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Rósumó. Le prósent article analyse les personnages fóminins silencieux dans Riruan ou
Ie chemin de sable et Cacophonie de l'auteure sónógalaise Ken Bugul, Dans les @uvTes
ótudióes, il existe deux types de si]ence: le silence imposó par la sociótó et le silence
rebelle, choisi par le protagoniste pour manifester son dósaccord. Nous examinerons les
§pes des silences des personnages fóminins buguliens, ainsi que leurs raisons de se taire
et les sources de leur mutisme. Du point de vue thóorique, nous nous appuierons sur les
travaux de Christian Ahihou, Joseph Ndinda, Irć ne d'A]meida, Julien Bernard, Eni
puccinelli orlandi et catarina Martins.
Abstract.The purpose of this artic]e is to analyse the silent fema]e characters in Riroan
ou Ie chemin de sab]e and Cacophonie by the Senegalese author Ken Bugul. In the studied
texts, there are two §pes of silence: the si]ence imposed by the socie§ and the rebe]lious ,-
silence, chosen by the protagonist in order to manifest her disagreement. This article
seeks to examine the §pes of silence expressed by female protagonists, as we]l as their
reasons to keep quiet and the sources of their mutism. From a theoretical point of view,
the study will be based on the works of Christian Ahihou, Joseph Ndinda, Irć ne d'Almeida,
Julien Bernard, Eni Puccinelli Or]andi and Catarina Martins.
waiment partie du groupe. Comme nous le verrons, leur silence est significatif et
exprime souvent des besoins ómotionnels non comblós.
Dans une socić tó ró$e par des dogmes, des rć gles, des rites
institutionnalisós, la róaction n'ótait pas pióvue. Et puis, -enco.e une fois,
róagir i quoi ?
Que pouvait dire une petite fille d'un peu plus de seize ans pour se faire
entendre ? une.petite fille de Mbos, dońt letens critique n'ótńt pas encore
forgó, ne pouvait pas affronter son pć re et toute une sociótó.
Et qui oserait rć ąir quand il s'agissait du Seńgne, du Grand Serigne ? (R
43)
s < [...] the traditional symbolic rituals that, according tothe perspective inscribed in the
^rlu*u to"n.ra sense and self-worth in polygyny_are not carried out and
"#;r;ii61ł ;o-"n the protecting roof of references tirat would a]low her to understand
ńr"rt without
rr.. ń*.- l" the cu}tural context* that surrounds her and to make sense of her own
.-p.ii*Ó"i orrr.. sexuality or her ro]e as woman/wife. > (Notre traduction)
""ń.t}
Silence imposć ou si]ence rebelle ? 263
Aphonitó fć minine dans Rirll ąn ou Ie chemin de sąble et cacophonie de ken Bugrrl
Ce sont des cris qui donnent le ton. Mais, au lieu de continuer i crier on s'ótouffe
[...], (C t79), dit l'homme aux lóvres minces, le seul personnaSe d avoir une
waie conversation avec sali tout au long du roman. Il ómpare alssi le ,. cd rr,
une force libóratrice, qui permet de respirer et de se sentii soi-m6me, avec ló
<<.bru_itrr,
_qui sert i..6tre considóró" par les autres: faire du bruit, c'est
s'engluer dans les convictions et des certitudes, porter un masque et ótouffer le
cri qui < effraie la mort > (C r8o-r8r). Ce]a fait iussi allusion antiptrrastique au
titre de l'ouw_age : Sali, personnage silencieux, n'est entouróe q.r" do bruit, de la
cacophonie des voix, mais_ cette cacophonie ne rósulte pas d'une waie
communication. Personne ne l'ócoute waiment, elle n'arńve puś e donc elle
se sent esseulóe, pić góe, incompńse. ".ie.
l,a premióre raison de l'aphonitó de sali est son incapacitó de
communiquer avec son entourage. Elle ne connait pas bien leur langue ni leurs
coutumes, mais elle essaie de suiwe toutes les rtgles sociales dó la culture
ótrangdre. Le silence imposć par le groupe est d'au*tant plus choquant que le
changement se fait soudaineńent et ś alien ignore Ia raison. L'attiiude de son
entourage, comme celle de sa voisine, change du jour au lendemain :
U1 jour cette dame arriva dans la maison jaune, entra dans la chambre de
sali et souleva ses pa8nes, en ]a traitant ó'ótrangóre. soulever ses pa8nes
deyant quelqu un ć tait un signe de ma]ódiction dani ce pays.
-
< Que se passe-t-il ?
Qu'ai-je tait ? >, ]ui demanda Sali.
< Chez nous, il y a des choses qu'on ne fait pas. Peut-6tre chez vous... >
Et elle s'en alla comme elle ótait venue, apr-ds avoir remis ses pagnes, sans un
mot de plus. (C z6)
c'est la seule rópo.nse que sali obtient: des phrases courtes et coupóes,
des chuchotements, des visageŚ fermós. Elle est róduite au silence, traitóe'aveó
pópris. D'aprós Julien Bernard, < les ómotions ont une d,imension quasi-
langagióre, en parti_culier dans les situations d'ómotions collectives , (zori r9).
Ainsi, l'entourage de sali la condamne en coupant toute communicatioń-avóc
elle.
La situation de_sali est d'autant plus difiicile qu'elle n'a pas waiment de
,, chez elle >. Dans son histoire nous retróuverons le mbtif omnipiósent
chez ken
Bugul: l'abandon par la mć re et le manque d'enracinement dans la culture
AnnaSWOBODA
264 Universitó de Silósie, Pologne
le traumatisme
du mutisme de Sali est donc
d'origine. La deuńdme raison jur"uis le courage de dire ce
d,enfance, qrri u *urqo'ó
ffi;;;;:.ś * ",iiuit
_
pas dóranger les
ou,elle ressentait, ń;i;"voulaĘ,, (ć ""r;Td;;vóulait
B*iń ,,,u*iu" pas non plus ir dire
des uns 11).
".. ;;rd"
rtitod""
;, "t;;
"]ri.""
ce qui est I'indice de son
musellement
:
aerrić re. (C rł )
trós,Ionetemps : iI
de,la gorge de Sali pendant
Pouńant, le cń ne sort pas ć e dos lui
< ótait ótouffó au". r,#*-.pJ.r1,li""":,"d-;;;;;"Iń,Ę ::l.*",,
vottó, qui gardait le
..ńaitpas ,
faisait mal parce qo"i-" "ri "6 "JŃleseremeŃtc
,ń"r*.d;;il;;h;,, s3]^.k' Ómotions
cń entre les cótes, ."".,d*t-.o" dans
io.tracisme, s'accumulent
inexpńmóes, .esuttarii'sittrr"r""ińpo"e "iT"
des dóulzu§
ili',,ti.i"t" ś ^ri"tę"."ffióńe #i::.-Ę ffó. Elle cńe en silence,
eiiiT}"ry" ;ilŃ;;inc"s lui-aemande si
-"i" i:x":ęi,:iiili: de cette action
róflóchi;;l;,ig"tfication
:
Ellecroyaitqu,ellecriait,maisc,ótaituncńótouffó,alorsqu'ilfallaitouwir
c-,ótait u merde,>,
sa $reule i,óii.i-et""re d"iti.,i*i J"ń"ć es,
"t'ljJ.l
ę.1.$*5[§i3iil".*5tr*p;;;fffi
.,ffi filT*LTi""**
pas_, r prono"":1:*pń*e
toute sa
Le mot < merde > que SaIi
n'arrive ,:i
frustration_d6lre.Jii,,r*'"iJ;:,::"^u^JH j1"i:t,;r**,o"I;i9::,lf
::ł il*::m*r"J,J"Ii""ff '"3l":H,l,:aHiiLi""i,"rr"Peutbńserlesilence
quilui a ótó imposó,
femme n'ótait pas acceptó > (Yade 2oo7,45). Deuńómement, il s'agit du Seńgne,
qui jouit dun statut social supórieur aux autres hommes. Rama s'enfuit dó la
concession du Serigne avec son amant, sans en parler d, personne, Cet óvónement
bascule les rógles sociales Ą tel point que personne n'ose le commenter. Le
Serigne lui-m6me s'enferme << dans un mutisme inhabituel [...], incapable de dire
un seul mot > (R zt6-zt7).
Le silence rebelle de Rama n'entraine pas seulement sa mort sociale,
mais aussi sa mort physique. Aprós son retour au village natal, sa maison
familiale prend feu. pourtant, les circonstances de la mort de Rama ne sont pas
claires. En la dócrivant, l'auteure utilise la technique elliptique :
i des
de n'avoir pas voulu appańenir
U
_T: j^o"'U'ó,
admet : .. J'avais honte
valeurs, rdes.róf óre";";;^d;;-."nery,{:Łi.:T""ffi1?.:"T"::"ł -'",ł ł 'ą!
acceptant d,ópouser
"""ió"",a""or:_"l."ł
absolument, avolr oeu nrr;*:*"_**::;n","l*qn6Tis*:xxT]i:"ń
!ił ff i;fr ;}",:,,ć ffi !Ę ł 6ł $i,ri;*51!t**,"-**i*H#i*'
i"3xT,]"r§r"ą'i,i:Ę
k,i*ł s.{:tffia'uot,-"1i,l5" ?i.;i"Ę ;ń+"ry:]retrouverses
La narratńce idóalise
ao"" ł ,"
racinis, .. parler ", ""ni "ofrp,i,,"
leSeńgneendisantl'ii;.i.ińpqsł '"#""i""i.o.tetouslesenvirons,la
.Zf ó,".,-."morale,*uie1-",li,',qńli"ll",r,,i,*Xn*tl;$|T:tffi
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ililfm*::iŁ::ij:J:;*ff§3;.:,]txil;;ńŃi"ś ""pa,l"ui",i,d'espńl
relief 1'in,telligence,'la sagesse:l
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Le protagoniste met en
duiieux*.,i1#}'§;;ff #ł fi ::Ł#;:,;;;lnr"","t#T":';";$'ą
de penser r
"§*§§i}'[iĘ "Xffi il[:":lF::ł
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ou,elli cherchait, '.:^.,^':"_';;,l" ńa,r".r" et la satisfaction
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q"j *"ir"; f,m**, a,on sentce et
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ilaccepte*,;;;i;;;;;a",uaol"..JtiL**"Iapreuvedelafoideses
Óir"ipń,o, (zor5, §zz)
rć gles sociales, el aecentant
et en
La narratńce se conforme j" s"i?,." on.^J Ń: devenuó l,ópouse du
1ux^
dessinant
"tl"__c.'JT,iń;iu*;ńi ei s'abstienl,U;,]T"il^#ił
marabout, elte retote,l"-,""timen" "jsł ń j"J"p"er1
*::*::;§ntn'a;:::iJffi l;TffiT;.ffi;
;t;;i;;";*-il"15"i'f;ińiJr§tt,"ł ,rJn:,t"x#J,ł
''i",lfi
$iili
:.TT"f §ii:-1ifi*ł **Ę ,ą,:lątł ęlł -i'i
La narratrice dóci
jalousie < ne pou! }i,'*
róalitó humarne
and,the openness to_
emphasizes the intelligence, the wisdom cultures and ways ol
ą < The protagonist_ tó nni
knowledge of the oICt *u|uuo,, ińui-ii "ug". ""i"u""ii,ł ,er,
:titT;:,,H::§:;fJ,iffi :",ilxit"t[,ąr$f;in$Ę $l""*-lH"'l1:l$
iń;,;;k";ń"1.:di;ił i?f..,ffi iri*::;,n*lHrS,l,""*ł ifu :Ę '|l".",ę
tenderness ald sexut
the
j,*1l:".,"lil,',tr§i:i*,t{x jfi111$;§3p5.i§lti3§:Ł*ti#
n:,H* faith tokens
;;;;ilTń;;ff;r of adole&ent girls as
Silence imposó ou silence rebelle ? 267
Aphonitó fóminine dans Rirp an ou Ie chemin de sable et Cacophonie de Ken Bugul
conclusions
Les personnages fóminins buguliens sont rendus aphones par la sociótó
traditionnelle oppressive, mais ils choisissent aussi d'6tre silencieux pour se
róvolter contre cette oppression. Pour reprendre les propos d'Ahihou, < [p]ar la
pratique du silence comme moyen de communication, ces personnages se
condamnent eux-mómes, en plus des peines que leur impose dóji la sociótó, i
souffrir davantage au ]ieu de chercher d se relever en rócupórant la langue qu'il
leur est dófendu de parler > (zot3, 4o). Nico]as Treiber quant A lui, rappelle la
qu6te identitaire de l'auteure, pour retrouver < i'unitó d'une personne, sź ,l
possibilitó d'exister soi-mć rne parnri les siens, son pouvoir de l'erprimer de se
dire > (zorz, r).
Le si]ence des protagonistes imposó par la sociótó oppressive rósulte
souvent d'un silence rebelle, manifestant le dósaccord du protagoniste face i
l'assujettissement. Chez Ken Bugul les personnages fóminins sont rendus
aphones par leur entourage, mais elles se taisent aussi elles-m6mes, en utilisant
le silence comme moyen d'expression. En imposant le silence, le systóme
oppressif coupe la communication avec les protagonistes, en les róduisant i des
objets sans voix, dósignós i obóir et i se soumettre. En revanche, le silence
rebelle, la plus subtile forme de róvolte, signifie le refus de communiquer avec ce
systóme, qui est tout de m6me la communication en soi : le rejet des rógles et des
processus qui rendent les protagonistes aphones. Paradoxa]ement, c'est parfois
le silence qui dit le plus.
268
AnnaSWOBODA
Universitó de Silósie, Pologne
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