Cet enfant était bien affublé d'un pantalon d'homme, mais il ne le
tenait pas de son père, et d'une camisole (1) de femme, mais il ne la tenait pas de sa mère. Des gens quelconques l'avaient habillé de chiffons par charité. Pourtant il avait un père et une mère. Mais son père ne songeait pas à lui et sa mère ne l'aimait point. C'était un de ces enfants dignes de pitié entre tous qui ont père et mère et qui sont orphelins. Cet enfant ne se sentait jamais si bien que dans la rue. Le pavé lui était moins dur que le cœur de sa mère. Ses parents l'avaient jeté dans la vie d'un coup de pied. Il avait tout bonnement pris sa volée. C'était un garçon bruyant, blême, leste (2), éveillé, goguenard (3), à l'air vivace et maladif. Il allait, venait, chantait, jouait à la fayousse (4), grattait les ruisseaux, volait un peu, mais comme tous les chats et les passereaux, gaîment, riait quand on l'appelait galopin (5), se fâchait quand on l'appelait voyou. Il n'avait pas de gîte, pas de pain, pas de feu, pas d'amour ; mais il était joyeux parce qu'il était libre. Pourtant, tout abandonné que fût cet enfant, il arrivait parfois, tous les deux ou trois mois, qu'il disait : « Tiens, je vais voir maman ! » [...] - Il arrivait à la masure (6) Gorbeau, où habitait sa famille- Il y arrivait et il trouvait la pauvreté, la détresse, et, ce qui est plus triste, aucun sourire ; le froid dans l'âtre et le froid dans les cœurs. Quand il entrait, on lui demandait : – D'où viens-tu ? Il répondait : – De la rue. Quand il s'en allait, on lui demandait : – Où vas-tu ? Il répondait : – Dans la rue. Sa mère lui disait : Qu'est-ce que tu viens faire ici ? Cet enfant vivait dans cette absence d'affection comme ces herbes pâles qui poussent dans les caves. Il ne souffrait pas d'être ainsi et n'en voulait à personne. Il ne savait pas au juste comment devaient être un père et une mère. Du reste sa mère aimait ses sœurs. Nous avons oublié de dire que sur le boulevard du Temple on nommait cet enfant le petit Gavroche. Camisole (1) vêtement, qui se portait par-dessus la chemise.
Leste (2) Agile, souple
Goguenard (3) Moqueur, se dit d'une personne qui aime faire des blagues, se railler, mais de façon plutôt bienveillante, avec humour, pas pour blesser.
Fayousse (4) Jeu consistant à introduire le maximum de pièces ou de cailloux
dans un trou.
Galopin (5) Enfant espiègle, effronté.
Masure (6) Petite habitation misérable, maison vétuste et délabrée.
TEXTE 2 Ça y est, les résultats sont tombés sur Facebook: je suis Boudin de Bronze. Perplexité. Après deux ans à être élue Boudin d’Or, moi qui me croyais indéboulonnable, j’avais tort. J’ai regardé qui a remporté le titre suprême. C’est une nouvelle, en seconde B; je ne la connais pas. Elle s’appelle Astrid Blomvall. Elle a des cheveux blonds, beaucoup de boutons, elle louche tellement qu’une seule moitié de sa pupille gauche est visible, le reste se cache en permanence dans la paupière. On comprend tout à fait le choix du jury. Le Boudin d’Argent a été décerné à une petite de cinquième, Hakima Idriss. C’est vrai qu’elle est bien laide aussi, avec sa moustache noire et son triple menton; on dirait un brochet. Notre cher ami Malo a posté des commentaires sous les photos des dix-huit filles en lice. Il m’a rendu hommage : « La compétition a été rude, mais Mireille Laplanche, quoi qu’il arrive, reste pour moi la reine absolue des Boudins. Ses gros mollets gélatineux, son menton en forme de patate et ses petits yeux de cochon resteront gravés dans nos mémoires pour l’éternité. » Il y avait déjà plein de J’aime (78). J’ai ajouté le mien (79). TEXTE 3 Matilda avait commencé ses études un peu tard. La plupart des enfants ont entre quatre et cinq ans lorsqu’ils entrent à l’école pour la première fois. Mais les parents de Matilda, peu soucieux de l’éducation de leur fille, avaient oublié de faire les démarches nécessaires en temps voulu. Elle avait donc cinq ans et demi quand elle franchit le seuil de son école. L’école du village était une ingrate bâtisse de brique appelée école primaire Lamy-Noir. Elle comptait environ deux cent cinquante élèves, âgés de quatre à onze ans révolus. La directrice, la patronne, la toute-puissante souveraine de l’établissement était une terrifiante matrone. Mlle Legourdin. Naturellement, Matilda avait été mise dans la plus petite classe en compagnie de dix-sept garçons et filles de son âge. Leur institutrice s’appelait Mlle Candy et devait être âgée d’environ vingt-trois ou vingt-quatre ans. Elle avait un ravissant visage ovale et pâle de madone avec des yeux bleus et une chevelure châtain clair. Elle était si mince et si fragile qu’on avait l’impression qu’en tombant elle aurait pu se casser en mille morceaux, comme une statuette de porcelaine. Mlle Jennifer Candy était une personne douce et discrète qui n’élevait jamais la voix, que l’on voyait rarement sourire mais qui possédait le don exceptionnel de se faire adorer de tous les enfants qui lui étaient confiés. Elle paraissait comprendre d’instinct l’effarement et la crainte qui envahissent si souvent les petits entrant pour la première fois de leur vie dans une salle de classe et contraints d’obéir aux ordres reçus. Un chaleureux rayonnement, pour ainsi dire tangible, illuminait les traits de Mlle Candy lorsqu’elle s’adressait à un nouveau venu, éperdu d’inquiétude, arrivé dans sa classe. Mlle Legourdin, la directrice, était d’une autre race : c’était une géante formidable, un monstrueux tyran qui terrorisait également élèves et professeurs. (à poursuivre en production écrite)