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j-es qełsonnages fóminins du roman de Ken

Bugul i la recherche de l'amour


et du plaisir

Anna swoboda
Universite de Silćsie. Katowice. Pologne
E-mail : annaswoboda@vp.pl

,,ume :

,fiicle montre comment la production


romanesque de ken Bugul.
: des ecrivaines sćnegalaises łes plus
connues, reprćsente des
nnages feminins d la recherche
de l'anrour ; il^;i;isir. En
, :ant Rilł,an
ou le chemin rle sctble et Mes
hommesa.,ri,'nou, nou.
--ntrons sur l'identite des,personnages
fóminilrs ;"i;;;;;;"rait d
;:s leLlrs relations avec les ńoro-"r,
--enres sexuels łn, qu. sur la source de leurs
et intimes dćcoulant souvent de
la societe etlou de
;: t'ance.

:._clćs : amour, plaisir, sexualitó, Ken Bugul,


Senógal

- rduction

,ir ken Bugul, l'une des pionnieres


de la littćratrrre fćminine
,=:iaise, la question de la sextlalite
-:,e, conrme elle et des relations intinres est
l'avoue d Jeanne-Sarah de r*qri..-l".s
;.]3Il I
d'un

\la relation avec la.sexualitć est etrange.


Je n'ailne pas le Sexe;
pt).lrtalrt. pendant toute.ma vie j'ai
ćtć empćtrće dans l'envirottnement
,eruel, comme une petite.fille, une jeune
fille, une jeune femme. une
iellllIe, Je me prćoccupe de l,amourit
de la sexualirj, .".l. ,r" .onnais
ri l'un, ni l'autre7. (in Azodo et de Larquier,2009:323)

relationship with sexuality is strangę.


l do not like sex. yet throughout mv
te, I have been entangled in the
,.iuul .n"i.onment by being a ,'n,. *i.i]'i
71
Depuis son premier roman, Le baobab fou, l'ecrivaine brise des
tabous socio-traditionnels entourant des pratiques telles la prostitution,
la promiscuitć ou l'homosexualite.Lapublication de ce rócit, en l982,
a provoquć un scandale tel que l'óditeur contraignit l'auteure au choix
d'un pseudonyme. Ce fut Ken Bugul qui signifie en wolof < celle, dont
personne ne veut )), un nom donnć aux nouveau-nes en signe de
protection. Pour Ken Bugul, dont le vrai nom est Maridtou Mbaye
Bilćoma, ćcrire sous ce pseudonyme revient ż se forger une nouvelle
identitć d travers laquelle elle peut librement parler de ses expćriences
et de ses traumatismes. Le prćsent article se propose d'analyser trois
personnages feminins buguliens - la narratrice ainsi que Ranra de
Riwąn ou le chemin de sable, et Dior de Mes hommes d moig - ż la
recherche de l'amour et du plaisir. Dans les deux rćcits tómoignant des
expćriences de l'auteure, la narratrice-protagoniste est d la qu€te d'<< un
ćchange humain ), un rapport ómotionnel avec d'autres en mesure de
combler son manque affectif. Pouńant, ces rćcits contiennent une part
de fabulationo ce qui en fait des autofictions. Riwan ou le chemin de
sable decrit le retour de la narratrice au Sónćgal et son mariage avec un
marabout. L'histoire de Rama, une jeune fille offerte au saint homme d
l'dge de seize ans, constitue un contrepoint dans le roman, tenu pour
l'óloge de l'union polygame. Mes hommes d moi, publić neuf ans plus
tard, prćsente l'image d'une femme plus mflre, ćmancipće dans la
sociótć occidentale.
Nous entendons donc lire les sociogrammes de l'amour et du plaisir
dans les romans etudićs tout en comparant les comportements des
personnages fćminins dans leurs relations intimes. Afin de rćinscrire la
conduite de nos sujets dans un cadre socioculturel, nous convoquons la
sociocritique, prćcisćment la thóorie de Claude Duchet pour qui le
sociogramme est ( un ensemble flou, instable, conflictuel de
reprósentations partielles, en interaction les unes avec les autres,
gravitant autour d'un noyau, lui-móme conflictuel > (citć par Tournier,
1993 : 49). Par ailleurs, nous analysons diverses reprćsentations de
l'amour et du plaisir, reflets des discours sociaux sónegalais et
occidentaux. Le discours social, quant żr lui, est < le on du texte, et sa

young girl, a _young woman, a woman. I preoccupy myself with sexuality and love
because I know neither. > C'est nous qui traduisons.
8
Les titres Riwan ou le chemin de sable et Mes hommes d moi seront respectivement
abreges RćS et MHM pour les refćrences dans la suitę de nos analyses.
72
-,llneur. le dćjd-dit d'une ćvidence pró-existante au roman et par lui
:ndu manifeste > (Duclręt, 1979 : 453). En premier lieu, nous etudions
_r sexualitć et l'amour au sein de l'union polygame, pour voir si la
,:tist-action sexuelle et l'epanouissement afł'ectif de la narratrice autant
,le de Ranra dependent de leurs 6ges et vćcus respectifś. Nous
.l]ordons encore leurs techniques de seduction et leurs stratćgies
_'adaptation dans l'union polygame. En second lieu. nolls nous
-,lncentrons sttr Dior et son jeu a la f-enrme emancipee occidentale,
_ )ans cette logique, nous demontrons comment la trarratrice-
,:(,)tagoniste se comporte dans ses relations intimes.
Nous nous
,:,nchons ćgalement sllr sa rćactiorr face au regard
masculitr qui la róduit
:rn objet sexuel. Enfin" nous essayons de savclir si la quóte de l'amour
- ..1Lr plaisir des trois personnages analyses est une rćussite.
{mour et sexualitó dans l'union polygame

Riw,an otł l.e chemin de sable serait le temoignage de la resolution


_;s problćmes intimes de Ken Bugul. La narratrice-protagoniste. une
-:ntenaire rentree dans son village rratal senćgalais aprds un sćjour
en
.lrope. devient la 28' epouse du Serigne, un lronrmę saint selon la
,.dition mouridę. L'lristoire de la narratrice
rappelle le propre vócu de
:ilt€ufe qui a, elle-móme, a ĆpousĆ un vieux marabout" Age de plus de
..itre-vingts ans alors qu'elle n'en avait que trente-deux. De Iait. le
,;:igne incarne les figures du pdre et du grand-pdre. Le personnage du
,.]ge aux origines absolues > qtti a guóri la protagoniste de ses ptrlsions
- \€tl$€311ce, lui a fait decouvrir l'individu tapi en elle et a eflbce.
-onlme par miracle ). tous les mauvais souvenirs de sa mćmoire, est
.si mentionrrć dans Mes hommes d nloi (214.215), L'idćalisation de
. personnage commence dans Riwan tlu le chemin de sctble. En tant
: substitut du pere et du grand-pćre, |e Serigne reprćsente l'af}'ection.
. :J$€sse. la stabilitć et les principes nroraux.
l-a narratrice-protagoniste rentre d'Europe sans mari, sans enfant et
,.s argent, apres y avoir vecu des expćriences traumatiques. Att
_:legal. elle est rejetće par sa famille et prise pour une fblle. Ainsi, son
.,:iage avec le Serigne. l'homme le plus respecte du village. la
rbilite au sein de son groupe social. Contrairement ż ses coćpouses.
:,arratrice dócide elle-rnóme de suivre le Ndigueul. un principe de ła
,trine mouride exigeant de se soumettre volontairement et
:lplćtenrent d la volontć du Serigne qui reprósente la volorrtć du Dieu.

l3
Pour cette raison, elle a une position spćciale dans la concession
marabout : < Privilógiće parce que je n'ćtais pas remise, pri
parce que je n'Ótais plus une petite fille, privilógiĆe parce que peut-ctre
i'avais connu d'autres hommes, privilćgiće parce qu'ayant connu
chose, mon choix d'ótre une ópousę du Serigne avait plus de valeur
(RCS : I72).
La nanatrice souligne plusieurs fois sa libertć de choix,
oratoire adressće implicitement au lectorat fćministe occidental mal e
l'aise avec sa dćcision de rejoindre un foyer composć de
femmes et ot un seul homme (Rofheart,z}I4: 64) rćgne en
absolu. A trarrers ce schóma apparaissent les premidres reprósentations
conflictuęlles du sociogramme de l'amour : la narratrice se situe i
opposĆ du di Scours occidental, malS elle rejette parallćlement
des fćministes africaines qui critiquent la polygamie. Pour reprendre les
propos de Gallimore, < la narratrice semble reproduire le schema du
discours nćgritudien [...] auquel les fćministes africaines se sont
catćgoriquement opposees > (in Azodo et de Larquier, 2009 : 197). Bien
que son choix soit libre, elle n'a pas plusieurs altematives : le
avec le Serigne reste la voie pour se rćintćgrer d sa sociótó d'
(Coly, 2010 : 27) tel qu'elle l'explique : < Je n'avais plus le choix.
J'ćtais lżr parce que je ne savais plus ot aller. La disponibilitć que j'
pour recommencer, pour apprendre, pour Ótre, pour vivre, m'avait
permis d'accepter que tout d'un coup on m'annongAt que j'ćtais mariće
ż un homme ir mon insu [...] > (nCS : 145).
Sa situation sociale est donc l'une des raisons qui explique son choix
d'ópouser le Serigne. Toutefois, et le rćcit le souligne plusieurs fois,
narratrice retrouve surtout un lien sentimental et intellectuel avec
marabout. Elle est < celle avec qui il discutait, avec qui il mangeait,
qui il demandait son avis > (RC§: 170). Cette complicitć luipermet
se sęntir supćrieure żr ses coópouses.
M6me si la protagoniste demeure un peu żr l'ćcart des autres
du Serigne, elle participe ż leur vię. Les ćpouses du saint homme
vivent que dans l'attentę de passer une nuit avec lui : entre-temps,
se parfument, s'habillent et se font belles. En effet, < Qui possćdait
sexe, possódait le mari > (RCS: l98), assure la narratrice. Elle
apprendre d ne pas ótre jalouse quand le Serigne appelle une de
coópouses ou prend une nouvelle epouse. En consóquence, il n'y a
qu'une issue : se doter d'une arme puissante, en l'occurrence
sóduction.

74
du
giće Maintenant je coInprenais pourquoi dans certaines rćgions d'Afl-iq
ótre I'óducation sexł-lelle des petites f'illes ćtait l'initiation la plus importan
Des femmes specialisćes, iderltifićes dans la colnllltlnautć. prenaient
utre
charge les jeunes filles d eduquer et se retiraient avec elles dans
ur >
lieux secrets. pour leur apprendre les techniques de la seduction.
|'alnour. de l'acte sexuel. Le but: retenir l'honrme. le mari. le possć
tion le lrlallipuler, le dominer.
mal ż Le tuer.
eurs Par le sexe.
aitre Si necessaire. (R(§: 20l)
tions
ue i Le motif du sexe comme outil est pregnant dans Ri.v,ąn ou le chem
celui . :uble. Le serigne detenant tous les pouvoirs móme celui du sexe.
e les ]Ous€s rivalisent af'in de lui plaire. La narratrice. alors qu'elle est u
a du :ir ilegiee parnri les autres femmes, participe d ce jeu. pour Jacqueli
sont ,Lrti" elle seduit le Serigne par sa < bouche Iyrique >, en le clrarm
Bien , -c soll intellect et ses connaissances (in
Azodo et de Larquier. 200
riage .-i;. Avec le Serigrre. la trentenaire trouve enfin cet ( echan
gine ,.:rlain > si longtenrps reclrerche : elle pettt non seulement lui parl
hoix. ,:is etrcore ćtre
ecoutee et conrprise. En tant que roman d thćse, Riv
avais le chemin cle sable idealise la polygamie et re.jette le rnod
aussi _lidental de la re|ation exclusive. Cependant, la narratrice seduit
marióe -lrabout grdce d son education occidentale. Nous voyol,ts donc
_l\€&u deux discours contradictoires sur l'amour: celui ot la f'ęm
choix --.pte d'ótre soumise d l'hornme et celui ou elle devient sa partena
ois, la :]lectLrelle. De surcroit, l'union polygarne est f'aussement remise
vec le :stion quand le serigne confesse d la narratrice : < si tu avais ete
eait, i ::lićre fbmme que j'avais connue- je n'en aurais pas pris d'autre.
met de :.1 solTllTl€ de toutes mes Ćpouses plus toi-móme ) (RC]S: l91
.-rtant il en prendra une nouvelle apres la narratrice. toLlte chose q
mmes ^,.luieversera:
me ne
, elles Ce que je ressentais A prćsent. je ne savais pas si c'etait de la jalou
dait le ou si c'ćtait de la dćception ou de la tristesse. Jalousie parce qu'u
e doit llouvelle ótait arrivee. Dćception parce qlle je l'avais su par
de ses lnauresque. Tristesse parce que Ie Serigne qui ćtait mon ami, ne m'
a plus
avait pas parlć. Iui qui ne me cachait rien. (RC§: l90)

nce la

75
Le mariage polygame, bien que prćsente sous un angle tres positif-.
par exemple, l,amitić a,ec
reste fbnde sur-la dómination de l,homme.
le marabout, trds importante pour la protagoniste, n,est possible
que

parce qu,elle suit les conditions imposćes par l,homme.


Fn essayant de
s,ajuster żr ce mode de vie, la narratrice refoule des sentiments nćgatifs
d iexemple de la jalousie, de la dćception et de, la tristesse. En
soulignarrt les traits positifs du Serigne, elle choisit d'accepter
l'ordre
traditionnel et de renoncer au modćle occidental,
S'agissant de l'acte sexuel, la narratrice met en valeur la satisfaction
que lJ Serigne dorure żr ses ćpouses. óvoquant ses experiences
tiaumatiques en occident, elle redoute de decouvrir sa nuditć au
vieii
homme. Elle s'interroge :

,comment offrir Ą ce serigne, un corps meuftri par des amours sauvages.


ce corps blessć par |es griff-es d,une vie tumultueuse, d,une vie des
recherches, de qu€te, d,identification, d,abandon, de retrouvailles
tnanqućes [...], d'une vie dćchirće [",] ? (Rć§ : l5a)

son corps devient un texte, un symbole de son vćcu : contrairement


żr ses coeplur"r, elle a vćcu de nombreuses expćriences
sur ce plan,
Pourtant, elle avoue qu'en dćpit de son expćrience
plurielle elle n'a
jamais ćtć satisfaite sexuellement par un homme. sa nuit de noces avec
en regard
le marabout vient marquer un tournant dans sa vie sexuelle
sa premióre
de sęs connaissances en la matićre. Lorsqu'elle rapporte
vierge dócouvrant
nuit avec le serigne. la narratrice apparait telle une
le plaisir sexuel :

J,avaisdormid,unsommeilprofondetbienfaisant,uttsommeil
enfin le vrai
avoir connu
rćparateur de toute une vie de tourments' aprćs
Depuis longtemps que je chercl.ais, c'ótait
la
et pur plaisir- [",l tendresse,
premićre fois'qu:un'ho,"*" *,uuiit fait
l,amour avec tant de
corps et de mon plaisir du moment m
[..,] La sensation de mon je n,avais senti autant de douceu
semblait un.-pr-ńie.e. Jamais avant
clrez un lromme, (RC,S: l64-165)

comparće au jeu < ż la femm


Cette image sereine et pure est ensuite
les hommes occidentaux
e*un.ip.. >"auquel elle s'ęst adonnće avec
de la femme et utilisent so
qui ne sę soucient q", ilei peu du plaisir
.o.p, pour leur propre plaisir :

,76
Des positiolls parfbis dćsagrćables. mais puisqu'oll jouait d la fetnnle
qui s'y connaissait. ot-l 1-1'osait nrćme pas se plaindre et dire qrre.
finalenlent, cela ne valait pas ulr clou. L'amour devant un nliroir.
l'amour sur un tabouret. tout cela pour rien. (Rć§ : l 65- l 66)

Dans le rappor1 sexuel d l'occidental dópeint. la femrne est ravalee


.rLl rang d'objet amene a satislaire les pulsions narcissiques de l'homme.
\rec le serigne, la narratrice fait
f-ace ?r une autre realitć ou son corps
-,\t respecte. l-e discours machiste sur le plaisir fćminin qtri próne que
_l satisf'action sexue|le de l'homme a la primeur est categoriquement
- j_]ete par la narratrice.
LIn autre phenomene intóressant dans Riwan orł le chenlin de suble
-:t l'erotisme feminirr qui se deploie pour la femme en dehors de
iltlnlme, L'arriere-cour de la concession du saint honrme est Lln endroit
,l ses ćpouses vivent et parlent errtre elles : c'est un espace de securite.
l effbt. la presence du Serigne commande Lln code
, ,lllportemental des femmes : la sounrission, la rćserve. le respect.
,rssi. quand elles se retrouvent seules. les ćpouses se lAclrent-elles ;
,es plaisantent aLt sujet du sexe et s'adonnent aux danses eroliques. Le
:::olltla$e le plus liberć dans la concession est Bousso Niang : n'ćtant
i'eptruse. ni la fille du marabout. elle a |e droit de sortir. chanter.
.l:lscf et rire aux eclats. Le geste obscene qu'elle etfectue en montrant
,,idement son sexe adclrne de perles. excite les autres fbnrmes qui,
lr errt oublićes par leur mari pendant des mois voire des annćes" y
tl\ent un moyen d'assouvir leurs desirs, Dans l'obscuritć de la nurit.
- .jpouses du Serigne peuvent se liberer :

Elles exćctrtaierrt des danses qui imitaient l'acte sexuel et d qui tlrietlx
llrieux. des lnotlvetnents lents et denses clui faisaient trailler le plaisir
aux lnouvemellts saccadćs qui menaient d la .ioLrissance rapide et
fbudroyante. Apres ces sćallces de dófoulenlellt secret et nocttlrne. elles
s'endornraient essouft-lćes. les sens apaisćs et le lendemain, reprenaient
leurs attitudes de poupćes sages et douces. (RCl§: 89)

::tl dehors des danses erotiques. la sexualitć des epouses du serigne


:eneralenrent retbr,rlee" L'extrait ci-dessus montre que leur sexualite
.i cleterminće que par rapport au płaisir du saint homme. C'est lui
:ecide de la tiequence des rapports. Leurs besoins ne comptent pas :
- doivent attendre patiemnrent d'ćtre appelóes par le Serigrre. Ranla.
]-ir- coll}pf€nd pas ce mode de vie, jette une ombre sur l'image

17
idealisće de l'union polygame et transgresse l'ordre traditionnel,
Offerte au Serigne pai son pdre. la jeune fille doit se soumettre żr la
convention sociale pour survivre. Sa situation est bien diffćrente de
celle de la narratrice. L'union de Rama avec le Serigne se fait presque
sans mots. La jeune fille apparait confuse, dósorientće, innocente. La
narratrice sęmble projeter ses propres sentiments en racontant ce
personnage : < Rama dćcida secrdtement de considćrer le Serigne
u-n grand pćre > (rtCS : 7ż). Cette projection est encore visible
"orn..
dans la conitructńn du personnage, la narratrice regrettant < d'avoir
voulu ótre autre chose, [...] d'avoir rató une vie, peut-ćtre ) (RC,S : 1 1 1).
Rama, pour sa part, reprćsente son dćsir d,ótre pure, enracinće dans
la culture traditiónnelle. seulement, brutalement arrachće de son
milieu, la jeune fille n'a plus de rępćres : elle ne sait pas comment se
comporter avec cet homme 69ó, devenu tout d'un coup Son ćpoux. La
confusion du personnage est visible d plusieurs reprises. Quand Rana
se retrouve seule avec le marabout pour la premidre fois, ce dernier
lui
(
demande de lui masser les genoux. Obćissante, elle s'interroge : Etait-
elle en train de masser son grand-pdre ? Le Serigne ? Ou l'ćpoux ? ))
(RCS : 72) Contfairement żr la narratrice qui a dćje eu des relations
sexuelles, Rama ne connait pas encore les gestes de seduction, Voild
pourquoi elle interprćte le massage des genoux de fagon innocente. son
manque d,experience transparait dans la peinture de sa premićre nuit
avec le Serigne :

Rama. quant ż elle, n,aurait su dire si elle avait ćtó trouvóe vierge ou
non, apńs cette nuit passóe pour la premićre fois avec un homme. [...]
Le seiigne n'avait fait aucune aIlusion i ce sujet, ne lui avait fait aucune
I."*u.qi", [...] Rama ćtait seulement certaine d,une chose : elle n,avait
jamais touiho un lromme d,aussi prćs. [...] Des jambes d,homme
"n'avaient
jamais ćcartć ses jambes, le bas de Son corps n'avait jamais
accuęilli la chose dont toutes les jeunes filles parlaient SanS oser la
nommer. (RCS: 78)

ce moment marque le dóbut de sa transformation en femme. Móme


si, pour le lecteui, son union avec le Serigne peut apparaitre
pioutematique, elle est prćsentće comme bienfaisante pour Rama. Le
^dir.ou.,
traditionnel, qui fait l'ćloge de l'union polygame, domine alors
dans le roman. La jeune fille dćcouvre son potentiel ćrotique : elle se
transforme en une femme sensuelle et prend conscience de son
influence sur les hommes. La satisfaction sexuelle devient l'aspect le
78
:,]us important de sa vie. Jacqueline couti remarque d juste titre que
'iderrtite
de Rama dćpend de son magnćtisme ćrotiqrre : elle ne sait ćtre
:ien d'autre qu'un objet de plaisir, sa vie n'a de sens que parce qu'elle
:itire un homnre puissant (in Azodo et de Larquier, 2009 : 169).
,ettlement. ce pouvoir d'attraction qu'elle exerce sur le
serigne sera
;phemere puisqu'il la dćlaisse et prend une alltre ćpouse : le jeu de
,:duction perd son sens. De mćme. l'existence de la protagoniste n'a
- us de valeur. Aussi lorsque Rama aperęoit par hasard le sexe d'un
:Ltne homme, en oublie-t-elle l'ordre traditionnel et ne songe plus qu'd
}soLlvir ses dćsirs ćmoustilles :

Elle n'arrótait pas de fixer son regard sur ce membre qui semblait ótre
telrdu vers elle, en prenant des proportions ćnormes. secouće cle
fiissons, elle ccltltinuait A le fixer. Ayant finid'uriner. |'homme qui tle
se rendait pas compte qu'on l'observait, secoua sol] sexe et Rama en
jouit presque. car elle serrtait dejd ce sexe en elle.
[...] A paftir de ce
jclur-|d, Rama tle donnit plus. Elle fut litterairement hantće par ce
Inembre qu'elle voyait partout. (RCl§: 207)

L,a sensualitć etant desormais


l'essence de l'identite de Ranla. elle
a besoin pour vivre, L'inconnu n'est represente qu'ż travers son
,,,e : le symbole de la jouissance et du pouvoir. Maintenant que son
;]ltite a etć forgee par la societe traditionnelle et le serigne. Rama
.it qu'une femnre-objet. pourtarrt, sa rencontre avec le jeune homnre
,..t atlssi ótre interprćtee conrme une rćvolte. une prise d'action. En
---trdant le sexe de l'homne en cachette. Rama brise les tabous.
,lllićrement. son compoftement est scandaleux pour Llne epouse clu
---{ne : deuxienretnent, l'honrnre devierrt l'objet du regard cle la
-.Ille. L'ordre traditionnel est dorrc questiorrnć.
Desesperće, Rama
:inue sa quóte de jotrissance en entrant dans une relation sexuelle
;- le jeune homnre et en s'enf-uyant de la concession du Serigne. Bien
,-ldu. cette transgression ne saurait ótre ignorće : la maison familiale
R.irnla prend f'etr et 1'heroine paye le prix trltime pour sa
rćissance. D'aprds Coly (20l0 :26),l'histoire de la jeune ćpouse
,:rigne justifie le choix de la narratrice : c'est en restant sur le bon
, :lin et en respectant les regles de la societe traditionnelle qu'on y
,,,ceptć. En transgressant ces rdgles. on est oublić : le nonr de Rama
:.us.janrais ćtć prononce dans le village" la narratrice est rejetee par
,:ens jusqu'd ce qu'e|le decide de se sollmettre a la volonte du
-Ile, Coly (20l0 :27) renarque qu'en optant pour le Ndigueul, cette
79
demićre reporte la responsabilitć de ses actes sur quelqu'un d'autre, ce
qui lui permet d'ćviter les rópercussions idóologiques et les
implications de ses choix. L'histoire de Rama renforce encore le
discours traditionnel : son but est moralisateur.

2. Jeu i la femme ómancipóe

Pour Dior, la narratrice-protagoniste de Mes hommes d moi, la


question de la sexualitó est source de frustration. Toute sa vie, elle a
cherchć en vain l'amour et le plaisir. Au dćbut du roman, elle exprime
son insatisfaction dans un langage explicite :

Je faisais mon numóro et j'allais avoir soixante ans.


J'en avais ras le bol !
Ras |e cul móme, j'oserais dire !
Merde !Merde !Merdeetmerde ![...]
Question cul, parlons-en.
Je n'aijamais jouide toute ma vie.
Que les hommes qrre j'ai connus m'en excusent.
Oui ! Oui ! Oui ! J'ai fait semblant toute ma vie.
J'aijouó d celle qui prenait son pied.
Que dalle ! Nul ! Zero ! (MHM :9-10 ; 1 l)

Les phrases courtes, les exclamations et les jurons traduisent la


coldre et la t-rustration de Dior qui a besoin d'en parler avec quelqu'un
(MHM : l2), Selon Karine Gendron, Ken Bugul se distancie de la
position obsessionnelle de son personnage par rapport d la sexualitć en
hyberbolisant ses propos et en jouant avec les possibilitćs narratives.
Cette < collusion de la forme poćtique et du langage vulgaire montre
[...] urr depassement des attentes formelles et gćnóriques du lecteur. >
(Gendron, 2013 : l) Pourtarrt, l'histoire de la protagoniste ressemble au
parcours de tous les personnages autofictifs de l'ócrivaine. L'abandon
par sa mere pendant un an, alors qu'elle n'avait que cinq ans, a gćnerć
chez elle un traumatisme, lequel est d l'origine de son besoin d'ćcrire
(Cans, 2005 : 1). Restće avec son pdre aveugle, dćjd 69ć de quatre-dix
ans, elle n'a pas ćtć initiće d la vie dans la socićtó traditionnelle : < Mon
pćre avait perdu la vue. Ma mere ćtait partie et m'avait laissće seule
avec les autres dans la maison familiale. Donc tout ćtait rompu. Un
enfant a besoin de son pdre et de sa mćre pour construire et dćvelopper
le sentiment > (MHM:87),

80
En consequence. tous les personnages autofictif's buguliens se
,3ntent dćracinćs et nulle part chez eux. Sans pouvoir trouver sa place
.,.]lls son contexte culturel, Ken Bugul ne pouvait pas non plus
erprimer librement : le depafi de la nrćre lui a < fbrrnć la bouche >
\hilrou. 2013 :35). Ainsi. ses personnages fćminins < se tbnt toujours
re raison de se taire et de se laisser hanter de l'interieur par une peine
]jrete qu'elles sont condamnees ou se condamnent d'elles-nrćrnes ż
,,
re toutes seules > (Ahihou. 1ó. : 38). La crise de Dior et le fait qu'elle
. :llmence d parler ollvertement de ses expćriences, au lieu de rester
,iermee dans le silence, marquent une nouvelle ćtape dans son
:toire. Pour l'auteure, l'ócriture est aussi un moyen de s'extórioriser
:,_s linrites : ainsi qu'elle l'avoue d Jeanne-Sarah de Larquier. il n'y a

. de sujets tabous quand elle est dans la peau de Ken Bugul (in Azodo
je Larquier,2009 : 323), Contrairetnent żr Riu,an ou le chemin de
-,lr,. ot la conduite de la narratrice ret'lćte le discours social
:itionnel. Dior se retrouve dans une situation conflictuelle.
)e la coupure prćcaire des liens afTectifs avec la mdre a rćsulte un
_: emotionrrel. bien visible dans la qućte anroureuse et sexuelle de
: l'outefois, les personnages dont l'int'luence est perceptible dans
--,xualitć sont (( les deux hommes de sa vie >: son pere et son frere.
, ].re. sosie du pćre de Ken Bugul, est idóalisć tout au long du roman :

. - _ Lll1 hclmnre aveugle tres dge et botr musulman : enfbnt, Dior a


rllrs cru qu'il ćtait son grand-pere. Il est sage, ćrudit. dćlicat et
l jte, Il reprćsente l'affectioll et la stabilite : Dior souhaite le servir.
, :rlir ir ses besoins. Dans sa quóte de partenaires, elle recherche des
:lles qui lui rappellent son pćre. en s'appuyant sur le concept
_ :ionnel de l'homme-protecteur. En Occident oit elle a emigre, elle
- ,ntre un lromme 6ge, avec qui elle vit en couple pendant des
-_)

L'ela ne s'est pas passć conlme je l'avais anticipć. Au moins,_j'ai fait


|'experience du couple avec ses lrauts et ses bas. Je tr'ai pas connu le
plaisir avec lui. rnais j'ai expćrimente la sócurite, le starlding. Ies
illc}yens matćriels, qui jouent un róle important dans beaucoup de
.t]uples. t...] je ne pouvais pas faire la diftćrence entre le sentiment et
ie reste. J'ćtais attachóe i lui, parce qu'ilme rappelait rnon pćre, [.. ] II
ne gótait. ll m'achetait tout ce que je voulais. .Ie pouvais nl'occuper de
,Lri, [.,.] J'ai perdu mon pćre et il ćtait mon póre. [...] Ainsi ce qu'on
:ppelait l'atnoLlr ćtait pour nroi ces sentiments inextricables, mćlangćs
.1Ll sexe. (MHM:206)
81
Ce passage róvóle l'idće de l'amour signifiant la stabilitć. Dior reste
ćmotionnellement dans l'enfance ; en effet, aprćs avoir trouvó le
remplagant de son pćre, elle se sent de nouveau en sćcuritć. Sa relation
avec l'homme 69ć n'est pas cellę de deux adultes, mais plutót celle d'un
parent avec son enfant. Dior ne pouvant rapporter d son pćre ses
expćriences avec des hommes, elle ne peut non plus se rapprocher
sentimentalement de celui qu'elle prend pour le pćre. Cette attitude peut
expliquer pourquoi elle ne connait pas le sexe dans le sens jouissif avec
cet homme (MHM : 206). Elle aime les caresses des hommes, parce
qu'elles lui rappellent son pdre aveugle d qui elle faisait toucher son
corps pour qu'il mesure comment elle grandit. Il s'agit donc davantage
de tendresse que d'excitation sexuelle. Ce caractdre pręsque incestueux
des relations avec des hommes plus 6gćs est visible quand Dior parle
de ses autres relations : < Oui, la dćlicatesse, cela me rappelait mon
pdre. C'ótait une nuit magique. ) ; < Je ne le sentais pas comme mon
pćre. Il ne me touchait pas affectueusement comme mon pdre. > ou
encore < Mon pćre ćtait plus Agó et cet homme ne lui ressemblait pas
physiquement. Mon pćre ćtait un homme grand, il avait de l'allure >
(MHM: 195, 183, 170). Devantunhomme ressemblantisonpćre, Dior
assume le róle de < sa femme żr lui > en se soumettant d ses dćsirs. Elle
existe pour lui plaire, mais pas en tant qu'individu. Ce type de relations
intimes reflćte le discours social traditionnel - africain et occidental -
sur l'amour et le plaisir. La femme doit rester soumise : seuls les besoins
de l'homme importent. Pour combler le manque qui l'habite dans cette
relation, Dior a besoin d'un homme plus jeune, lui semblable żr son
frdre. Dans ce cas, nous avons l'image de la < femme fatale > utilisant
les honrmes pour son propre plaisir.
Le fróre de Dior suscite des ómotions contraires d celles du pćre.
C'est un ótre fragile que Dior peut manipuler. Il n'est pas idćalise. La
protagoniste dćcrit dans le dćtail ses moqueries d son ćgard dans son
enfance et la colćre qu'elle ćprouve encore d son encontre. Il apparait
que leur relation est subversive du point de vue des coutumes :

Je devais respecter mon frćre selon la tradition. [...] Mais j'avais besoin
de le dominer, de lui faire ce que je voulais, Il s'y complaisait. Quand
je ne le manipulais pas, il se posait des questions. Il ćtait malheureux.
(MHM:206)

82
Dior fićquente donc d'autres homnres au cótć < tiagile > et qui lui
,:pellent son frćre. ll est interessant de voir conment les rapports avec
, :} pe d'hommes font partie de son < jeu żr cache-cacl.te >. Pendant une
cursion avec un groupe d'amis, elle a une liaison furtive avec un
,,.ne homme, pourtant fiancć d une Amóricainę :

Brusquenlellt, il m'avait attirće d lui et m'avait embrassće sur la bouclre.


[ ..]Je n'ćtais pas attirće par lui, mais sije l'avais rencontrć seul dans
d'autres circonstances, j'aurais pu le sćduire et voir ensuite si j'allais
|'utiliser quelque tertlps ou le laisser ld oil je l'avais trouvć.
1,..; Nous
tlous ótions retrouvćs dans un des lits de la maison et il ,rlluuuit fuit
l'amour rapideInetlt. [...] Je m'ćtais offeme d lui et cela nr'excitait.
[...]
cet lromme que j'a,ais connu avec sa fiancće amćricaine, co'nment
avais-je pu lui cćder airlsi ? Je Il'en eprouvais aucull remords. (MHM:
j3-34)

_)ror joue d la femrne enrancipee dont le seul but est de sćduire les
,illes. Elle
essaie d'Ótre < moderne >. independante, puissante. Dans
;ison avec le fiance de l'Americaine, elle souligne sa propre
,.ritć:elle ne fait que < ceder > d ses avances. Les verbes
_:uire >. < utiliser > et < laisser > montrent son attitude completement
, Llrvue d'ćmotions. Genćralement. c'est Dior qui cherche. exploite
. -suite abandonne ses proies.
* c&use de ses pulsions vengeresses trouverait source dans son
-- l;e, En effet. quand la petite Dior urine dans son
slip err classe. tous
--1ręons. y compris son frćre. la ridiculisent pendant des annees :

,:9&f§ollS s'etaient moqućs de moi. Je devais me Venger. Etre la


,:itre d l'ćcole, les utiliser, les sćduire et les laisser tomber comme
-:ntins desarticulćs > (MHM: l80). Mćme tres jeune, Dior ne
- J pas amoureuse
et ne cherche pas de nrari ; chaque homme qui
:: la degoffte ensuite. Pour Christopher Hogarth (2013 : 52). són
:e avec les lronrmes au sćnegal est plutót r-rne histoire de haine
, :end la societć
:

comptable de ses problemes. Ainsi. elle ćvite les


,]1S amollreuses
et le sexe devient pour elle une arme. une dćfense.
-ietlte de son pouvoir erotique, Dior transfbrn]e son corps en un
le vengeance. pour se sentir d la fois fbmnre emincipee,
,.]nte et enfant
adrnirant son pćre, elle a besoin <le plus d'une
il irrtime d la fois : < J'avais besoin au mininrunr de deux homnres
:,-a .'ie ; mon pćre. mon frere, sinon trois parce que nron pere
avait
l ćte mon grand-pere ) (MHM : 209). Bien entendu. aucun
83
homme ne rćunit żr la fois les traits du frćre et du pćre, puisqu'ils
reprćsentent des bęsoins contradictoires"
La question du plaisir sexuel est egalement importante pour Dior qui
se dit < frigide >. Elle avoue n'avoir jamais connu d'orgasme avec un
homme. Ellę assure encore : < Le vagin, pour moi, je parle pour moi.
c'ćtait pour faire des bóbós. Le clitoris ótait pour la jouissance > (MH}t{
: l74). Dior affirme que la masturbation constitue sa seule source de
plaisir. L'unique fois ou elle parle de jouissance, c'est lors d'un rapport
sexuel avec une femme. plus tard, elle entretient une relation lesbienne.
sans pour autant que cela rósolve ses problćmes : < Je jouais żr la femme
liberće et j'en souffrais. [...] Mais dans cette relation furtive, je
dćcouvris que ce n'ćtait pas le sexe qui ćtait |'enjeu. C'ćtait le rapport
de force. Elle se comportait avec moi comme un homme > (MHM :

213). En realitó, Dior souffre d'un blocage affectif : les deux hommes
de sa vie lui manquent et sa vie est sans repdres. Ses choix sexuels
peuvent aussi traduire une rćvolte, la subversion de l'ordre traditionnel.
Elle a des attitudes et conduites masculines : elle ne s'attache pas d une
seule personne afin de toujours rester en position de pouvoir.
son desir de ressembler aux hommes ęst visible suftout lors sa
rencontre avec deux < intellectuels > qui tiennent un discours misogyne
ravalant les femmes d des objets sexuels. Dior se trompe sur les deux
hommes en pensant qu'elle represente ( une femme exceptionnelle d
leurs yeux << (MHM: 14). Ainsi, elle se situe en position du pouvoir et
se fait < leur complice pour dćnigrer les autres femmes > (MHM: |7).
Dior veut avoir des rapports d'ógal d ćgal avec ces hommes, leur parler
de littćrature, de politique, de la vie, enfin d'elle-móme. Pour elle, cette
stratógie est un moyen pour óchapper ż l'objectification, de se sentir un
individu, móme si cela exige de tourner le dos aux autres femmes.
seulement, elle est reifiće :

L'un. le plus exubćrant. m'avait dit en souriant ne pas ćtre dćęu. < De
quoi ? > lui avais-je demandć. t...] Il m'avait regardć droit dans les
yeux : < De tes lćvres >, avaitil rćpondu en óclatant de rire. Il m'avait
dit qu'il avait entendu parler de nres lćvres pulpeuses, donc de ma
sensualitó et qu'au lit je devais 6tre torride. Je fus surprise de son
comportement et il avait ajoutó : < J'airnerais te baiser | > (MHM: |8)

se rend douloureusement compte qu'elle n'est


Ainsi, la sexagćnaire
pour l'homme qu'un corps sur lequel il fantasme. Elle dćgringole < de
la position de femme au-dessus des autres fernmes )) et se dćcouvre
84
allongće sur le dos. comme toutes les autres > (MHM: l8). Ceux
-u'elle prenait pour des intellectuels disent tout devant elle qui n'a pas
,.,r,oix : les objets ne parlent pas. Sotts le regard masculin, la fen:rme
n _.l rćduite d son corps. L'attitude de ces intellectuels peut ćtre associće
. ia scopophilie. d savoir la rćduction cie la personne ir l'objet en la
I Llrnettant d un regard contrólant et curieux (Mulvey, l975 : 8).
e De plus, le cclrps de Dior est fragmente : elle est pergue telle une
_rllumeuse > d cause de ses levres pulpeuses. cette envie de |'lromme
; la possćder la bouleverse. ce qu'elle traduit dans un langage cru :

e
e [l]ls avaient envie non pas de nre faire l'alllour. mais de me baiser" Faire
n l'amour c'est diffćrent. ll y a du sentiment, une colnmuniolr, un partage.
je crois, je ll'en sais riell. Eux. c'ćtaient baisęr une femtne. Baiier pńr
:
possćder, prouver, tester, go0ter. (MHM: l6)
s
<
.
:n realite. Dior est toujours d la recherche d'une relation afl'ective.
e lilrase < je n'en sais rien ) suggere qu'elle n'a pas encore vecu cette
^erience. Les propos de la protagoniste au
sujet des relations intimes
,: souvent
contradictoires. Aprćs la rencontre au bar. elle declare
- :lle ne s'intćresse plus aux hommes. puisqu'elle n'en trouve pas qui
n:
;l
:lissent les criteres des deux homnres de sa vie. pourtant. elle a.|oute
: ;]le ne veut pas se prendre pour ( une femme blasće > qui tiouve
- -.e les honrmes etaient tous des nuls. ir part son pere et son frćre >
a:
'! \ I : 23 ; 24). En menant son jeu de la fbmme emancipće, Diclr se
- ,Ltve dans une
impasse.
__

- :lclusion

,,:rćs avoir analysć les representations


de l'anrour et du plaisir dans
]ellx romans buguliens. nous voyons qu'elles sont instables et
Jr lctuelles. Le sociogramne ćvolue constamment et ( peut a un
,^ l,nt donnć se figer en doxa, cliche. stćreotype. mais la plupart du
lr -.. le travail de la fiction va consister d le faire bouger. i le
r , ormer. d le deplacer > (Robin. l993 : 49). Les hćroines dei romans
:m .es adoptent souvent des positions contradictoires en ce qui
! _j:ne l'amour et la sexualite. La narratrice dę Rivł,an ou le chemin
-lc afl-rrme avoir nouć une relation vraie avec le serigrre
: il est d
-> le partenaire intellectuel. avec qui elle peut discuter, et le
-_:gnon qui comble ses besoins affectifs et
sexuels. En retour. elle
-.rlet d l'autorite de cet homme. se conformant de la sorte d l'ordre
85
traditionnel rógissant sa socićtć. En optant pour un discours patriarcal
et conservateur, Ken Bugul a ćtć critiquće par des fćministes
occidentales et africaines. En effet, l'identitć des protagonistes des
rćcits ótudiós se construit toujours autour de l'homme. Dior, rentrće en
Occident ż un 6ge aydnce, demeure insatisfaite. Sa conduite refldte le
discours occidental'ot les besoins de 1'individu sont les plus importants.
Ainsi, elle prófend ne plus rechercher de relation intime, mais seulement
un ćchangó humain. Pourtant, son attitude rappelle grandement celle de
la nanŃc e dę Riwan et le chemin de sable. Les deux protagonistes
sont en qućte permanente de satisfaction sexuelle et d'amour paternel.
S'agissant de Rama dont l'existence est centróe sur sa sexualitć, sa
qu6ie d,amour et de plaisir ne peut ótre accomplie dans le cadre
tiaditionnel. Son ćchec constitue un avertissement pour ceux qui
oseraient violer l'ordre patriarcal. C'est dire que la recherche de
l'amour et du plaisir est source de frustration et d'expćriences
douloureuses pour les personnages fćminins. En effet, afin de
s'ćpanouir, il leur faut renoncer d leur indćpendance et se soumettre d
l'autoritć masculine. L'amour et le plaisir chez Ken Bugul peuvent ćtre
analysćs comme des sociogrammes, puisqu'ils reflćtent les discours
sociaux conflictuels, instables et en constante óvolution.

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