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2. ÉTUDE DES PERSONNAGES

La joueuse de go

C’est une jeune lycéenne de 16 ans. Elle vit avec sa famille dans une petite ville de Mandchourie, parfois désignée
comme la Cité des Mille Vents. Ses parents sont issus de riches familles pékinoises, mais ils ont vécu quelques années
en Angleterre avant de revenir s’installer en Chine : « Je suis née dans la brume londonienne » (p. 40), dit-elle. Elle a une
sœur ainée, Perle de lune, dont elle est proche.

On n’apprend son nom qu’à la fin de l’œuvre (« Je m’appelle Chant de nuit », p. 325) et le lecteur doit attendre la rencontre
avec le soldat japonais pour avoir une description physique de la jeune fille : « Elle lève la tête, front large, yeux bridés
comme deux feuilles de saule délicatement dessinées. […] Poitrine plate et cheveux noués en deux tresses, elle porte en
elle l’ambiguïté de l’adolescence qui fait des filles des garçons travestis. » (p. 155)

C’est une jeune fille rêveuse et mélancolique. Les futilités de son âge ne l’intéressent pas : malgré ses 16 ans, elle se sent
très concernée par les troubles de son époque. Révoltée, elle revendique une liberté qu’on ne donne pas toujours aux
femmes : elle refuse de se marier et affirme son désir de jouer au go parmi des hommes, jeu où elle excelle. Elle établit
ainsi sa domination sur les hommes. C’est un personnage complexe, à la fois puéril et mature, se cherchant un autre
destin. Elle incarne la jeunesse troublée de la Chine de son temps.

Le soldat japonais

Ce jeune homme de 24 ans est originaire de Tokyo. Il est très attaché à ses frères et sœurs, dont il est l’ainé, et à sa mère.
Il a été traumatisé par le séisme de 1923 qui a dévasté Tokyo, mais également sa famille. La mort de son père qui en a
découlé le hante et l’embarrasse d’une grande responsabilité : devenu chef de famille, il prend son rôle très au sérieux et
se préoccupe de l’honneur avant tout.

Le jeune japonais est obnubilé par la mort : « Après le séisme, je me mis à éprouver de la répulsion et de la fascination
pour la mort. » (p. 86) Il intègre alors très jeune l’armée japonaise (« À seize ans, ma vie a recommencé », p. 86) et devient
lieutenant. Il est entièrement dévoué à l’utopie impérialiste de son pays et éprouve une haine farouche à l’égard des
terroristes qui la mettent en cause.

Mais derrière ce patriotisme exacerbé se cache une fascination secrète pour le peuple chinois : il a appris leur langue au
contact d’une nounou mandchoue qui a su lui prodiguer tendresse et réconfort. Le personnage rigide et pétri d’honneur
évolue ainsi au fil de l’œuvre, partant d’un cliché du soldat fanatique pour s’individualiser par les sentiments.

Ce personnage conserve toujours un anonymat troublant : on ne connait pas son nom, il est seulement désigné par la
joueuse de go comme l’Inconnu. On n’en trouve pas non plus de description physique puisqu’il est déguisé. Son identité
est ainsi floutée, à l’image de sa personnalité trouble et ambigüe. Par ce procédé, l’auteur insiste aussi sur son statut de
soldat japonais et ce qu’il implique dans la relation qu’il entretient avec la jeune fille.

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3. CLÉS DE LECTURE

La métaphore du jeu de go

Le titre l’annonce : le jeu de go est au centre du roman. Le go est un jeu de stratégie abstrait d’origine chinoise.

L’œuvre de Shan Sa a pour fond la guerre sino-japonaise et le lecteur s’aperçoit rapidement que le jeu symbolise cette
guerre. Le vocabulaire utilisé pour décrire les parties est significatif : il est question de technique d’encerclement et les
pions sont assimilés à des soldats (« Nous campons nos soldats aux intersections », p. 175). Le fait qu’une chinoise et un
japonais s’affrontent sur le damier est évidemment révélateur : ils rejouent sans le savoir les conflits qui les entourent.
Mais si le go représente la guerre, la réciproque est également vraie dans le roman : « Conduit par l’ordre, [le soldat] se
déplace en ignorant la direction et le sens de sa marche. Un pion parmi d’autres. » (p. 201) Ainsi, au fil du roman, la guerre
réelle devient elle-même un jeu de go aux yeux du narrateur.

Le jeu de go est également une métaphore de l’amour. Au début de l’œuvre par exemple, la jeune fille joue son mariage
avec le cousin Lu et sa victoire est sa façon de refuser sa demande. De la même façon, elle prévoit des stratégies
amoureuses en anticipant les coups de son adversaire, ici son amant :

Dans une telle situation, au jeu de go, on opte pour une troisième solution : attaquer
l’adversaire là où il s’attend le moins. Demain, lorsque Min viendra me chercher place des
Mille Vents, je ferais semblant de ne pas l’apercevoir. […] Je demanderai : « Min, qui est
Tang ? ». Il me jurera sa fidélité. Je feindrai la colère. (p. 169)

Par ailleurs, le jeu permet de connaitre son adversaire et de plonger dans son âme : « Le go reflète l’âme. La sienne
est méticuleuse et froide » (p. 175), « Le pion trahit l’esprit » (p. 185). C’est au fil des stratégies et en silence que les deux
personnages tombent amoureux, les encerclements prenant la forme d’étreintes. Ainsi, ce jeu stratégique pouvant
durer des jours est semblable à une conversation intime : si très peu de mots sont échangés entre les deux joueurs, ils
communiquent à travers leur façon de jouer et en viennent ainsi à approcher l’âme de leur adversaire.

Le go est au centre de l’intrigue, la jeune fille affirme même que « [l]’existence n’est qu’une partie de go » (p. 275). Shan
Sa rapporte ainsi tous les évènements de la vie au jeu : que ce soit la guerre ou l’amour, tout se joue comme sur un
damier. La structure du roman elle-même est également une métaphore du jeu de go. Les courts chapitres alternant
les narrateurs sont semblables aux coups de deux adversaires qui jouent chacun leur tour. Comme au go, la jeune fille a
l’avantage puisqu’elle prend la parole la première, mais c’est le soldat qui achève la partie. Le jeu se termine avec la mort,
comme le roman : « On encercle l’ennemi des chimères pour cette seule vérité qu’est la mort. » (p. 294)

Un roman d’apprentissage

Un roman d’apprentissage, aussi appelé « Bildungsroman », raconte le parcours d’un individu inexpérimenté, souvent
jeune, qui se construit et fait ses armes au contact des aléas de la vie. La Joueuse de go est le récit de l’apprentissage de
deux personnages qui évoluent en parallèle. Le lecteur ne suit leur cheminement que pendant quelques mois, mais les
trouve à un moment capital de leur existence, dans un contexte tourmenté propice à la maturité.

L’héroïne chinoise a 16 ans. Au début du roman, elle est jeune, naïve, puérile et capricieuse : son seul intérêt réside dans
le jeu de go. Elle refuse de grandir : « Les années passent et je contemple avec angoisse le crépuscule de mon enfance. […]
Il désire que je le rejoigne dans le monde des adultes, sans savoir que ce monde-là, triste et vaniteux m’effraie. » (p. 36)

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