis parallèles, le cran étant inséré au sommet de la fente,
dont les bords sont cousus bord à bord. Le petit collet droit est « à la française ».

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Patron d’habit et de culotte vers 1780 :

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Patron d’habit galonné et de gilet vers 1775 ;

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Quelques détails techniques : En dehors du rétrécissement général des formes, la plus grande modification que connaît l’habit vers 1770 consiste
en une subtile évolution de la coupe du dos. Les deux dessins ci-dessous vous permettent de comprendre cette révolution discrète, naturellement
invisible sur la plupart des portraits et de l’iconographie d’époque, mais que révèle l’étude des vêtements conservés :

A gauche, le détail du dos d’un justaucorps vers 1740-1750. La fente centrale est bordée de boutonnières fictives (non ouvertes, puisqu’elles ne sont
pas destinées à recevoir des boutons). Elle est également encadrée de deux plis (signalés par les flèches), réalisés grâce à l’excédent de tissu que l’on
a pris soin de prévoir dés la coupe, comme le révèlent les patrons reproduits plus haut. La formation de ces deux plis laisse un vide bouché par deux
pièces d’étoffe rectangulaires, les crans, cousues au sommet de la fente. Ce raccord est dissimulé par les boutonnières. Ces plis et l’étoffe en
excédent qu’ils retiennent ont une fonction très précise : ils évitent que les rebords de la fente, cousus bord à bord, ne s’écartent disgracieusement
lors de la marche, ce qui révèlerait le fond de la culotte. Les deux plis latéraux sont naturellement indépendants des très nombreux plis en accordéon
qui partent des deux boutons de la taille et qui regroupent l’excédent d’étoffe des basques.

A droite, le détail du dos d’un habit vers 1780. En premier lieu, remarquez la position des boutons de la taille, maintenant beaucoup plus rapprochés,
au dessus des fesses. La fente du dos ne comporte plus de boutonnières et les deux plis qui l’encadraient précédemment ont disparu. Pour éviter que
la fente ne baille, les deux pans du bas du dos sont superposés, le pan supérieur, à gauche, étant taillé avec un petit décrochement en angle droit
(voir la flèche), lui permettant de bien couvrir le pan de droite, qui passe au dessous. Nos manteaux et pardessus modernes ont conservé ce
dispositif.

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