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N

ISBN : 978 - 2 - 7314 - 1016 - 7 Droit des transports


W

maritime, aérien et terrestres


S

Avec la contribution de :
Créée en 2001 par Christian Scapel,
Mustapha EL KHAYAT, Othman BEN FADHEL, la collection de Droit maritime, aérien et
Laurent FEDI, Haddoum KAMEL, Abderrazzak des transports édite les principales thèses
BOUDHAR, Abdellah MARGHICH, Kamel de droit maritime, aérien et des transports
KHELIFA, Mohamed LAAZIZI, Mostapha soutenues en France. Elle accueille également
les actes de colloques, des mélanges et plus
AMRI, Khalid KHAKHAY, Hassan EZZAHRATI,
largement des ouvrages spécialisés dans les
Lotfi CHEMLI, Abdennebi Belazi BEN SAID, trois branches des transports.

Le droit maritime dans tous ses états


Driss SAIDOUNE, Farouk ZERHOUNI, Nadia La collection, dirigée par Cyril Bloch, est placée
BENREDOUANE, Khanssa LAGDAMI. sous l’égide du Pôle Transports de la Faculté
de droit et de science politique d’Aix-Marseille, Le droit maritime dans tous ses états
qui réunit le Centre de Droit Maritime et des
Transports (CDMT) et l’Institut de Formation
et de Recherche en Transport Aérien (IFURTA). Hommage méditerranéen à Pierre Bonassies, Philippe Delebecque
et Christian Scapel

En couverture sous la direction de


Port de Casablanca Mustapha El Khayat
© Tous droits réservés

Les échanges internationaux sont à dominante maritime. Les relations entre


chargeurs et transporteurs, fréteur-affréteurs et entre États ont donné lieu avec Préface
le temps à des conventions internationales pour harmoniser les droits maritimes Othman Ben Fadhel
et de la mer entre les nations. Des doctrines ont été forgées avec le temps par
d’éminents juristes qui ont essayé de contribuer au développement d’un droit
maritime et de la mer moderne et évolutif.
En France, Pierre Bonassiès, Christian Scapel et Philippe Delebecque en sont parmi
les précurseurs. Cet ouvrage est rédigé en leur honneur et permet au lecteur, qu’il
soit chercheur, praticien ou étudiant de plonger dans les débats majeurs du
droit maritime.

Prix : 25 €

-:HSMHNB=YBUBgH: Presses Universitaires


d’Aix-Marseille puam
Presses Universitaires
d’Aix-Marseille puam
Mustapha EL KHAYAT

Quand j’ai confié à mes amis et collègues le projet de réaliser un ouvrage


collectif en l’honneur de mes amis et professeurs Pierre Bonassies, Philippe
Delebecque et Christian Scapel, ils ont tout de suite accepté ma suggestion. Cet
ouvrage est une reconnaissance à ces professeurs qui ont illustré le droit
maritime en Méditerranée et ailleurs.
Le Professeur Pierre Bonassies est notre maître commun qui a formé
plusieurs juristes de droit maritime au Maghreb et ailleurs. Il n’a jamais cessé
d’enrichir le droit maritime par ses études, ses commentaires de jurisprudence,
le tout couronné par le Traité de Droit Maritime qui est l’œuvre collective du
professeur Bonassies et de son fidèle ami le professeur Christian Scapel.
Le Professeur Christian Scapel a pris la relève du Professeur Pierre
Bonassies en 1995 en ce qui concerne la direction des thèses et du CDMT. Il
est sans conteste un des constructeurs de la pensée de droit maritime méditer-
ranéenne. Ses contributions sont nombreuses (ouvrages, articles, communica-
tions et rapports de colloques, commentaires de jurisprudence). Le professeur
Christian Scapel préside avec tous les succès depuis plusieurs années l’Institut
Méditerranéen des Transports Maritimes. L’IMTM est un espace de rencontre,
de réflexions et de propositions entre professionnels, institutionnels, chercheurs
et professeurs du monde maritime en Méditerranée.
Le Professeur Philippe Delebecque, issu de l’école de Droit Maritime
d’Aix, est un juriste reconnu en France et à l’étranger en particulier en tant que
professeur à Paris I et Président de la Chambre d’arbitrale maritime de Paris.
Ses publications en droit maritime sont nombreuses et sa participation à la ré-
daction des conventions internationales de droit maritime constitue une contri-
bution marquante à la pensée de droit maritime français
Tous ceux qui ont contribué à cet ouvrage, l’offrent à mes amis et
Professeurs Pierre Bonassies, Philippe Delebecque et Christian Scapel.
Othman BEN FADHEL

Les éminents professeurs Pierre Bonassies, Christian Scapel et Philippe


Delebecque méritent plus qu’un hommage pour leur contribution à l’évolution
du droit maritime dans le monde francophone et ce en particulier à travers la
formation de la plupart des spécialistes du droit maritime (Faculté de droit
d’Aix en Provence et IMTM) et notamment ceux d’Afrique du Nord.
À travers les articles qui composent le présent ouvrage intitulé Le droit
maritime dans tous ses états leurs auteurs expriment reconnaissance et leur gratitude
à ces fondateurs de l’École maritime d’Aix en Provence.
Dans cette modeste introduction nous rendons aussi hommage à ces
auteurs qui, par la diversité et la richesse de leurs contributions ont fait vibrer la
matière du droit maritime à travers tant de prismes que celle-ci est mise dans
tous ses états. Leur mérite est d’avoir tenté de mettre de la lumière sur des
thèmes aussi divers qu’orignaux, l’originalité provenant nécessairement du fait
que chacun des auteurs a traité de son thème en partant du droit positif d’un ou
de plusieurs pays laissant souvent la porte ouverte au jeu de la confrontation
indispensable du droit comparé. La mer n’est-elle pas le terrain de prédilection
de la concurrence entre les diverses lois maritimes qui ont la prétention à
s’appliquer aux mêmes faits juridiques.
Chacun des auteurs a donc utilisé un angle d’éclairage. Or, on ne peut
tout dévoiler qu’en exposant tout à la lumière pour que « tout ce qui est ainsi
exposé devienne lui-même lumière ».

Pour introduire le débat soulevé par les diverses idées soutenues dans les
contributions des confrères, permettez-moi de faire quelques réflexions sur
certains thèmes qui ont particulièrement retenu mon attention. À cette occasion,
veuillez accepter mes excuses pour la faute impardonnable commise à l’égard
de certains de mes collègues contributeurs que je n’ai pas cités. Je les prie de ne
pas y voir une marque de désintéressement de leur travail, mais une faiblesse de
ma part que seule peut excuser mon incapacité à tout embrasser en raison du
temps et de l’espace réservés à la rédaction de la présente préface. Le proverbe
français, ne dit-il pas « qui trop embrasse mal étreint » ?

Les réflexions qui suivent n’ont pas pour but de mettre encore plus
d’émoi, de Mistral, de « Garbi » ou de « Chargui » (vent d’Est et vent d’Ouest)
dans les eaux parfois devenues troubles du droit maritime. Notre espoir à tous,
12 Le droit maritime dans tous ses états

n’est-il pas de chercher un peu de clarté dans les couleurs paisibles de l’arc-en-
ciel après la tempête. Mais n’est-il pas évident par ailleurs, qu’il faut des vents de
différentes directions pour faire avancer tous les voiliers qui se trouvent sur mer.

Parmi les points traités figure le thème de la limitation de responsabilité


en droit maritime. Cet article m’a incité à faire les remarques suivantes. La limi-
tation de responsabilité en droit maritime a pour origine le contrat de comman-
de ou contrat de quirat repris par les Grecs à partir de contrats qui nous revien-
nent de la civilisation mésopotamienne, dans ce genre de contrat (dont un
vestige figure notamment dans les deux codes marocain et tunisien des obliga-
tions et des contrats) des capitalistes qui arment un navire ne sont responsables
des dommages subis par les marchandises que dans la limite de leurs apports.
(C’est d’ailleurs de ce genre de contrat qu’est né tout le droit des sociétés
commerciales). Cette institution du contrat de commande était très pratiquée au
Moyen Âge par les commerçants arabes en Méditerranée, mais ce genre de con-
trat était interdit en pays chrétiens car il impliquait pour eux un crédit avec
intérêt. C’est grâce à une Fetwa (avis juridique d’un savant qui détient un pou-
voir religieux) de Saint Thomas d’Aquin que la pratique du contrat de comman-
de ou de prêt à la grosse aventure s’est développée dans les pays chrétiens.
La limitation de responsabilité a été de tout temps un mal nécessaire. On
la trouve en matière de réparation des dommages de pollution. C’est un mal, dans
la mesure où les principes constitutionnels tirés du respect du droit de toute
personne à son intégrité physique et le respect du droit de la propriété exigent la
réparation intégrale : « Celui qui cause un dommage à autrui doit le réparer ».
Le droit et notamment le droit maritime usent, et on peut se demander
s’il n’abuse pas du droit de la limitation de la responsabilité au motif qu’en
matière de réparation, la science actuarielle exige une connaissance précise de la
valeur du risque à assurer.

2- L’article de notre collègue sur « le conteneur en droit maritime » est


très intéressant dans la mesure où elle invite à apporter une réflexion nouvelle
sur le conteneur qu’il appelle à prendre en considération comme moyen de
transport « à comparer avec un navire ». Cette réflexion est très intéressante.
On peut se demander si on ne doit pas la lier à la première pour parler par
exemple de limitation de responsabilité par conteneur, chose qui existait déjà
dans la terminologie ancienne sous le terme « unité de fret ».

Les réflexions sur les conteneurs, comme « moyen de transport »


devraient-elles s’inscrire dans le droit positif afin de mettre dans de nouveaux
états le débat déjà houleux sur le transport multimodal qui va se calmer par
l’unification du régime juridique du transport par conteneur. S’opposeraient à
ce régime unique les conventions internationales qui se concurrencent pour
trancher les litiges relatifs au transport international de marchandises, transport
Préface 13

qui devrait à notre sens être soumis à la loi du pays de destination dans la
mesure où cette loi de police qui est celle du lieu d’exécution finale du contrat
de transport. Cette loi serait aussi celle qui régirait le droit de location des
conteneurs qui se trouvent sur son territoire et pour qualifier les rétributions
relatives à la location des conteneurs. Cette rétribution prend généralement de
la part des transporteurs maritimes la qualification de surestaries de conteneurs.
Encore, un emprunt ou une assimilation du conteneur à un navire.
Mustapha EL KHAYAT
Professeur universitaire, Avocat près du Barreau de Casablanca
Président de l’Association Marocaine de la Logistique (AMLOG)

Une fois que la responsabilité du transporteur est engagée, il doit indem-


niser le destinataire (ou le chargeur) pour toute perte ou avarie ou retard.
Dans les transports maritimes une responsabilité illimitée est de nature à
entraver le développement de ce secteur économique vital pour plusieurs nations1.

« La limitation de responsabilité a revêtu diverses formes depuis qu’elle


est apparue au XVIe siècle, en Europe occidentale, dans des lois qui
visaient à l’origine à encourager les investissements dans des navires
marchands »2.

Par le passé « Le Consulat de la Mer » avait permis au transporteur de ne


pas réparer entièrement les dommages dus à la navigation. Avant la Convention
de Bruxelles, presque toutes les législations maritimes connaissaient la respon-
sabilité limitée du transporteur sous des formes variées. À cette époque

« Le transporteur, craignant que sa responsabilité ne soit trop étendue, se


couvre par une clause limitative de responsabilité… Si l’expédition est
faite avec valeur déclarée ; c’est la déclaration de valeur qui constitue le
maximum de l’indemnité à payer par l’armateur. Les clauses limitatives
de responsabilité sont certainement valables ; la jurisprudence les déclare,
en effet, valables »3.

Les risques dans les transports maritimes sont très grands malgré le déve-
loppement technologique en la matière (automatisation, informatique commu-
nication par satellites, radars, etc.)4. La valeur des navires et celle des marchan-
dises sont très grandes. Ces valeurs importantes et qui ne cessent d’augmenter

1 P.-J. Hesse, « Introduction à une Chronique bibliographique d’histoire du droit maritime »,


DMF, 1980, p. 643-648 et p. 707-714 ; E. Gold, Maritime Transport, The Evolution of International
Marine Policy and Shipping Law, Lexington Hooks, Massachusetts, 1981.
2 Les Connaissements, NU. New York, 1970, p. 48.
3 G. Ripert, Précis de Droit Maritime, 7e édition, Paris, Dalloz, 1956, p. 258-259
4 A. Lawrence, International Sea Transport : The Years Ahead, Cornell University Press, Lexington

Books, 1972.
16 Le droit maritime dans tous ses états

avec le temps impliquent des risques très élevés et par conséquent des coûts
d’exploitation du transporteur tendanciellement élevés5. De plus dans ce domai-
ne des transports maritimes, la concurrence sous toutes ses formes est
incessante et rude6.
Les transporteurs maritimes ne peuvent continuer à investir dans ce do-
maine sans l’assurance d’une certaine rentabilité de ce secteur7. Cette rentabilité
ne serait possible que si certaines conditions étaient réunies parmi lesquelles
une limitation de responsabilité soit garantie par les législations nationales et,
soit par les conventions internationales.
Chaque pays veut protéger sa flotte et assurer l’expansion de son arme-
ment soit pour soutenir le commerce extérieur national, soit pour économiser
ou gagner des devises, soit enfin pour une combinaison de toutes ces raisons
auxquelles il faut ajouter l’indépendance nationale au sens large du terme. La
limitation de responsabilité constitue un moyen parmi d’autres pour protéger et
aider l’armement national8.
Le transporteur maritime, malgré le développement des moyens de
communication, n’a pratiquement aucun contrôle matériel sur ses préposés une
fois que le navire est en mer. Néanmoins sa responsabilité est engagée dans une
certaine mesure si la faute de ses préposés est commerciale et non nautique (selon
certains droits et conventions). Il serait illogique de sanctionner un transporteur
pour des pertes ou avaries causées par la faute de ses préposés dans la naviga-
tion et dans l’administration du navire qui échappent matériellement à son
contrôle9.
Pour les raisons mentionnées auparavant, les lois nationales et les
conventions internationales limitent la responsabilité de l’armateur propriétaire
de navire10 et celle du transporteur11. C’est cette dernière qui nous intéresse.

5 B. Francou, Structure du coût de Transport Maritime, Thèse, Aix, 1975.


6 El. A. Geargandopoulos, The Dry Bulk Cargo Markets, Bremen, 1979.
7 B.M. Deakin, Shipping Conferences, Cambridge University Press, 1973, p. 163-224.
8 G. Ripert, Traité Général de Droit Maritime, Tome II, 4e édition, Paris, 1952, p. 140.
9 L. M. Martin, L’abandon du navire et du fret en droit français, Thèse, Bordeaux, 1957, p. 19 et suite ;

voir Me Georges Jorro, « Le propriétaire du navire a-t-il la faculté d’abandon en droit maritime
marocain ? », GTM, 10 Juillet 1953, p. 125.
10 M. T. K. Thommen, Réglementation international des transports maritimes, Nations Unies, New York,

1970. F. Odier, « La responsabilité du propriétaire de navire », in Le Droit Maritime Marocain, INEJ,


Rabat, 1981, p. 76-79 ;
11 Voir lois nationales : loi française de 1966, loi américaine de 1936, dahir marocain de 1919, etc.
Mustapha EL KHAYAT 17

Le principe de la limitation de responsabilité est défini ainsi par


P. Chauveau : « Lorsque la responsabilité est encourue, un maximum est fixé à
cette responsabilité qui ne peut être dépassée qu’en cas de déclaration de
valeur »12.
L’article 4, paragraphe 5 de la Convention de Bruxelles prescrit :

« Le transporteur comme le navire ne seront tenus responsables en aucun


cas des pertes ou dommages causés aux marchandises ou les concernant
pour, une somme dépassant 100 livres sterling par colis ou unité, ou
l’équivalent de cette somme en une autre monnaie, à moins que la nature
et la valeur de ces marchandises n’aient été déclarées par le chargeur avant
leur embarquement et que cette déclaration ait été insérée au
connaissement ».

Cette limitation de responsabilité a été demandée à la Conférence de


La Haye en 1921. Les représentants des armateurs ont souligné qu’il convenait
de protéger le transporteur contre « les prétentions excessives et inattendues des
propriétaires des marchandises »13.
Cette limitation revendiquée par les transporteurs et accordée à eux par
la convention de Bruxelles et par la suite par les lois nationales, fonctionne dans
tous les cas où cette responsabilité existe, sauf :
– en cas de déclaration de valeur des marchandises (article 4,
paragraphe 5 de la Convention de Bruxelles de 1924 ; article 266 du
DCCM, article 28 de la loi française du 18 juin 1966…).
– en cas de dol et de faute lourde14 (l’article 28 de la loi française de
1966 dans son alinéa a) se réfère à la notion de dol, la loi du
23 décembre 1986 ; la Convention de Bruxelles de 1924 et le DCCM
ont gardé le silence à propos du cas de dol et de faute lourde).

Les Règles de Hambourg ont adapté les dispositions du Protocole de


1968 à ce sujet (article 8) :
« 1. Le transporteur ne peut pas se prévaloir de la limitation de respon-
sabilité prévue à l’article 6 s’il est prouvé que la perte, le dommage ou le
retard à la livraison résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur
commis soit avec l’intention de provoquer cette perte, ce dommage ou ce

12 P. Chauveau, DMF, n° 812, p. 551.


13 Les Connaissements, op. cit., p. 48.
14 Rodière note : « Si comme la fraude, le dol échappe à toutes les règles et fait échec à cette

limitation légale, les termes généraux impératifs du texte excluent toute assimilation de la faute
lourde au dol », DMF, 1960.
18 Le droit maritime dans tous ses états

retard, soit témérairement et en sachant que cette perte, ce dommage ou


ce retard en résulterait probablement.
2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 2 de l’article 7, un préposé
ou un mandataire du transporteur ne peut pas se prévaloir de la limi-
tation de responsabilité prévue à l’article 6 s’il est prouvé que la perte, le
dommage ou le retard à la livraison résulte d’un acte ou d’une omission
de ce préposé ou de ce mandataire, commis soit avec l’intention de pro-
voquer cette perte, ce dommage ou ce retard, soit témérairement et en
sachant que cette perte, ce dommage ou ce retard en résulterait
probablement ».

Il nous paraît nécessaire d’aborder les points suivants en détail en ce qui


concerne la limitation de responsabilité
1. Base de calcul de l’indemnité
2. Cas où la limitation légale est écartée
3. Quels sont les bénéficiaires de la limitation de Responsabilité ?

La Convention de Bruxelles de 1924 dans son article 4, paragraphe 5


indique la base de calcul de la limitation de responsabilité « par colis ou unité ».
La loi française du 18 juin1966 (article 29) va dans le même sens : « La res-
ponsabilité du transporteur ne peut dépasser pour les pertes ou dommage subis
par les marchandises, et par colis ou par unité, une somme dont le montant sera
fixé par décret ». Le DCCM dans son article 266 ne se réfère qu’au colis.
Néanmoins ces bases de calcul ont posé et posent des problèmes. Ces
problèmes se résument en trois points que le Doyen Rodière présente ainsi :
« 1° - qu’est-ce qu’un colis ?
2° - Qu’est-ce que l’unité dont il faut tenir compte ?
3° - quand le titre de transport mentionne à la fois un nombre et un
poids (ou un volume), faut-il se référer au nombre c’est-à-dire finalement
à la notion de colis ou au poids (ou au volume) c’est-à-dire finalement à
la notice d’unité ? »15.

15 R. Rodière, Traité Général de Droit Maritime, Dalloz, Paris, 1967, Tome II, n° 668, p. 301.
Mustapha EL KHAYAT 19

-
Selon Ripert, on peut entendre par colis des marchandises individualisées
portées au connaissement en fonction de leur nombre16.
Le Doyen Rodière définit le colis comme

« un élément de cargaison, reconnu par des marques distinctives et porté


sur le titre de transport. Cette définition… assure la sécurité pécuniaire
du transporteur ; elle correspond à ce dont la convention des parties
charge contractuellement le transporteur »17.

La notion de colis pose des problèmes avec les transports unitarisés : palet-
tes, conteneurs ou engins similaires. L’attendu de jugement rendu le 19 décem-
bre 1973 par le tribunal de commerce du Havre montre bien les difficultés qui
existent en ce qui concerne la définition du colis : « il convient donc d’examiner
chaque cas particulier avec soin pour déterminer ce qui a été pris en charge au
moment de l’embarquement ».18
Le Président de Chambre au tribunal de commerce de Paris, Gervais de
Rouville, déclara lors d’une réunion de la Commission de la Conférence
générale des présidents et juges des tribunaux de commerce de France,

« qu’il est généralement admis que, conformément à l’arrêt déjà ancien de


la Cour de cassation du 12 octobre 1964, c’est aux déclarations inscrites
par le chargeur au connaissement qu’il faut se reporter pour savoir si le
transporteur est responsable d’un seul colis ou d’autant de colis qu’il y a
de lots dans le conteneur »19.

En ce qui concerne l’application de la notion de colis au conteneur, les


tribunaux français ont tendance à se référer aux décisions des tribunaux des
États-Unis. En effet, dans une affaire soumise au tribunal de commerce du
Havre 20 , les juges se sont expressément référés à l’arrêt Kulmerland rendu le
13 août 1973 par la Cour d’appel de New York21.

16 P. Chauveau, op. cit., n° 812, p. 552. G. Ripert, op. cit., Tome II, p. 709.
17 R. Rodière, op. cit., Tome II, p. 301, n° 669 ; voir aussi BT 976, 516 ; E. du Pontavice, Droit et
pratique des transports maritimes et affrètement, Paris, 1970, p. I 33.
18 DMF, 1974, p. 304.
19 J.M.M., 18.12.1975, p. 3132.
20 Trib. de Comm. du Havre, 19 octobre 1973 : DMF, 1974, p. 304.
21 Royal typewriter Co. ; V.M.V. Kulmerland 1873, 766 commenté par P. Bonassies, DMF, 1974,

p. 752 et suivantes. Dans cette affaire 350 cartons contenant des machines à calculer avaient été
mis par l’expéditeur dans un conteneur qui avait été transporté sous un connaissement mention-
nant de la machinerie. À New York le conteneur fut pillé. La question s’est posée de savoir s’il
fallait appliquer 500 $ par carton. La Cour a considéré que la référence au connaissement était
20 Le droit maritime dans tous ses états

L’affaire présentée devant le tribunal de commerce du Havre est la


suivante : 9 260 colis de genres différents avaient été chargés dans 9 conteneurs.
Le chargeur, en dénombrant de manière très précise le contenu de chaque con-
teneur sur une annexe au connaissement, estimait engager, en cas de sinistre, la
pleine responsabilité du transporteur. Le contenu d’un des conteneurs, à savoir
650 balles de riz, chaque balle comprenant à son tour 6 paquets de 10 livres
anglaises, avait été sinistré.

Le tribunal, en invoquant le critère retenu par la décision de l’arrêt


Kulmerland a statué :
« Attendu en effet qu’un colis, dans le sens maritime du terme ne peut
être qu’une unité susceptible de supporter les aléas d’un transport mariti-
me ; que tel n’est évidemment pas le cas pour ces ballots de riz tels qu’ils
sont décrits ;
Attendu qu’il est constant que tel qu’il a été conditionné, le riz ne pouvait
être reçu à bord d’un navire conventionnel, y être arrimé et supporter les
aléas du voyage ; qu’il était indispensable de fournir à ce riz une véritable
protection et que cette protection n’a été autre que le conteneur »22.

Dans l’affaire Kulmerland, la Cour d’appel de New York selon P. Bonassies


n’a pas attaché « une grande importance à la dimension du conteneur, ni même
aux mentions portées sur le connaissement ». Pour la Cour « il faut déterminer
un critère qui permette d’aboutir à une prévisibilité raisonnable. On ne peut la
trouver que dans un critère économique et fonctionnel ». Dans cette perspec-
tive, estime la Cour, « la première question, quand un conteneur est en cause,
est de savoir si son contenu aurait pu être facilement transporté dans les paquets
ou les cartons individuels dans lesquels il a été emballé par l’expéditeur ».
La Cour conclut :
« Le critère de l’unité fonctionnelle de conditionnement que nous
proposons aujourd’hui est destiné à fournir un critère de sens commun à
partir duquel toutes les parties concernées peuvent, lors de la conclusion
du contrat, répartir leurs responsabilités pour dommages, acquérir des

hasardeuse et qu’il fallait se référer à un critère objectif. Le critère objectif se trouvait dans la
notion de paquetage.
22 Dans une affaire, 54 cartons contenant chacun 40 convertisseurs de fréquence pour téléviseurs

étaient fixés sur 9 palettes, et le tribunal a dû décider si le nombre de colis était de 9 ou de 54. Il a
jugé que, comme chaque palette constituait une unité en soi, qui pouvait être mentionnée et était
conçue pour l’être, il n’y avait que 9 colis, et que le transporteur pouvait limiter sa responsabilité à
500 dollars par palette ; Standard Electrica S.A. v. Hamburg Sudamerikanische and Columbus Lines
(1967), in Les Connaissements, op. cit. p. 50.
Mustapha EL KHAYAT 21

assurances supplémentaires si nécessaire, et aussi éviter les difficultés


d’un litige »23.

Les hésitations des juges dans l’application de la notion de colis au con-


teneur avaient montré l’urgence d’une réforme. En effet les problèmes sont
apparus avec l’utilisation d’engins de groupement de colis, essentiellement les
conteneurs. Ces engins ont souvent un contenu qui n’a plus de rapport avec la
valeur de 100 livres or fixée par la Convention de Bruxelles de 1924. On a donc
décidé de revoir le plafond et le système de la limitation de responsabilité. Le
Protocole de 1968 précise cette question de colis dans le cadre d’engins de
groupement. L’article 2, paragraphe c du Protocole tranche le problème de la
façon suivante :

« Lorsqu’un cadre, une palette ou tout engin similaire est utilisé pour
grouper des marchandises, tout colis ou unité énuméré au connaissement
comme étant inclus dans cet engin sera considéré comme un colis ou
unité au sens de ce paragraphe. En dehors du cas prévu ci-dessus cet
engin sera considéré comme un colis ou unité ».

La tendance va dans le même sans que le Protocole de 1968. Si le con-


naissement porte uniquement la mention « conteneur » contenant tel type de
marchandise sans que le nombre soit spécifié, le conteneur sera considéré
comme un colis24. En revanche, quand le connaissement indique le nombre de
colis qui sont inclus dans le conteneur, les tribunaux décident que chaque colis
constitue un colis au sans de la limitation de responsabilité25. On retrouve la
même jurisprudence dans les droits étrangers (Canada, États-Unis, etc.). Il faut
bien noter que le conteneur en lui-même est considéré comme un colis étant
donné sa valeur en tant qu’unité de charge.

La notion d’unité pose plus de problèmes que celle de colis. Elle a été
qualifiée de « manifestement ambiguë ». Notons que le DCCM ne mentionne
nullement la notion d’unité.

23 Ce critère a été vivement critiqué par les auteurs américains, DMF, 1974, p. 752, commentaire.
de P. Bonassies.
24 DMF, 1973, p. 594.
25 DMF, 1977, p. 234.
22 Le droit maritime dans tous ses états

Selon Rodière26, on peut distinguer trois conceptions possibles en ce qui


concerne l’unité :
1. L’unité matérielle (objet du transport) mentionnée au connaissement
ou « commodity unit ».
2. L’unité matérielle telle qu’elle est utilisée dans la police ou « shipping
unit ».
3. L’unité habituelle de fret ou « customary freight unit ».

Pour certains auteurs, il faut se référer à l’unité indiquée sur le connais-


sement aux fins d’identifier la marchandise, pour d’autres à l’unité de fret.
La jurisprudence française est favorable à la conception de l’unité maté-
rielle mentionnée au connaissement27. Cette conception a l’avantage d’assurer
une certaine sécurité des parties : chargeur et transporteur peuvent d’avance
calculer le montant de la limitation et « le chargeur saura s’il a intérêt à faire une
déclaration de valeur »28.
Bien que la jurisprudence française attache une importance considérable
aux énonciations du connaissement lorsqu’il s’agit d’une marchandise chargée
en vrac, il n’en est pas ainsi quand elle se trouve en présence de gros envois
comme des camions ou des automobiles.
Par exemple, dans une affaire concernant un camion, le tribunal de
commerce du Havre avait considéré le camion comme un colis, n’avait pas tenu
compte des mentions du connaissement indiquant le poids du camion et avait
rejeté la demande du chargeur désirant que l’on prenne en considération le
poids du véhicule mentionné au connaissement29.
Pour une affaire similaire, le tribunal de commerce du Havre avait consi-
déré que le raisonnement du chargeur ne correspondait pas à l’interprétation de
la jurisprudence concernant 1’unité et avait décidé

« il ne peut y avoir de calcul par unité que lorsqu’on se trouve en pré-


sence d’une marchandise voyageant en vrac et qui ne constitue pas de ce
fait un ou plusieurs colis. Lorsqu’on se trouve au contraire en présence
d’une marchandise unique, portant des marques spécifiques, et quel que
soit son poids, sa dimension et son encombrement, cette marchandise
constitue un colis »30.

Toutefois dans une autre affaire, le même tribunal avait jugé qu’une voi-
ture transportée à nu ne constituait pas un colis aux termes de la Conventions
de Bruxelles et qu’il convenait de prendre en considération le maximum de

26 R. Rodière, op. cit., Tome II, a° 67C.


27 La Cour de cassation, Dalloz, 1947, p. 581.
28 E. du Pontavice, op. cit., I 33.
29 Tribunal de Comm. du Havre, 23 avril 1965, DMF, 1965, p. 751.
30 Trib. de Comm. du Havre, 14 mars 1973, DMF, 1974, p. 161 ; DMF, 1975, p. 352.
Mustapha EL KHAYAT 23

responsabilité du transporteur maritime en fonction de l’unité utilisée au con-


naissement, c’est-à-dire la tonne31.
La conception d’unité de fret insérée au connaissement et qui doit servir
à calculer l’indemnité présente le même inconvénient que la première
conception (unité de marchandise). Car

« pour une même expédition, un connaissement peut indifféremment


exprimer le poids qui sert au calcul du fret en kilo, en quintal ou en
tonne, de sorte que la limite de responsabilité varierait suivant les hasards
du libelle du connaissement »32.

C’est cette conception de l’unité de fret qui a été choisie par la législation
américaine dans la loi de 1936 :

« Ni le transporteur ni le navire ne seront ou ne deviendront en aucun


cas responsables d’aucune perte ou dommage aux marchandises pour une
somme supérieure à 500 dollars par colis de monnaie légale aux États-
Unis, ou dans le cas de marchandises non chargées en colis, par unité ha-
bituelle de fret ou l’équivalent de cette somme… » (Art. 4, n° 5,
paragraphe 1).

En application de ce texte, les tribunaux américains ne tiennent pas


compte de l’unité de fret basée sur le tarif de la conférence à laquelle appartient
le transporteur. Dans une affaire soumise à la Cour de New York, s’agissant
d’un transport d’automobiles chargées à Hambourg à destination de New York
et arrivées avariées, le connaissement couvrant le transport mentionnait 61
véhicules du fret total de 4 390 dollars, c’est-à-dire 72 dollars par voiture. Le
destinataire prétendait que la limitation légale devait être calculée par unité
volumétrique (le mètre cube), basée sur le tarif de la conférence à laquelle
appartenait l’armateur. Les juges n’ont pas suivi l’argumentation du destinataire
et ont décidé qu’en droit les mentions du connaissement primaient et que par
conséquent la voiture devait être considérée comme l’unité de fret33.
Dans une autre affaire, la jurisprudence américaine avait opté pour le
poids en tant qu’unité de compte :

« … un tracteur, d’un poids de 43 319 livres, qui avait été expédié sans
patins mais avec la superstructure recouverte en partie d’un coffrage de
bois, avait été livré endommagé. Le transporteur aurait voulu limiter sa

31 Trib. de Comm. du Havre, 18 septembre 1970, D. 1971, p. 293.


32 P. Chauveau., op. cit., n° 812.
33 Freedman & Slater V.M. v. Tofevo, 10 avril 1936, commenté par P. Bonassies, DMF, 1968, p. 238-

239 ; Indian Supply Mission V.S.S. Overseas Joyce, Cour de New York, 1er octobre 1965, commenté
par P. Bonassies, DMF, 1968, p. 239-240.
24 Le droit maritime dans tous ses états

responsabilité à 500 dollars, en alléguant que ce tracteur était un “colis”,


mais le tribunal a jugé que la responsabilité du transporteur ne pouvait
être limitée qu’à 500 dollars par tonneau d’encombrement (base sur
laquelle le fret avait été calculé) et que, comme le tracteur représentait
34,6 tonneaux d’encombrement, la responsabilité s’élevait à 34,6 x 500,
soit 17 300 dollars »34.

Le tribunal d’Alexandrie est allé dans un sens différent en déclarant


qu’une voiture transportée à nu ne constitue pas un colis et que par conséquent
la limitation de responsabilité de 100 livres ne s’appliquait pas, mais qu’il fallait
se référer à la valeur de la voiture. Ce jugement donne à penser que le tribunal
d’Alexandrie considérait que le transporteur qui avait accepté l’énonciation sur
le connaissement de la nature de la voiture et de sa marque, avait accepté la
valeur réelle de la voiture. Les indemnités se calculaient dans ce cas en fonction
de la valeur de la voiture et non en fonction de la limitation légale35.
Dans une affaire similaire, la jurisprudence marocaine avait suivi la
décision du tribunal d’Alexandrie :

« L’article 266 du DCCM limitant à 100 000 francs par colis la responsa-
bilité de l’armateur lorsqu’aucune déclaration de valeur ne figure au con-
naissement, ne saurait s’appliquer lorsqu’il s’agit du transport d’un
véhicule neuf, d’une marque connue, et d’un prix déterminé officielle-
ment, qui voyage à nu, le transporteur ayant alors une pleine
connaissance de sa valeur réelle »36.

Dans la pratique les chargeurs ne déclarent pas la valeur de la


marchandise sur les connaissements pour des raisons multiples. La raison la
plus simple est le risque de payer un faux de fret ad valorem qui serait plus
élevé. Les chargeurs trouvent souvent moins onéreux ou plus pratique de
prendre une assurance que de déclarer la valeur de la marchandise.
Les parties peuvent fixer d’un commun accord une somme autre que
celle de la limitation de responsabilité, manifestée par une clause du
connaissement (Convention de Bruxelles de 1924, article 4, paragraphe 5, alinéa

34 Affaire Gulf Italia v. American Export Lines (1958), A.M.C. 439 in Les connaissements, Nations
Unies, New York, 1970, p.49
35 Tribunal d’Alexandrie, 21.2.1954, DMF, 1955, p. 313.
36 Casablanca, 9 mai 1963, G.T.M., 10 mars 1964, p. 26 : voir p. 115 M. El Khayat, La responsabilité

du transporteur en droit maritime marocain et droit comparé, thèse en droit privé, Juin 1986, Université de
Panthéon Assas Paris II. p. 115
Mustapha EL KHAYAT 25

3). Mais cette possibilité de clause est rarement utilisée dans la pratique37. Le
moyen relativement utilisé par les chargeurs est ce qu’on appelle la déclaration
de valeur (article 4, paragraphe 5 de la Convention de Bruxelles de 1924, article
28, b de la loi française du 18 juin 1966 et article 266 du DCCM). Comme le
souligne P. Chauveau : « Pas plus que la limitation conventionnelle, la valeur
déclarée ne constitue une clause pénale »38. Il s’agit d’une présomption concer-
nant la valeur et la nature de la marchandise39. Cette déclaration doit être faite :
1) avant l’embarquement, 2) elle doit être indiquée sur le connaissement, 3) elle
doit porter sur la valeur et la nature de la marchandise ; cette mention de la
nature de la marchandise est exigée par la Convention de 1924. Par contre la loi
de 1966 et le DCCM ne mentionnent que la valeur déclarée.
Mais la déclaration de la valeur nous conduit logiquement à préciser la
nature de la marchandise et les soins qu’il faut lui réserver.
Le problème se pose quand la déclaration de valeur n’est mentionnée que
sur la police d’assurance40. La Cour de Cessation en France a répondu que la
valeur déclarée sur la police d’assurance constitue en quelque sorte une décla-
ration de valeur41. Cet arrêt a fait l’objet d’une critique de la part de P. Lureau.
Selon cet auteur, l’assurance et le transport sont deux contrats distincts, réunis
sur le même titre. En assurant la marchandise, le transporteur n’agit que comme
mandataire de l’assureur, il ne fait évidemment pas partie au contrat d’assurance
qui figure au connaissement par simple commodité pratique.
C. Scapel estime, de sa part, que cette décision aboutit à un résultat fâ-
cheux. D’après Scapel, cette décision dénature les intentions contractuelles des
parties, puisque le transporteur n’a pas reçu la contrepartie normale de la
déclaration de valeur et donc l’extension de sa responsabilité : le paiement d’un
fret ad valorem42.

De même sous l’empire de la loi du 18 juin 1966, le tribunal de Com-


merce de Marseille est allé dans le même sens et a décidé que la valeur déclarée
par le transporteur pour assurer la marchandise pourrait équivaloir à une
déclaration de valeur43.

37 C. Scapel, Le Domaine des limites légales de responsabilité dans le transport de marchandises par mer, Thèse,
Aix-en-Provence, 1974 ; P. Bonassies & Ch. Scapel, Droit Maritime, L.G.D.J, Paris 2006.
38 P. Chauveau, op. cit., n° 812.
39 « Le transporteur est en droit de contester la valeur déclarée à charge de prouver la valeur

réelle. » P. Chauveau, op. cit., n° 816 ; voir aussi le Trib. de Comm. de Marseille, 8.7.77, DMF,
1978, p. 234.
40 R. Rodière, op. cit., Tome II, n° 680.
41 Cour de cassation., 25 juin 1958, DMF, p. 716 avec note de P. Lureau.
42 C. Scapel, op. cit., p. 30.
43 Trib. de Comm de Marseille, 17 juin 1969, DMF, 1970, p. 358.
26 Le droit maritime dans tous ses états

Les effets de la déclaration de valeur peuvent se résumer ainsi il faut


savoir si la déclaration de valeur est exacte ou si elle est supérieure ou inférieure
à la valeur exacte de la marchandise.
a. si la valeur déclarée de la marchandise est exacte, le transporteur est
tenu à dédommager le chargeur jusqu’à concurrence de ce montant
en cas de perte totale. En cas de perte partielle ou d’avarie, le trans-
porteur paiera une somme proportionnelle au dommage survenu,
comme dans le domaine des assurances44.
b. si la valeur déclarée de la marchandise est supérieure ou inférieure à la
valeur exacte, deux cas se présentent :
- Dans le cas de la déclaration de valeur de la marchandise supérieu-
re à la valeur exacte, la Convention de Bruxelles de 1924 (article 4,
paragraphe 5), la loi du 18 juin 1966 (article 31), et le DCCM du
31 mars 1919 (article 269) sanctionnent le chargeur de perte de
tout droit à une indemnité en cas de pertes ou d’avaries45.
L’article 269 du DCCM est beaucoup plus sévère puisqu’il énon-
ce : « Lorsque la déclaration inexacte sur la nature, la valeur ou la
quantité des marchandises embarquées aura été faite de bonne foi,
elle aura pour sanction l’obligation de payer un fret double »46.
- Dans le cas de la déclaration de valeur de la marchandise infé-
rieure à la valeur exacte, une décision de la Cour de Cessation du
27 décembre 1943 en France avait condamné le chargeur pour
avoir fait une déclaration inférieure à la valeur réelle47.

La question de déchéance de la limitation de responsabilité se pose en


cas de faute lourde et de dol. La question avait été laissée sans réponse par le
Code marocain de 1919 comme par la Convention de 1924 ainsi que la loi de
1936 du droit maritime français. Tous ces textes ont prévu une seule exception
à la limitation légale de responsabilité du transporteur maritime, celle de la
déclaration de valeur.

44 R. Rodière, op. cit., Tome II, n° 680.


45 La déchéance frappe également le destinataire, voir Smeesters & Winkelmolen, Droit maritime
et droit fluvial, 2° ed., t. II, Bruxelles,Maison F. Larcier, 1933, p. 399. À ce propos P. Chauveau
note : « Elle (la loi) n’exige pas la preuve d’une intention frauduleuse, mais simplement de la
connaissance de la nature ou de la valeur réelle de la marchandise inexactement déclarée », op. cit.,
n° 816 ; voir aussi Trib. de Comm., Seine, 13 juin 1950, DMF, 1951, p. 937.
46 D.C.C.M.
47 Cette décision a été critiquée, voir G. Ripert, t. II, n° 1818 bis ; P. Chauveau, op. cit., p. 816.
Mustapha EL KHAYAT 27

En cas faute, la jurisprudence a souvent été indulgente vis-à-vis des


transporteurs. En droit français, la limitation est écartée dans le cas de dol,
c’est-à-dire dans le cas de faute intentionnelle et volontaire du transporteur48. La
loi du 18 juin 1966 et le protocole de 1968 ont intégré la déchéance en cas de
dol. Le Protocole de 1968 a ajouté la faute commise « témérairement et avec
conscience qu’un dommage en résulterait probablement » ce qui signifie une
faute inexcusable.
En France la Cour de cassation avait décidé que seul le dol, faute
intentionnelle et volontaire, et non la faute lourde, entraînait déchéance de la
limitation49.
Dans une affaire présentée devant la Cour d’appel de Rouen concernant
le transport de conteneurs renfermant deux moteurs d’avion chargés à New
York à destination de Douala et couvert par un connaissement net de réserves
et régit par la Convention de Bruxelles, les conteneurs avaient été chargés en
cale comme il était prévu, non pas étaient arrimés debout sur leur socle, mais
couchés et avaient été manipulés au débarquement par roulement sur eux-
mêmes. Les marchandises avaient été livrées endommagées en raison de ce
mode d’arrimage et de manipulation.

La Cour d’appel de Rouen n’a pas jugé la faute du capitaine dolosive et a


fait bénéficier le transporteur de la limitation légale. Cette décision a été
confirmée par la Cour de cassation pour la raison suivante :

« Les juges du fond ont déclaré, sans être critiqués à cet égard par le
pourvoi, que les fautes ainsi commises par le capitaine n’avaient pas été
intentionnelles ; qu’ils ont pu, en conséquence déclarer, sans avoir à tenir
compte de la plus ou moins forte gravité de ces fautes, et aucune fraude
n’ayant été d’ailleurs alléguée, que la limitation légale de responsabilité
édictée en faveur du transporteur par la Convention de Bruxelles trouvait
ici son application »50.

Dans une décision rendue par la Cour d’appel de Paris, les agissements
du transporteur ont été qualifiés de dolosifs51.

48 G. Ripert, op. cit., t. II, n° 1819 ; P. Chauveau, op. cit., n° 816 et R. Rodière, t. II, n° 675.
49 L’arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation du 11 mars 1960, rendu sous l’empire de
la loi de 1936, séparait la faute lourde du dol et écartait la limitation légale seulement en cas de
dol, DMF, 1960, p. 331 ; Cour de cassation, 6 juillet 1954, DMF, 1954 ; Cour de cassation,
11 mars 1960 DMF, 1960, p. 331 ; Cour de cassation, 4 juillet 1957, DMF, 1957, p. 661 : La Cour
considéra qu’un vol commis par l’équipage par suite d’un manque de surveillance constituait une
faute lourde. Néanmoins le transporteur pouvait bénéficier de la limitation de responsabilité par
colis de la loi Française du 2 avril 1936.
50 DMF, 1969, p. 613, note de P. Lureau.
51 Cour d’appel de Paris, 24 mars 1976, J.T., 1976, n° 1741.
28 Le droit maritime dans tous ses états

D’après la jurisprudence, il semble que la distinction entre dol et faute


lourde soit très délicate à faire. Néanmoins la jurisprudence n’a jamais, à notre
connaissance, admis l’assimilation de la faute lourde au dol. Comme on l’a
mentionné, la loi de 1966 a opté pour la déchéance de la limitation en cas de
dol52. Dans une affaire concernant le transport de foies de porc congelés et
avariés, ceux-ci furent chargés à bord d’un navire à New York sans que le
capitaine ait pris des réserves sur le connaissement.

Le tribunal de commerce53 et la Cour d’appel54 de Rouen décidèrent que


le fait que le capitaine n’ait pas pris des réserves sur le connaissement ne
constituait pas une faute lourde. En conséquence, la déchéance de la limitation
de responsabilité ne fut pas appliquée. La Cour de cassation55 renvoya la cause à
la Cour d’appel de Rennes au motif que la Cour d’appel de Rouen, en décidant
qu’il n’y avait pas eu faute lourde, n’avait pas permis à la Cour de cassation
d’exercer son contrôle sur la nature de la faute commise. Dès lors, la Cour
d’appel de Rennes 56 décida qu’une faute lourde avait été commise, ce qui
invalidait la limitation de responsabilité par colis. Comme le remarque Ripert,

« … dans aucune de ses dispositions, la Convention de Bruxelles du


25 août 1924, à la différence de certains traités qui l’ont précédée ou
suivie, ne fait une quelconque allusion à la faute lourde du transporteur
maritime pour décider que cette faute doit faire échec à la limitation de
responsabilité qu’elle édicte »57.

52 Comme le note W. Tetley, « Néanmoins, il existe une lacune dans la loi du 18 Juin 1966 en ce
qui concerne l’inexécution fondamentale du contrat. La loi considère que le contrat est violé par
le transporteur dans des cas de fraude (dol) (art. 28-A), mais la loi ne fait pas mention de nullité
en cas de faute lourde ou négligence volontaire, ou dans tout autre cas similaire, telle qu’une faute
lucrative (ou faute commise par intérêt personnel, sans intention de causer de dommages à l’autre
partie). On doit conclure qu’en France, aucune de ces circonstances ne fait perdre au transporteur
le bénéfice de la limitation de responsabilité par colis. Ceci ne fut peu accepté d’emblée par toutes
les autorités. (René Rodière, Traité Général de Droit Maritime, Tome II, pare. 675, mentionne
avec regret que la faute lucrative (faute où une personne agit pour son bénéfice monétaire
personnel) ne fût pas incluse dans la loi du 18 Juin 1966). Il semble déplorable que la loi du 18
Juin 1966 n’étende pas l’inexécution fondamentale du contrat au-delà de la fraude parce que cette
derrière est rare, difficile à prouver et demeure de portée limitée », Inexécution fondamentale du
contrat suivant les règles de La Haye, Visby, Uncitral par W. Tetley Q,C., DMF, 1977, p. 610-611.
53 Trib. de Comm. de Rouen, 2 avril 1957, DMF, 1957, p. 618.
54 Cour d’appel de Rouen, 16 janvier 1955, DMF, p. 356.
55 Cour de cassation, 11 avril 1964, DMF, 1964, p. 471.
56 DMF, 1966, p. 553.
57 DMF, 1952, p. 421 ; DMF, 1952, p. 691 ; note de G. Ripert in A. Fakhari, Le Contrat de transport

maritime de marchandises en Droit Iranien comparé au Droit Français, Aix, 1977, p. 309.
Mustapha EL KHAYAT 29

En droit américain, certaines fautes du transporteur comme le fait de


transporter une marchandise en pontée contrairement à la demande du char-
geur, étaient apparues comme modifiant par leur gravité les bases fondamen-
tales du contrat, entraînant par là déchéance de la limitation58.
Par contre en cas de faute lourde, la Cour d’appel des États-Unis a statué
que des circonstances assimilables à un déroutement ne privent pas le trans-
porteur du bénéfice de la limitation de responsabilité.

« La décision de la Cour d’appel des États-Unis dans l’affaire Atlantic Ins.


Co. v. Poseidon démontre la confusion qui existe. La cargaison devait être
transportée de Chicago à Anvers mais elle ne fut pas déchargée à Anvers
lorsque le navire y arriva. La cargaison fut transportée à Hambourg où
elle fut déchargée. Ce n’est que dix-huit mois plus tard que la livraison fut
effectuée. Dans cette affaire, la Cour décida qu’il s’agissait d’un déroute-
ment… La Cour décida alors, parce qu’il y avait déroutement, que le
contrat de transport était résilié mais elle ajouta que cela ne privait tou-
jours pas le transporteur du bénéfice des Règles et de la limitation de
responsabilité par colis »59.

Le Professeur F. Tetley critique cette décision en des termes clairs :

« On est en droit de conclure que la décision dans l’affaire Atlantic Mutual


est erronée pour les raisons suivantes :
a) IL n’y a aucune indication par la Cour sur le point de savoir si le
dépassement était intentionnel ;
b) En supposant qu’il y avait une intention de dépassement et que le
contrat était résilié, tel que la Cour le déclare, alors les Règles de La Haye
et la limitation de responsabilité par colis ne devraient pas bénéficier au
transporteur. Les Règles ne s’appliquent qu’à un connaissement ou autre
contrat de transport (voir les art. 2 et 1-b) »60.

La limitation légale est écartée, d’une part si par convention des parties la
limite a été fixée à une somme supérieure au chiffre légal, d’autre part en cas
d’arrimage irrégulier61 et enfin en cas de lettre de garantie frauduleuse. Dans le
cas de lettre de garantie frauduleuse, l’indemnité est totale puisque le

58 P. Bonassies, Droit Maritime Marocain, op. cit., p. 130 ; voir aussi l’affaire Jones & Guerro v. Flying
Clipper, 1954 A.M.C. 259, cité par W. Tetley Q.C., DMF, 1977, p. 606.
59 Atlantic Mutual Insurance Co. v. Poseidon, DMF, 1977, p. 607-608, commentaire de W. Tetley

Q.C. ; voir aussi commentaire de P. Bonassies, DMF, 1965, p. 67-75.


60 W. Tetley, op. cit., DMF, 1977, p. 607-608.
61 Article 147 du D.C.C.M.
30 Le droit maritime dans tous ses états

connaissement est net. En effet le transporteur le délivre en contrepartie d’une


lettre de garantie dont il sait qu’elle ne correspond pas à la réalité62.

De toute évidence le transporteur est le bénéficiaire de la limitation de


responsabilité. La Convention de Bruxelles, la loi du 18 juin 1966 et d’autres
législations qui ont imité la Convention de Bruxelles sont restées muettes en ce
qui concerne les préposés du transporteur à propos de la limitation de respon-
sabilité. Selon C. Scapel peut-être cela est dû à l’insolvabilité des préposés du trans-
porteur et l’action n’est souvent faite que contre le transporteur lui-même63.
Le Professeur E. du Pontavice nous signale : « il paraît possible d’insérer
au connaissement une clause stipulant que l’ayant droit à la marchandise et le
transporteur s’interdisent toute action et tout recours contre les préposés »64.
Les préposés peuvent alors se libérer de leur responsabilité, par contre le
transporteur ne peut pas se libérer de la sienne (voir la Convention de 1924 et la
loi du 10 juin 1966).

Le Protocole de 1968 apporte trois changements principaux :


– Il substitue à la limitation de la Convention de 1924 une limitation
double, à la fois par colis ou unité et par kg. La limitation la plus
élevée étant applicable.
– Il précise le mode de calcul de la limitation de responsabilité pour les
colis groupés, soit dans un conteneur, soit dans une palette ou tout
engin similaire.
– Il précise la solution à apporter au problème de la faute : la déchéance
du transporteur du droit de la limitation de responsabilité en cas de
faute intentionnelle ou en cas de faute inexcusable (le nouvel art. 4,
para. 5 du Protocole de 1968).

« Le Protocole de 1968 adopte une solution nette ; il déclare que le


transporteur sera déchu de la limitation de responsabilité non seulement
en cas de faute intentionnelle, mais aussi en cas de faute “inexcusable”,
c’est-à-dire chaque fois que le dommage résulte d’un acte qui a eu lieu
témérairement et avec conscience qu’un dommage en résulterait
probablement. Il restera à la jurisprudence à préciser comment il faut
entendre la notion de faute inexcusable, à dire aussi si la faute

62 E. du Pontavice, op. cit., I 28.


63 C Scapel, op. cit., p. 102.
64 E. du Pontavice, op. cit I 31.
Mustapha EL KHAYAT 31

inexcusable du préposé doit être assimilée à la faute inexcusable du


transporteur »65.

Le Protocole de 1968 relève le plafond de la limitation de responsabilité


et abandonne la référence à la livre-or. La nouvelle règle porte la limitation à
10 000 francs Poincaré par colis ou unité ou 30 francs Poincaré par kilogramme
de poids brut des marchandises.
L’article 2, paragraphe c) du Protocole prévoit aussi que « lorsqu’un cadre,
une palette ou tout engin similaire est utilisé pour grouper des marchandises,
tout colis ou unité énuméré au connaissement comme étant inclus dans cet
engin sera considéré comme un colis ou unité… » pour le calcul de la limitation
de responsabilité.
L’article 2, paragraphe b) du Protocole de 1968 prévoit ce qui suit :

« La somme totale due sera calculée par référence à la valeur des


marchandises au lieu et au jour où elles sont déchargées conformément
au contrat, ou au jour et au lieu où elles auraient dû être déchargées.
La valeur de la marchandise est déterminée d’après le cours en bourse,
ou, à défaut, d’après le prix courant sur le marché ou, à défaut de l’un et
de l’autre, d’après la valeur usuelle de marchandises de même nature et
qualité ».

Lors de la rédaction du Protocole, la question de l’extension de la limita-


tion de responsabilité aux préposés du transporteur et aux entreprises de manu-
tention s’est posée. Les rédacteurs n’ont pas voulu étendre la limitation de
responsabilité aux entreprises de manutention. Le texte du Protocole dans son
article 3, paragraphe 2 prévoit que les limitations seront appliquées aux actions
intentées aux préposés du transporteur : « Si une telle action est intentée contre
un préposé du transporteur, ce préposé pourra se prévaloir des exonérations et
des limitations de responsabilité que le transporteur peut invoquer en vertu de
la convention ». Par exemple le capitaine peut invoquer la limitation légale de
responsabilité.
Il faut bien noter que le Protocole modificatif de 1979 a abandonné l’or
comme étalon, et a opté pour l’unité de compte du FMI à savoir le DTS. Ce
protocole qui est entré en application le 18 mai 1986 prévoit comme limitation
de responsabilité 2 DTS par kilo ou 665 DTS par colis ou unité, « la limitation
la plus élevée étant applicable ».

65 P. Bonassies, Droit Maritime Marocain, op. cit., p. 130.


32 Le droit maritime dans tous ses états

Le Dahir du Code de Commerce maritime marocain fut promulgué le


31 mars 1919 et entra en application le 1er juin de la même année.
« À cette époque, aucune législation ne connaissait, sinon à l’état de pro-
jet, la limitation par un texte de loi impératif et d’ordre public de la respon-
sabilité de l’armateur » 66 . Donc le législateur marocain de l’époque avait en
quelque sorte innové en matière de droit maritime comparé et créé un code qui
constituait une référence pour les législations étrangères.

L’article 266 du DCCM (modifié par le Dahir du 29 avril 1946 27


Joumada I 1365 et le Dahir du 16 septembre 1954 – 17 Moharrem 1374)
prescrit :

« Lorsqu’une déclaration de valeur ne figure pas au connaissement, la


responsabilité de l’armateur et du capitaine est limitée à 1 000 Dirhams
par colis, et ce, nonobstant toute convention contraire.
Lorsqu’une déclaration de valeur figure au connaissement, cette
responsabilité est limitée à la valeur ainsi déclarée ».

Le législateur marocain s’est référé à la notion de colis pour le calcul de


l’indemnité en cas de perte ou d’avarie. Cette notion n’est pas bien définie67.
Elle n’est pas utilisable pour les marchandises en vrac (solide ou liquide). De
plus, avec les conteneurs ou des engins similaires, la notion de colis semble
inadéquate et la limitation de responsabilité de 1 000 DH paraît dérisoire.
Le dommage qui est pris en considération dans le calcul de la limitation
de la responsabilité, est précisé dans l’article 264 du DOC (Dahir des
Obligations et Contrats)

« Les dommages sont la perte effective que le créancier a éprouvée et le


gain dont il a été privé, et qui sont la conséquence directe de l’inexécu-
tion de l’obligation. L’appréciation des circonstances spéciales de chaque
espèce est remise à la prudence du tribunal : il doit évaluer différemment
la mesure des dommages-intérêts, selon qu’il s’agit de la faute du
débiteur ou de son dol ».

66R. Bayssière, Le droit commercial maritime du Maroc français, thèse, Bordeaux, 1935, p. 355.
67 La Cour Suprême, 22.1.1969, jugement n° 88, RMD, Année 1970, p. 479 : Ce jugement a
considéré une voiture non emballée comme un colis et que par conséquent la limite de
responsabilité légale devait être de 1 000 DH par colis nonobstant toute clause contraire.
Mustapha EL KHAYAT 33

L’application de ce Principe est conforme aux intérêts de la marchandise


afin d’éviter que le transporteur ne s’enrichisse aux dépens du chargeur ou du
destinataire. Toutefois le propriétaire de la marchandise ou le destinataire ne
reçoit que l’équivalent du dommage subi par sa marchandise si sa valeur est
inférieure à 1 000 DH. La valeur maximale ne dépasse pas 1 000 DH68.
M. Rivière écrivait :

« On s’est demandé si l’article 266 Dahir du Code de Commerce


Maritime est simplement limitatif ou s’il entend fixer un forfait applicable
en tous cas, la première interprétation nous paraît résulter nettement de
la rédaction même de l’article »69.

M. Henri Aubrun ajoute à ce propos :

« L’article 266, pare. 1 laisse en suspens une question délicate. En limi-


tant l’indemnité à 2 500 francs par colis, il ne précise pas s’il entend
attribuer au colis cette valeur, dont l’armateur paiera le tout ou seulement
partie, suivant que la perte sera totale ou partielle, ou s’il entend, au con-
traire, que cette somme soit acquise en tous cas comme une indemnité
forfaitaire. Entre ces deux systèmes, celui du prorata, plus logique, celui
du forfait, plus apprécié par des chargeurs et d’un usage plus courant, on
ne voit pas lequel la loi marocaine a choisi »70.

Reste le problème de savoir si les parties peuvent fixer une valeur supé-
rieure à la limitation légale. Ripert avait déjà répondu à cette question en 1921 :

« Quand à la clause qui établirait un chiffre plus fort, (c’est-à-dire supé-


rieur à 1 000 dirham) elle est certainement valable, malgré l’expression
légale, car elle revient à l’acceptation d’une déclaration de valeur (art. 266,
pare. 2) »71.

La question de la faute lourde et du dol a également posé des problèmes


à la jurisprudence marocaine.
La limitation légale de responsabilité s’applique-t-elle en cas de faute
lourde ou de dot du transporteur ou de ses préposés ? Cette question a déjà été

68 Trib. de Comm. de Marseille, 28.1.1947, GTM, 10.5.47, n° 1 000, p. 47.


69 M. Rivière, Traités, Codes et Lois du Maroc, T. III ; et Précis de la législation marocaine, 1927, p. 336, in
R. Bayssière, Le droit commercial maritime du Maroc Français, Thèse, Bordeaux, 1935 p. 355-366
70 R. Aubrun, « Les Clauses des Connaissements », Recueil Penant, mai 1922, n° 59, III, p. 16, cité

in R. Bayssière, op, cit., p. 356.


71 G. Ripert, GTM, n° 8, 24 novembre 1921.
34 Le droit maritime dans tous ses états

posée par Bayssière et Me J. Bonan 72 . Ce dernier résuma la position de la


jurisprudence avant 1951 :

« La question est controversée et les différentes chambres de la Cour


d’appel de Rabat n’ont pas réussi, sur ce point, à accorder leur
jurisprudence. Tantôt il a été décidé que l’indemnité limitée édictée par la
loi s’appliquait à toutes les fautes, quel qu’en soit le caractère (ce qui nous
semble immoral, car il serait permis à l’armateur ou à ses préposés de
faire disparaître un colis de valeur, quand celle-ci n’a pas été inscrite sur
le connaissement, en acceptant la perspective d’avoir à payer une
indemnité maxima de 48 000 francs), tantôt la faute lourde est exclue des
prévisions de l’art. 266 (DCCM) »73.

Selon la législation marocaine (art. 98 et 264 DOC il n’y a entre le dol et


la faute lourde qu’une différence de degré mais il n’y a aucune différence de
nature (art. 232 DOC)74.
L’arrêt très ancien du 21 novembre 1930 paraît révéler que la Cour d’appel
ne faisait qu’appliquer le sens de l’article 83 de l’ancien Code de Commerce. Cet
article fait appel à l’article 232 du DOC En effet, la Cour d’appel, suivant l’un
des motifs du jugement du 23 juin 1929, statua :

« Les dispositions de l’article 266 du Dahir du 31 mars 1919 formant


Code de Commerce Maritime règlent l’étendue de la responsabilité
contractuelle, mais ne font pas échec aux principes de la responsabilité
civile (art. 232 du DOC) »75.

Le paiement des dommages-intérêts en cas de pertes ou d’avaries doit


s’effectuer en devise nationale, à savoir le Dirham. Tout paiement en devise
étrangère ou en or est contraire à l’ordre public.
L’article 269 du DCCM prévoit que toute déclaration inexacte sur la
nature, la valeur ou la quantité des marchandises embarquées, faite de bonne
foi, entraîne pour le chargeur l’obligation de payer un double fret.

« Cette disposition légale est écrite à la suite d’autres articles qui


aggravent la responsabilité des armateurs, soit en frappant de nullité
certaines clauses par lesquelles ils pourraient échapper à leurs obligations

72 R. Bayssière, op. cit., p. 359-365. J. Bonan, Les idées maitresses du Dahir formant Code de Commerce
Maritime au Maroc, Revue Juridique et Politique de l’Union Française, T. V, 1951, p. 220-227 ; voir aussi
P. Bertrand de la Grassière « La limitation légale de la responsabilité du transporteur maritime et
la faute lourde (la jurisprudence de la Cour de Rabat et l’évolution de la jurisprudence de la
Métropole) », Rev. Mar. de droit, 1er juin 1957, p. 241.
73 J. Bonan, op cit., p. 224.
74 D .C .C.M., D.O.C., C.C.M.
75 Affaire Bosch c Cie Générale Transatlantique, GTM, n° 371, 28.9.29.
Mustapha EL KHAYAT 35

contractuelles, soit en restreignant la portée. Il a donc paru équitable au


législateur de compenser les risques plus grands, courus désormais au
Maroc par les armateurs en protégeant ceux-ci contre les conséquences
préjudiciables pour eux des déclarations de chargement fausses ou
inexactes qui pourraient figurer aux connaissements »76.

G. Ripert trouva que le DCCM dans son article 269 sanctionne d’une
manière illogique le chargeur du simple fait qu’il a commis une faute légère dans
la déclaration de la valeur ou du poids77.

Le DCCM n’est pas seulement sévère vis-à-vis du transporteur mais éga-


lement vis-à-vis du chargeur, et ce à travers cet article 269. Cet article « … peut
élever un utile rempart contre les fraudes intéressées et quelquefois invérifiables
des chargeurs, relatives aux déclarations sur la valeur, la nature ou la quantité
des marchandises »78.

Néanmoins, il faut noter que l’article 269 n’a pas son pareil au niveau de
la sévérité, même si, à notre connaissance, il n’a jamais été appliqué.
Notons que le Maroc en adhérent aux Règles de Hambourg qui sont
entrées en application depuis 1992 a fait un saut d’un droit interne qui
s’applique exclusivement aux litiges maritimes à une convention internationale
fruit des revendications des pays en développement.

Les Règles de Hambourg constituent un progrès incontestable par rap-


port au DCCM en ce qui concerne la limitation de responsabilité. Elles ont re-
produit le texte du Protocole de 1968 avec une légère augmentation des chiffres
et une nouvelle unité de compte : le DTS (825 DTS par colis ou 2,5 DTS par kg,
le DCCM se limite à 1 000 DH par colis [article 266]). L’article 266 se réfère au
colis comme critère de calcul de la limitation de responsabilité. Cette notion de
colis est confuse et ne correspond plus aux modes de conditionnement actuels
(conteneurs ou engins similaires), ni à la nature des marchandises (éléments
d’usine clé en main). De même les 1 000 DH 79 ne correspondent plus à la

76 Répertoire Alphabétique de la Jurisprudence de la Cour d’appel de Rabat, 1947, Tome XXIV,


Vol. II, p. 405.
77 G. Ripert, « Les transports sur le Maroc et les sévérités du Code Chérifien », GTM, 2e année,

n° 18, 2 février 1922.


78 R. Bayssière, op. cit., p. 386.
79 Rabat, 23 Février 1955, G.T.M., 10 Janvier 1956 ; voir aussi Tribunal de Casablanca, 21.12.1979,

jugement commercial n° 3035 en arabe, non publié ; Tribunal de Casablanca, 7.4.1981, Jugement
commercial n° 1027, en arabe, non publié.
36 Le droit maritime dans tous ses états

valeur des marchandises de nos jours, ni à l’érosion monétaire, ni à la


dépréciation du Dirham par rapport aux devises étrangères.

La déchéance de la limitation de responsabilité est absente dans le


DCCM, mais par contre les Règles de Hambourg ont adopté les dispositions du
Protocole de 1968 à ce sujet (article 8).

« 1. Le transporteur ne peut pas se prévaloir de la limitation de respon-


sabilité prévue à l’article 6 s’il est prouvé que la perte, le dommage ou le
retard à la livraison résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur
commis soit avec l’intention de provoquer cette perte, ce dommage ou ce
retard, soit témérairement et en sachant que cette perte, ce dommage ou
ce retard en résulterait probablement.
2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 2 de l’article 7, un préposé
ou un mandataire du transporteur ne peut pas se prévaloir de la limita-
tion de responsabilité prévue à l’article 6 s’il est prouvé que la perte, le
dommage ou le retard à la livraison résulte d’un acte ou d’une omission
de ce préposé ou de ce mandataire, commis soit avec l’intention de pro-
voquer cette perte, ce dommage ou ce retard, soit témérairement et en
sachant que cette perte, ce dommage ou ce retard en résulterait
probablement ».

RH : Les Règles de Hambourg ont substitué au Franc Poincaré le DTS


avec une légère augmentation des chiffres : 2,5 DTS par kilo au lieu de 2 selon
le Protocole de 1968, ou 835 DTS par colis ou unité, au lieu de 665 selon le
Protocole de 1968. Les Règles précisent : « la limitation la plus élevée étant
applicable ».
Pour le transport par conteneur ou engin similaire, les Règles précisent :

« Lorsqu’un conteneur, une palette ou tout engin similaire est utilisé pour
grouper des marchandises, est considéré comme un colis ou autre unité
de chargement tout colis ou unité dont il est indiqué au connaissement, si
un connaissement est émis, ou sinon dans tout autre document faisant
preuve du contrat de transport par mer qu’il est contenu dans cet engin.
En dehors du cas prévu ci-dessus, les marchandises contenues dans cet
engin sont considérées comme une unité de chargement ».

En cas de retard, la limitation de responsabilité est 2.5 frais de fret


payable pour la marchandise ayant subi le retard mais n’excédant pas le montant
brut du fret payable en vertu du contrat de transport.
RR : La limitation de responsabilité est de 875 DTS par colis ou autre
unité de chargement ou 3 DTS par kg de poids brut des marchandises objet de
Mustapha EL KHAYAT 37

litige (art.59) En cas de retard la limitation de responsabilité est 2.5 frais de fret
payable pour la marchandise ayant subi le retard mais n’excédant pas la limite
fixée pour la perte totale des marchandises concernées (art.60). Les RR intè-
grent la responsabilité pour retard comme les RH. Néanmoins, cette indemnité
est négligeable au début du XXIe siècle par rapport au préjudice réel subi par
une chaîne logistique face à une rupture d’approvisionnement en matières
premières ou pièces.

Au niveau de la jurisprudence marocaine, on constate un certain flotte-


ment dans les décisions des tribunaux à propos de la limitation de responsa-
bilité légale.
Les questions les plus controversées sont :
– La faute lourde et le dol.
– La déclaration de valeur et la notion de colis.

En cas de dol ou de fraude la limitation de responsabilité ne peut pro-


duire d’effet et ce même avant l’entrée en application des textes impératifs
concernant les transports maritimes.
La question qui constitue le nœud du problème de la jurisprudence ma-
rocaine est la suivante : en cas de faute lourde, équivalente au dol, le transporteur
ou ses préposés peuvent-ils bénéficier de la limitation légale de responsabilité ?
En vérité cette question est la plus intéressante en matière de limitation
de responsabilité légale du transporteur. C’est cette question qui divise les
tribunaux et la Cour d’appel.

Une présentation chronologique de la jurisprudence à propos de la faute


lourde équivalente au dol nous permet de déceler le flottement des décisions
des juges. Dans un arrêt du 25 mars 1930, la Cour d’appel semblait admettre
que les dispositions de l’article 266 devaient s’appliquer dans tous les cas, même
si l’armateur ou ses préposés terrestres ou maritimes avaient commis une faute
lourde équivalente au dol80.
Dans son arrêt du 21 novembre 1930 la Cour d’appel81 avait décidé que
les dispositions de l’article 266 ne pourraient jouer au cas où le transporteur
maritime aurait commis un dol ou une faute lourde équivalente au dol.

80 Rec. Penant, 1933, 77, p. 28 in Bayssière, op. cit., p. 360.


81 Voir Rec. Penant, 1933, II, p. 28 in Bayssière, op. cit., p. 360.
38 Le droit maritime dans tous ses états

Les dispositions de cet article 266 « ne font pas échec aux principes de la
responsabilité civile (article 232 du DOC : Dahir des Obligations et Contrats) ».82
Dans un arrêt du tribunal de Première Instance de Casablanca du 8 avril
1947, la limitation de responsabilité ne peut être invoquée en cas d’arrimage
défectueux ou insuffisant qui constitue une faute lourde83.
La Cour d’appel de Rabat avait statué dans deux affaires84 que la faute
lourde mais non intentionnelle du transporteur (ou de ses préposés) ne pouvait
entraîner la déchéance de la limitation de responsabilité.
Dans un autre arrêt de la même Cour d’appel85, il est mentionné que « la
responsabilité de l’armateur en cas de manquants, même par vol par des non-
préposés de l’armateur est limitée à 48 000 francs par colis (art. 266 DCCM) ».
Par contre dans un arrêt du tribunal de Première Instance de Casablanca
du 25 mai 1954, les juges semblaient admettre que les dispositions de l’article
266 du DCCM, en ce qui concerne la limitation de responsabilité ne pouvaient
être appliquées lorsque les avaries de la marchandise transportée (une voiture)
étaient la conséquence d’une faute lourde du transporteur qui en l’occurrence
avait négligé d’arrimer et de bloquer les freins de l’automobile transportée.
La question de la faute lourde constitue en fait le point de division et de
divergence entre les tribunaux des premiers juges et les Cours d’Appel86. Les
tribunaux de Première Instance statuaient souvent que la faute lourde du trans-
porteur devait le faire condamner à réparer le dommage en entier. Mais la
plupart du temps les arrêts de la Cour d’appel de Rabat ne soutenaient pas cette
thèse87. Il nous semble qu’il y a une ambiguïté d’interprétation de la faute lourde
qui est parfois assimilée au dol.

R. Bayssière pense que

« Selon la législation marocaine (art, 98, 264 DOC) il n’y a entre le dol et
la faute lourde qu’une différence de degré qui fait que “L’appréciation
des circonstances spéciales de chaque espèce est remise à la prudence du

82 Tribunal de Première Instance de Casablanca, 8 avril 1947, GTM, 10 juillet 1947, p. 121.
83 Ibid.
84 Cour d’appel de Rabat du 19.3.1948, DMF, 1949, p.18 ; Cour d’appel de Rabat du 23.1.1951,

RACAR, 1952, p. 495.


85 Cour d’appel de Rabat, 25 avril 1951, GTM, 10 juillet 1952, p. 10.
86 Plusieurs Cours d’Appel ont été créées après la réorganisation des institutions judiciaires au

Maroc. (Au Maroc ce constat est le résultat de non références aux décisions publiées avant 1965
dans la GTM. Depuis cette date la plupart des décisions ne sont pas publiées. En France avant la
loi de 1966 la Cour de cassation avait précisé : « A la différence du dol ou faute intentionnelle, la
faute lourde ne le privait pas ale transporteur) de la limitation légale de responsabilité », voir
R. Rodière, op. cit., T. II, p. 306-307.
87 R. Bayssière, op. cit., p. 362-363. + Avant cette limitation était de 2 500 Francs, puis elle est

passée à 48 000 Francs et depuis 1954 elle est de 1 000 Dirhams (100 000 Francs avant la création
du Dirham).
Mustapha EL KHAYAT 39

Tribunal et que celui-ci doit évaluer différemment la mesure des


dommages-intérêts, selon qu’il s’agit de la faute du débiteur ou de son
dol”, mais il n’y a aucune différence de nature (art. 232 DOC) »88.

La plupart des arrêts que nous avons consultés précisent : « à défaut de


déclaration de valeur sur le connaissement, la responsabilité de l’armateur, en
cas de pertes ou d’avaries est limitée à 1 000 DH » 89 . Néanmoins l’arrêt du
9 mai 1963 avait statué autrement90.
De même avant cette décision, par un arrêt du 18 septembre 1941, le
Tribunal de Casablanca avait considéré que la limitation de responsabilité légale
« ne s’applique pas quand la valeur de ce colis est justifiée par une facture du
fournisseur dont la référence est reproduite par le connaissement »91.
L’affaire suivante datant du 14 juillet 1974 illustre les problèmes que pose
la notion de colis92.
Deux groupes-compresseurs avaient été chargés sur un navire à destina-
tion de Casablanca. Un de ces deux groupes-compresseurs avait été avarié
pendant la traversée. L’assureur subrogé (art. 367 du DCCM) avait réclamé une
indemnisation totale des dommages causés à ce groupe compresseur, en
avançant que le transporteur était en mesure de connaître la valeur de l’engin
qui voyageait à nu (sans emballage).

Dans son jugement du 14 juillet 1974 concernant cette affaire, le Tribu-


nal Régional de Casablanca 93 avait déchu le transporteur de la limitation de
responsabilité et avait décidé que l’indemnité devait être calculée sur la base du
colis. Cette décision est allée dans le même sens que celle du 9 mai 1963.
En s’alignant sur la décision de la Cour Suprême, la Cour d’appel de
Casablanca94 avait annulé ce jugement du Tribunal Régional de Casablanca et
avait statué que toute unité non emballée – véhicule ou groupe-compresseur –

88 Bayssière, op. cit., p. 360.


89 GTM, 15.12.1945, p. 164 ; GTM, 1952, p. 110 ; DMF, 1949, p. 18 ; RACAR, 1951, p. 111, etc.
90 GTM, 10 mars 1964, p. 28.
91 Trib. de Casablanca, 18 septembre 1941, GTM, 29 novembre 1941, p. 191. La jurisprudence

tunisienne a pris la même position : « Dans un jugement de Première Instance du 20 Décembre


1977 le certificat d’importation établi par la Société Tunisienne de Banque pour le compte d’un
chargeur (pour les besoins de la douane) a été considéré comme suffisant pour constituer une
déclaration de valeur du colis. Pourtant l’armateur n’est pas censé connaître l’existence d’un tel
document ».
92 Mostafa Qabbal, « Jurisprudence Marocaine », DMF, 1980, p. 633-634.
93 Trib. Région. de Casablanca, 14 juillet 1974, (Dossier 14474 en arabe, non publié), cité aussi par

Mostafa Qabbal, op. cit., DMF, p. 633.


94 Cour d’appel de Casablanca, 15 février 1977, (Dossier 476/8 en arabe, non publié), cité aussi

par Mostafa Qabbal, op. cit., DMF, p. 633.


40 Le droit maritime dans tous ses états

doit être considérée comme un colis dont la valeur sera limitée, en cas de non
déclaration de valeur, à 1 000 Dirhams (art. 266 du DCCM).
Cette décision de la Cour d’appel constitue un recul par rapport à celle
de l’affaire du 9 mai 196395. Une autre décision de la même Cour datant du
27 juin 1978 ne fera que confirmer cette tendance96.
La Cour d’appel tend, par conséquent, à confondre les notions de colis et
d’unité. Le DCCM ne donne pas de définition claire de la notion de colis, et la
notion d’unité n’est pas mentionnée dans le DCCM.
Soulignons aussi que l’article 147 du DCCM., alinéa 1, stipule

« Le Capitaine est responsable de tous les dommages et pertes survenus


aux marchandises chargées sur le pont du navire, à moins que le
chargeur, par une mention spéciale approuvée et signée par lui sur le
connaissement, ait expressément autorisé ce mode de chargement… ».

De ce qui précède, l’article 147 considère que le capitaine est responsable


de tous dommages et pertes… et comme le chargement en pontée sans
autorisation expresse est assimilé à une faute lourde, l’article 266 risque d’être
déclaré en vertu de la jurisprudence en la matière97.

En effet, dans un arrêt (n° 1591) du 17 juin 198098, la Cour d’appel de


Casablanca avait écarté l’application de la limitation de responsabilité de l’article
266 du fait que le transporteur avait fait un arrimage en pontée sans le
consentement du chargeur. La Cour jugea que cet arrimage en pontée était
irrégulier et qu’il constituait une faute privant le transporteur du droit à la
limitation de responsabilité fixée par l’article 266 du DCCM.
Reste à savoir si les préposés terrestres du transporteur (ou l’entreprise
de Manutention Marocaine 99 ) peuvent bénéficier de la limitation de
responsabilité légale.

95 « …, le conditionnement de la marchandise, tout comme son poids, sa dimension ou son état,


importe peu dans la détermination du statut sous lequel elle (la marchandise) voyage » M. Qabbal,
op, cit., p. 634.
96 GTM, 10 mars 1964, p. 28, op. cit., l’arrêt n° 1255 du 27 juin 1978 in M. Qabbal, op. cit., DMF,

p. 634.
97 Arrêt du 13 février 1957, GTM, n° 1211.
98 Cour d’appel de Casablanca, 17 juin 1980 (Dossier n° 1591 en arabe, non publié), cité aussi par

Mostafa Qabbal, DMF, 1983, p. 316 ; voir aussi l’arrêt n° 897 du 15 juin 1982 de la Cour d’appel
de Casablanca, cité par Mostafa Qabbal, DMF, 1983, p. 316.
99 RAPC. - Régie d’Acconage du Port de Casablanca - (Dahir n° 1/63/278 du 24 Joumada II

1383 - 12 novembre 1963 - portent création de la RAPC, tel qu’il a été complété par le décret
royal a°32/67 du 14 Rebia I 1387 – 23 juin 1967).
Mustapha EL KHAYAT 41

Dans un arrêt de la Cour d’appel du 3 juillet 1936 nous pouvons lire :

« L’article 266 du Code de Commerce Maritime, qui limite la responsabi-


lité de l’armateur et du capitaine à 2 500 francs (de l’époque) par colis,
quand aucune déclaration de valeur ne figure au connaissement, ne peut
s’appliquer, s’il ne s’agit ni d’une perte, ni d’une avarie, mais d’un dommage
causé au destinataire par la faute d’un préposé terrestre de l’armateur »100.

Dans une autre affaire, la même Cour d’appel avait statué que la faute
d’un préposé terrestre de l’armateur entraînait la non application de la limitation
de responsabilité fixée par l’article 266 du DCCM.101

Dans un arrêt du 25 janvier 1937 du Tribunal de Casablanca, il est


précisé que

« L’acconier-dépositaire est responsable dans les termes du droit com-


mun d’une avarie survenue à la marchandise postérieurement à la prise
en charge par lui de celle-ci et ne peut invoquer la limitation de respon-
sabilité édictée par l’article 266 du Code de Commerce Maritime en
faveur du transporteur maritime » 102.

La jurisprudence103 est restée fidèle au principe de la non application de


la limitation de responsabilité à l’égard des préposés ou acconiers dépositaires.
La responsabilité de l’acconier est soumise à l’article 103 du DOC quand
l’acconier, est impliqué dans une action judiciaire contre le transporteur. Les
modalités de l’action directe du destinataire (ou du chargeur) à l’encontre de
l’acconier sont fixées par l’article 5 du cahier des charges de l’acconier de
l’époque qui édicte vis-à-vis des tiers une responsabilité délictuelle ou quasi-
délictuelle, telle qu’elle est généralement prévue par l’article 78 du DOC.
Dans son arrêt du 25.06.1998 la Cour Suprême a jugé que le transporteur
maritime ne bénéficie pas de la limitation de responsabilité dans le cas du vol
(dossier numéro 8/5/89 Cour Suprême Rabat le 07.10.1999).
La Cour d’appel commerciale de Casablanca dans sa décision du
27.07.2000 dossier 9 /99/ 2421 a statué que le transporteur ne bénéficie pas de
la limitation de responsabilité quand le dédommagement effectif dépasse le
montant demandé.

100 GTM, 12 décembre 1936, p. 339.


101 Cour d’appel de Rabat, 1957, Rev. Mar. de Droit, 1er novembre 1957, p. 4081 confirme la
décision du tribunal de Casablanca du 15 avril 1955.
102 GTM, 27 mars 1937, p. 98.
103 Recueil des arrêts de jugements en arabe.
42 Le droit maritime dans tous ses états

La Cour d’appel de commerce de Casablanca dans une autre affaire (arrêt


n° 2001 /2672, du 24.12.2001, dossier 9/2001/1162) a signifié que lorsque la
valeur de la cargaison n’est pas indiquée sur le connaissement la limitation de
responsabilité en cas de perte ou d’avarie d’un colis se limite à celle fixée par les
Règles de Hambourg à savoir 835 DTS par colis ou unité.
Dans un arrêt de la Cour d’appel de Commerce (n° 2000/903, du
27.04.2000) on note que l’acconier (ODEP) n’a pas le droit de bénéficier de la
limitation de responsabilité prévue par l’article 266 du DCCM pour motif que
seuls l’armateur et le capitaine bénéficient de la limitation prévue par cet article
et non l’acconier. Cet arrêt ne fait que confirmer l’arrêt de la Cour Suprême de
Rabat publié le 06.02.185 dossier n° 95002.

En dépit de leur entrée en application le 1er novembre 1992, les juridic-


tions marocaines commencent à peine s’habituer aux dispositions des Règles de
Hambourg.
À cela s’ajoute aussi l’application du dahir portant code du commerce
maritime (DCCM) du 31 mars 1919 toujours en vigueur. Le droit maritime
positif marocain est marqué par une dualité de sources.
Face à cette évolution du droit maritime marocain, un nouveau projet de
code maritime est préparé mais n’a pas encore pu voir le jour. Parallèlement les
puissances maritimes ont proposé une nouvelle convention intitulée Règles de
Rotterdam (RR).
Les règles de Rotterdam 2009 (RR) constituent un compromis entre la
convention de 1924 dite règles de Bruxelles qui défend les intérêts des transpor-
teurs maritimes et la convention de 1978 dite règles de Hambourg qui est large-
ment ratifiée par les Pays en développement, majoritairement des pays des
chargeurs.

Les RR ne s’éloignent pas des RH en ce qui concerne la question de


limitation de responsabilité et intègrent aussi la responsabilité pour retard
comme les RH. Malgré certaines faiblesses, les RR prennent en considération la
logique globale des flux tendus des entreprises qui cherchent à réduire les
stocks (vers le stock zéro).
Laurent FEDI
Professeur Kedge BS

À mes professeurs et capitaines


Pierre, Christian et Philippe

Face au développement de la spécialisation des navires, les ports mari-


times ont progressivement adapté leurs outillages en créant des zones dédiées à
la gestion de trafic spécifique que l’on désigne en pratique sous le vocable de
terminaux. Si en droit positif la notion de terminal reste encore assez floue1, la
« terminalisation » du domaine portuaire fait désormais partie intégrante de la
dynamique du développement des ports maritimes2. Aboutissement de la spé-
cialisation du traitement des trafics, si les terminaux ont entraîné une véritable
rationalisation de l’espace portuaire, ils ont fait naître de nouveaux contrats
d’occupation de cette interface devenue stratégique pour les armateurs 3 mais
également créé de nouveaux acteurs de la manutention. Il s’agit des exploitants
ou opérateurs de terminaux dont le rôle a été croissant au cours des deux dernières
décennies en particulier sur le secteur du conteneur qui a favorisé le développe-
ment de l’intermodalité. Tel que désigné par le professeur Pierre Bonassies, l’ère
du « transport transmaritime multimodal »4 , c’est-à-dire le transport maritime
incluant un segment multimodal, est plus que jamais en ordre de marche
hégémonique.

1 L. Fedi, « La notion de terminal : entre incertitudes de jure et certitudes de facto », DMF 2008,
p. 455-463.
2 B. Slack, « Terminalisation of ports : an academic question ? », Proceedings of the international

workshop on New generation of port-cities & their role in global supply chains, 12-14 décembre
2005, Hong-Kong, p. 20-30.
3 L. Fedi et R. Rézenthel, « L’exploitation des terminaux portuaires face aux enjeux maritimes du

21e siècle », DMF 2007, p. 828 et R. Rézenthel : « Le régime d’exploitation des terminaux
portuaires », Etudes de droit maritime à l’aube du XXIe siècle, Mélanges offerts à Pierre Bonassies, éd. Moreux,
2001, p. 749.
4 P. Bonassies, « Le transport multimodal transmaritime, Approche juridique », Annales IMTM

1988, Edisud, 1988, v. p. 93.


44 Le droit maritime dans tous ses états

En adoptant la Convention de Vienne du 19 avril 1991 sur la responsabi-


lité des exploitants de terminaux de transport dans le commerce international5,
et la Convention de New York sur le contrat de transport international de
marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer dites « Règles de
Rotterdam » du 12 décembre 20086, la Commission des Nations Unies sur le
droit du commerce international, la CNUDCI 7 , a pris en considération la
nécessité de définir un cadre juridique pour les opérations réalisées en amont ou
en aval du transport maritime et donc implicitement au sein des terminaux. En
effet, les opérations de chargement, de déchargement de stockage, d’entrepo-
sage,… telles que définies sous la notion globale de « services relatifs au
transport » dans la Convention de Vienne, concernent directement les entrepri-
ses de manutention, quelle que soit leur nature, acconage ou stevedoring8 ainsi
que les exploitants de terminaux qu’ils soient portuaires ou aéroportuaires. Ils
sont désignés comme « opérateur portuaire » ou encore comme « opérateur de
terminal portuaire ». Pour ce qui concerne les Règles de Rotterdam, la prise en
considération de l’opérateur de terminal est moins explicite. Ces dernières trai-
tent d’un opérateur polyvalent : la « partie exécutante maritime » défini à l’article
1.7. Si cette partie exécutante maritime manque de précision, elle présente
l’intérêt d’englober un grand nombre d’acteurs susceptibles d’intervenir « pen-
dant la période comprise entre l’arrivée des marchandises au port de charge-
ment d’un navire et leur départ du port de déchargement d’un navire ». Il peut
s’agir de toutes les opérations de transport ou de manutention des marchan-
dises y compris leur réception, garde, entreposage, ou livraison. Cela signifie
que les sociétés de gardiennage, entreposeurs, manutentionnaires et donc les

5 Convention des Nations-Unies du 19 avril 1991 sur la responsabilité des exploitants de


terminaux de transport dans le commerce international. Cf. Official Records Documents of the
Conference, A/CONF 152/14 UN 1993.
6 UNCITRAL Convention on Contracts for the International Carriage of Goods Wholly or Partly

by Sea. La convention a été signée sous les auspices de la CNUDCI et du CMI. P. Delebecque,
« La Convention sur les contrats internationaux de transport de marchandises effectué entière-
ment ou partiellement par mer : a civil law perspective », DMF 2009, Spécial CMI Athènes, p. 335
et suivantes et. S. Miribel : « Signature des Règles de Rotterdam », DMF 2009, p. 853.
7 La CNUDCI ou UNCITRAL en anglais, a été établie par la Résolution 2205 XXI du 17 décem-

bre 1966 de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Elaborant des instruments juridiques dans
différents domaines dont le règlement des litiges commerciaux internationaux, le commerce
électronique, les paiements internationaux ou la vente de marchandises, la Commission a pour
mission d’encourager l’harmonisation et l’unification progressive du droit du commerce
international. Site internet : www.uncitral.org.
8 P. Bonassies : « Note sur la Convention des Nations-Unies de 1991 sur la responsabilité des

exploitants de terminaux de transport dans le commerce international », Annales IMTM 1996 :


« Vingt ans de conventions internationales maritimes », p. 129 et suiv.
Laurent FEDI 45

opérateurs de terminaux portuaires, peuvent être considérés comme des parties


exécutantes maritimes9.
Dans la mesure où la France a signé ces deux conventions mais ne les a
pas encore ratifiées10, la question fondamentale est de savoir dans quelle mesure
elles affecteront le régime de responsabilité des exploitants de terminaux por-
tuaires lors de l’entrée en vigueur. Ce sont ces deux nouveaux régimes et leur
articulation que nous présenterons à travers les principes fondamentaux de la
responsabilité de l’opérateur de terminal (I) et les conditions d’application des
plafonds de réparation dont il bénéficie en cas de mise en jeu de sa
responsabilité (II).

Comme l’a démontré le professeur Pierre Bonassies, si le droit du contrat


de transport maritime de la fin du XIXe à celle du début du XXIe siècle peut se
résumer « Du Hacter Act aux Règles de Rotterdam »11, nous aurions souhaité
rajouter la Convention de Vienne sur la responsabilité des exploitants de termi-
naux de transport en 1991 parmi les textes majeurs du droit des transports in-
ternationaux. De par son objet, l’importance de ce texte est incontestable tout
autant que par sa méconnaissance ( !), et il demeure d’actualité car il ne manque
plus qu’une ratification pour qu’il entre en vigueur. Les rédacteurs de la Con-
vention de Vienne ont défini les services pouvant être offerts au sein des ter-
minaux comme « services relatifs au transport » à savoir les opérations telles que
« le stockage, l’entreposage, le chargement, le déchargement, l’arrimage, le fardage,
l’accorage » laissant entrevoir un caractère non exhaustif12. L’analyse formelle
de la Convention nous conduit à relever une responsabilité impérative à la charge
de l’opérateur du terminal ainsi qu’une obligation de garde des marchandises
transitant par sa zone d’activité (A). Quant aux Règles de Rotterdam, « Pragmatism
first » rappellerait le professeur Philippe Delebecque13, la partie exécutante maritime
qui peut être implicitement un opérateur de terminal portuaire, présente un
régime de responsabilité calqué sur celui du transporteur maritime (B).

9 Selon l’art. 1.6 b) ce statut de partie exécutante n’est pas retenu si l’ayant droit à la marchandise
requiert directement les services de ces opérateurs. C’est donc a priori la loi nationale qui régira
ces relations.
10 La France a signé la Convention de Vienne le 15 octobre 1991 et les Règles de Rotterdam le 23

septembre 2009. Site de la CNUDCI : www.uncitral.org


11 P. Bonassies, « Du Hacter Act aux Règles de Rotterdam », Annales IMTM 2010, p. 25.
12 Art. 1er de la Convention des Nations Unies du 19 avril 1991.
13 P. Delebecque, « La Convention sur les contrats internationaux de transport de marchandises

effectué entièrement ou partiellement par mer : a civil law perspective », DMF 2009, déjà cité.
46 Le droit maritime dans tous ses états

Parmi les principes novateurs de la Convention de Vienne apparaît celui


de la responsabilité impérative de l’exploitant portuaire. Considérant les dispari-
tés des législations nationales en la matière, le traitement parfois « indulgent » de
l’opérateur, et considérant les lacunes des conventions internationales, l’instau-
ration d’un régime de responsabilité impératif est apparue comme une « néces-
sité » normative 14 . Toutes clauses contractuelles dérogeant aux principes de
responsabilité de la Convention sont interdites15. Le régime de responsabilité
déterminé par les rédacteurs de la Convention de Vienne s’apparente formelle-
ment à celui de la présomption de faute mais la doctrine considère qu’il s’agit de
la présomption de responsabilité (1). En outre, l’opérateur de terminal est
débiteur d’une responsabilité assez large (2).

Selon la Convention, la responsabilité de l’exploitant est engagée pour les


préjudices résultant des pertes ou dommages subis par les marchandises ainsi
que du retard dans leur remise, si l’événement qui a causé la perte, le dommage
ou le retard a eu lieu pendant la période où les marchandises étaient sous sa
garde16. Le texte emploie l’indicatif, « l’exploitant est responsable », il semble
donc qu’il s’agit d’une responsabilité de plein droit. Toutefois, la Convention
affirme que l’opérateur demeure responsable sauf s’il rapporte la preuve que lui-
même, ses préposés ou sous-traitants ont pris toutes les mesures qui pouvaient
être raisonnablement exigées pour éviter le dommage. La formulation de ce
principe général d’exonération de responsabilité est conforme à la présomption
de faute. Aucune obligation de résultat n’incombe à l’exploitant, sa diligence
comme celle des personnes sous sa responsabilité reposent sur des mesures
« raisonnables », c’est-à-dire celles normalement prises par le bon professionnel.
La simple démonstration par l’exploitant de sa « due diligence », c’est-à-dire qu’il a
adopté ou fait prendre par ses subordonnés les mesures habituelles et raisonna-
bles suffira à l’exonérer. Ce régime de responsabilité serait donc moins sévère
que celui de la présomption de responsabilité du transporteur maritime.
Ce point de vue souffre cependant de la position contraire de la doctrine
qui considère que le régime en cause est celui des Règles de Hambourg et de la
Convention sur le transport multimodal, deux textes dont la rédaction fut

14 Note explicative du secrétariat de la CNUDCI relative à la Convention des Nations Unies sur
la responsabilité des exploitants de terminaux de transport dans le commerce international.
15 Art. 13 de la Convention de Vienne, « Clauses contractuelles ».
16 Art. 5-1 de la Convention de Vienne, « Fondement de la responsabilité ».
Laurent FEDI 47

également sous l’égide des Nations Unies17. De manière unanime, la doctrine


aborde la responsabilité du transporteur maritime18 et de l’entrepreneur de trans-
port multimodal19 suivant une présomption de responsabilité l’obligeant, pour
s’exonérer, à établir la cause exacte du dommage et démontrer sa diligence pour
éviter le dommage et ses conséquences, l’absence de faute ne suffisant pas20. En
comparant la rédaction de la Convention de Vienne pour l’opérateur de termi-
nal et celle de Hambourg pour le transporteur maritime, il n’est pas contestable
que les deux textes sont très similaires, portant par ailleurs le même numéro et
titre d’article : « article 5 : Fondement de la responsabilité », titre dont la
maladresse de langage n’a pas été corrigée depuis Hambourg 21 … La seule
différence réside dans l’existence de cas exceptés dans les Règles de Hambourg
et leur inexistence pour la Convention de Vienne. Si l’affirmation par la
doctrine de l’incompatibilité entre le régime de la présomption de faute et les
cas exceptés ne se conteste pas22, nous pensons en conséquence que le régime
défini par la Convention de Vienne est donc bien celui de la présomption de
faute. L’incohérence juridique des Règles de Hambourg qui associent formelle-
ment des cas exceptés avec une définition de responsabilité proche de la pré-
somption de faute, ne se retrouve plus dans la Convention de Vienne. La note
explicative de la CNUDCI confirme que la responsabilité de l’opérateur de
terminal est fondée sur le principe de la faute ou de la négligence présumée23.
Cette affirmation se relativise cependant par l’exemple du régime de la
responsabilité du transporteur aérien. Dans la Convention de Varsovie, sa res-
ponsabilité est celle en effet de la présomption de faute24. Or, la jurisprudence
sévère à l’encontre du transporteur aérien témoigne davantage d’une présomp-
tion de responsabilité25, régime confirmé par la doctrine26. L’exonération par la

17 Convention des Nations Unies sur le transport multimodal international 1980 et Règles
CNUCED-CCI 1992.
18 P. Bonassies, « Note sur la Convention des Nations-Unies de 1991 sur la responsabilité des

exploitants de terminaux de transport dans le commerce international », déjà cité.


19 C. Scapel, « Le régime de la responsabilité de l’entrepreneur de transport multimodal »,

Colloque IMTM du 11 avril 1994, rencontre internationale, documents du colloque.


20 R. Rodière, « La responsabilité du transporteur maritime suivant les Règles de Hambourg »,

DMF 1978, p. 451. C. Scapel : « Les réformes apportées par les Règles de Hambourg à la
responsabilité du transporteur maritime », compte rendu de la Rencontre Internationale du
25 nov. 1992 sur la Convention des Nations Unies, IMTM 1992, p. 51.
21 C. Scapel, « Les réformes apportées par les Règles de Hambourg à la responsabilité du

transporteur maritime », acte du Colloque IMTM du 25 novembre 1992 sur la Convention des
Nations Unies sur le transport des marchandises par mer, p. 54.
22 R. Rodière et C. Scapel, références précitées supra.
23 Note explicative du secrétariat de la CNUDCI relative à la Convention des Nations Unies sur

la responsabilité des exploitants de terminaux de transport dans le commerce international, déjà


cité.
24 Art. 18-1, 18-2, 20 et 21 de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 pour l’unification de

certaines règles relatives au transport aérien international.


25 « Responsabilité du transporteur aérien », Lamy Transport, Tome 2, p. 608.
48 Le droit maritime dans tous ses états

preuve de l’absence de faute nécessite la cause exacte de l’avarie ou de l’événe-


ment qui l’a générée et lorsque la cause reste inconnue, le transporteur aérien
sera condamné 27 . La Convention de Montréal de 1999 conforte a fortiori cette
présomption de responsabilité dans la mesure où elle institue une série limita-
tive de cas d’exonération, seuls échappatoires à la responsabilité du transporteur28.
En définitive, nous pouvons penser que la véritable nature de la
responsabilité de l’opérateur de terminal sera « dévoilée » par la jurisprudence
avec, nonobstant le vœu pieu d’uniformisation, le danger des interprétations
divergentes selon les pays. La pression des transporteurs risque d’être assez
forte car en effet, suivant quels fondements juridiques seraient-ils assujettis à la
présomption de responsabilité tandis que les exploitants de terminaux bénéfi-
cieraient d’une simple présomption de faute ? En conséquence, au lieu d’opérer
une certaine « égalité » dans les régimes juridiques entre opérateurs de termi-
naux et transporteurs, la Convention crée un réel déséquilibre au détriment des
transporteurs, contredisant les objectifs d’équité affirmés par le texte29.

L’étendue de la responsabilité de l’exploitant de terminal – qui ne doit


pas être un transporteur –, a été définie de manière assez large reposant sur
deux critères : la garde des marchandises et la zone de compétence.
La Convention détermine le point de départ de la responsabilité de
l’exploitant à partir du moment où il prend « en garde » les marchandises et fixe
la fin de cette période à leur livraison ou à leur mise à disposition à la personne
habilitée30. L’étendue de la responsabilité apparaît assez large puisque dans la
durée, la responsabilité de l’exploitant repose a priori sur la conservation des
marchandises et s’il est établi que la survenance du dommage à ces dernières
s’est réalisée durant la période sous laquelle l’exploitant en avait la « garde » ma-
térielle, il en sera présumé responsable. À l’instar de l’étendue de la respon-
sabilité dans le contrat de transport, la principale difficulté reste la détermina-
tion de la notion « prise en garde » de la marchandise et de son application in

26 B. Mercadal, Droit des transports terrestres et aériens, éd. Dalloz, p. 267.


27 Ch. Scapel, « Les réformes apportées par les Règles de Hambourg à la responsabilité du
transporteur maritime », p. 51 et suiv., déjà cité.
28 Art. 18 et 20 de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 relatives à l’unification de certaines

règles en matière de transport aérien international. JO 143 du 22 juin 2004, p. 11205. Elle est en
vigueur depuis le mois de novembre 2004. « Le point sur la Convention de Montréal », Les infos du
Snagfa, n° 11, du 22 octobre 2003, p. 1-3.
29 Note explicative du secrétariat de la CNUDCI relative à la Convention des Nations Unies sur la

responsabilité des exploitants de terminaux de transport dans le commerce international, déjà cité.
30 Art. 3 de la convention : « L’exploitant est responsable des marchandises à partir du moment

où il les prend en garde jusqu’au moment où il les remet à la personne habilitée à en prendre
livraison ou les met à sa disposition ».
Laurent FEDI 49

concreto. S’agit-il de la même notion que la « prise en charge » dans le cadre du


contrat de transport, acte matériel et juridique par lequel le transporteur prend
possession effective de la marchandise et l’accepte au transport31 ? Cette prise
en charge ne signifie pas que le transporteur devient le « gardien » de la chose
confiée pour son déplacement, mais tout simplement que commence à jouer la
présomption de responsabilité et qu’il devient garant des pertes et des domma-
ges pouvant survenir à la marchandise. Selon nous, la « prise en garde » suppose
au préalable une prise en charge, c’est-à-dire un contact physique avec la mar-
chandise et le début de l’exercice de l’usage, du contrôle et de direction sur cette
dernière32. La signature par l’opérateur du terminal d’un document identifiant la
marchandise, remis par le client ou émis par l’exploitant lui-même facilitera la
détermination du commencent de la garde. Ce document, que nous pourrions
dénommer « document de service de transport », doit attester de l’état et de la
quantité de la marchandise confiée à la garde de l’opérateur33. En l’absence de la
signature ou de l’émission du document, l’exploitant est présumé avoir reçu les
marchandises en bon état. La difficulté principale réside dans le fait qu’un
chargeur ou un réceptionnaire ne peut demander à l’exploitant un document
attestant du moment de la prise en charge de la marchandise ou de son iden-
tification alors que l’exploitant n’est jamais en contact « physique » avec cette
dernière et ne dispose d’aucun moyen raisonnable pour l’identifier. Cependant,
la Convention a prévu que la présomption de réception des marchandises en
bon état apparent ne joue pas lorsque la prestation de l’exploitant se limite au
transfert immédiat de la marchandise d’un moyen de transport à un autre34. Par
ailleurs, d’après les travaux préparatoires35, les pratiques usuelles de certaines
professions sont respectées, et s’il n’est pas d’usage d’émettre de tels documents,
le texte ne modifiera pas ce principe.
En l’espèce, l’étendue de la responsabilité telle que définie entraîne de jure
des juxtapositions de responsabilités et donc corollairement des conflits inévi-
tables entre le transporteur et l’opérateur du terminal 36 . Lors des travaux

31 Pour le transport maritime : Tribunal de commerce de Marseille, 21 juin 1994, BTL 1994,
p. 605.
32 Note explicative du secrétariat de la CNUDCI relative à la Convention des Nations Unies sur

la responsabilité des exploitants de terminaux de transport dans le commerce international, déjà


cité. La jurisprudence française distingue quelquefois la garde de la structure, qui porte sur le
contrôle de la matière composant la chose et la garde du comportement qui concerne le contrôle du
fonctionnement ou de l’utilisation de la chose.
33 Art. 4 de la Convention de Vienne, « Émission d’un document ».
34 Art. 4 - 2. de la Convention de Vienne, « Émission d’un document ».
35 Note explicative du secrétariat de la CNUDCI relative à la Convention des Nations Unies sur la

responsabilité des exploitants de terminaux de transport dans le commerce international, déjà cité.
36 P. Bonassies : « Note sur la Convention des Nations Unies de 1991 sur la responsabilité des

exploitants de terminaux de transport dans le commerce international », déjà cité.


50 Le droit maritime dans tous ses états

préparatoires de la Convention de Vienne, les États-Unis qui l’ont signée 37 ,


n’ont pas manqué de relever les interférences en particulier au regard de la
Convention de Bruxelles de 1924 relative à l’unification de certaines règles en
matière de connaissement qu’ils appliquent sur leur territoire38. Conformément
à ces règles en effet, les services de transport depuis le chargement jusqu’au
déchargement sont sous la responsabilité impérative du transporteur39. Il faudra
donc bien dissocier les opérations qui restent sous couvert de la responsabilité
première du transporteur de celle incombant à l’opérateur du terminal.
Toutefois, la détermination du commencement de la prise en garde est
résolue en partie par ce que nous pourrions appeler la « zone de compétence »
de l’opérateur. Afin de ne pas exclure du champ d’application de la Convention
un grand nombre d’opérations, les rédacteurs ont prévu que l’exploitant sera
responsable des dommages ou pertes que peut subir la marchandise à partir du
moment où ils seront survenus dans une « zone placée sous le contrôle de
l’exploitant ou sur laquelle il a droit d’accès ou d’utilisation » 40 . Ce lieu sera
principalement le terminal portuaire dont la matérialisation ne devrait pas poser
de difficultés grâce aux exigences du Code ISPS qui préconise la réalisation de
clôture autour des terminaux portuaires41. De façon schématique, l’opérateur
est responsable de la marchandise à partir du moment où elle entre dans le ter-
minal et en sort. Le principe demeure simple mais paraît assez strict puisque la
responsabilité de l’opérateur repose alternativement sur sa diligence profession-
nelle, c’est-à-dire sur la manière dont il accomplit ses prestations lorsqu’il assure
la conservation des marchandises qui lui ont été confiées ainsi que sur le lieu et
le moment de la survenance du dommage. Ainsi, les prestations accomplies sur
les terre-pleins, les jetées, sous hangars, entrepôts implantés sur le terminal,
seront sous couvert de la responsabilité de l’opérateur et les pertes ou dom-
mages qui en résulteront seront présumés lui être imputables.
Enfin, la Convention de Vienne a prévu que les préposés de l’opérateur
du terminal bénéficieront du même régime de responsabilité que ce dernier, et
que les ayants droit à la marchandise perdue, endommagée ou livrée avec retard
pourront les poursuivre quelle que soit la nature de l’action, contractuelle ou
37 Les États-Unis ont signé mais pas ratifié la Convention de Vienne : site des Nations Unies :
www.un.org.
38 Liabilty of transport terminal operators: compilation of comments by governments and

international organisations on the draft Convention on liability of transport terminals operators


in international trade : Report of Secretary general A/CN.9/319 and Add. 1 to 5. p. 157.
39 Art. 3-2 de la Convention du 25 août 1924 : « Le transporteur […] procèdera de façon

appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l’arrimage, au transport, à la garde,


aux soins et au déchargement des marchandises transportées », Lamy transport tome 2, éd. 2013.
40 Cf. les travaux préparatoires du Groupe de travail de la CNUDCI.
41 Le Code ISPS exige le contrôle des accès aux installations portuaires et Amendements à

l’annexe à la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer,


chapitre XI-2, Annexe 2. Mesures spéciales pour renforcer la sécurité maritime, OMI.SOLAS/
CONF.5/DC/1 du 12 décembre 2002.
Laurent FEDI 51

délictuelle (art. 7.1). Le délai pour agir est de deux ans (art. 12) à l’instar des
Règles de Hambourg et des Règles de Rotterdam.

La convention CNUDCI sur le transport de marchandises entièrement


ou partiellement par mer dite Règles de Rotterdam42 n’a pas véritablement intégré
les terminaux et ses opérateurs, du moins de manière expresse. Cette carence est
d’autant plus singulière que cette nouvelle convention est par essence dédiée au
transport multimodal43, définissant même la notion de « conteneur » et occul-
tant l’installation stratégique censée l’opérer à savoir le terminal. Cet oubli « ter-
minologique » nous paraît regrettable car la Convention sur la responsabilité des
exploitants de terminaux de transport faisait partie du travail préliminaire pour
l’élaboration de ce nouvel instrument. Cependant, en créant la partie exécutante
maritime, les rédacteurs des Règles de Rotterdam ont implicitement pris en con-
sidération ces opérateurs de terminaux portuaires (1), dont le régime de respon-
sabilité est pour l’instant moins connu que celui du transporteur maritime (2).

Partie exécutante maritime ou maritime performing party en anglais… le terme


n’est pas heureux mais ce nouveau concept a le mérite d’exister et d’avoir un
champ d’application relativement large. Définie à l’article 1.7 de la convention,
la « partie exécutante maritime » désigne

« une partie exécutante dans la mesure où elle s’acquitte ou s’engage à


s’acquitter de l’une quelconque des obligations du transporteur pendant
la période comprise entre l’arrivée des marchandises au port de charge-
ment d’un navire et leur départ du port de déchargement d’un navire. La
qualité de partie exécutante maritime ne peut reconnue à un transporteur
intérieur que si celui-ci fournit ou s’engage à fournir ses services
exclusivement dans une zone portuaire ».

Au regard du droit positif français, le statut de la partie exécutante


maritime n’est pas celui d’un mandataire car « elle s’acquitte ou s’engage à
acquitter » des obligations mais plutôt d’un sous-traitant agissant en son nom
mais pour le compte et sous la responsabilité du transporteur.

42 P. Delebecque, « La Convention sur le contrat de transport international entièrement ou


partiellement par mer : dernières précisions », DMF 2008, p. 787.
43 F. Berlingieri, « Aspects multimodaux des Règles de Rotterdam », DMF 2009, p. 837.
52 Le droit maritime dans tous ses états

Ayant fait l’objet de plusieurs modifications avant sa version définitive


telle que présentée ci-dessus 44 , cette notion est fort intéressante car elle
formalise indirectement le rôle du port dans l’exécution du contrat de transport
maritime. Par les Règles de Rotterdam, le port devient de jure l’interface globale
qui consacre le début et la fin du contrat de transport maritime. Il aurait été
pertinent que les rédacteurs en offrent une définition car celle proposée par la
Convention et Statut de Genève sur le régime international des ports maritimes
de 1923 ne comble pas cette lacune du droit positif45.
La notion de partie exécutante maritime semble donc plus large que celle de
« transporteur substitué » qui a effectué une partie ou la totalité de la prestation
de transport46. Elle présente l’intérêt de couvrir toutes les opérations de trans-
port ou de manutention des marchandises y compris leur réception, garde, entre-
posage, ou livraison au sein des ports ou terminaux portuaires. Cela signifie que
les manutentionnaires, les opérateurs de terminaux, sociétés de gardiennage, en-
treposeurs… peuvent être considérés comme des parties exécutantes maritimes.
Néanmoins, ce statut de partie exécutante n’est pas retenu si l’ayant droit à la
marchandise requiert directement les services de ces opérateurs47. Enfin, cette
notion se différencie de la partie exécutante dite terrestre, agissant pour le compte
du transporteur maritime mais hors de la zone portuaire dans le cadre d’une
prestation de transport routier ou ferroviaire par exemple, précédant ou
postérieurement à la phase portuaire.

À la différence des Règles de La Haye et du système HVR plus largement,


la force novatrice des Règles de Rotterdam est de conférer un régime impératif
et uniforme à l’ensemble des opérateurs portuaires dont le cadre juridique est
actuellement régi par des législations nationales disparates 48 . Le principe est
clair : la partie exécutante, ses préposés ou substitués bénéficient du même
régime de responsabilité que le transporteur lui-même49 que ce soit dans les

44 F. Berlingieri, « La genèse et les travaux préparatoires des Règles de Rotterdam », Annales


IMTM 2010, p. 43-53.
45 Entrée en vigueur en 1932, cette convention définit a minima la notion de port maritime

comme « les ports fréquentés par les navires de mer et servant au commerce extérieur ». JO du
11 décembre 1932, p. 9946. SDN, Rec. des traités, t. 28. Cf. L. Fedi et A. Lavissière : « Les régimes
d’exploitation des ports francs au début du 21e siècle », DMF 2014, p. 766.
46 Art. 1.2 et 10 des Règles de Hambourg.
47 Selon l’art. 1.6 b) ce statut de partie exécutante n’est pas retenu si l’ayant droit à la marchandise

requiert directement les services de ces opérateurs. C’est donc a priori la loi nationale qui régira
ces relations.
48 F. Smeele, « The Maritime Performing Party in the Rotterdam Rules », Annales IMTM, p. 115.
49 Art. 19 des Règles de Rotterdam : « Responsabilités des parties exécutantes maritimes ».
Laurent FEDI 53

actions contractuelles ou délictuelles (art. 4)50, mais ils n’assument pas les obli-
gations additionnelles acceptées par le transporteur telles que des limites de res-
ponsabilité plus élevées (art. 19.2). Le professeur Philippe Delebecque a souli-
gné cette avancée car à l’exception de quelques législations nationales dont la loi
française n° 66-420 du 18 juin 1966 sur les contrats d’affrètement et de trans-
port maritimes51, l’action contre les substitués et exécutants n’était que de nature
délictuelle à défaut de relation contractuelle entre le demandeur et l’auteur du
dommage52.
La nature et le régime de la responsabilité du transporteur maritime ont
fait l’objet de nombreuses analyses53 et nous rappellerons simplement que ce
dernier est débiteur d’une lourde responsabilité dans la mesure où il répond des
actes et omissions des parties exécutantes, du capitaine et de l’équipage du navire,
de ses propres préposés ou de ceux d’une partie exécutante (art. 18). En contre-
partie, il bénéficie d’une longue liste de quinze cas exceptés qui profitent égale-
ment à la partie exécutante maritime (art. 17) à la différence majeure de la Con-
vention de Vienne. Les Règles de Rotterdam instituent une action directe à
l’encontre de cette dernière (art. 68) pour un manquement aux obligations sous-
traitées du transporteur au regard de tout événement qui a causé la perte, le
dommage ou le retard. Cependant, les conditions de responsabilité de la partie
exécutante maritime sont strictement encadrées54 et le bénéfice du cadre juri-
dique applicable au transporteur requiert que la partie exécutante maritime –
l’opérateur de terminal notamment –, a reçu les marchandises à transporter
dans un État contractant, les a livrées dans un État membre également, ou a
fourni ses services dans un port rattaché à un État contractant. Par ailleurs,
l’événement qui a causé la perte, le dommage ou le retard doit avoir eu lieu
pendant les phases portuaires du transit de la marchandise, c’est-à-dire depuis
leur arrivée au port de chargement et leur départ au port de déchargement, et
cet événement doit se réaliser lorsque la marchandise est sous la garde de l’opé-
rateur. À cet égard, il aurait été pertinent de définir les concepts fondamentaux
de prise en charge et de livraison mais le Groupe de travail a craint de rendre le
texte trop détaillé55. Enfin, la partie exécutante maritime a une responsabilité

50 Art. 4 des Règles de Rotterdam : « Applicabilité des moyens de défense et des limites de
responsabilité ».
51 Voir Art. 52. JO du 24 juin 1966, complétée par le décret n° 66-1078 du 31 décembre 1966, JO

du 11 janvier 1967 et du 23 mars 1967 (décret n° 67-268 JO du 27 mars 1967. Loi n° 86-1292 du
23 décembre 1986 modifiant la loi n° 66-420 du 18 juin 1966 sur les contrats d’affrètement et de
transport maritimes, modifiée par la loi n° 79-1103 du 21 décembre 1979.
52 P. Delebecque, « Pour ou contre les Règles de Rotterdam », Séminaire organisé par l’AMLOG,

l’Association Marocaine pour la Logistique, le 28 janvier 2010 Hyatt Regency Hotel – Casablanca.
53 M. El Khayat, « Le Maroc et les Règles de Rotterdam », Annales IMTM p. 246.
54 F. Smeele, « The Maritime Performing Party in the Rotterdam Rules », p. 137 et suiv., cité supra.
55 Report of Working Group III on the work of its twenty-first session, Vienna 14-25 January

2008, document A/CN. 9/645 point 32. p. 12. Fedi, L. : « Présentation de la Convention des
54 Le droit maritime dans tous ses états

conjointe et solidaire avec celle du transporteur maritime (art. 20), ce qui


confère une certaine sécurité juridique au demandeur qui au demeurant, dispose
de quatre choix de juridiction possibles pour intenter son action contre la partie
exécutante maritime (art. 68).

La Convention de Vienne explicitement et les Règles de Rotterdam im-


plicitement, posent le principe que l’opérateur d’un terminal peut bénéficier
d’une limitation de responsabilité de la même manière que les transporteurs eux-
mêmes. « Enfin ! » diront les gestionnaires de terminaux. Pourquoi avoir étendu
le bénéfice de la limitation de responsabilité au profit de nombreux acteurs de la
chaîne logistique maritime : affréteur, assistant, assureur, capitaine, … en résumé
la plupart des préposés nautiques et terrestres de l’armateur pour la responsa-
bilité encourue dans l’exercice de leurs fonctions56 et pourquoi avoir occulté le
maillon portuaire ? Certes, les opérateurs de terminaux n’existaient pas au
moment de l’adoption de la Convention de La Haye et ils étaient encore au
début de leur développement pour les Règles de Hambourg. Au regard du droit
français, cette carence était jusqu’alors d’autant plus singulière que l’entrepre-
neur de manutention pouvait bénéficier de la limitation de responsabilité57.
Le fondement de la limitation de responsabilité reconnue à l’exploitant
de terminal peut difficilement s’expliquer par la fortune de mer ou d’autres no-
tions traditionnellement « maritimes » d’autant que cette réparation plafonnée
pourra bénéficier à un opérateur de terminal aéroportuaire. Selon les rédacteurs
de la Convention de Vienne, si la formalisation de ce principe traduit le souhait
affirmé d’harmoniser les règles concernant la responsabilité pour les dommages
affectant les marchandises lorsqu’elles se trouvent sur les terminaux 58 , selon
nous elle traduit également une volonté implicite de rétablir un certain équilibre
dans les régimes de responsabilité des transporteurs et des opérateurs portuaires.
L’affirmation de ce droit en principe général, « universel » et non plus en excep-
tion, constitue un réel bouleversement pour les exploitants de terminaux. De
manière plus systémique encore, les Règles de Rotterdam, confortent l’unifor-
misation du droit applicable à l’ensemble des intervenants portuaires en lui
attribuant un régime impératif similaire à celui du transporteur maritime.

Nations Unies sur le contrat de transport international de marchandises entièrement ou


partiellement par mer » Revue de Droit des Transports n° 7-8 juillet-août 2009, p. 15-22.
56 P. Bonassies et Ch. Scapel, « Traité de droit maritime », LGDG, 2e éd., p. 439-496.
57 Art. 54 de la loi n° 66-420 du 18 juin 1996 sur les contrats d’affrètement et de transport

maritimes modifiée par la loi du 23 décembre 1986. Le régime de la responsabilité de l’entreprise


de manutention est « aligné » sur celui du transporteur maritime. Cf. Lamy Transport, Tome 2,
« L’entreprise de manutention », point 601, p. 393.
58 Paragraphe 3 du Préambule de la Convention de Vienne du 19 avril 1991.
Laurent FEDI 55

Si ces deux textes poursuivent donc le même objectif d’universalité, la


compensation des dommages ou pertes n’est pas identique. En instituant un
double niveau d’indemnité, la réparation plafonnée de l’opérateur de terminal
demeure assez singulière pour la Convention de Vienne (A), tandis que celle de
la partie exécutante maritime pour les Règles de Rotterdam est basée sur celle
du transporteur lui-même (B). La déchéance de ce privilège n’en reste pas
moins aussi spécifique avec des différences entre les deux textes (C).

Prenant en compte l’existence ou l’absence d’un segment maritime dans


le transport de marchandises, la Convention de Vienne propose des montants
de réparation variables. Il a été ainsi mis en place un plafond de limitation géné-
ral ainsi qu’un plafond de limitation spécifiquement lié au transport maritime
bien que l’opérateur de terminal peut accepter des limites de responsabilité su-
périeures (art. 6.4). En outre, cette même limitation a été étendue aux préposés
et mandataires de l’opérateur de terminal qui agissent dans l’exercice de leurs
fonctions59.
De façon égale au régime de la responsabilité du transporteur routier
international tel qu’il découle de la Convention CMR60, l’opérateur responsable
des pertes ou dommages subis par les marchandises transitant par son terminal
doit une réparation égale à 8.33 unités de compte par kilogrammes de marchan-
dises perdues ou endommagées. Nonobstant son application certaine à toutes
les opérations de manutention préalables ou postérieures à un transport ter-
restre par voie routière ou ferroviaire, ce plafond ne peut être qualifié de « ter-
restre », car en effet, il pourra être appliqué chaque fois que les dommages ou
les pertes résulteront également d’un service de transport par voie aérienne.
Ainsi, l’exploitant d’un terminal de fret aéroportuaire, une société de « handling »
chargée des opérations de manutention, de l’entreposage du fret ou de sa sécu-
risation pourront être soumis au régime de la Convention de Vienne. Ce pla-
fond de réparation est susceptible de s’appliquer également aux préposés ou man-
dataires de l’exploitant du terminal s’ils ont agi dans l’exercice de leurs fonctions61.
Eu égard au régime du contrat de transport aérien international, au-delà
de l’affirmation expresse de la limitation de responsabilité reconnue à l’opé-
rateur du terminal et ses préposés, la Convention de Vienne ne constitue pas
vraiment une avancée. Le plafond de 8.33 DTS est inférieur de moitié à celui de

59 Art. 7-2 de la Convention de Vienne.


60 Convention de Genève relative au contrat de transport international de marchandises par
routes du 19 mai 1956, dite convention CMR, entrée en vigueur en 1961. Lamy Transport Tome 1.
61 Cette disposition rappelle art. 25 A de la Convention de Varsovie de 1929, modifiée par le

Protocole La Haye 1955.


56 Le droit maritime dans tous ses états

la Convention de Varsovie, 16.58 DTS et de Montréal, arrondi à 17 DTS. Ce


nouveau régime de responsabilité représente donc pour eux un net « durcisse-
ment ». Par ailleurs, cette limitation de responsabilité que nous pouvons quali-
fier de « générale » ne s’appliquera pas aux terminaux portuaires à affectation
maritime et fluviale. En effet, les rédacteurs ont prévu un montant de répara-
tion plus bas dans l’hypothèse où les marchandises sont remises à l’exploitant
après ou en vue d’un transport maritime ou fluvial. Ce montant est fixé à 2.75
DTS par kilogrammes de marchandises perdues ou endommagées, montant
d’indemnisation qui n’est pas sans rappeler celui adopté dans les Règles de
Hambourg de 197862. Ce plafond de réparation, qui place sur un pied d’égalité
l’opérateur portuaire et le transporteur maritime lui-même, est justifié selon la
CNUDCI par le fait que les marchandises transportées par mer ont une moins
grande valeur que celles transportées par d’autres modes de transport63. Or, en
ce XXIe siècle, cette justification n’est pas vraiment pertinente eu égard à la
nature et la valeur des marchandises pouvant être expédiées en conteneur. A
fortiori, plus de 20 ans après l’adoption des Règles de Hambourg, les rédacteurs
de la Convention de Vienne auraient pu relever quelque peu le montant de la
limitation mais ils n’ont certainement pas voulu créer de « déséquilibre » avec le
régime d’indemnisation du transport maritime, mode qui reste prédominant en
tonnage transporté à travers le monde64.
Enfin, la Convention de Vienne n’a pas prévu de plafond maximum
pour l’indemnisation et s’est concentrée spécifiquement sur les dommages ma-
tériels occasionnés aux marchandises opérées par le terminal à l’exception de
ceux liés au retard limités à 2.5 fois le montant des sommes dues à l’exploitant
(art. 5.2).

Les plafonds de réparation de la partie exécutante maritime sont ceux du


transporteur lui-même. Dans la mesure où ces limites ont été largement com-
mentées 65 , nous rappellerons en synthèse que les montants d’indemnisation
sont de 875 DTS par colis ou autre unité de chargement ou 3 DTS par kilo de
poids brut, la limite la plus élevée étant applicable au profit de l’ayant droit à la
marchandise66. Si par rapport aux Règles de Hambourg un léger effort a été

62 Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer du 30 mars 1978, dite
Règles de Hambourg, entrée en vigueur le 1er nov. 1992.
63 Note explicative du secrétariat de la CNUDCI relative à la Convention des Nations unies sur la

responsabilité des exploitants de terminaux de transport dans le commerce international, déjà cité.
64 En 2012, plus de 9,2 milliards de tonnes ont été transportées par voie maritime. Rapport

UNCTAD « Maritime Transport Review 2013 ».


65 P. Delebecque, « Règles de Rotterdam, Règles de La Haye Visby, Règles de Hambourg, Forces

et faiblesses respectives », Annales IMTM, p. 71.


66 Art. 59 de la convention CNUDCI : « Limites de responsabilité ».
Laurent FEDI 57

consenti aux chargeurs 67 , l’indemnité au kilo du transport maritime continue


d’être la plus basse de tous les modes de transport alors que la valeur ajoutée
des produits transportés par voie maritime, notamment depuis la conteneurisa-
tion, n’a plus aucune mesure de comparaison avec celle du début du siècle
dernier. Cette augmentation des plafonds a notamment été saluée par les char-
geurs68 et décriée par les armateurs69. Les Règles de Rotterdam prévoient égale-
ment l’indemnisation des préjudices résultant du retard à la livraison, ce qui
constitue une réelle avancée par rapport au système HVR et un alignement sur
celles de Hambourg. Cette réparation est fixée à deux fois et demie le montant
du fret mais ne peut dépasser la limite fixée pour la perte totale des
marchandises70.

Les rédacteurs de la Convention de Vienne et de New York n’ont pas


fait du bénéfice de la limitation de responsabilité un principe absolu. L’opéra-
teur de terminal peut perdre ce droit en cas de faute intentionnelle ou de « faute
inexcusable » personnelle mais plus singulièrement, au-delà de ses propres actes
ou abstentions, il peut être déchu du bénéfice de la limitation par la faute inten-
tionnelle ou inexcusable de ses préposés ou mandataires (1). Pour les Règles de
Rotterdam, la perte de la réparation plafonnée est conforme aux conventions
en vigueur (2).

L’exploitant du terminal sera déchu du droit de limiter sa responsabilité


en cas de faute intentionnelle, acte ou abstention, ou faute commise téméraire-
ment en sachant que la perte, le dommage ou le retard en résulterait probable-
ment (art. 8), c’est ce que notre droit positif qualifie de « faute inexcusable ». La
Convention de Vienne « calque » a priori le régime de la déchéance de la limita-
tion sur celui du transporteur maritime tel qu’il résulte de la Convention de
Bruxelles 1924 modifiée 71 , des Règles de Hambourg 1978 72 ou encore de la

67 835 DTS par colis et 2.5 DTS par kilo. Art. 6 des Règles de Hambourg : « Limites de la
responsabilité ».
68 P. Bonnevie, « Présentation de la position des chargeurs sur les Règles de Rotterdam », Annales

IMTM 2010, p. 179 en ce qui concerne les limites de responsabilité du transporteur.


69 J. Zhengliang Hu, « The Rotterdam Rules : The China’s attitude », Annales IMTM 2010, p. 205.
70 Art. 60 : « Limites de responsabilité pour le préjudice causé par le retard ». L’ayant droit à la

marchandise a 21 jours à compter de la livraison pour transmettre au transporteur un avis de


préjudice pour retard.
71 Art. 4-e de la Convention de Bruxelles amendée par les protocoles de 1968 et 1979.
72 Art. 8-1 de la Convention des Nations Unies pour sur le transport de marchandises par mer, 31

mars 1978, précité.


58 Le droit maritime dans tous ses états

Convention de Varsovie de 192973 ou de Montréal74 pour le transport aérien.


Or, dans la mesure où la déchéance de la limitation de responsabilité de l’opé-
rateur de terminal peut également résulter de la faute intentionnelle ou inexcu-
sable de ses préposés ou mandataires, en réalité la Convention de Vienne se
distingue fondamentalement des instruments juridiques précités. En effet, aussi
bien en transport aérien que maritime, lorsque la faute inexcusable d’un préposé
est reconnue, le transporteur, dont aucune faute personnelle de la même gravité
ne peut lui être imputable, garde le bénéfice de la limitation de responsabilité75.
Le professeur Pierre Bonassies considère à juste titre que cette singularité de la
Convention de Vienne demeure source de conflits notamment dans le cas où
l’opérateur intervient pour le compte du transporteur76. En justification à cette
disposition, la CNUDCI considère que l’opérateur du terminal a le devoir de
superviser ses préposés ou mandataires77. Aussi justifiable soit-il, cet argument
ne va pas contribuer à l’harmonisation des régimes de responsabilité dans le
transport maritime.
Pour des raisons de solvabilité évidente, la recherche de l’imputabilité des
dommages sur le fondement de la faute inexcusable ou intentionnelle de l’un
des préposés de l’opérateur du terminal ne constitue pas un avantage pour la
victime. En ce qui concerne le contentieux des terminaux pétroliers, l’imputa-
bilité des dommages occasionnés au cours du transit de la marchandise est
exclusivement recherchée à l’encontre de son exploitant plutôt que contre un
préposé78.
Une interrogation subsiste dans l’appréciation de la faute intentionnelle
ou inexcusable de la faute de l’opérateur du terminal et ou de son personnel
préposé. Si la preuve de cette faute doit être rapportée par la victime, l’acte ou
l’abstention de l’exploitant devra selon nous faire l’objet d’une analyse la plus
juste possible sachant que l’opérateur a une lourde responsabilité. Nous pou-
vons considérer que le non-respect des règles élémentaires de sécurité dans les
manutentions, le défaut d’entretien normal des installations, des quais, et plus

73 Art. 25 de la Convention de Varsovie du 12 oct. 1929, modifiée par le Protocole de La Haye


28 sept. 1955.
74 Art. 22-5 de la Convention de Montréal du 29 mai 1999.
75 Ce principe a été rappelé dans les relations entre le capitaine et l’armateur du navire : CA

Montpellier, 2e ch. sec. A, 18 novembre 2003, « navires L’Inglais et François Delphine », DMF
2005, p. 708 et CA Montpellier, 3e ch. corr., 4 novembre 2004, navire « Brescou », DMF 2005,
p. 713, note I. Corbier.
76 P. Bonassies, « Note sur la Convention des Nations Unies de 1991 sur la responsabilité des

exploitants de terminaux de transport dans le commerce international », déjà cité.


77 Paradoxalement, la CNUDCI considère également que l’exploitant ne devrait pas subir les

actions téméraires des préposés. Note explicative du secrétariat de la CNUDCI relative à la


Convention des Nations Unies sur la responsabilité des exploitants de terminaux de transport
dans le commerce international, déjà cité.
78 L. Fedi, « Le cadre juridique de l’exploitation des terminaux pétroliers », thèse doctorat

Université Paul Cézanne, 2006, p. 471.


Laurent FEDI 59

largement dans l’organisation défaillante de la sécurité au sein du terminal,


constitueront des sources possibles de faute inexcusable. Nonobstant certaines
exceptions, telle l’affaire du pétrolier Sea Saint79, les hypothèses de faute inexcu-
sable seront peu nombreuses et celles de faute intentionnelle exceptionnelles.
Corollairement, nous pouvons nous interroger sur l’appréciation du
caractère inexcusable de cette faute par les magistrats français. S’agira-t-il d’une
conception objective ou in abstracto de l’acte ou de l’abstention de l’exploitant,
c’est-à-dire en prenant en considération le comportement qu’adopterait un opé-
rateur de terminal vigilant, prudent, diligent, avisé,… se trouvant dans une
situation analogue ou plutôt subjective, en vérifiant si l’exploitant avait eu cons-
cience de la probabilité du dommage ? Nonobstant quelques exceptions, la juris-
prudence française soutient depuis plusieurs décennies l’approche in abstracto et
nous pensons, comme le professeur Pierre Bonassies80, qu’il faudra continuer à
l’apprécier de cette manière en faveur des ayants droit.

Selon les Règles de Rotterdam, le privilège de la limitation de responsa-


bilité de la partie exécutante maritime n’est pas davantage absolu. Ainsi, en
vertu des articles 60 et 61, la réparation plafonnée disparaît lorsque l’ayant droit
prouve que le préjudice, y compris le retard, résulte d’un acte ou omission personnels
commis soit dans l’intention de causer ce préjudice, soit témérairement et avec
conscience que ce préjudice en résulterait probablement. À la différence de la
Convention de Vienne, les Règles de Rotterdam n’instaurent pas un régime
spécial de cette catégorie de faute. Seule la faute personnelle inexcusable de
celui qui revendique le droit de limiter sa responsabilité entraîne la déchéance
de ce droit… à condition que la victime rapporte la preuve bien entendu de cette
faute personnelle intentionnelle ou inexcusable 81 . Ainsi, la responsabilité du
transporteur pour fait d’autrui présente en l’espèce ses limites et la faute
inexcusable de la partie exécutante ne doit pas l’empêcher de limiter sa propre
responsabilité.

79 Cour cass., ch. com. 7 janvier 2003, navire « Sea Saint », DMF 2003, p. 791, note J.-L. Goutal.
80 P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime, p. 766 et suiv.
81 P. Delebecque, « Le projet CNUDCI : suite et fin », DMF 2008, p. 214 à propos de la faute

inexcusable.
60 Le droit maritime dans tous ses états

Les conventions CNUDCI que nous venons de présenter présentent un


intérêt majeur pour uniformiser le droit maritime international en ce qui con-
cerne les opérations réalisées au sein des terminaux portuaires. En faisant béné-
ficier l’opérateur de terminal portuaire de la limitation de responsabilité, ces
conventions ont une approche plus systémique du droit maritime international
dépassant le seul segment maritime tout en confirmant une fois encore l’adage
specialia generalibus derogant. La reconnaissance d’un régime impératif et la
limitation de responsabilité des opérateurs portuaires constituent une avancée
considérable tant pour les gestionnaires eux-mêmes que pour leurs clients.
Cependant, l’entrée en vigueur de ces deux textes reste encore très hypo-
thétique à cette heure. La Convention de Vienne nécessite cinq instruments de
ratification pour son entrée en vigueur et il en manque encore un à ce jour82. Si
elle entre en application, son rayonnement sera néanmoins très modeste. Quant
aux Règles de Rotterdam, elles nécessitent vingt ratifications et seulement trois
États les ont ratifiées à ce jour83. Nonobstant un mouvement de signatures en-
thousiastes, une pédagogie pertinente de ses rédacteurs dont celle du professeur
Philippe Delebecque84, le rythme des ratifications est très lent, ralenti par des
pressions antinomiques et des dissensions nombreuses 85. Or, une ratification
mitigée qui superposerait in fine un régime juridique supplémentaire au système
HVR et aux Règles de Hambourg constituerait un véritable échec pour l’unifi-
cation du droit du contrat de transport maritime. La « mosaïque de textes »
évoquée par le professeur Pierre Bonassies deviendrait en effet « inextricable » 86.
A fortiori, si un État ratifie à la fois la Convention de Vienne et les Règles de
Rotterdam, comment le juge national abordera l’opérateur de terminal por-
tuaire ? Lui conférera-t-il le régime de la partie exécutante maritime ou le régime de
l’exploitant de terminal sachant que les montants d’indemnisation ne sont pas
uniformes tout autant que les conditions de responsabilité ?

82 Cinq instruments de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion sont nécessaires


pour son entrée en vigueur, il en manque encore un à ce jour. 4 États l’ont déjà ratifiée : Egypte,
Géorgie, Paraguay, Gabon. Cinq États l’ont signée : Espagne, États-Unis d’Amérique, France,
Mexique et Philippines. Cf. site internet CMI : www.comitemaritime.org ou site internet des
Nations Unies : www.un.org
83 Les trois pays sont l’Espagne, le Togo et le Congo.
84 P. Delebecque : « Pour ou contre les Règles de Rotterdam », Séminaire organisé par l’AMLOG

précité, voir également R. Illescas : « L’Espagne ratifie les Règles de Rotterdam : ce qui change au
niveau du droit du transport international suite à ces règles », DMF 2011, p. 632.
85 L. Fedi, « Les Règles de Rotterdam : le droit des transports au 21e siècle – Synthèse du

Colloque IMTM du 20-21 mai 2010 », Revue du droit des transports, septembre 2010, p. 9-16.
86 P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime, 2e ed., p. 608.
Laurent FEDI 61

L’objectif d’universalisation peut aboutir parfois à des situations para-


doxales et finalement contraires à sa démarche prophylactique. À l’instar du
contrat de transport maritime international, le segment portuaire a donc bien du
mal à trouver un cadre juridique uniforme87. L’opérateur de terminal et le trans-
porteur maritime sont désormais dans la même galère… Décidément, à défaut
de devenir le droit commun maritime du début du XXIe siècle, ces conventions
CNUDCI n’ont pas fini d’alimenter le débat.

87L. Fedi, « Le cadre juridique de l’exploitation des installations portuaires ou comment passer
d’une législation spécifique atomisée à un régime universel reconnu », DMF 2008, p. 645-655.
Haddoum KAMEL
Professeur, Faculté de droit de Boudouaou, Université de Boumerdes, Algérie

La globalisation du secteur des transports et le redéploiement des acti-


vités maritimes et portuaires ajouté aux nouveaux défis liés à la sécurité et la sû-
reté maritime rendent l’action de l’État de plus en plus impérative et complexe.
La rapidité avec laquelle se développe la sécurité et la sûreté maritime,
n’est que l’affirmation du développement qu’a connu le secteur maritime du
point de vue industriel, commercial et réglementaire, mais aussi des conséquen-
ces dramatiques nées des accidents pouvant entraîner la perte des vies humaines,
des navires et de leurs cargaisons et l’atteinte à l’environnement marin.
L’ensemble des États composant la société internationale travaillent sous
l’égide de l’OMI 1 afin de réduire ces risques. Mais qu’en est-il de l’Algérie ?
Quelles sont les différentes institutions publiques nationales qui œuvrent pour
la mise en place d’une politique de sécurité et sûreté maritimes efficace ?
Comment sont organisés les différents organes nationaux intervenant dans le
domaine de la sécurité et la sûreté maritimes ? Quels sont les agents habilités à
contrôler et à veiller à l’application de la législation et la réglemention y affé-
rente ? Quel est le degré d’intégration des différentes conventions internatio-
nales relatives à la sécurité et la sûreté maritimes dans le droit national ?
Telles sont les principales interrogations qui nous amènent à traiter de
l’action de l’Algérie dans le domaine de la sécurité et de la sûreté maritimes.
De par la longueur de sa façade maritime qui représente 1 200 km de
côtes, l’Algérie est considérée avant tout comme un pays maritime, il en résulte
que le secteur maritime revêt un caractère stratégique pour l’économie algé-
rienne, puisque plus de 70 % de son commerce extérieur s’effectue par voie
maritime à travers un mouvement de 10 000 navires/an2 qui touchent les ports
algériens ; par-delà, accorder une importance particulière à ce secteur s’avère
être une démarche fort légitime.
Le transport maritime est caractérisé par sa dimension internationale,
d’où le rôle particulier des conventions internationales. Ces instruments interna-
tionaux sont le plus souvent les textes fondamentaux en matière de sécurité

1 Organisation Maritime Internationale créée en 1948 et dont le siège est à Londres.


2 Sources Ministère des Transports.
64 Le droit maritime dans tous ses états

maritime et de sûreté maritimes, ils servent de références et sont souvent


transposés, soit complétés, soit renforcés par de dispositions plus sévères dans
les réglementations nationales3.
L’Algérie fidèle aux principes de sa politique extérieure et de coopération
internationale, à toujours partager les préoccupations de la communauté inter-
nationale en la matière, elle a plaidé pour la nécessité d’une mise en place d’une
réglementation internationale efficace en matière de sécurité et de sûreté mari-
times, qui tiendrait compte de ses intérêts et des intérêts de chacun. Dès lors, la
sécurité et la sûreté du transport maritime deviennent un souci majeur de l’Algérie.
Cet attachement aux efforts internationaux, s’est manifesté à travers son
adhésion et la ratification des principaux instruments et conventions initiés par
l’OMI4.
Il conviendrait tout d’abord, de définir les termes sûreté et sécurité
maritimes, comme le souligne M. Pancracio, « il existe un amalgame des deux
concepts qui a généré la plus grande confusion »5. La sûreté est définie comme

« l’ensemble des mesures de protection contre des actes de malveillance


dont la mer peut être le théâtre. Alors que, la sécurité regroupe les me-
sures de prévention contre les accidents d’origine naturelle ou survenus
lors de la navigation maritime et sont susceptibles de nuire au bon fonc-
tionnement du transport maritime, et à la sécurité des personnes et des
biens »6

Quant au terme sécurité de la navigation, il vise à assurer la sauvegarde


de la vie humaine en mer et la défense contre les dangers naturels (Comme les
cyclones et les tempêtes) et navals provoqués par la circulation maritime7.
Cependant, cette distinction n’empêche pas leur convergence vers un
objectif commun qui est la protection de la vie humaine, des navires, des
marchandises et de l’environnement marin y compris les ports.

3 G. Marchand, Juris-Classeur Commercial, marine marchande, fascicule 1020, 3 1997, p. 3.


4 L’Algérie a ainsi ratifié la convention SOLAS de 1974 et le protocole de 1978 par le biais du
décret n° 83-510 du 27 août 1983 et le protocole de 1988 par le décret 2000-449 du 23 décembre
2000, la convention STCW 78 par le biais du décret n° 88-88 du 26 avril 1988, la convention
MARPOL 73/78 par le biais du décret n° 88-108 du 31 mai 1988 et la convention SUA 88 par le
biais du décret 97-373 du 31 août 19997.
5 J.-P. Pancracio, Droit de la mer, Précis Dalloz, 1ère édition, Paris, année 2010, p. 443.
6 P. Polere, « Sûreté maritime : Bilan et perspectives du Code ISPS », DMF, année 2006, n° 669,

p. 275.
7 P. Boisson, Politiques et droit de la sécurité maritime, Edition Bureau Veritas, Paris, année1998, p. 11.
Haddoum KAMEL 65

Les divers textes internationaux imposent à l’État du pavillon un cadre


législatif très précis et très technique dont, il lui appartient de contrôler le res-
pect, pour ce faire il est tenu d’abord, d’introduire les règles ainsi que les pres-
criptions des conventions et instruments internationales qu’il a ratifiés.
Les modalités de l’exercice de ce contrôle sont généralement décrites
d’une manière détaillée par les conventions internationales laissant peu de liber-
té aux États pour exercer un quelconque pouvoir discrétionnaire. Cette action
de l’État en mer est désormais encadrée par l’OMI et par d’autres institutions
Gouvernementales et par d’autres organismes privés8.
Les obligations de l’État du pavillon en matière de sécurité maritime,
découlent de l’Article 94 paragraphes 3 et 4 de la convention de Montego Bay
que l’Algérie a ratifiée9,

« Tout État prend à l’égard des navires battant son pavillon les mesures
pour assurer la sécurité en mer notamment en ce qui concerne :
- La construction et l’équipement du navire ;
- La composition, les conditions de travail et la formation des équipages,
en tenant compte des instruments internationaux applicables ;
- L’emploi des signaux, le bon fonctionnement des communications et la
prévention des abordages ».

Le paragraphe 4 dudit article souligne, lorsqu’il prend ses mesures, l’État


du pavillon, est tenu de se conformer aux « règles, procédures et pratiques
internationales généralement acceptées et de prendre toutes les dispositions
nécessaires pour en assurer le respect ».
Il est évident que la plupart des règles et normes internationales des con-
ventions internationales ratifiées par l’Algérie sont contenues dans l’Ordonnan-
ce du 23 octobre 1976 modifiée portant code maritime algérien10, qui demeure
le principal texte à caractère législatif régissant la sécurité maritime en Algérie.

La sécurité maritime est régie par le chapitre III du code maritime, dont
l’intitulé est « Police et Sécurité de la navigation », il est composé de trois
sections, la section I traite de la police de la navigation maritime, la deuxième

8 P. Boisson, « Politiques et droit de la sécurité maritime », op. cit, p. 37.


9 Décret n° 96-05 du 14 janvier 1996 portant approbation de la convention sur le droit de la mer.
10 L’Ordonnance du 23 octobre a été modifiée par la Loi 98-05 du 25 juin 1998 dont le principal

apport, était l’introduction d’un nouveau livre relatif à l’exploitation portuaire et par la Loi n° 10-
04-du 15 août 2010, qui a concerné le chapitre relatif à la saisi des navires.
66 Le droit maritime dans tous ses états

section concerne la navigation maritime alors que la troisième section, porte sur
le règlement de la sécurité.
La lecture de ce chapitre fait apparaître que tous les aspects relatifs à la
sécurité maritime sont pris en charge, notamment, les titres de navigation et
documents de bord, la police de la pollution, les conditions de sécurité –,
l’inspection de sécurité, la Commission de sécurité et les titres de sécurité.

Il y a lieu d’ajouter également les dispositions pénales notamment celles


concernant, les atteintes à la sécurité de la navigation maritime11.
Il existe d’autres textes à caractère législatif qui ont une incidence sur la
sécurité maritime12.

Le code maritime a prévu un certain nombre de textes d’application, dont


le décret exécutif n° 02-149 du 9 mai 2002 fixant les règles d’inspection des
navires, qui constitue le texte de référence en la matière, cependant d’autres
textes aussi importants ont vu le jour., on peut citer notamment,
– Le décret exécutif n° 02-143 du 16 avril 2002 fixant les titres, brevets
et certificats de la navigation maritime et les conditions de leur
délivrance,
– Le décret exécutif n° 02-02 du 6 janvier 2002 fixant les règles relatives
au maintien d’effectif minimum de sécurité à bord des navires de
commerce de plus de 500 TX,
– Le décret présidentiel n° 96-290 du 2 septembre 1996 portant organi-
sation de la recherche et du sauvetage maritimes13 ;
– Le décret exécutif n° 94-279 du 17 septembre 1994 portant organisa-
tion de la lutte contre les pollutions marines et institution de plans
d’urgence14 ;
– Le décret n° 83-676 19 novembre 1983 relatif à la coordination du
contrôle des navires.

11 Voir notamment les articles 478, 488 et 491 du code maritime.


12 Tel est le cas, de la Loi n° 2003-10 du 19 juillet 2003 relative à la protection de l’environnement
dans le cadre du développement durable article 52 et suivants, article 88 et suivants, de la Loi
n° 02-02 du 05/02/ 2002 relative à la protection et à la valorisation du littoral laquelle s’applique
entre autres aux pollutions marines (article 10), la Loi n° 2003-02 du 17 février 2003 fixant les
règles générales d’utilisation et d’exploitation touristiques des plages, la Loi 04-20 du 25 décembre
2004, relative à la prévention des risques majeures et à la gestion des catastrophes dans le cadre
du développement durable, laquelle s’applique entre autres aux pollutions marines (article10) et
la-Loi du 03/07/2001 sur la pêche et l’aquaculture.
13 Infra p. 14.
14 Infra p. 14.
Haddoum KAMEL 67

Il est incontestable, que ces textes contribuent à une meilleure prise en


charge en Algérie des différents aspects liés à la sécurité maritime.
Il n’en demeure pas moins que, la ratification des conventions interna-
tionales ainsi que l’élaboration des textes nationaux imposent aux États de dis-
poser des structures efficaces dotées de moyens humains et matériels suffisants
afin de mettre en œuvre ce cadre juridique.

La sécurité maritime dépend de nombreux acteurs qui ne disposent pas


toujours des mêmes moyens suffisants pour mener à bien leurs missions dans
ce domaine. En France, le système d’action en mer notamment en matière de
lutte contre la pollution et les trafics illicites s’appuie sur l’institution du préfet
et les juridictions interrégionales spécialisées15.
En Algérie, l’administration maritime nationale a connu plusieurs restruc-
turations, la première a reconduit l’organisation en vigueur à l’époque coloniale
à travers création de trois Circonscriptions Maritimes dont les sièges étaient,
Oran, Alger et Annaba. Ces structures ont été elles-mêmes divisées en Stations
Maritimes. Elles étaient chargées de tous les aspects relatifs à la police de la
navigation et des pêches, aux gens de la mer, aux navires, à l’exploitation des
ressources de la mer.
En plus de ces structures dépendant du Ministère des Transports, l’orga-
nisation maritime nationale était également composée d’un Service Naval et
Transmissions des Douanes et de la Gendarmerie Maritime. Ces structures
étaient toutes dotées de moyens navals et de personnels navigants pour l’exé-
cution des missions de police maritime et douanière en mer. La deuxième phase
est intervenue en 1973 par la création du Service National des Gardes-côtes
pour le besoin d’une meilleure coordination sur le terrain.
La troisième restructuration de l’organisation maritime nationale est
intervenue en 1996.
Ainsi, les principaux acteurs sont :

Le Ministère des transports, qui demeure l’acteur principal, il initie la po-


litique algérienne en matière de sécurité et de sûreté maritimes. Un nouvel
organigramme du Ministère des transports a vu le jour à travers le Décret

15 J.-L. Velut, « Protection de l’environnement et lutte contre les activités illicites : de l’évolution
de la norme juridique à l’action en mer, l’exemple de la méditerranée », DMF n° 726, juin 2011,
p. 518, voir également, dans le même numéro Jean François Tallec, Philippe Dezeraud,
« L’évolution du cadre juridique de l’action de l’Eta en mer : Une meilleure sécurité des espaces
maritimes par le renforcement de la place de l’autorité judiciaire », p. 449-503.
68 Le droit maritime dans tous ses états

exécutif n° 10-98 du 18 mars 2010 portant organisation de l’administration


centrale du ministère des transports16. D’autres Ministères et Offices intervien-
nent également dans le domaine de la sécurité maritime17.

Bien que n’ayant jamais fonctionné, il y a lieu de mentionner également,


le Haut Conseil de la Mer, qui a pour mission de définir et d’arrêter les grandes
options de la politique maritime nationale, à ce titre il est chargé, notamment,
– D’évaluer régulièrement la mise en œuvre des dispositifs législatifs
relatifs à la mer et de décider des mesures appropriées,
– De fixer l’ensemble des moyens nécessaires à la préservation de la
sécurité de la navigation et à la sauvegarde des vies humaines en mer
et du milieu marin ;
– De suivre l’évolution de la politique internationale des mers, océans et
des fonds marins18.

Crée par l’ordonnance du 3 avril 197319, le Service National des Gardes-


Côtes, a été chargé :
– D’appliquer les lois et règlements relatifs à la navigation maritime, à la
pêche et à la douane,
– D’assurer la police des eaux territoriales et la protection du domaine
public maritime national,
– De participer à l’exécution des polices du balisage et de câbles sous-
marins.
– De participer à l’assistance et au sauvetage en mer et de contribuer à
la lutte préventive ou répressive contre la pollution de la mer par les
hydrocarbures.

Dans la limite de ses attributions, il contribue à la surveillance côtière,


terrestre en collaboration avec les services de douanes, de la gendarmerie et de
sûreté nationale.

16 Décret exécutif n° 10-98 du 18 mars 2010, il a consacré notamment, la fusion entre la direction
de la marine marchande et la direction des ports.
17 On peut citer, le Ministère de l’Environnement et du Tourisme, le Ministère de la Défense., le

Ministère de la Pêche et de l’Aquaculture. Le Ministère des Travaux Publics, l’Office National de


Signalisation Maritime, le Ministère de la Poste et des Technologies de l’Information et de la
Communication, notamment à travers l’Agence Nationale de Radionavigation Maritime.
18 Article 2 du décret n° 98-232 du 18 juillet 1998 portant création du Haut Conseil de la mer.
19 Ordonnance n° 73-12 du 3 avril 1973 portant création du Service National des Gardes-côtes.
Haddoum KAMEL 69

L’ordonnance mentionnée ci-dessus a fait l’objet de modifications par le


décret présidentiel du 14 juin 1995 modifiant et complétant certaines disposi-
tions de l’ordonnance 73-12 portant création du SNGC20 ; les modifications ont
porté sur l’octroi de nouvelles missions, notamment,
– L’administration des gens de mer,
– La tenue du registre d’immatriculation des navires algériens,
– La délivrance des titres de navigation et certificats de sécurité des
navires,
– L’exécution à bord de tout navire de visites et inspections de sécurité,
– La protection du domaine public maritime et du milieu marin.

Le service national des gardes-côtes intervient particulièrement en


matière de sauvetage maritime21.

Ainsi, il est chargé de faire appliquer toute la réglementation nationale et


internationale en mer en matière de sécurité du transport maritime et de
prévention de la pollution.
Conformément à l’article 2 du code maritime algérien, le Service
National des Gardes-Côtes, constitue l’Administration maritime locale22.
La promulgation du statut particulier des personnels du Service National
des Gardes-côtes chargés de l’application des lois et règlements maritimes, par
le décret présidentiel n° 96-437 du 1er décembre 1996, il en résulte, que désor-
mais, l’application des lois est confiée uniquement aux personnels des Forces
Navales appartenant aux corps d’administrateurs, d’inspecteurs de la navigation
maritime et d’agents gardes-côtes et qui exercent au sein de la chaîne affaires
maritimes.
Les circonscriptions maritimes et les stations maritimes principales et les
stations maritimes sont placées sous l’autorité du Service National des Gardes-
côtes23, ils constituent des unités administratives maritimes locales chargées de
l’ensemble des fonctions administratives locales fixée par les lois et règlements
relatifs à la navigation et à la pêche. Elles sont placées sous l’autorité des
administrateurs maritimes sous statut militaire24

20 Décret présidentiel n° 96-164 du 14 juin 1995 modifiant et complétant certaines dispositions de


l’ordonnance 73-12 portant création du SNGC et relatif à l’Administration maritime locale
21 Sur le rôle du Service-National des Gardes-côtes dans le domaine du sauvetage maritime, voir

l’article de Mr B. Mohamed, « L’action de la marine nationale dans le domaine de la navigation


maritime », DMF, n° 583 du 1er juin1998, p. 615-618.
22Selon l’article 2 du code maritime algérien, « A l’échelon littoral, les fonctions administratives

maritimes sont exercées par les administrations maritimes locales ».


23 Article 1 du décret du 19 octobre 1996.
24 Article 3 du décret du 19 octobre 1996.
70 Le droit maritime dans tous ses états

Un arrêté interministériel du 21 avril 1997 a fixé les limites géographi-


ques, les sièges et organigramme des circonscriptions maritimes (CIRMAR) 25,
stations maritimes principales (SMP) 26 et station maritime (SM), l’administra-
tion maritime locale comprenait sept (7) CIRMAR, quinze (15) SMP et treize
(13) SM27.
Il a été modifié par l’arrêté du 14 janvier 2002 et l’arrêté du 4 avril 2009,
la nouvelle administration maritime locale comprend jusqu’à nos jours trois (03)
CIRMAR, onze (12) SMP et treize (21) SM.
La réorganisation s’est achevée par le transfert du personnel en activité
au niveau des structures des affaires maritimes dissoutes au Service National
des Gardes-côtes par l’arrêté interministériel du 26 janvier 1998.
Il en découle, que le Service National des Gardes-côtes se présente com-
me un ensemble cohérent qui dispose de tous les moyens navals et humains,
fusionnant ainsi entre l’administration des affaires maritimes et l’action en mer.

Mais la question est de savoir si cette multiplicité de ces missions n’influe


pas négativement sur l’efficacité de ses agents ? La plupart de ces missions sont
exercées parallèlement avec d’autres autorités, ne se pose pas dès lors ; un
problème de coordination ?

L’article 94 de la Convention de Montego Bay de 1982 énonce que

« Tout État prend à l’égard des navires battant son pavillon les mesures
nécessaires pour assurer la sécurité en mer […], quant au code maritime
algérien, il précise que « Tout navire qui entreprend la navigation
maritime doit être en état de navigabilité, convenablement armé et équipé,
apte a l’emploi auquel il est destiné »28.

Le navire ne peut être employé à la navigation maritime s’il ne répond


pas aux conditions de sécurité prescrites en ce qui concerne notamment :
– Sa construction, ses agrées et apparaux, ses instruments et installa-
tions de bord ainsi que ses moyens de signalisation, de sauvegarde, de
prévention et d’extinction des incendies.
– La flottabilité, la stabilité et les lignes de charge.
– Les organes de propulsion et de direction.
– Les effectifs et les qualifications professionnelles de l’équipage.
25 Circonscription maritime, elle relève organiquement du département des affaires maritimes du
Service National des Gardes-côtes.
26 Station maritime principale, elle est placée sous l’autorité des circonscriptions maritimes.
27 Station maritime, elle est également placée sous l’autorité des circonscriptions maritimes
28 Article 223 du code maritime algérien.
Haddoum KAMEL 71

– Les autres conditions de sécurité de navigation et de sécurité de la vie


humaine en mer requise.

Il appartient à l’État du pavillon de contrôler le respect des différentes


règles et normes internationales, il est tenu d’une part, d’effectuer des inspec-
tions et visites et d’autre part, de délivrer les certificats correspondants.
Le contrôle des navires soit au titre de l’État du pavillon, ou dans le
cadre de l’État du port s’effectue par le biais du Service National des Gardes-
Côtes qui dispose d’un effectif d’inspecteurs quantitativement satisfaisant.
La constatation des conditions de sécurité est du ressort à l’échelon local
de la commission locale de sécurité29, alors qu’au niveau central, c’est la com-
mission centrale de sécurité30 qui demeure compétente.

Selon l’article 2 de l’arrêté de 2003, la commission locale comprend les


membres suivants :
– Un administrateur des affaires maritimes ;
– Deux inspecteurs de la navigation et du travail maritime ;
– Un inspecteur chargé des radio- communication ;
– Un représentant de l’armateur ;
– Un représentant de la direction de la pêche de la wilaya ;
– Un représentant de l’entreprise portuaire.
La commission siège auprès de chaque circonscription maritime et elle
est présidée par son chef, elle peut se réunir dans n’importe quel port ou se
trouve le navire à visiter. Elle se réunit autant de fois que nécessaire sur convo-
cation de son président31, les conclusions de la commission locale d’inspection
peuvent prendre la forme, d’un avis favorable, ou d’un avis défavorable ou d’un
avis défavorable assorti de réserves32.
La commission locale est compétente en matière :
– D’inspections prévues aux articles 229, 230,232 du code maritime al-
gérien, ainsi que les visites citées aux articles 05, 07 et 08 de l’arrêté du
07-05-2003.

29 Crée par l’arrête du 7 mai 2003 fixant les modalités d’organisation et de fonctionnement des
commissions locales de sécurité des navires, texte qu’il faut le rappeler ne défini pas clairement les
missions de ladite commission.
30 Décret-exécutif n° 99-198 du 18 août 1999 fixant la composition et les règles de

fonctionnement de la Commission Centrale de Sécurité.


31 Article 5 de l’arrêté du 7 mai 2003.
32 Article 8 de l’arrêté du 7 mai 2003.
72 Le droit maritime dans tous ses états

– D’enquêtes administratives et techniques suite aux événements ou


accidents survenus en mer aux navires dans les cas et conditions fixés
par voie réglementaire
Les inspections de sécurité donnent lieu à perception de droits au profit
du trésor (timbres fiscaux), le paiement de ces droits est à la charge du pro-
priétaire ou armateur non propriétaire du navire inspecté.
En outre, les sociétés de classification agrées peuvent participer dans la
limite des fonctions énumérées par arrêté du ministre charge de la marine mar-
chande, elles peuvent à ce titre effectuer les visites prévues aux articles 04,06, 09
et 10 de l’arrêté du 7 mai 2003.
À l’issue de l’inspection de sécurité, il est délivré des titres de sécurité par
l’autorité administrative maritime compétente après l’avis conforme de la
commission locale d’inspection.

Les missions de la commission centrale de sécurité sont prévues par


l’Article 237 du code maritime algérien, ainsi, elle est compétente en matière :
– D’approbation des plans de construction ou de refonte de navire.
– D’homologation d’appareils de sécurité et autre matériel d’armement
et de radiocommunication.
– De recours contre les décisions des commissions locales d’inspection.
– Des enquêtes administratives et techniques à la suite d’événements ou
accident survenus en mer aux navires. Elle exerce aussi un contrôle
sur les décisions de la commission locale d’inspection.

L’inspection a pour objet de garantir la conformité du navire, de ses


équipements et de son équipage aux exigences réglementaires en vigueur33, elle
doit permettre de vérifier que le navire et son armement restent à cet égard
satisfaisants pour le service auquel le navire est destiné 34 . Elle donne lieu à
l’établissement du certificat de navigabilité35.
En Algérie ces règles sont prévues essentiellement par le décret du 9 mai
2002, l’article 1 du décret énonce, que l’inspection des navires consiste en des
visites sur des armements, d’équipement de sécurité, de qualification des équi-
pages, d’hygiène et d’habitabilité à bord.

33 P. Boisson, « Politiques et droit de la sécurité maritime », op. cit, p. 457.


34 Chapitre I, Partie B, (Visites et certificats), Règle 6b) de la convention SOLAS.
35 L. Khodjet El Khil, La pollution de la mer méditerranée du fait du transport maritime de marchandises,

Edition presses universitaires d’Aix Marseille, année 2003, p. 225.


Haddoum KAMEL 73

Selon l’article 2 dudit décret, tout navire battant pavillon algérien est
soumis à des visites au titre de contrôle de l’État du pavillon.
Alors que l’article 3 du décret, précise que les navires de commerce bat-
tant pavillon algérien sont soumis aux visites et inspections dites, la visite
annuelle 36 . La visite périodique 37 et la visite de renouvellement 38 . Ces visites
sont effectuées par la commission locale de sécurité39.
Alors que les autres visites sont : la visite initiale 40 . La visite intermé-
diaire 41 . La visite supplémentaire 42 et la visite de la face externe du fond du
navire. Ces visites peuvent être confiées selon l’article 12 du décret aux sociétés
de classification agrées43.

Le contrôle du navire par l’État du pavillon s’est avéré insuffisant pour


faire respecter les normes minimales de sécurité et de prévention de la pollution
imposée par les conventions de l’OMI44. La police de la sécurité maritime s’est
profondément modifiée pour devenir un moyen d’action des États côtiers qui
ont développé la notion de juridiction de l’État du port pour imposer des
contraintes réglementaires de sécurité maritime à des navires ne battant pas leur
pavillon. L’OMI a adopté le 6 novembre 1991 la résolution A.682 (17) sur la
coopération régionale en matière de contrôle des navires et rejets.
Les compétences de l’État du port sont aujourd’hui au centre de la
politique de sécurité maritime, les inspecteurs sont autorisés par les conventions
internationales à vérifier, au-delà des caractéristiques du navire, son application
des règles relatives à la prévention de la pollution et le respect des normes
d’exploitation à son bord45.

36 Article 5 du décret du 9 mai 2002.,


37 Article 7 du décret du 9 mai 2002.
38 Article 8 du décret du 9 mai 2002.
39 Article 11 du décret du 9 mai 2002..
40 Article 4 du décret
41 Article 6 du décret
42 Article 9 du décret.
43 Voir le décret n° 72-196 du 5 octobre 1972 relatif à la reconnaissance de sociétés de classi-

fication dans le domaine marchande, voir également, l’arrêté du 2 février portant reconnaissance
des sociétés de classification Lloyd’s register, DerNorske Veritas, American bureau of shipping
Nippon Kaiji Kyokai et Germanischer Lloyd et les arrêtés du 10 avril 1973 portant reconnais-
sance de la société de classification Bureau Veritas, du 19 septembre 1977 portant reconnaissance
de la société de classification Registro Italiano navale et du 19 septembre 1977 portant
reconnaissance de la société de classification American of shipping.
44 L. Khodjet El Khil, La pollution de la mer méditerranée du fait du transport maritime de marchandises, op.

cit., p. 250.
45 A. Le François, « Contrôle technique et social par l’État du port : Un enjeu pour l’Union

Européenne », ADMO, n° 28, Edition A. Pedone, Paris, année 2010, p. 365.


74 Le droit maritime dans tous ses états

Il a été décidé d’organiser le contrôle par l’État du port sur une base
régionale et par conséquent, il devrait avoir une coordination entre les autorités
maritimes afin de vérifier la conformité avec les conventions internationales ; à
ce titre il existe actuellement huit (08) accords régionaux, parmi eux, le
Mémorandum de Malte sur le contrôle de l’Eta du port 46 , il vise à assurer
l’harmonisation des inspections et l’intensification de la coopération et de
l’échange d’informations entre les pays membres.
Il est important de savoir que l’Algérie est parmi les États signataires du
Mémorandum de Malte par le biais du décret présidentiel du 13 mars 200047.

Selon l’article 13 du décret du 9 mai 2002,

« les inspections au titre du contrôle par l’État du port dans les ports
algériens consistent en une visite à bord des navires en vue de vérifier la
validité des certificats et autres documents appropriés ainsi que l’état des
navires, de son équipement et de son équipage et les conditions de vie à
bord ».

L’inspecteur doit au minimum procéder à la vérification des certificats et


documents mentionnés en annexes du décret, à la vérification de l’état général
des machines, des locaux d’habitation et des conditions d’hygiène48.
Une inspection plus détaillée peut avoir lieu s’il s’avère nécessaire, elle
doit inclure de plus amples vérification de la conformité avec les exigences
opérationnelles à bord49.
Lors du contrôle de l’État du port, la priorité est accordée aux navires
qui se présentent pour la première fois au port ou à ses dépendances, aux navi-
res transportant des dangereuses, les navires dont la classification a fait l’objet
d’une suspension au cours des six mois précédents pour des raisons de sécurité50
Les prescriptions pour les inspections au titre du contrôle par l’État du
port sont celles qui sont prévues par les conventions maritimes internationales
ratifiées par L’Algérie51.

46 Signé le 11 juillet 1997 à La Valette (Malte).


47 Décret présidentiel n° 2000-58 du 13 mars 2000 portant ratification du mémorandum d’entente
sur le contrôle des navires par l’État du port dans la région Méditerranéenne.
48 Article 14 du décret. du 9 mai 2002.
49 Ibid.
50 Article 15 du décret. du 9 mai 2002
51 Article 16 du décret. du 9 mai 2002
Haddoum KAMEL 75

À ce titre, le contrôle de l’État du port est régi par les principales


conventions internationales en la matière52.
Si les résultats de l’inspection mentionnent des manquements qui peu-
vent constituer un risque pour la sécurité, la santé ou l’environnement, ou si les
anomalies trouvées à bord sont suffisamment sérieuses ; le navire pourra faire
l’objet d’une immobilisation.
Cette immobilisation doit s’effectuer dans le respect des dispositions de
l’article 226.1 de la convention de 1982 sur le droit de la mer qui prévoit que
l’État du port ne peut retenir un navire étranger plus longtemps qu’il n’est
indispensable.
Cependant, force est de constater qu’un contrôle efficace et systématique
au titre de l’État du port, exige un renforcement du nombre des inspecteurs
qualifiés, bien que le nombre actuel peut s’avérer positif53.

Le problème de la pollution de l’environnement marin par les hydro-


carbures a suscité l’intérêt des États, organisations internationales et les milieux
scientifiques, car elle signifie tout simplement la pollution de la planète : les
océans et les mers représentent 71 % de superficie de la terre.
S’agissant, de l’Algérie, située dans une mer caractérisée géographique-
ment par sa nature de mer semi-fermée et économiquement en tant que zone
de transit d’un important trafic maritime d’hydrocarbures transitent, la mer
Méditerranée est l’une voies maritimes les plus fréquentée au monde, elle
représente 15 % du trafic mondial en nombre d’escales et 10 % en termes de
tonnes en port en lourd et 25 % du trafic mondial d’hydrocarbures y transie54.
Sur les 12 ports de commerce dont dispose l’Algérie, trois sont destinés à
l’exportation des hydrocarbures, étant également un pays producteur d’hydro-
carbures et transporteur d’hydrocarbures, et du fait également que les expor-
tations algériennes sont essentiellement constituées d’hydrocarbures.55, ainsi, sur
un nombre de 10 000 navires/an 1 300 navires citernes touchent les ports
algériens, prés de 500 millions de tonnes d’hydrocarbures transitent d’est en

52 La convention internationale de 1982 sur le droit de la mer : partie XII et les conventions sur le
JAUGEAGE de 1969, la convention sur les Lignes de Charge de 1966, et la convention STCW
78/95, la convention SOLAS 74/78, et la convention MARPOL 73/78, le Recueil HSC et le
Recueil de règles sur les grains.
53 Le nombre de navires étrangers inspectés au titre du Mémorandum Méditerranéen a oscillé

entre 552 navires en 2009 et 463 navires en 2011.


54 M. El Khayat, « la méditerranée face au trafic croissant de transports des hydrocarbures,

Dossier, « Transport du pétrole et du gaz en Méditerranée », annales IMTM 2009, Marseille, p. 141.
55 Annuaire statistiques du Ministère des transports, année 2009.
76 Le droit maritime dans tous ses états

ouest le long des algériennes, les exposant ainsi exposées à des accidents
majeurs56.
Dès lors, les pouvoirs publics ont procédé à l’élaboration d’un dispositif
juridique, traitant de la pollution marine dans ces aspects techniques et juridi-
ques à travers la loi du 19 juillet 2003 relative à la protection de l’environnement
dans le cadre du développement durable, notamment les articles 52 à 58,
auxquels il y’a lieu de rajouter ajouté les dispositions contenues dans le code
maritime algérien ainsi que d’autres textes qui s’appliquent à la prévention
contre la pollution57.
L’Algérie, en tant qu’État de pavillon à l’obligation d’appliquer les règles
et normes internationales en matière de prévention de la pollution du milieu
marin,

« Les États veillent à ce que les navires battant leur pavillon ou


immatriculés par eux respectent les règles et normes Internationales
applicables et prennent les mesures nécessaires pour leur donner effet,
l’État du pavillon veille à ce que ces règles, normes, lois et règlements
soient effectivement appliqués, quel que soit le lieu de l’infraction »58.

À ce titre, elle a ratifié plusieurs conventions internationales y afférentes59.


Sur le plan régional, l’Algérie en tant que pays Méditerranéen œuvre à
travers une politique de sauvegarde de la Méditerranée en adoptant les diffé-
rentes conventions relatives à la pollution, particulièrement, le traité cadre pour
la protection de la Méditerranée signé à Barcelone le 16 février 197660 modifié

56 Le mardi 31 décembre 2013, le port pétrolier de Bejaia a été le théâtre d’une pollution lorsque
une quantité de pétrole brut a fui lors du chargement, au quai n° 2 du navire Ben Batuta, battant
pavillon Maltais, Journal El Watan du Dimanche 5 janvier 2014, p. 2, mais dans un passé récent,
l’Algérie a frôlée de justesse une grande catastrophe, une tempête avec des vents soufflant de 100
à 130 km/h et une mer forte frappait le 31 janvier 2003 les côtes de Skikda, entraînant
l’échouement de trois pétroliers à l’état lège à la plage BEN M’hidi à Skikda, il s’agit des navires
Keymar battant pavillon Chypriote, le Val Bruna battant pavillon Italien et l’Alliance Spirit
battant pavillon du Bahamas.
57 La Loi n° 02-02 du 05/02/ 2002 relative à la protection et à la valorisation du littoral laquelle

s’applique aux pollutions marines (article 10) alors que la Loi 04-20 du 25 décembre 2004, relative
à la prévention des risques majeures et à la gestion des catastrophes dans le cadre du
développement durable, laquelle s’applique également aux pollutions marines (article 10).
58 Article 217 de la convention de Montego-Bay de 1982.
59 Notamment, la convention MARPOL 73/78 déjà citée, la convention relative à la lutte, la

coopération en matière de pollution par les hydrocarbures (OPRC) du 30 novembre 1990 (décret
n° 04-326 du 10 octobre 2004) , la convention internationale du 29/11/1969 sur la responsabilité
civile pour dommages dus à la pollution par hydrocarbures (décret 72-17 du 7 juin 1972) et son
protocole de 1972 (décret n° 98-123 du 18 avril 1998), la convention sur l’intervention en haute
mer en cas d’accident entrainant ou pouvant entrainer une pollution par les hydrocarbures du 29
novembre 1969 et son protocole du 2 novembre 1973 (Décret n° 11-246 du 10 juillet 2011) .
60 L’Algérie a adhérée par le biais du décret 80-14 du 26 janvier 1980.
Haddoum KAMEL 77

le 10 juin 199561. On peut citer également, la création d’une société multinatio-


nale de lutte contre la pollution marine par les hydrocarbures62.

Dès 1994, l’Algérie a mis en place un dispositif de lutte contre les pol-
lutions marines par le biais du décret exécutif du 17 septembre 1994 63 qui
institue un Plan National d’urgence dénommé « Plan Tel Bahr national, des
Plans Régionaux d’urgence dénommés « Plans Tel Bahr régionaux64, dont les
sièges sont fixés a Alger, Oran et Jijel et des plans d’urgence de Wilaya
dénommés « Plan Tel Bahr de Wilaya » ce décret prévoit également la mise en
place d’un comité Tel Bahr national, d’un comité Tel Bahr régional et d’un
comité Tel Bahr de Wilaya.
Ce dispositif vient de faire l’objet d’un nouveau décret 65 , il prévoit
également la création des comités de Wilaya Tel Bahr, des comités régionaux
Tel Bahr, un comité national Tel Bahr et un secrétariat national Tel El Bahr.
Le comité national Tel Bahr, est présidé par le Ministre chargé de l’envi-
ronnement ou de son représentant, il regroupe les différentes administrations et
organismes concernés par la prévention et la lutte contre la pollution marine.
Il est chargé notamment, chargé de coordonner, au niveau national, les
actions des différents départements ministériels et organismes en matière de
préparation à la lutte et la lutte contre les pollutions marines66.
Il est créé trois comités régionaux Tel Bahr, ils correspondent aux trois
façades Centre, Est et Ouest67. Le comité régional Tel Bahr est présidé par le
commandant de la façade maritime concernée, il est composé de représentants
des différents Ministères et organismes intervenant dans la prévention et la lutte
contre la pollution marine.

61 Ratifié par l’Algérie par le décret présidentiel 04-141 du 28 avril 2004.


62 Dotée d’un capital de 600 00 dollars, elle est dénommée « Osprec » Spa (OIL Spill Response
Company), elle compte huit membres, Sonatrach 49 %, Sonangol (Angola) 17 %, Samir (Maroc)
10 %, Cepsa et Repsol Espagne, 4,7 %, Total France, 4,7 %, Statoil, Norvège, 4,7 %, Eni Italie,
4,7 %.
63 Décret exécutif n° 94-279 du 417 septembre 1994 portant organisation de la lutte contre les

pollutions marines et institutions de plans d’urgence.


64 Article 13 du décret du 17 septembre 1994.
65 Décret n° 14-264 du décret 22 septembre 2014 relatif à la lutte contre les pollutions marines et

institution des plans d’urgence.


66 Article 13 du décret du 22 septembre 2014.
67 La façade maritime Ouest comprend les Wilayas de Tlemcen, de Ain Témouchent, d’Oran, de

Mascara et de Mostaganem la façade centre comprend les Wilayas de Chlef, de Tipaza, d’Alger,
de Boumerdes et de Tizi Ouzou, la façade est comprend, les Wilayas de Bejaia, de Jijel, de Skikda,
de Annaba et de El Tarf.,
78 Le droit maritime dans tous ses états

Il est chargé en autres, d’élaborer le plan Tel Bahr régional, de veiller à sa


mise en œuvre et de suivre le déroulement des opérations de lutte depuis le
déclenchement du plan Tel El Bahr régional jusqu’à sa clôture68.
Il est créé au niveau de chaque Wilaya à façade maritime un comité de
Wilaya Tel Bahr, le comité de Wilaya Tel Bahr est présidé par le Wali terri-
torialement compétent, il est chargé, notamment d’élaborer et mettre en œuvre
le plan Tel Bahr Wilaya69.
Il est également institué auprès du Ministre chargé de l’Environnement
un secrétariat Tel Bahr, il est chargé particulièrement de coordonner entre les
différents comités Tel Bahr70
La mise en œuvre de l’organisation de la lutte contre les pollutions
marines s’effectue par l’institution des plans d’intervention d’urgence dénom-
més Tel Bahr. Les plans Tel Bahr ont pour objet d’instituer un dispositif de
préparation à la lutte et la lutte contre la pollution marine.
Ils s’articulent, conformément à des canevas – types, autour de cinq vo-
lets, organisationnel, suivi de l’environnement, opérationnel (modalités d’inter-
vention), financier ainsi que les annexes71.
Les autorités habilités à mettre en œuvre les plans Tel Bahr sont, pour le
plan Tel Bahr national, le président du comité national Tel Bahr ou son
représentant qui informe le Premier Ministre, pour le plan Tel Bahr régional, le
président du comité régional Tel Bahr concerné qui informe le président du
comité national Tel Bahr et pour le plan, Tel Bahr de Wilaya, le président du
comité de Wilaya Tel Bahr qui informe le président du comité régional Tel Bahr
concerné et le secrétaire national Tel Bahr72.
La direction et la coordination des opérations de lutte en mer sont
assurées par le Service national des gardes-côtes du commandement des forces
navales ; quant à la direction et coordinations des opérations de lutte à terre
sont assurées par la protection civile73
Concernant la recherche et le sauvetage maritime, l’Algérie a ratifié la
Convention SAR par le biais du décret du 13 novembre 198274. Un comité de
direction et de coordination pour la recherche et le sauvetage maritimes
dénommé « Comité SAR Maritimes » a été institué. il est présidé par le
Ministère de la défense au niveau du commandement des forces navales, il est
chargé notamment de l’établissement des plans d’intervention et de secours
ainsi que les plans de formation au bénéfice des personnels de coordination et

68 Article 10 du décret du 22 septembre 2014.


69 Article 6 du décret du 22 septembre 2014.
70 Article 19 du décret du 22 septembre 2014.
71 Article 24 du décret du 22 septembre 2014.
72Article 32 du décret du 22 septembre 2014.
73 Article 35 du décret du 22 septembre 2014.
74 Décret n° 82-382 du 13 novembre 1982 portant ratification de la convention sur la recherche

et le sauvetage en mer, SAR.


Haddoum KAMEL 79

des administrations parties aux opérations, il assure également, la coordination


avec les services concernés et l’emploi des moyens et services nécessaires aux
opérations75.
Les opérations de recherche et de sauvetage sont assurées au niveau du
Centre National des opérations de surveillance et de sauvetage en mer
(CNOOS), ou par des Centres Régionaux des opérations de surveillance et de
sauvetage en mer (CROSS)76, elles sont dirigées par un directeur des opérations.
La responsabilité des opérations de recherche et de sauvetage des
personnes en détresse en mer dans la zone de responsabilité nationale relève du
commandement du Service National des Gardes-côtes77.
Le Centre National des opérations de surveillance et de sauvetage en mer
(CNOOS) est chargé de la surveillance du trafic maritime, la surveillance et la
lutte contre toutes formes de pollutions marines, la surveillance des pêches
maritimes, la recherche et le sauvetage maritime78. Il relève hiérarchiquement du
Commandement des Forces Navales, et il est placé sous l’autorité du Service
National de Gardes-côtes.
Le centre national est doté de centre de contrôle VTS, Vessel Trafic
Système, qui est considéré comme un système intégré qui a pour finalité d’amé-
liorer la sécurité et l’efficacité de la navigation et de protéger l’environnement
dans tous les espaces relevant de la souveraineté nationale79.
Deux centres régionaux, Cross Oran et Cross Jijel, assurent les opéra-
tions de surveillance et de la lutte contre la pollution marine, la recherche et le
sauvetage maritimes et la surveillance du trafic maritime dans les régions Ouest
et Est, alors que la direction des opérations de surveillance et de la lutte contre
la pollution marine, la recherche et le sauvetage maritimes et la surveillance du
trafic maritime dans la Région maritime Centre est assurée par le Centre
National.
Ces deux centres régionaux peuvent également s’organiser en sous cen-
tres, appelés sous-Cross, ils sont implantés dans les zones les plus vulnérables, il
dirige chacun à son niveau, en cas de déclenchement du plan local de lutte con-
tre la pollution marine, les opérations de recherche et de sauvetage maritimes80.
Dans le cadre du dispositif de surveillance et de sauvetage maritimes, il
conviendrait de citer l’avènement du décret exécutif n° 08-327du 21 octobre
2008 portant obligation de signalement par les capitaines de navires transpor-
tant des marchandises dangereuses toxiques ou polluants en cas d’événement
en mer.

75 Article 4 du décret du 2 septembre 1996.


76 Crées par le décret présidentiel n° 95 -290 du 30 septembre 1995
77 Article 8 du décret du 2 septembre 1996.
78 Article 2 du décret 95-290 du 30 septembre 1995.
79 Article 3 du décret du 30 septembre 1995.
80 Article 9 du décret du 30 septembre 1995.
80 Le droit maritime dans tous ses états

La mise en place de ces différents organes, dénote le souci de l’Algérie à


se prévenir contre les catastrophes maritimes et plus particulièrement la pollu-
tion marine, néanmoins, leur modernisation en équipement matériel (Radio et
Radar) ainsi qu’en moyens humains est plus que souhaitable.

L’article 111 de la loi 03-10 19 juillet 2003 relative à la protection de


l’environnement dans le cadre du développement durable propose une longue
liste d’agents toutes les personnes qui sont en relation directe ou indirecte avec
le milieu marin81.
Quant au code maritime algérien, si la police de la pollution est prévue
par les articles 210 à 221 du code maritime algérien, l’article 557 a désigné
également les personnes habilitées à rechercher et à constater les infractions en
relation avec l’exploitation du navire, il dispose que

« Sont habilités à rechercher et à constater les infractions aux disposi-


tions du présent livre, outre les officiers de police judiciaire et les
personnes mentionnées par la législation en vigueur :
- Les capitaines des navires à bord desquels les infractions ont été
commises,
- Les administrateurs des affaires maritimes et les inspecteurs de la
navigation et du travail maritimes,
- Les agents assermentés du service national des garde-côtes.

Les deux premières catégories de personnels visés ci-dessus prêtent


serment devant les juridictions compétentes de leur lieu de résidence ».

81 L’article 111, énonce « Outre les officiers et agents de police judiciaire agissant dans le cadre
des dispositions du code de procédures pénales et des autorité de contrôle dans le cadre des
pouvoirs qui leur sont conférés par la législation en vigueur, sont habilités à la recherche et à la
constatation des infractions aux dispositions de la présente loi :-Les fonctionnaires et agents visés
à l’article 21 Code de procédure Pénale ;-Les inspecteurs de l’environnement ;-Les fonctionnaires
des corps techniques de l’administration chargés de l’environnement ;-Les officiers et agents de la
protection civile ;-Les administrateurs des affaires maritimes ; -Les officiers du port ;-Les agents
du SNGC ;-Les commandants des bâtiments de la marine nationale ;-Les ingénieurs du service de
la signalisation maritime ;-Les commandants des navires océanographiques ;- Les agents
techniques de l’institut de recherche scientifique, technique et océanographique ; -Les agents des
douanes ».
Haddoum KAMEL 81

Le facteur humain constitue une importance primordiale en matière de


sécurité de la navigation, la plupart des accidents sont la conséquence d’erreur
humaine plutôt que de défaillances techniques82.

Le rôle du facteur humain dans les différents accidents maritimes, a posé


d’une part, le problème de la nécessité de mettre en place, un système de ges-
tion de la sécurité au niveau de chaque compagnie à travers le Code internatio-
nal pour la sécurité de l’exploitation des navires et la prévention de la pollution,
appelé ISM Code83, il s’agit de promouvoir l’assurance qualité dans les entre-
prises maritimes en ce qui concerne la sécurité. Il correspond, « aux interactions
qu’établit l’exploitation du navire entre l’homme, la mer et le navire, mais aussi
aux interactions entre la sécurité en mer et la sécurité à terre »84.

Avant son entrée en vigueur, en 1998, les différentes Compagnies algé-


riennes de transport maritime se sont conformées aux dispositions prévues par
le Code ISM.

Le facteur humain concerne également, les conditions de travail des gens


de mer, en Algérie, l’avènement de nouvelles règles de travail maritime a con-
duit à l’élaboration en 2005 d’un nouveau texte 85 régissant le statut des gens de
mer conformément aux normes internationales exigée par la réglementation
internationale relative au travail maritime86.

Parallèlement à la nécessité d’améliorer les conditions de travail des gens


de mer, l’exigence d’une formation professionnelle qualifiante est devenue éga-
lement impérative, et à ce titre que fut adoptée en 1978, la Convention Inter-
nationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des
brevets et de veille (STCW). Elle est la base de tous les enseignements mariti-
mes de formation professionnelle des marins et des exigences minimales de
qualification.

82 75% des accidents maritimes sont dus à l’erreur humaine et la mauvaise manœuvre, Philippe
Boisson, « Politiques et sécurité de la navigation maritime », op. cit., p. 353.
83 Résolution A.741 (18) du 4 novembre 1993, intégré au chapitre IX de la convention SOLAS en

mai 1994.
84 B. Beilvert, « La sécurité de l’exploitation du navire », ADMO, Tome N° XVI, 1997, Edition A.

Pedone, Paris, p. 350.


85 Voir notre article, « Le nouveau statut des gens de mer L’alignement au droit commun », Revue

du droit Maritime et Océanique, ADMO, Tome XXX, 2012. Edition A. Pedone, Paris, p. 273-285.
86 Décret n° 05-102 du 26 mars 2005 fixant le régime spécifique des relations de travail des

personnels navigants des navires de transport maritime de commerce et de pêche.


82 Le droit maritime dans tous ses états

La Convention STCW fixe le contenu minimal des connaissances devant


être acquises par les équipages, en fonction de la jauge brute des navires pour
les capitaines et officiers de pont et en fonction de la puissance propulsive pour
les chefs et officiers mécaniciens.
Ainsi, l’OMI s’est doté d’un système de référence qu’elle contrôle elle-
même par l’intermédiaire d’experts agréés, et l’inscription de système de
formation reconnu dans ce qu’elle appelle la liste blanche87.
L’OMI a procédé à une révision de la convention qui est intervenue en
1995, l’objectif est de distinguer les questions juridiques des questions techniques.
Le texte de la convention lui-même ne comprend que des dispositions
d’ordre juridique, les dispositions techniques sont contenues dans un code qui
se divise en deux parties :
– La partie A contient les normes de formations des gens de mer, de
délivrance des brevets et de veille, elle est obligatoire,
– La partie B énonce des recommandations et des conseils qui sont lais-
sés à l’appréciation des États membres, elle est donc non obligatoire.
C’est dans ce contexte qu’il faut souligner les efforts de l’école supérieure
maritime88, qui est chargée actuellement de pourvoir la marine marchande en
officiers navigants et en chefs mécaniciens, et pour répondre aux besoins des dif-
férentes administrations maritimes, elle a mis, également, en place la formation
d’administrateurs et de gestionnaire des affaires maritimes et des officiers de
ports.
L’école supérieure maritime a répondu à tous les impératifs de l’Organi-
sation Maritime Internationale à travers, l’acquisition de moyens et équipements
pédagogiques adéquats que requiert la spécificité de l’enseignement maritime tel
qu’imposé par les engagements pris après la ratification par l’Algérie de la
convention STCW de 1978 modifiée.

Pour faire face à un secteur de transport en constante évolution ainsi


qu’aux exigences de la Convention STCW visant la formation d’un Personnel
Naviguant de plus en plus qualifié, l’école supérieure maritime est certifiée ISO89.

87 Ch. Serradj, « La conception française de la sécurité maritime », Annuaire de droit maritime et


océanique, Tome 20, 2002, Edition Pedone, p. 19.
88 Créé par ordonnance n° 74-86 du 17 septembre 1974 puis érigé en Institut de Formation

supérieure en 1988, en application du décret n° 85-243 du 1er octobre 1985, l’institut supérieur
maritime a été transformé en Ecole hors université par le biais du décret n° 09-275 du 30 août
2009. Dénommée école nationale supérieure maritime
89 l’ISM à obtenu sa Certification ISO 9001-2000, décernée par le bureau Canadien de certification

Quality Management International (QMI) à la suite d’un audit qui a eu lieu du 16/01/ au 19/01/ 2005.
Haddoum KAMEL 83

Le monde maritime est confronté à un nouveau défi : La Sûreté90, de


quoi s’agit-il ? S’agit-il d’une notion nouvelle pour le transport maritime ?
Aujourd’hui, est apparu une nouvelle forme de menace pour le milieu
maritime, le terrorisme, même si la navigation a connu des tentatives de détour-
nements de navires, comme cela était le cas avec, les affaires de Santa Maria en
1961, l’Anzoategui en 1963, l’Achile Lauro en 1985 et le City of Poros en 1988.
Cependant, c’est l’attaque du Destroyer Américain USS Cole à Aden en
septembre 2000, les événements du 11 septembre 2001 ainsi que l’attaque du
pétrolier Français Limburg en octobre 2002 au large du Yémen qui ont mis en
exergue l’étendue du phénomène du terrorisme.
Pour faire face à ce phénomène, l’OMI, a déjà pris des mesures de
prévention, soit par le biais de la résolution A- 584 du 20 novembre 1985
relative aux mesures visant à prévenir les actes illicites qui compromettent la
sécurité des navires et la sûreté de leurs passagers et de leurs équipages, soit par
les circulaire MSC 443 du 26 septembre 1986 sur les mesures visant à prévenir
les actes illicites à l’encontre des passagers et des équipages à bord des navires
et MSC/754 du 5 juillet 1996 sur la sécurité des transbordeurs à passagers
effectuant des voyages internationaux de 24 heures ou plus.
L’OMI est intervenue également en adoptant la convention de Rome du
10 mars 1988 relative à la répression d’actes illicites contre la sécurité de la
navigation maritime et un protocole applicable aux plates-formes fixes situées
sur le Plateau Continental.
Le 11 et 12 décembre 2002, l’OMI a procédé à la modification de la
Convention SOLAS en introduisant dans son chapitre 11 un nouveau chapitre
XI-2 : Mesures spéciales pour renforcer la sûreté maritime, qui rend obligatoire
l’application du Code ISPS International ship and port facility Security code).
L’OIT lui a emboîté le pas en adoptant la nouvelle Convention sur les pièces
d’identité des gens de mer destinée à remplacer la Convention 108 de 1958.
L’Algérie, peut se prévaloir d’être le premier pays à avoir mis en place un
dispositif de sûreté, qui est intervenu bien avant l’élaboration du code ISPS, à
travers le décret du 25 octobre 1994 91 , dans le but de prévenir et de lutter
contre les actes de terrorisme, de sabotage et de contrebande dont l’Algérie a
fait l’objet92. Ce dispositif a particulièrement touché les ports.

90 Voir P. Boisson, « Le Code ISPS », DMF, n° 640, Septembre 2003, p. 723-762.


91 Décret n° 94-340 du 25 octobre 1994 portant création du comité national de sûreté portuaire et
des comités de sûreté des ports civils de commerce.
92 On peut citer, l’attentat qui a touché l’aéroport d’Alger en 1990, l’assassinat dans le port de Jijel

de sept (07) marins faisant partie de l’équipage du navire Luccina, voir Derradja Djamel, « Une
nouvelle approche de la prévention contre les actes illicites : Le code ISPS », mémoire de
Magistère, ENSM Bou Ismail, année 1997, p.136.
84 Le droit maritime dans tous ses états

Le Comité National de sûreté avait la charge d’élaborer un programme


national de sûreté des ports civils de commerce et de veiller à la prise en charge
des aspects de sûreté et cela lors de la conception ou de l’aménagement des
ports civils de commerce.

Le Code ISPS constitue un cadre international de coopération entre les


États contractants, les organismes publics, les administrations locales et les sec-
teurs maritime et portuaire pour détecter les menaces contre la sûreté des navi-
res et des installations portuaires afin de prendre les mesures nécessaires de
sauvegarde93
Les mesures de sûreté consistent principalement dans le marquage appa-
rent et permanent du numéro d’identification OMI du navire, l’installation d’un
système d’alarme de sûreté et l’établissement par l’administration de l’État du
pavillon d’une carte synoptique continue du navire94I. l contient deux parties, la
Partie A concerne les dispositions obligatoires, alors que la Partie B porte sur
les recommandations
Ce code s’applique aux navires effectuant des voyages internationaux, na-
vires à passagers, navires de charge de plus de 500 de jauge brute, unités mobi-
les de forage au large et aux installations portuaires accueillant de tels navires.
Sont exemptés du code, les navires militaires, les navires d’État affectés à
un service non commercial ainsi que les plates-formes fixes ou flottantes.
Le Code prévoit des obligations pour les Gouvernements, les Ports ainsi
que pour les Armateurs.

Dans le cadre de la mise œuvre des dispositions de la SOLAS telle


qu’amendée, l’Algérie a mis en place par le biais du décret du 20 décembre 2004,
les autorités compétentes en matière de sûreté des navires et installations
portuaires 95 . Ce décret a abrogé les dispositions du décret exécutif du
25 octobre 1994 portant création du comité national de sûreté portuaire et de
comités de sûreté des ports civils et de commerce.

93 P. Polere, « Sûreté maritime : Bilan et perspectives du Code ISPS », DMF, op. cit., p. 276.
94.Ibid., p. 277.
95 Décret exécutif n° 04-418 du 20 décembre 2004 portant désignation des autorités compétentes

en matière de sûreté des navires et des installations portuaires et des organes y afférents, il abroge
le décret du 25 octobre 1994.
Haddoum KAMEL 85

Ce décret précise les obligations du Ministère des transports, de la direc-


tion de la marine marchande96 désigné point de contact national unique, des en-
treprises de transport maritime ainsi que les obligations des entreprises portuaires.
Ce décret a également procédé à la création des autorités et organes
compétents en matière de sûreté des navires et des installations portuaires. Il
s’agit du Centre Opérationnel de sûreté et de sécurité maritime (COSS), du
Comité National de sûreté maritime et portuaire, du Centre Directeur des
opérations d’urgence (CDOU) et du Comité Local de sûreté maritime et
portuaire. En outre, en application de l’article 4 du décret de 2004, est intervenu
l’arrêté du 14 janvier 2006 portant organisation et fonctionnement du bureau de
sûreté de la compagnie maritime et du bureau de sûreté portuaire
La mise en œuvre des normes de sûreté a soulevé de nombreuses diffi-
cultés d’ordre technique, organisationnel mais surtout financière97. Afin de met-
tre en application le Code ISPS, l’Algérie a déployé tous les moyens humains et
financiers nécessaires pour être au rendez-vous notamment en matière de
formation Dans ce cadre, des actions de familiarisation et de formation d’un
certain nombre d’Agents de Sûreté des Compagnies, des navires et des ports
ont été assurées à l’École supérieure maritime98, d’autre part, il y a lieu de noter
que près de 48 navires ont été certifiés et les évaluations de Sûreté et l’établis-
sement des plans de Sûreté ont concerné 11 ports nationaux.
Le code ISPS constitue un apport considérable, son approche qualité con-
tribue à une clarification des missions des différents intervenants dans la sûreté
maritime, il permet d’identifier l’autorité responsable de la mise en œuvre des
plans de sûreté, soit à bord des navires ou au niveau des installations portuaires.
Cependant, sa mise en œuvre nécessite certains efforts notamment sur le
plan financier, puisque des investissements obligatoires s’imposent, notamment
au niveau de nos ports, d’où l’éternelle question qui supportera les frais
engendrés par la mise en place des équipements, l’État, les armateurs ou les
ports ?

96 Devenu depuis 2010 Direction de la Marine Marchande et des Ports.


97P. Polere, «Sûreté maritime : Bilan et perspectives du Code ISPS », op. cit., p. 276, voir également,
« Sécurité et Sûreté dans le transport maritime qui paiera la facture ? », JMM n° 4394 du 12/02/
2004, p. 10, la « Sûreté est à la charge du contribuable », JMM, n° 4395 du 19/03/2004, p. 21.
98 L’Ecole Supérieure Maritime par le biais de la Direction de la Marine Marchande (Actuellement

Direction de la Marine Marchande et des Ports) à été désigné pour assurer la formation des
différents agents appelés à assurer les différentes responsabilités liées à la mise en œuvre du Code
ISPS.A cet effet, cette opération a touché les trois niveaux en l’occurrence, le niveau 1 relatif à la
familiarisation, le niveau 2 qui a trait à l’aspect opérationnel et enfin le niveau 3 concernant le
management.
86 Le droit maritime dans tous ses états

Le bilan de l’Action de l’Algérie en mer paraît plutôt positif, vu le faible


nombre des accidents en mer. L’analyse des différents textes à caractère
législatif et réglementaire fait ressortir, une réelle prise en charge par L’Algérie
des impératifs liés à la sécurité, à la sûreté ainsi qu’à la protection de
l’environnement.

Le code maritime Algérien couvre un ensemble important de règles


techniques relatives à la sécurité maritime, mais qui méritent d’être actualisées,
en tenant compte, non seulement des nouvelles règles prescrites par les
instruments internationaux déjà ratifiées par l’Algérie, mais également des règles
des conventions internationales nouvellement ratifiées par l’Algérie.
Un nombre important de textes d’application ont été élaborés, il n’en
demeure pas moins, qu’autres textes d’application aussi importants n’ont pas vu
le jour, en particulier ceux relatifs aux prescriptions, prévus, notamment par les
articles 224 225, 226, 227 et 234 du Code maritime algérien.

Sur le plan organisationnel, l’Algérie a mis en place un certain nombre


d’organes et d’institutions chargées de veiller à la mise en œuvre de la politique
de prévention contre les risques et l’atteinte à l’environnement à l’occasion
d’une opération de transport maritime, notamment le Service National des
Gardes-côtes qui constitue le véritable garant de la sécurité maritime en Algérie,
il s’agit d’une véritable administration dotée de moyens navals et humains lui
permettant de remplir toutes les missions qui lui ont été confiées.
Néanmoins, le Service National des Gardes-côtes partage certaines de
ses missions avec d’autres services, ne disposant pas de liens organiques et
institutionnels et dont les compétences ne sont pas clairement délimitées, ceci
met en exergue l’épineux problème de la coordination de l’action en mer, d’où
la nécessité de créer une instance de coordination qui rendra de l’action en mer
en Algérie plus efficace, c’est le souhait de chacun.
Abderrazzak BOUDHAR
Docteur en Droit et Capitaine au Long Cours

Le conteneur est défini généralement, comme étant


« une caisse métallique normalisée pour le transport, le parachutage de
marchandises, de matériel militaire ; par extension, une caisse servant au
transport de marchandises, à l’exemple des conteneurs ferroviaires,
maritimes ou aériens ».

Le mot anglais correspondant est « container », longtemps utilisé dans le


langage français.
Toutefois, la définition qui s’adapte le mieux au conteneur est celle
donnée par la convention internationale relative au transit douanier des conte-
neurs, qui introduit les aspects, technique et commercial, de cet engin.1
Par ailleurs, le conteneur est l’élément principal de concrétisation de la
conteneurisation comme étant le nouveau concept qui a succédé aux autres
systèmes de groupage des marchandises. Après le transport en vrac, en sacs, en
fûts et en palettes, le transport des marchandises par conteneurs, présente un
support de développement du commerce international et d’épanouissement de
l’économie mondiale.
Comparé aux autres systèmes voisins, le transport de marchandises par
conteneurs se différencie par rapport au transport par camions ou par semi-
remorques tractées, à plusieurs niveaux. On peut citer comme exemples d’avan-
tages liés au transport conteneurisé, le gain d’espace, le transport de masses, le
déplacement des marchandises sur de grandes distances, la rapidité d’exécution

1 La Convention douanière relative aux conteneurs, conclue à Genève le 2 décembre 1972,


introduit dans son article 1 (sous c) du chapitre premier, relatif aux généralités, la définition du
conteneur, en stipulant que : « Aux fins de la présente convention, on entend : … Par “conte-
neur”, un engin de transport (cadre, citerne amovible ou autre engin analogue) : i) constituant un
compartiment, totalement ou partiellement clos, destiné à contenir des marchandises ; ii) ayant un
caractère permanent et étant de ce fait suffisamment résistant pour permettre son usage répété ;
iii) spécialement conçu pour faciliter le transport de marchandises, sans rupture de charge, par un
ou plusieurs modes de transport ; iv) conçu de manière à être aisément manipulé, notamment lors
de son transbordement d’un mode de transport à un autre ; v) conçu de façon à être facile à
remplir et à vider ; et vi) d’un volume intérieur d’au moins un mètre cube ». La même définition,
ou presque, est donnée par le Bureau international des containers (BIC).
88 Le droit maritime dans tous ses états

des opérations de manutention par les grues et portiques, la réalisation des gains
sur le fret et l’économie d’échelle sur l’ensemble de la chaîne de transport, …
On se réfère principalement au transport maritime puisqu’il représente la
quasi- totalité des échanges commerciaux sur le plan international.
Le transport roulier, par camions et semi-remorques, présente également
des avantages notables par rapport au transport classique des marchandises
diverses mais n’évolue pas au même niveau que la conteneurisation, notamment
par la voie maritime. Pourtant, la manutention horizontale des camions
transportés à bord des navires (Roll-On/Roll-Off), appelée également « technique
de roulage », a été précédée par leur transport au moyen des grues.
L’encadrement juridique du conteneur lors de son transit par plusieurs
frontières est, à la fois, national et international. Cela revient principalement à la
standardisation, sur les niveaux technique et juridique, qui représente le moyen
d’adaptation des conteneurs aux différents modes de transport et de la vulgarisa-
tion de cette nouvelle technique de transport au niveau des textes législatifs.
La voie maritime, en tant que phase principale de la chaîne de transport
de marchandises, est, de ce fait, la plus concernée par l’appréciation de certains
points juridiques, eu égard à son adaptation au concept de la conteneurisation.
À cet effet, les diverses ressources nécessaires à l’analyse juridique du sujet sont
produites par les législations nationales, telles que le DCCM de 1919 pour le
Maroc2 et la loi maritime française3 de 1966, ainsi que les conventions interna-
tionales, telles que la convention de Bruxelles 4 de 1924 et la convention de
Hambourg5 de 1978.
En outre, les conventions spécifiques aux autres modes de transport
(routier, ferroviaire, fluvial et aérien) et les conventions techniques, relatives au
déplacement des conteneurs sur les circuits des échanges internationaux,

2 Dahir formant Code de Commerce Maritime du 31 mars 1919, (BO du 26 mai 1919, p. 478 et
rectificatif (BO du 15 août 1930 p. 953). Le DCCM a subi différentes modifications apportées par
les dahirs et décrets touchant principalement les dispositions contenues dans ses annexes, à
l’exemple de l’annexe I, et ce, entre les années 1930 et 1974.
3 Loi française n° 66-420 du 18 juin 1966 (décret n° 66-1078, du 31 décembre 1966), modifiée par

la loi n° 86-1292 du 23 décembre 1986 (décret n° 87-922, du 12 novembre 1987).


4 Convention de Bruxelles, du 25 août 1924, pour l’unification de certaines règles en matières de

Connaissement, entrée en vigueur le 2 juin 1931 (en France le 4 juillet 1937, par décret du
25 mars 1937, JO du 8 avril 1937, SDN vol 120, p. 125) ; amendée par les protocoles modificatifs
du 23 février 1968 et du 21 décembre 1979 ; non-ratifiée par le Maroc.
5 La convention des Nations-unies, du 31 mars 1978, sur le transport de marchandises par mer,

appelée aussi « Règles de Hambourg », à laquelle le Maroc a adhéré le 14 novembre 1986 (Dahir
n° 1-84-21. BO du 3.08.1988). Le parlement français a donné son autorisation pour la ratification
de ladite convention par la loi n° 81-348 du 15 avril 1981 (JO du 16 avril), sans pour autant enter
en vigueur jusqu’à présent.
Abderrazzak BOUDHAR 89

qu’elles soient nationales ou internationales, intéressent également le conteneur


quel qu’il soit (pris séparément, sur camion ou sur remorque)6.
L’avènement de la conteneurisation a revêtu plusieurs aspects dont cer-
tains sont qualifiés de majeurs, vu leur importance sur les plans techniques, éco-
nomique, structurel et juridique. Il en est ainsi du fait de l’intégration de la con-
teneurisation dans un contexte plus vaste et complexe qu’est la logistique dans
son acception la plus large. Ce concept qui a eu pour but principal, la solution
de certains problèmes d’adaptation des besoins du commerce international et de
ses opérateurs au progrès permanent de la communauté internationale.

L’aspect technique de la conteneurisation a concerné les diverses facettes


de conception du conteneur, eu égard à son incorporation dans la chaîne de
transport de marchandises, tout en ayant pris le soin de l’identifier par rapport à
certains éléments de cette chaîne (marchandises et moyens de transport) et de
lui adapter d’autres éléments, pour assurer la synergie de l’ensemble. Un certain
parallélisme a surtout imprégné l’approche technique du conteneur, en compa-
raison avec le navire, ce maillon connu pour le transport de masses.
Les éléments de l’aspect technique qui a encadré la conteneurisation, ren-
seignent sur la politique globalisée qui a accompagné le lancement des conteneurs
sur les circuits du commerce international, parmi les autres moyens logistiques.
L’adoption d’un outil adéquat à la mise en œuvre du concept de conte-
neurisation était le premier pas entrepris par les opérateurs dans la réalisation de
leur projet. Cette tâche était orientée vers l’adaptation de tous les moyens logis-
tiques – conteneur inclus – pour réussir la synergie nécessaire à l’épanouisse-
ment du transport conteneurisé. À cet effet, les moyens de transport des diffé-
rents modes et voies d’acheminement de marchandises ont été réaménagés pour
recevoir les conteneurs et permettre la fluidité de leur circulation entre les diffé-
rents pôles économiques. La caractéristique fondamentale de cette optique se
trouve dans le parallélisme opéré dans la conception technique et l’encadrement
réglementaire du conteneur, eu égard à sa comparaison avec le navire.
Concrètement, l’encadrement du conteneur sur le plan de la sécurité, à
un niveau international, reflète l’intérêt particulier porté à ce nouvel outil de
contenance et de transport de marchandises. Ceci dit, la manipulation du
6 A l’exemple de la convention douanière relative au transport international de marchandises sous
le couvert de carnets T.I.R du 15 janvier 1959 et du 14 novembre 1975, ratifiées par le Maroc
respectivement le 16 février 1977 (par le Dahir n° 1-75-439 BO du 16.12.81) et le 14 novembre
1986 (par le Dahir n° 1-83- 255 BO du 7.3.1990).
90 Le droit maritime dans tous ses états

conteneur par les différents engins de manutention et sa soumission aux divers


efforts et contraintes lors de son transport, imposent cette rigueur contenue
dans les dispositions réglementaires, tout particulièrement dans la convention
internationale sur la sécurité des conteneurs.
Par ailleurs, la couverture du conteneur par une police d’assurance spé-
ciale trouve son utilité, une fois que ce dernier est définitivement adopté,
encadré par les mesures réglementaires nécessaires, puis mis en exploitation sur
les circuits de transport. Seule une assurance permet aux usagers de cet outil de
réparer ou de se faire réparer les dommages matériels l’affectant au cours de sa
vie en exploitation : Une sorte de couverture « corps » – par analogie à celle du
navire – contractée au profit du conteneur comme étant devenu un élément
incontournable de la logistique du transport, alors qu’elle est en réalité une
assurance de « facultés ».
En dernier lieu, la circulation des conteneurs a nécessité un regard par-
ticulier de la part de la communauté internationale, eu égard à la faculté qui leur
a été octroyée pour transiter facilement par les frontières. Une fluidité assurée
par leur fermeture et plombage du point de départ jusqu’à leur destination
finale, passant par les différents postes de frontières des pays de transit. En
outre, leur admission temporaire, hors des limites douanières du pays d’origine,
affranchie de taxes, est un renforcement de la facilitation de circulation des
conteneurs sur les réseaux du transport international.

C’est pratiquement à travers l’aspect organisationnel de la chaîne de


transport conteneurisé que l’on peut prélever les indices nécessaires au traite-
ment du concept dans son ensemble. Ceci est concrétisé par l’adaptation du
conteneur aux divers modes de transport et l’affectation de différents interve-
nants sur toute la chaîne, décomposée en phases successives et complémen-
taires dont principalement la phase maritime.
Il s’agit tout d’abord du transport en amont ou bien de la phase de pré-
acheminement des marchandises, du point de leur fabrication ou de production
vers le premier port d’embarquement, à destination d’une autre frontière. C’est
le premier maillon de la chaîne, dont l’importance est sans équivoque, car le
point de départ des marchandises peut être déterminant dans le déroulement de
toute l’expédition.
La deuxième phase est celle du transport principal. On insiste surtout sur
le transport par voie maritime, qui se procure la part du lion dans le dépla-
cement des marchandises par conteneurs. Cette phase se situe entre le port de
chargement et celui de déchargement des marchandises conteneurisées, et de ce
Abderrazzak BOUDHAR 91

fait, le transport y est désigné d’intercontinental. Il peut s’agir aussi du transport


aérien, sauf qu’il est insignifiant, du point de vue du tonnage déplacé, par rap-
port au maritime (les dimensions des conteneurs transportés par voie aérienne
lui sont spécialement adaptées).
La troisième phase est celle du transport en aval ou de post – achemine-
ment des marchandises à partir du port de débarquement vers le lieu final de
livraison. C’est à ce niveau qu’intervient le destinataire des conteneurs pour
réceptionner ses marchandises et contrôler l’état de l’ensemble « conteneur/
contenu ». Le transport dans cette phase s’effectue principalement par route sur
des véhicules appropriés et accessoirement par la voie ferrée, c’est particulière-
ment le cas au Maroc.
Il faut préciser également que cette phase est logiquement suivie de celle
de la distribution vers le consommateur final, mais qui entre surtout dans le cadre
des relations avec les clients qui n’ont pas d’intérêt particulier avec l’approche
de la prestation de transport proprement dite. Jusque-là, nous raisonnons sur
une chaîne de transport simple que nous pouvons même désigner de
« chaînette » puisqu’elle ne comprend qu’une phase de transport principale et
deux phases supplémentaires, en amont et en aval. Quand il s’agit par contre de
la reprise de plusieurs modes de transport du même genre (maritime ou aérien
par exemple) ou de la succession de différents modes à la fois, principaux et/ou
accessoires, la chaîne devient de plus en plus complexe et peut même donner
naissance à un réseau de transport compact.
En outre, il faut noter que l’étape portuaire est d’une importance cruciale,
car elle est le lieu naturel et privilégié des ruptures de charges, même réduites.
Elle est également le lieu de transfert d’un mode de transport à l’autre, donc de
transfert de responsabilité par excellence. Elle est enfin, le lieu principal des
contestations relatives aux dommages résultant des différents incidents de
parcours et même le lieu fertile des accidents de manutention ou d’autres
incidents liés à la manipulation des conteneurs.

Elles sont contenues dans les principaux objectifs affichés pour réussir le
défi relatif à l’amélioration de la qualité de service du transport de marchandises.
On fait référence à la faculté de déplacer les marchandises, à la satisfaction des
chargeurs, en petites parcelles, à leur sécurité au cours du transport et séjour en
attente et à l’élimination des retards lors des transferts. Le couronnement de
l’ensemble serait la régulation des coûts de transport et la réalisation des
économies.
92 Le droit maritime dans tous ses états

En effet, au lancement de la conteneurisation, les créateurs de ce concept


ont affiché des objectifs précis, constituant les principes fondamentaux de base.
Il s’agit d’objectifs à réaliser par l’exploitation de ce nouveau système dans les
meilleures conditions de rendement et de performance pour le déplacement des
marchandises entre les grands pôles du commerce international.
Tout d’abord, à la différence des marchandises transportées en vrac ou
en néo-vrac, les marchandises « unitarisées » ou parcellisées sont particulière-
ment celles ciblées par le transport conteneurisé. D’une part, ce premier objectif
concerne les biens manufacturés ou semi-finis, à côté des marchandises
classiques. D’autre part, il intéresse les petites et moyennes entreprises,
personnelles ou structurées pour la distribution d’une plus grande variété de
cargaisons sur les circuits du commerce.
Un deuxième objectif qu’est la sécurisation des marchandises en circu-
lation, par la préservation de celles-ci contre le vol en particulier, mais aussi et
en général, contre tout autre cas de dépérissement ou dépréciation quelconque,
surtout si ces marchandises mises en conteneurs sont de valeur. Le confort
apporté aux marchandises au cours de leur transport est un atout qui vise leur
présentation en bon état à la vente. Il est la conséquence immédiate de la
sécurisation apportée par le conteneur à ces marchandises, dont le résultat est
constaté une fois celles-ci arrivées sur les lieux de consommation.
En troisième lieu, le passage direct et rapide des conteneurs d’un mode
de transport à l’autre et d’un opérateur au suivant a pour objectif d’assurer une
grande fluidité à la circulation des marchandises et à leur transit. L’élimination,
sinon la réduction poussée, des ruptures de charges sur toute la chaîne de
transport des conteneurs aboutit inéluctablement à la réduction des temps
d’attente pour le transfert des marchandises d’un lieu à l’autre et par conséquent,
à la réalisation d’un meilleur rendement sur le tonnage transporté.
La totalité de ces objectifs converge vers la réalisation d’une économie
d’échelle par le biais du transport conteneurisé, opéré à une grande cadence et
visant un tonnage élevé, accompagné de la maîtrise de toute la chaîne de trans-
port. C’est une suite logique aux précédents objectifs, partant du gain de temps,
de l’augmentation du tonnage manipulé et l’élimination des pertes en argent
ainsi que l’aboutissement à une réduction des taux de fret et au développement
du commerce international.
C’est, par conséquent, sur l’ensemble des éléments de cet aspect com-
mercial que va se baser l’édification des autres aspects de la conteneurisation
visant la convergence des efforts pour l’épanouissement du concept dans son
environnement global.
Abderrazzak BOUDHAR 93

Les incidents que peuvent affronter les marchandises sont généralement


catégorisés en deux grandes classes, eu égard à la détection de leurs effets à
temps ou tardivement. Par ailleurs, leurs causes matérielles sont en relation di-
recte ou indirecte avec les outils et les moyens de transport, tandis que leurs
causes subjectives émanent plus ou moins des fautes ou erreurs des interve-
nants sur la chaîne de transport conteneurisé.
C’est, en effet, cette diversité des incidents et de leurs causes éventuelles
qui génère les conséquences matérielles et donc juridiques que connaît le con-
tentieux du transport conteneurisé. Des conséquences qui peuvent se compli-
quer du fait du concours de plusieurs incidents ou de plusieurs causes, objecti-
ves ou subjectives. Un état de fait qui peut se réaliser concrètement en raison de
la présence de plusieurs intervenants, de différents moyens et de modes de
transport sur une même chaîne de transport conteneurisé.
Toutefois, il faut préciser que l’attention portée sur les sources d’inci-
dents nés des « matières premières » du transport conteneurisé, émane de l’ac-
cessibilité aux moyens de preuve, offerte à qui de droit afin de confirmer
l’exonération de sa responsabilité ou d’engager celle d’un autre. En revanche,
les autres sources d’incidents, invoquées par l’un ou l’autre des opérateurs et
rattachées généralement à la force majeure (tempête par exemple) sont parfois
peu convaincantes, et de ce fait, se justifient peu ou pas aux yeux des tribunaux
saisis lors des actions en responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle.
La conteneurisation a été conçue dans le but de solutionner certains
handicaps techniques et commerciaux au profit des marchandises transportées
et des opérateurs concernés. Cependant, la réduction des effectifs engagés dans
le transport classique de marchandises – tant espérée du nouveau concept n’est
pas complètement réalisée. Ceci émane de la nécessité d’intervention de plu-
sieurs opérateurs, à spécialités et affectations diverses, pour assurer la fluidité du
transport conteneurisé dans ses meilleures performances.
De ce fait, une panoplie de relations contractuelles et extra-contractuelles
naît entre les différents intervenants. On recense de même plusieurs nouvelles
activités qui ont pris place avec l’avènement de la conteneurisation, dont par
exemple les prestations de collecte (ou ramassage) de marchandises, d’embal-
lage, d’empotage et d’expertise. Les conventions entre opérateurs sont parfois
mal définies ou interfacées entre elles et par conséquent, une certaine confusion
apparaît lors du règlement des différends relatifs au transport conteneurisé.
94 Le droit maritime dans tous ses états

À la variété des statuts juridiques des différents opérateurs sur scène,


s’ajoute par ailleurs, la variété des régimes juridiques des modes de transport dans
une chaîne conteneurisée complexe. Il s’agit d’un handicap majeur dans l’appli-
cation des dispositions juridiques appropriées pour apurer le contentieux né des
incidents aux marchandises conteneurisées lors de leur acheminement d’un
bout à l’autre.
Ce qui complique davantage la situation, c’est la difficulté de cerner le
moment et le lieu de survenance d’un fait dommageable aux marchandises con-
teneurisées. Ceci est dû en fait à l’anonymat procuré aux marchandises par le
conteneur lui-même qui voyage fermé et scellé par les autorités douanières sur
tout le parcours de la chaîne. Un des avantages de la conteneurisation qui
handicape la désignation expresse et directe du responsable sur un incident
quelconque aux marchandises.
En effet, en contrepartie de la sécurisation des marchandises, de
l’assurance de leur confort et bonne présentation à l’arrivée, leur anonymat
représente l’un des principaux inconvénients à l’identification des dommages
aux marchandises à temps et à la localisation, même approximative, du lieu de
leur survenance.

Du fait de l’intervention de plusieurs opérateurs, de la succession de


plusieurs modes et de l’existence d’une multitude de risques liés à la nature des
prestations fournies pour l’acheminement des marchandises d’un bout à l’autre
de la chaîne, la fluidité du transfert des marchandises conteneurisées est le
principe, l’idéal au bon déroulement du transport de conteneurs. En revanche,
toute perturbation ou contrainte à ce principe engendre à la fois des retards
dans l’acheminement de ces marchandises conteneurisées, la naissance de diffé-
rends entre opérateurs et un préjudice regrettable au concept de conteneurisation.

Les entraves à la commodité et à la fluidité de ce transfert sur une chaîne


de transport conteneurisé peuvent provenir des fluctuations que connaissent les
limites matérielles et juridiques qui séparent l’utilisation successive des modes
de transport et les actions des différents intervenants. Des fluctuations qui sont
rattachées aux nouvelles modalités d’exécution du transport conteneurisé, à la
différence du transport classique de marchandises.

Le transport maritime est de loin le plus concerné par l’encadrement


juridique approprié du concept de la conteneurisation et ce, à plusieurs raisons.
Tout d’abord, au regard du nombre élevé de conteneurs qui transitent par la
voie maritime, de la plate-forme de connexion que constitue l’escale portuaire
pour les différents modes de transport et de la survenance de la majorité des
Abderrazzak BOUDHAR 95

incidents au cours de ces deux étapes (ou du moins leur rattachement présumé
à elles) ; Ensuite, au regard de l’orientation privilégiée du conteneur vers l’ex-
ploitation maritime et du rapprochement opéré entre le navire et le conteneur,
dans sa conception originale.
Le fondement général de la responsabilité du transporteur maritime a
longtemps reposé sur le principe de la présomption.7 Un état de fait, dont les
racines sont liées à la situation économique des transporteurs par rapport aux
chargeurs ainsi qu’à l’obligation principale née du transport de marchandises,
qualifiée juridiquement comme étant une obligation de résultat. C’est à ce
niveau que surgit la question de savoir si le transport des marchandises en con-
teneurs a une certaine influence sur ce principe fondamental de la présomption
de responsabilité ou s’il est au contraire sans influence.
Le transporteur maritime renforce sa ligne de défense par la recherche
des cas exonératoires, notamment par le biais de la responsabilisation du char-
geur et ce, par la mise en évidence de la défaillance de celui-ci, de la marchan-
dise ou du conteneur. Il en est ainsi en fait, car les autres cas d’exonération
(notamment de la force majeure) sont plutôt difficiles à mettre en œuvre en tant
qu’échappatoires à la responsabilité.
Toutefois, dans le cas où cette responsabilité serait confirmée, sa limi-
tation a été instaurée par les textes de lois et les conventions internationales à
travers les plafonds d’indemnisation dans lesquels le conteneur a pris une place
particulière. Cette limitation – qui est en quelque sorte la contrepartie de la
présomption – a été mise en place pour assurer un certain équilibre entre les
parties au contrat de transport, sous réserve des cas de dol du transporteur ou
de déclaration de valeur de la marchandise par le chargeur. Ces plafonds sont
établis en fonction du nombre de colis – ou d’unités de charge – ou encore du
poids (en kilos) de marchandises empotées dans le conteneur. Ce dernier sera-t-
il alors considéré comme étant un colis dans son ensemble ou, au contraire,
divisé en plusieurs colis dont lui-même fait partie ?
La réponse à cette question renvoie à la qualification du statut juridique
du conteneur : Est-il alors considéré comme marchandise ou comme moyen de
transport à part entière ? En outre, d’autres questions soulevées par la mise en
service normale des conteneurs méritent, au même titre, des éclaircissements
par le traitement et la logique juridiques.

7 Cependant, cette posture juridique est progressivement atténuée par les nouvelles tendances qui
visent à rapprocher l’obligation de résultat du transporteur maritime vers une obligation de
moyens. Une disposition qui exige de la victime du dommage survenu aux marchandises
conteneurisées la preuve de la négligence ou de l’imprudence du transporteur pour pouvoir le
responsabiliser. La référence est faite aux dispositions de la convention de Hambourg de 1978.
96 Le droit maritime dans tous ses états

L’approche juridique de la responsabilité doit converger encore plus vers


les points de ruptures de charges où le transfert matériel de marchandises est
opéré. C’est à ce niveau que la détection des dommages, tout au moins appa-
rents, est effectuée et que les procédures pour la préservation des droits sur les
marchandises conteneurisées sont exécutées. Il s’agit notamment de l’inscrip-
tion des réserves au moment du constat des dommages – ou suspicion de
dommages – aux marchandises et de l’expertise des dégâts enregistrés.

L’examen de l’aspect juridique de la conteneurisation révèle un ensemble


de questions pertinentes demeurées en suspens, du fait de la circulation et l’ex-
ploitation des conteneurs vides ou chargés de marchandises. Il s’agit des ques-
tions juridiques préliminaires, mais nécessaires à la clarification de certaines
situations, en rapport avec le transport maritime de marchandises par conte-
neurs. Ces questions juridiques intéressent au premier plan le conteneur, pris
séparément, eu égard au statut juridique à lui affecter. Au deuxième plan,
d’autres questions juridiques ont nécessité une approche approfondie du conte-
neur en exploitation, chargé de marchandises et véhiculé le long d’une chaîne
de transport.
Tout d’abord, la prestation relative à la mise du conteneur par son pro-
priétaire à disposition du chargeur, a posé le problème de qualification juridique
du contrat de location qui la concerne. La controverse soulevée concerne la
qualification de ce contrat en tant que distinct et autonome par rapport au con-
trat de transport maritime ou, au contraire, en tant qu’accessoire et dépendant
de celui-ci. Là encore, le raisonnement juridique est nécessaire pour la
clarification de cette question en rapport avec le transfert de responsabilité dans
le transport conteneurisé.
Par ailleurs, le chargement des conteneurs sur la pontée des navires,
porte-conteneurs ou autres, est une question héritée du transport classique de
marchandises. Le consentement des parties sur les clauses du contrat, les spéci-
ficités de certaines marchandises, les usages des ports et du commerce maritime,
etc. sont des éléments de réponse à prendre en compte pour se prononcer sur
la régularité ou l’irrégularité de la pontée.
Toutefois, pour trancher – de prime abord – la question relative au statut
juridique du conteneur lui-même, les conceptions doctrinales et jurispruden-
tielles ont pris des orientations différentes. Il s’agit de se prononcer sur la ques-
tion de savoir si le conteneur est un moyen de transport ou, au contraire, une
marchandise. Le raisonnement entrepris par l’une des conceptions juridiques a
Abderrazzak BOUDHAR 97

considéré le conteneur comme étant le moyen d’exécution du contrat de


transport maritime et par l’autre, comme étant l’objet du contrat.

Le transporteur maritime est susceptible d’intervenir principalement dans


trois étapes du déplacement des marchandises sur la phase maritime dans la
chaîne de transport globale. Ces trois étapes sont, d’une part, l’expédition mari-
time et, d’autre part, les opérations d’embarquement des marchandises à bord
du navire, au départ, et leur débarquement à terre, à destination. Par conséquent,
l’implication de sa responsabilité peut être recherchée à ce niveau.
Cette responsabilité concerne, en effet, l’ensemble des obligations qui
touchent de près ou de loin les opérations matérielles et juridiques qui ont trait
à l’exécution du contrat de transport maritime à travers ces trois étapes prin-
cipales. La caractéristique de cette responsabilité est la présomption légale décou-
lant d’une obligation globale de résultat qui incombe au transporteur maritime.
Toutefois, la contrepartie de cette présomption est la limitation de
responsabilité du transporteur maritime, eu égard à la réparation des dommages
survenus aux marchandises au cours de leur transport sur le trajet maritime. De
ce fait, la responsabilité du transporteur maritime n’est pas illimitée, mais plutôt
cernée dans des limites légales minimales. Ces limites peuvent être, sur accord
des parties au contrat de transport, révisées à la hausse, mais jamais à la baisse.
Par ailleurs, à l’opposé de cette responsabilité présumée du transporteur
maritime, l’exonération de la présomption de responsabilité se réalise, si et
seulement si, le transporteur maritime apporte la preuve irréfutable d’un fait
exceptionnel et majeur empêchant l’exécution normale et conforme de sa pres-
tation de transport ou encore, la preuve d’un acte fautif ou dolosif de la partie
cocontractante, en l’occurrence le chargeur, ses préposées ou ses mandataires.
L’insistance sur la défaillance du chargeur trouve sa raison dans la possibilité
offerte au transporteur d’y accéder, en comparaison avec la preuve des faits
extérieurs qui est, par contre, difficile d’accès et d’appréciation.
Les applications concrètes du principe de la présomption de responsa-
bilité au transport des conteneurs, de la limitation des plafonds d’indemnisation
aux marchandises conteneurisées endommagées et de l’exonération de la pré-
somption de responsabilité au transport conteneurisé, sont particulièrement
ciblées dans l’encadrement de la responsabilité du transporteur maritime, du fait
des incidents qui peuvent survenir suite à son intervention.
98 Le droit maritime dans tous ses états

Les points de ruptures de charges constituent, en même temps, les lieux


de transit des marchandises conteneurisées, les lieux privilégiés pour la surve-
nance des incidents et, enfin, les lieux de transfert de responsabilité. D’où l’inté-
rêt d’apprécier ce transfert à ces mêmes niveaux, là où généralement la décou-
verte des dommages aux conteneurs et/ou aux marchandises conteneurisées est
plus probable.
Par ailleurs, la distinction entre les dommages apparents et les dommages
non apparents trouve son application à ce même niveau, du fait que le résultat
est tributaire des circonstances du transit des marchandises.
Cette notion relative à l’apparence ou non des dommages aux marchan-
dises découle de l’anonymat que procure le conteneur aux marchandises qui y
sont transportées. L’appréciation des dommages prend donc cette variante en
compte, qu’est la présence du conteneur dans le circuit de déplacement des
biens par les différents modes de transport et l’intègre, par conséquent, dans le
processus de transfert des conteneurs entre les différents opérateurs de la
chaîne de transport conteneurisé.
La mise en œuvre de procédures et techniques particulières pour la con-
crétisation du transfert de responsabilité nécessite le respect de la forme et du
fond. Il s’agit, en effet, des réserves que les opérateurs inscrivent sur les docu-
ments de transport, et donc de transfert, pour marquer les changements de l’état,
en terme de qualité et de quantité, des marchandises en question. Ces réserves
sont adressées aux différents intervenants, précédant ou suivant le lie de cons-
tatation des dommages, pour les informer de la situation et écarter soit la pré-
somption de réception conforme, soit la présomption de livraison conforme –
même si cette dernière n’est pas définitive, mais plutôt décomposée en livraisons.
Par ailleurs, le but des expertises est de rechercher des réponses aux
questions délicates qui concernent l’état exact des marchandises conteneurisées
touchées par un incident quelconque, le lieu et le moment de la survenance
dudit incident, ses causes et, par conséquent, l’identification du ou des respon-
sables. De telles expertises mettent en exergue plusieurs techniques scientifiques
pour aboutir aux meilleurs résultats escomptés. Elles utilisent les différents
moyens technologiques préalablement disposés dans des conteneurs spécialisés
ou encore les différents procédés d’investigation selon la nature de l’incident en
question.

C’est, en fin de compte, une série procédurale qui prend son cours, en
débutant logiquement par la constatation des dommages apparents touchant
éventuellement les marchandises conteneurisées et ce, à chaque transfert opéré
entre les opérateurs successifs de la chaîne de transport.
Abderrazzak BOUDHAR 99

La gestion rationnelle du contentieux, relatif au transport conteneurisé,


est d’une importance cruciale. C’est une gestion qui doit être appréhendée aux
différentes étapes de la prestation du transport et même avant. Ceci dit, il im-
porte d’instaurer une culture ciblée sur les problèmes qui peuvent être générés
suite à l’exploitation de la conteneurisation comme concept générateur du
développement économique, mais aussi, comme source de difficultés, une fois
qu’un incident touche les conteneurs et/ou les marchandises conteneurisées.
En effet, le suivi rapproché du déroulement des étapes successives et la recher-
che des alternatives de rechange pour trouver des issues acceptables et
bénéfiques aux différends du transport conteneurisé, doivent être exploités avec
la prudence nécessaire et le respect des règles et normes en vigueur.

La progression dans l’encadrement des modes de transport de la chaîne


conteneurisée, séparément, en combinaison et par inclusion des phases préli-
minaires, ne peut que converger vers la solution tant recherchée par les opéra-
teurs du transport, à savoir uniformiser la responsabilité sur l’ensemble du
parcours de circulation des biens transportés d’un point à l’autre du globe,
exclusion faite de toute considération de la nature de la voie empruntée, du
mode de transport utilisé ou de l’opérateur intervenu.
L’avènement de la notion de transport multimodal s’est opéré parallèle-
ment au développement de la conteneurisation sous tous ses aspects, passant
par les appellations de transport direct, combiné et autres. La dernière
définition retenue est tirée de la convention internationale des Nations Unies de
1980 :
« Par “transport multimodal international’’, il faut entendre le transport
de marchandises effectué par au moins deux modes de transport
différents, en vertu d’un contrat de multimodal, à partir d’un lieu situé
dans un pays où les marchandises sont prises en charge par
l’entrepreneur de transport multimodal jusqu’au lieu désigné pour la
livraison dans un pays différent. Les opérations de ramassage et de
livraison des marchandises qui sont effectuées en exécution d’un contrat
prévoyant un transport par un seul mode de transport, telles qu’elles sont
définies dans ce contrat, ne sont pas considérées comme un transport
multimodal international »8.

8Article premier de la convention (sous 1°). C’est une définition qui intègre l’internationalisation
des échanges commerciaux par le transit des frontières entre les points de départ et de destination
des marchandises transportées. Elle exclut, par la même occasion, toutes les opérations faites par
un mode de transport unique même s’il transgresse les frontières douanières des pays ; et exclue
100 Le droit maritime dans tous ses états

Il faut reconnaître qu’un certain consensus a été constamment recherché


par les opérateurs concernés par le sort de la marchandise, afin de trouver des
solutions adaptables au transfert de responsabilité, par l’unification des inter-
locuteurs face aux chargeurs des conteneurs, afin d’aboutir à l’uniformisation
du régime juridique de cette responsabilité.

Plusieurs options ont été proposées au cours du traitement de la respon-


sabilité du transporteur ou précisément, de l’entrepreneur (ou organisateur) de
transport multimodal. Ceci a concerné, en plus de la désignation du seul
interlocuteur, l’unification des documents de transport sur toute la chaîne de
transport multimodal.

En dernier lieu, le lancement de ce projet de refonte des relations entre


les opérateurs du transport multimodal nécessite, inéluctablement, une meil-
leure fluidité dans la circulation des documents, des marchandises et des infor-
mations entre les différents maillons de la chaîne. C’est par le biais de la
facilitation des procédures et de leur simplification, à l’échelon international,
qu’il sera possible de faire aboutir ce projet.

L’inscription des réserves sur les documents de transport et leur


notification à qui de droit constituent, à la fois, le point de départ et le point
d’appui de toute réclamation ultérieure pour demander réparation du préjudice
subi. Toutefois, cela ne constitue pas une condition sine qua non pour accéder à
cette action, puisque l’apport d’autres éléments de preuve nécessaires à cet effet
peut compenser le manque de ces fameuses réserves. Quel que soit le cas,
l’accès à l’indemnisation effective des dommages, pertes ou retard, dont ont
souffert les marchandises conteneurisées, peut se réaliser grâce à différentes
procédures.
En premier lieu, le recours aux arrangements amiables entre les parties au
conflit, est l’une des procédures ; elle est simple d’accès et rapide dans sa con-
crétisation. En effet, le chargeur et le transporteur y trouvent plusieurs avan-
tages dont principalement le gain de temps et l’adaptabilité à leurs situations
réciproques. Il en est ainsi, surtout, lorsque les montants d’indemnisation en
question sont faibles et que le demandeur n’est pas un professionnel du
commerce, en général, et du transport maritime en particulier.

En deuxième lieu, quand les parties concernées sont sur un pied d’égalité
ou presque, eu égard à leur professionnalisme, à leur capacité financière et à

également toutes les opérations de ramassage et de distribution qui ne font pas partie du contrat
global de transport multimodal de marchandises.
Abderrazzak BOUDHAR 101

l’importance des intérêts en jeu, la transaction juridique est la solution qui ré-
pondrait mieux à leurs prétentions, si ce n’est que la complexité du contentieux
du transport conteneurisé qui les oppose, les poussent à se retourner vers la
procédure d’arbitrage commercial, parfois même, international. C’est une pro-
cédure qui a ses avantages et ses inconvénients, en plus de la technicité com-
merciale et juridique sur laquelle repose toute sentence arbitrale dans ce
domaine.

En dernier lieu, ce qui ne signifie pas le dernier recours, l’action en jus-


tice est la voie administrative qu’engagent certains demandeurs et/ou défen-
deurs pour trancher les litiges qui les opposent. C’est une procédure qui répond
aux contraintes du formalisme judiciaire dont la lenteur est l’inconvénient
principal, à côté des dépenses pécuniaires qui lui sont rattachées et du risque
relatif à l’échec éventuel de la procédure ou à la perte du procès.

Telles sont les principales méthodes de règlement des différends nés du


transport maritime conteneurisé, employées par les transporteurs, chargeurs,
leurs assureurs respectifs ou tous autres ayants droit à l’action en réparation et
ce, en fonction de leur situation, des données du conflit et des attentes de
chaque partie de la procédure entreprise.

Pour conclure, nombreux et diversifiés, sont les autres problèmes qui


accompagnent le transport conteneurisé et qu’on peut classer en deux grandes
catégories.

Dans la première catégorie, on peut citer certains exemples comme le cas


du retour des conteneurs vides, soit pour leur utilisation pour le lestage des
navires porte-conteneurs, sans l’aval de leurs propriétaires, soit en raison du
déséquilibre de la balance d’exportation des biens par rapport à celle de leur
importation ou encore, eu égard au type de vente internationale contractée
entre les parties concernées. Il peut s’agir, en outre, de l’exploitation des conte-
neurs pour le transport des matières dangereuses ou nocives, sous de fausses
déclarations, menaçant en permanence l’équilibre environnemental et la sécurité
humaine. Cela peut concerner aussi la rétention des conteneurs par des récep-
tionnaires en conflit avec des expéditeurs, au détriment des fournisseurs de
conteneurs, etc.

La deuxième catégorie intéresse, quant à elle, les problèmes relatifs à la


migration clandestine dans des conteneurs de différents types, vides ou partiel-
lement chargés, au transport des stupéfiants, armes et tous autres produits
prohibés ou encore, à l’existence des conteneurs épaves qui flottent à la dérive
et constituent un danger pour la navigation maritime, etc.
102 Le droit maritime dans tous ses états

Il faut noter également qu’au nom de la liberté contractuelle, qui reflète


le consentement des parties, l’établissement des différentes conventions, dont
fait partie la prestation de transport de marchandises par conteneurs, demande
de l’habilité en plus des connaissances juridiques pour, à la fois, préserver les
droits qui en découlent et assumer les responsabilités qui s’imposent. C’est à ce
niveau, qu’outre les normes nationales et internationales, vient s’interposer la
culture juridique efficace et nécessaire à chaque contractant pour mieux gérer,
parallèlement, les transactions commerciales, les risques du transport et le
contentieux éventuel.
Il a été certes intéressant de comparer les éléments positifs de la
conteneurisation avec les répercussions de certaines contraintes liées à son
exploitation. Le résultat qui en découle est relativement variable en fonction des
conditions et de l’espace dans lesquels ce concept est pratiqué, dans la mesure
où les disparités sont parfois remarquables.

D’un côté, le bilan est positif en présence d’un développement


technologique, économique et social dans une société quelconque où sévit une
culture managériale ouverte sur l’environnement extérieur. Dans ce cas, la
fluidité du transport conteneurisé puise ses ressources dans une telle culture qui
maîtrise, en même temps, le volet technico-commercial des échanges de biens
ainsi que le volet juridique. Par conséquent, la marge d’erreur est réduite et a
même tendance à s’annuler, au fur et à mesure que les opérateurs du transport
conteneurisé cumulent de l’expérience et acquièrent du savoir-faire. À l’opposé,
l’archaïsme de la gestion artisanale des entreprises engendre indéniablement une
multitude de contraintes et de dérapages, dans le transport international de
marchandises par les différents modes, en général, et dans le transport
conteneurisé par la voie maritime, en particulier.
Abdellah MARGHICH
Professeur de l’enseignement supérieur à la faculté de droit de Fès,
Directeur du Laboratoire de recherche en Droit des Transports,
Distribution et de la Logistique, Responsable du Master Droit International des Affaires

Le droit de l’affrètement à temps tire son succès de la répartition qu’il


opère entre les droits et obligations des parties d’une part, et la gestion des ris-
ques et des conflits qu’il instaure d’autre part. L’atout majeur de cette allocation
repose avant tout sur le respect qu’il voue à la séparation inhérente de l’affrète-
ment à temps, entre gestion commerciale et nautique du navire. Cette disposi-
tion représente un des éléments fondamentaux des chartes parties à temps, en
ce qu’elles fondent à la fois, les droits et devoirs des cocontractants, et permet-
tent de garantir une certaine équité des parties devant les charges que comprend
l’exploitation d’un navire. Il semble en effet que chaque stipulation du contrat
soit justifiée en fonction du type d’opérations supervisées par les parties sur le
navire, qui implique un véritable compromis sur l’affectation des compétences.
Ce dernier point n’est d’ailleurs pas sans importance au vu des enjeux financiers
capitalisés sur la rentabilité du navire.
Cette dimension économique de l’affrètement n’a pas échappé à Lord
Griffiths, qui la très justement résumée comme étant : « a matter of very hard
business »1. Dans ce contexte hautement concurrentiel, chaque partie au contrat
est soucieuse d’optimiser ses revenus à partir de l’exploitation commerciale ou
nautique du navire. Tandis que les gains du fréteur, provenant de la collecte du
fret, reste une source de rémunération stable, les profits escomptés de l’affré-
teur sont quant à eux beaucoup plus imprévisibles, puisqu’ils dépendent de nom-
breux facteurs extérieurs. La volatilité des taux sur le marché de l’affrètement
conjuguée avec les variations dans le volume de biens transportés, rend l’équa-
tion difficile à résoudre, et la susceptibilité des parties très sensible à l’égard du
moindre défaut contractuel. C’est la raison pour laquelle l’équité instaurée par le
droit de l’affrètement à temps à temps entre les cocontractants constitue un
atout indispensable à la bonne exécution du contrat dans ces circonstances.

1 The Afovos (1982) 1 WLR 848 at p 855.


104 Le droit maritime dans tous ses états

La responsabilité du fréteur à temps est régie en droit maritime marocain


par l’article 213 al. 2 du DCCM et l’article 245 du projet de réforme. Cependant
cette réglementation ne donne presque jamais lieu à application dans la mesure
où les chartes parties à temps, organisent, pour chacune d’entre elles un régime
de responsabilité du fréteur à temps.
Mais quel que soit le régime envisagé, la responsabilité du fréteur s’arti-
cule autour de deux éléments essentiels qui caractérisent l’affrètement à temps :
le navire objet du contrat et sa contribution nautique pour toutes les opérations
commerciales faites par l’affréteur durant la charte.
C’est pour cette raison que sera étudiée d’abord la responsabilité du
fréteur relativement au navire qu’il met à disposition (I). Ensuite, il importe de
savoir si dans quelles conditions il est débiteur à l’égard de l’affréteur, étant
donné qu’il exerce pendant toute la durée de la charte la gestion nautique du
navire via son représentant, le capitaine (II).

La responsabilité du fréteur à temps concernant le navire peut être


organisée à deux niveaux :
D’abord, la responsabilité du fréteur peut être retenue quand il commet
une faute dans la mise à disposition de son navire.
Ensuite, le fréteur peut être tenu pour responsable lorsque le navire qu’il
met à la disposition de l’affréteur est innavigable.

Autant en droit commun que dans les chartes parties, le fréteur supporte
l’obligation de mettre à la disposition de l’affréteur, le navire désigné répondant
aux caractéristiques prévues ou son substitut, à la date et au lieu indiqués, pour
accomplir les opérations prévues. À cet égard, le fréteur engage sa responsa-
bilité lorsqu’il n’exécute pas son obligation.
Il convient de différencier les problèmes attachés à la navigabilité que
nous verrons tout à l’heure, de ceux qui sont attachés à la performance du
navire. Comme critère de différenciation, nous pouvons utiliser les sanctions
applicables à leur manquement, car pour la navigabilité, ce seront les dommages
où et intérêts ou la résiliation du contrat ; pour la performance, ce sera la
suspension de location ou une modification du loyer.
Abdellah MARGHICH 105

Lorsque le navire ne se présente pas à la date prévue dans la charte-partie,


l’affréteur acquiert le droit de résoudre le contrat. Il peut aussi demander
réparation du dommage causé par la non-présentation du navire.
En effet, la responsabilité du fréteur est engagée quand il résulte des
circonstances, qu’il a délibérément refusé de remettre le navire à la disposition
de l’affréteur. L’obligation fondamentale du fréteur à temps est de fournir un
navire dans les temps et au lieu convenus.
La responsabilité du fréteur peut aussi être retenue pour retard lorsque
l’affréteur n’exerce pas l’option qui lui est ouverte de résoudre le contrat. Ainsi,
en décide la cour d’appel de Paris dans l’arrêt IVA en précisant que la charte-
partie, bien qu’elle prévoit sa résolution en cas de retard supérieur à dix jours,
n’exclut pas qu’une indemnisation puisse être accordée pour le préjudice causé
par la faute d’un de ses contractants2.

Il s’agit ici de la description des caractères physiques du navire. Elle est


très importante dans la mesure où elle permet à l’affréteur de se faire une idée
sur des éléments tels que la vitesse du navire, la consommation du combustible,
l’accessibilité des cales, les engins de manutention les plus adéquats… Dans ces
cas, le fréteur peut engager sa responsabilité pour mauvaise description du navire.
Les armateurs n’acceptent les clauses de performance qu’avec une
certaine réticence ; bien que les chartes parties, utilisées fréquemment pour
l’affrètement à temps (“Baltime”, “Liner time” et “NYPE”) restent assez
vagues, traditionnellement, lorsqu’un navire est ralenti, les armateurs invoquent
le mauvais temps, et les aléas de navigation restent à la charge des affréteurs.

Les décisions des arbitres varient selon les cas.


Si l’armateur ne justifie pas du temps utilisé pour le voyage, très supérieur
à celui qui eût résulté de la vitesse prévue à la charte, il supporte une suspension
de location estimée par les arbitres3.
Les chartes courantes décrivent la vitesse du navire de la manière sui-
vante « capable à pleine charge de faire une vitesse X nœuds environ par beau
temps et mer calme » (Baltime, cl 7). Les sentences qui traitent de ce sujet sont
assez complexes car elles sont pleines de calculs. Généralement, nous pouvons

2Cour d’appel de Paris, 23 juin 1983, DMF 1984, p. 307. Voir pour un affrètement coque-nue,
Cham Arb Mar de Paris, sentence n° 1000 du 29 janvier 1999, DMF 1999, p. 837.
3 Cham Arb Mar de Paris, Sentence n° 316 du 3 octobre 1979, DMF 1980, p. 185.
106 Le droit maritime dans tous ses états

dire que la tolérance qui recouvre le mot « environ » (about) s’entend pour les
arbitres français de 5 % en plus ou en moins. Selon l’interprétation anglaise, elle
s’entend de 10 %4. À propos des marges de tolérance sur la vitesse et la con-
sommation des combustibles, les arbitres acceptent qu’il soit prévu une marge
sur la vitesse et une marge sur la consommation mais rien n’exige leur
combinaison. Ils se montrent rigoureux

« l’exigence de bonne foi dans l’exécution des contrats interdit de penser


que de telles marges de tolérance puissent servir à d’autres fins et en
particulier, au maquillage flatteur des performances du navire. Une
tolérance n’est pas un droit »5.

Le double recours à la tolérance représentée par le mot « about » est


généralement admis lorsqu’aucune valeur précise ne lui est attachée, et dès lors
que la liberté d’interprétation de l’arbitre reste entière, elle lui permet d’éviter
l’absurde6. Cette interprétation va dans le sens de la jurisprudence à propos
d’affaires semblables portées devant la CAMP.
En ce qui concerne l’interprétation de l’expression « beau temps », les
arbitres se réfèrent à l’usage international. Sa signification s’apprécie en fonction
de la force du vent et sa limite se situe à l’extrémité haute de la force 4 à
l’échelle de Beaufort. Cette définition est rustique mais elle a les mérites de la
simplicité et de l’universalité7. La référence au « beau temps », selon les arbitres,
doit être interprétée de façon stricte. Rien n’autorise le recours à des corrections
théoriques pour convertir les observations recueillies par mauvais temps afin
d’en tirer des conclusions8.
Comment calculent-ils la vitesse ? La tradition consiste à exclure le mau-
vais temps9, cette solution peut être critiquée puisque le capitaine même de bonne
foi, ne peut déterminer avec rigueur la force du vent ou l’état de la mer. La
preuve contraire contenue dans les journaux du navire et le “Master’s Report”,
que les arbitres prennent en considération pour leurs calculs, est extrêmement
difficile, à moins qu’il y ait référence à des observations météorologiques neutres.
Dans une affaire, portée devant la CAMP, l’affréteur incriminait la faible
vitesse du navire pendant un mois de voyage sur les neuf qu’il avait duré.
Celle-ci ne découlait pas de la vitesse absolue du navire, mais des diverses
relâches, décidées par le capitaine en raison du mauvais temps, qui était établi
par le rapport officiel du Service Météorologique Britannique. Les arbitres ont
calculé la compensation due à l’affréteur en tenant compte du fait que les autres
4 J.
Potier, « Le Capitaine aux ordres de l’affréteur à temps », Etudes offertes à René Rodière, p. 469.
5 Cham Arb Mar de Paris, Sentence n° 684 du 1er mars 1988, DMF 1988, p. 245.
6 Cham Arb Mar de Paris, Sentence n° 703 du 15 mars 1988, DMF 1989, p. 256.
7 Cham Arb Mar de Paris, sentence n° 684 du 1er mars 1988, DMF 1988, p. 245.
8 Cham Arb Mar de Paris, Sentence n° 703 du 15 mars 1988, DMF 1989, p. 256.
9 Cham Arb Mar de Paris, Sentence n° 510 du 21 décembre 1983 DMF, 1984 p. 493.
Abdellah MARGHICH 107

navires de taille et de puissance similaires ou inférieures ont réalisé aux mêmes


époques sur les mêmes itinéraires des vitesses moyennes beaucoup plus élevées10.
Généralement, ils analysent chacun des voyages effectués par le navire
pour en tirer des conclusions justifiées. Ils font des comparaisons avec les voya-
ges similaires effectués par d’autres navires, et en cas de litige sur la vitesse du na-
vire et les consommations de combustibles, ils apprécient la consommation au
regard de la vitesse effective et non point au regard de la vitesse théorique du
navire.
Un dernier problème l’affréteur qui prouve la mauvaise performance du
navire et qui aura droit à des dommages et intérêts, peut-il résilier le contrat
avant son terme ?
À cette question, on ne trouve généralement pas de réponse dans les
chartes et là encore ce sont les arbitres qui apprécient si la vitesse insuffisante
ou la consommation excessive constitue l’inexécution grave d’une obligation
fondamentale pouvant justifier la résiliation suivant les principes généraux de
droit. Seul l’examen des faits permet d’apprécier si l’inexécution est grave (faire
une moyenne de 15 nœuds quand il a été promis 16, cela n’est la même chose
que faire une moyenne de 8 nœuds).
Dans une affaire soumise à la CAMP, l’affréteur a été autorisé par la
charte NYPE à déduire le temps perdu par rapport à une vitesse d’environ 12,5
nœuds et le coût du fuel-oil consommé au-delà d’environ 16.T.M. Il s’agissait
de chiffres garantis par l’armateur.
De la même façon, le calcul de l’affréteur pour la surconsommation de
fuel comportait une marge de 4 % pour tenir compte de l’expression « about ».
Après avoir noté que le calcul de la vitesse s’effectue par rapport à la
route parcourue en éliminant les périodes pendant lesquelles la force de la mer
était supérieure à la force 4 Beaufort, et après avoir relevé l’absence d’indica-
tions détaillées du capitaine sur les périodes de temps défavorable, les arbitres
ont estimé que la retenue sur le loyer pratiquée par l’affréteur tant pour le temps
perdu en raison de la vitesse insuffisante que pour la consommation de fuel-oil
était justifiée11.

Sur cette question, la présentation du régime légal de la responsabilité du


fréteur va nous permettre de mieux comprendre les enjeux du régime
contractuel prévu par les chartes parties.

10 Cham Arb Mar de Paris, Sentence n° 220 du 27 juillet 1977 (second degré) DMF 1978, p. 47.
11 Cham. Arb. Mar. de Paris, sentence n° 927 du 6 novembre 1995, DMF 1996, p. 344.
108 Le droit maritime dans tous ses états

Quoique ce régime ne s’impose pas aux parties, cette étude n’est pas seu-
lement théorique. D’une part, il peut arriver que les chartes parties, qui établis-
sent un régime différent, soient nulles de sorte que le droit commun retrouve
son empire ; d’autre part, la connaissance du régime légal est indispensable à la
compréhension des clauses qui l’écartent et constituent le préalable à leur saine
interprétation12.
D’un intérêt pratique certain, cette étude n’est pas davantage inutile en
théorie. La confusion dans l’exposé des régimes de l’affrètement et du transport
sous connaissement règne encore dans le droit maritime marocain. En effet, le
DCCM traite d’une manière générale la responsabilité du fréteur à temps sans la
distinguer de celle du fréteur au voyage ni de celle du transporteur. D’ailleurs,
l’article 213 du DCCM impose l’obligation de mettre le navire en bon état de
navigabilité pour tous les modes d’exploitation du navire. La cour d’appel de
Rabat avait décidé que « les dispositions de l’article 213 du DCCM et qui fait
partie du titre premier réglementant le contrat de transport en général sont
applicables à toutes les variétés d’affrètement, transport et location »13.
Il en résulte que le fréteur à temps tenu d’une obligation de résultat
pleine et entière, est a priori responsable des dommages causés à l’affréteur par
suite de l’innavigabilité du navire. Celle-ci est d’ailleurs la preuve de l’inexécu-
tion de son obligation. Autrement dit, il est garant du bon état de navigabilité
durant toute la durée de la charte.
Ainsi, l’inexécution de cette obligation semble établir une présomption
de responsabilité, voire même une responsabilité de plein droit qui ne céderait
que devant la preuve que l’état défectueux du navire provienne d’un vice caché
qu’un examen scrupuleux n’aurait pas permis de découvrir (article 213 du
DCCM).
L’alinéa 2 de l’article 213 permet au fréteur de s’exonérer pour l’innavi-
gabilité de son navire, en posant expressément comme condition la démonstra-
tion de sa diligence, provenant d’un « examen scrupuleux ». L’article 214 ajoute
que « la preuve de l’innavigabilité peut être admise, nonobstant et contre les
certificats de visite de départ ».
Il s’ensuit que l’affréteur n’a point à démontrer que l’innavigabilité,
source du dommage est la suite d’une faute du fréteur. En effet, il appartient à
ce dernier d’établir qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour rendre son
navire en état de navigabilité au sens de l’article 213.

12 Cf. R. Rodière, « La responsabilité légale du fréteur », DMF, 1963, p. 323 et suivantes.


13 Cour d’appel de Rabat, 8 décembre 1949, RMD 1950, p. 263. Note de R. Bayssière.
Abdellah MARGHICH 109

L’attitude des tribunaux marocains en matière d’innavigabilité du navire :


C’est parce que la notion de bon état de navigabilité oblige à prendre en
considération l’attitude du fréteur que la jurisprudence marocaine reste floue
sur ce point. Parfois elle se montre moins exigeante en imposant à l’armateur la
simple preuve de sa diligence pour bien conditionner son moyen de transport.

La Cour d’appel de Rabat14 avait décidé dans un arrêt du 30 juin 1953 que

« s’agissant d’un navire relativement ancien, pouvant présenter certaines


déformations et des corrosions dont l’aspect se trouve nécessairement
modifié par des couches successives de peinture, l’on ne peut retenir la
responsabilité de l’armateur du chef d’innavigabilité du navire lorsque
l’aspect extérieur de ce dernier n’indique pas des déformations ou usures
excessives. D’autre part, si la fixation de cordons de protection par sou-
dures discontinues a cessé d’être employée dans les constructions nou-
velles, elle a été longtemps en usage et rien n’interdit donc aux navires
anciens de continuer à naviguer, munis de ce mode de protection.
Aucun grief ne peut être fait à l’armateur à raison d’une voie d’eau
produite en cours de traversée, qui n’était pas décelable par un examen
scrupuleux alors que le bâtiment avait reçu, deux semaines avant l’avarie,
le visa du bureau Véritas, dont rien ne permet de soupçonner la sincérité.
Au surplus, les réclamants reprochent à tort à l’armateur le mauvais ren-
dement des pompes dans lequel ils croient pouvoir trouver l’explication
de la quasi-impossibilité d’étaler une voie d’eau importante relativement
faible alors qu’il résulte du rapport d’expertise que le chargement,
composé de sucre, était susceptible de provoquer l’obstruction de la
tuyauterie, à raison du mauvais état des sacs déchirés et décousus ».

Nous ne pouvons qu’approuver cette jurisprudence car la navigabilité


comme le souligne le doyen Rodière 15 « est moins une qualité objective du
navire que le produit des diligences du fréteur ».
Ainsi, chaque fois que le bon état de navigabilité du navire est mis en
cause, la preuve de la diligence apparaît comme une condition nécessaire à
l’exonération de l’armateur.
La Cour de Rabat, dans un arrêt du 8 décembre 1949, avait reproché au
capitaine, en tant que mandataire du fréteur, de ne pas avoir exercé la diligence
raisonnable et d’avoir été ainsi la cause initiale et directe du sinistre16.
Il n’y a pas vice caché, lorsque nulle défectuosité du navire n’est à la base
de la présence d’eau dans les cales17.

14 CA de Rabat, 30 juin 1953, DMF, 1954 p. 586.


15 Rodière, « Le bon état du navire affréter », DMF 1965, p. 391.
16 Cour d’appel de Rabat, 8 décembre 1949, RMD, 1950, p. 263.
17 Cour d’appel de Rabat, 12 janvier1963, RACAM, 1963, p. 96.
110 Le droit maritime dans tous ses états

Dans une autre affaire, le juge avait décidé que « le transporteur maritime
est responsable des avaries à la marchandise transportées dues à des infiltrations
d’eau de mer et de gas-oil et attribuées par l’expert à l’état défectueux de
certains rivets disjoints qui ne peut être assimilé à un vice caché et aurait dû
apparaître à un examen scrupuleux, et à la disjonction des tanks à gas-oil,
consécutive à l’âge de la coque trop lourdement chargée18.
Mais la solution préconisée par la jurisprudence précitée n’a pas été
suivie par certains tribunaux. C’est le cas du Tribunal de première instance de
Casablanca en date du 2 octobre 198619. En l’espèce, des marchandises avaient
souffert d’avaries par suite d’une panne des installations frigorifiques au cours
du transport. Le juge déclara le transporteur responsable au motif qu’il « aurait
dû prendre les précautions pour assurer le fonctionnement normal du moteur ».
Ainsi, selon ce jugement, la seule existence d’une innavigabilité montre que les
soins appropriés pour éviter le dommage n’ont pas été pris. Or, la définition du
contenu de la diligence du transporteur aurait dû être posée de façon plus nette.
Le tribunal ajoute qu’il convient de rechercher si le transporteur avait assuré la
révision du point névralgique de son navire avant d’entreprendre le voyage (du
fait que le navire avait subi une panne similaire en moins d’une année avant). Si
c’est le cas et que, malgré cela, il n’a pu découvrir le vice qui affectait les
installations frigorifiques, le transporteur doit être exonéré ». Dans le cadre de
ce jugement, l’article 213 du DCCM ne fait peser sur le transporteur qu’une
simple obligation de moyens.
C’est aussi l’avis de Cherkaoui « l’obligation d’assurer la navigabilité du
navire peut s’analyser en une obligation de moyen. C’est le sens de l’article 213
du dahir de 191920. Alors que le législateur marocain a voulu maintenir une
obligation de résultat à la charge du transporteur en déclarant dans l’alinéa 2 de
l’article 213 et aussi dans l’article 214, que « la preuve de l’innavigabilité peut
être admise, nonobstant et contre les certificats de visite au départ ».
Nous savons que cette présomption n’est pas absolue, la preuve
contraire est couramment admise par les tribunaux ; malgré la sévérité de la
jurisprudence, aujourd’hui elle admet, compte tenu de la complexité et du degré
de spécialisation des navires, que la visite d’un expert du Bureau Veritas ou de
l’administration permet de penser que l’armateur a exercé avant le départ un
examen vigilant et attentif21.
Dans un arrêt, le juge a observé qu’aux termes de l’article 213 du DCCM,
le transporteur maritime n’est pas responsable des avaries survenues à la

18 Cour d’appel de Rabat, 30 juin 1953, navire « Danio », DMF, 1954, p. 90.
19 Tribunal de première instance de Rabat, 2 octobre 1986, RMD, 1986, n° 5, p. 288.
20 H. Cherkaoui, « La navigabilité du navire », RMD, 1988, p. 87.
21 Cour d’appel d’Aix, 20 septembre 1985, BTL, 1986, p. 214 ; M. de Juglard, « Le vice de la chose

en droit maritime », DMF, 1982, p. 1 et s. Cité par R. Rodière et E. du Pontavice, Droit maritime,
Dalloz, 1997, n° 368.
Abdellah MARGHICH 111

marchandise transportée s’il rapporte la preuve qu’elles sont dues à un vice


caché du navire. Constitue aussi un vice caché la corrosion, par l’intérieur des
canalisations du navire22. En revanche, il est jugé que le transporteur maritime
ne peut se soustraire à sa responsabilité en invoquant le vice caché du navire
lorsque l’avarie à la marchandise est la conséquence d’une cassure et de deux
fêlures d’une boîte à clapets boulonnés à l’intérieur de la coque, d’autant plus
visible qu’il était extérieur et qu’il suffisait d’un examen superficiel pour déceler
l’enfoncement23.
En matière de navigabilité le DCCM est loin de la dualité du système
français à notre sens bien équilibré. Ce dernier pose le principe d’une obligation
de résultat du transporteur, mais n’impose en matière de navigabilité qu’une
obligation de moyen.
La jurisprudence marocaine, quant à elle, ne manque pas non plus de
rigueur en matière de diligence raisonnable du transporteur, en se fondant sur
l’article 214 du DCCM qui dispose que « la preuve de l’innavigabilité peut être
admise nonobstant et contre les certificats de visite au départ ». Il résulte de ce
texte que le législateur marocain considère que les certificats de visite consti-
tuent des présomptions irréfragables attestant la navigabilité du navire ; mais ces
documents ne prouvent pas que le transporteur ait agi avec diligence
raisonnable, d’un bon père de famille.
Il résulte en vertu de l’article 214, qu’il est évident que la délivrance d’un
certificat de visite au départ n’interdisait nullement, d’établir l’innavigabilité du
navire. Dans cette logique le cas d’innavigabilité fait disparaître la présomption
de responsabilité et lui substitue une présomption de faute24. Cependant, par les
diligences du transporteur, en procédant à une vérification de son navire,
attestée par un organisme agréé par l’autorité, il renverse la preuve. Il ne reste
plus à l’affréteur que d’établir que le fréteur a commis une faute. En effet,
l’article 214 admet une telle preuve lorsque l’innavigabilité du navire s’est
produite pendant la durée de la charte.

Nous savons que dans toutes les chartes parties à temps, le fréteur
s’oblige à présenter le navire désigné en bon état de navigabilité.
Le non-respect par le fréteur de cette obligation fondamentale engage sa
responsabilité lorsqu’il en résulte des pertes ou dommages à la cargaison.

22 Cour d’appel de Rabat, 25 juin 1954, GTM, 1954, n° 1, p. 157.


23 Tribunal de première instance de Casablanca, 6 juillet 1954, DMF, 1956, p. 87.
24 H. Cherkaoui, « La navigabilité du navire », RMD, 1988, p. 87, Cour d’appel de Rabat, 30 juin

1953, DMF, 1954, p. 58 Cour d’appel de Rabat, 27 février 1952, RACAR, tome XVII, 1953-54,
p. 452.
112 Le droit maritime dans tous ses états

Ainsi, il est précisé dans la clause 13 de la Charte-partie Baltime, que le


propriétaire du navire sera responsable des pertes ou avaries aux marchandises
si celles-ci ont été causées par un manque de diligence de sa part ou de la part
du gérant (manager) pour rendre le navire navigable.
Conformément à cette clause, le fréteur est tenu de réparer tous les
dommages que subit son navire et de payer les réparations peu importe la façon
dont ces dommages se sont produits. De plus, ce principe est confirmé par la
réglementation d’exception sur laquelle nous reviendrons plus en détail et qui se
trouve à l’alinéa 2 de l’article 13 qui détermine les cas particuliers appartenant
au domaine commercial pour lesquels l’affréteur doit supporter les réparations
du navire. Il s’ensuit qu’également la responsabilité du fréteur en cas
d’innavigabilité nautique et commerciale du navire pendant la durée de la charte
découle des termes de la clause 13 al 1 du moins de façon indirecte.
Dans la c/p NYPE, la responsabilité du fréteur pour innavigabilité se
reflète dans les lignes 21 et 22.
La doctrine anglaise et américaine considère que ces différentes clauses
entraînent une obligation « absolue » de présenter un navire en bon état de
navigabilité (an absolute undertakiflg of seaworthness)25.
Ceci s’apparente à une obligation de résultat et c’est une différence avec
la navigabilité pour un transport sous connaissement où le transporteur est
exonéré de toute responsabilité en cas de perte ou avarie due à l’innavigabilité
du navire s’il établit qu’il a exercé une diligence raisonnable. En d’autres termes,
l’innavigabilité du navire accuse le fréteur à temps qui ne peut s’exonérer en
prouvant qu’il a fait les diligences nécessaires alors que la même innavigabilité
exonère le transporteur sous connaissement pour autant qu’il établisse qu’il a
fait les diligences nécessaires.
Cette différence de régime qui fait que l’obligation du fréteur est plus
stricte que celle du transporteur constitue en quelque sorte une couverture à
l’affréteur à temps qui s’il a émis des connaissements, sera relativement certain,
en cas de pertes et avaries aux marchandises, de pouvoir exercer un recours
efficace contre son fréteur.

La navigabilité n’est pas une propriété intrinsèque du navire, mais elle


résulte de l’attestation de la diligence déployée par le fréteur. Elle a été évoquée
pour mesurer la portée de son obligation de fournir un navire navigable ; le

25 Ceci apparaît clairement dans la décision rendue par la Cour Suprême américaine dans l’affaire
The CALEDONIA qui jugea : « In aur opinion, the shipowner’s undertaking is not merely that he will do
and has done his best ta make the ship fit, but that the ship is really fit to undergo the perils of the sea and other
incidental risks ta which she must be exposed in the course of the voyage ; and, this being so, that undertaking is
not discharged because the want of fitness is the result of latent defects ». 157 U.S. 124 [1895].
Abdellah MARGHICH 113

fréteur fournissant un service, c’est logiquement vers lui qu’on se tourne en


premier dès qu’il est question de diligence. La formule “due diligence” désigne
la diligence raisonnable que l’on est en droit d’attendre d’un professionnel dans
des circonstances similaires26.
Il ne suffit pas que le fréteur, pour se libérer de cette obligation, excipe
des certificats des organismes de classification qui ne constituent qu’une
prescription simple.
Sur le fréteur pèse, de fait, une quasi-obligation de résultat. Pour les
arbitres français, la preuve de la diligence raisonnable exonère le fréteur de
toute responsabilité en cas d’innavigabilité, même lorsque la charte-partie est
muette à ce sujet27.
Si le navire n’est pas livré par le fréteur en bon état de navigabilité,
l’affréteur se trouve devant deux possibilités la première consiste en la mise
hors location du navire car l’arrêt est imputable au fréteur ; la seconde se
rapporte à la résiliation du contrat d’affrètement.

La mise du navire en bon état de navigabilité a comme contrepartie le


paiement du fret par l’affréteur. Si le navire n’est pas utilisable par lui, pour une
raison qui incombe au fréteur, l’affréteur est en droit de le mettre hors location.
Les chartes parties prévoient, exceptionnellement, des cas dans lesquels
le fret sera suspendu. Ces cas envisagent le non utilisation du navire.
La majorité des sentences rendues par la CAMP portent sur la clause 11
de la charte « Baltime ». Une seule sentence concerne la clause 14 de la charte
« Liner time ».
La clause 11 de la « Baltime » se divise en deux parties. La première
partie prévoit certains cas entraînant un « off-hire », lorsque l’indisponibilité du
navire dépasse les 24 heures (franchise). Parfois, il est prévu que les suspensions
d’affrètement ne peuvent être prises en compte que pour une indisponibilité
supérieure à 12 heures. Ainsi, si l’affréteur a déclaré le navire « off-hire » pour une
durée de 9 h 20, ayant retenu une somme due au fréteur, il n’était pas fondé à le
faire28. Cependant, au-delà du seuil de 24 ou 12 heures, le loyer ne sera pas payé
pour le temps effectivement perdu du fait de la déficience.
Souvent les parties assimilent, grâce à des clauses additionnelles, la grève
avec les autres cas prévus par la clause 11, comme l’arrêt du navire par suite de
travaux d’entretien ou de réparation, entraînant suspension de location. Les
arbitres ont jugé que quand les parties ont inséré à l’art. 11 les termes « including
strikes of officiers and crew », le contrat ne distinguait pas suivant que la grève est
26 R. Rodière, Traité de droit maritime, TII, n° 325.
27 Par exemple : la charte-partie NYPE.
28 Ch. Arb. Mar. de Paris, Sentence arbitrale n° 271 du 3 juillet 1978 DMF 1979 p. 58.
114 Le droit maritime dans tous ses états

motivée par des considérations tenant aux intérêts professionnels propres aux
marins ou qu’elle est une grève de contagion ou de solidarité, son existence se
suffisant à elle-même sans avoir à en rechercher la cause. Cependant, ces
principes ne peuvent pas s’appliquer lorsque l’affréteur a dirigé lui-même, en
toute connaissance, le navire vers un port français à une époque où la grève,
paralysant tous les ports français, s’étendait aux équipages de tous les navires
français s’y trouvant, ainsi qu’à ceux qui s’y dirigeaient dès qu’ils avaient touché
le port. C’est par simple application de la règle générale que « nul ne peut tirer
avantage de son fait » et spécialement de son fait fautif en faisant supporter la
charge par son cocontractant, que les arbitres ont refusé à l’affréteur de mettre
le navire “off hire”29.
En outre, il a été jugé par la CAMP que la saisie du navire30, le retard dû
au refus de l’équipage d’appareiller, les périodes de retard dues à une fausse
manœuvre du navire ainsi qu’à l’absence injustifiée de deux officiers et le temps
d’immobilisation du navire dû à l’exécution des réparations au moteur31, consti-
tuent des cas qui entraînent suspension de location. En revanche, les arbitres ont
refusé à l’affréteur d’effectuer une suspension d’affrètement pendant le temps
où le navire attendait au Canal de Suez car c’est de la pratique courante que les
navires, de la taille du navire de l’espèce, ne bénéficiant d’aucune priorité, soient
obligés d’attendre au moins 48 heures 32 . De même, à propos d’un navire
immobilisé pendant un mois au port algérien de déchargement, en raison d’une
saisie pratiquée par la douane locale à cause de différences entre connaisse-
ments et manifeste, les arbitres ont jugé que par application des clauses 9 et 13
de la charte, (selon lesquelles le capitaine est préposé de l’affréteur à temps en
matière de rédaction des connaissements ou autres documents tels que le
manifeste), l’affréteur ne pouvait pas déclarer le navire “off-hire”33.
En ce qui concerne la deuxième partie de la clause 11 de la “Baltime”,
elle prévoit que les accidents de navigation survenus dans les ports difficiles ou
des rivières à barre, ne donnent lieu à aucun cas de suspension, même si ces
accidents sont dus à une faute de l’équipage34. La clause 14 de la “Liner time”
différencie de la clause 11 de la « Baltime » sur plusieurs points, notamment
celui de la franchise, étant contractuelle, et sur des précisions qui portent sur les
méthodes de calcul en cas de déviation. Ainsi, la décision du capitaine d’entrer à
Marseille afin de réparer l’installation radio et embarquer des huiles de graissage,

29 Ch. Arb. Mar. de Paris, Sentence arbitrale n° 29 du 29 décembre 1969 DMF 1970, p. 443.
30 Ch. Arb. Mar. de Paris, Sentence arbitrale n° 293 du 17 avril 1979 DMF 1979, p. 629.
31 Ch. Arb. Mar. de Paris, Sentence arbitrale n° 63 du 26 juillet 1971 DMF 1971, p. 765.
32 Ch. Arb. Mar. de Paris, Sentence arbitrale n° 375 du 8 octobre 1980 DMF 1981, p. 571.
33 Ch. Arb. Mar. de Paris, Sentence arbitrale n° 458 du 2 novembre 1982, DMF 1983, p. 246.
34 Ch. Arb. Mar. de Paris, Sentence arbitrale du 14 mai 1974, JCP, 1974, II, 17818. DMF, 1974,

p. 653 ; cf. Egalement la sentence du 29 décembre 1973, citée et analysée par M. Monetti,
« Arbitrage et affrètement maritime », Étude comparée des sentences françaises et américaines, thèse de
3ème cycle, université de Rouen, Haute Normandie, 1981, p. 146-147.
Abdellah MARGHICH 115

réparation et embarquement qui auraient tout aussi bien pu être effectués au


port vers lequel les affréteurs dirigeaient le navire, a entraîné la suspension de l’af-
frètement. Les arbitres ont décidé que les conditions exigées pour une suspen-
sion d’affrètement étaient remplies et que l’affréteur les a à juste titre appliquées35.
En pratique, le nombre de déclarations de « off-hire » est beaucoup plus
important que le nombre de résiliations, moyen très radical pour l’affréteur.

En droit anglais la rupture unilatérale du contrat d’affrètement de la part


de l’affréteur a été toujours admise. En droit marocain comme en droit français
la résiliation doit être demandée en justice ; il nous semble que la position du
droit anglais a influencé les décisions nouvelles des arbitres français36.
Les arbitres français, conscients que la résiliation du contrat est un acte
avec des conséquences considérables, essaient d’être justes en évitant des
solutions qui favorisent une partie du contrat.
L’affrètement concernait un remorqueur d’assistance d’une barge, loué
pour cinq mois ferme, affrètement à temps selon contrat ad hoc. Trois semaines
après sa livraison, un accident de navigation endommagea son propulseur d’étra-
ve, nécessitant un passage en cale sèche. Un remorqueur de substitution fut mis
à disposition par l’armateur durant les travaux. Ceux-ci se prolongèrent plus que
prévu, en raison d’un incident technique ayant détérioré sérieusement la machi-
ne principale. Si bien que, après notification d’un nouveau délai par l’armateur,
l’affréteur lui notifia la résiliation de l’affrètement le 27 avril (le navire étant
immobilisé depuis le 12 avril). Cette décision fut contestée immédiatement par
l’armateur, qui fit recours devant la CAMP pour la réparation de son préjudice.
Les arbitres ont observé en premier lieu que trois clauses du contrat d’affrè-
tement traitaient de la restitution anticipée du navire, en donnant à l’affréteur la
faculté de résilier le reliquat de la période d’affrètement selon des modalités
diverses37.
Les arbitres ont observé que la restitution anticipée d’un navire est un
acte très grave dans ses conséquences, qui exige une notification formelle et
dûment motivée. Or, la première notification de résiliation de l’affréteur (datée

35 Ch. Arb. Mar. de Paris, Sentence arbitrale n° 194 du 2 octobre 1976, DMF 1977, p. 430.
36 En sens contraire, Cham Arb Mar de Paris, Sentence n° 19 du 8 juillet 1969, DMF 1970, p. 58.
« Qu’en rompant unilatéralement le contrat d’affrètement, l’affréteur a méconnu les règles du
Droit français régissant les contrats et en particulier celles exprimées dans l’art. 1184 du Code
civil ».
37 - sans avoir à justifier d’un motif et avec deux semaines de préavis (clause 9 b). - à condition

que le navire ait, été indisponible, pour une raison quelconque (incluant une avarie) pendant plus
de 20 jours consécutifs et avec 20 jours de préavis (clause 9 d). - à condition que le navire ait été
indisponible, pour raison d’innavigabilité résultant de la faute de l’armateur, pendant plus de cinq
jours et sans préavis (cl 12).
116 Le droit maritime dans tous ses états

du 27 avril) se fondait sur la clause 12, laquelle ne pouvait s’appliquer qu’au cas
où une faute pourrait être reprochée à l’armateur dans la mise en état de navi-
gabilité du navire et son maintien. La deuxième notification de résiliation du
4 mai confirmait la première et faisait référence tant à la clause 12 qu’à la clause
9, sans préciser s’il s’agissait de ses alinéas (b) ou (d). Cette imprécision avait
créé une équivoque de nature à égarer l’armateur. Ceci conduisait à interpréter
la seconde notification dans le sens le plus favorable à l’armateur, c’est-à-dire en
lui faisant application du cl 9 al. D, qui prévoyait une indisponibilité de plus de
20 jours et un préavis de 20 jours. Les arbitres ont estimé que lors de la seconde
notification du 4 mai, cette condition d’indisponibilité était satisfaite, qu’elle ne
pouvait avoir d’effet que le 24 mai et que l’affréteur était tenu de payer le loyer
convenu jusqu’à la date où le remorqueur était effectivement à sa disposition,
lequel avait eu lieu le 18 mai. L’affréteur devait donc indemniser l’armateur de la
perte de six jours de loyer, résultant de son refus38.
D’habitude les armateurs contestent la légitimité de la décision des
affréteurs de résilier la charte. Tout dépend de la convention des parties et de
l’application de clauses additionnelles, Si elles existent. C’est le cas d’un navire
affrété par une C/P « Baltime » ayant une clause additionnelle disposant que le
navire était

« en fait affrété pour un voyage circulaire d’essai via la Méditerranée


orientale, les affréteurs ayant l’option (si le navire ne répond pas à leur
trafic) de résilier l’affrètement pour la période restant à courir de six
premiers mois, dix jours avant le passage du navire à Gibraltar, cap à
l’ouest à son voyage de retour vers l’Europe ».

L’affréteur, après deux escales où des conteneurs furent chargés, notifiait


par télex à l’armateur sa décision de lui restituer le navire au motif qu’il n’était
pas adapté au trafic. L’armateur contestait cette décision et affirmait que l’inap-
titude du navire n’était pas prouvée. En premier lieu, la Commission arbitrale
n’observait que la double précision apportée par l’expression « le navire est en
fait affrété pour un voyage circulaire d’essai et par la parenthèse (si le navire ne
répond pas à leur trafic), enlève à l’option de résilier l’affrètement le caractère
d’une condition purement potestative qui la rendait nulle. La faculté donnée à
l’affréteur représentait une condition potestative dépendant non pas de la seule
volonté d’un contractant, mais d’un fait extérieur à savoir d’adéquation du
navire au trafic. La Commission arbitrale s’est référée à l’opinion d’un expert
idoine en la matière, qui avait considéré que le navire n’était pas adapté à la
manutention par ses propres moyens (en raison de la nécessité d’un couplage de
mâts de charge) de conteneurs lourds dans un trafic entièrement conteneurisé.
La Commission arbitrale avait ainsi estimé justifiée l’option de résiliation

38 Cham Arb Mar de Paris, Sentence n° 572 du 15 mars 1985, DMF 1986, p. 183.
Abdellah MARGHICH 117

exercée par l’affréteur et a rejeté la demande de l’armateur en dommages-


intérêts pour résiliation abusive39.
Comme nous l’avons déjà dit, l’innavigabilité nautique du navire peut
résulter de l’incompétence du capitaine. La CAMP a jugé que l’art. 10 de la C/P
« Liner time » donnait aux affréteurs la possibilité de se plaindre aux armateurs
de la conduite du capitaine et d’en demander son changement, et que cette
même disposition ne prévoyait pas qu’ils puissent résilier la location du navire40.
En général, les arbitres apprécient au cas par cas ; la solution n’est pas
atteinte par application d’une règle générale, mais par l’analyse de chaque cas
d’espèce. Toutefois, cette interprétation tient compte des données de la charte-
partie, de la durée du contrat, de la spécificité du trafic, du dommage causé, et
surtout des cas de résiliation prévus au contrat.

Avant de nous occuper d’une façon spéciale de la responsabilité légale du


fréteur à temps, nous devons signaler une faute technique des rédacteurs du
code de commerce maritime. Certains articles, placés sous le titre du contrat de
transport maritime, contiennent des dispositions qui, en raison même de leur
caractère général, puissent concerner non seulement le transport et l’affrète-
ment au voyage, mais aussi l’affrètement à temps. Il s’agit des articles 213 à 215
sur les obligations du fréteur et 221 sur la responsabilité du fréteur. C’est ainsi
qu’à s’en tenir à la lettre de l’article 221 on peut faire état de ce qu’il vise le
fréteur en général : « le fréteur est responsable de toutes pertes ou avaries
occasionnées aux marchandises, aussi longtemps qu’elles sont sous sa garde, à
moins qu’il ne prouve la force majeure ».
Ceci étant, La responsabilité du fréteur à temps en droit maritime maro-
cain prend la forme d’une responsabilité objective, autrement dit d’une respon-
sabilité de plein droit, elle n’est écartée, que lorsque le dommage causé aux
marchandises résulte d’un cas de force majeure (article 221), d’un vice caché du
navire qu’un examen scrupuleux n’aurait pas permis de découvrir (article 213
alinéa 2) ou enfin que le dommage résulte d’une faute du capitaine, du pilote ou
de l’équipage dans l’accomplissement de leurs fonctions en ce qui concerne le
navire (article 264 alinéa 2).

39Cham Arb Mar de Paris, sentence n° 548, du 2 novembre 1984, DMF 1985, p. 306.
40Cham Arb Mar de Paris, sentence du 18 mars 1976, citée à la page 31 du document IIETM des
journées des 12 et 13 janvier 1977 sur l’affrètement à temps.
118 Le droit maritime dans tous ses états

Le droit maritime marocain (DCCM), se fonde sur le principe de la


responsabilité de plein droit du fréteur. Ce principe est clairement défini par
l’article 221 du DCCM « le fréteur est responsable de toutes pertes ou avaries
occasionnées aux marchandises, aussi longtemps qu’elles sont sous sa garde, à
moins qu’il ne prouve la force majeure ».
Il n’est donc pas nécessaire d’établir l’existence d’une faute du transpor-
teur pour le faire condamner. En effet, l’obligation assumée par lui est une obli-
gation de résultat. Selon la cour d’appel de Rabat « la responsabilité du trans-
porteur est d’ordre contractuel et une présomption de responsabilité pèse à son
encontre »41.
Le projet de réforme s’est largement écarté du principe adopté par le
DCCM. En effet, son article 245 instaure une responsabilité pour faute

« le fréteur est responsable des dommages subis par la marchandise s’il


est établi qu’ils sont dus à un manquement à ses obligations telles que
déterminées par la présente loi. Il n’est cependant pas responsable de la
faute nautique du capitaine on de ses préposés ».

À partir de cet article, on peut penser que le projet de réforme consacre


au fréteur à temps un régime de responsabilité moins rigoureux par rapport à
celui du DCCM.

L’article 221 précise que le fréteur ne peut s’exonérer de sa responsabilité


qu’en prouvant que les pertes ou les avaries sont la conséquence d’un cas de
force majeure.
De nombreux auteurs s’accordent sur l’idée que « la force majeure est le
nom que l’on donne à un événement qui empêche le débiteur d’obtenir le
résultat recherché bien qu’il ait appliqué la diligence due »42.
Le Doyen Ripert définit la force majeure de la façon suivante « elle
consiste dans un événement qui dépasse manifestement ce que l’on doit prévoir
dans le cours ordinaire des choses »43.

41 Cour d’appel de Rabat, 12 janvier 1963, RACAR 1964 p. 96, Navire « Tanger », publié aussi dans
la GTM, mars 1963 p. 29 dans le même sens voir, CA de Casablanca, 21 juillet1981, Doss 859, J.
1881 ; CA de Casablanca, 29janvier 1980 Doss 2205/80, J. 160.
42 Mazeaud et Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile, délictuelle et contractuelle, T.I, 6e

édition, n° 667 page 738. Voir aussi Carbonnier, Droit civil, T.II, 2e édition, n° 150, édition Thémis.
43 G. Ripert, Droit maritime, T. Il, p. 593.
Abdellah MARGHICH 119

Le droit maritime marocain adopte l’expression de force majeure sans


toutefois préciser les caractères que doit comporter cette notion44.
Si on se réfère au droit français, qui est à l’origine du droit marocain45, la
force majeure est constituée de deux éléments l’imprévisibilité et l’insurmon-
tabilité46. Néanmoins, ces deux éléments « doivent s’entendre de façon humaine
et non absolue » 47 . La force majeure doit également avoir un caractère
extérieur48. Ceci résulte de l’article 269 du D.0.C. Qui définit la force majeure

« tout fait que l’homme ne peut prévenir, tel que les phénomènes natu-
rels (inondations, sécheresses, orages, incendies, sauterelles), l’invasion en-
nemie, le fait du prince, et qui rend impossible l’exécution de l’obligation.
N’est point considérée comme force majeure la cause qu’il fût possible
d’éviter, si le débiteur ne justifie pas qu’il a déployé toute diligence pour
s’en prémunir.
N’est pas également considérée comme force majeure la cause qui a été
occasionnée par une faute précédente du débiteur »49.

Les tribunaux marocains se montrent très sévères dans l’appréciation des


cas de force majeure. Une telle cause de libération du transporteur maritime est
souvent invoquée dans de nombreux procès, mais elle est rarement retenue.
La connaissance de la cause qui a rendu impossible l’exécution de
l’obligation constitue un premier élément de force majeure. C’est cette cause,
résultant de circonstances propres à une espèce donnée qui doit expliquer
l’événement imprévisible insurmontable et extérieur pour le fréteur.

Nous avons vu qu’en droit maritime marocain le fréteur est tenu


personnellement d’exercer la diligence raisonnable avant, au début et pendant la
durée de la charte, pour mettre le navire en bon état de navigabilité. Si le

44 Cf. C. Hassania, « Le péril de mer, notion maritime de la force majeure », DMF 1991, p. 212.
45 Cf. El Khayat Mustapha, La responsabilité du transporteur maritime an droit maritime marocain, Thèse
Paris Il, 1986 p. 73.
46 P. Lureau, « Le cas de force majeure et la loi du 2 avril 1936 », DMF, 1949, p. 179 et suivantes ;

voir aussi Legendrk, « Le péril de mer an droit français », DMF 1955 p. 323 et suivantes.
47 Rodière, référence précitée, T. 14, n°630.
48 « La foudre peut être tellement violente qu’aucun moyen d’extinction ne suffira à éviter

l’incendie. Elle sera considérée, alors, comme un cas de force majeure. C’est au juge d’apprécier le
degré d’intensité de l’imprévisibilité et I’inévitabflité », Y. Keslin, La responsabilité de l’armateur et du
transporteur maritime. Etude de droit turc, Thèse Lausanne, 1961.
49 Voir pour un cas d’application, Cour d’appel de Rabat, 2 novembre 1937 RACAR 1937, p. 38,

cet arrêt définit la force majeure comme étant : « un événement que le contractant ne pouvait
prévoir et qui rend impossible l’exécution de l’obligation. Cette impossibilité devant être à la fois
inévitable et imprévisible ».
120 Le droit maritime dans tous ses états

dommage provient de l’innavigabilité ou d’un vice caché du navire, le DCCM.


dans son article 213 exonère le fréteur de sa responsabilité quand il prouve que
le dommage provient du « vice caché qu’un examen scrupuleux n’aurait pas
permis de découvrir ».
Ainsi, le vice caché du navire ne peut exonérer le transporteur que s’il
échappe à un examen scrupuleux50, vigilant51 ou à une diligence raisonnable52.
De toutes ces expressions légales qui sont synonymes, il résulte que la
notion du vice caché oblige en pratique à considérer l’attitude du fréteur. En
effet, ces expressions donnent bien la mesure de diligence du fréteur, le degré à
partir duquel on considérera le vice comme effectivement caché53.
Faute de précision, la même diligence est exigée tant pour le cas
d’innavigabilité que pour le cas du vice caché. On se demande quelles sont les
caractéristiques qui séparent l’un de l’autre.
Lorsqu’on estime que le fréteur a exercé la “due diligence” avant et au
début du voyage, on reconnaît par-là même, que l’innavigabilité du navire
constitue un vice caché.
On ne serait en effet, sans se contredire, déclarer à la fois que le fréteur a
exercé la diligence raisonnable et que le vice est apparent. Tout vice caché est
donc considéré comme l’innavigabilité du navire, alors que l’inverse n’est pas
toujours vrai.
Ceci étant, l’exonération du fréteur trouve sa raison d’être dans la
complexité des navires modernes. En effet, du fait que les navires sont soumis à
des visites techniques et à des vérifications confiées à des organismes spécialisés,
il est légitime de penser que le vice caché qui a échappé à leurs examens était
moins prévisible pour le fréteur.

La faute nautique est plus qu’un cas excepté, c’est un véritable cas d’irres-
ponsabilité puisque le réclamant ne peut bien évidemment pas faire tomber ce
cas par la preuve de la faute, puisque ce cas… C’est la faute elle-même. On
touche là, un particularisme majeur du droit maritime dont le bien-fondé a été
longuement débattu et notamment remis en cause lors de la tenue de la
Conférence de Hambourg54.

50 Articles 231 du DCCM et 123 du projet de reforme.


51 Article 77 litt b de la loi française.
52 Article 4 § litt a de la convention de Bruxelles de 1924.
53 H. Charkaoui, « La navigabilité du navire », RMD 1986, p. 88.
54 Cf. J. Bonnaud, « Les réformes apportées par les Règles de Hainbourg aux exonérations de

responsabilité et limitation de réparation du transporteur maritime », Colloque du 16 décembre


1992, sur les Règles de Harnbourg, IMTM 1992, Revue Scapel 1993, p.
Abdellah MARGHICH 121

Ce cas excepté puise ses origines dans l’article 3 du Harter Act qui est le
premier texte à l’échelle internationale à avoir essayé de donner la notion de la
faute nautique. En effet, cet article disposait que si

« le propriétaire d’un navire a exercé une diligence pour mettre le navire à


tout point de vue, en état de navigabilité, l’équiper, l’armer, l’approvision-
ner convenablement, ni le navire ni ses propriétaires, affréteur, agent ou
capitaine ne seront tenus pour responsables des dommages ou pertes
résultant des fautes ou erreurs dans l’administration du navire ou dans la
navigation ».

La même idée est exprimée en des termes différents par l’alinéa 2 de


l’article 264 du DCCM qui prévoit que l’armateur pouvait s’exonérer des fautes
commises par le capitaine, le pilote et l’équipage dans l’accomplissement de
leurs fonctions ou ce qui concerne le navire.
Ceci étant, la faute nautique s’oppose à une autre faute identifiée par la
pratique dite « faute commerciale ».
La distinction entre faute nautique et faute commerciale est d’importance
clans la mesure où le fréteur est libéré de la faute dans la navigation et l’ad-
ministration du navire, mais responsable de la faute dans le chargement, l’arri-
mage, le transport, la surveillance, les soins et le déchargement de la marchan-
dise55. La difficulté naît, en pratique, du fait qu’il n’y a pas de frontière très nette
entre la faute nautique et la faute commerciale ainsi qu’en témoignent les
décisions jurisprudentielles en la matière.
À défaut de précision dans les textes de loi tant sur le plan national
qu’international, il faut apprécier la faute à l’origine du dommage et pour
déterminer sa nature véritable il est nécessaire de se référer à certains critères
établis par la jurisprudence. Cette dernière, comme la majorité de la doctrine est
en faveur de deux critères, à savoir : le but de l’acte fautif et la destination de la
chose utilisée ou maniée.

Il s’agit ici de se demander à quoi tendait l’acte fautif. S’il s’agit d’un acte
« qui intéresse le navire comme tel et non d’abord la cargaison ou les appareils
et installations du navire établis pour la conservation de la cargaison »56. L’acte
sera considéré comme effectué dans l’administration du navire. S’il s’agit d’un
acte qui intéresse la marchandise, il n’entrera pas dans l’administration du navire.

55 Rodière, « Faute nautique et faute commerciale », DMF 1961, p. 451.


56 Rodière, Traité, référence précitée, T. 11, n° 221.
122 Le droit maritime dans tous ses états

Le critère du but de l’acte est retenu par la Cour d’appel de Rabat dans
l’arrêt déjà évoqué du 8 mai 195757à propos duquel la dite Cour a décidé que
l’inondation d’une cale ayant causé des avaries aux marchandises, quand cette
inondation est la conséquence d’un mouvement de ballast effectué en cours de
traversée, afin de mieux assurer la stabilité d’un navire secoué par la tempête, et
que par suite d’un serrage défectueux du joint en caoutchouc du deeptank, l’eau
du ballast a filtré dans la cale, constitue une faute nautique dont l’armateur peut
s’exonérer.
Le critère du but de l’acte fautif est également retenu par les jurispru-
dences étrangères. Pour n’en donner qu’exemple, nous citerons un arrêt de la
Cour d’appel de New York du 29 novembre 1963 concernant l’affaire Black
Héron. Dans cette espèce, l’erreur de l’officier du navire dans le choix de vanne
de remplissage et l’envoi de l’eau de ballastage dans une cale pleine de
marchandises a été considérée par la Cour comme une faute nautique.
D’après le professeur Bonassies,

« les tribunaux américains demeurent en principe fidèles au critère de


l’objet, du but premier de l’acte. Lorsqu’un comportement a clairement
pour objet l’administration du navire, ce qui est le cas d’un ballastage
destiné à rétablir l’équilibre du bâtiment, nul n’en discute le caractère et
ce quelles qu’en soient les conséquences »58.

On trouve la même analyse dans les fautes d’arrimage à propos des-


quelles la jurisprudence étrangère adopte une distinction fondamentale entre les
fautes d’arrimage qui n’affectent pas la sécurité du navire (fautes commerciales)
et les fautes d’arrimage qui affectent la sécurité du navire (fautes nautiques)59.
Pour ce qui est de la jurisprudence marocaine nous ne disposons pas d’exemple
analogue. Le seul cas connu concerne une faute dans le fardage à propos de
laquelle la Cour d’appel de Rabat60 a statué qu’il n’y a pas de vice caché lorsque
nulle défectuosité du navire n’est à la base de la présence d’eau clans les cales.
Les rapports d’expertise excluaient la faute nautique, le défaut de fardage étant
une faute commerciale caractérisée. De plus la présence de 20 cm d’eau clans
les cales n’auraient pas dû échapper à un examen vigilant et attentif.

57 CA de Rabat, 8 mai 1957, Gaz. Tribu. du Maroc de juin 1957, p. 81, infirme Casablanca,
28 février 1956.
58 Commentaire de l’arrêt Black Héron, DMF 1966 p. 117, voir aussi Cour suprême de Suède,

DMF 1963 p. 439.


59 Voir dans ce sens, Cour de cassation française, 12 avril 1976, DMF 1976 p. 685 et récemment

Cour de cassation française 26 février 1991, mars 1991 p. 358. Affaire Aude note P. Bonassies.
60 Cette décision de la Cour d’appel ne faisait que confirmer celle du Tribunal de première

instance de Casablanca dans son jugement du 14 janvier 1960. Voir CA de Rabat 12 janvier 1963,
RACAR 1964, p. 96-97 ; une autre décision va dans le même sens, voir CA de Rabat, 5 décembre
1956, GTM du 25 mai 1957, p. 46, infirme Casablanca 25 juin 1953.
Abdellah MARGHICH 123

Ce critère, ainsi que l’a défini Monsieur Rodière, « consiste à localiser


l’acte fautif sur une partie du navire et à se demander si cette partie concerne le
navire comme tel ou si elle est destinée aux marchandises »61. Quelques exem-
ples permettent d’illustrer l’application de ce critère : Si la marchandise est inon-
dée à la suite de l’utilisation défectueuse des appareils en vue de ballastage du
navire, la faute est nautique. Lorsque l’infiltration d’eau provient d’une canalisa-
tion d’un réfrigérateur des cales, l’acte fautif intéresse la cargaison, et la faute est
commerciale.
Le critère de la destination a été retenu par la Cour d’appel de Rabat62
dans une affaire concernant l’inondation d’une cale. Inondation due à ce que le
mécanicien a négligé de fermer une robinetterie de prise à la mer établie pour
assurer la sécurité du navire. La Cour a considéré la faute comme une faute
nautique, tirant cette conclusion du fait qu’il s’agit ici de la sécurité du navire.
Voilà pour la responsabilité du fréteur à temps selon les textes légaux. Il
faut reconnaître que ce sont les chartes qui sont à la base de la jurisprudence
dans la mesure où le droit commun est rarement appliqué.

Après avoir vu la responsabilité du fréteur à temps dans son schéma légal,


nous nous proposons ici d’étudier dette responsabilité dans sa réglementation
conventionnelle.
Ce qui caractérise l’affrètement à temps est la distinction entre la gestion
nautique du navire, à charge du fréteur, et la gestion commerciale qui revient à
l’affréteur.
Loin de se désintéresser de son navire, le fréteur le fait naviguer pendant
toute la durée de la charte via le capitaine, qui le nomme lui-même. Quant au
capitaine, s’agissant d’un navire frété à temps, il est préposé de ses armateurs
pour la gestion nautique et engage leur responsabilité pour des dommages
causés par la navigation, par les manœuvres et par tout ce qui s’y rattache.
Dans la pratique, la distinction entre la gestion nautique et la gestion
commerciale ne semble pas toujours évidente63. Les chartes sont assez obscures
sur la distinction de la double subordination du capitaine.

61 Rodiere, référence précitée, T. Il, n° 622.


62 Cour d’appel de Rabat, 16 juillet 1954, GTM 1954 p. 13. Pour ce qui est de la jurisprudence
française, voir les références citées par R. Rodiere, T. Il n° 622 et notamment un jugement du
Tribunal du Havre du 13 novembre 1973, DMF 1974 p. 168.
63 Cf. D. Jouidi, L’exploitation commerciale du navire affrété en droit français et comparé, Thèse Nante,

1994, p. 235 et suivantes. Voir aussi, P. Garoche, L’exploitation commerciale du navire et ses problèmes,
édition Maritime et d’Outre-Mer, Paris, 1966.
124 Le droit maritime dans tous ses états

L’affrètement est le domaine de la liberté contractuelle. Les chartes


parties contiennent des clauses qui, tantôt définissent la responsabilité du
fréteur, tantôt l’exonèrent de celle-ci.

Les clauses 13 de la charte Baltime et 12 de la charte Linertime,


définissent l’étendue de la responsabilité du fréteur à temps.
Ce dernier sera tenu pour responsable chaque fois qu’il fera preuve d’un
manque de diligence raisonnable « due diligence » de sa part.

Sous le titre « Responsabilité et Exemption », la clause 13 de la Baltime


définit l’étendue de la responsabilité du fréteur en stipulant que

« les armateurs ne seront responsables du retard dans la livraison du


navire et pour retard dans le cours de la charte, ainsi que pour perte ou
dommage des marchandises à bord que si, ce retard ou perte a été
occasionné par le manque de soin diligent de la part des armateurs ou de
leur gérant pour mettre le navire en bon état de navigabilité et le gréer
pour le voyage ou pour tout autre acte ou omission personnel ou
manquement des armateurs ou de leur gérant… ».

La clause 12 de la charte-partie LINERTIME prévoit sous l’intitulé


« Responsabilité » que :

« … les armateurs seront eux responsables pour les réclamations concer-


nant la marchandise survenant ou résultant de :
Difficultés ou manquement de leur part, à transporter, à conserver ou à
prendre soin de la marchandise se trouvant à bord ;
Déroulement imprévu pour le voyage décrit dans les connaissements
sauf Si celui-ci est ordonné ou approuvé par les affréteurs ;
Manque de “due diligence” de leur part avant et au début de chaque
voyage, afin de mettre le navire en état de navigabilité… les affréteurs
seront entièrement responsables pour toutes réclamations portant sur la
marchandise. Néanmoins, Si la marchandise appartient aux affréteurs, les
armateurs auront la mime responsabilité qu’ils auraient d’après cette
clause… ».

La NYPE (cl 12) impose au capitaine de faire diligence en ce qui


concerne la ventilation des cales.
Nous remarquerons à la lecture des deux clauses, que nous venons de
citer, que la responsabilité du fréteur est maintenue pour certains types de
Abdellah MARGHICH 125

réclamations relatives à la cargaison lorsqu’il y a eu absence de due diligence de sa


part ou de la part de son gérant.

La clause 13 de la BALTIME comme la clause 12 de la NYPE déclare le


fréteur à temps non responsable, sauf s’il a manqué à sa diligence raisonnable.
Cette dernière, selon le Doyen Rodière est une notion anglo-saxonne, qui
s’interprète comme « Ce qu’on doit attendre d’un armateur soigneux, sans
qu’on puisse exiger de lui des soins exceptionnels ».
Il ajoute que l’appréciation de ce qui était raisonnable ne doit pas se faire
après coup, une fois que l’événement en a prouvé l’insuffisance, il faut se
reporter par l’esprit au moment où se présentait la situation à laquelle le fréteur
devait faire face, pour apprécier son comportement64.
Notons, qu’en ce qui concerne l’affrètement à temps, c’est à l’affréteur
de prouver que le fréteur n’a pas exercé la diligence qui lui incombe dans la
mise en état de navigabilité et dans l’équipement du navire.

Les chartes parties à temps contiennent des clauses énumérant des


situations où le fréteur peut se dégager de sa responsabilité.
C’est ainsi qu’il peut se libérer de sa responsabilité pour son fait
personnel lorsqu’il n’aura pas manqué à sa diligence raisonnable65.
Il peut ainsi se libérer de sa responsabilité pour le fait de ses préposés ou
encore pour certains faits mentionnés à la charte-partie.

La clause 13 de la charte à temps LINERTIME indique sous le titre


« Exemptions », les cas pour lesquels le fréteur est exonéré de sa responsabilité.
Elle stipule :

« Soit en ce qui concerne aussi bien les armateurs que les affréteurs, la
responsabilité pour toute perte, dommage ou retard dans l’accomplisse-
ment de cette charte, ce que l’on ne mentionne pas dans la clause 12 est
soumise aux exceptions mutuelles suivantes :
- faits de Dieu, fait de guerre, troubles civils, grèves, lock-out, faits du
prince et décrets, restrictions de quarantaine. De plus, si cette

64 Cf. Rodière, op. cit., n° 325, p. 358.


65 Cf. clause de « due diligence ».
126 Le droit maritime dans tous ses états

responsabilité émane des armateurs, elle est sujette aux exceptions


suivantes :
- toute négligence du capitaine, pilotes ou autres servants des armateurs
pour la navigation du navire, feu, explosions, s’ils ne résultent pas de la
faute personnelle des armateurs, collisions ou échouages, avarie soudaine
ou dégât provenant de la coque, l’équipement ou la machine du navire »66.

La BALTIME prévoit les cas d’exonération de responsabilité du fréteur


dans deux clauses différentes.
La clause 9 stipule en effet que les armateurs ne seront pas responsables
des manquants, des mélanges, des marques, ni du nombre de pièces ou colis, ni
des avaries ou réclamations sur marchandises résultant de mauvais arrimage ou
autrement.
La clause 13 de la même charte par contre, fait la distinction entre les
causes d’exonération de responsabilité du fréteur tout en les énumérant.
Cette clause déclare que :

« Les armateurs ne seront responsables du retard dans la livraison du


navire ou de celui pouvant survenir dans le cours de la charte, ainsi que
pour perte ou dommage des marchandises à bord, que si ce retard ou
perte a été occasionné par un défaut de la diligence incombant aux
armateurs ou à leurs gérants dans la mise du navire en bon état de
navigabilité et dans son équipement ou le voyage ou par tout autre acte
ou omission personnelle ou manquement des armateurs ou de leurs
gérants (clause concernant le fait personnel du fréteur).
Les armateurs ne seront responsables dans aucun autre cas, ni pour
dommages ou retards quels qu’ils soient ou de quelque manière qu’ils
soient causés, même s’ils sont occasionnés par la négligence ou le
manquement de leurs préposés (clause concernant le fait des préposés).
Les armateurs ne répondront pas des pertes ou dommages provenant ou
résultant de grèves, lock-out ou arrêts ou restrictions de main-d’œuvre (y
compris le capitaine, les officiers ou l’équipage), qu’ils soient partiels ou
généralisés” (clause concernant l’exclusion de certains faits) ».

Ainsi, en vertu de la clause que nous venons de citer, le fréteur est exo-
néré de toute responsabilité en cas de retard dans la livraison ou de pertes ou de
dommages subis par la cargaison, ainsi que pour tout autre dommage, qu’il soit
dû à l’innavigabilité du navire ou à d’autres causes, à moins que ces retards,
pertes ou dommages ne soient causés par sa faute personnelle ou par la faute de
son gérant. Le terme « personnelle » est interprété dans un sens littéral, excluant
toute faute de la part du capitaine, des officiers et de l’équipage.

66 Traduction libre.
Abdellah MARGHICH 127

Nous remarquerons que la BALTIME prévoit le manque de main-


d’œuvre, notamment le manque de capitaine et d’équipage, le fréteur
s’exonérant des conséquences.

Dans l’affrètement à temps, le fréteur n’est pas responsable a priori des


dommages subis par la cargaison. Il faut pour que la responsabilité soit mise en
jeu que l’affréteur établisse la preuve d’un manquement aux obligations du
fréteur, particulièrement à l’obligation de mettre le navire en état de navigabilité.
Une clause d’exonération de ce type peut être utile au fréteur dans la
mesure où le dommage entre bien dans le cas d’exonération prévu.
Ainsi par exemple, si l’incendie constitue selon la clause qui le prévoit
une cause d’exonération, le fréteur ne sera pas responsable grâce à la clause.
Mais deux conditions doivent, néanmoins être satisfaites en premier sur le
terrain de la preuve, le fréteur aura dû au préalable établir que le dommage a
bien été causé par l’incendie ; puis en second, il ne faut pas que l’incendie soit
dû à une faute dolosive ou lourde du fréteur. Nous noterons en effet, que le
fréteur en vertu du droit commun perdra le bénéfice de la clause d’exonération
de responsabilité chaque fois qu’il fera preuve d’une faute lourde personnelle ou
d’un dol.

Il résulte de ce qui précède que les chartes-types contiennent des dispo-


sitions différentes, selon lesquelles la responsabilité du fréteur va d’un extrême à
l’autre.
La « Baltime » (cl 13) exonère le fréteur des dommages à la marchandise
par négligence ou fautes du capitaine ; l’affréteur est à la merci de sa conscience
et, bien évidemment de sa compétence.
La « NYPE » accorde à l’affréteur un début de protection en imposant
au capitaine une obligation de diligence pour la ventilation des cales.
La « Liner time » (cl 12) lui accorde une garantie réelle l’armateur est
responsable du manque de soin à l’égard de la cargaison pendant la présence du
capitaine à bord.
Cette clause fut la cause de toutes les sentences qui ont été rendues par la
CAMP. Cette constatation ne doit pas nous étonner, car on notera dans la
clause un renversement des responsabilités le capitaine demeure le préposé du
fréteur pour les soins à donner à la cargaison.
Cette disposition de la charte « Liner time » reprenant sur ce point les
dispositions de l’art. 3 de la Convention de Bruxelles de 1924, permet d’imputer
au fréteur toute faute commise par lui dans l’organisation ou la réalisation du
voyage.
128 Le droit maritime dans tous ses états

À propos de l’obligation du fréteur de procéder de manière appropriée et


soigneuse au transport, à la garde et aux soins de la marchandise, les arbitres
ont motivé le rejet de la demande en observant que

« la responsabilité du fréteur serait donc engagée s’il avait connu avant le


début du voyage les risques pesant sur le navire du fait des actions de l’I
T F ou s’il avait négligé de se renseigner sur l’éventualité de tels risques ».

Les investigations faites par les arbitres leur ont permis de conclure qu’il
n’en était rien.

« Au surplus, l’affréteur qui avait lui-même établi l’itinéraire du navire


aurait dû, de son côté, recueillir toutes informations utiles sur les
difficultés susceptibles de survenir et prendre à cet effet les mesures
nécessaires »67.

Nous pouvons constater que par application de l’art. 12 de la C/P


« Liner time », le fréteur n’est responsable des dommages causés à la
marchandise que si ces dommages sont imputables à un manque de diligence de
sa part à mettre le navire en bon état de navigabilité ou à soigner la marchandise.
C’est bien le cas où suite à des avaries survenues à deux conteneurs frigorifiques,
les marchandises transportées ont été considérées en avarie totale. L’affréteur-
transporteur avait introduit une demande d’arbitrage pour son indemnisation.
Les arbitres, après avoir consulté les expertises, ont décidé que le fréteur n’était
pas responsable d’une panne imputable au conteneur lui-même, et irréparable
par les moyens de bord. En revanche, ils l’ont déclaré responsable pour le
conteneur ayant souffert d’un défaut d’alimentation électrique en raison d’une
négligence à bord ; le capitaine s’étant abstenu de s’assurer du bon état de ce
conteneur, une surveillance convenable aurait peut-être permis de remédier à la
cause du mal affectant ce conteneur. Ce manque de diligence du capitaine a
engagé la responsabilité du fréteur qui fut condamné par les arbitres à rembour-
ser la valeur des marchandises transportées dans ce deuxième conteneur68.
Les arbitres n’hésitent pas à condamner les armateurs qui se montrent
négligents à l’égard de l’affréteur, surtout devant des situations où les événe-
ments démontrent qu’il n’y a aucun doute quant à leur négligence.
Le meilleur exemple d’une telle attitude du capitaine et des armateurs fut
le cas d’un navire affrété à temps selon C/P « Liner time » qui, suite à un dérou-
tement décidé par le capitaine pour effectuer des réparations à la machine,
mouillait sur une rade ouverte au port du Pirée, les marchandises saisissent en
pontée restant ainsi à la merci d’une forte tempête.

67 Cham. Arb. Mar. de Paris, Sentence n° 623 du 15 juin 1986, DMF 1987, p. 54.
68 Cham. Arb. Mar. de Paris, Sentence n° 291 du 13 février 1979, DMF 1979, p. 381.
Abdellah MARGHICH 129

Le capitaine avait quitté le navire se trouvant hors location, lequel par la


suite fut abordé par un autre navire mouillant en rade. Les réparations se
poursuivaient très lentement et entre-temps, le navire et la cargaison ont été
saisis par la société des remorqueurs avec laquelle le capitaine avait signé un
contrat d’assistance.
Les arbitres ont estimé que pendant la période de suspension de la
location, le capitaine et les armateurs du navire restaient responsables vis-à-vis
de la cargaison et des affréteurs des marchandises, dont ils avaient la garde ;
qu’ils avaient l’obligation de réduire la période du déroutement à son minimum
pour limiter le préjudice résultant du retard.

« Le capitaine a été négligent en quittant son navire lequel se trouvait en


innavigabilité totale, puisqu’il séjournait sur rade ouverte, exposé à la
tempête, dépourvu des moyens pour lever ses ancres, sans machine et
sans capitaine. L’abordage survenu en rade du Pirée et le temps perdu
étaient la conséquence directe de la négligence caractérisée des armateurs
et du capitaine ».

Bien que le délai anormal passé au Pirée dut-il novembre jusqu’au 19 juin
résultait directement de la négligence des armateurs à l’égard de la cargaison
dangereusement menacée à bord d’un navire en état d’innavigabilité, les arbitres
les ont condamnés à réparer le préjudice subi par l’affréteur à l’égard de sa
clientèle, des chargeurs et des frais substantiels engagés par lui pour pouvoir
obtenir le départ du navire du Pirée, le tout étant évalué globalement69.
En ce qui concerne l’arrimage, bien qu’il relève en principe de la gestion
commerciale du navire, question que nous allons examiner dans la deuxième
section de notre chapitre, il nous semble utile de mentionner la position des
arbitres, qui est conforme avec celle des décisions des Tribunaux70 lorsque l’ar-
rimage peut constituer une faute nautique. Ce cas se présente lorsqu’une faute
d’arrimage affecte la stabilité et la sécurité du navire, prenant alors les caractères
d’une faute nautique du commandant, qui supervise toujours l’arrimage pour
des raisons de sécurité évidentes ; c’est le cas où la faute d’arrimage exonère
toujours le fréteur.
Bien qu’ils n’avaient pas eu l’occasion de se prononcer sur ce point, les
arbitres soulignent accessoirement qu’il s’agit de la gestion nautique, quand en
matière d’arrimage se pose le problème de la répartition des poids sur la tenue
du navire71.

69 Cham. Arb. Mar. de Paris, Sentence n° 514 du 8 février 1984 (second degré), DMF 1984,
p. 554.
70 C. cass 4 juillet 1972, DMF, 1972, p. 717 note Achard (R). CA de Paris 27 novembre 1979,

DMF, 1979, p. 80, note R. Rodière.


71 Cham. Arb. Mar. de Paris, Sentence n° 166 du 6 février 1976, DMF 1976, p. 764.
130 Le droit maritime dans tous ses états

Du point de vue du droit anglais, la mixtion active du capitaine dans le


chargement et l’arrimage de la cargaison peut rendre l’armateur responsable ipso
facto, position que généralement le droit américain ne suit pas72.
La position des arbitres français dépend sur ce point des dispositions
particulières qui sont assez souvent convenues entre les parties. Nous citons
ainsi l’exemple d’une affaire très intéressante sur laquelle la CAMP a eu
l’occasion de se prononcer.
Le navire affrété par charte-partie “Liner time” était chargé de sucre et
de café, le chargement de sucre ayant été fait par-dessus un chargement de café
vert. À l’arrivée du navire, le café était sucré, du fait de l’infiltration du sucre
dans le café, résultant de la mauvaise étanchéité des panneaux de cale et de
l’insuffisance des prélarts recouvrant le café. Les parties avaient substitué dans
le texte initialement imprimé une clause manuscrite qui stipulait que l’armateur
acceptait la responsabilité des fautes de la préparation des cales ou de l’arrimage
de la cargaison, sauf si celui-ci a été effectué contre les instructions formelles du
capitaine73.
En l’espèce, d’après les documents versés aux débats, la préparation des
cales et l’arrimage de la cargaison ont été effectués avec l’accord et la pleine
coopération du capitaine et du subrécargue qui représentait l’affréteur. Il
appartenait au capitaine, sachant que les panneaux n’étaient pas absolument
étanches (puisque le second avait attiré l’attention du subrécargue sur ce point)
de formuler toutes réserves écrites, voire même de refuser de charger les
marchandises. Faute de ne pas avoir pris des réserves, la responsabilité entière
de l’armateur à l’égard de l’affréteur était retenue par les arbitres selon la clause
12 (d) de la charte. L’armateur fut condamné de reverser la somme payée par
l’affréteur pour indemniser les destinataires de la cargaison74.

Dans cette étude consacrée à la responsabilité du fréteur à temps à


l’égard de l’affréteur, il semble que l’arsenal juridique et conventionnel,
démontré tout au long de ce développement, pourrait rétablir l’équilibre qui
manque au contrat d’affrètement à temps. Or, en pratique, ils y sont très
réticents. Mais, en définitive, pour que cet équilibre soit retrouvé, ne faut-il pas
que non seulement des concessions soient faites de la part des fréteurs
(armateurs) toujours en position de force, mais encore une large intervention du
législateur ?

72 M. Wilford, T. Coghlin, N. Healy, J. Kihball, Time Charters, p. 211.


73 Traduction livre de la clause 12 (d) ajoutée dans la charte « The owner shah be hable of d) daims
arising or resulting from faulty preparation of the holds and/or tanks of the vessel or from bad stowage of the cargo
except if made against Master’s formai instruction ».
74 Cham. Arb. Mar. de Paris, Sentence n° 166 du 6 février 1976, DMF 1976, p. 764.
Abdellah MARGHICH 131

Dans la pratique, malheureusement, le contenu qu’on a pu donner aux


chartes parties à temps n’a pas manqué d’être inspirées pour une grande partie
par les intérêts de l’armateur fréteur, partie puissante économiquement et plus
compétente sur le plan juridique et technique, et une certaine méfiance.
Car, en général, à l’instar des autres modes d’exploitation du navire, le
but poursuivi dans l’affrètement à temps est, avant tout, la rentabilité maximale.
L’insertion de certaines clauses dans les différentes chartes parties à temps
que nous avons examinées, ont, en effet, tendance à donner la priorité à l’intérêt
de l’armateur fréteur étranger sur l’intérêt de l’affréteur marocain. Cette attitude
est de nature à nuire au développement économique du Maroc affréteur et ne
favorise pas l’équilibre des intérêts dans les clauses négociées des chartes parties.
N’étant pas capable de concevoir une stratégie de rédaction de charte-
partie claire, les négociateurs des pays sous-développés, en position évidemment
de faiblesse, signent des contrats dont ils ignorent la teneur et parfois la langue.
Ainsi des commentaires émanant de pays développés à économie de
marché, semblent indiquer qu’à la différence des chargeurs de ligne régulière,
les affréteurs n’ont pas besoin d’une protection législative pour être sur un pied
d’égalité avec le fréteur, cela est tout à fait possible car ils occupent souvent,
dans les négociations, une position de force qui leur permet d’imposer certaines
conditions aux fréteurs. Mais certains milieux d’affrètement, notamment dans
les pays en voie de développement, ont estimé, toutefois qu’ils étaient en
position d’infériorité lors de la négociation des contrats et que leurs courtiers ne
faisaient pas suffisamment d’efforts, lorsque le marché leur était favorable, pour
changer ou atténuer l’orientation « anti-affréteur » des chartes parties. La
constitution de groupes d’intérêts économiques du côté des chargeurs affecte à
la fois le niveau des taux de fret et l’équilibre des intérêts dans les clauses
négociées des chartes parties.
Nous aurions souhaité découvrir dans la pratique la plus récente de ce
pays, des contrats plus « émancipateurs » pour sa souveraineté politique, écono-
mique et juridictionnelle, mais nos entretiens avec les responsables marocains et
nos recherches nous ont permis de conclure que, malheureusement, cette
pratique n’a pas suivi l’évolution qui s’est opérée ailleurs. Le contenu est
toujours le même, seuls les noms des cocontractants changent.
Il ne faut pas oublier que le contrat, instrument juridique de l’entreprise,
continue de jouer un rôle prépondérant dans le commerce international. Il in-
combe, dès lors, aux courtiers d’affrètement d’insister, au cours de la négocia-
tion préliminaire, sur le contenu du contrat et non sur son assimilation, comme
c’est toujours le cas de ces pays.
N’est-il pas grand temps en fin que les responsables des pays sous-
développés prennent conscience de ces vérités et cessent de négocier en mécon-
naissance des causes et recourent à des contrats plus adaptés, plus équilibrés et
clairs ?
Kamel KHELIFA
Fondateur en 1999 à Alger du journal des transports et de la logistique Le Phare ;
formateur, conférencier et consultant auprès d’institutions algériennes et internationales

Aux termes de son art 640, le Code Maritime Algérien (CMA) stipule :
« le contrat d’affrètement s’entend d’une convention par laquelle le fréteur s’en-
gage moyennant rémunération à mettre un navire à la disposition d’un affréteur
[…] ». En son titre III, le Code de Commerce Tunisien (CCM), traitant des
règles générales du contrat d’affrètement définit, en son art 165, le contrat
d’affrètement comme étant
« une convention par laquelle une personne appelée le fréteur met à la
disposition d’une autre appelée affréteur, tout ou partie d’un navire, à
une date, pour une durée, à des conditions et à des fins fixées par la
convention des parties ».

En outre, suivant les termes de son art 171 le CCM considère que « l’affrè-
tement est assimilé à une charte-partie, convention qui lie le fréteur à l’affré-
teur ». Cette convention doit être constatée par écrit. Toutefois, lorsqu’il s’agit
de navigation côtière, de port tunisien à port tunisien, les parties sont dispen-
sées de dresser d’acte écrit. (Art 172).
Nous citerons dans certains cas la Loi française du 18/6/1966, de laquelle
se sont inspirés le droit maritime tunisien et algérien ; le droit marocain étant
antérieur aux différentes lois françaises et il a même prévalu durant l’époque du
protectorat du Maroc par la France. Ainsi, sur les contrats d’affrètement, la loi
française de 1966 dispose que :
« par le contrat d’affrètement, le fréteur s’engage moyennant rémunéra-
tion à mettre un navire à la disposition d’un affréteur… Les conditions et
les effets de l’affrètement sont définis par les parties au contrat […] ».
134 Le droit maritime dans tous ses états

Assez explicite, la Loi française fait clairement ressortir que l’affrètement


est un contrat entre un fréteur et un affréteur en vertu duquel les parties à la
convention donnent libre cours à l’expression de leur volonté.
À la différence du contrat de transport sous connaissement qui est un
contrat d’adhésion, soumis aux dispositions impératives de la responsabilité, le
contrat d’affrètement obéit à la règle de la liberté contractuelle entre les parties ;
mais, en cas de manquement du contrat, comme le stipulent les différentes
législations, le contenu de la loi peut suppléer les insuffisances ou obscurité de
celui-ci. Du fait de l’existence de plusieurs sortes de contrats d’affrètement, la
loi fait une distinction entre l’affrètement aux termes duquel l’affréteur prend en
exploitation un navire moyennant un loyer, contrat qui s’apparente schémati-
quement à la location d’une voiture sans chauffeur et qu’on appelle contrat
coque nue ; le contrat au temps est comparable à la location d’une voiture avec
chauffeur, pendant un temps déterminé, chez une entreprise de location
(Europcar, Hertz, Avis, etc.) ; quant à l’affrètement au voyage il est semblable à
la location d’un taxi.

Il s’agit d’un contrat de location de chose. Il consiste en la mise à la


disposition de l’affréteur d’un navire sans équipage se traduisant par la location
avec remise totale de gestion.
Le CMA en son art 724 stipule que « par le contrat d’affrètement coque
nue, le fréteur s’engage à mettre un navire sans armement ni équipement à la
disposition de l’affréteur pour un temps défini et l’affréteur à en payer le loyer ».
L’affréteur doit donc, pour exploiter le navire à son profit, en assurer la gestion
nautique et commerciale sous son entière responsabilité. Pour ce faire, il doit
l’armer pour le rendre apte à prendre la mer. L’armement d’un navire consiste à
pourvoir celui-ci d’un équipage, de vivres et de combustibles. À ce titre,
l’affréteur devient l’armateur du navire, même s’il n’en est que le locataire
temporaire. Les affrètements coque nue ne sont pas aussi répandus que les
affrètements au temps et encore moins que les affrètements au voyage.
En fait, ce genre d’affrètement s’adresse à des transporteurs publics, qui
disposent d’un réservoir de main-d’œuvre important et auxquels il manquerait
de temps à autre une capacité de tonnage pendant un temps déterminé.
L’affrètement coque nue convient également à des compagnies de trans-
port privées naissantes qui préfèrent ne pas s’impliquer dans un programme
d’acquisition de navires extrêmement coûteux en privilégiant, en phase de
démarrage, la formule leasing ou location-vente.
D’autres transporteurs publics y ont notamment recours dans le cadre du
lancement d’une ligne ou pour honorer un contrat de transport d’exportation
Kamel KHELIFA 135

de produits agricole ou d’importation d’un certain nombre de produits à


caractère stratégique.

En son art. 695, le CMA définit l’affrètement au temps comme étant un


contrat par lequel le fréteur s’engage à mettre un navire armé et équipé à la
disposition de l’affréteur pour un temps défini et l’affréteur à en payer le fret.
Pour le CCM (art. 202)

« l’affrètement au temps est la convention par laquelle le fréteur s’engage,


moyennant un fret déterminé, soit pendant un temps convenu, soit pen-
dant un temps indéterminé mais déterminable, à mettre à disposition le
navire ou les navires pour les voyages exigés par l’affréteur ».

Comme déjà évoqué plus haut, l’affrètement coque nue suppose que la
gestion nautique et commerciale soit à la charge de l’affréteur. En revanche,
dans ce type d’affrètement, le fréteur conserve la responsabilité de la gestion
nautique et technique du navire et cède la gestion commerciale à l’affréteur.
Précisons que la gestion nautique implique la conduite du navire, à tra-
vers dangers et périls par l’équipage qui en a la charge. La gestion technique
consiste au maintien du navire en bon état de navigabilité en s’assurant de sa
dotation en produits d’entretien du pont et des machines. Au préalable, il est
indispensable de recruter, entretenir et faire vivre l’équipage. Il est utile égale-
ment de souligner que dans les affrètements à temps le nom du navire n’est
jamais spécifié, l’important étant qu’un bâtiment puisse être affecté aux fins
convenues dans le contrat entre les parties et corresponde aux besoins
spécifiques exprimés par l’affréteur.
Si le navire s’arrête pour une raison technique, par exemple une panne de
machine, il y a cessation du contrat d’affrètement. En pareil cas, le navire est
déclaré off hire, ce qui signifie qu’il y a suspension de loyer pendant tout le temps
que le navire n’a pas été en service (supra).
C’est parce que l’affrètement est contracté sur une période donnée que la
notion de temps perdu, mettant en cause la gestion nautique et technique du
navire, devient pénalisante pour le fréteur. S’agissant d’une gestion mixte,
l’affréteur, qui est coiffé dans ce cas de la casquette de transporteur à l’égard des
chargeurs, sera à son tour responsable devant ces derniers de toute erreur ou
omission du capitaine du navire.
Bien que le capitaine du navire soit le représentant nautique du fréteur, il
n’en est pas moins un employé commercial de l’affréteur, pour toute la durée de
l’affrètement, devant lequel il doit répondre de tous les actes d’irrégularité ayant
entraîné des préjudices à la cargaison.
136 Le droit maritime dans tous ses états

Aussi, dans les affrètements au temps, outre la notion de durée d’utilisa-


tion du navire qui sera déterminée dans la convention entre les parties, entre en
ligne de compte un autre facteur inhérent aux conditions d’emploi du vapeur,
que les anglo-saxons appellent employment clause. Dès lors qu’il est pleinement
responsable de l’exploitation commerciale du navire, l’affréteur a toute latitude
de faire prendre au bâtiment la route de son choix et de charger les cargaisons
que la situation commerciale exige.
Voici grosso modo les différentes caractéristiques de l’affrètement au temps,
qu’on appelle également l’affrètement au long terme et dont les détails seront
examinés plus loin au point se rapportant aux chartes-parties. Cependant, notons
qu’il existe des affrètements à temps qui portent sur un voyage ou des voyages
consécutifs (trip charter) et ce pour une cargaison donnée entre deux ports con-
venus. Ce genre de location s’apparente à l’affrètement au voyage mais tout en
conservant les propriétés de l’affrètement au temps. Nous verrons plus loin
dans le « contrat d’affrètement » que l’inverse est aussi vrai.

À la différence de l’affrètement au temps, au terme duquel il existe un


partage de la gestion du navire, dans l’affrètement au voyage le fréteur demeure
le seul maître de l’exploitation de son navire, tant en matière de gestion nau-
tique, technique que commerciale.
Aux termes de l’art. 650 du CMA, pour le contrat d’affrètement au
voyage, « le fréteur s’engage à mettre, en tout ou en partie, un navire armé et
équipé à la disposition de l’affréteur en vue d’accomplir un ou plusieurs voyages,
et l’affréteur à en payer le fret ».
Pour le CCM (art. 200),

« la charte-partie au voyage ou location-transport est celle qui est con-


venue pour la durée nécessaire à l’accomplissement du ou des voyages
envisagés. Elle peut préciser la nature, la quantité de marchandises à
charger et la personne du chargeur ».

La lecture attentive de ces dispositions nous permet de relever que ce


genre d’affrètement est a priori proche du contrat de transport sous connaisse-
ment, à partir du moment où l’armateur-fréteur offre un service complet
comprenant la prise en charge d’un lot de marchandises spécifié à la convention,
entre deux ports convenus, en un ou plusieurs voyages, tout en assumant les
risques de l’expédition maritime.
Mais de telles stipulations ne mettent pas tout à fait hors-jeu l’affréteur,
puisqu’il participe à l’expédition par le fait même qu’il est responsable du char-
gement et du déchargement du navire. La différence existante entre le transport
sous connaissement et l’affrètement au voyage réside dans le fait que, dans le
Kamel KHELIFA 137

premier cas, le transporteur a une obligation de résultat tandis que dans le


deuxième cas le fréteur a une obligation de soin.
En outre, si l’affréteur est lui-même le vendeur de la marchandise et que
le contrat de vente est conclu en coût et fret, outre les frais de transport qu’il
doit acquitter au profit du fréteur, le chargement et le déchargement de la
cargaison relèvent de sa responsabilité pleine et entière.
À ce titre, par le jeu du temps de planche (supra) qui lui est alloué l’affréteur
devient comptable des retards du navire dans les ports, ce qui ne peut être le cas
dans un transport sous connaissement. La situation est tout à fait identique
lorsque l’affréteur est lui-même l’acheteur de la marchandise dans le cadre des
ventes fob. Il demeure responsable de l’acquittement des pénalités dues au titre
des retards du navire dans les ports, de la même manière qu’il peut encaisser des
primes (despatch money) pour avoir fait gagner du temps au navire, points qui
seront étudiés plus loin. En fait, le poids économique de l’affréteur fait souvent
que celui-ci, agissant en tant que chargeur, préférera opter pour un transport
sous connaissement lorsqu’il doit faire acheminer de petits colisages, mais
lorsque le lot est plus important, par la force des choses, il choisira l’affrètement
d’une partie ou de la totalité du navire.
Notons que certains affrètements, propres à des marchés donnés, com-
me ceux du transport des produits en vrac au voyage, peuvent avoir l’apparence
d’un affrètement à temps.
En effet, lorsque l’affréteur dispose d’un lot de marchandises dont l’im-
portance suppose plusieurs voyages sur une durée de temps fractionnée, il a
recours à cette formule qui ne l’engage pas en termes de durée de l’affrètement
mais en termes de tonnage à transporter. Ainsi, l’annulation du contrat par
l’affréteur en est facilitée à partir du moment où elle peut se faire lors du dernier
voyage sans préjudice financier.
Ces types de contrats sont appelés affrètement en voyages consécutifs
(trip charter).

Si les conditions du contrat prévoient la sous-location de tout ou partie


du navire par l’affréteur, ce dernier est libre de céder à une tierce personne le bâ-
timent pour peu qu’il demeure garant, à l’égard du fréteur, du respect des clau-
ses contractuelles contenues dans la charte initiale qui les lie ; le seul souci du fré-
teur au voyage ou à temps étant qu’il entre en possession du montant du loyer.
En général, les cas de sous-affrètement ne sont pas rares, eu égard à la
multitude de problèmes liés au côté aléatoire de l’affrètement, problème que par
ailleurs le fréteur professionnel comprend parfaitement bien, pour les raisons
suivantes :
– il se peut que le problème se pose à l’affréteur en termes de
disponibilité de la marchandise ;
138 Le droit maritime dans tous ses états

– il est probable également que la rentabilité du voyage ne soit plus, pour


une raison ou une autre, assurée au moment de l’expédition
maritime ;
– il est des cas aussi où la destination initialement prévue n’est plus pro-
pice à cause de troubles ou toute autre cause non prévue au moment
de la conclusion du contrat.

Parfois, l’affréteur ne peut résister à la tentation de faire une spéculation


en raison d’une tension soudaine sur le marché favorisant une hausse des taux
de fret. C’est cette flexibilité qui fait toute l’originalité de l’affrètement.

Le prix de revient minimum par tonne transportée est calculé en fonc-


tion d’un certain nombre de paramètres dont nous allons tenter d’en cerner les
contours :
Tout d’abord, le fréteur d’un navire coque nue tiendra compte, avant la
conclusion d’un contrat d’affrètement, et dans la mesure où le marché est stable,
de ses frais d’amortissement, auxquels il ajoute sa marge bénéficiaire.
Admettons que ces frais d’amortissement soient de 3 500 usd/jour et que
sa marge bénéficiaire soit de 1 000 usd. On obtient ainsi un total de 4 500 usd/
jour. Le navire sur le marché de l’affrètement coque nue coûtera à l’affréteur ce
montant. Si ce dernier veut l’armer, il y a lieu d’ajouter un certain nombre de
frais1 :
– Frais de personnel 400 000
– Frais de matériel 280 000
– Frais d’assurance (coque/machines) 75 000
– Frais généraux 40 000
– Frais divers 5 000
– Total 800 000

Si l’on divise ce montant par 365 jours, on obtient les frais d’armement
par jour, soit : 800 000 : 365 =2 192 usd ; montant auquel il faut ajouter les
4 500 usd, représentant les frais d’affrètement sur le marché.
Ainsi, le coût journalier de l’affrètement en Time Charter ou frais fixes du
navire (running cost en anglais) sera donc de : 4 500 + 2 192 = 6 692 usd.

1 Les chiffres, exprimés ici en dollars, sont donnés ici juste pour la commodité du raisonnement.
Kamel KHELIFA 139

Pour obtenir le montant de l’affrètement au voyage, ou daily cost du navire


en exploitation, dont le prix est exprimé à la tonne transportée, il y a lieu
d’inclure les :
– frais de soutes (fonction du nombre de jours que passe le navire en
mer) ;
– frais de port (dépendent des us et coutumes du port et de la nature de
la marchandise transportée) ;
– frais annexes (par ex. passage canal de Suez) ;
– frais de manutention (fonction des cadences de chargement et de
déchargement, de la nature de la marchandise) ;
– frais d’assurance (par le biais d’un club de protection, le transporteur
contracte une assurance annuelle pour le transport des marchandises).
Tous ces petits détails nous éclairent, si besoin est, sur la complexité de
la négociation dans le cadre d’un affrètement au voyage.

Les résultats des négociations donnent lieu à l’adoption de clauses-types


qui constituent la formation du contrat d’affrètement entre les parties. Ce
contrat s’appelle la charte-partie, de l’italien carta partita ; c’est l’écrit qui permet de
constater une convention d’affrètement dont les modalités sont librement
négociées et acceptées par les parties ; lesquelles parties sont supposées avoir un
poids économique équivalent leur permettant de traiter sur un pied d’égalité.

« Time is money », disent les Anglais. Cette expression prend sa pleine si-
gnification dans ce domaine. Quand on sait que le coût quotidien du navire le
plus ordinaire se chiffre à plusieurs milliers de dollars, on peut comprendre aisé-
ment que toute la philosophie des affrètements puisse reposer sur la notion de
durée, donc de temps.
Quant aux devoirs et obligations des parties en présence, nous allons nous
borner à en énumérer, à titre d’éclairage simplement, quelques aspects généraux,
en tous cas les plus usuels, en laissant les règles supplétives, comme le veut
l’usage en la matière, faire leur œuvre constituée d’une somme d’arrangements
décidés au gré des circonstances.
140 Le droit maritime dans tous ses états

– Le fréteur s’oblige à livrer, à la date et au lieu convenus, et à maintenir


pour les besoins du ou des voyages, le navire en bon état de naviga-
bilité, c.-à-d. qu’il doit le rendre apte à l’exploitation pendant toute la
durée de l’affrètement, que ce soit sur un plan administratif (docu-
ments en règle), matériel (bon état général du navire), ou financier
(règlement de toutes les dépenses à la charge du fréteur).
– Il doit également respecter les descriptions fournies à l’affréteur, dans
le cadre de la C/P, quant aux caractéristiques du navire : son proprié-
taire réel, son pavillon, sa vitesse, ses jauges brute et nette, sa capacité
de chargement, ses gréements, sa cote, la puissance de ses moteurs, sa
consommation, sa vitesse, etc. (Voir plus loin description du navire).
– Il doit faire respecter par son équipage le droit qu’a l’affréteur de faire
diriger le navire à son gré, en se conformant aux instructions données
par ce dernier au capitaine, naturellement dans les limites des zones
géographiques et des trafics convenus dans la C/P.
– Il doit garantir à l’affréteur, en cas de vente du navire en cours d’ex-
ploitation, qu’il demeure pleinement responsable de l’exécution des
tenues de la convention passée entre lui-même et son vis-à-vis.
– Il a l’obligation, afin de ne pas gêner la bonne exécution de l’affrè-
tement, de payer les dépenses dues au titre des dépenses courantes du
navire : frais de personnel, combustibles, assurance, etc.
– Si le délai de planche est expiré avant la fin du chargement du navire,
le fréteur doit accorder à l’affréteur une période supplémentaire appe-
lée surestaries dont les termes seront convenus dans la charte-partie et,
à défaut, pendant autant de jours qu’il a eu de temps de planche.
– Si la C/P donne à l’affréteur, en dehors des surestaries, un délai
supplémentaire appelé contre-surestaries pour achever le déchargement,
le fréteur ne peut faire partir le navire avec un chargement incomplet
avant l’expiration de ce délai.

Les droits du fréteur portent essentiellement sur les règlements de son


fret et des pénalités prévues lorsque le navire est retardé du fait de l’affréteur.
Voici un résumé des droits prévus par les codes algérien, français et
tunisien :
– CMA, art. 668 : « l’affréteur doit mettre à bord du navire la quantité
de marchandise énoncée par la charte-partie. À défaut, il paie le fret
pour cette quantité » ;
Kamel KHELIFA 141

– CMA, art. 680 : « Le fréteur peut refuser le déchargement de la


cargaison si le fret et la rémunération à titre de surestaries ou d’autres
retards ne lui ont pas été payés par l’affréteur » ;
– CMA, art. 682 : « Si l’affréteur ou son représentant ne se présente pas
au lieu de déchargement, refuse de décharger les marchandises ou
retarde autrement le navire de telle sorte que les opérations de dé-
chargement ne puissent être terminées avant l’expiration du délai de
déchargement, le fréteur a le droit de faire débarquer les marchan-
dises et de les faire déposer en lieu sûr pour le compte et aux risques
de l’affréteur ».
– CCM, art. 182 : « Si le navire est arrêté au départ, en cours de route
ou au lieu de son déchargement, par le fait de l’affréteur, les frais et
dommages du retard sont dû par ce dernier » ;
– CCM, art. 183 : « Le capitaine peut mettre à terre, dans le lieu de char-
gement, les marchandises trouvées dans son navire, si elles ne lui ont
point été déclarées, ou prendre le fret au plus haut prix ».
– Loi française du 31/12/1966 (art. 2, chap. 1, titre 1) « Le fréteur a un
privilège sur les marchandises pour le paiement de son fret ». Quant à
l’art. 3 (1er et 2e alinéa) du JO du 23 avril 1967, il précise : « le fréteur
ne peut retenir les marchandises, mais il peut les consigner en mains
tierces et les faire vendre, sauf si l’affréteur dépose une caution ; la
consignation ne peut se faire que par ordonnance sur requête et la
vente par ordonnance de référé ».
Ce dispositif juridique constitue un gage de règlement de la créance.
Cependant ce privilège ne vaut que pour le fret, exclusion faite de toute autre
réclamation relative à d’autres créances comme les surestaries, le faux fret…

– L’affréteur doit présenter le chargement auquel il s’est engagé, (art.


187 du CCM) et, « s’il n’a pas fourni la quantité totale des marchan-
dises convenues, il doit néanmoins la totalité du fret et il lui est tenu
compte des dépenses épargnées au navire et des trois-quarts du fret
des marchandises prises en remplacement. S’il en charge davantage, il
paie le fret de l’excédent sur le prix réglé par la C/P » ;
– Au plan commercial, il prend à sa charge l’ensemble des dépenses et
assume tous les risques découlant de l’utilisation par lui du navire ;
– Il doit acquitter en son temps, selon le cas, le montant du loyer ou du
fret convenu. Un retard quelconque dans le paiement peut entraîner
la résiliation du contrat par le fréteur aux conditions énumérées
précédemment sur le gage et privilège du fréteur.
142 Le droit maritime dans tous ses états

– Il doit, en cas d’utilisation prolongée du navire, plus que le temps


alloué dans la C/P, payer un supplément en fonction du taux du
marché ou en état de cause au taux convenu dans le contrat.
– Le fréteur doit payer à l’affréteur une prime de célérité si le chargement
du navire a été effectué par l’affréteur avant l’expiration des jours de
planche prévus par la C/P (art 667 du CMA).

Les caractéristiques du navire constituent un des points fondamentaux


du contrat d’affrètement. En effet, la moindre indication fausse peut être lourde
de conséquences pour l’affréteur du navire à temps, en ce sens qu’il doit
assumer les risques inhérents à l’exploitation commerciale du navire. Si le navire
ne correspondait pas tout à fait à la description donnée et que de ce fait un
préjudice naissait, l’affréteur serait seul à en assumer les frais et risques,
notamment de devoir faire la preuve, souvent difficile à établir, en l’occurrence
que le fréteur est à l’origine de telle ou telle défaillance. Pour prévenir ce genre
de situation fort préjudiciable, l’affréteur avisé dépêchera au port où se trouve le
navire des agents aux fins d’inspection et de contrôle du bâtiment.
Dans la mesure où sa société n’est pas dotée de structure d’inspection,
l’affréteur s’attachera les services d’un expert maritime étranger à l’entreprise
pour s’enquérir de la description faite et de l’état général du navire. Mais, en
général, lorsque les deux parties se connaissent et qu’entre elles existent des
rapports de confiance, la mission de contrôle devient superflue.
Nous allons examiner ci-dessous quelques raisons connues (elles sont en
réalité nombreuses et variées) pour lesquelles une vérification de la véracité
s’impose :
– Le nom du propriétaire du navire ; il pourrait être, comme indiqué
plus haut, celui d’un personnage se disant par exemple « armateur-dis-
posant », et que, derrière ce qualificatif dépourvu d’existence
juridique, au regard de nombreuses législations nationales, se cache en
réalité un fréteur ou un courtier indélicat installé quelque part dans un
pays où il peut à l’aise, et en toute impunité, se livrer à des
malversations de toutes sortes.
– Le pavillon du navire ; s’il n’est pas conforme à celui indiqué dans la
C/P, il pourrait placer l’affréteur dans une fâcheuse position juri-
dique, en particulier lorsque le navire arbore un pavillon – donc une
nationalité – qui fait l’objet par exemple d’un boycott international.
– La vitesse et la consommation ; notions intimement liées l’une à
l’autre, si elles n’étaient pas conformes aux engagements du fréteur (à
quelques pour-cent près), généralement acceptés par l’affréteur, elles
pourraient se traduire par des retards qui ne comporteraient pas moins
Kamel KHELIFA 143

certains risques financiers, surtout si le navire fait du long cours. Les


indemnités de retard sont généralement prévues dans les C/P, mais
elles peuvent donner lieu à force palabres avant d’être versées par le
fréteur.
– La cote du navire est établie par les sociétés de classification. Elle
atteste des qualités techniques et nautiques du navire. Outre que la
classification d’un navire doit répondre à des exigences légales, le fait
que celui-ci soit bien coté lui permet de bénéficier d’une bonne répu-
tation tant sur le marché de l’affrètement qu’en matière d’assurance.

Mais il se peut que la cote attribuée à un moment donné au navire soit


arrivée à terme. Il faut toujours s’assurer de sa dernière date de classification
pour savoir si sa cote est encore valide.
– Le port en lourd, la jauge brute et nette du navire, etc., sont autant de
caractéristiques fondamentales nécessitant la plus grande
circonspection.

La durée de l’affrètement à temps est fixée pour des périodes plus ou


moins longues pouvant se compter en mois et en années. Elle peut être
également comptée en termes de voyages consécutifs (trip charters) entre des
ports convenus. Aussi est-il utile de souligner que la restitution du navire pose
toujours un certain nombre d’interrogations quant au respect de la durée du
temps d’affrètement, compte-tenu des aléas de la mer.
C’est pour cette raison, et plus particulièrement sur ce point, que les
clauses des C/P indiquent toujours le terme « environ ».
Cette attitude, empreinte de compréhension parfois forcée, laisse à
l’affréteur une certaine marge de manœuvre lui permettant de terminer son
voyage, à charge pour lui d’indemniser le fréteur pour le temps perdu, soit sur la
base d’un taux entendu entre les parties, soit sur le taux du marché.

En général, dans l’affrètement à temps, les clauses des C/P. mentionnent


que le fret, qui est en réalité un loyer (hire en anglais) fixé en fonction du temps
d’utilisation du navire, est payable d’avance par tranche de temps préalablement
fixée.
Si l’affrètement se conforme à une charte donnée, comme la Baltime par
exemple, le règlement peut se faire tous les 30 jours et la N.Y. Produce, tous les
quinze jours ; la Loi française stipule, aux termes de son art. 23, que le loyer est
payable par mensualité et d’avance et qu’il n’est pas acquis à tout événement.
144 Le droit maritime dans tous ses états

Le CMA, en son art. 708, édicté que « le montant du fret et les modalités
de son règlement doivent être établis par la C/P. À défaut de convention, le fret
est payé d’avance par tranche mensuelle et il n’est pas acquis à tout événement ».
Dans le cadre d’affrètements de longue durée, et si entre-temps les
charges d’exploitation évoluent, que des fluctuations monétaires défavorables
au fréteur interviennent ou que le taux de fret augmente, ce dernier s’arrange,
déjà lors de la négociation, pour obtenir l’insertion préalable d’une clause com-
pensatoire d’ajustement. Quant aux taux d’affrètement, ils sont généralement
établis sur la base de l’évolution des indices de fret communiqués par un certain
nombre d’institutions et de publications spécialisées en la matière.
Pour le pétrole, par exemple, ces taux de fret sont appelés nominaux et ils
sont fixés annuellement sur un taux forfaitaire théorique exprimé en dollar US
par tonne métrique, figurant dans un barème établi suivant l’évolution de
l’indice World Scale, à partir d’un taux WS 100. Selon A. Boyer2, « on prend pour
base 100 ; un taux de fret donné, à une date déterminée et l’on compare tous les
taux de fret ultérieurs à cette phase, ce qui traduit graphiquement les variations
annuelles, ou autres, des taux de fret ».

En pratique, un seul taux de base est prévu pour un voyage aller/retour


entre deux ports, chargement et déchargement compris, avec un navire d’une
capacité donnée aux taux de X USD/jour, filant à une vitesse de tant de nœuds
avec une consommation de X tonnes de fuel par jour… Ainsi, un pétrolier
affrété à un WS 40 se verra appliquer 40 % de ce taux par tonne. S’il dépasse
l’indice WS 100, par exemple 180, il se voit appliquer un taux de 180 % par
tonne, lequel pourcentage lui permet de convertir le taux correspondant en un
montant réel du fret traduit en US Dollar par tonne à transporter.
Le mécanisme d’établissement de l’évolution des indices de fret se fonde
sur les statistiques régulièrement fournies par les bourses de fret et publiées
dans les revues précitées.
Quant aux clauses de suspension de loyer par l’affréteur (off hire), se tra-
duisant littéralement par le terme hors-fret en français, elles peuvent jouer dans
les cas de panne prolongée du navire ou d’empêchement de l’équipage.
En revanche, le fréteur a recours aux clauses de résiliation de contrat
pour non paiement de loyer à échéance fixe, clauses fréquentes dans la plupart
des C/P à temps, en raison des risques éventuels d’insolvabilité de l’affréteur.

2 Les transports maritimes, PUF.


Kamel KHELIFA 145

La livraison est la prise en charge effective du navire par l’affréteur dans


un port déterminé à une date fixée dans le cadre du temps d’affrètement con-
venu. En cas de retard dans la livraison, le fréteur est tenu pour responsable des
manques à gagner que pourrait connaître l’affréteur, au-delà d’un délai raison-
nable préalablement entendu ; la Loi française fixe cette période à vingt-quatre
heures pour les navires affrétés à temps (art. 24) ; l’Art 26 fixe le même délai
pour les navires affrétés coque nue.
En vertu de son art. 711, le CMA dispose : « le navire doit être restitué au
fréteur aux dates et lieu convenus à la C/P ». Si la durée du dernier voyage
dépasse la date convenue au contrat, le délai est prolongé jusqu’à l’arrivée du
navire au port de sa restitution.

Pour cette période supplémentaire, l’affréteur doit un fret double de celui


prévu par le contrat, sauf lorsque le dépassement de l’échéance relève du cas de
la force majeure (art. 712 du CMA). Dans son art. 201, le CCM stipule :
« faute par le fréteur de livrer le navire convenu à la date et au lieu prévus,
l’affréteur peut résilier la convention à la condition d’en donner avis
recommandé à l’autre partie. Dans ce cas, le fréteur perdra le fret
convenu et répondra des dommages-intérêts dus à l’affréteur ».

Comme on l’a vu, et ceci est une constante de la plupart des codes, à
l’expiration du délai d’affrètement, l’affréteur est tenu de restituer le navire se-
lon les termes prévus dans la C/P. Mais, comme il est pratiquement impossible
de procéder à la relivraison du navire à la date exacte (les navires n’étant pas des
trains ou des avions), un délai raisonnable est accordé à l’affréteur, à l’instar de
la livraison, au-delà duquel il est tenu de verser des indemnités de retard, selon
les clauses de la C/P retenue.
Signalons au passage que le néologisme redélivraison qui s’est introduit dans
la langue française, terme dérivant des expressions anglaises delevery/redelevery,
constitue une erreur qu’il y a lieu d’éviter sous peine de dénaturer, au-delà du
mot, le concept même de restitution ou de son synonyme, la relivraison.
146 Le droit maritime dans tous ses états

Quelles que soient les C/P (à temps ou au voyage), elles comportent des
clauses types que l’on retrouvera à tous les coups, notamment celles afférentes
au navire ; comme indiqué plus haut pour la C/P au temps, la partie descriptive
portant sur l’individualisation de celui-ci doit refléter les indications avancées
par le fréteur lors de la négociation :
– Un navire porte un nom ; ce qui nous fait dire qu’il a une personnalité
propre.
– Il a un âge ; on le calcule à partir de l’année de sa construction et, lors-
qu’il dépasse les quinze ans d’âge, son armateur doit payer en matière
d’assurance des surprimes, outre qu’il n’est plus recevable dans tous
les ports en raison de normes restrictives liées à la sécurité de la
navigation maritime.
– Il possède une nationalité identifiée par le pavillon qu’il arbore.
– Sa capacité de charge ; elle peut être exprimée en Tonnage de Port en Lourd
(Tpl). Les C/P distinguent le port en lourd utile (cargo deadweight),
c’est-à-dire la capacité de chargement commerciale du navire, du port
en lourd deadweight, comprenant en plus du tonnage de la marchan-
dise, les soutes, les équipements de bord, les vivres, etc. La simple
mention de TPL ne suffit pas, il est utile, lors de la négociation, de ne
pas omettre que des précisions entre ces deux notions s’imposent.
Par ailleurs, il est nécessaire de souligner qu’il existe une nuance à ne pas
négliger entre la capacité de charge déterminée en tonnage de port en lourd
(TPL) et tonneau de jauge (brute et nette) exprimée par les abréviations TJB et TJN.
En effet, bien que les deux notions soient utiles à plus d’un titre, notam-
ment pour la détermination du tirant d’eau maximum du navire, de sa charge
utile, du coefficient d’arrimage de la marchandise, etc., on retrouve la notion de
jauge dans le transport des pondéreux en vrac liquide et solide dont la capacité
de charge est exprimée en termes de cubage ; ainsi, le volume du vrac solide est
défini en grains et le volume des sacs en balles… Et même entre ces deux
derniers critères, il existe des différences appréciables de nature à faire varier les
taux de fret : « the difference betwen grain and bale space varies from 5-10 per cent »3.

Soulignons toutefois que le taux de fret retenu, soit au tonnage ou au volu-


me, est toujours décidé à l’avantage du navire, c’est-à-dire dans l’intérêt du fréteur.
Le port de chargement/déchargement ; la notion de port suppose une par-
faite connaissance de la géographie, des capacités d’accueil, voire de leur
topographie.

3 Cf. J. Bes « Chartering terms and shipping », op. cit., p. 186/187, §.20
Kamel KHELIFA 147

Dans certaines C/P, le fréteur et l’affréteur vont jusqu’à préciser les


postes à quai (sea line, etc.).
Dans d’autres, cette notion est entourée d’approximations du genre « le
port le plus proche » ou « le port le plus sûr ». En effet, la désignation du port
n’est pas forcément exigée avec précision dans certaines C/P, puisque, selon le
cas, le fréteur et l’affréteur peuvent indiquer un ou plusieurs ports proches du
lieu du chargement et du déchargement des marchandises.
En l’espèce, chacune des deux parties trouve intérêt à faire jouer ces
notions approximatives ; tout d’abord, le fréteur pourrait avoir quelque raison
de ne pas faire dans la précision afin de se prémunir des cas où son navire, à
cause de certains obstacles prévisibles (tirant d’eau, glaces, marée, renseignements
peu fiables sur le port, etc.), ne pourrait pas conduire la cargaison à bon port ;
quant à l’affréteur, il pourrait se sentir obligé d’adhérer à cette formule par
crainte des encombrements portuaires connus par un certain nombre de pays.

De la nature de la marchandise dépendent certaines estimations, par exem-


ple : la quantité effectivement transportable en raison du coefficient d’arrimage
duquel dépend le calcul du fret, selon que le fréteur privilégie le poids ou le
volume ; les cadences de chargement et de déchargement de la cargaison ; cer-
tains frais de manutention bord, notamment le nettoyage des cuves, des cales, etc.
De la quantité à charger dépend également la rentabilité du ou des
voyages. Pour cette raison, la plupart des C/P prévoient le respect de la notion
de « pleine et entière cargaison ».
L’affréteur est autorisé à dépasser la quantité indiquée, mais jusqu’à un
plafond convenu dit « quantité maximale ». En cas de fourniture d’une quantité
inférieure à celle prévue à la C/P et si le fret n’est pas calculé au forfait, il ré-
sulte un manque à gagner pour le fréteur ; lequel manque appelle réparation de
la part de l’affréteur sous forme de versement d’une indemnité assortie
d’intérêts appelée communément faux fret.
L’expression faux fret provient du fait que, lorsque le navire ne charge
pas une pleine et entière cargaison, il pourrait, outre les manques enregistrés,
engager des frais supplémentaires pour le chargement de lest.

Nous abordons là un point des plus complexes du contrat d’affrètement.


Ce sujet, parce qu’il est très sensible, n’a pas laissé indifférents les législateurs
nationaux à telle enseigne qu’il n’existe pas, à travers les lectures faites pour les
besoins de cette étude, un code qui n’ait pas consacré des pans juridiques
entiers au fret et aux conditions de son paiement. Pour les aspects liés au calcul
du taux de fret, se référer au point relatif aux frais et durée de séjour dans les
148 Le droit maritime dans tous ses états

ports (Supra). Ainsi, pour le CMA, en son art 720 : « Si l’affréteur ne paie pas le
fret convenu à l’échéance, le fréteur peut résilier le contrat et obtenir de
l’affréteur une indemnité pour perte de fret et autres dommages ».
En complément de l’article 2 de la Loi française 66-420 de juin 1966, qui
énonce que « le fréteur a un privilège sur les marchandises pour le paiement de
son fret », l’art 3 du décret 66-1078 du 31/12/1966 précise : « Si le fréteur n’est
point payé lors du déchargement des marchandises, il peut les consigner en
mains tierces et les faire vendre, sauf à l’affréteur à fournir caution ».
Le CCM, se voulant le plus exhaustif possible, a consacré au sujet, aux
termes de l’art. 187, six alinéas, dont nous nous bornerons à citer les plus
significatifs :

« L’affréteur est tenu de payer le fret convenu ; lorsqu’il [l’affréteur] n’a


pas fourni la quantité totale des marchandises convenues, il doit
néanmoins la totalité du fret ; il lui est tenu compte des dépenses
épargnées au navire et des trois-quarts du fret des marchandises prises en
remplacement ; s’il en charge davantage, il paie le fret de l’excédent sur le
prix réglé par la C/P ; si, sans avoir rien changé, il rompt le voyage avant
le départ, il paiera en indemnité au fréteur la moitié du fret convenu dans
la C/P pour la totalité du chargement qu’il devait faire ; s’il rompt le
voyage après avoir fourni une partie des marchandises convenues et que
le navire part à non-charge, le fret entier sera dû au fréteur ».

Dans les C/P., les clauses relatives au fret et aux modalités de son règle-
ment foisonnent par les détails précautionneux, tant les nuances peuvent être
sources d’interprétations, donc de problèmes. Ainsi, comme le fret peut être
payé au tonnage ou au volume, toujours à l’avantage du navire, la quantité de
marchandise embarquée, mesurée au départ, peut ne pas être la même à
l’arrivée après mesurage ou pesée.
Afin d’éviter de se retrouver aux prises avec le fréteur, et si en plus il
n’est pas sûr de la quantité exacte devant lui être fournie par le chargeur ou si
les conditions de pesée ne sont pas réunies, l’affréteur préfère dans ce cas la
formule de fret au forfait. Cette formule est en usage dans certaines C/P. et
pour certains types de trafic de vrac où les phénomènes de routes peuvent pro-
voquer des freintes : pertes de poids dues à l’évaporation ou bien des augmen-
tations de poids du produit lorsque celui-ci est chargé d’humidité, provoquées
par la traversée de zones humides.
Selon certaines C/P, lorsque le contrat de vente est conclu en C et F, le
fret doit être payé d’avance (prepaid en anglais), etc. D’autres contrats prévoient
le paiement du fret sous forme d’avance à la signature du connaissement au
port de chargement et le reliquat à destination, c’est-à-dire au moment de la
livraison de la marchandise ; lorsque le fret est payable à destination (collected
freight en anglais) – ce sont tous les cas où le contrat de vente est conclu en fob
Kamel KHELIFA 149

– le fréteur a, en cas de non paiement du fret par le réceptionnaire, un privilège


sur les marchandises (Art. 3 de la Loi française).
Le paiement tardif peut être source de problèmes. En voici un exemple
concret illustré par l’affaire Dollar dont le jugement a été rendu à Paris/Camp le
11/07/83 : Les faits portent sur une C/P au voyage et dont le fret, exprimé en
francs français, n’a été réglé à un armateur allemand qu’après dévaluation du
franc. L’armateur réclamait la différence de change par rapport à sa monnaie
nationale, le mark. La demande de l’armateur, après avoir apporté la preuve que
la somme en francs payée tardivement lui avait été créditée en marks, a été
acceptée dès lors qu’il a honoré toutes les obligations contractuelles alors que
l’affréteur français a payé le fret avec 25 jours de retard, c’est-à-dire 5 jours
après la dévaluation. L’arrêt avait retenu que « la faute prétendue du banquier de
l’affréteur ne constituait pas une excuse valable pour celui-ci (un fret est
portable et non requérable) ».
Dans une autre affaire de C/P à temps, toujours au sujet du M/V Dollar
(sentence n° 413 du 26/06/81 Camp/Paris), les loyers payés tardivement (de 5
à 74 jours pendant un an) ont permis à l’armateur du navire d’obtenir par la
même juridiction le jugement suivant :
« Le paiement tardif du fret provoque un déséquilibre entre les
patrimoines des deux parties, qui est un préjudice financier pour l’une et
un bénéfice sans cause pour l’autre […] La seule voie de réparation est
celle des intérêts compensatoires. Il ne sera donc pas question de retenir
la notion d’intérêts moratoires au taux légal. En conséquence, le taux de
13 % l’an, demandé par les armateurs, sera accepté comme étant normal
et raisonnable en 1979, époque des faits incriminés ».

Le début du voyage se fait avec l’annonce par le capitaine de la mise à


disposition de l’affréteur du navire. Cf. notice of readness (Supra). Mais, avant
d’être prêt à l’embarquement, les parties au contrat se mettent d’accord sur la
date d’arrivée du navire au port de chargement.
Or, d’évidence, le fréteur ne peut garantir que le navire sera prêt exac-
tement à la date indiquée. De la même manière, l’affréteur ne peut déclarer son
option quant à la disponibilité de la marchandise à la date indiquée que lorsqu’il
sait où se trouve le navire au moment de la négociation. Aussi, l’une et l’autre
partie conviennent-elles d’adopter des clauses du genre : « date la plus rappro-
chée pour le début du chargement » dont la formulation varie quelque peu
d’une C/P. à une autre. Mais cette formule n’est pas une fin en soi puisqu’une
date limite est fixée par l’affréteur au-delà de laquelle il y a résiliation de contrat
aux risques et frais du fréteur.
En pratique, le navire s’arrange pour ne pas arriver plus tôt que prévu,
auquel cas il devra assumer les manques à gagner dus à son arrivée prématurée ;
150 Le droit maritime dans tous ses états

il ne devra pas non plus arriver plus tard que le délai limite fixé, sous peine de
se voir assumer les indemnités dues à l’attente en entrepôts de la marchandise
avec tout ce que cela implique comme frais d’intérêts, outre les risques de rési-
liation du contrat. À son tour, l’affréteur a intérêt à évaluer au plus près le temps
nécessaire à l’acheminement de la marchandise au port et à son chargement sur
le navire, sans quoi il court le risque de rogner le temps de planche qui lui est
alloué par la C/P. Cf. staries et surestaries (Supra).
Malgré toutes les précautions d’usage, nul n’est à l’abri d’une surprise en
raison des interprétations des conventions contenues dans les C/P et les usages
des ports,
Ainsi, dans une affaire de « temps d’attente » (waiting time) du navire Ace
Pioneers, la juridiction de Camp, par sa sentence n° 357 du 06/03/80, confirme
la complexité de ce fait : A l’arrivée du navire, chargé d’une cargaison de maté-
riel de constructions métalliques des États-Unis sur Port-Soudan, le vapeur a dû
attendre 14 jours en rade dans l’attente d’un poste à quai. Le litige entre les
parties portait sur le compte de surestaries, les armateurs appliquant intégrale-
ment le temps d’attente alors que les affréteurs prétendaient que le navire n’était
pas arrivé dès lors que la libre pratique ne lui était pas accordée, selon les us du
port. De la clause Time lost in waiting for berth to count as discharging time (le temps
perdu à attendre l’accostage compte comme temps de déchargement), voici
résumée la sentence rendue par la juridiction précitée :
« L’interprétation de cette clause de la charte Gencon n’a pendant
longtemps fait l’objet d’aucune contestation, le concept de « navire
arrivé » qui a pu en nuancer l’application, en se trouvant à l’origine de
nombreux litiges, ne lui étant particulier. Selon cette interprétation
ancienne, tout le temps passé en attente d’un poste à quai doit être
assimilé à du temps utilisé, sans interruption d’aucune sorte, qu’il s’agisse
de mauvais temps ou autres empêchements ou des périodes écartées du
compte des staries… »

Le déroutement d’un navire est un fait courant dans la navigation


maritime. Il est souvent dicté par le cas de la force majeure et parfois par des
circonstances que certaines lois considèrent comme fortuites. Lorsqu’il est le
fait de la force majeure, il faut que celle-ci soit irrésistible, imprévisible et
insurmontable. Ceci est le cas des événements naturels, tempête et autres, qui
obligent le vapeur à changer de cap ; il y a également le fait de guerre, etc.
Cependant, certaines C/P et lois de pays anglo-saxons (Cogsa de la GB
et des États-Unis), emboîtant le pas aux Règles de La Haye, étendent le
déroutement autorisé aux cas de sauvetage des vies en mer, etc. La Loi française
n’en fait cas que pour les transports sous connaissement (art. 27, alinéa i).
Kamel KHELIFA 151

Enfin, il convient de souligner que le cas de déroutement ne peut


s’apprécier que par rapport à une route normale ; la route normale est
l’itinéraire géographique habituel entre deux ports.
Si l’itinéraire présente des risques pour le navire et ce qu’il transporte,
celui-ci est autorisé à en modifier le tracé à la condition de faire valoir le
caractère raisonnable du déroutement, tel qu’énoncé par la plupart des C/P, en
référence aux clauses de déroutement (déviation), et appréciées en tant que
telles par les droits allemand, Scandinave, britannique, américain, etc.
En son art. 676, le CMA énonce :

« Si le navire ne peut arriver au port de destination en raison d’obstacles


durables qui ne peuvent être écartés dans un délai raisonnable, le
capitaine du navire doit suivre les ordres donnés d’un commun accord
par le fréteur et l’affréteur ; à défaut de tels ordres, le capitaine conduit le
navire vers un port sûr, le plus proche, où il pourra décharger ou revenir
avec la cargaison au port d’embarquement, selon ce qui est, à son avis, le
plus avantageux pour l’affréteur. Dans tous les cas, l’affréteur est tenu de
payer le fret de distance ».

Si, comme on l’a vu, un navire est appelé à changer de destination, pour
une raison qui relève par exemple des cas de force majeure (fait du prince, état
de guerre, calamité naturelle ou autres), le fréteur et l’affréteur tenteront de se
mettre d’accord sur le nouveau port.
À cet égard, ce sont les intérêts de l’une et l’autre partie qui vont encore
une fois s’affronter.
En effet, l’affréteur aura intérêt à ce que le port soit le plus proche
possible du lieu initialement prévu, afin de limiter les frais supplémentaires dans
le cadre du transfert de la marchandise ; le fréteur pourrait chercher à conduire
son navire là où les frais portuaires ne sont pas plus élevés que dans le port
initialement prévu, de même que la sécurité du navire et de ce qu’il transporte
rencontrent le moins de risques possibles, etc.
En matière de sécurité, la notion de port sûr reviendra comme un
leitmotiv.
Et, pour se faire une idée de cette notion de ports sûrs (Safe ports), lire les
différents cas de jurisprudence cités dans l’article de Mohamed Dekhili, juriste
algérien au sein de la Société Hyproc, in le Phare (Journal des échanges
internationaux, des transports et de la logistique) N° 11, Pages 8/9.
152 Le droit maritime dans tous ses états

Les frais de manutention dans les ports sont partie intégrante de la


rentabilité du voyage, tant pour le fréteur que pour l’affréteur. En réalité, le taux
de fret ne peut être fixé qu’après que les parties à la convention se soient
entendues sur la prise en charge des frais de chargement et de déchargement de
la cargaison.
Dans les CP au voyage, il existe plusieurs formules de calcul du taux de
fret, généralement basées sur la répartition des frais de manutention ou bien par
la prise en charge complète de l’ensemble des frais par le fréteur ; dans cette
répartition, les frais de nettoyage des cuves et des cales, qui sont généralement à
la charge du fréteur, ne sont pas compris. Les aspects légaux du fret ayant été
traités plus haut, retenons dans ce chapitre qu’il peut être négocié de plusieurs
manières :
– Le fret peut être traité aux conditions de lignes régulières (palan/
palan, quai/quai), auquel cas les frais de chargement et de décharge-
ment sont pris en charge par le navire et répercutés sur l’affréteur
dans le taux de fret.
– Lorsque le navire est équipé de ses propres gréements, il est possible
de faire en sorte que les formules palan/palan et quai/quai puissent
donner lieu à une combinaison mettant à la charge du fréteur les
moyens de levage et les grutiers ; les hommes de bord et de terre
seront en revanche à la charge de l’affréteur.
– Le fret peut être traité également suivant une autre formule de partage
des frais de chargement et de déchargement connue sous le terme de
Free In Liner Out ce qui signifie concrètement que les frais de
chargement sont à la charge de l’affréteur et les frais de déchargement
à la charge du navire.

Il est possible de faire une autre combinaison en recourant à la formule


FIO (free in /out), également connue en France et au Maghreb sous le terme
bord/bord, voulant dire que le fréteur n’a aucun frais de manutention à supporter.
Dans un tel contexte, les frais de chargement sont supportés par l’affréteur et
les frais de déchargement par le réceptionnaire ; le fréteur ne prenant à sa
charge que les frais d’arrimage et, le cas échéant, les frais d’équilibrage.
La notion d’équilibrage est évoquée lorsque la marchandise est trans-
portée en vrac ; l’opération consiste en la répartition égale de la marchandise
dans les cales du navire pour mieux le stabiliser.
Une autre formule est celle que l’on connaît sous le terme FIOST (free in
out of ship, cargo stowed and trimed), en vertu de laquelle les frais de chargement,
Kamel KHELIFA 153

d’arrimage et d’équilibrage sont à la charge de l’affréteur et l’ensemble des frais


liés au déchargement sont supportés par le réceptionnaire.

Lorsque le navire est au port, il est à la disposition de l’affréteur dans le


cadre de ses opérations commerciales qui consistent à charger et/ou décharger
la marchandise. Celui-ci en devient le dépositaire selon des clauses de staries
convenues dans la C/P, calculées par le fréteur en fonction des coûts quo-
tidiens du navire et de sa marge bénéficiaire propre.
Précisons tout d’abord que le mot starie vient du latin stare, qui veut dire
rester, et que le concept, dans le vieux français, était usité sous le vocable d’estarie.
Mais la formule la plus usuelle dans cette langue est sans doute le temps de
planche ou temps alloué qui désigne le laps de temps prévu pour le chargement et
le déchargement d’un navire.
Juridiquement, c’est le temps imparti à l’affréteur pour restituer le navire
à son armateur à l’issue des opérations commerciales. En cas de dépassement
du temps alloué, l’affréteur doit au fréteur une indemnité au prorata du nombre
de jour de retard dans le port. L’indemnité, qui est en fait une compensation du
temps perdu, est fixée selon un taux convenu dans la C/P, considéré par la Loi
française comme un supplément de fret (art. 11).
Le CCM, aux termes de son art. 201§ 2, considère ce dépassement
comme des dommages-intérêts. Le CMA, en son art. 683, outre qu’il prévoit
que le fréteur a droit à une indemnité pour le retard, introduit, au titre de la
compensation, une notion somme toute originale, dans la mesure où cette
indemnité est calculée dans les mêmes conditions que celle due pour les contre-
surestaries pendant le chargement (Art. 666). Le calcul des staries est fait soit en
fonction du nombre de jours, soit en heures de travail ou suivant des cadences
de manutention convenues. En effet, lorsque le calcul est déterminé sur la base
du nombre de jours, il est en général précisé que le travail se fasse en jours
ouvrables ou en jours continus ; les jours ouvrables impliquent que les jours
fériés soient exclus, selon une formule anglo-saxonne qui tient en quatre lettres :
SHEX voulant dire Sunday holiday excluded (dimanches et jours fériés exclus) ;
ces jours peuvent être inclus, auquel cas cela se traduit par la formule SHINC,
qui signifie Sunday Holiday included (dimanches et jours fériés inclus).
Le travail en continu, qu’il soit exprimé en jours ou en heures consé-
cutives, suppose que les jours fériés peuvent être employés au chargement et au
déchargement de la cargaison.
Certaines C/P tiennent compte même de la demi-journée du samedi
après-midi. Il en est d’autres qui introduisent avec raison la notion de temps au
sens météorologique du terme.
En effet, dans le cas où les conditions de travail ne sont plus réunies, à
cause de la pluie ou autres, le temps de planche est interrompu ; d’où est issue
154 Le droit maritime dans tous ses états

l’expression de temps permettant qui revient souvent dans la plupart des C/P et
que la formulation anglaise reprend en ces termes : « Vessel shall be loaded (or
discharged) within X days weather permitting ».

Lorsque le temps de planche est déterminé sur la base des cadences


moyennes de manutention, le calcul se fait en fonction du tonnage embarqué et
débarqué par jour, par cale, ou par panneau. S’il est fréquent de trouver des
C/P qui font une combinaison de l’ensemble des éléments indiqués ci-dessus, il
en est d’autres, en revanche, qui, selon la clause de célérité coutumière, ne
précisent pas au préalable le temps alloué au chargement et au déchargement de
la cargaison. Cette notion de célérité coutumière est connue par l’abréviation
anglaise FAC (as fast as the ship can receive or deliver) qui se traduit par : aussi vite
que le navire peut charger ou décharger. En fait, même si les parties ne
déterminent pas à l’avance les temps de planche, elles ne se fondent pas moins,
suivant la nature de la marchandise, sur les usages connus des ports.
Du reste, la plupart des codes maritimes ont réservé à la question des
staries, en cas de silence de la C/P (et en cas de dénonciation seulement de la
notion de FAC), des stipulations variées selon les cas : dans le droit anglo-saxon,
la notion de célérité voulue fait intervenir celle de diligence raisonnable. Si
l’affréteur ne fait pas montre de diligence raisonnable, les staries s’arrêtent et
laissent place à un système de pénalités appelées surestaries, déjà évoquées et
sur lesquelles nous reviendrons plus loin ; le droit français se borne à évoquer la
question de staries en termes d’usage du port, en faisant abstraction de la
notion de célérité et de diligence raisonnable. Ainsi, l’art. 10 de la Loi française
n° 66-1078 stipule que « le point de départ et la computation des jours de
planche sont réglés suivant l’usage du port où ont lieu les opérations et, à défaut,
suivant les usages maritimes » ; le droit tunisien, en vertu de l’art. 194 du CCM
énonce que « le temps alloué à l’affréteur pour le chargement et le décharge-
ment est appelé staries. Ce temps est fixé par la convention ou, à défaut, par les
usages du port ».
Si, en son art. 660, le CMA abonde dans le même sens que les autres
codes sur la question se rapportant aux termes fixés par la convention ou par
les usages du port, en revanche, aux termes de l’art. 661, le législateur algérien
va plus loin, dès lors que l’article susvisé stipule « qu’en cas de doute, le délai de
la planche est calculé en jours et heures ouvrables, à partir du lendemain du
jour où l’avis mentionné ci-dessus a été valablement donné ».
Aussi, il faut savoir que les temps de planche ne sont pas fixés de manière
uniforme selon qu’il s’agisse de chargement ou de déchargement de la cargaison.
Les staries des deux ports sont en général traitées séparément et pour
cause : les temps de chargement et de déchargement de la cargaison varient
selon la nature de la marchandise, de la productivité des ports des différents
pays, des moyens utilisés ici et là, etc.
Kamel KHELIFA 155

Enfin, certaines C/P prennent une moyenne, suite au décompte fait


entre le temps mis aux ports de provenance et de destination ; moyenne à partir
de laquelle intervient le calcul des pénalités ou surestaries. Ce mode de calcul
fait intervenir la notion de staries réversibles, ce qui veut dire que l’addition des
deux opérations de chargement et de déchargement permet de compenser le
temps perdu ou gagné dans une opération par un autre.
Par exemple, lorsqu’un affréteur dispose de cinq jours pour le charge-
ment et autant pour le déchargement et qu’il réalise la première opération en
quatre jours et la deuxième en six jours, il sera dans la norme retenue ; auquel
cas on dira qu’il y a eu réversibilité, car le temps gagné au chargement est venu
en compensation du temps perdu au déchargement.
En se produisant, le cas inverse pourrait avoir le même effet. Notons que
le cas de réversibilité du temps alloué est notamment utile dans le calcul des
despatch money, notion examinée plus haut. Dans ce contexte, il convient de sou-
ligner que certaines lois considèrent le fait de réversibilité, mais il en est d’autres
qui en font abstraction. Ceci est particulièrement le cas du CMA qui ne semble
pas avoir accordé d’importance à la question.
Le CCM semble apparemment adhérer à l’expression de la volonté des
parties, puisqu’il a édicté en son art. 197 que « les staries ne sont réversibles du
chargement sur le déchargement et inversement que s’il en est ainsi convenu ».
La Loi française prévoit en son art 9 que si la C/P établit distinctement
un délai pour le chargement et un autre pour le déchargement ces délais ne sont
pas réversibles et doivent être décomptés séparément. Mais la grande question
qui se pose est de savoir à quel moment commence à courir le temps de
planche et où il se termine. Dans le contexte des staries, ce point est à analyser
en fonction de la C/P adoptée et des clauses retenues quant à l’emplacement où
le navire doit se considérer comme arrivé.
En fait, les parties à la convention précisent toujours à quel moment le
navire doit annoncer qu’il est prêt pour les opérations commerciales, après avoir
adressé à l’affréteur la notice of readness. Notons que la notice est l’avis adressé par
le capitaine, via son agent consignataire, à l’affréteur en vue de lui signifier, au
port de chargement, qu’il est prêt à prendre livraison de la marchandise, et au
port de destination que le navire est à sa disposition pour le déchargement de la
cargaison. Mais, avant d’aller plus loin dans le développement de la mise à
disposition du navire, examinons tout d’abord le concept de « navire arrivé ».
En général, les C/P précisent l’emplacement géographique, rade, quai,
etc. lieu à partir duquel le capitaine du navire doit envoyer la notice of readness. En
Algérie, dans les grands ports, eu égard particulièrement à leur congestion, la
rade est le lieu habituel d’attente des navires. D’ailleurs, le CMA, aux termes de
son art. 659, laisse toute latitude aux parties de fixer les conditions des jours de
planche dans les C/P et, à défaut, par le règlement ou l’usage en vigueur dans le
port de débarquement. Ce qui paraît étrange dans ce cas, est que le législateur
ne semble pas tenir compte de l’existence de temps de planche au port de
156 Le droit maritime dans tous ses états

chargement ( ! ?). Aussi, les fréteurs, quand ils ont réussi à faire adopter le point
de départ du temps de planche, à partir du point de mouillage, font adresser par
le capitaine la notice (traditionnellement via la radio) et depuis peu par Internet,
en direction de l’agent consignataire qui répercute cet avis sur le destinataire.
Mais ceci n’est pas une règle absolue puisqu’il est des cas où le point de départ
des staries ne commence à courir que lorsque le navire a trouvé un poste à quai.
Dans les ports ayant des caractéristiques dites répulsives (brumes, brouil-
lard, marée, etc.) l’emplacement est important dans la mesure où le temps de
planche commence à courir à partir de l’annonce que le navire est arrivé et se
trouve prêt à opérer. Or, le navire peut mettre un temps plus ou moins long
avant de rejoindre l’espace opérationnel, temps à mettre au compte de l’affré-
teur. Ainsi, certains codes, notamment Scandinaves, ne prennent en considéra-
tion l’arrivée du navire que lorsque celui-ci a accosté à un poste à quai. La
crainte des pays de frètement résulte des postes à quai souvent occupés, en tous
cas dans les ports à fort trafic. Ceci explique aussi pourquoi certaines C/P ont
tendance à prémunir les fréteurs contre les risques d’attente du poste à quai
avant que ne puisse être déclenché « le compteur à staries ».
Aussi, retenons que l’envoi de la notice ne peut être pris en considération
que lorsque le vapeur est ancré au point d’arrivée convenu ou au point habi-
tuellement défini par les usages ou dans celui reconnu par les législations
nationales, en cas de silence de la C/P ; notons que ce dernier cas est fort rare.
L’envoi de la notice of readness n’est pris en considération que lorsqu’il est effectué
aux heures de bureau et pendant les jours ouvrables. Celle-ci doit indiquer
l’heure approximative, ou exacte, selon ce qui est convenu – de l’engagement
des opérations commerciales par l’affréteur.
Mais, d’une façon générale, et afin de permettre à ce dernier de prendre
ses dispositions, préalablement à l’envoi de la notice, des messages lui sont adres-
sés par le capitaine du navire, selon ce qui est convenu dans les clauses de la C/P.
En pratique, ces messages sont adressés une semaine à l’avance, confir-
més soixante-douze heures et en tout état de cause ils ne doivent pas parvenir
moins de vingt-quatre heures avant l’envoi de la notice, sous peine de faire
reculer le point de départ des staries. Les messages indiquent l’ETA (temps
estimé d’arrivée, en anglais expected time of arrival) du navire au point convenu.
Enfin, une fois les conditions d’envoi de la notice remplies et le navire
accosté au poste à quai qui lui est affecté, il reste au fréteur de rendre le vapeur
effectivement prêt à entamer les opérations commerciales. Pour ce faire, il doit
ouvrir les panneaux de cales et remettre celles-ci et les mâts de charge dans un
état qui ne souffre pas de discussion.
Une fois le navire à quai et lorsqu’il est prévu des déchargements partiels
dans deux ou trois ports par exemple, le temps de planche pour chacune des
escales doit être utilisé conformément aux termes de la C/P, sous peine de voir
l’affréteur confronté aux risques de paiement de pénalités.
Kamel KHELIFA 157

Si l’ensemble des conditions ont été remplies par le navire, et comme on


l’a vu plus haut, les staries commencent à courir selon la formule consacrée, tout
retard constaté à l’expiration du temps convenu entraîne la mise en marche
d’un autre compteur, celui des surestaries (demurrage en anglais). En son art. 663,
le CMA considère que si le délai de la planche est expiré avant que le charge-
ment du navire ait été terminé, le fréteur doit laisser le navire au lieu de charge-
ment pendant une période supplémentaire appelée surestaries convenue dans la
C/P. En ce qui le concerne, le CCM édicte en son art 195 : « le temps employé
à l’expiration des staries est appelé surestaries. En cas de surestaries, une
indemnité forfaitaire est réglée par la convention des parties ou, à défaut, par les
usages du port ».
Les surestaries courent tout le temps que le navire n’a pas été restitué au
fréteur, y compris les dimanches et jours fériés. Elles sont calculées selon un
taux entendu à la journée et par fraction de jour, par tonneau de jauge, voire,
plus rarement, par heure. Le montant des surestaries, qui est une pénalité dans
l’ancienne acception du terme, ne doit être en principe ni supérieur ni inférieur
à ce qui a été convenu, sauf s’il est prévu un temps limite à l’application des
surestaries, délai au-delà duquel entre en jeu un système de pénalisation.
Il s’agit, selon certaines clauses, la Genco par exemple, de dommages et
intérêts arrêtés sur la base d’un certain pourcentage supplémentaire fixé par
rapport au taux de surestaries.
Comme indiqué plus haut, si le droit français considère que les
surestaries constituent un supplément de fret, dans la commun law, par exemple,
the démarrage est assimilé à des dommages et intérêts. Il arrive parfois que les
temps de planche expirent alors que le navire se trouve encore au port de
chargement. En pareil cas, et attendu que le navire risque de perdre un temps
considérable entre la navigation et le déchargement, le fréteur a la possibilité
soit de résilier le contrat, soit d’exiger des dommages-intérêts qui sont en géné-
ral supérieurs au taux de surestaries, mais en tous cas assez proches du taux du
marché. Certaines C/P, telle Gencon, fixent une durée maximale des surestaries,
terme au-delà duquel le fréteur est libre de lever l’ancre avec la marchandise à
son bord, au besoin en créant un contentieux dont l’issue lui sera certainement
favorable, ou bien il exigera, en fonction de « l’humeur » du marché, des
dommages et intérêts.

Si les surestaries sont une indemnisation du temps d’immobilisation du


navire dans les ports, alors qu’il est censé transporter du fret, les despatch money
constituent une prime accordée par le fréteur à l’affréteur pour lui avoir fait
gagner du temps en faisant montre de célérité.
158 Le droit maritime dans tous ses états

Cette formule originale de rétribution du gain de temps démontre à l’évi-


dence l’importance qu’accordent les fréteurs au facteur temps.
En effet, comme on l’a vu plus haut, les charges fixes d’un navire repré-
sentent un volet tellement lourd dans la gestion d’un armateur qu’il est prêt à
accorder une récompense à celui qui lui fait gagner du temps.
Étant intéressé de la sorte, l’affréteur fera tout ce qui est en son pouvoir
pour réaliser des gains en stimulant à son tour les équipes de manutention à
travers la fameuse « enveloppe » que se partagent le plus légalement du monde s
chefs d’équipes, les grutiers et les hommes de bord et de terre. Il est utile de
souligner que le montant des despatch money est variable, mais il atteint souvent
les cinquante pour cent du montant des surestaries.
Il en est ainsi de l’art. 667 du CMA qui prévoit que le fréteur doit payer à
l’affréteur, sauf convention contraire, une prime de célérité si le chargement du
navire a été effectué par l’affréteur avant l’expiration des jours de planche
prévus par la C/P. Si le taux de prime n’est pas fixé par la C/P, il est égal à la
moitié de la rémunération pour les surestaries.
Quand on sait que les surestaries de certains gros-porteurs se chiffrent à
pas moins de 10 mille Usd la journée, le gain de quelque deux ou trois jours
représente pour l’affréteur une aubaine dont il n’hésitera pas à profiter.
Il faut savoir par ailleurs que les despatch money sont facultatifs ; c’est de la
négociation (selon que le marché soit dépressif, euphorique, ou que le port est
capable ou non de réaliser de bonnes cadences de manutention), que la décision
est prise entre les parties à la convention de prévoir ou non des primes de
célérité.
En outre, la prime est accordée, certes, en fonction du nombre de jours
gagnés, mais sans distinction entre les journées ouvrables et les dimanches ou
jours fériés.
En théorie, l’octroi et le calcul des despatch money paraît simple, mais en
réalité de nombreuses difficultés peuvent surgir, notamment lorsque le navire
gagne du temps au port de chargement et qu’il en gagne également au
déchargement, alors que la C/P a prévu la réversibilité des staries (Infra).
Les attentes imprévues telles que mauvais temps, glace, grèves, fait du
prince, défaut de fonctionnement des engins portuaires, et tout ce qui relève du
cas de la force majeure, peuvent avoir également des incidences sur le calcul des
primes et, en conséquence, sur leur octroi.
Kamel KHELIFA 159

Le terme dommage désigne une perte, un dégât, une avarie, un manquant


qui cause à autrui un préjudice. Comme tel, il oblige celui par qui il s’est produit
à une réparation matérielle ou morale, sous forme de dommages-intérêts, c’est-
à-dire d’un dédommagement évalué en numéraire représentant le montant du
préjudice subi ou le manque à gagner.
Les montants des dommages-intérêts sont fixés par la justice ou bien par
le contrat. En Algérie, les sommes fixées par la justice en guise de dédomma-
gement sont tellement dérisoires, car n’obéissant pas au principe du loyer de
l’argent, qu’il est préférable de fixer préalablement et explicitement le montant
de la réparation à devoir par une partie à l’autre en cas d’inexécution des clauses
convenues.

Comme indiqué précédemment, le fréteur ayant à sa charge la gestion


commerciale du navire, il est, à l’égard de l’affréteur ou du tiers détenteur du
connaissement, responsable des avaries ou manquant survenus à la marchandise.
C’est en tout cas dans ce sens que se prononce le CMA, en vertu de son
art. 698 : « Le fréteur est responsable des dommages subis par la marchandise
embarquée à bord du navire s’il est établi qu’ils sont dus à un manquement de
ses obligations de fréteur ».
Par contre, dans le second alinéa, le législateur algérien énonce que le
fréteur n’est pas responsable de la faute nautique du capitaine ou de ses
préposés. En cela, il reste fidèle à l’esprit de la Convention de Bruxelles (ratifiée
par l’Algérie) qui exclut de la responsabilité du transporteur les fautes nautiques
commises par le capitaine du navire ou les autres préposés.
Dans ce contexte, la législation algérienne est moins favorable à l’endroit
de l’affréteur, qui se trouve être souvent le chargeur algérien.

Dans les affrètements à temps, les dommages subis par le navire soulè-
vent une multitude de questions, dès lors que les frontières, difficiles à cerner
dans le partage de la responsabilité entre le fréteur et l’affréteur, donnent lieu à
de fréquents litiges entre les parties contractantes.
En effet, en droit, le fréteur est supposé être, vis-à-vis de l’affréteur, le
seul responsable des dommages que peut subir le navire en cours de navigation,
160 Le droit maritime dans tous ses états

à partir du moment qu’il reste maître de la gestion nautique du navire (art. 700
du CMA).
Vis-à-vis des détenteurs du connaissement, surtout en cas de dommages
au navire et à la cargaison qu’il transporte (cas d’avaries communes), nous sa-
vons que le fréteur a la possibilité d’invoquer, aux termes de la Convention de
Bruxelles de 1924 et de l’art. 803 du CMA, les cas d’exonération de la respon-
sabilité du transporteur, dont le nombre varie selon les législations, pour autant
qu’elles soient favorables aux transporteurs ou aux chargeurs.
Ainsi, la convention précitée a prévu 19 cas exceptés, le CMA 12, le
CCM 10, la Loi française 9, la Loi marocaine 6. À la faveur de ces cas d’exoné-
ration !, le fréteur, qui est en réalité le transporteur, est exonéré de sa responsa-
bilité, par exemple si le capitaine commet une faute dans la navigation. À
l’examen du CMA, on ne peut que déplorer le fait que son contenu fasse la part
belle au fréteur, comme si l’Algérie était un pays de frètement. Les articles 701.
702 et 703 en sont à cet égard de bonnes illustrations. Jugeons-en par le
contenu résumé de l’art. 703 :

« Le fréteur n’est pas responsable envers l’affréteur des obligations


contractées par le capitaine dans les conditions prévues aux articles 701
et 702,… et des fautes commerciales commises par le capitaine ».

En pratique, c’est davantage dans les opérations commerciales du navire


(chargement, déchargement, arrimage, saisissage, etc.) que se pose le plus grand
nombre de problèmes.
S’il est admis dans les C/P à temps que l’affréteur soit responsable de l’état
du navire, du fait qu’il doive le faire conduire, avec la cargaison qu’il transporte,
dans des ports sûrs, il est moins évident que sa responsabilité puisse se justifier
lorsque les commandes du navire relèvent d’un capitaine qu’il n’a pas engagé
lui-même.
Ainsi, l’art. 711 du CMA fait obligation à l’affréteur de restituer le navire
au fréteur aux dates et lieu indiqués à la C/P dans l’état où il a été cédé à
l’affréteur ; l’usure normale exceptée.
À la lecture de cet article, une question légitime s’impose aussitôt à l’es-
prit : Quel sens le législateur entend-il donner aux termes « état et usure nor-
male exceptée ». S’agit-il de l’état de conduite, d’ordre et de propreté du navire
ou de biens qu’il ne doit pas endommager ?
Le CMA gagnerait, dans le cadre des relivraisons de navires, à lever
toutes les zones d’ombre qui émaillent tous ces points.
Kamel KHELIFA 161

En règle générale, le fret est payé durant tout le temps que le navire est à
la disposition de l’affréteur. Le montant du fret et les modalités de son appli-
cation doivent être précisés dans la C/P. En l’absence de convention, ce qui est
fort rare, le fret est payé d’avance par périodes d’un mois. « Le fret payé d’avan-
ce n’est pas considéré comme acquis à tout événement » (CMA, art. 708, alinéa
2). Ce qui signifie concrètement que cette somme d’argent ne servira exclusive-
ment qu’à payer le fret. Le principe régissant la responsabilité en matière de
temps perdu repose sur la notion du paiement du fréteur pour toute la durée
que le navire est à la disposition de l’affréteur, qu’il soit employé ou pas. II ap-
partient par voie de conséquence à ce dernier de veiller à une utilisation ration-
nelle et judicieuse du navire afin de permettre au fréteur de faire face à ses dé-
penses d’exploitation courante, comme déjà indiqué dans la daily cost du navire.
Du reste, l’art. 707 du CMA pénalise lourdement l’affréteur si l’inaptitude du
navire provient de son fait ou par la faute de ses préposés. En ce cas, en effet, le
fréteur a droit, outre le paiement par l’affréteur du montant du loyer, à une in-
demnisation convenable en compensation du temps perdu. Cependant, lorsque
la perte de temps est imputable au fréteur, du fait de la non-utilisation commer-
ciale du navire, notamment pour panne technique, déficience d’hommes ou
toutes autres raisons analogues, le fret n’est pas dû durant toute la période où le
vapeur est immobilisé (art. 710 du CMA). Cette clause, contenue dans la plupart
des C/P, s’appelle clause de suspension de tout loyer payé d’avance sera révisé au
prorata du nombre de jours de retard occasionné. Toutefois, l’art. 719 introduit
une nuance de taille confirmant la tendance du CMA à être par trop favorable à
l’égard du fréteur, en ce sens que cette clause n’est pas de nature à limiter les
inévitables palabres qui s’ensuivent si l’affréteur ne prend pas suffisamment de
précautions quant aux clauses de suspension de loyer qui doivent être expressé-
ment et spécifiquement mentionnées dans la C/P.
En effet, aux termes de cet article, le fréteur est responsable de tout
dommage résultant d’un retard qui lui est imputable ou de la perte du navire ou
du fait qu’il est devenu irréparable, à moins qu’il ne prouve que ces événements
soient survenus sans aucune faute ou négligence de sa part ou de quelqu’un
pour qui il est responsable. Dans un tel cas de figure, le partage des risques
entre les parties à la convention devient à coup sûr inévitable.

En règle générale, dans l’affrètement au voyage, les parties au contrat


prévoient des clauses de responsabilité, notamment celle du fréteur à l’égard de
l’affréteur, pour perte, manquant et avarie des marchandises. C’est en partant
du principe que le fréteur est tenu de présenter et de maintenir le navire en bon
162 Le droit maritime dans tous ses états

état de navigabilité, ce qui suppose que celui-ci doit être convenablement armé
pour affronter les périls de la mer, que le sens de responsabilité du fréteur
prend une certaine signification, principe qui est clairement affirmé par l’art.
652 du CMA et confirmé par l’art. 653. Celui-ci stipule : « le fréteur est respon-
sable des dommages subis par les marchandises reçues à bord par le capitaine
en exécution des dispositions de la C/P ». Donc, en cas de dommage à la mar-
chandise, cette disposition est censée faire peser sur le fréteur une présomption
de responsabilité pleine et entière. Pourtant, aux termes du § 2 de l’article
précité, le législateur relativise cette responsabilité en stipulant que

« le fréteur peut se libérer de cette responsabilité lorsqu’il prouve, soit


qu’il a satisfait à ses obligations de fréteur, soit que les dommages ne
proviennent pas d’un manquement à ses obligations, soit que les pertes
et dommages sont dus à la faute nautique du capitaine ».

Une telle stipulation nous confirme, si est besoin est, combien est grande
la propension de ce code à favoriser le fréteur, qui est souvent le transporteur,
au détriment de l’affréteur, généralement le chargeur. Même la Common Law, ré-
putée être proche des positions des fréteurs-transporteurs, n’a pas retenu une
telle thèse, dès lors que selon cette législation, qui se rapproche sur ce point du
droit américain (Cogsa), stipule que « le fréteur encourt une responsabilité abso-
lue, qui joue indépendamment du fait qu’il s’est montré raisonnablement
diligent en mettant le navire en bon état de navigabilité ».
Mais l’état de navigabilité du navire ne doit pas constituer une fin en soi,
puisque certaines législations prévoient, avec justesse, que le fréteur doit en plus
garantir la sécurité de la marchandise qui lui est confiée. Force est de constater
que l’étendue de cette obligation est totalement occultée par le chapitre II du
CMA consacré à l’affrètement au voyage, alors que, paradoxalement, en matière
de transport sous connaissement (art. 738 et suivant du CMA) la responsabilité
du transporteur est clairement et largement étendue depuis la préhension de la
marchandise au port de provenance jusqu’à sa livraison au réceptionnaire au
port de destination.
En général, les clauses des C/P exonèrent le fréteur de sa responsabilité
pour les pertes et avaries dues à tous les cas de force majeure, desquels sont
exclus le mauvais arrimage, le manquement ou sa négligence personnelle ou
celle de ses préposés, etc.
Ces cas d’exception, que la Convention de Bruxelles a fixés au nombre
de 16, dont beaucoup sont tout à fait discutables, comme évoqué plus haut, ne
dispensent pas fondamentalement le fréteur de la diligence raisonnable, que les
Règles de Hambourg ont repris à leur compte pour en faire le fondement de la
nouvelle optique des règles de responsabilité. On laisse de côté ici les Règles de
Rotterdam dont le contenu n’a pas encore été ratifié par le nombre requis de
pays.
Kamel KHELIFA 163

Rappelons au préalable que la remise de la marchandise suppose deux


actes à ne pas confondre : l’un juridique couvert par la notion de livraison, et
l’autre physique se traduisant par la délivrance de la marchandise. À la différence
du transport sous connaissement, généralement effectué en lignes régulières,
dans lequel les deux actes, juridique et physique, peuvent s’effectuer avec un
certain intervalle, dès lors que le transporteur a la garde de la marchandise
jusqu’à son retrait par le réceptionnaire pendant un temps déterminé (Art. 739
du CMA), dans les transports sous C/P le destinataire accomplit la livraison et
la délivrance presque instantanément.
En effet, en application des clauses de nombreuses chartes-parties types
(sauf si la volonté des parties en convient autrement), la responsabilité du fré-
teur à l’égard de l’affréteur s’arrête au point de bastingage du navire, car le fret
est en général traité sous palan. Ceci implique une reconnaissance au débarque-
ment de la marchandise par le manutentionnaire qui sera mandaté par son ayant
droit.
Notons également que dans les transports en lignes régulières le manuten-
tionnaire opère systématiquement pour le compte du transporteur, à la diffé-
rence du transport en tramping pour lequel, lorsque le contrat est conclu en fob,
le manutentionnaire est requis obligatoirement par les soins du destinataire réel
de la marchandise.
En conséquence, si des avaries ou manquants sont constatés au débar-
quement, le manutentionnaire doit aussitôt notifier par écrit ses réserves au
capitaine du navire, qui les accepte, sans quoi la marchandise est présumée « dé-
barquée conforme » au contenu et à l’état déclarés dans le titre de transport. Si
le pointage ou le constat contradictoire fait apparaître des divergences sur l’im-
portance ou la nature de l’avarie, susceptibles de se transformer en litige entre le
transporteur et le manutentionnaire, une expertise peut être régulièrement
convoquée par l’une des parties qu’elle doit porter à la connaissance de l’autre.
Dans l’hypothèse où le préposé du transporteur ne se présente pas à la
convocation ou qu’il n’a pu engager à son tour une expertise contradictoire, les
conclusions du rapport fait par le commissaire d’avarie, engagé par le manuten-
tionnaire, est opposable au transporteur.
Dans le cas contraire, c’est le manutentionnaire qui assumera à l’égard de
l’ayant droit de la marchandise qui a requis ses services une responsabilité
délictuelle quant aux manquants ou avaries éventuels.

S’il est généralement admis que le connaissement est le seul document


utilisé dans les transports de lignes régulières, il n’en est pas de même pour les
transports réalisés sous l’empire d’un contrat d’affrètement. En effet, celui-ci
164 Le droit maritime dans tous ses états

présente la particularité de pouvoir utiliser des chartes-parties comme docu-


ment de transport régissant les rapports contractuels entre fréteur et affréteur,
mais également des connaissements. Tant que le connaissement est entre les
mains du fréteur et de l’affréteur, il ne peut constituer qu’un simple reçu de la
marchandise. Mais, dans les rapports entre l’affréteur et le tiers porteur, le
connaissement sort du cadre du contrat de transport et acquiert une autre
fonction, à savoir de titre de propriété de la marchandise.
Une chose est sûre, il est fréquent que les connaissements accompagnent
souvent des C/P, soit comme titre représentatif de la marchandise, soit en tant
que preuve de la réception de la marchandise entre les mains du fréteur, soit
encore comme contrat de transport venant suppléer ou préciser la volonté des
parties exprimée dans la C/P. Il convient de souligner que cet état de choses ne
va pas sans poser parfois des conflits, de surcroît lorsqu’il existe des contra-
dictions entre les clauses des C/P et du connaissement.
Précisons tout de suite que le CMA, en son art. 693, a tranché la question
résolument : « A l’affrètement au voyage, les rapports entre le fréteur et l’affré-
teur restent régis par les dispositions de la C/P, même si, en vertu de cette
charte, un connaissement a été émis ». Quid juris des rapports entre le fréteur et
le porteur du connaissement ? En l’espèce, le CMA reste étrangement muet…
S’agissant d’un pays de chargeurs, comme nous n’avons cessé de le dire, cette
attitude ne contient pas moins de risques dans la mesure où les contrats d’affrè-
tement sont conclus par des courtiers basés dans des places fortes du courtage
international qui auraient tendance à vouloir tirer des profits de l’incapacité de
certains pays à maîtriser les arcanes et subtilités des clauses implicites, voire
irrationnelles, tant décriées par les pays chargeurs.
Ceci étant, il n’est pas superflu de rappeler que le connaissement est avant
tout un reçu des marchandises entre les mains du transporteur, puis devient un
contrat de transport lorsque la marchandise a été chargée, et, enfin, un titre de
propriété de la marchandise, détenu à un moment donné par un porteur qui se
présentera au transporteur en vue de prendre possession de sa marchandise. Si,
à travers les siècles, l’usage a conféré au connaissement un rôle incontournable
dans les échanges internationaux, y compris au niveau du crédit documentaire,
ce document ne pouvait a fortiori que confirmer cette vocation en matière de
transport, qu’il soit de lignes régulières ou en tramping.
Et ce n’est pas sans raison que la plupart des C/P contiennent des
dispositions relatives à l’émission d’un connaissement dont le contenu est
incorporé dans lesdites C/P.
Dans un tel contexte, il importe que les parties contractantes veillent à
éviter les contradictions entre la C/P et le connaissement, notamment au plan
de la responsabilité du transporteur, faute de quoi il y aurait nuisance à la clarté
du droit et au lieu d’être complémentaires, les deux documents seraient en
concurrence stérile.
Kamel KHELIFA 165

Selon une règle généralement connue, le fréteur n’a pas intérêt à émettre
un connaissement dont les stipulations seraient en contradiction avec celles
contenues dans la C/P. En effet, dès que le connaissement quitte les mains de
l’affréteur, le fréteur se trouve de facto engagé vis-à-vis du tiers porteur quant
aux différentes clauses que pourrait contenir le connaissement, notamment les
temps de planche, les surestaries, le fret, etc. ; évidemment si toutes ces
dispositions y figurent spécifiquement. En cas d’absence ou d’omission de
référence au connaissement dans la C/P, nous avons vu que le CMA dispose en
règle que le connaissement est de nul effet dans les rapports entre le fréteur et
l’affréteur, mais d’autres codes, comme le droit Scandinave prévoit qu’un tel
document doit être émis à la demande du chargeur.
Dans de telles circonstances, le fréteur, lorsqu’il craint d’avoir à assumer
une responsabilité pénalisante, de par le contenu du connaissement, s’entoure
d’un certain nombre de précautions en guise de compensation. Il en est ainsi par
exemple des frets : lorsque le montant prévu dans le connaissement est infé-
rieur à celui prévu à la C/P, le fréteur prévoit d’exiger la différence à la signature
du connaissement, c’est-à-dire avant le commencement du voyage. La situation
est un peu plus complexe quand il s’agit de dispositions relatives aux surestaries,
dont le taux est inférieur dans le connaissement par rapport à la C/P.
Au port de chargement, le fréteur a toujours la possibilité, lorsqu’il
constate que l’affréteur a dépassé le temps de planche prévu, d’exiger de ce
dernier un droit de gage sur la marchandise.
En revanche, la question est un peu plus ardue lorsque le problème se
pose à destination.
Dans ce cas, le fréteur, qui risque de perdre le gage sur la marchandise,
s’arrange avec l’affréteur pour l’insertion dans la C/P d’une disposition devant
le prémunir du conflit qui pourrait naître de l’application du contenu des
clauses du connaissement au détriment de celles de la C/P
Mohamed LAAZIZI
Docteur en Droit Maritime et aérien, Directeur de la SMDM SA (DEFMAR)

Si depuis toujours, les intérêts des assureurs maritimes et des transpor-


teurs de marchandises par mer se trouvent par nature diamétralement opposés
quand il s’agit d’avaries à la cargaison, la question de la freinte de route en droit
marocain ne devrait pas les diviser, en ce que cette freinte constitue à la fois un
risque exclu de la couverture par la police d’assurance maritime sur facultés et
en même temps une cause exonérant le transporteur de marchandises en
général et le transporteur maritime en particulier de toute responsabilité1.
Avant le 01.11.1992, date d’entrée en application des Règles de Hambourg2
les tribunaux marocains admettaient en matière de transport de marchandises
en vrac, l’exonération du transporteur maritime de toute responsabilité pour
freinte de route, lorsqu’en l’absence de toute faute du transporteur maritime, les
manquants relevés à la livraison sur ce genre de marchandises ne dépassaient
pas 1 % de la quantité indiquée au connaissement3.
Depuis l’entrée en vigueur des Règles de Hambourg, les tribunaux maro-
cains refusent cette exonération, au motif que positions de cette convention, ne
prévoient pas une telle exception en faveur du transporteur. Les armateurs et
leurs Mutuelles d’Assurances (P&I Clubs) ont résisté fortement à cette position
des tribunaux et après un long combat judiciaire, ils ont pu obtenir :
– En 2005, la réadmission de l’exception de Freinte de route en faveur
du transporteur maritime, par extension au transport maritime d’une
disposition applicable au transport routier de marchandises.
– En 2007, la première décision judiciaire admettant la déduction auto-
matique de la freinte admise par les usages locaux applicables au port

1 Voir définition de la freinte de route in P. Bonassies et C. Scapel, Traité de Droit Maritime, LGDJ
2 édition n° 1087 p. 741 et n°1319 p. 906 et sur le rappel historique, P. J. Hesse, Droits Maritimes,
Dalloz Action, 2e dition 2008.
2 Voir Mohamed Laazizi, Les Règles de Hambourg et la responsabilité du transporteur Maritime de Mar-

chandises : esquisse d’une évolution », Thèse de Doctorat en Droit ; Université de Nantes, 1987, p. 70.
3 Voir par ex CA Casablanca, arrets du 12.3.1974 et 29.04.1980 non publiés, cités par Mr Younes

Bennouna in « la responsabilité du transporteur maritime » (ouvrage rédigé en Arabe) p. 59 et


suite ; CA Casablanca arrêt n° 3315, du 03.11.2010, Navire « Agia Kyriaki », non publié.
168 Le droit maritime dans tous ses états

de déchargement mais dont le taux doit être recherché par les


tribunaux.
– En 2010, un arrêt de la Cour Suprême, devenue aujourd’hui la Cour
de cassation, qui a décidé que le taux de freinte de route ne peut être
déterminé sans prendre en considération plusieurs paramètres in-
cluant, entre autres, la nature de la cargaison, les conditions de trans-
port, la distance du voyage, etc.

Depuis cette date, les tribunaux marocains ordonnent systématiquement


des expertises judiciaires afin de déterminer dans chaque cas si, par référence
aux critères fixés par La Cour
Suprême, les manquants relevés constituent ou non une freinte de route,
exonératoire de toute responsabilité du transporteur maritime de marchandises.

Les cargaisons en vrac sont sujettes du seul fait de leur transport à une
perte de poids ou de volume en raison de leur nature, de leurs caractéristiques,
de leurs taux d’humidité, des conditions de leur transport sous forme de vrac,
de phénomènes naturels d’évaporation, etc.4.
Ces pertes sont augmentées pour certains produits par les dispersions
inévitables à quai de la marchandise pendant ses opérations de chargement et
de déchargement.
Ces pertes à quai qui sont souvent attribuables à la surcharge des wagons,
des camions et autres moyens utilisés pour l’enlèvement de la cargaison, au dé-
faut d’étanchéité des bennes de déchargement, sont dues parfois aux défail-
lances des instruments de pesage ainsi qu’au défaut de précision et d’étalonnage
des ponts-bascules portuaires.
Comme les tribunaux marocains ne considèrent comme livrée que la
quantité déterminée par pesage officiel lors du passage des moyens d’enlève-
ment sur les ponts bascules portuaires, au moment de la sortie de la cargaison
de l’enceinte portuaire, les pertes à quai, survenues après le déchargement du
navire et avant le pesage des camions évacuateurs, font souvent l’objet de
recours contre le transporteur maritime, même s’il n’est pas responsable de ces
pertes survenues postérieurement au déchargement où cessent sa garde et nor-
malement sa responsabilité sur la cargaison. Par le passé, ces pertes se

4 V William Tetley, Marine Cargo Claims, second edition, p. 119.


Mohamed LAAZIZI 169

trouvaient pour la plupart absorbées par la freinte de route 5 , fixée par les
tribunaux marocains à 2 %, avant l’entrée en vigueur de Règles de Hambourg6.
Comme cette freinte n’entraînait ni la garantie des assureurs facultés,
s’agissant d’un risque exclu, ni la responsabilité du Transporteur Maritime
s’agissant d’une cause d’exonération de toute responsabilité, les réclamations
pour manquants inférieurs à ces 2 % se trouvaient automatiquement éliminées.
Ce n’est qu’après l’entrée en vigueur des Règles de Hambourg que ces réclama-
tions ont refait surface, et alimentent actuellement le plus gros du contentieux
suscité par le transport de marchandises par mer au Maroc.

Malgré l’application au Maroc depuis 01/11/92 des Règles de Hambourg


qui ne mentionnent pas expressément la freinte de route comme cause d’exo-
nération de toute responsabilité du transporteur maritime, les réclamations
amiables pour manquants inférieurs à 2 % de la quantité déclarée au connaisse-
ment ont été rejetées pour la plupart.
Seulement dès 2000, le rejet des réclamations sur cette base, commence à
être contesté par les ayants droit à la marchandise et leurs assureurs.
En faveur de cette contestation, les intérêts cargaison font valoir, d’une
part, que le transporteur maritime doit prouver que ces manquants sont
exclusivement imputables à la nature de la cargaison, et ils estiment, d’autre part,
que le niveau de cette freinte ne devrait pas dépasser 0,5 % de la quantité de la
marchandise déclarée au connaissement.
En 2002, la Cour suprême marocaine, suivant cette argumentation, a
annulé une décision d’appel qui a exonéré le transporteur maritime pour freinte
de route, au motif que l’exonération du transporteur maritime n’est pas auto-
matique et que le transporteur doit prouver que les manquants sont exclusive-
ment dus à la nature de la cargaison et à ses conditions de transport, et non pas
à une faute ou à une négligence du transporteur ou de ses préposés.

En raison de cette jurisprudence défavorable aux transporteurs, les desti-


nataires et leurs assureurs ont multiplié les saisies de navires, soit pour obtenir

5 Appelée aussi déchet de route voir R. Rodière et E. du Pontavice, Droit Maritime, 12e édition,
Précis Dalloz n° 373.
6 Voir supra CA Casablanca du 12.3.1974 et 29.04.1980 non publiés, cités par Mr Y. Bennouna in

« la responsabilité du transporteur maritime » (ouvrage en Arabe, p. 59 et suite) ; C.A. Casablanca


arrêt n° 3315, du 03.11.2010 Navire Agia Kyriaki, non publié ; pour des taux de freinte similaires
admis en France V. M. Remond Gouilloud, Droit Maritime, Pedone 1988 n° 588 p. 336.
170 Le droit maritime dans tous ses états

une caution susceptible de garantir l’exécution des jugements déjà rendus en leur
faveur soit, à titre conservatoire pour garantir l’indemnisation de tous man-
quants « prévisionnels », à constater éventuellement sur les cargaisons à la fin
du déchargement.

Cette situation de saisies quasi systématiques des navires est devenue


intolérable pour les transporteurs maritimes et les armateurs, qui voyaient leurs
navires saisis avant même la fin du déchargement.
Les ayants droit à la cargaison procèdent à ces saisies, souvent la veille
des congés de fin de semaine, sur la base de simples rapports d’expertise, pré-
sumant que le déchargement, qui n’est pas encore terminé, se solderait par des
manquants.
Ils invoquent souvent pour justifier ce genre de saisie, le fait que le navire
n’opère pas en lignes régulières, et le risque pour eux de perdre leur recours
contre le transporteur maritime en cas de manquants à la terminaison du
déchargement, si le navire ne dépose pas de garantie avant son appareillage.
Heureusement que la Cour Suprême, après un long débat judiciaire, a
rendu le 14/12/2005 un arrêt reconnaissant au transporteur maritime son droit
à l’exonération de toute responsabilité pour freinte de route, par extension de
l’application au transport maritime d’un texte général du code de commerce,
régissant le transport routier de marchandises7.
Par la même occasion, les assureurs facultés peuvent parfaitement en se
basant sur cette jurisprudence, rejeter toute demande d’indemnisation pour
freinte de route, qui constitue un risque exclu de leur garantie.
Il s’agissait en l’occurrence du texte de l’article 461 du Code de
Commerce Marocain, qui dispose ainsi :
« 1 / Pour les choses qui, à raison de leur nature subissent généralement
un déchet de poids ou de volume par le seul fait du transport, le
transporteur répond seulement de la part du manquant qui dépasse la
tolérance déterminée par les usages.
2 / La limitation de responsabilité prévue à l’alinéa précédent ne peut
être invoquée, s’il est prouvé d’après les circonstances de fait, que la
perte ne résulte pas des causes qui justifient la tolérance ».

7Voir Cour Suprême (Ch. com.) Arrêt 1283 du 14.12.2005, Dos Cial 2005/1/3/214 Wafa
Assurances C/ Navire Agia Kiriaki /non publié.
Mohamed LAAZIZI 171

Étendant ainsi au transport maritime cette disposition du code de


commerce général, applicable au transport routier, la Cour Suprême a décidé
que le transporteur maritime avait le droit, lui aussi, de bénéficier de
l’exonération de toute responsabilité pour freinte de route au même titre que le
transporteur routier.

Cependant, la Cour Suprême Marocaine si elle en a fixé les critères, n’a


pas fixé pour autant le taux de cette freinte. Elle a laissé le soin de le faire, à
juste titre aux juridictions du fond.

La question demeure alors entière, afin de déterminer d’une part quel est le
taux de cette freinte, et d’autre part, à qui incombe la charge d’en rapporter la
preuve

Compte tenu des différences entre les usages et les pratiques portuaires,
ce taux de freinte sera différent d’un port à un autre, en fonction du type de
produit en vrac sec ou liquide (grains, céréales, fertilisants, pétrole, huiles…) des
zones géographiques (Atlantique, Méditerranée…) et des tolérances admises par
chaque port.

Dégager un taux uniforme de freinte de route dans ces conditions paraît


extrêmement difficile.

L’hésitation relevée au niveau des juridictions du fond accentuera ces


incertitudes.

Par arrêt8 rendu le 19/06/02, dans une espèce ou les manquants représen-
taient 2,06 % de la quantité de la marchandise déclarée au connaissement, la
Cour suprême a refusé l’exonération du transporteur maritime pour freinte de
route, au motif que le transporteur maritime doit prouver que ces manquants
sont dus à la nature de la marchandise et qu’ils se situent dans la limite des
tolérances admises par les usages locaux applicables au port de déchargement.

8 Cour Suprême Arret du 19.6.2002 navire « SUPERBA » non publié.


172 Le droit maritime dans tous ses états

Plus récemment, la Cour suprême décidant en sens inverse a rendu le


04.10.2006 9 une décision affirmant que le transporteur maritime n’a rien à
prouver, qu’il est exonéré de toute responsabilité lorsque les manquants sont
inférieurs à la tolérance admise par les usages locaux et que la preuve contraire
incombe au destinataire qui doit prouver alors que les manquants sont dus en
fait à une faute ou une négligence du transporteur maritime.

Le 11/07/2007, la Cour suprême a rendu une autre décision10, affirmant


que ces usages doivent être prouvés par la partie qui les invoque.

D’après la Cour Suprême, le transporteur maritime n’a pas à prouver


l’usage et c’est au tribunal qu’il appartient de vérifier l’existence de cet usage par
tous les moyens disponibles.

Depuis cet arrêt, les tribunaux procèdent systématiquement à la désigna-


tion d’experts judiciaires chargés de rechercher ces taux de freinte.

Cinq ans après l’arrêt du 14.12.2005, ayant décidé l’extension de l’appli-


cation de l’art 461 du code de Commerce aux transports maritimes, le trans-
porteur de marchandise par mer et l’assureur maritime de façon indirecte ne
bénéficient toujours pas avec certitude du bénéfice de la freinte de route.

Il faut en fait attendre fin 2007 pour trouver une timide application en fa-
veur du transporteur maritime (1) avant que les tribunaux ne réintroduisent le
doute en confiant aux experts judiciaires la mission de fixer ces taux de freinte (2).

Dans une espèce où les manquants représentaient 4,7 % de la quantité


déclarée au connaissement, la Cour d’appel de Casablanca par arrêt du
2.01.2006 a refusé au transporteur maritime le bénéfice d’exonération de toute
responsabilité pour freinte de route.
Le transporteur maritime s’est pourvu en cassation contre cette décision
devant la Cour suprême au motif, notamment, que s’agissant d’un cas où le
manquant est supérieur au taux de freinte, cette freinte doit être déduite auto-

9 Sur l’arrêt attaqué, voir Cour d’appel de Casablanca 12.12.2005 Dossier n° 9/2004/5310, Navire
« BONASIA », non publié.
10 Sur Jugement de rejet confirmé en appel, voir Tribunal Commercial de Casablanca, jugement

2004/945/ du 05.2.2004, Dos 6/03/, navire « ANNA OLDENDORF », non publié.


Mohamed LAAZIZI 173

matiquement, et la responsabilité du transporteur maritime doit être limitée aux


manquants excédant cette tolérance.

Le 13/11/07, la Cour suprême, faisant droit à ce pourvoi en cassation, a


annulé cette décision et renvoyé le dossier devant la cour d’appel autrement
constituée afin qu’il y soit statué conformément à la loi.

Le 28.10.2008, la cour d’appel de Casablanca, statuant sur renvoi après


cassation à la lumière de l’arrêt rendu le 13.11.2007 par la Cour suprême, a
déduit des manquants relevés à la livraison 2 % à titre de freinte de route, a
réduit le montant de la condamnation du transporteur maritime à DH. 4077, 64
et a limité la responsabilité du transporteur maritime aux manquants qui
dépassent cette freinte de 2 %.

Ce fut la première fois à notre connaissance qu’un tribunal a reconnu au


fond, que dans le cas de manquants excédant la tolérance admise par les usages
locaux applicables au port de déchargement, le transporteur maritime ne pouvait
être tenu responsable que pour la partie des manquants, excédant cette tolérance.

Il semble que la formation de la Cour d’appel ayant rendu l’arrêt du


02.1.2006 considère que le bénéfice de la freinte de route est acquis automati-
quement si les manquants n’excèdent pas le taux de 2 % toléré par les usages.

Elle considère cependant que dès que les manquants excèdent le taux de
freinte, le bénéfice de l’exonération tombe. Le transporteur devient alors res-
ponsable de la totalité des manquants, sauf s’il prouve que le taux de freinte est
en réalité de 4,7 % et non pas 2 %.

La Cour Suprême n’est pas de cet avis. Elle considère que la Cour d’ap-
pel doit scinder les manquants relevés en deux parties : une partie correspon-
dant aux tolérances d’usage qui doit être automatiquement déduite ; et une
partie excédant cette freinte, qui seule doit engager la responsabilité du trans-
porteur. Elle considère que la Cour d’appel qui a omis de procéder à cette
opération, n’a pas mis en mesure la Cour Suprême de contrôler la bonne
application de l’article 461 du Code de Commerce.

La cour de renvoi l’a bien compris. Elle a déduit le taux de 2 % et limité


la responsabilité du transporteur aux manquants excédant la freinte de 2 %.

Or, cette évolution de la jurisprudence marocaine, amorcée vers une


uniformité souhaitée des solutions, n’allait être que de courte durée, car bientôt
les tribunaux se contenteront de désigner des experts chargés de dire si les
174 Le droit maritime dans tous ses états

manquants réclamés constituent ou non une freinte de route, exonératoire de


toute responsabilité du transporteur

En effet, depuis 2010, la Cour suprême estime qu’il n’est pas possible de
déterminer à l’avance un taux de freinte de route, sans tenir compte dans
chaque cas d’espèce, de la nature de la cargaison en question, de ses conditions
de transport et de manutention, des conditions climatiques, de l’état de la mer
et de la distance du voyage, etc.11.

Or, au lieu d’en faire une obligation personnelle, de rechercher eux-


mêmes le taux de freinte retenu par les usages de chaque port, ces tribunaux ont
commencé à nommer des experts judiciaires, chargés de dire si oui ou non, les
manquants entrent dans le cadre de la freinte de route, exonératoire de toute
responsabilité du transporteur maritime.

Dans ces conditions, il y a une grande incertitude qui menace l’existence


même de cette règle de freinte, admise pourtant depuis longtemps, tant en
matière d’assurances maritimes sur facultés qu’en matière de transport de mar-
chandises par mer. Cette freinte admise par les usages devrait être uniforme pour
chaque port et pour chaque genre de marchandise. Or dans le contexte actuel
où la détermination de ce taux de freinte dépend de l’expérience de l’expert
voire de son bon vouloir, le résultat peut changer de façon significative selon
les conclusions de l’expert judiciaire nommé, puisque certains experts peuvent
fixer ce taux de freinte à 1 %, alors que d’autres peuvent l’estimer à 1,5 %, voire
à 0,5 % ou même à moins que 0,2 %.

Certes, la Cour Suprême a décidé que les tribunaux doivent vérifier l’exis-
tence des tolérances d’usages dans chaque port de déchargement, en fonction
de paramètres bien précis, afin d’appliquer correctement l’art 461 du Code de
Commerce et limiter la responsabilité du transporteur maritime aux seuls
manquants excédant cette freinte de route.

11Voir par ex Cour Suprême. CH.COM. Arrêt n° 235 du 11.2.2010 Dossier Commercial
2008/1/3/733 Navire « Anna Oldendorf » non publié.
Mohamed LAAZIZI 175

Cependant, les tribunaux en déléguant à des experts judiciaires la mission


de déterminer ces taux de freinte, risquent de se décharger totalement et entière-
ment de cette tache sur ces experts qui de ce fait se substituent aux juges pour
dire le Droit.

En outre, et c’est peut-être le plus grave, au lieu de rechercher les usages


de chaque port et de rechercher le taux de freinte admis par ces usages, ces ex-
perts s’appuient pour la fixation des taux de freinte sur leurs propres expériences.

Il en résulte une ambiguïté inextricable car ces taux différents d’un expert
à un autre, dépendent de l’expérience personnelle de l’expert, et il n’est pas
impossible de trouver, compte tenu de cette différence d’opinions entre experts,
divers taux de freinte s’appliquer à des transports similaires (même marchandise
ayant effectué le même voyage, à une même époque entre les mêmes ports.)

Outre son absence d’objectivité, cette approche aboutit à cette situation


scandaleuse où les experts se substituent en réalité aux tribunaux pour décider
des taux de freinte et dire le Droit en lieu et place des juges.

Si incontestablement, les juges peuvent se faire assister par les experts,


c’est uniquement pour la recherche des usages existant et des tolérances admi-
ses par ces usages et rien de plus.
Ils ont un droit, voire un devoir, de regard sur les conclusions de ces
experts. Ils ne peuvent pas les laisser fixer les taux de freinte à leur guise, et en
fonction de leur expérience, en lieu et place des Usages.
Créer le Droit est l’œuvre du législateur. Dire le Droit est une obligation
personnelle des tribunaux. Déléguer l’une ou l’autre aux experts reviendrait à
déformer leur mission, à encombrer les tribunaux d’un lourd contentieux dont
ils pourraient bien se passer, et à ressusciter le spectre des saisies de navires qui
risquent de plomber notre activité économique et notre compétitivité portuaire.

Est-il besoin de rappeler que l’expert n’est pas un juge et n’a pas à se
prononcer sur les responsabilités. Sa mission est d’ordre purement technique.
Elle doit se limiter à déterminer la cause, l’étendue et la valeur des dommages.

Il ne faut pas oublier que la raison d’être de cette freinte de route est
certes d’assurer un partage équilibré des risques entre les intérêts navire et les
intérêts cargaison, parties à l’aventure maritime. Il faut se souvenir, que sa rai-
son d’être sur le plan pratique est d’alléger les opérateurs et les tribunaux de la
gestion d’un contentieux lourd et coûteux, résultant d’un événement inévitable,
d’un risque de perte, dépourvu d’aléa ; c’est-à-dire un risque qui n’entraîne, ni la
garantie des assureurs, ni la responsabilité des transporteurs et qui est bien pris
en considération dans les contrats de vente entre vendeurs et acheteurs.
176 Le droit maritime dans tous ses états

La communauté portuaire, les intérêts cargaisons et les intérêts navires


gagneraient à travailler ensemble sur les moyens capables d’améliorer la com-
pétitivité portuaire qui se veut saine, rationnelle et optimale ainsi que leur qua-
lité de services, par des actions communes de prévention des dommages, afin
de livrer la marchandise à temps, sans manquants ni avaries, et de s’éviter mu-
tuellement des pertes inutiles de temps et d’énergies.
Mostapha AMRI
Professeur habilité à diriger des recherches (HDR)
à l’École Nationale de Commerce et de Gestion de Casablanca

Le transport maritime, et depuis longtemps, constitue le mode du trans-


port le plus important dans la dynamique économique des nations et des échan-
ges internationaux (assure plus de 80 % du trafic du commerce mondial). Ce
rôle n’a cessé de se confirmer avec le développement des entreprises mondiales
(entreprises en réseaux) et des interdépendances entre les pays et les régions
dans le cadre de la mondialisation.
De son côté, le transport/logistique maritime, et pour accompagner ces
mutations économiques structurelles, a connu des progrès considérables et à
tous les niveaux :
– Des progrès techniques, notamment avec le développement de la con-
teneurisation, la mise en service des navires de nouvelle génération
(porte-conteneurs,…), la mise en place des hubs logistiques por-
tuaires de regroupement et de diffus des flux,… ;
– Des progrès en matière de gestion et d’organisation de l’activité, no-
tamment par le développement des pratiques logistiques maritimes
dans le sens large (transbordement, autoroutes maritimes, transport
multimodal,…), et des progrès en matière de droit 1 à la recherche
d’une « régulation globale » de toute l’activité maritime.

Mais malgré toutes ces mutations et innovations, l’activité du transport


maritime se heurte, encore, à de nombreux problèmes qui perturbent son bon
fonctionnement.

Dans le présent écrit, nous allons nous focaliser sur un phénomène


particulier « perturbateur » de l’activité qui est celui de la « fraude maritime ».

1Depuis les premières conventions dans le cadre des règles de Bruxelles de 1924 jusqu’aux
nouvelles Règles de Rotterdam (RR) proposées ces dernières années.
178 Le droit maritime dans tous ses états

Un certain nombre de questions peuvent être, ainsi, soulevées à propos


de ce problème particulier.
– pourquoi ce phénomène de délinquance (fraude) existait-il et se déve-
loppera, davantage, dans le transport maritime ? Est-ce dû à un man-
que de règles juridiques/conventionnelles spécifiques au phénomène
« fraude » dans le droit maritime actuel ? Ou les règles juridiques
existent, mais sont moins pertinentes en termes de lutte contre le
phénomène ? Ou le comportement frauduleux existe fortement dans
le secteur maritime, par comparaison aux autres activités (activités éco-
nomiques et autres modes de transport), et ce en raison de la com-
plexité du secteur (diversité d’intervenants, nature de l’activité,…) ?
Ou il existe d’autres facteurs cachés derrières l’apparition de ce genre
de criminalité et qu’il faudrait dévoiler et maîtriser ?
– Peut-on évaluer les conséquences des manœuvres frauduleuses sur les
différents acteurs intervenant dans le transport maritime de marchan-
dises (transporteur, chargeur, assureur, banque, État, tiers,…) ?
– Comment est perçue, à présent, cette délinquance (la fraude dans le
transport maritime) dans les dispositifs juridiques nationaux et inter-
nationaux (dans le cadre de l’OMI, la CCI, la BMI, la CNCED,…) ?.
Sont autant de questions qu’on pourrait se poser sur la notion de
« fraude », comme comportement « parasite » qui a, certainement, des
conséquences lourdes sur l’activité maritime et sur les économies des
pays. C’est dans ce sens que nous proposons dans le cadre de cet
ouvrage collectif sur le « droit du transport maritime », cette thémati-
que intitulée : « La lutte contre la fraude dans les transports de
marchandises : essai d’analyse sur le cas du transport maritime ».

Pour aborder, cette question, nous suivrons le plan suivant :


Dans un premier temps, nous allons essayer de donner une idée générale
sur la notion de la fraude, et voir ses particularités lorsqu’on se placera dans le
transport maritime de marchandises (paragraphe A).
Dans un deuxième temps, nous présenterons les principales formes que
peuvent prendre les comportements frauduleux dans le domaine du transport
maritime de marchandises (paragraphe B).
Et enfin, nous tenterons d’identifier les principales mesures (à caractère
juridique et autres) retenues, à présent, pour lutter contre cette délinquance
dans le transport maritime (paragraphe C).
Mostapha AMRI 179

Le terme « fraude » est difficile à définir2 car il recouvre une multitude de


notions et d’idées selon le champ d’application et les circonstances dans les-
quels il s’est développé. On pense souvent aux fraudes fiscales, électorales, aux
assurances ou encore à la fraude au consommateur, autant d’affaires qui sont
largement médiatisées. Ce sont d’autres fraudes, pourtant toutes aussi coûteuses
pour la société, qui nous intéressent dans cet écrit comme le cas de la fraude
dans le transport maritime de marchandises.

Si l’on se reporte à la définition donnée par le dictionnaire juridique, la


fraude est « un acte accompli dans l’illégalité, consistant à tromper délibérément,
à soutirer de l’argent contre la volonté de quelqu’un ou à falsifier intention-
nellement un document, et portant atteinte aux droits ou aux intérêts d’autrui ».
Du point de vue historique, les pratiques de la fraude existaient depuis
longtemps3. On parlait de la fraude commerciale et industrielle depuis la ré-
volution industrielle (l’histoire de la première révolution industrielle a montré
comment les continentaux se sont inspirés des techniques britanniques et com-
ment les marchands ont contourné blocus et barrières protectionnistes). De
même, la diversification des thèmes de l’histoire économique a depuis mis plus
nettement l’accent sur les comportements économiques « déviants » : A titre
d’exemples, dans le domaine de l’argent, les historiens de la banque ont mis au
jour des pratiques « louches » dans des fausses monnaies. Les historiens de l’in-
novation, de leur côté, se sont attachés à reconstituer une histoire des brevets et
donc de la propriété technologique. De même l’histoire des marques et de
l’image de marque est devenue une constituante de l’histoire de l’entreprise.
Le comportement frauduleux n’a cessé de changer et de s’adapter avec le
temps. On note, dans ce sens, des nouveautés, aussi bien, dans les manœuvres
frauduleuses pratiquées (utilisation des nouvelles technologies d’information et
de communication, appel à des compétences dans la programmation des actes
frauduleux comme le cas des fraudes dans les domaines de l’assurance et de la
fiscalité, élargissement de son champ d’application : par exemple si la piraterie
avait commencé, dans un premier temps, avec le transport maritime au moyen
âge, alors, elle se pratique, aujourd’hui, dans d’autres secteurs comme celui de
l’informatique, on parlait de la piraterie des données informatiques, etc.) que
dans le but recherché (les fraudeurs agissent, aujourd’hui, pour plusieurs rai-

2 A.-M. Boisvert, « La fraude criminelle : sommes – nous allés trop loin ? », 1995, 40 Mcgill R.D,
415 p (cité par S. Kelci, « Vol, fraude et autres infractions semblables et internet », Lex Electronica,
Vol 12, n° 1, printemps/spring 2007, p. 2)
3 AFHE et CHEFF, « Pour une histoire de la fraude et de la contrefaçon », Colloque (Résumé

des communications), 3-6 novembre 2004, 36 p.


180 Le droit maritime dans tous ses états

sons : pour financer des compagnes électorales, des actes terroristes ou pour
fausser des circuits d’une concurrence loyale, etc.).
Le législateur a tenté d’encadrer les actes frauduleux, en grande partie,
dans le paquet du droit pénal (appropriations frauduleuses comme l’escroquerie,
l’abus de confiance, le recel des choses,…). Il les considère comme des actes
volontaristes et dangereux à l’égard des victimes cibles et à toute la société.
À titre d’exemple, dans le code pénal marocain, on trouve toute une série
d’articles incriminant les comportements frauduleux (articles Art 5054, Art 5085,
Art 5716,…), il est de même pour le code pénal français (articles Art 311-17, Art
313-18, Art 314-19,…).
Dans ce qui suit, nous allons nous limiter à l’étude des manœuvres
frauduleuses dans le domaine du transport maritime.
Alors qu’en est-il des spécificités des comportements frauduleux dans le
transport maritime de marchandises ?

Bien qu’il n’existe pas de définition universellement admise, l’expression


« fraude maritime » désigne généralement tout acte « malhonnête » en rapport
avec les affaires maritimes.

4 Art 505 : « Quiconque soustrait frauduleusement une chose appartenant à autrui est coupable de
vol et puni de l’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 200 à 500 Dhs ».
5 Art 508 : « Sont punis de la réclusion de vingt à trente ans, les individus coupables de vol com-

mis sur les chemins publics ou dans les véhicules servant au transport des voyageurs, des corres-
pondances ou des bagages, ou dans l’enceinte des voies ferrées, gares, ports, aéroports, quais de
débarquement ou d’embarquement, lorsque le vol a été commis avec l’une au moins des
circonstances visées à l’article 509 (si le vol : a été commis avec violence…, a été commis la nuit,
a été commis à l’aide d’escalade…, si le voleur est un ouvrier ou apprenti, de la maison, l’atelier
ou magasin de son employeur,…) ».
6 Art 571 : « Quiconque, sciemment recèle en tout ou en partie des choses, soustraites, détournées

ou obtenues à l’aide d’un crime ou d’un délit, est puni de l’emprisonnement d’un à cinq ans et
d’une amende de 200 à 2000 Dhs, à moins que le fait ne soit punissable d’une peine criminelle
comme constituant un acte de complicité de crime prévu à l’article 129. Toutefois, le receleur est
puni de la peine prescrite par la loi pour l’infraction à l’aide de laquelle les choses ont été
soustraites, détournées ou obtenues dans tous les cas où cette peine est inférieure à la peine
prévue à l’alinéa précédent ».
7 Art 311-1 : « Le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ».
8 Art 313-1 : « L’escroquerie est le fait soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit

par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvre frauduleuse de tromper une
personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers,
à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un
acte opérant obligation ou décharge ».
9 Art. 314-1 : « L’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice

d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à
charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ».
Mostapha AMRI 181

Dans une brochure intitulée : « Guide pour la prévention de la fraude


maritime », la Chambre de Commerce International (CCI) a donné plus de
précision sur la notion de fraude maritime en la considérant comme :
« la situation où l’une de nombreuses parties à une opération du
commerce internationale qu’il s’agisse de l’acheteur ou du vendeur, du
propriétaire du navire, de l’affréteur, du capitaine et son équipage, de
l’assureur, du banquier, du courtier ou l’agent -parvient- par la tromperie
et l’illégalité (en se servant d’une manœuvre frauduleuse) à obtenir de
l’argent ou des marchandises »10.

De ces définitions, certaines caractéristiques relatives au comportement


frauduleux dans le domaine maritime peuvent être notées :
– Du fait du nombre important d’acteurs intervenant dans le domaine du
transport/logistique maritime (communauté maritime), et ayant, sou-
vent, des objectifs et des intérêts divergents (destinataire/transpor-
teur 11 , vendeur/acheteur 12 , vendeur/banque 13 , armateur/assuran-
ce 14 ,…), le risque d’apparition du comportement frauduleux serait
élevé, et il peut être émané de n’importe quel intervenant de cette
communauté maritime (soit de manière individuelle ou soit de
manière collective) ;
– Le transport maritime est une activité, en grande partie, internationale
et donc le risque de frauder serait aussi important en raison du man-
que du climat de confiance entre les différents opérateurs qui ne se
connaissaient pas souvent auparavant (aujourd’hui, il est, par exem-
ple, difficile de disposer des données suffisantes et précises sur des
entreprises fournisseuses ou clientes qui ne cesseront de changer en
continu leurs stratégies : fusions, alliances, éclatements, changement
total ou partiel de l’activité,…), et aussi en raison du manque d’un
cadre juridique unifié et universel (problème de conflits de lois)

10 CNUCED, « Inventaire et analyse des mesures envisageables pour réduire le cas de fraude et
de piraterie », Genève, 23 novembre 1983, p.1.
11 Fraude de genre « détournement de la marchandise » par le transporteur pour la vendre à son

profit avant l’arrivée à destination.


12 Fraude de genre « escroquerie » lorsque, par exemple, le vendeur est payé d’avance (Credoc), et

il n’a pas respecté volontairement les conditions du contrat de vente (déclaration de faillite,
entreprise fantôme,…). La fraude peut provenir, aussi, de l’acheteur, si ce dernier refuse de payer
le vendeur en cas, par exemple, où le paiement est prévu par virement, c’est à dire après réception
de la marchandise (disparition de l’acheteur, falsification des documents de réception comme
quoi la marchandise est non forme,…).
13 Fraude de genre documentaire (le vendeur est payé d’avance – cas du crédit documentaire irré-

vocable – sur la base des documents réels ou falsifiés alors qu’aucune expédition n’aura lieu après).
14 Fraude émanant de l’armateur/son équipage en faisant couler volontairement son navire en vue

d’être récompenser par l’assurance (sabordage).


182 Le droit maritime dans tous ses états

incriminant les différents actes frauduleux quel que soit l’auteur et


quel que soit le lieu de leur apparition.
– Les conséquences d’un acte frauduleux dans le transport maritime
sont lourdes (une cargaison détournée ou un navire sabordé sont
souvent estimés à des valeurs importantes).
Dans le paragraphe suivant, nous présentons les principaux délits/crimes
que peut prendre la fraude dans le transport maritime.

La Chambre de Commerce Internationale (CCI) a établi une classifi-


cation des délits de fraude dans le secteur du transport maritime. Elle distingue
plusieurs familles15 :
– La fraude sur documents ;
– La fraude sur « charte-partie » ;
– Les détournements des cargaisons ;
– Et la fraude sur les « vieux navires ».

Alors comment se manifeste-t-il chacun de ces types de fraude ?

Dans le commerce mondial, certains documents (comme le connaisse-


ment, le crédit documentaire,…) jouent un rôle crucial en matière du droit de
possession de la marchandise16 et du droit pour son paiement17.
Une fraude sur ces documents surviendra lorsqu’un acteur ou plusieurs
(transporteur, chargeur,…) seront dépossédés frauduleusement de ce droit
(déposséder de leurs marchandises ou de leur paiement).
Alors quelles sont les situations et les acteurs les plus vulnérables à ce
genre de fraude ?
Comme nous venons de le signaler précédemment et en tenant compte
des cas des fraudes identifiés ces dernières décennies par plusieurs organismes
comme le BMI, la CCI et l’OMI, chaque acteur de la chaîne du transport/
logistique maritime est susceptible d’être victime d’un comportement criminel
dont l’auteur sera un autre acteur opérant dans l’activité maritime ou non (un
tiers à l’activité). Les fraudeurs visent, souvent, les maillons fragiles ou les zones
à grand risque leur permettant de réussir facilement leurs actes criminels.

15 J.-P. Marcq, Risques et assurances transports et logistique, 2e Edition L’Argus, 2011, p. 29.
16 J. Belotti, Le transport international de marchandises, Vuibert, Aout 1992, p. 224.
17 Idem.
Mostapha AMRI 183

À titre d’exemple, un vendeur malhonnête peut frauder facilement dans le


cas d’une transaction commerciale qui est négociée selon les conditions suivantes :
– Vente selon l’incoterm CFR : Cost and freight (c’est le vendeur qui se
chargera de l’acheminement de la marchandise et tout ce qui va avec
jusqu’au port de destination. Il aura donc la possibilité et le temps, s’il
le veut, pour frauder sur la marchandise durant toute cette étape de
navigation) ;
– Paiement par crédit documentaire (c’est-à-dire que le vendeur sera
payé d’avance et donc toute réclamation ultérieure n’aurait pas de sens
lorsque ce dernier est de mauvaise foi et a disparu) ;
– L’acheteur inexpérimenté (débutant, opérant la première fois sur un
marché inconnu, excès de confiance à l’égard d’un client même
habituel,…) ;
– Le transporteur et l’équipage sont supposés de bonne foi (non impli-
quer dans le crime. Si non, on va se trouver avec une fraude
combinée ou organisée entre le vendeur et le transporteur) ;
– Les victimes ne bénéficiant pas des conditions nécessaires pour pou-
voir riposter contre le fraudeur. C’est le cas, par exemple, des
acheteurs des pays en voie de développement, pays où souvent leurs
systèmes juridiques sont limités (manque des textes juridiques et de la
compétence nécessaire pour traiter ce genre de contentieux).

La fraude sur les documents peut prendre plusieurs formes vu le nombre


important et la variété des documents utilisés dans les transactions commer-
ciales maritimes. Nous citons, ci-après, les cas les plus connus :
– Falsification des documents (faux connaissements, faux certificats
d’origine, faux certificats d’inspection sanitaire,…) ;
– Faux documents émanant du vendeur ou de l’acheteur ;
– Faux documents bancaires (fausses lettres de crédit,…) ;
– Faux documents du transport ;…
*Exemples de cas sur la fraude documentaire dont l’auteur est le
vendeur :
– Cas de falsification du connaissement 18 et des documents
d’accompagnement :
La fraude maritime peut résulter du comportement malhonnête du
vendeur. En effet ce dernier peut établir un faux connaissement et

18Exemple de cas : Tentative de vente frauduleuse de 907.850 barils de pétrole en provenance du


Nigeria chargés à bord du « Chevron » : les fraudeurs ont émis un faux connaissement indiquant
comme destinataire de la marchandise « B », et envoyé un télex au commandant du navire
confirmant que cette compagnie était bien consignataire de cette cargaison chargée au Nigeria à
destination de Rotterdam (Cité par Jean-Patrick Marcq, op. cit., p. 30).
184 Le droit maritime dans tous ses états

éventuellement des faux documents qui l’accompagnent (facture de la


vente, police d’assurance maritime, certificat d’origine,…) en utilisant
une formule d’une compagnie maritime connue, ou en inventant une
compagnie fictive, et pour des marchandises inexistantes (ou exis-
tantes avec une quantité et une qualité en dessous de ce qui est prévu
dans le contrat de vente).
Une fois qu’il a contrefait l’ensemble des documents, le vendeur vend
le connaissement, en tant que titre de propriété de la marchandise à
un acheteur de bonne foi qui compte ensuite recevoir la livraison au
port de destination. Quand l’acheteur constate que le navire n’arrive
pas ou arrive sans la marchandise, il découvre la fraude, mais entre-
temps le vendeur a disparu.
Pour appuyer son comportement frauduleux, le vendeur falsifie, sou-
vent, le connaissement en dissimulant la mention sur le manque
signalé par le transporteur (supposé de bonne foi)19.
– Cas de falsification des documents bancaires :
Selon les règles et usages en matière de crédit documentaire (règles
uniformes20 élaborées par la CCI), toutes les parties à une transaction
commerciale internationale traitent sur des documents et non sur les
marchandises. Dans ce sens, si les documents sont conformes au
crédit, la banque du client devra régler le fournisseur comme il est
convenu dans le contrat de vente. Si la CCI a voulu, par l’élaboration
de ces règles, harmoniser et faciliter les paiements internationaux et
donc activer le commerce international, certains vendeurs, de mau-
vaise foi, en profitent de tel acte en se faisant payer sur la base des
documents falsifiés et pour des expéditions truquées ou inexistantes.
Si on fait exception de quelques clients vigilants, il est souvent diffi-
cile de détecter ce comportement frauduleux à temps. Nous présen-
tons, en bas de page, un exemple de cas réel reflétant ce genre de
falsification des documents de paiement21.

19 Il est à noter que ce type de fraude est difficile à identifier par le transporteur lorsqu’il s’agit des
expéditions par conteneur (marchandise préemballée en conteneur avant sa présentation au
transporteur).
20 Acceptation des documents en se basant, juste, sur leur forme (bien remplis et en nombre

demandé). La banque n’a pas l’obligation de vérifier leur authenticité.


21 Exemple de cas : « un commerçant Turc, opérant en Syrie, achète de l’acier en provenance

d’Ukraine, en recourant aux services d’un intermédiaire. L’opération est financée par un crédit
documentaire ouvert auprès d’une banque française au profit du mandataire faisant office de
bénéficiaires. Le crédit est confirmé par une banque turque. Les documents (connaissement de
charte-partie, notamment) sont envoyés et le crédit documentaire est ouvert. Deux mois plus tard,
le même donneur d’ordre dépose une plainte auprès des juridictions turques pour blanchiment,
escroquerie et faux/usage de faux et informe le bénéficiaire qu’il subordonne tout règlement aux
résultats de la procédure pénale. Il refuse alors de lever les documents et s’oppose au règlement
du crédit documentaire ou plus exactement, la banque apéritrice ayant exécuté son engagement,
Mostapha AMRI 185

Ceci étant, on va voir maintenant une autre forme de fraude, cette voici,
l’auteur fraudeur sera le propriétaire du navire ou son affréteur.

La fraude à la charte – partie est commise soit par l’affréteur22 au détri-


ment du propriétaire du navire (par non paiement du loyer), soit par le
propriétaire du navire au détriment de l’affréteur ou des intérêts de la cargaison
par facturation d’un supplément de loyer exorbitant.
Dans les fraudes commises par l’affréteur, celui-ci affrète un navire à
temps (ou à coque nue), avec paiement du loyer à intervalles déterminés. Du
fait de sa qualité de détenteur du navire, il va l’offrir aux tiers (chargeurs,…)
pour le transport du fret, par exemple, soit au voyage ou soit en service régulier.
Pour attirer de la clientèle et appuyer sa manœuvre frauduleuse, l’affré-
teur escroc propose, souvent, ses prestations à des taux de fret avantageux. Une
fois la cargaison chargée, il émet des connaissements, encaisse le fret et cesse de
payer les loyers (le plus souvent, il disparaît ou il déposera son bilan). À ce
moment-là, le navire est chargé et son propriétaire se trouvera dans une posi-
tion délicate et particulièrement pour le cas où les connaissements ont été
signés sans aucune réserve ni mention d’une charte-partie. Dans telle condition,
le propriétaire est tenu de livrer la marchandise à destination.
Pour se protéger contre ce risque, certains armateurs « prudents » exigent
par une clause de la charte – partie que soit seuls émis des connaissements « fret
payable à destination », pour se réserver la possibilité d’un privilège sur les
marchandises en garantie du paiement de leur fret. Mais malgré cette mesure de
vigilance, les affréteurs malhonnêtes arriveront, parfois, à la contourner en
remplaçant simplement les vrais connaissements par d’autres falsifiées portant
la mention « fret payé d’avance » (le changement du connaissement se fait,
souvent, juste après l’appareillage du navire et à l’insu du propriétaire. Ce n’est

considère qu’il n’y avait pas lieu à exécution en raison de la fraude commise à son détriment. Bien
lui en prend, puisque la cour d’appel impose un sursis en attendant l’issue de la procédure pénale
en Turquie en se fondant sur l’article 4 du code de procédure pénale et la règle « le criminel tient
le civil en l’état ». L’arrêt ajoute que comme ce n’était pas l’irrégularité des documents qui avait
conduit le donneur d’ordre à refuser de lever les documents, mais les soupçons planant sur la
légalité de l’opération (le vendeur étant, en apparence, une coquille vide, le navire prétendument
chargé n’existant pas et le connaissement étant faux), l’autonomie du crédit documentaire devait
s’effacer devant la suspicion de fraude. Le commencement de fraude suffit donc à bloquer l’enga-
gement indépendant et irrévocable pris en vertu d’un crédit documentaire » (exemple cité par les
professeurs P. Bonassies et P. Delebecque, « Le droit maritime français », DMF Hors série, n° 16,
juin 2011, p. 99-100).
22 Exemple de cas : Le navire grec « M » chargé de 8 000 tonnes de divers de Marseille à

destination de Mascate a été rappelé par son armateur, les affréteurs à temps n’ayant pas payé le
fret. Revenu au Pirée, il avait déchargé sa cargaison et était disposé à remettre aux ayants droit la
marchandise sur paiement des sommes extravagantes (Cité par J.-P. Marcq, op. cit., p. 31).
186 Le droit maritime dans tous ses états

qu’à l’arrivée du navire au port de destination que le capitaine découvrira


l’échange du connaissement).
Le cas contraire est aussi envisageable, c’est-à-dire, cette voici, c’est le
propriétaire du navire qui sera l’auteur de la fraude et ses victimes seront l’affré-
teur et éventuellement le propriétaire de la marchandise (ce type de fraude est
fréquent en période de récession). Le scénario type est le suivant : un navire
affrété relâche pour des prétendues de réparation dans un port d’escale bien
situé, là où il sera saisi par un « créancier de complaisance » sous prétexte de
factures non réglées. Le navire sera vendu sur ordre de justice. En général, dans
ces conditions, l’acheteur prend le navire libre de toute charge (y compris les
obligations qui résulteraient du contrat d’affrètement conclu par le propriétaire
précédent). Il se révèle ultérieurement que le premier propriétaire, le créancier
de complaisance et le nouveau propriétaire appartiennent tous à la même
société mère.

La fraude peut se manifester, aussi, sous d’autres formes bien organisées


comme les cas de détournement et du vol de la marchandise.

Ce type de fraude concerne essentiellement le vol de la cargaison. Sou-


vent le propriétaire du navire trompe le propriétaire des marchandises en l’ame-
nant à affréter le navire pour transporter ses marchandises à une destination
convenue.
En cours d’acheminement, le navire se déroute vers un autre port où les
marchandises seront vendues au profit de l’armateur. Ensuite, soit le navire sera
sabordé (dans ce cas, la fraude de détournement est combinée avec une autre
fraude de sabordage : action de couler volontairement un navire) ou le faire
disparaître vers une destination inconnue en changeant le nom de propriétaire
officiel et du pavillon d’appartenance 23 . Ces fraudes sont particulièrement
fréquentes dans les régions connaissant des guerres et des troubles civiles et
dont les zones portuaires qui sont mal surveillées, ce qui facilite la vente illégale
des marchandises sans grand risque d’intervention.
Il est à noter que la création des zones franches dans des plates-formes
portuaires favorise, aussi, et à un certain niveau, ce type d’escroquerie dans la
mesure où la surveillance officielle ou les contrôles douaniers sont limités pour
toutes les opérations intéressant les marchandises déchargées et puis

23 Exemple de cas : « Le Canna quitta Hull à destination du Nigeria avec une cargaison de rails de
chemin de fer. Ce navire a disparu mais a été retrouvé sous un autre nom à Beyrouth où
l’équipage tentait de revendre la cargaison » (Exemple Cité par J.-P. Marcq, op. cit., p. 32).
Mostapha AMRI 187

réexportées (spécificités des zones franches : exonérations douanières et donc


moins de présence et de contrôle douanier)24.
Le détournement et la vente de la cargaison peuvent être justifiés, aussi,
par un comportement (sans préméditation) du propriétaire du navire lorsque la
période d’attente au port est excessivement longue (cas par exemple des ports
d’Afrique Occidentale au milieu des années 70)25. Certains propriétaires profi-
tent de cette situation de dysfonctionnement de ces ports pour vendre la
marchandise sous prétexte de récupérer les pertes dues au retard important
supporté (paiement des surestaries,…).
Il est constaté, aussi, que depuis la fin des années 1970, le vol des mar-
chandises a pris de nouvelles dimensions. On dénombre de plus en plus de vols
à main armée : des malfaiteurs s’introduisent à bord des navires, au mouillage et
de nuit, pour y voler des apparaux nautiques, des marchandises en pontée, des
effets personnels, de l’argent de l’équipage menacé par des armes26.

Parmi les autres fraudes importantes identifiées dans le transport de


marchandises maritime, on peut noter, aussi, le cas de la fraude à l’assurance
pratiquée particulièrement par les propriétaires des « vieux navires ».

Ce type de fraude implique le sabordage délibéré des navires souvent


« plus âgés » et en périodes de crise. La victime cible est souvent l’assurance
(c’est une forme de fraude à l’assurance maritime).
La fraude à l’assurance maritime est de nature très diverse. Souvent, elle
comporte une déclaration frauduleuse ou la dissimulation à l’assureur d’un fait
matériel intéressant généralement la valeur de l’objet assuré, et parfois aussi son
existence. Ce genre de fraude peut se produire aussi bien avec l’assurance sur
corps qu’avec l’assurance sur facultés.
Il existe plusieurs variantes de cette forme de fraude :
– Le sabordage d’un navire (même vide) surassuré ce qui permet au pro-
priétaire de réclamer à l’assureur sur corps une indemnité supérieure à
la valeur du navire. Les armateurs recourent à cette pratique lorsqu’ils
se trouvent en situation de difficulté financière (pas assez de fret et

24On constate, pour ce cas, que le risque de fraude peut résulter, aussi, d’une « action managé-
riale » mal encadrée juridiquement (en effet par la création des zones franches, on voulait encou-
rager la délocalisation et activer l’écoulement des flux rapidement, mais sans faire attention, sou-
vent, au risque de fraude qui pourrait en résulter de cette rapidité et ce peu de contrôle
(glissements des produits illicites dans les flux, changement de produits,…).
25 CNUCED, op. cit., p. 14.
26 J.-P. Marcq, op. cit., p. 31.
188 Le droit maritime dans tous ses états

dans la durée) et aussi lorsque leurs navires atteindront un certain âge


(coût d’entretien élevé).
– Le sabordage d’un navire transportant une cargaison surassurée ou fic-
tive qui, en plus de l’indemnisation pour l’assureur sur corps, permet
aussi au chargeur de réaliser un gain similaire en touchant de l’assu-
reur sur faculté une indemnité supérieure à la valeur réelle, laquelle
peut être nulle en cas de cargaison fictive.
– Le propriétaire du navire peut provoquer un naufrage volontaire pour
dissimuler son vol préalablement de la cargaison et sa vente
clandestine27.
– Une autre variante de la fraude par sabordage consiste à organiser un
naufrage fictif, et de faire « réapparaître » le navire ultérieurement
sous un nom et un pavillon nouveau.
– En outre des fraudes par sabordage, il existe de nombreuses formes
souvent citées d’escroquerie à l’assurance sur faculté. L’une d’entre
elles peut se produire quand le volume d’une cargaison assurée a été
volontairement exagéré. Dans ce cas, le destinataire, complice dans la
fraude, peut demander une indemnité à l’assureur pour la non-
livraison d’une partie de la cargaison qui, en réalité, n’existait pas. Ces
fraudes se produisent fréquemment à l’occasion d’une surfacturation
par un vendeur complaisant, à la demande d’un acheteur qui souhaite
obtenir un surplus de devises de sa banque, particulièrement, en
période de contrôle de change.

En dehors des grandes familles de fraude que nous venons de présenter,


et qui concernent particulièrement les principaux acteurs de l’activité du trans-
port maritime de marchandises (armateur, chargeur, destinataire et assureur), il
existe, aussi, toute une autre série de comportements frauduleux ayant pour
origine d’autres auteurs comme ceux qui opèrent dans les ports ou des
auxiliaires du transport ou même des criminels étrangers à l’activité (agresseurs
des zones portuaires,…).
Dans le tableau suivant, nous présentons quelques exemples de ces
nouveaux comportements criminels, leurs auteurs et leurs victimes potentiels.

27Exemple de cas : « L’Avez quitta Singapour pour Bombay avec un chargement de cuivre de
9 000 000 Euros a coulé après une avarie de machine par temps calme au large du Sri Lanka.
L’équipage sain et sauf a été rapatrié sur la Thaïlande où il a disparu. L’enquête a déterminé que la
cargaison avait été déchargée avant la disparition du navire » (Cité par J.-P. Marcq, op. cit., p. 32).
Mostapha AMRI 189

Auteurs fraudeurs Nature de la fraude Victimes potentielles


Agents des ports (privés Établissement des faux documents Acheteur, assureur.
et publics), chargeur, annexés aux connaissements :
transporteur. - reçus d’embarquement pour des
marchandises inexistantes ou de quantité
(et/ou de qualité) inférieure à ce qui est
prévu dans le contrat de vente ;
- faux certificats sanitaires ou d’hygiène
pour des marchandises non conformes ;
- faux certificats de manquement pour des
marchandises qui n’ont pas été livrées,…
Malfaiteurs Vol de la marchandise (en particulier le Acheteur, vendeur,
(agents des ports ou des pillage) dans les zones portuaires, et qui assureur, services
tiers) pourrait être dû à plusieurs défaillances portuaires.
volontairement organisées :
- inadaptation de l’emballage ;
- défaut du système d’entreposage ;
- insuffisance des services de sécurité,…
Agents de contrôle et de Laisser passer, en toute connaissance de État dans toutes ses
sécurité de l’autorité cause, des produits illicites (contrebandes, composantes.
portuaire stupéfiants,…), des passagers
(douane, police,…). clandestins,…
Complicité 28 avec le
chargeur, le
transporteur,…
Source : Élaboration personnelle

Il ressort de ce qui précède que la fraude maritime est un phénomène


complexe et peut prendre plusieurs formes. Elle se produira à chaque fois que
quiconque trompera intentionnellement autrui au sujet d’un fait ou d’une
circonstance liés à des activités maritimes.
Cette complexité peut être vérifiée en la faisant comparer aux autres
catégories de fraudes (en dehors de l’activité des transports et avec les autres
modes du transport).

La fraude maritime, par comparaison aux autres catégories de fraude, est


considérée comme le cas le plus difficile à délimiter et à maîtriser. Plusieurs
raisons, en plus de celles citées précédemment, justifient bien cette difficulté.
Pour clarifier ces propos, nous essayerons de la comparer, sur la base de

28 S. Grault, « Espagne : saisie exceptionnelle de 32 tonnes de hachich dans une cargaison de


melons », AFP, site web consulté le 4 mai 2013 (Cette saisie a eu lieu au port d’Algésiras sur un
camion venant du Maroc. Les agents de contrôle (douane et police) du port de départ marocain
ont été soupçonnés comme complices dans cette affaire du fait de ne pas identifier une cargaison
de telle taille dans un véhicule supposé bien contrôler. Certains de ces agents ont été arrêtés et
d’autres sont encore à la recherche).
190 Le droit maritime dans tous ses états

quelques critères communs, à deux autres catégories de fraude choisies sur des
activités différentes de celle du transport de marchandises maritime. La pre-
mière comparaison va s’effectuer avec une autre fraude couramment connue : la
fraude fiscale, et une deuxième comparaison avec les pratiques frauduleuses
spécifiques aux autres modes du transport (routier, ferroviaire, aérien,…).
Les tableaux suivants synthétisent les deux cas de comparaison.
Tableau n° 3 : Comparaison, sur la base de quelques caractéristiques, entre la fraude maritime et la fraude fiscale

Fraude fiscale Fraude maritime Constats


Auteurs - Contribuable, - Tout acteur de la chaîne Dans le maritime, le nombre
fraudeurs - Contribuable et du transport maritime est de fraudeurs potentiels est
Service du fisc. susceptible d’être fraudeur important (nature de
(plusieurs dizaines) l’activité suppose cette
- Tiers (voleurs, …) multitude d’intervenants).
Cadre - Droit fiscal, - Droit du transport La fraude fiscale est
juridique et - Tribunaux administratifs maritime, relativement bien encadrée.
judiciaire - Droit pénal,
- Tribunaux de commerce,
tribunaux
correctionnels,…
Actes et - falsification des données - Vol ; Les manœuvres frauduleuses
manœuvres comptables. - Détournement ; dans le transport maritime
frauduleux - Sabordage ; sont nombreuses et de
- Fraude documentaire ; nature différente.
- Fraude assurance,…

Contentieux Le fisc et le contribuable - Acteur / acteur opérant Dans le transport maritime,


entre : (auteurs facilement dans le transport les contentieux sont
identifiables) maritime. nombreux et de toute nature
(exemple : (diversité d’auteurs et d’actes
Transporteur/destinataire) frauduleux).
- Acteur opérant dans le
transport maritime/tiers.
(exemple : vol des
marchandises dans les
ports par des personnes
étrangères au métier).
Stratégies Contrôle fiscal (procédure Plusieurs stratégies et Diversité des manœuvres
de lutte claire et bien décrite dans textes de lois dispersés frauduleuses et diversité des
contre les le droit fiscal) (exemples : les règles de la stratégies de lutte contre la
manœuvres CCI29 , du BMI30 , le droit fraude dans le transport
frauduleuses maritime et maritime (manque de
particulièrement dans son synergie et de coordinations
volet pénal,…) entre les stratégies).
Source : Élaboration personnelle

29CCI : Chambre de Commerce Internationale (crée en 1919) représente mondialement les entre-
prises et a pour objectif de favoriser les échanges et l’investissement, l’ouverture des marchés aux
biens et aux services, et la libre circulation des capitaux.
30 IMB : International Marine Bureau (organisme crée en 1981 à Londres. A présent, il a

répertorié des milliers d’actes de pirateries et fraude).


Mostapha AMRI 191

Tableau n° 3 : Comparaison entre la fraude du transport de marchandises maritime


et la fraude dans les autres modes de transport
Transport Routier Transport maritime Transport Arien Transport ferroviaire
Auteurs - chargeur, - chargeur, - passagers, - chargeur,
fraudeurs - transporteur, - transporteur, - malfaiteurs sur terre - malfaiteurs.
Potentiels - destinataire, - destinataire, (autres transporteurs de
- auxiliaires du - auxiliaires du transport, correspondance, tiers).
transport,…, - tiers,
- malfaiteurs (tiers). - agents du port,…
Types de - falsification des lettres - fraude documentaire, - dissimulation des - chargement des produits
fraude de voiture, des carnets - fraude à l’assurance, produits illicites dans le illicites dans la cargaison,
TIR, - fraude à la « charte- bagage, - vol de la marchandise lors
- vol de la marchandise partie », - vol de la marchandise à des étapes de pré et de post
en cours de route, - détournement et vol, terre (aéroport ou chez le acheminement, et dans les
-fraude aux péages31.. - sabordage, transporteur gares ferroviaires.
- vol dans les ports, correspondant à terre).

Victimes - acheteur/vendeur, - chargeur, - acheteur/vendeur - acheteur/vendeur


potentielles - assureur, - destinataire,
- douane, - armateur,
- transporteur. - affréteur,
- assureur,
- douane,
- services portuaires,…
principaux Tabac, alcool, Tout genre de produit. Stupéfiants, métaux Tout genre de produits dans
produits objet stupéfiants. précieux (diamant, or,) les gares ferroviaires de fret.
de la fraude

Coût de l’acte Relativement moyen Très élevé Relativement moyen (des Relativement moyen (vol
frauduleux (risque maximum : perte (cargaisons de grande petites cargaisons, mais partiel de petites quantités).
du camion et de la masse + valeur du navire souvent de grande À présent, on n’a jamais
marchandise) très élevée) valeur) entendu parler d’un
détournement de train ou du
vol d’une cargaison complète
d’un train.
Poids du mode Relativement limité Très important Faible Relativement limité
du transport (plus de 80 %)
dans l’échange
Cadre - Code de la route, - Code maritime, - Droit du transport - Droit du transport
juridique - Code du transport - Droit maritime, aérien, ferroviaire,
encadrant routier, - Règles de l’OMI, de la - Règles de l’IATA 33 et - Règles de l’UIC35.
l’activité - Réglementation des CCI, de la CNUCED,… de l’OACI34.
(principales auxiliaires de transport,
règles) - Règles de l’IRU32,
Exemples de - Nombre d’intervenants - Diversité d’interve- - Nombre d’intervenants - Nombre d’intervenants très
facteurs limité ; nants ; relativement limité ; limité ;

31 M. Amri , « La lutte contre la criminalité dans le transport routier de marchandises en droit ma-
rocain et en droit comparé », Communication dans le cadre du colloque international Logistqua
13, ENSA de Tanger, 30 et 31 mai 2013, p. 9.
32 IRU (Union internationale des transports routiers) : fondée à Genève en 1948, elle a pour

mission de défendre les intérêts des exploitants des camions et les autres moyens du transport
routier en vue d’assurer une mobilité durable des personnes et des biens par tout dans le monde.
33 IATA (Air Transport Association) : Organisation commerciale internationale de sociétés de

transport aérien crée en 1945. Elle a pour mission principale la simplification des facturations
entre les compagnies aériennes et les agents de voyages. Elle prépare, également, des règlements
pour le transport des produits dangereux, les codes et les sigles utilisés dans le transport aérien.
34 OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale) : fondée en 1944, parmi ses missions,

elle adopte les normes et recommandations réglementant la navigation, les brevets du personnel
d’aviation, la circulation aérienne, etc.
35 UIC (Union internationale des chemins de fer) : crée en 1922, elle représente, au niveau

mondial, les entreprises ayant une activité dans le domaine des chemins de fer. Elle contribue
dans leur amélioration, leur compétitivité et leur interopérabilité.
192 Le droit maritime dans tous ses états

favorisant la - Nombre de - Nombre d’escales - Nombre d’escales - Nombre d’escales limité ;


Fraude. correspondances limité ; important (tour du limités ; - Cargaison transportée
- Quantité transporté monde) ; - Cargaison de petite relativement importante et
limitée et souvent de - Cargaison de grande quantité et de produits parfois émanant de plusieurs
produits de même masse et souvent de de même nature ; chargeurs ;
nature ; produits hétérogènes ; - Durée du trajet courte ; - Durée du trajet courte ;
- Durée du trajet - Durée du trajet longue ; - Conditionnement des - conditionnement des
relativement courte ; - conditionnement des produits transportés : produits transportés : wagons
- conditionnement des produits transportés : petits conteneurs spécialisés et conteneurs ;
produits transportés : en presque la totalité en spécialisés et pour des - activité pas fortement
vrac, en frigos, rarement conteneur , 36 produits bien définis ; mondialisée ;
le conteneur, - Activité fortement - Activité mondialisée - Formalisme : simple
- Activité pas fortement mondialisée - Formalise simple.
mondialisée ; - Formalisme : plusieurs
- Formalisme : simple. intervenants, plusieurs
démarches.

Constats Le transport maritime de marchandises, en comparaison aux autres modes de transport, reste l’activité la plus complexe
et la plus difficile à contrôler dans sa globalité (multitude d’intervenants, acheminement de masse et de tout genre de
produit, réglementation dense, variée et en mutation continue,…).
C’est dans ce contexte de complexité de l’activité que se développeraient des zones de risques et d’opportunisme
encourageant les fraudeurs potentiels à intervenir pour en tirer profit.
Source : Élaboration personnelle

La fraude maritime, et vu ses différentes formes que peut prendre et les


conséquences néfastes qui en découlent, est considérée comme l’un des pro-
blèmes majeurs auquel l’activité maritime devra y faire face. C’est dans ce sens,
et depuis les années 80, que plusieurs mesures et stratégies de lutte contre la
fraude maritime ont été mises en place. Certaines de ces mesures ont concerné
le volet réglementaire, d’autres la composante managériale et d’autres les
aspects techniques.
Pour mettre en œuvre ces dispositifs, plusieurs institutions (privés, pu-
bliques, intergouvernementales, régionales,…) ont été créées et d’autres ont été
renforcées par de nouvelles missions en termes de lutte contre les actes cri-
minels comme la fraude maritime. Parmi ces structures et les plus dynamiques,
on peut noter l’organisation maritime internationale (OMI), la chambre de
commerce internationale (CCI) et le bureau maritime international (BMI).
Alors quelles sont les principales mesures prises par chacune de ces
structures dans la lutte contre la fraude maritime ?

*Le rôle de l’organisation maritime internationale dans la lutte


contre la fraude maritime :
La question sur le problème de la fraude maritime était soulevée par
l’OMI depuis la fin des années 70 lorsque le gouvernement libanais, à l’époque,
proposait à cette organisation lors sa onzième session (1979) de prendre des

36 Il est à noter que le conteneur et malgré ses différents avantages en termes de fluidité du trafic
et de préservation de la marchandise, il est en contre partie le moyen de transport le plus risqué
en matière de fraude, et particulièrement pour les expéditions de type CL où le conteneur une
fois est empotée chez le chargeur, il ne pourra être dépoté que chez le destinataire.
Mostapha AMRI 193

mesures efficaces pour prévenir les actes illicites devenant de plus en plus nom-
breux et qui avaient des effets préjudiciables sur le transport maritime interna-
tional et les intérêts des chargeurs, des destinataires, des assureurs, etc.37. À la
suite de cette demande, il se formait un groupe de travail qui avait préparé, en
collaboration avec la chambre de commerce international et pour la première
fois, un projet de texte sur la problématique de la fraude maritime. Ce texte était
adopté par l’OMI lors de son assemblée du 20 novembre 1981 (résolution
A.504 [XII])38. Cette résolution faisait l’objet de plusieurs points de réflexions et
de recommandations pour la maîtrise de la fraude maritime. Dans ce sens :
– Le texte de la résolution reconnaissait le rôle positif que peut jouer
l’autoréglementation par les milieux commerciaux et industriels pour
combattre la fraude maritime (tel l’exemple de la CCI) ;
– L’assemblée avait accueilli favorablement les activités de la CCI et
particulièrement l’idée pour créer un bureau maritime international en
vue de se charger de l’étude et l’analyse de ce genre de crimes relatifs
au transport maritime ;
– La résolution reconnaissait que la mise en œuvre des conventions de
l’OMI et autres instruments internationaux concernant la sécurité ma-
ritime peut contribuer à prévenir la fraude maritime et, par là tous les
gouvernements étaient invités à ratifier les conventions et les
instruments pertinents ;
– Les gouvernements étaient, également, invités à revoir les dispositions
de leur droit national relatives à la prévention et la répression de la frau-
de maritime (prévoir des sanctions pénales appropriées en matière de
fraude maritime ; administrer avec précision leurs registres nationaux
en ce qui concerne les informations sur le transfert de propriété des
navires, le changement de leur nationalité, de leurs noms, etc.) ;
– Dans le cadre de cette résolution, il a été demandé, aussi, aux gouver-
nements et aux organisations internationales compétentes de coopé-
rer entre eux afin d’assurer des actions coordonnées (par exemple par
l’échange d’informations) leur permettant de mieux prévenir et
intervenir rapidement contre tout acte frauduleux.

En outre à ces premières mesures proposées dans le cadre de la résolu-


tion A.504 (XII), l’OMI a adopté, par la suite lors de ses prochaines réunions,
d’autres actions de plus en plus adaptées à de nouveaux cas de fraudes identifiés.
Nous présentons, ci-après, à titre d’exemples d’actions menées par l’OMI en
vue de lutter sur quelques formes de fraudes vécues.

37 Rapport CNUCED, op. cit., p. 14.


38 Rapport CNUCED, op. cit., p. 15.
194 Le droit maritime dans tous ses états

Demandeur(s) Problèmes Date et décisions prises Exemples d’actions proposées


constatés
Suède, Accroissement Le comité de la sécurité - Priant le gouvernement de
Organisations du nombre maritime de l’OMI a mis prendre, prioritairement, toutes
non d’attaques contre au point à sa 48e session les mesures nécessaires pour
gouvernementale les bâtiments de (juin 1983), un projet de prévenir et réprimer les actes de
s, rapports du la marine résolution concernant les piraterie et les vols contre les
BMI. marchande dans actes de pirateries et les navires se trouvant dans leurs
les zones vols à main armée eaux ou à proximité de celles-ci ;
côtières pour perpétrés contre les - Recommandant aux
certaines régions navires marchands. gouvernements et organisations
du monde. intéressés d’informer l’OMI de
tout acte de vol ou de piraterie
contre un navire battant le
pavillon de leurs pays en
indiquant le lieu et les
circonstances de l’événement.
OMI Nouvelles Résolution OMI 39 Encourager la coopération entre
(Pays Membres) pratiques (MSC/Circ. 896 /Rev.1, les gouvernements contractants
dangereuses liées 12 juin 2001) de l’OMI afin qu’ils puissent lutter
au trafic ou au efficacement contre les pratiques
transport de dangereuses liées au trafic ou au
migrants par mer transport de migrants par mer.
OMI Persistance de la Résolution OMI40 Les gouvernements Membres de
(Pays Membres) fraude (Circ. 1089 du 6 juin l’OMI devraient utiliser, et
documentaire 2003) encourager, la pratique des
(exemple : systèmes fondés sur la technologie
falsification des moderne (utilisation du papier
documents infalsifiable spécial, utilisation des
comme les puces intelligentes ou des codes-
brevets des gens barres,…)
de mer,…)
OMI Fraudes sur les Résolution OMI41 Élaboration des guides 42 à
(Pays Membres) navires et les (Circ. 1130 du l’intention des capitaines, des
ports 14 décembre 2004) compagnies et des fonctionnaires
dûment autorisés concernant les
renseignements liés à la sûreté à
soumettre avant l’entrée du navire
au port.

39 Résolution OMI, « Mesures intérimaires visant à lutter contre les pratiques dangereuses liées au
trafic ou au transport de migrants par mer », Circulaire 896/Rev.1 du 12 juin 2001.
40 Résolution OMI, « Recommandations sur les mesures de lutte contre la fraude et les dispositifs

de sécurité contre la falsification des brevets de gens de mer », Circulaire 1083 du 6 juin 2003.
41 Résolution OMI, « Guide à l’intention des capitaines, des compagnies et des fonctionnaires

dûment autorisés concernant les renseignements liés à la sûreté à soumettre avant l’entrée du
navire au port », MSC/Cir 1130 du 14 juin 2004.
42 L’objet de ce guide est de fournir une série normalisée de renseignements liés à la sûreté qu’un

navire est tenu de communiquer avant son entrée au port.


Mostapha AMRI 195

*Le rôle de la chambre du commerce international (CCI) et du


bureau maritime international (BMI) dans la lutte contre la fraude
maritime :
Dans ses travaux sur la problématique de la fraude maritime, la CCI
estime : « …que, dans le commerce international, l’autoréglementation est dans
l’intérêt supérieur de la communauté mondiale du commerce »43. Dans ce sens,
elle a publié une première brochure intitulée : « guide sur la prévention de la
fraude maritime »44, document dans lequel il a été présenté la nature, les formes
et les caractéristiques de la fraude maritime et plusieurs conseils sur les pré-
cautions que devraient prendre les parties au commerce international.
Pour mieux maîtriser le problème de la fraude, la CCI avait créé en 1981
toute une nouvelle structure appelée : le bureau maritime international (BMI).
C’est un organisme non gouvernemental à but non lucratif, conçu comme un
point de convergence et un centre d’information pour les activités concernant
la fraude maritime, devant permettre aux différents participants dans le com-
merce international et aux affaires maritimes de se prémunir contre toute
éventuelle manœuvre frauduleuse.
Plusieurs missions ont été fixées au BMI. Il a été chargé de :
– Prévenir la fraude et les autres pratiques douteuses dans le domaine
des transports maritimes internationaux ;
– Centraliser les renseignements fournis par les différents acteurs et or-
ganisations concernés par le problème de la fraude dans le commerce
international maritime. Les informations collectées constituent, pour
lui, une base de données à partir de laquelle il pourrait proposer des
conseils à ses membres et aux milieux de la navigation en général ;
– Procéder à des enquêtes en cas de fraude ou pratique commerciale
répréhensible, et aider les parties lésées à obtenir des dédomma-
gements ;
– Conseiller les organisations pour la mise en place ou l’amélioration
des systèmes opérationnels et commerciaux susceptibles d’atténuer
leur vulnérabilité à la fraude aux pratiques répréhensibles.

À la lumière de tout ce qui précède, on peut dire, à présent, il existe toute


une série de propositions pour faire face au problème de la fraude maritime.
Les initiateurs de ces actions sont aussi bien des gouvernements que des
organismes non gouvernementaux (CCI, BMI,…).
De manière générale, ces actions peuvent être regroupées en deux
grandes catégories : celles qui sont applicables comme mesures préventives en
vue d’éviter l’apparition de la fraude (dans les points précédents, nous avons

43 « Fraude maritime », 321/243, Rev.1, Déclaration adoptée par le Conseil de l’OMI à sa 137 e
réunion (10 juin 1980).
44 CCI, publication 370, 1980.
196 Le droit maritime dans tous ses états

cité quelques exemples d’actions qui ont été entreprises dans ce sens), et celles à
caractère répressif qui sont applicables au cas où la fraude est déjà commise
(consommée). Les actes de cette deuxième catégorie, qui se présentent dans des
actions réglementaires civiles et pénales, restent, malheureusement à présent,
difficiles à mettre en pratique et ce pour plusieurs raisons :
- Il est difficile de repérer l’auteur frauduleux (disparition) ;
- Le produit financier de la fraude est souvent difficile à identifier et à
récupérer (découverte tardive d’une manœuvre frauduleuse au mo-
ment où l’argent est déjà blanchi, accès interdit aux comptes bancaires
des clients selon la réglementation de certains pays,…) ;
- Problème d’extradition en cas d’identification de l’auteur (les traités
d’extraditions existant sont, généralement, des traités bilatéraux) ;
- Manque des règles uniformes et universelles à caractère pénal applica-
bles contre les actes frauduleux (la fraude maritime peut prendre
plusieurs formes et donc difficile de cadrer le phénomène, problème
de la non-adéquation des codes pénaux des pays au peu de règles
proposées par l’OMI, la CCI, le BMI,…).

En guise de conclusion de cet écrit, nous pouvons dire que le transport


maritime de marchandises (par sa nature) est une activité dont le risque criminel
(comme la fraude) est presque omniprésent. Son déclenchement pourrait être à
l’origine de tout acteur opérant (ou non) dans l’activité maritime.
À présent, de nombreuses stratégies et tentatives ont été mises en place
pour lutter et réprimer ce genre de risque de conséquences, souvent, lourdes sur
toute la communauté maritime et par conséquent sur tout l’environnement
économique et social pour le quel existait.
Le constat montre que malgré ces différentes stratégies, les actes
frauduleux et les actes similaires persistent encore dans le secteur maritime45. À
notre sens, plusieurs raisons justifient ce constat :
– Les actions entreprises à présent et qui émanent de plusieurs organis-
mes (OMI, CCI, BMI, CNUCED, OMC,…) leur manquaient la coor-
dination et l’obligation dans l’application (propositions souvent sous
forme de recommandations) ;
– En matière d’investigation, beaucoup de pays et en l’occurrence les
PVD n’ont pas l’expertise et les ressources humaines ou matérielles
nécessaires pour enquêter sur les problèmes de fraude ;

45 La famille des risques (fraude, vol, détournement et chapardage) représentent, en moyenne,


20 % des sinistres enregistrés par les compagnies d’assurance au niveau mondial (J.-P. Marcq, op.
cit., p. 27).
Mostapha AMRI 197

– Le problème de la fraude implique, souvent, plusieurs pays et donc


on est, souvent, confronté au problème de conflit de juridictions ;
– La sous-capacité et la mauvaise gestion de certains ports encouragent,
à un certain niveau, le développement du comportement frauduleux
(contrôle rapide pour désengorger le port,…) ;
– L’instabilité politique et les guerres civiles encouragent, de leur côté,
et dans beaucoup de régions le trafic illicite (manque de contrôle) ;
– La structure du trafic maritime a fortement changé depuis les années
80 : on est passé d’un transport de cargaisons de masse constituées de
produits relativement homogènes à échanger entre quelques vendeurs
et quelques acheteurs (peu d’escales, opérations facilement contrôla-
bles) à un transport de trafic très hétérogène (petits lots regroupés)
entre plusieurs fournisseurs et plusieurs clients dispersés à l’échelle
mondiale (plusieurs escales, plusieurs opérations de chargement et de
déchargement,…). Dans telles conditions de changement, on peut
dire qu’avec cette nouvelle structure de l’échange maritime (devenant
de plus en plus complexe), le risque de la tricherie sera, naturellement,
plus élevé et donc nécessitera des nouvelles mesures pour le com-
prendre et le contrecarrer.
– Certaines stratégies proposées par l’OMI, la CCI, le BMI, (comme
l’équipement des ports par des moyens de contrôle de haute techno-
logie ou l’adaptation de leur arsenal juridique par des textes réprimant
les actes de fraudes,…) ne peuvent être appliquées au cas des pays
dont l’échange est très limité. Ces derniers estiment que ces projets
d’investissement, souvent très coûteux, seront inutiles (moins
rentables) pour leurs économies de faible participation dans le
commerce mondial ;

À la lumière de tout ce qui précède, et pour lutter, davantage, contre la


fraude et les autres crimes similaires, dans le transport maritime de marchan-
dises, il nous semble important :
– De coordonner entre les actions à entreprendre par les différents in-
tervenants dans le secteur du transport maritime (armateurs, char-
geurs, ports, affréteurs, assureurs, etc.) ;
– De créer des structures coordinatrices de genre BMI par grandes ré-
gions (exemples : région Afrique, région Asie, Région Europe, Région
Amérique). Ces structures auront, par exemple, comme missions
d’effectuer des enquêtes sur les cas de fraudes identifiées dans leurs
régions, d’échanger les données sur les nouveaux comportements
frauduleux, de se réunir selon un calendrier donné pour en discuter
de nouveaux projets, etc. ;
– De renforcer les conventions du transport maritime en matière de
responsabilité pour chaque acteur intervenant (chargeur, armateur,…)
198 Le droit maritime dans tous ses états

lorsqu’il sera incriminé comme « auteur fraudeur » (rendre les règles


encadrant les actes frauduleux uniformes et universelles) ;
– Veiller à assurer un équilibre entre les mesures à entreprendre pour
lutter contre la fraude (propositions du BMI,…) et les règles mana-
gériales/commerciales pour activer la circulation et développer le
commerce mondial (règles de l’OMC,…).
Khalid KHAKHAY
Docteur en Droit Maritime, Capitaine au Long Cours,
Enseignant Vacataire et Consultant Maritime.

L’importance du transport maritime au Maroc n’est pas à approuver, il


est exactement à l’instar des autres pays du monde. C’est un service essentiel
pour le développement économique, puisqu’il assure à peu près 95 % des
échanges commerciaux1.
Étant donné que le développement du transport maritime est condi-
tionné par le développement de l’environnement portuaire, le secteur portuaire
au Maroc a connu ces deux dernières décennies une grande mutation, surtout
avec la création du complexe portuaire de Tanger-Med et l’entrée en vigueur de
la loi 15-02.

Actuellement, presque tous les ports sont administrés par une autorité
portuaire et des exploitants des terminaux, ces derniers ont pour tâche le traite-
ment des navires dans des meilleures conditions et pour objectif : un taux de
rendement très élevé avec optimisation des frais d’exploitation. Chaque termi-
nal réceptionne chaque jour un nombre non négligeable de navire. Or, on re-
marque de plus en plus dans les ports une immobilisation plus ou moins longue
des navires et ce, pour des raisons diverses : saisie, désarmement ou abandon
pur et simple.

Cette immobilisation crée dans les ports maritimes des contrastes, car il
s’y déroule tous les jours une véritable joute entre le droit public et le droit
privé, l’une des sources où la confrontation est certainement la plus vive : Il
s’agit de la saisie conservatoire d’un navire dans un port, ordonnée par les
autorités judiciaires.

La saisie conservatoire n’a pas été définie le dahir formant code de


commerce maritime (DCCM) du 31 mars 1919, mais s’est consacré seulement à

1 http://www.jeuneafrique.com/23579/economie/dossier-transport-maritime-l-afrique-fait-le-
bonheur-des-armateurs/.
200 Le droit maritime dans tous ses états

préciser sa procédure dans son article 110 ; par contre, le projet du (CCM)
version 20072 l’a défini par les termes suivants :

« Par “saisie” il faut entendre toute immobilisation ou restriction au


départ d’un navire en vertu d’une décision judiciaire pour garantir une
créance maritime, mais non la saisie d’un navire pour l’exécution d’un
jugement ou d’un autre instrument exécutoire ».

Le droit maritime connaît deux sortes de saisies : la saisie conservatoire


et la saisie-exécution, la première : tendant à contraindre le débiteur soit au paie-
ment de sa dette soit à la fourniture d’une bonne et valable caution par crainte
de sa déconfiture ou sa fuite, la seconde : constitue une voie d’exécution des-
tinée à recouvrer la créance par la vente du navire. Il existe, par ailleurs, d’autres
types de saisies dites également de blocage (la saisie du fait de prince et la saisie
du fait des mouvements sociaux).

Historiquement, la saisie d’un navire est une institution traditionnelle


dans les pays maritimes. On y parlait jadis de « la mise à la chaîne d’un navire »
un peu comme on parlait de la prison pour cause de dettes, la saisie était con-
nue par le fait de saisir l’avant de l’embarcation avec une chaîne à un bollard du
quai. Récemment, on saisissait avec une chaîne les moyens de propulsions, à
savoir : l’hélice avec le safran du gouvernail pour empêcher le navire saisi de
prendre le large.

Actuellement, c’est une opération très délicate puisqu’on est amené à


changer plusieurs fois de poste ou de quai le navire saisi pour des raisons
d’exploitation et également, pour des raisons de sécurité. Cependant, il est rare
de trouver des postes d’attente au navire saisi pour qui le séjour dure et il
devient, par conséquent, une très grande charge pour le port.

Au Maroc, le Code des obligations et des contrats (DOC) a mentionné la


saisie dans deux articles seulement, 138 et 1231. Pour combler ce vide juridique,
les tribunaux se tournent généralement vers les dispositions du Code de
procédure civile (CPC) du 28 septembre 1974, relatif à la saisie conservatoire.

De ce fait, le DCCM du 31 mars 1919 s’est consacré, dans le chapitre III


(Titre 1er, livre II) à la saisie conservatoire et à la vente des navires, le projet du
CCM jusqu’à nos jours est en voie d’élaboration, selon la version 2007, et où la
saisie conservatoire a été traitée dans le chapitre II (2e livre, titre II).

2Le projet de code de commerce s’est inspiré de la définition de la nouvelle convention de 1999
sur la saisie conservatoire des navires de commerce.
Khalid KHAKHAY 201

La saisie conservatoire des navires de mer a fait l’objet d’une première


convention internationale pour l’unification de certaines Règles, signée à
Bruxelles le 10 mai 19523, Actuellement c’est la convention internationale sur la
saisie conservatoire des navires de mer, du 12 mars 19994 qui devrait remplacer
l’ancienne convention.

En France, le code de commerce ne réglementant pas spécialement la


saisie, les règles générales de la saisie conservatoire du droit commercial ont été
adaptées au navire, jusqu’à ce qu’à la loi du 12 novembre 1955 qui a créé une
saisie conservatoire du droit commun5. Il y a eu, par la suite, la loi n° 5 du
3 janvier 1967 qui se borne à renvoyer au décret n° 967 du 27 octobre 1967 qui
réglemente également la saisie-exécution (articles 31 à 58).

Notre chapitre revêt un caractère très particulier, à savoir qu’une simple


décision judiciaire peut avoir des conséquences lourdes sur les exploitants
portuaires comme le cas de Marsa Maroc (c’est-à-dire une grande perte finan-
cière et une encombrante responsabilité6) voire l’ensemble de la chaîne écono-
mique et sociale d’un pays. Il se limitera à aux préjudices subis par les exploi-
tants portuaires à cause de la saisie conservatoire dans le port de Casablanca, car
ce dernier a connu cette année une vague de saisie conservatoire suite à la
défaillance de l’armateur Marocain IMTC7.

La problématique de notre étude est la suivante : « Pourquoi nos ports


sont en train de devenir des prisons idéales pour les navires en situation liti-
gieuse8 ? Et quels sont les différents préjudices que peut subir un exploitant
portuaire ? ». Pour y répondre à cette problématique, notre chapitre traitera en
première section les généralités sur la saisie conservatoire des navires de
commerce et la deuxième section se consacrera aux différents préjudices subis
par l’exploitant portuaire suite à la saisie conservatoire du navire :

3 Le Maroc a adhéré à cette convention en date du 3 mai 1990, par le dahir n° 1-90-153 du 24
Novembre 2000, BO n° 4898 du 1er mars 2001.
4 Le Maroc n’a ni ratifié ni adhéré à cette convention.
5 R. Rodiere et E. du Pontavice, Droit Maritime, 12e édition 199, p. 166.
6 Etant donné qu’il est responsable de la sécurité au sein de ses terminaux.
7 Ainsi que les armements « COMARIT » & « COMANAV FERRY » dans les ports de Tanger-

Med et NADOR.
8 Selon l’autorité portuaire de Tanger-Med (TMSA), le nombre de navires saisis est de douze

durant les deux dernières années (2011 &2012). Selon l’agence national des ports ANP, le
nombre des navires saisis est de 40 navires se répartissent entre navires de pêche et de commerce,
14 est à sec et 26 est à flot, les ports d’Agadir, de Casablanca et de Nador sont les plus concernés
par cette problématique, les navires saisis représentent 20 % des navires immobilisés aux ports
relevant de la compétence de l’ANP.
202 Le droit maritime dans tous ses états

Les Belges l’appellent « La mise à la chaîne », elle est pratiquée par des
créanciers dépourvus de titre exécutoire qui leur permet d’éviter la disparition
de leur gage. On comprend qu’elle est particulièrement utile sur les navires
étrangers9.

La fréquence du recours à la saisie des navires doit être soulignée : elle


est notamment systématiquement pratiquée à la suite d’un abordage ou une
assistance maritime. Ce trait traduit bien l’esprit du droit maritime ; droit
méfiant où mainte règle est inspirée par le sentiment qu’il vaut mieux tenir que
courir ; droit concret, où l’on tend à favoriser l’action « in rem »10, le lien direct
du créancier avec le navire qui constitue son gage.

Pour que la saisie conservatoire se réalise, elle nécessite des conditions,


qui sont des conditions de forme et des conditions de fond.

L’étude des conditions de forme nécessite l’étude des textes et lois appli-
cables c’est-à-dire selon le droit interne et selon les conventions internationales
sans oublier le droit comparé, et ensuite désigner la juridiction compétente de
point de vue compétence territoriale et compétence d’attribution.

Malgré le fait que la saisie conservatoire soit fréquente, un seul article lui
a été réservé par le DCCM du 1919. L’article 110 se limite à énoncer que
« La saisie conservatoire d’un bâtiment peut être effectuée à toute épo-
que, en vertu soit d’un titre exécutoire, soit d’une autorisation du juge
compétent ; toutefois, cette saisie doit être immédiatement levée s’il est
fourni bonne et suffisante caution. L’autorisation du juge peut être
subordonnée à la condition qu’une caution sera fournie par le
demandeur ».

9 Surtout pour les compagnies dites « One Ship/One Company », c’est-à-dire pour les armements qui
possèdent uniquement un navire, parfois on trouve un propriétaire qui crée pour chaque navire
une société.
10 M. Remond-Gouilloud, Droit Maritime, édition A. Pedonne 1993, p. 178.
Khalid KHAKHAY 203

Par conséquent, la saisie conservatoire se trouve réglementée d’une façon


insuffisante. Pour combler ce vide juridique, les tribunaux se tournent générale-
ment vers le code de procédure civile (CPC), toutefois mal adapté, surtout en ce
qui concerne la nature de la créance servant d’argument pour l’obtention de la
saisie conservatoire. De ce fait, le problème des abus de saisies reste toujours
posé et la mesure peut s’avérer comme moyen de pression insupportable.
Quant au projet de CCM version 2007 s’est rattrapé en s’inspirant de la
convention de Bruxelles du 10 mai 1952 et a traité la saisie conservatoire dans le
deuxième livre, titre II, chapitre II, section 5 (article 128 à 136).

Sur le plan international, la saisie conservatoire est régie par la con-


vention de Bruxelles du 10 mai 1952 intitulée « Convention pour l’unification
de certaines règles sur les saisies conservatoires des navires de mer ». Elle est
applicable dans tout État contractant, à tout navire battant pavillon d’un État
contractant. Elle est également applicable dans certains cas aux navires battant
pavillon d’un État non contractant.
L’application de la convention de Bruxelles de 1952 est assez fréquente
étant donné qu’une soixantaine d’États l’ont ratifiée (cas du Maroc) ou y ont
adhéré.
Toutefois, bien que nécessaire, cette convention s’est révélée insuffisante.
En effet, une partie importante de la communauté maritime ne l’a pas ratifiée.
C’est le cas par exemple des États-Unis, du Canada, de la Russie, du Japon, du
Liberia, etc. Cette insuffisance a conduit les pays membres à élaborer une
nouvelle convention internationale sur la saisie conservatoire des navires,
adoptée par la conférence diplomatique des Nations Unies et de L’OMI le
12 mars 1999. À travers cette convention, les dispositions de la convention de
Bruxelles de 1952 ont été remaniées, ordonnées et clarifiées.
Après cette brève présentation de la réglementation encadrant de la saisie
conservatoire, nous allons se pencher sur l’étude de la juridiction compétente.

La juridiction compétente se compose de deux compétences : la première


est la compétence d’attribution, la deuxième est la compétence territoriale.
204 Le droit maritime dans tous ses états

La compétence d’attribution peut être considérée comme étant l’aptitude


que peut recevoir tel tribunal pour instruire et juger un procès11.
L’article 110 du DCCM du 31 mars 1919 n’a pas désigné la juridiction
compétente pour autoriser la saisie conservatoire du navire de commerce et s’est
limité à prévoir que celle-ci peut être effectuée à toute époque en vertu soit d’un
titre exécutoire, soit d’une autorisation du juge compétent. Pour combler cette
omission, on recourt à l’article 148 et à l’article 452 du code de procédure civil.
Il faut souligner que selon cette compétence, le président de tribunal est
sollicité de rendre une décision provisoire qui ne touche pas le fond du droit
(mesure d’urgence).

Le principe de la compétence territoriale est posé par la vieille règle « Actor


sequitur forum rei » en vertu de laquelle le tribunal compétent est en principe celui
du défendeur. Cette règle a été consacrée par l’article 27 du CPC qui dispose :
« la compétence territoriale appartient au tribunal du domicile réel ou élu du
défendeur ».
Cependant, cet article prévoit que si le défendeur n’a pas de domicile au
Maroc, mais y possède une résidence, il appartient au tribunal de cette
résidence ; et si le défendeur n’a ni domicile, ni résidence au Maroc, il pourra
être traduit devant le tribunal du domicile ou de la résidence du demandeur ou
l’un d’eux s’ils sont plusieurs.
Le DCCM n’a pas soulevé cette question et laisse le champ libre à
l’application des principes généraux en matière de compétence territoriale.
En droit français, cette question est réglée par les dispositions de l’article
211 du décret de 1992.
Après avoir abordé d’une manière succincte les conditions de forme de
la saisie conservatoire, nous allons traiter les conditions de fond de cette saisie.

11S. Amehmoul, La saisie conservatoire du navire en droit Marocain, imprimerie Najah El Jadida,
édition année 2007, p. 97.
Khalid KHAKHAY 205

Pour pouvoir saisir conservatoirement un navire, plusieurs conditions de


fond doivent être remplies, à savoir les conditions tenant au navire et au
débiteur ainsi que les conditions tenant à la créance et au créancier.

Le navire est un bien meuble d’une nature juridique particulière. Il est


parfois l’entreprise de travail d’une personne physique. Il est l’objet d’une
nationalité et il arrive que même l’État en soit l’exploitant. Il peut perdre la vie,
ce qui advient lorsqu’il devient épave. Il est sujet à dédoublement de person-
nalité dans la mesure où il est en même temps la propriété d’une personne et se
trouve entre les mains d’une autre pour son exploitation.

Le navire susceptible d’être saisi selon la procédure conservatoire est


celui qui pratique habituellement la navigation maritime telle qu’elle est définie
dans l’article 1er du DCCM qui correspond à l’article 9 du projet du CCM et
l’article 110 du même dahir qui reprend les termes de la convention internatio-
nale de Bruxelles de 1952, Cette saisie conservatoire ne concerne que les navires
de commerce qui pratiquent la navigation internationale transportant des
marchandises ou des passagers à l’exception des navires de pêches, de plaisance
et des plates-formes pétrolières12.
En ce qui concerne la pluralité des navires, le DCCM du 1919 n’a pas
traité cette question par contre le projet de CCM, l’article 102 a repris les termes
de la convention de Bruxelles de 1952.

Les différents débiteurs sont de deux catégories à savoir : le débiteur est


le fréteur, propriétaire du navire et le débiteur est l’affréteur du navire.

La convention internationale aussi bien que le DCCM autorisent la saisie


du navire pour les dettes du fréteur, propriétaire mais avec une condition. En
effet, il faut que la créance soit maritime au sens de l’article 1 de cette
convention.

12 F. Hatimy, « OUASSIT », in Le droit Maritime Marocain, 1re partie, p. 253.


206 Le droit maritime dans tous ses états

Il est bien évident que cette saisie va préjudicier aux intérêts de l’affréteur
à temps qui exploite commercialement le navire, car elle entraîne un arrêt, plus
au moins durable de l’exploitation, mais les conséquences de l’immobilisation
du navire provoquées par la saisie conservatoire devront être réglées d’après les
termes de la charte-partie qui, vraisemblablement, les fera supporter au fréteur
propriétaire.

Il y a lieu d’appliquer les termes de la convention de Bruxelles de 1952, la


saisie du navire affrété à temps est incontestablement possible, dès lors que la
créance invoquée contre l’affréteur est une créance maritime. Cette convention
ne distingue pas si la saisie est possible même lorsque le contrat d’affrètement a
pris fin, le navire se retrouvant entre les mains de son propriétaire.

En droit interne, la saisie du navire pour dette de l’affréteur est conçue à


cause du principe de l’unité et de la personnalisation du patrimoine13. Le projet
du CCM, propose d’accepter la saisie conservatoire de navire pour dette de l’af-
fréteur, en s’alignant sur les dispositions de la convention de 1952 (voir article
134).

Le navire et le débiteur sont des éléments déterminants sur lesquels le


juge se base pour ordonner la saisie conservatoire, sans oublier qu’il prend aussi
comme référence la créance et le créancier.

La saisie conservatoire des navires se caractérise par deux traits : d’une


part, l’urgence n’est pas ici requise, à la différence du droit commun où l’article
148 du CPC exige que la mesure demandée soit d’urgence. Elle est tout
simplement présumée. Le navire en cause étant toujours suspect de larguer ses
amarres et prendre inopinément la mer. D’autre part, le créancier saisissant n’a
pas à justifier d’une créance évaluée avec précision, vu la lenteur de l’expertise
qui est incompatible avec la rapidité nécessaire pour l’efficacité de la procédure.

Au Maroc, la créance doit être certaine, mais la certitude exige deux


autres caractéristiques : La liquidité et l’exigibilité, conditions exigées seulement
dans le cadre de la saisie-arrêt. Cette exigence est compréhensible dans la
mesure où la saisie-arrêt prive le saisi de l’usage de l’objet saisi qui est l’argent,
alors que dans une saisie conservatoire ordinaire pratiquée dans le cadre de
13 La conception personnaliste du patrimoine, elle limite les saisies uniquement aux biens
appartement au débiteur alors même qu’ils seraient détenus par les tiers.
Khalid KHAKHAY 207

l’article 452 du CPC, le saisi continue à détenir, utiliser, en fait jouir de la chose
objet de cette mesure.

En France, l’autorisation de saisie peut être accordée dès qu’il est justifié
d’une créance paraissant fondée dans son principe14.

Pour pouvoir saisir selon la convention de Bruxelles de 1952, il suffit


d’une simple allégation de créance, ce qui est très favorable au créancier ; le juge
peut autoriser la saisie conservatoire sans avoir à vérifier la réalité du droit de
créance invoqué contre le débiteur ; mais, en revanche, la convention ne permet
la saisie que pour des créances maritimes appartenant à une liste exhaustive-
ment fournie par l’article 1 alinéa ; cette créance doit se rapporter soit à
l’exercice d’un droit réel sur le navire, soit à l’exploitation de celui-ci.

Le DCCM de 1919 n’exige aucune condition de la créance objet du


fondement de la saisie conservatoire ce qui nous mène à conclure que la nature
maritime de la créance n’est pas une condition nécessaire pour que le créancier
puisse saisir le navire. Il suffit juste qu’il justifie d’une créance paraissant fondée
en son principe ou d’une créance certaine. Par contre, le projet à corriger cette
faille en lui consacrant l’article 130 qui reprend les termes de l’article premier,
aliéna 1°, de la convention internationale de Bruxelles de 1952.

La jurisprudence Marocaine a confirmé la tendance du DCCM, en


exigeant du demandeur de fournir les bases fondement de sa créance quelle que
soit sa nature, pour que le juge puisse recherche les éléments de la certitude de
la créance.

Le créancier saisissant doit remplir les conditions nécessaires pour enta-


mer une action en justice, à savoir la capacité, la qualité et l’intérêt, la capacité
ne pose aucun problème, quelques remarques concernant la qualité et l’intérêt.

En qui concerne la qualité, le droit interne reste muet sur cette question.
Par contre la convention désigne par « demandeur » dans l’article 1 alinéa 4 une
personne invoquant à son profit l’existence d’une créance maritime ; et par une
personne, elle désigne toute personne physique ou morale, société de personne

14DMF mars 2002 n° 624 : Créance permettant la saisie. Convention de Bruxelles de 1952.
Créance de remboursement d’un emprunt obligataire (non). Arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-
Provence (2e Ch. com.). 26 octobre 2001. Observation J.-P. Remery, p. 265.
208 Le droit maritime dans tous ses états

ou de capitaux ainsi l’État, les administrations et établissements publics (article


1 alinéa 3).

Pour exercer une action ou une voie d’exécution, il faut un intérêt à agir
(article 3 du CPC). En effet, la question d’intérêt reste attachée au pouvoir
discrétionnaire du juge qui, suivant les circonstances de chaque affaire, doit
estimer l’existence ou l’absence de l’intérêt à protéger.

L’étude des conditions de forme et les conditions de fond de la saisie


conservatoire sont d’une importance capitale, mais, il s’avère nécessaire de la
compléter par une description de sa procédure.

La saisie conservatoire est ordonnée dans le cadre de l’article 148 du


CPC par le président du Tribunal de Commerce du lieu où le navire est amarré,
par une ordonnance sur requête en l’absence des parties (procédure non contra-
dictoire) car, si le débiteur était prévenu que l’un de ses créanciers demandait la
saisie du navire, il pourrait ordonner au navire de prendre le large dès réception
de la convocation à comparaître.

Mais, si le navire change de port entre le moment de l’introduction de la


requête et sa mise en exécution, l’ordonnance rendue ne répond que de la
situation existant au moment de la saisie du tribunal.

En outre, à moins que la demande ait été faite devant le tribunal du lieu
du navire, le président se déclare incompétent quand le navire se trouve en
dehors de sa circonscription territoriale (circonscription juridictionnelle).

Sur initiative du requérant, l’ordonnance est notifiée à l’autorité du lieu


de l’immobilisation du navire (capitainerie) par huissier de justice qui dresse un
procès-verbal de saisie dont une copie est adressée au créancier. En plus de la
notification à l’autorité portuaire, l’huissier de justice est tenu de procéder à la
même notification, tout en le désignant comme gardien, soit à la personne dési-
gnée par l’ordonnance soit au propriétaire lui-même conformément à l’article
456 du CPC, si le navire se trouve entre les mains d’un tiers (affréteur par exemple).

Par l’effet de cette ordonnance, le gardien devient personnellement res-


ponsable du navire et ne peut s’en dessaisir que s’il y est autorisé par la justice.
Khalid KHAKHAY 209

En ce qui concerne la caution, celle-ci doit être bonne et suffisante selon


les termes de l’article 110 du DCCM et repris dans l’article 128-3° du projet du
CCM. Celle-ci doit être déposée à la caisse du tribunal, le juge peut accepter une
caution bancaire, simple ou irrévocable, une garantie d’une compagnie
d’assurances ou d’un organisme de protection tel que le « P & I Club ».

Le dépôt de la caution n’est pas forcément une reconnaissance de dette,


mais il facilite l’exploitation du navire jusqu’au règlement du litige.

Le débiteur dont le navire a été saisi s’empresse de délivrer son navire en


demandant la mainlevée dès que la saisie conservatoire est exercée ; il n’attend
pas que le tribunal soit saisi au fond et juge que la saisie est nulle. Il se dépêche
donc, afin de libérer son navire, soit de payer sa dette et obtenir la mainlevée du
saisissant lui-même ou de son représentant soit de constituer une bonne et
suffisante caution selon les termes de l’article 110 du DCCM et demander la
mainlevée au président du tribunal qui a rendu la décision de saisie.

Après cette simple et brève présentation des généralités sur la saisie con-
servatoire du navire de commerce dans la première section, nous allons aborder
dans la deuxième section les différents préjudices subis par l’exploitant portuaire.

La saisie des navires dans un port comme Casablanca peut avoir des con-
séquences fâcheuses à l’échelon national. En effet, d’aucun ne peut nier l’im-
portance des ports dans la réanimation de l’économie du pays. Si cette issue
souffre de perturbation, ce sont les exportations et les importations qui en
périront.

La saisie cause un dommage qui va être subi par les consignataires, les
industriels, les armateurs, l’autorité portuaire et surtout sur les exploitants
portuaires pour qui les conséquences directes de l’immobilisation d’un bâtiment
se traduisent en termes d’insécurité et de difficulté de fonctionnement et de
gestion du port.

De nos jours, presque tous les ports sont constitués de terminaux spécia-
lisés et sophistiqués, ce qui les rend plus vulnérables à ce phénomène de saisie.
Donc, si on analyse les répercussions de la saisie des navires sur nos ports, on
constatera les préjudices qui sont d’ordres juridiques et d’ordres économiques.
210 Le droit maritime dans tous ses états

Dès qu’une ordonnance de saisie conservatoire est prononcée à l’encon-


tre d’un navire, le navire est immobilisé, plusieurs conséquences juridiques
s’imposent et vont concerner différentes parties et en premier lieu le navire
objet de la dite saisie et en deuxième le lieu les protagonistes du port à savoir
l’autorité portuaire et les exploitants portuaires et en particulier de Marsa Maroc
qui nous intéresse dans cette étude.

Les effets de la saisie conservatoire sont étroitement liés à sa finalité en


tant que moyen de garantie des créances maritimes. Ainsi, elle a pour effet la
mobilisation du navire saisi, le transfert de la garde à la personne désignée par le
juge et l’absence d’atteinte aux droits de propriété.

L’effet principal et immédiat recherché par le créancier pour amener le


débiteur à régler sa dette est l’immobilisation du navire. C’est-à-dire l’empêche-
ment du départ du navire, la première conséquence juridique prévue par la
convention de Bruxelles de 1952 qui stipule dans son article premier que « la
saisie » signifie l’immobilisation du navire. En revanche, le DCCM du 31 mars
1919 a omis cette signification ; mais elle est applicable aux termes de la
convention qui a été intégrée en droit interne car le Maroc l’a ratifié.

En effet, pour obtenir l’immobilisation du navire efficace du navire, le


soin a été confié à la capitainerie du port de refuser le départ de celui-ci. Les
autorités portuaires se trouvent donc contraintes d’assumer la charge résultant
de la saisie conservatoire et ne peuvent autoriser aucun mouvement en dehors
des limites du port.

Cependant, cette immobilisation du navire à quai peut être gênante pour


l’activité portuaire et surtout pour les exploitants, tout comme elle atteint les
droits du propriétaire qui peut craindre l’engagement de sa responsabilité en cas
de dédommagement causés par son navire immobilisé ; de là découle la
problématique du transfert de la garde du navire en cas de saisie conservatoire.

La saisie des navires crée dans les ports une problématique relative à l’am-
biguïté de qualification du statut juridique du directeur du port vis-à-vis du navire
saisi. De ce fait : peut-on le qualifier de gardien, de séquestre ? Qui répond des
dommages subis par le navire ? Qui répond des dommages qu’il cause ?
Khalid KHAKHAY 211

Malheureusement aucune solution nette ne résulte de l’actuel droit positif,


si ce n’est qu’il n’est pas douteux que l’autorité portuaire n’a aucune vocation à
intervenir dans la garde d’une chose privée.

La jurisprudence Française 15 a énoncé que la mission d’assurer le gar-


diennage des navires saisis incombait au commandant du port, en tant que per-
sonne privée et non en sa qualité de préposé d’un établissement public, les
négligences reprochées constitueraient une faute personnelle dépourvue de tout
lien avec le service et qui ne saurait donc engager la responsabilité de
l’établissement public.

Le juge, en désignant le commandant du port comme gardien, le place


dans une situation embarrassante. En effet, il n’a pas les moyens matériels requis
pour assumer ce rôle étant donné que la notion de gardiennage est synonyme
de responsabilité du commandant du port pour tout préjudice subi par l’unité
immobilisée. La plupart du temps, ce gardien commis d’office n’est même pas
conscient de l’ampleur de la responsabilité qui lui incombe.

À ce problème s’ajoute un autre, qui prend en charge les droits de port,


la taxe de stationnement, les droits du pilotage, de remorquage, de déhalage… ?
Selon l’article 17 du dahir de la police portuaire du 1961 et l’article 124 du
DCCM 1919, la responsabilité sur tout incident qui peut résulter de l’immobi-
lisation du navire, incombe au propriétaire du bâtiment saisi ; donc tous frais,
risques et périls sont à la charge du propriétaire en dehors de la désignation du
commandant du port comme gardien séquestre ou tiers dépositaire du navire
saisi.

Le saisi est parfois insolvable. Certains estiment que c’est le saisissant qui
doit supporter les frais car il est le seul bénéficiaire de la saisie et on ne peut
faire supporter par des tiers les conséquences de la procédure mise en œuvre.

La problématique de l’atteinte de la saisie conservatoire au droit du pro-


priétaire du navire est traitée par les dispositions de l’article 453 et l’article 454
du CPC. Ces dispositions générales organisent les effets de la saisie conser-
vatoire dans la procédure civile, sont seules applicables à la saisie conservatoire
du navire en tant que meuble, car le DCCM du 31 mars 1919 est muet cette
problématique.

15 R. Rodière, Le Droit Maritime, « Le Navire », p. 255.


212 Le droit maritime dans tous ses états

En droit comparé, plusieurs législations ont soulevé cette problématique


et ont prescrit dans leur loi maritime le principe de non atteinte de la saisie
conservatoire aux droits du propriétaire. En effet, la loi Française traite cette
règle dans l’article 30 du décret du 27 octobre de 1967 qui stipule que « la saisie
conservatoire ne porte aucune atteinte aux droits du propriétaire ». Le saisi a la
faculté de vendre son navire ou de l’aliéner ; il peut aussi le fréter, l’hypothéquer,
etc. On dira seulement que ses droits sont économiquement et pratiquement
freinés par la saisie qui immobilise provisoirement le navire.

Après avoir étudié les effets juridiques de la saisie conservatoire du navire


qu’en est-il pour les conséquences juridiques subies par l’exploitant portuaire ?

Au Maroc l’expérience portuaire moderne commence au début du XXe


siècle avec l’aménagement du port de Casablanca. Sous la colonisation française
le pays a essayé le régime des concessions portuaires et avec l’essor des théories
de l’État providence et surtout suite aux problèmes structurels de gestion de
cette époque l’État marocain a intervenu à travers l’office d’exploitation des
ports afin de rationaliser la gestion portuaire16.
Aujourd’hui un nouveau cadre légal, institutionnel et réglementaire (la loi
15-02) a redistribué les rôles entre les acteurs publics et privés sans que l’État ne
puisse se retirer complètement de l’industrie portuaire et a remplacé l’Office
d’exploitation des ports en créant deux entités :
– L’agence nationale des ports ANP chargé essentiellement de la ges-
tion administrative, de la maintenance et l’entretien de l’outil por-
tuaire avec la possibilité d’exercer des activités commerciales liées à
l’exploitation portuaire grâce aux techniques de concession et
d’autorisation d’exploitation.
– La SODEP : société anonyme avec un capital détenu majoritairement
par le trésor public dite Marsa-Maroc, cette société est chargée de
l’exploitation portuaire et devra entrer en concurrence avec d’autres
opérateurs portuaires. Ces derniers sont souvent des entreprises
gestionnaires de terminaux effectuant des opérations de manutention
et de stockage dans le port.

La SODEP a été créée sous forme de société anonyme dénommée


« Marsa Maroc », elle prend en charge, en concurrence avec d’autres opérateurs,

16 N. Najih, « L’Exploitation des terminaux portuaires à l’heure de la mondialisation des


échanges », Docteur en Droit, article électronique, http://www.institut-idef.org/L-
EXPLOITATION-DES TERMINAUX, html.
Khalid KHAKHAY 213

l’exploitation des terminaux et quais dans le cadre des contrats de concession


avec l’agence nationale des ports visé aux articles 12 et 16 de la loi 15-02, d’où
la nécessité de déterminer la notion d’un terminal portuaire.

La loi marocaine n° 15-02 a retenu une approche fonctionnelle en préci-


sant dans l’article 9 qu’un terminal portuaire est : « une zone d’un port
composée de quais, de terre-pleins et d’installations, affectée au traitement d’un
trafic ou à un exploitant spécifique ». Sans définir avec précision le terminal
portuaire, néanmoins elle propose les éléments constitutifs essentiels pouvant
être réalisés pour l’exploitation d’un terminal.
En l’absence d’une définition de la loi Marocaine, la doctrine française a
tenté de définir la notion de terminal17 comme :

« un espace portuaire aménagé, disposant d’équipements de manutention


et de stockage dont la gestion est confiée à un opérateur… mais égale-
ment un concept technique désignant un ensemble d’ouvrages [ex. quais,
terre-pleins, silos, hangars…] et d’outillage [portiques, passerelles de
manutention horizontal…] dans un périmètre portuaire déterminé et
affecté au transit de trafic spécialisé [conteneurs, céréales, charbon et
minerais, hydrocarbures…] ».

Nouvelle entité géographique de référence, le terminal devient un


élément autonome avec une gestion intégrée répondant aux aspirations d’un
opérateur indépendant. Le modèle de gestion portuaire dit landlord port est au-
jourd’hui dominant. Le schéma « landlord port » consiste à concéder les fonctions
commerciales du terminal à un opérateur spécialisé qui s’engage selon les
clauses contractuelles négociées préalablement avec l’autorité portuaire.
Quant à l’exploitant de terminal, notion qui nous intéresse le plus, un
seul texte international y fait référence, en l’occurrence la convention
internationale de Vienne du 17 avril 1991 sur la responsabilité des exploitants
de terminaux de transport dans le commerce international, elle énonce dans son
article 1er que ce terme désigne

« toute personne, qui dans l’exercice de sa profession, prend en garde des


marchandises faisant l’objet d’un transport international en vue
d’exécuter ou de faire exécuter des services relatifs au transport en ce qui
concerne ces marchandises dans une zone placée sous son contrôle ou
sur laquelle elle a droit d’accès ou d’utilisation… ».

17 N. Najih, ibid.
214 Le droit maritime dans tous ses états

La gestion des terminaux portuaires, notamment par des opérateurs


privés, conduit à s’interroger sur les préjudices que peuvent subir ces derniers.

La finalité de l’exercice du pouvoir de police des ports maritimes consiste


à éviter ou à supprimer les troubles à l’exploitation des ouvrages et installations.
Or, l’interdiction de laisser sortir un navire peut perturber cette exploitation par
l’indisponibilité d’un poste à quai, par les risques engendrés par la présence de
matières dangereuses à bord, par l’abandon du navire par l’équipage qui n’a pas
été rémunéré une longue période, ou dans le cas du désarmement, d’abandon
ou d’un délaissement pur et simple.

La saisie conservatoire d’un navire, ordonnée par le juge à la demande


d’un créancier, oblige les services du port à retenir ledit navire en lui affectant
un poste à quai ; ce qui peut poser des problèmes d’exploitation lorsque le port
dispose d’un nombre limité de postes. L’autorité portuaire n’y peut rien, elle est
en quelque sorte prise en otage, surtout si la saisie conservatoire aboutit à une
saisie-exécution.

De ce fait, l’encombrement du port par les navires saisis ou abandonnés


peut avoir des conséquences dangereuses en terme de sécurité, Certes que l’au-
torité portuaire est responsable sur la sécurité de la totalité de l’enceinte por-
tuaire, mais au niveau des terminaux portuaires, ce sont les exploitants
portuaires qui sont responsables de cette lourde et encombrante tâche de la
sécurité au niveau du terminal dont on lui a confié la gestion.

Les risques cette tâche de sécurité sont multiples : abordage, dommages


aux infrastructures, clandestins, échouement, etc. Il est dans l’intérêt de l’exploi-
tant et de l’autorité portuaire d’obliger le navire à quitter les limites portuaires
ou si le navire est abandonné (considéré comme épave) à le faire échouer ou
carrément couler. Cette dernière recourt aux règles de droit commun en tant
que tiers à la procédure de saisie.

En France, l’article 27 du décret du 27 octobre 1967 ne s’oppose aucu-


nement au déplacement du navire à l’intérieur des limites portuaires. Au Maroc
et même en l’absence de textes spécifiques, la capitainerie a toute la latitude
d’agir à l’intérieur du port en déplaçant le navire d’un quai à l’autre.
Khalid KHAKHAY 215

Plusieurs raisons peuvent donner lieu à un déplacement du navire à


l’intérieur ou hors des limites portuaires18, l’urgence semble toujours être le fil
conducteur (tempête, incendie, un danger réel tant pour les autre navires que
pour les installations portuaires, un risque certain de pollution par
hydrocarbures, abri pour clandestin et malfaiteurs, etc.).
On remarque, donc que les services du port ne sont pas totalement
démunis face à l’immobilisation des navires car ils recourent aux procédures
judiciaires d’urgence afin que l’impact de la gêne soit le plus faible possible pour
une optimisation maximale du service public et une meilleure exploitation des
terminaux. Mais certaines situations sont plus complexes et n’aboutissent pas à
des dénouements aussi heureux.

Généralement, l’exploitant portuaire subi les conséquences de la saisie


conservatoire du navire, mais il arrive qu’elle agisse comme saisissant, c’est le
cas ou un navire endommage les infrastructures portuaires suite un heurt lors
d’appareillage ou d’accostage ou suite aux effets de la houle sur le navire accosté,
phénomène appelé « ressac », très connu et courant dans nos ports comme
Agadir, Jorf Lasfer, Casablanca, Mohammedia, même le nouveau port roulier
de Tanger-Med.
Sachant les effets négatifs de la saisie conservatoire du navire, l’exploitant
portuaire comme Marsa Maroc19, opte toujours par l’acceptation des lettres de
garanties proposées soit par les banques ou soit par « P and I Clubs », le recours
à la saisie conservatoire du navire n’est pratiqué qu’en dernier lieu, cependant,
quand il s’agit d’une opération d’assistance maritime, la saisie devient presque
automatique car généralement le montant de la rémunération dépasse le million
de Dirhams et pour avoir la caution il faut un certain temps, étant donné que
souvent on est en face de plusieurs assureurs20, en plus du « P and I Clubs ».
Le préjudice juridique que subi l’exploitant portuaire est considéré certes
grave, mais au fil des jours, il devient normal et acceptable, par contre le
préjudice économique est très élevé car il affecte le rendement de l’exploitant
portuaire.

18 Durant cette année la capitainerie de Casablanca a obligé les navires saisis de la compagnie
I.M.T.C de mouiller sur rade, mais plusieurs fâcheux incidents se sont déroulés comme l’exemple
du blocage du chenal d’accès du port par l’un des navires saisis pour motif : manque
d’approvisionnent en vivre et eau potable.
19 Marsa Maroc se charge aussi de l’activité de pilotage et de remorquage.
20 De nos jours, les navires coûtent des millions de Dollars, ils sont assurés soit en co-assurance,

soit en réassurance, les chargeurs assurent leurs marchandises, on se trouve en face d’une multi-
tude d’assureurs qui doivent s’entendre pour livrer la caution, ce qui prend nécessairement du temps.
216 Le droit maritime dans tous ses états

La saisie conservatoire du navire de commerce dans un port peut provo-


quer des dommages par rapport à son exploitation commerciale. Dans notre
pays, ce sont les exploitants portuaires qui subissent en premier lieu les préju-
dices car ces derniers qui s’occupent de la gestion commerciale des terminaux.

Certes, l’immobilisation des navires va causer des préjudices à l’exploi-


tation commerciale du port, mais ce préjudice peut être atténué dans le cas des
pays développés, grâce aux moyens financiers et technologiques dont ils
disposent. En revanche, le problème est très sérieux quand il s’agit des pays en
voie de développement comme le Maroc.

Or, dans ces pays très souvent un navire saisi bloque un port21, un poste
à quai qui n’est pas substituable à un autre et le plus souvent le port ainsi bloqué
n’a pas de port voisin de substitution. C’est donc toute l’économie d’un pays
qui se trouve en difficulté.

Nombre de Navires Saisis Nombre de Jours


2001 34 2 737
2002 27 2 902
2003 26 760
2004 35 120
2005 79 213
2006 67 237
2007 55 174
2008 63 312
2009 37 234
2010 28 100
2011 28 142
2012 28 227

21 Le cas du port de El Kénitra ou du port de Tan Tan etc.


Khalid KHAKHAY 217

On remarque d’après ces statistiques qui couvrent la période allant du


1er janvier 2001 au 31 décembre 2012 :
1. 507 navires ont été saisis, de différentes nationalités avec 8 158 jours
d’immobilisations.
2. Dont la majorité bat des pavillons de Complaisance ou des pays de
tiers-monde. Rares sont les navires appartement à des armements
d’Europe ou d’Amérique du nord.
3. La majorité des navires saisis appartient à des armements qu’on appelle
« One Ship/One Company » qui ont toujours des difficultés financières.
4. Les saisissants sont généralement des sociétés marocaines :
- Soit des consignataires, des Shipchandlers, des chantiers ou des
compagnies d’assurances. Ces dernières représentent presque
50 % des saisies opérées.
- Soit des sociétés étrangères qui ne représentent qu’environ
15 %.
5. La période de la saisie conservatoire peut aller d’un jour à un an, mais
rare jusqu’à la saisie-exécution. La plupart ne dépassent pas une
semaine, vu l’importance commerciale que représentent les navires.
6. La moyenne des navires saisis est de l’ordre de 30 navires par an et
une moyenne de 200 jours par an d’immobilisation, ce qui est pesant
sur l’exploitant portuaire voire l’économie marocaine Ce qui explique
l’aisance de la procédure de la saisie conservatoire, ces chiffres vont
sûrement être revue à la hausse puisque cette année a connue la saisie
de cinq navires de l’armement Marocain IMTC.

La saisie telle qu’elle se présente actuellement est un chantier sur lequel


doivent se pencher tous les acteurs en vue de trouver les moyens de redresser la
situation. Dans cette optique, il paraît nécessaire de penser de prime à bord à
revoir l’arsenal juridique de plus, il paraît évident qu’il faut mener une
compagne de sensibilisation.

Les textes recevant application dans la procédure de saisie des navires


(CPC, DCCM…) se sont révélés insuffisants. Aussi, leur réforme s’impose.
À notre avis, il faut subordonner l’entrée des navires dans les ports à un
dépôt de garantie ou l’appartenance à un organisme de protection tel que le « P
& I Club » et ce, pour permettre aux services du port de se prémunir contre les
« navires à problèmes ».
218 Le droit maritime dans tous ses états

Pour intimider les créanciers hâtifs ou abusifs contre la saisie du navire


de leur débiteur dès le premier désaccord et en vue de diminuer l’encom-
brement des ports, il paraît judicieux de subordonner l’ordonnance de saisie
conservatoire à l’introduction, en parallèle d’une assignation au fond. Cette
mesure aura pour effet d’accélérer l’aboutissement du litige soit par la mainlevée
de la saisie conservatoire, parce que la créance n’est pas fondée dans son
principe, soit par la mise à la vente aux enchères publiques du navire pour
désintéresser les créanciers.
De plus, si le juge, en ordonnant la saisie conservatoire en faveur d’un
saisissant, la subordonne à un délai (de trois mois par exemple) au-delà duquel le
saisissant voit ses droits déchus, les saisissants vont se dépêcher d’impliquer le
juge de fond pour trancher le litige (célérité de la procédure).

La sensibilisation est un moyen efficace contre l’ignorance et surtout


l’oubli, elle doit cibler, sans exception, tous les intervenants dans le port à savoir
les autorités portuaires (capitaineries), les juges et les opérateurs portuaires (les
armateurs, les exploitants portuaires, les consignataires de navires, etc.).

Actuellement, à l’exception du port de Kenitra et TanTan, tous les autres


ports du royaume sont soumis au régime de la concession, donc tous les
exploitants portuaires sont des concessionnaires soit purement privée à l’instar
de Mearsk ou Eurogate soit étatique comme Marsa Maroc.
À notre avis, l’exploitant portuaire doit se concerter avec tous les autres
exploitants portuaires sur cette problématique, afin de créer un certain
« lobbying » et de proposer des solutions au décideur par exemple :
1. Insérer dans la police portuaire ou dans le règlement de chaque port
que pour chaque occupation d’un poste pour des raisons non com-
merciales et dépassant un temps raisonnable (créer une franchise), le
navire doit payer des pénalités à l’instar des surestaries dans les
contrats d’affrètements au voyage, ces pénalités seront inclus dans les
droits de ports et restituer de l’autorité portuaire.
2. Mettre la pression sur l’autorité portuaire et le ministère chargé du
secteur maritime, lors des prochaines constructions des ports de
prévoir des postes d’attentes ou des rades pour recevoir les navires
saisis, abandonnés, désarmés, etc.
3. Influencer l’autorité portuaire pour qu’elle prenne rapidement la dé-
cision d’ordonner l’évacuation des navires saisis hors limite portuaire
c’est-à-dire dans la zone de mouillage.
Hassan EZZAHRATI
Docteur en Droit Université d’Aix Marseille,
Pilote Major aux Ports de Casablanca et Jorf Lasfer

Depuis que les navires ont été utilisés comme moyen de transport pour
effectuer du commerce, le capitaine, représentant l’armateur et chef de l’expé-
dition maritime, a eu besoin de l’assistance du pilote pour guider son navire,
afin d’éviter les écueils lors de la navigation à proximité des côtes inconnues
pour lui, là où celles-ci présentaient le plus de risques, alors que le pilote en
avait une excellente maîtrise1.
Au fil des siècles, après des années de concurrence anarchique entre pilo-
tes qui se faisaient la course pour proposer leurs services, les États ont organisé
le pilotage maritime et l’ont rendu obligatoire dans les ports de commerce, pour
les navires dimensionnés au-delà d’un certain seuil2, dans le but d’améliorer la
sécurité de la navigation et des accès portuaires. Cette obligation est à présent
quasi universelle3.
Le pilotage maritime est défini par l’article premier 4 du Dahir du
20 février 19375 comme étant
« … l’assistance donnée aux capitaines par un personnel commissionné
par l’État Chérifien pour la conduite des navires à l’entrée et à la sortie,
et pour les mouvements effectués sur rade et dans le port… ».

1 P. Payan, « Le pilotage maritime et le projet de Directive sur l’accès au marché des services
portuaires », www.afcan.org/dossiers_reglementation/pilotage.html La manoeuvre des navires
est une pratique quotidienne qui permet aux pilotes de perfectionner leurs qualités et techniques
manœuvrières et ce quelles que soient les conditions.
2 Article 3 de l’Arrêté Viziriel du 20 février 1937 : 80 tjb pour les voiliers et 100 tjb pour les

navires à propulsion mécanique.


3 P. Payan, « Le pilotage maritime et le projet de Directive sur l’accès au marché des services

portuaires », www.afcan.org/dossiers_reglementation/pilotage.html
4 En France, article premier de la Loi du 28 mars 1928 relative au régime de pilotage dans les eaux

maritimes.
5 Dahir du 20 février 1937 (8 hijja 1355) portant réorganisation du service de pilotage du port de

Casablanca.
220 Le droit maritime dans tous ses états

Le pilotage est une activité d’intérêt général. L’obligation de recourir à ce


service est instaurée pour des raisons évidentes de sécurité et de conservation
des domaines publics maritimes6.
Tout navire, soumis à cette obligation, qui se présente à l’entrée d’un port,
ou veut le quitter, doit se faire piloter dans les limites déterminées pour ce port.
Le pilotage maritime est organisé de manière différente dans le monde en-
tier, mais il est toujours soumis au contrôle de l’État.7 C’est une activité régle-
mentée par de nombreux textes qui constituent une véritable Charte du pilotage.
Au Maroc, les textes8 en vigueur datent de 1937. Ils ont été « rédigés »
pour la réorganisation et le fonctionnement de la Station de pilotage du port de
Casablanca.
À l’occasion de l’exécution de l’obligation de pilotage, différentes respon-
sabilités se manifestent entre les parties. Il s’instaure alors entre le pilote et le
capitaine du navire à piloter une relation qui s’analyse en un « contrat de
pilotage », mais il s’agit en réalité d’un contrat imposé.
De ce contrat naissent des obligations pour chacune des parties.
Le capitaine du navire à piloter doit veiller à ce que :
– tous les moyens techniques d’embarquement, ou de débarquement,
du pilote répondent aux normes de sécurité en vigueur9 ;
– que le séjour du pilote, parfois très court à bord du navire, ait lieu en
toute sécurité, depuis l’embarquement jusqu’au débarquement, y com-
pris pendant tout le temps que doit durer l’exécution de l’opération
de pilotage.

6 R. Rezenthel, « Le pilotage dans les eaux portuaires », DMF n° 473, juin 1988, p. 355 et s.
7 Surtout en ce qui concerne son obligation, son organisation, les conditions de recrutement des
pilotes, etc.
8 En France, l’Ordonnance de Colbert, édictée en 1681, est un texte fondamental de renommée

internationale. Elle définit les attributions respectives du capitaine et du pilote. Elle énonce les
grands principes du pilotage, qui le régissent encore de nos jours. Les principes de base énoncés
dans ces textes se sont perpétués tout au long des siècles. Ils ont été, au fur et à mesure, modifiés
et adaptés aux nouvelles conditions de navigation et de commerce. Il s’agit de l’obligation de
pilotage, de son monopole, des connaissances du pilote, et encore des sanctions en cas de faute
de ce dernier ; par exemple, s’il échoue volontairement le navire, « il sera puni du dernier supplice
et son corps sera attaché à un mât planté près du lieu du naufrage ».
9 Règle 17 du Chapitre V de l’Annexe de la Convention SOLAS de 1974 sur la sécurité de la

navigation, ainsi que la Résolution de l’OMI A-667(XVI) du 19 octobre 1989.


Hassan EZZAHRATI 221

Quant au pilote, il vient apporter au capitaine le concours de sa


compétence locale. Sa parfaite connaissance de l’environnement peut sembler
transformer en routine des manœuvres en fin de compte très délicates.
Cependant, malgré la compétence et l’expérience de cet « homme du
lieu », des incidents peuvent survenir pendant l’exécution du pilotage, et ce pour
différentes raisons.
D’où la problématique suivante qui se résume en deux points essentiels :
Premièrement, comment concilier entre le volet sécuritaire des ports, la
protection de leur environnement et leurs installations, tout en veillant au
mieux sur les intérêts commerciaux de la communauté portuaire ?
Quant au deuxième point, il concerne le cadre juridique applicable en cas
d’accident survenu pendant l’exécution de l’opération de pilotage.
Les textes en vigueur chez nous ne parlent, explicitement, que des avaries
survenues au bateau-pilote ; alors que pour le pilote et l’équipage du bateau-
pilote, il a fallu rassembler les dispositions de plusieurs textes de droit afin de
mettre en jeu la responsabilité de l’armateur du navire piloté. La logique veut à
ce que ce bateau-pilote soit équipé et armé par un équipage et un pilote pour
pouvoir être utilisable et opérationnel ; on peut comprendre ainsi que si le
bateau-pilote est couvert en cas d’accident, le personnel se trouvant à son bord
le soit systématiquement.
En France, par contre, la situation du pilote s’est améliorée, depuis 196910,
quant aux dommages que le pilote subit à l’occasion de l’accomplissement de sa
tâche.
Les régimes de responsabilité, traités ci-dessous, sont considérés à l’occa-
sion de l’exécution de l’opération de pilotage ; ce sont ceux envers le pilote ;
sans oublier le cas où il n’est pas à bord d’un navire en train d’exécuter une
opération de pilotage.
Pour ce faire, il sera traité du régime de la responsabilité civile du pilote,
en invoquant la faute de ce dernier, ainsi que le régime disciplinaire et pénal
applicable le cas échéant.

En tant que marins, les pilotes ont le même statut administratif en ce qui
concerne l’embarquement 11 . À bord des navires, ils se soumettent au Code

10Loi n° 69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes.


11La qualité de marin est constatée par l’inscription sur les matricules des gens de mer ; il s’agit
des matricules tenus par le service des affaires maritimes de la Direction de la Marine Marchande.
222 Le droit maritime dans tous ses états

Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande (CDPMM) 12 . Dans tous les


autres cas, ils se soumettent à l’autorité disciplinaire du Directeur de la Marine
Marchande13.

Les pilotes étant les garants de la sécurité de la navigation dans les zones
dangereuses telles que les ports ou les estuaires, ils bénéficient d’un régime de
responsabilité qui leur est plutôt favorable14.

Suivant les Rôles d’Oléron, « le pilote qui, par sa faute, a causé un


dommage au navire, s’il n’a de quoy, aura la tête tranchée »15.

Cette règle vise seulement, suivant la manière forte du Moyen Âge, à


inciter le pilote à se prémunir contre les conséquences de sa responsabilité.

De ce système nous reste aujourd’hui le principe de la responsabilité du


pilote, laquelle est fondée sur la preuve d’une faute. Il en subsiste également
l’obligation pour tout pilote de fournir un cautionnement qui lui permet de
s’affranchir de la responsabilité civile résultant de ses fautes 16 . Encore le
montant de ce cautionnement, modeste17 est-il sans rapport avec l’importance
des dommages potentiels 18 : le pilote se contente, les textes le précisent, de
« contribuer » à la réparation.

Les bases de mise en jeu de la responsabilité des pilotes et la nature de


cette activité sont similaires dans la plupart des pays possédant une législation
en cette matière.

Les pilotes sont embarqués sur un rôle d’équipage ; ils sont débarqués pour congés ou pour
maladie ou accident de travail.
12 À bord des navires, le pilote est soumis aux règles d’une vie sociale particulière s’exprimant

notamment dans un certain statut disciplinaire et pénal dont le chef est le capitaine.
13 En France, l’article 13 du Décret n° 69-515 du 19 mai 1969 est plus clair, il dispose que les

pilotes sont soumis au pouvoir disciplinaire du Ministre des Transports ; à bord des navires ils
sont soumis aux dispositions du Code Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande, et quand ils
ne sont pas à bord, ils sont soumis au pouvoir disciplinaire de l’Administrateur des affaires
maritimes.
14 DMF 614, avril 2001, colloque : « les auxiliaires de l’armement ».
15 M. Remond-Gouilloud, Droit maritime – Études internationales, 2e édition, n° 2-1993, Pedone,

p. 102, n° 146 : Responsabilité du pilote à l’égard du navire.


16 Au Maroc, article premier du Dahir du 31 mai 1937 sur la responsabilité civile des pilotes (…) ;

en France, articles 20 et 21 de la Loi n° 69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes
maritimes.
17 Article premier de l’Arrêté Viziriel du 31 mai 1937 relatif au cautionnement des pilotes (…) ; en

France, article premier de l’Arrêté du 1er juillet 1999 fixant le montant du cautionnement des
pilotes maritimes.
18 Cette limitation de responsabilité ne cède qu’en cas d’échouement ou de perte du bâtiment

intentionnels : CDPMM, article 20 au Maroc, article 79 en France.


Hassan EZZAHRATI 223

Les textes en vigueur s’appliquent aux incidents survenus au moment où


le pilote remplit ses fonctions, donc dans le cadre du contrat de pilotage.

Ce contrat se forme par la demande du pilote que le navire formule


franchement par l’appel qu’il doit lancer dès qu’il entre dans la zone de pilotage
obligatoire, ou dès qu’il veut quitter le port.

La présence à bord est le critère retenu pour faire jouer le système légal
de responsabilité à l’occasion des opérations de pilotage.

Rappelons brièvement, à ce propos, que les pilotes bénéficient d’une


exemption de responsabilité, sauf faute lourde. En cas d’abordage avec le navire
piloté (armateur), ce dernier est présumé responsable des dommages matériels
(bateau-pilote) et corporels (pilote et équipage du bateau-pilote) qui ont pu être
occasionnés.

Cette présomption d’« irresponsabilité » du pilote ne tombe qu’en cas de


faute lourde de ce dernier pour les dommages matériels, et qu’en cas de faute simple
pour les dommages corporels.

Notons aussi que pour les dommages causés dans l’exercice de leur fonc-
tion, les pilotes bénéficient d’une limitation de responsabilité sauf faute lourde.

On constate que les textes sont plutôt favorables au pilote. Le législateur


cherche à préserver la continuité du service public de pilotage, et ce en
protégeant le pilote dans son intégrité physique et son bien, le bateau-pilote, qui
est la source même de son activité professionnelle.

À travers une pratique quotidienne, les pilotes développent des qualités


et des techniques pour manœuvrer des navires dans des eaux étroites et des
zones restreintes entourées d’installations portuaires. Ils naviguent jour et nuit,
à travers un brouillard épais ou par grand vent et courants souvent dangereux
dans les ports et leurs approches, évitant ainsi des retards ou transportant la
capacité de chargement maximum à travers les profondeurs utilisables du
chenal dans l’intérêt du port et du navire. Par là, le pilote joue son rôle
commercial qui consiste à prendre soin des intérêts aussi bien du navire que du
port et de tous les opérateurs intéressés par l’escale du navire.
224 Le droit maritime dans tous ses états

La Convention Internationale de 1978 sur les Normes de Formation des


gens de mer, de délivrance des Brevets et de Veille (STCW)19, telle que modifiée,
précise que la présence d’un pilote à bord ne décharge pas le capitaine de ses
fonctions et de ses obligations en ce qui concerne la sécurité du navire.

En pratique, c’est le pilote qui assure la conduite du navire, après avoir


échangé des informations avec le capitaine sur les procédures de navigation, les
conditions locales et les caractéristiques du navire.

Le pilote est un conseiller chargé de donner des informations et des avis au


capitaine afin que celui-ci achève ou fasse débuter l’expédition maritime dans
les meilleures conditions. Le capitaine doit prendre, à tout moment, les déci-
sions qu’il juge appropriées. Il peut parfaitement ignorer les conseils et même la
présence du pilote. Cependant, il reste responsable des manœuvres de son
navire20.

En réalité, le pilote prend pratiquement la direction effective des manœu-


vres et donne les « ordres » correspondants, avec l’assentiment tacite du capitaine.

Le pilote, en quittant la station de pilotage pour aller à bord du navire à


piloter, assure une liaison radiophonique permanente avec le capitaine afin de
lui fournir les conseils utiles et nécessaires lui permettant de s’approcher en
toute sécurité de la zone d’embarquement du pilote indiquée sur la carte marine
du port, ou continuer d’avancer jusqu’à l’entrée du port quand les conditions
nautiques ou météorologiques empêchent le pilote d’aller le chercher au-delà de
l’abri des jetées.

Les ports du monde entier, y compris les ports marocains, reçoivent des
navires de plus en plus gros et davantage sophistiqués et rapides ; par consé-
quent, il est impérativement du devoir des Stations de pilotage de s’adapter à
cette modernisation et ce développement technique.

19 Convention Internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance
des brevets et de veille, telle que modifiée (STCW 1978, modifiée), adoptée à Londres le 7 juillet
1978 et entrée en vigueur le 28 avril 1984 ; au Maroc, elle a été ratifiée le 22 juillet 1997 et entrée
en vigueur le 22 octobre 1997.
20 Articles 145, 146 et 159 du Dahir formant Code du Commerce Maritime (DCCM) du 31 mars

1919.
Hassan EZZAHRATI 225

L’opération de pilotage d’un navire doit s’effectuer en prenant toutes les


précautions nécessaires ; le but étant, bien sûr, d’entrer le navire ou le faire
sortir en toute sécurité ; c’est-à-dire sans qu’il y ait le moindre incident domma-
geable aussi bien au navire lui-même qu’aux installations et œuvres d’art
portuaires ou aux autres navires.

Lors d’une opération de pilotage, le pilote prend pratiquement toutes les


précautions qui s’imposent dans le seul but de l’effectuer, selon les règles de
l’art, en toute sécurité. Il a l’obligation de vérifier et de tester les qualités
manœuvrières du navire piloté, à l’entrée, avant même de l’engager dans le
chenal d’accès au port, surtout si le navire présente des indices d’inconformité
ou des doutes. Le pilote doit, alors, refuser de piloter un navire lorsque celui-ci
constitue un danger pour la sécurité de la navigation ou pour l’environnement.
Cependant, des incidents peuvent avoir lieu : les causes sont multiples.

En cas de dommages matériels ou corporels, survenant en cours


d’exécution du contrat de pilotage, le pilote peut engager sa responsabilité civile.
Sa responsabilité peut aussi être engagée sur le plan disciplinaire ou pénal.

L’opération de pilotage se déroule par la coopération du pilote et du


capitaine du navire piloté ; chacun de ces deux cocontractants a le devoir
d’honorer ses obligations découlant du contrat de pilotage.

On a vu plus haut que le pilote, pour sa part, prend toutes les mesures de
précaution qu’il juge nécessaires et utiles pour mener à bien l’opération de
pilotage. Il anticipe le déroulement de la manœuvre et prévoit en permanence
les solutions de secours en cas de tel ou tel incident afin d’éviter tout accident
ou du moins en diminuer les conséquences.

Cependant, des incidents arrivent de temps à autre, dus à des problèmes


techniques propres au navire piloté ou souvent dus à des problèmes de commu-
nication entre le pilote et le capitaine (ou entre le capitaine et son personnel
souvent cosmopolite).

En cas de dommages causés au navire piloté par la faute du pilote, la res-


ponsabilité civile (et éventuellement pénale) de ce pilote pourrait être engagée ;
mais le pilote peut se libérer, sauf faute particulièrement lourde relevant de
226 Le droit maritime dans tous ses états

l’article 20 du Code Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande (CDPMM)21,


par l’abandon de son cautionnement22.

Le contrat de pilotage étant conclu, d’abord oralement par l’appel du


pilote effectué par le capitaine du navire à piloter, puis concrétisé par l’exécu-
tion de l’opération de pilotage, et enfin matérialisé par la signature du bon de
pilotage par le capitaine du navire piloté. Par ce contrat, le pilote doit faire
preuve de diligence et de professionnalisme dans l’exécution de sa tâche. En cas
d’incident au cours de l’opération de pilotage dû à une faute du pilote, sa
responsabilité civile, qui ne peut être que « contractuelle », pourrait être engagée.

La majorité des incidents, si ce ne sont pas tous, est due à un manque de


communication entre le pilote et le capitaine, ou entre le capitaine et son
équipage, ou à une mauvaise exécution des ordres donnés par le capitaine suite
aux conseils du pilote. Mais si une faute du pilote est là, elle ne peut être qu’une
faute d’appréciation ; car son intervention durant l’opération de pilotage se fait
au fur et à mesure du déroulement de la manœuvre en fonction du « compor-
tement » du navire avec les ordres donnés par le capitaine. Par exemple, un
ordre pour lancer le moteur en arrière, donné à la machine avec du retard, aurait
comme conséquence logique de prolonger le temps et la distance d’arrêt du
navire, ce qui n’empêcherait pas ce dernier d’aller heurter d’autres navires ou
installations portuaires. En pratique, c’est surtout le fait que le capitaine ne suit
pas les conseils du pilote qui est la source principale des incidents pendant
l’opération de pilotage. C’est, d’ailleurs, une faute nautique commise par le
capitaine dont l’armateur doit assurer la responsabilité.

La manœuvre d’un navire est un ensemble de risques se succédant l’un


après l’autre durant toute l’opération de pilotage. Une manœuvre réussie est
celle où on arrive à sa fin sans le moindre incident. La majorité des incidents qui
surviennent pendant l’opération de pilotage sont dus aux défaillances propres

21 En France, article 79 du CDPMM : « Toute personne qui, en dehors des cas prévus par le Code
de justice militaire pour l’armée de mer, échoue, perd ou détruit, volontairement et dans une
intention criminelle, un navire quelconque par quelque moyen que ce soit, est punie des peines
encourues pour les destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes,
réprimées par les articles 322-6 à 322-11 du Code pénal. Le maximum de la peine est appliqué au
délinquant qui chargé, à quelque titre que ce soit, de la conduite du navire ou qui le dirige comme
pilote ».
22 A. Vialard, « Pilotage maritime et responsabilités : Réflexions sur quelques questions anciennes

et nouvelles ». Au Maroc, article 1er du Dahir du 31 mai 1937 sur la responsabilité civile des
pilotes (…) ; en France, article 21 de la Loi n° 69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux
ventes maritimes.
Hassan EZZAHRATI 227

au navire piloté ; des défaillances techniques concernant, par exemple, le lance-


ment du moteur ou le mouillage des ancres ; ou des défaillances profession-
nelles dues à un équipage non compétent, la plupart du temps cosmopolite, où
le manque ou la mauvaise communication est source de problèmes. L’incidence
s’en fait rapide pendant les manœuvres du navire en présence d’un pilote.

La responsabilité civile est l’obligation légale qui incombe à une personne


de réparer le dommage causé à autrui. Elle vise, non pas à sanctionner, mais à
réparer. Elle est contractuelle puisqu’elle résulte d’une « mauvaise » exécution
d’une convention, qui est, dans ce cas, le contrat de pilotage.

On sait que la présence d’un pilote à bord du navire piloté ne « dé-


monte » pas le capitaine qui est libre de suivre, ou non, les avis du pilote ; cela
explique d’ailleurs que la responsabilité des accidents soit canalisée vers l’arma-
teur du navire piloté ou vers son capitaine, en définitive seul maître de la
manœuvre23.

Une lecture de la doctrine contemporaine24, à partir des années 80, nous


montre que le problème de la responsabilité, en cas de dommages causés au na-
vire piloté ou à son personnel est à peine effleuré. On fait pratiquement l’im-
passe sur la question ; on n’envisage explicitement que les hypothèses de
responsabilité en cas de dommages survenus au cours des opérations de
pilotage au pilote, au bateau-pilote ou à son personnel, ou aux tiers.

Le législateur a imposé à tout pilote, à son entrée en fonction, de verser


un cautionnement25. Le montant de ce cautionnement est dérisoire26, compte
tenu de l’importance des dommages que le pilote peut, par sa faute, causer27.

23 A. Vialard : « Pilotage maritime et responsabilités : Réflexions sur quelques questions anciennes


et nouvelles ».
24 « Le pilotage dans les eaux portuaires », par R. Rezenthel ; « Pilotage maritime et

responsabilités : réflexions sur quelques questions anciennes et nouvelles », par A. Vialard, 1990 ;
Droit maritime, éd. PUF-1997, p. 199, n° 227, A. Vialard ; « Droit Maritime », par R. Rodiere et E.
du Pontavice, Dalloz, 12e édition 1997, éd. Dalloz Delta, p. 242 et 243 : n° 267 et 268.
25 Article 1er du Dahir du 31 mai 1937 et article 1er de l’Arrêté Viziriel de même date ; en France,

article 20 de la Loi n° 69-8 du 3 janvier 1969.


26 Au Maroc, 3 000,00 dhs, article 1er de l’Arrêté Viziriel du 31 mai 1937 relatif au cautionnement

des pilotes(…) modifié par l’Arrêté Viziriel du 26 août 1953 ; en France, l’Arrêté du 1er juillet
1999 fixant le montant du cautionnement des pilotes maritimes dispose dans son 1er article que
pour les stations dont la liste est annexée au présent Arrêté, le montant du cautionnement est de
65 595,70 F, dans les autres cas, le montant est de 19 678,71 F.
27 A. Vialard, Droit maritime, éd. PUF-1997, p. 200 : « Limites de la responsabilité du pilote ».
228 Le droit maritime dans tous ses états

Il ne s’agit pas du cautionnement ordinaire, sûreté personnelle par la-


quelle un tiers s’engage à payer la dette du débiteur principal, si celui-ci ne peut
le faire, mais d’une sûreté réelle, d’un dépôt de garantie.

Ce cautionnement réel a la nature d’un fonds affecté au paiement


prioritaire et exclusif de certaines créances28 :
– en premier rang, les condamnations pour faute commise par le pilote
dans l’exercice de ses fonctions ;
– en second rang, le remboursement des fonds empruntés pour la
constitution de ce cautionnement réel29

Le pilote dont la faute engagerait sa responsabilité à l’égard de l’armateur


du navire piloté pourrait donc s’affranchir de la responsabilité pour les
dommages causés au navire piloté.

Ces dispositions ne se rapportent en aucune manière aux dommages


causés au navire piloté ou à son équipage. Le pilote étant mis à l’abri des pour-
suites des tiers en cas de dommages à eux causés au cours des opérations de
pilotage, il règle simplement sa contribution à l’indemnité versée par l’armateur
en réparation de ces dommages aux tiers, et ce seulement dans la mesure où l’ar-
mateur du navire piloté prouve la faute du pilote à l’origine de ces dommages30.
Chose toujours difficile à prouver, en sachant que le pilote est un conseiller du
capitaine, et que ce dernier reste le seul maître à bord. Il doit donc se passer des
conseils du pilote et prendre, à tout moment, la décision adéquate qui s’impose.

Cela dit, la responsabilité civile du pilote reste des plus raisonnables. En


effet, si l’armateur du navire piloté prouve la faute du pilote, celui-ci peut
s’affranchir de sa responsabilité civile par l’abandon d’un cautionnement dont le
montant est fixé par les textes31.

28 Au Maroc, article 3 du Dahir du 31 mai 1937 sur la responsabilité civile des pilotes (…) ; en
France, article 22 de la Loi n° 69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes
maritimes.
29 Ph.-J. Hesse, J.-P. Beurier, P. Chaumette, Y. Tassel, A.-H. Mesnard, R. Rezenthal, Droits

maritimes, tome I ; Mer, navire et marins ; les éditions JURIS service-1995, p. 342 : C- Le
cautionnement du pilote.
30 A. Vialard, « Pilotage maritime et responsabilités : Réflexions sur quelques questions anciennes

et nouvelles ».
31 Au Maroc (Station de Casablanca - JORF LASFAR), il est de 3000dhs, fixé par l’article premier

de l’Arrêté Viziriel du 31 mai 1937 relatif au cautionnement des pilotes de la station de pilotage
du port de Casablanca ; en France, Arrêté du 1er juillet 1999 fixant le montant du cautionnement
des pilotes maritimes.
Hassan EZZAHRATI 229

Les pilotes ne cherchent pas à se soustraire à une responsabilité totale. Ils


seraient cependant contraints de s’assurer en conséquence, le coût en serait
ainsi répercuté sur l’armateur via les tarifs et celui-ci serait en quelque sorte
assuré deux fois, les seuls bénéficiaires étant alors les compagnies d’assurances32.

Dans l’exercice de ses fonctions, le pilote de service qui manque à ses


devoirs intentionnellement, qu’il soit à bord d’un navire ou à la Station, peut
voir sa responsabilité disciplinaire (a) ou pénale (b) engagée, et s’exposer, ainsi,
à des sanctions disciplinaires ou pénales variant selon la gravité de sa faute.

La responsabilité disciplinaire du pilote est plus large que celle du capi-


taine puisqu’elle peut être engagée aussi bien lorsque le pilote est en fonction à
bord du navire que lorsqu’il ne l’est plus.

Ce détail est clairement formulé par l’article 13 du Décret du 19 mai 1969


relatif au régime du pilotage dans les eaux maritimes en France, lequel dispose
explicitement que les pilotes sont soumis au pouvoir disciplinaire du Ministre
des transports. Lorsqu’ils sont à bord d’un navire, ils sont soumis, comme les
marins, aux règles du Code Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande
(CDPMM)33. À terre, le pouvoir disciplinaire est exercé par l’Administrateur des
affaires maritimes.

L’article 14 de notre Dahir du 20 février 1937 ne fait pas cette distinction


entre la présence du pilote à bord du navire ou s’il est à terre. Cependant, les
deux articles disposent les mêmes sanctions : la réprimande, le blâme, la
suspension temporaire de l’exercice des fonctions, et enfin la révocation 34 .
L’application de ces sanctions est détaillée, selon le cas, dans ces articles.

32 P. Payan, Président de la FFPM : « Le pilotage maritime et le projet de Directive sur l’accès au


marché des services portuaires ». www.afcan.org/dossiers_reglementation/pilotage.html.
33 Il s’agit de la Loi du port où s’effectue l’opération de pilotage du navire concerné et non la Loi

du pavillon, sinon, il doit y avoir autant de Lois que de pavillons fréquentant le port.
34 Depuis la création de la Station de pilotage du port de Casablanca, aucune sanction de ce genre

n’a été prononcée ; la Collectivité des pilotes de la Station veille toujours de près sur la formation
de ses pilotes pour les doter d’une qualification très élevée. D’ailleurs la qualité de service fourni
par ses pilotes est de renommée internationale. Deux cas seulement concernent deux pilotes
respectivement à Safi et Laayoune.
230 Le droit maritime dans tous ses états

En ce qui concerne la responsabilité pénale du pilote, les anciennes


coutumes maritimes permettaient de condamner à mort les pilotes pour leurs
manquements à leurs obligations spéciales.

Aujourd’hui, les choses ont changé ; mais la mise en jeu de cette res-
ponsabilité est toujours possible, sur le fondement des dispositions du CDPMM,
quand le pilote se rend coupable de la perte du navire, sa destruction ou son
échouement volontaire et dans une intention criminelle35.

Mais, en tant que marin, le pilote est normalement soumis au Code


Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande. Cependant, les textes régissant
le pilotage maritime prévoient quelques cas bien déterminés, tels que la non
assistance à un navire en danger ou la conduite en état d’ivresse d’un navire.

Hors le cas de force majeure et nonobstant toute autre obligation de


service, la responsabilité pénale du pilote pourrait être engagée quand il ne prête
pas assistance à un navire en danger, du moment qu’il constate le péril dans
lequel il se trouve, même si son assistance n’a pas été sollicitée36. Il est dans
l’obligation de le servir en priorité avant tout autre navire.

Cette non-assistance est sanctionnée par une amende et un emprisonne-


ment allant de huit jours à trois mois, ou l’une de ces deux peines seulement.

Les mêmes peines sont prononcées contre le pilote qui, en état d’ivresse,
entreprend la conduite d’un navire.

D’autres peines sont prévues par le législateur dans les dispositions de


l’article 16 du Dahir du 20 février 193737 ; c’est une amende et un emprisonne-
ment allant de huit à quinze jours, et du double en cas de récidive, infligés à
toute personne qui, sans une commission régulière de pilote de la station, aura
entrepris ou tenté d’entreprendre la conduite d’un navire en qualité de pilote
commissionné.

35 CDPMM, article 20 au Maroc, et article 79 en France.


36 Au Maroc, articles 6 et 15 du Dahir du 20 février 1937, les mêmes dispositions du 1er alinéa de
l’article 6 précité sont reprises par l’article 372 du projet du Code DCCM version 2001 ; en France,
articles 6 et 15 de la Loi du 28 mars 1928 sur le régime du pilotage dans les eaux maritimes.
37 En France, article 16 de la Loi du 28 mars 1928 sur le régime du pilotage dans les eaux

maritimes.
Hassan EZZAHRATI 231

Les infractions prévues par les dispositions des articles 15 et 16 du Dahir


du 20 février 193738 sont de la compétence du Tribunal correctionnel39. Cepen-
dant, le Procureur du Roi ne peut être saisi qu’au vu d’une enquête contradic-
toire effectuée dans les conditions prévues par l’article 17 du CDPMM40. C’est
un Conseil d’enquête qui se charge de cette enquête. Il est composé, selon
l’article 14 du Dahir du 20 février 1937, du Directeur de la Marine Marchande,
ou son représentant, comme président, du chef du quartier maritime, d’un
capitaine au long cours ayant au moins quatre ans de commandement, et de
deux pilotes de la Station ayant au moins quatre ans de fonction en cette qualité.
Le pilote est entendu dans ses explications et peut se faire assister d’un avocat.
Le Procureur du Roi est alors saisi suite à la plainte adressée à son soin par le
capitaine du navire en question, avec pièces à l’appui.

Toutes les infractions prévues par le Dahir du 20 février 1937 bénéficient


du sursis prévu par les dispositions de l’article « 463 » du Code Pénal
« français »41 ; les amendes sont versées au Trésor42.

Le pilotage obligatoire est le premier moyen pour protéger les intérêts


privés et les intérêts publics des conséquences résultant d’accidents maritimes,
tout en améliorant, en même temps, l’efficacité de la navigation.

D’excellentes raisons justifient l’obligation de pilotage :


– sécurité de la navigation dans les approches portuaires et les ports ;
– préservation des installations portuaires ;
– protection de la nature et de l’environnement marin ; etc.

L’inexistence d’un service de pilotage coûterait très cher aux assureurs, et


par voie de fait, aux armateurs. Le service serait effectué par des personnes
incompétentes qui mettraient aussi bien le navire que les installations portuaires
en danger ; les incidents et les accidents verraient leurs nombres monter en
flèche, et par conséquent, les assureurs, pour dédommager les tiers victimes de
ces accidents, seraient en droit d’augmenter leurs primes d’assurance, et en fin
de compte ce seraient les armateurs qui débourseraient plus que ce qu’ils payent

38 En France, les articles 15 et 16 de la Loi du 28 mars 1928.


39 Au Maroc, article 17 du Dahir du 20 février 1937 ; en France, article 17 de la Loi du 28 mars 1928.
40 En France, article 86 du CDPMM.
41 Le Code Pénal marocain dispose de plusieurs articles sur le sursis ; la mise à jour de l’article 18

du Dahir du 20 février 1937 est indispensable.


42 Article 18 du Dahir du 20 février 1937 ; en France, article 18 (modifié par l’article 5 du Décret

du 30 octobre 1935) de la Loi du 28 mars 1928 : ces amendes sont versées à l’État.
232 Le droit maritime dans tous ses états

normalement avec un service de pilotage sérieux et des pilotes expérimentés et


compétents. Pour cela, on peut se permettre de dire que le pilote défend indi-
rectement les armateurs et les assureurs, puisqu’il veille purement et simplement
sur leurs intérêts respectifs. Il défend, également, les intérêts de l’État, qui l’a
commissionné justement pour cela, en préservant les infrastructures, les équi-
pements portuaires et l’environnement. On ne peut donc se limiter à analyser ce
service à la seule opération de pilotage, alors que le pilote offre son service tous
les jours de l’année, 24 heures sur 24, pour protéger les intérêts de tous les
intervenants, directs et indirects, concernés par l’expédition maritime du navire.

Le fonctionnement du pilotage est totalement régi par les pouvoirs


publics, et ce, pratiquement, dans tous les pays maritimes du monde ; partout,
également, le pilotage bénéficie d’un monopole juridique compte tenu d’impé-
ratifs de sécurité publique ; moyennant quoi, ses tarifs sont encadrés par
l’Administration ; ce contrôle de l’État « pallie efficacement l’absence de
concurrence ».

La Station de pilotage fonctionne généralement 24 heures sur 24, l’orga-


nisation du travail nécessite une présence physique d’un ou plusieurs pilotes.
Même au repos, le pilote ne peut s’éloigner de son domicile sans l’autorisation
du pilote major43. C’est une discipline propre au pilotage, d’où sa crédibilité

En effet, le bon déroulement de l’opération de pilotage entre le pilote


conseiller et le capitaine du navire implique une véritable complicité entre les
deux partenaires et notamment pour le pilote d’avoir été dans sa carrière
précédente à la place du capitaine entrant.

Métier indispensable au bon fonctionnement des ports, métier de haute


responsabilité, le pilotage maritime a toujours comporté quelques risques 44 .
D’où la nécessité d’une mise à niveau permanente aussi bien des connaissances
des pilotes que du matériel de la Station, en l’occurrence :
– la certification qualité qui obligerait la Station de se doter d’un manuel
de procédures, à l’instar des navires certifiés ISM Code ;
– doter la Station de moyens matériels modernes d’aide à la navigation ;
– munir les pilotes de service de jumelles infrarouges pour la navigation
de nuit ;
– des stages périodiques au simulateur pour tous les pilotes, en
application de la Résolution A960 de l’OMI.

43 Articles 14 et 15 de l’Arrêté Viziriel du 20 février 1937 ; en France, article 11 du Décret du


14 décembre 1929 portant règlement général de pilotage.
44 JMM du 27 mars 1992, p. 752-754 : « Le pilotage maritime dans les pays de la CEE ».
Lotfi CHEMLI
Avocat Prés La Cour De Cassation et Consultant International
Abdennebi Belazi BEN SAID
Ex-Directeur Central de la Compagnie Tunisienne de Navigation (COTUNAV),
Consultant international & Consignataire de Navires,

Il est d’un grand intérêt pratique aussi bien pour les juristes que pour les
professionnels du monde maritime d’avoir une idée claire sur l’évolution du
droit positif maritime Tunisien depuis la promulgation du Code de Commerce
Maritime Tunisien en 1962 jusqu’à nos jours, à la lumière de la législation inter-
nationale en vigueur et des décisions les plus pertinentes de la jurisprudence
Tunisienne concernant la responsabilité de l’armateur d’un côté et celle du
transporteur maritime de l’autre.
Ces deux types de responsabilité obéissent à des régimes juridiques fon-
cièrement différents : ces divergences se situent aussi bien au niveau du fonde-
ment, de la nature et des conditions de mise en œuvre et des limitations et
exemptions qu’à celui des applications jurisprudentielles qui se répercutent sur
les intérêts financiers et commerciaux des opérateurs maritimes.
Ce thème central de l’évolution du droit maritime Tunisien va nous per-
mettre de focaliser notre analyse autour du nouveau contexte juridique interna-
tional en vigueur et à travers les questions cibles soulevées par la jurisprudence.
Ces développements seront traités compte tenu des référentiels normatifs, tech-
nologiques et commerciaux des transports maritimes à l’instar de la conteneu-
risation, de l’utilisation des documents électroniques et de l’expansion du
transport intermodal.
L’intérêt d’un tel thème se justifie par l’acuité des litiges qui surgissent
entre les professionnels.
Les difficultés se sont accentuées avec l’entrée en vigueur de la conven-
tion de Hambourg et la transposition en droit interne de la convention des
Nations unies sur le transport multimodal international de marchandises de
Genève, 12-30 novembre 1979 et 8-24 mai 1980 ratifiée par la République
Tunisienne et publiée par la loi n° 98-21 du 11/03/1998.
Aussi est il nécessaire de dégager les spécificités du régime juridique
global de la responsabilité de l’armateur à travers les arrêts de la cour de
cassation dans l’affaire Amira (I) avant de tracer les contours du régime
234 Le droit maritime dans tous ses états

juridique du transporteur maritime et ses anachronismes à travers les cas de


jurisprudence les plus significatifs (II).

Il est évident que l’armateur en sa double qualité de propriétaire du na-


vire et de transporteur maritime est soumis séparément à un régime de
responsabilité civile différent.
Le système juridique de responsabilité de l’armateur instauré par le code
de commerce maritime se singularise par un caractère hybride tant au niveau de
ses principes, fondements, nature et conditions (A) qu’à celui de son application
par le juge (B).

L’analyse approfondie des dispositions du Code de commerce maritime


tunisien particulièrement celles des articles de 130 à 163 permet de distinguer
d’une part la responsabilité personnelle de l’armateur en sa qualité de pro-
priétaire du navire et les autres types de responsabilité à savoir sa responsabilité
civile délictuelle pour les faits d’autrui et des commettants pour les faits et
fautes de ses préposés et sa responsabilité contractuelle pour tous les engage-
ments qu’il a contractés.

Sous le titre I intitulé « de l’Armateur » ; le code de commerce maritime


définit dans son article 130 l’armateur « comme étant toute personne assurant
l’équipement ou l’exploitation d’un navire à des fins lucratives ou autres ». Cette
définition est extensive et trouve son inspiration dans les travaux de Chauveau,
alors que le principe de limitation de la responsabilité de l’armateur a été repris
du projet de la convention internationale de Madrid de 1955.
Le régime juridique du CCMT constitue une synthèse des différents
systèmes législatifs existant à l’époque et tendant à limiter la responsabilité de
l’armateur en s’écartant résolument du principe désuet, exprimé par la règle de
« la faculté d’Abandon ».
L’originalité de cette responsabilité se retrouve dans le principe général à
multiples facettes énoncé par l’article 131 CCMT stipulant que tout armateur
est « personnellement » responsable dans les cas suivants :
– De ses propres faits, fautes ou engagements ;
– Des conséquences dommageables aux personnes et aux choses résul-
tant des risques de la navigation et de toutes pertes, dommages et
avaries subis par les marchandises transportées ;
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 235

– Des engagements contractés par le capitaine dans l’exercice de ses


fonctions ;

L’armateur est civilement responsable des faits ou fautes du capitaine et


des membres de l’équipage dans l’exercice de leurs fonctions respectives.
Cette disposition, partiellement inspirée de l’article 46 du code libanais,
est originale à plus d’un titre au niveau des conditions de responsabilité des
propriétaires que de la nature des présomptions instituées et des limitations.

Celles-ci couvrent plusieurs situations plus extensives que celles adoptées


par la loi française n° 5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires qui ne règle
que l’unique problème de limitation de la responsabilité du propriétaire du navire.
L’article 131 CCMT comporte une multitude de situations juridiques :
Il répond, en effet, non seulement au titre des faits et fautes de l’ar-
mateur mais également à ses engagements au sens large ainsi que de toutes les
conséquences dommageables aussi bien aux personnes qu’aux choses au sens
de l’article 96 COC équivalent de 1384 Alinéa 1er Code civil français.
Ceci nous conduit à dire que le champ d’application de cette respon-
sabilité est très porteur compte tenu qu’il engage à la fois la responsabilité de
l’armateur pour les faits de ses préposés mais s’étend également aux faits et
fautes des membres de l’équipage toutes catégories confondues y compris le
Capitaine.
En résumé, l’armateur engage sa responsabilité civile du fait des choses
d’une part, pour les engagements qui lui sont personnels en tant que gardien du
navire d’autre part et enfin pour autrui (responsabilité du fait d’autrui).
Les questions qui méritent d’être élucidées sont de savoir :
– à quel titre l’armateur-propriétaire d’un navire peut-il engager sa
responsabilité civile ?
– et à quelles conditions peut-il la limiter ?

a. À titre délictuel, l’armateur est tenu de tous ses faits fautifs (respon-
sabilité subjective) ou non fautifs (responsabilité objective). Il répond également
de toutes ses fautes (nautique prouvée) qu’elles soient en relation avec la gestion
commerciale, nautique et technique du navire ou pas (article 131 al 1 CCM).
Par ailleurs, l’armateur est tenu de répondre civilement de toutes les
conséquences dommageables causées par le navire sous sa garde et qui portent
préjudice aux personnes (théorie des risques) ainsi qu’aux choses, à condition
qu’elles résultent des « Risques de la navigation » (échouage collision, naufrage).
Plus encore, l’armateur engage également sa responsabilité par le jeu de
l’institution de la représentation ou du mandat. Il en est de même de sa
236 Le droit maritime dans tous ses états

responsabilité en sa qualité de commettant pour les dommages causés par ses


préposés dans l’exercice des fonctions qu’il leur a confiées.

b. À titre contractuel, l’armateur est tenu contractuellement des enga-


gements qu’il a contractés à quel que titre que ce soit. Il est également tenu pour
les engagements contractés par son capitaine dans l’exercice de ses fonctions
tels que les contrats d’engagement maritime du personnel navigant, des contrats
de transport, de gérance, d’assistance. Cette responsabilité est soumise à la seule
condition de lien de causalité prouvé avec les attributions techniques,
commerciales du capitaine (droit commun).

Le principe de la limitation globale de responsabilité du propriétaire du


navire se justifiait historiquement par le principe que le navire était considéré
comme une fortune de mer, un patrimoine d’affectation. La perte du navire
excluait la responsabilité de son propriétaire dans la mesure où le capitaine était
considéré comme le seul exploitant de l’expédition maritime et la marchandise
était garante du navire et le navire garant de la marchandise.
Malgré, l’évolution remarquable intervenue dans le commerce maritime,
l’institution du principe de la limitation du propriétaire du navire a subsisté en
droit Tunisien (les articles 132 à 143 CCMT) en raison de ses origines ayant
inspiré le législateur Tunisien en l’occurrence le projet de la convention sur la
limitation de responsabilité des propriétaires de navire (Madrid 1955).
Avec l’entrée en vigueur de la convention de Londres du 19 novembre
1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes (OMI)
de nombreux conflits apparaissent avec une panoplie de règles applicables
suscitant des interrogations sur les critères de choix du droit applicable :
Est-ce la loi des parties qui est applicable lorsque la limitation est invo-
quée dans le cadre de la responsabilité contractuelle ? Celle de la loi du pavillon ?
Celle du lieu de conclusion ou d’exécution du contrat ? Ou celle du lieu de la
saisie du navire ?
D’autre part, la convention de Londres de 1976, entrée en vigueur le
1er décembre 1986, a institué des plafonds de limitation de la responsabilité en
faveur des armateurs dans le cadre de leur responsabilité délictuelle et contractuelle.
Ces plafonds s’appliquent en cas de dommages corporels subis par les
passagers ou toutes autres personnes à l’exception des marins. Il en est de
même en cas de dommages matériels à l’exclusion des dommages nucléaires ou
de pollution par hydrocarbures. Ces cas sont régis par des conventions
internationales spécifiques.
Le principe de limitation globale de responsabilité de l’armateur, bien que
solidement établi en droit Tunisien, a été largement contesté par les pays
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 237

chargeurs du fait qu’il est plus profitable aux pays-armateurs qui disposent
d’une flotte marchande à forte jauge.
Sauf exception, le principe général du droit civil selon lequel celui qui
cause un dommage à autrui est tenu à une réparation intégrale, n’est pas
appliqué en droit maritime caractérisé par son particularisme et l’armateur n’est
tenu que d’une indemnité partielle.
Dans cette optique, la Tunisie a, par décret du 31/12/1992, relevé les
plafonds de limitation de la responsabilité de l’armateur, sans pour autant
s’aligner sur ceux prévus par la convention de Londres de 1976 de crainte que
ses effets ne se répercutent sur le coût du fret et des primes d’assurances au
détriment des chargeurs. Aussi, actuellement le plafond de la limitation de la
responsabilité de l’armateur est fixé parfaitement en ce qui concerne les
créances de réparation des dommages matériels, à un montant global de
150 000 DT par tonneau de jauge brute, et à un montant global de 250 000 DT
TJB en ce qui concerne les créances de réparation des dommages corporels.

Il y a lieu de noter que notre analyse se limitera en Tunisie uniquement à


la célèbre affaire Amira qui a été jugée par les tribunaux Tunisiens, vu son im-
portance sur le plan juridique en occultant les litiges qui ont été réglés par
transactions amiables et qui ne sont pas d’un grand intérêt juridique. Concer-
nant le droit français nous évoquerons la première jurisprudence qui a appliqué
la convention de Londres de 1976.

L’affaire du navire Amira :


La jurisprudence Tunisienne a eu à résoudre ce cas d’espèce fort
remarquable qui a fait couler beaucoup d’encre1.
Cette affaire a fait l’objet des plusieurs arrêts de la Cour de cassation
ayant adopté des positions diamétralement opposées. Il s’agit d’un litige né à la
suite du naufrage du navire en question au cours d’un voyage entre un port russe
et une destination turque au cours duquel le navire a subi un accident de mer
entraînant la perte totale du navire, de la marchandise et de l’ensemble de l’équi-
page. Cette catastrophe maritime a eu lieu en mer noire dans des conditions
météorologiques peu favorables le soir du 9 janvier 2003. Le navire immatriculé
sous TG 917 – Amira BV 935 n° 46 appartient à l’armateur SMA Société
Maritime Amira.

1 Affaire n° 23919/6/2005 du 2/7/2005.


238 Le droit maritime dans tous ses états

Cet événement est fort significatif à plusieurs titres :


– Les tribunaux tunisiens ont, sur la base d’une enquête menée par la Ma-
rine Marchande et après le délai légal, prononcé un jugement déclara-
tif de décès de l’ensemble de l’équipage valant certificats de décès.
– Les avocats des ayants droit des victimes ont essayé, en vain, de trou-
ver un compromis amiable avec les Assureurs et l’armateur. La
Société Maritime Amira a refusé l’indemnisation, malgré l’organisa-
tion de plusieurs réunions sous l’égide du Ministre du transport en
raison de l’impact médiatique et social soulevé auprès du public, et
des organisations nationales et internationales.
– Les ayants droit de certaines victimes ont demandé à la justice de pro-
noncer, par ordonnance sur requête, une saisie conservatoire de la
prime d’assurance devant être versée en faveur de l’armateur.
– La société « Amira » a interjeté appel pour annuler ce jugement con-
servatoire sans obtenir gain de cause.
– Le jugement prononcé le 2 août 2004, a autorisé le gel de 1,5 million
de dinars représentant une quote-part de la valeur assurée du navire
naufragé Amira. Cette procédure a été rendue d’autant plus
nécessaire, que l’armateur, qui disposait de ce seul navire, était « en
état de liquidation ». Outre le fait que les ayants droit des victimes
craignaient ne pas pouvoir exécuter ce jugement faute de répondant.
– La saisie conservatoire a consisté à bloquer ces sommes « jusqu’au
prononcé d’un jugement définitif sur le fond par les tribunaux
compétents ».
– Les avocats des ayants droit des victimes ont parallèlement introduit
sur le fond du litige une action en responsabilité civile auprès du
tribunal de première instance de Tunis en date du 05/12/2003 pour
faire condamner l’armateur à une indemnisation juste et équitable
dirigée contre l’armateur.
– Les avocats mandatés par les compagnies d’assurances ont réfuté la
responsabilité de L’Assureur.
– Les avocats de l’armateur ont invoqué l’incompétence des tribunaux
tunisiens ainsi que le principe même de fonder l’indemnisation sur la
base des articles 130 et 131 du CCMT en soutenant que le contrat
d’assurance P&I prévoit la compétence des tribunaux anglais.

L’action en justice a été introduite initialement auprès tribunal de pre-


mière instance de Tunis compétent et la requête introductive d’instance était
accompagnée de l’original du jugement déclaratif de décès et de perte de la
totalité de l’équipage, du certificat de décès, du contrat d’assurance protection et
indemnité et d’une copie certifiée conforme de tout le rapport de l’enquête
maritime contradictoire élaboré par la commission désignée à cet effet par
arrêté du Ministre du Transport et des Technologies de la communication.
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 239

Cette requête était fondée juridiquement sur la base de la responsabilité


civile délictuelle globale de l’armateur à titre principal sur la base de l’article 131
du CCMT et également l’article 101 de même code relatif à l’énumération des
créances maritimes et subsidiairement sur la base de l’article 96 du code des
obligations et des contrats.

Le Cargo Amira a fait naufrage en Ukraine dans la nuit du 9 janvier 2003.


Ce navire de construction japonaise immatriculé TG 917 et contrôlé technique-
ment par le Bureau Veritas au numéro BV930 N46 et administrativement par la
Direction Générale de la Marine Marchande Tunisienne appartient au Groupe
Poulina qui dispose de plusieurs sociétés filiales dont notamment la société de
transport Maritime Amira SMA au capital de 700 000 000 DT.
Celle-ci a assuré le corps du navire auprès de la Compagnie d’Assurances
GAT et a adhéré au club de protection et indemnité Hollandais Intercoastal
(Rotterdam) représenté en Tunisie par BUDD-Protecmar.
La perte totale du navire ayant été dûment constatée, les ayants droit de
victimes ont demandé la réparation intégrale.
En effet, l’armateur est tenu de réparer les préjudices subis au titre de sa
responsabilité personnelle engagée pour tous les dommages causés aux
personnes et aux choses résultant des risques de la navigation.

Les tribunaux tunisiens ont eu à se prononcer sur des questions essentielles

Le tribunal s’est déclaré compètent en application des dispositions du


CCMT selon lesquelles tout navire portant pavillon Tunisien est immatriculé au
chef-lieu de quartier maritime qui devient son port d’attache. Ce port d’attache
détermine la compétence territoriale et les dispositions d’ordre public du
CCMT entraînent la compétence d’attribution. En effet, les articles 161 et 162
CCMT stipulent que toutes clauses contraires aux règles de responsabilité
édictées par le Code sont réputées non écrites.

Celle-ci est soumise à l’article 234 CCMT qui fixe un délai de 2 ans pour
intenter l’action en réparation.
240 Le droit maritime dans tous ses états

Les tribunaux ont rejeté l’application des clauses du contrat d’assurance


P&I au motif que l’article 162 CCMT considère comme non écrite, toute clause
qui aurait pour effet de déplacer le lieu où, selon les règles de compétence
établies par le Code de Commerce Maritime ou le Code de Procédure Civile et
Commerciales, doit être jugé le litige, et ce, même en cas d’action récursoire ou
de pluralité de défendeurs.
- Les tribunaux tunisiens ont été divisés puisqu’ils ont prononcé des ju-
gements contradictoires. Certaines chambres ont estimé que ce sinis-
tre relève, bel et bien, des accidents de travail qui sont de la compé-
tence exclusive du juge cantonal alors que d’autres ont appliqué les
dispositions du CCMT en indemnisant les demandeurs sur la base de
l’article 131. Cette division de la jurisprudence s’est reflétée sur les
arrêts de la Cour de cassation qui ont opté pour la consécration de
principes diamétralement opposés ce qui a gravement entaché la
crédibilité de la Cour de cassation Tunisienne auprès des parents des
victimes et de l’opinion publique.
- L’un des avocats mandatés par les ayants droit des victimes a soutenu
que la majorité des familles des victimes considèrent que les sommes
octroyées par le tribunal sont en deçà de leurs attentes.

L’affaire du cargo « Amira I » constitue un cas jurisprudentiel émergent


méritant d’être analysé en profondeur en raison des anachronismes et dévia-
tions opérées par certaines chambres de la Cour de cassation en rupture totale
avec les réalités modernes des événements de mer de par le monde.
Cette affaire a permis à la Cour de cassation de déterminer à quel titre le
propriétaire d’un navire de commerce ayant subi une perte totale corps,
personnes humaines et biens est responsable en vertu des principes et
fondements qui lui sont applicables aussi bien au niveau de la compétence, que
de la prescription et de la limitation de réparation.
Néanmoins des zones d’ombre subsistent et méritent une analyse plus
subtile pour en déceler les raisons profondes ayant écarté l’indemnisation en
faveur de plusieurs ayants droit des victimes.

Un commentaire intéressant a été publié au n° 476 (octobre 1988) du


mensuel DMF. Il est utile de faire référence aux commentaires de la doctrine
spécialisée en débutant par un exposé des circonstances du litige en cause à
travers les observations de M. Pierre-Yves Nicolas, M. Guillaume Brayeux,
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 241

avocat et le professeur Antoine Vialard en remarquant que ce cas d’espèce


complète l’affaire « Amira ».

Le 23/06/1987, suite à une avarie de barre, le Fuyoh-Maru, navire


pétrolier japonais, aborde le navire Vitoria, un pétrolier grec de 16 000 tonnes,
alors qu’il remontait la seine près de Saint-Maurice-d’Etelan.
Le navire japonais, chargé de kérosène n’a pas subi de dommages graves.
Par contre, le navire Vitoria qui était en lège, mais non inerte selon la Conven-
tion Solas, explose purement et simplement et ses débris furent retrouvés à
plusieurs kilomètres du lieu du sinistre sans faire de dommages corporels.
Le bilan est tragique : 6 morts sur Vitoria parmi lesquels le pilote. Les
pertes financières de l’Armateur grec sont énormes (50 millions d’anciens francs)
et comprennent notamment le coût de retirement de l’épave, les indemnités
dues aux marins et à leurs ayants droit et les frais d’intervention du port
autonome de Rouen.
Le sauvetage, l’assistance et les secours d’urgence sont organisés aussitôt
après l’explosion. Plusieurs bâtiments de la marine nationale, un bateau-pompe,
deux remorqueurs du Havre et des embarcations légères du Port Autonome de
Rouen participent aux opérations de sauvetage de l’équipage et à la lutte contre
l’incendie et la pollution. Les pertes financières du Port Autonome, du fait de
ces interventions, se chiffrent à près de 3 millions de francs.

– Dès le 23 juin, le Fuyoh-Maru est saisi conservatoirement à la requête


des autorités portuaires de Rouen et de l’armateur du Vitoria.
– Le 2 juillet, le Président du Tribunal de Commerce de Rouen autorise
la constitution du fonds de limitation en vertu de la convention de
Londres de 1976 et en fixe le montant à environ 33 millions de francs.
– Courant mois de juillet, le Port de Rouen, dont la créance a été
garantie, donne mainlevée de sa propre saisie du navire.
– Le 14 août, le Président du Tribunal de Commerce de Rouen
ordonne de lever la saisie du navire japonais le Fuyoh-Maru après
avoir constaté la constitution régulière du fonds de limitation.
– Cependant, le fonds de limitation constitué n’ayant pas couvert
l’intégralité des pertes financières de l’armateur grec, ce dernier opéra
la saisie conservatoire d’un autre navire de la flotte appartenant à
l’armateur japonais en l’occurrence le Terutoku-Maru sur la base
d’une ordonnance sur requête motivée « par la perte de la valeur du
navire, de la perte de vies humaines, des problèmes de la cargaison,
des questions relatives au renflouement de l’épave et de sa
242 Le droit maritime dans tous ses états

récupération ainsi que des implications financières liées à l’abordage


afin de garantir l’intégralité des dommages subis par le requérant ».
– Pour sa part, l’armateur Japonais dont le navire a été saisi, demande
au tribunal la mainlevée de cette mesure conservatoire en invoquant
l’article 13 de la convention de Londres de 1976, ce que lui refuse le
Président du Tribunal de Commerce de Bordeaux au motif que le
fonds de limitation de responsabilité ne couvre que les créances qui
lui sont soumises, que, de par la loi, le prix du contrat permettant
d’éviter les risques de l’épave du Vitoria, le coût de son enlèvement,
de la responsabilité du navire Japonais, sont exclus du Fonds de
limitation au même titre que les créances des préposés du Vitoria,
s’agissant de contrats d’engagement selon la loi grecque laquelle
n’admet pas la limitation de responsabilité.

Dans ces conditions, le TCB ne fait pas droit à la demande de la société


Shinkyu Kisen, propriétaire du navire Japonais saisi.
Le 8/09/1987, la Cour d’appel de Bordeaux infirme cette ordonnance au
motif que les créances de renflouement d’une épave figurent dans celles entrant
dans la masse constituant la masse globale limitée et qu’il est inexact de
prétendre que la France a exclu cette créance selon les réserves rendues
possibles par l’article 18 de la convention.

Cette décision a été critiquée par la doctrine Française

3 types de commentaires ont été adressés à cette première jurisprudence


sur l’application de la convention de Londres de 1976 de la part d’éminents
juristes.
a. Pour M.P.Y. Nicolas, la décision de la Cour d’appel de Bordeaux est
la première du genre et n’est pas totalement convaincante à deux niveaux :
Sur le plan des créances invoquées par l’armateur Grec lié aux frais de
retirement, du navire Vitoria :
Selon cet auteur, la convention de Londres pose le principe selon lequel

« … sont soumises à la limitation de la responsabilité…, les créances qui


ont pour objet d’avoir renfloué, enlevé, détruit ou rendu inoffensif un
navire coulé, naufragé, échoué ou abandonné, y compris tout ce qui se
trouve ou s’est trouvé à bord » (art 2, §1, alinéa D)

Selon P.Y. Nicolas, l’article 2 (première phrase du § 2) a ajouté que si


lesdites créances « font l’objet d’une action contractuelle ou non, récursoire ou
en garantie, le principe de la limitation s’applique.
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 243

En ce sens, il importe peu que la créance soit invoquée par l’entreprise


de relevage elle-même ou par un subrogé qui l’a payée, et exerce un recours
contre l’armateur responsable.
À ses yeux, l’armateur du Vitoria a en réalité invoqué l’application de la
deuxième phrase du §2 de l’article 2 de la convention aux termes de laquelle

« … les créances produites aux termes des alinéas D, E et F du §1 ne


sont pas soumises à la limitation de responsabilité dans la mesure où elles
sont relatives à la rémunération en application d’un contrat conclu avec
la personne responsable ».

Selon le commentateur, ce terrain n’était pas favorable du fait que le


contrat de retirement du navire-épave n’a pas été conclu avec la personne
responsable, l’armateur du Fuyoh-Maru, mais plutôt avec le propriétaire du
navire Vitoria.

b. M. Guillaume Brajeux, Avocat à la cour de Rouen considère que


la première application par les juridictions françaises de la convention de Londres
du 19 novembre 1976, présente le scénario de deux propriétaires de navires
dont l’un a causé un dommage à l’autre et non pas le cas d’un armateur ayant
causé des dommages à divers créanciers ordinaires ou privilégiés de droit public
La situation est originale : le propriétaire du Vitoria qui prétendait n’avoir
pas limité sa responsabilité pour trois types de créances peut-il imposer au
propriétaire du Fuyoh-Maru la même absence de responsabilité ? Il affirme que
concernant les frais d’équipage, l’absence de limitation ne pouvait pas être
imposée à l’armateur du Fuyoh-Maru. Par contre, les frais de retirement du
Vitoria devaient être soumis à la limitation. Reste le problème posé par les frais
d’intervention du Port Autonome de Rouen et à cet effet, M. Guillaume
Brajeux, évoque les conséquences du traitement particulier octroyé par la
convention de 1976 aux États et aux personnes de droit public qui doit se
limiter à cette catégorie de créanciers favorisés et toute extension aux autres
créanciers risque de ruiner le système d’indemnisation patiemment construit.

Ainsi en droit maritime Américain (common law), l’avocat Christopher


B. Ken De a soulevé trois idées sur les sources jurisprudentielles du droit
américain. La limitation de la responsabilité de l’armateur est réglementée par
des lois fédérales mais généralement la jurisprudence est la source quasi-
exclusive de droit maritime.

En outre le droit américain est plus sévère à l’égard des armateurs, des
transporteurs maritimes que le droit tunisien français.
244 Le droit maritime dans tous ses états

Les règles régissant la limitation de responsabilité sont interprétées avec


une grande rigueur par les tribunaux américains. La raison est que les États-
Unis est un pays de chargeurs à l’instar de la Tunisie. D’autre part, le droit
maritime Américain met l’accent sur la sécurité du navire et sa navigabilité, la
« Sea Worthiness »
Il en fait une notion centrale et impose aux armateurs une stricte
obligation d’assurer la navigabilité de leurs navires au bénéfice des marins et
toute personne appelée à exercer son activité sur le navire (affaire Amoco-Cadiz)
Aussi, la faute la plus grave est celle qui viole la sécurité du navire et qui
prive aussi bien l’armateur que le transporteur du bénéfice des privilèges,
exonérations ou limitations de responsabilité.
Enfin, le droit maritime Américain accorde une importance aux règles de
preuve où la law evidence (théorie des prévues) : Ainsi tout procès donne lieu à
discussion approfondie et présentation de preuves qui peuvent modifier les
règles de fond.
Néanmoins, en matière de limitation de responsabilité, c’est à l’armateur
qu’il appartient de faire la preuve de l’absence de faute de sa part.
Après avoir passé en revue le particularisme des règles régissant la
responsabilité de l’armateur en droit positif tunisien, il y a lieu de se pencher sur
l’autre facette du sujet traité à savoir le régime de responsabilité du transporteur
maritime et les vicissitudes de la jurisprudence tunisienne notamment l’entrée
en vigueur des règles de Hambourg (II)

L’entrée en vigueur le 01/11/1992 de la convention des Nations unies


sur le transport des marchandises par mer, (1978) connue sous l’appellation des
règles de Hambourg, et sa ratification par la Tunisie, a introduit au sein de la
législation commerciale maritime Tunisienne des modifications substantielles,
voire des perturbations qui ont sensiblement affecté le régime juridique de
responsabilité du transporteur maritime traditionnellement bien établie.
En effet, l’article 165 al 3 du CCM définit le transporteur de marchan-
dises comme la personne par laquelle ou au nom de laquelle un contrat de
transport de marchandises par mer est conclu avec un chargeur (modification
par la loi n° 98-22 du 16/03/1998). Il assimile, à son alinéa 2, l’affréteur qui
transporte des marchandises appartenant à des tierces personnes, au statut de
transporteur maritime.
Aussi, le régime de responsabilité propre du transporteur maritime en
vertu des articles 144 et suivants du CCM est une responsabilité limitée repo-
sant sur une présomption dont la nature a subi des modifications après la
ratification par la Tunisie de la convention de Hambourg.
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 245

Historiquement, l’évolution de la responsabilité du transporteur maritime


sur ce point est passée par plusieurs étapes : Elle était fondée selon le code des
obligations et des contrats (COC) sur une présomption de responsabilité diffi-
cile à écarter semblable à celle de la loi Française « Rabier » du 17 mars 1905.
Par contre, l’ancien décret beylical du 16 juin 1942 a institué, quant à lui, une
présomption de responsabilité du transporteur maritime avec l’aménagement
d’une série de causes légales d’exonération favorables au transporteur. Quant au
code de commerce maritime actuellement en vigueur, il établit un régime
juridique calqué sur les règles de la convention internationale de Bruxelles du
25/08/1924, pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement.
L’adoption de la convention de Hambourg a, par contre, introduit au
sein de la législation commerciale maritime Tunisienne des bouleversements
substantiels ayant défiguré le régime juridique du transporteur maritime
applicable depuis 1962.
Les règles fondamentales concernant le transport de marchandises sous
connaissement se basent sur les principes suivants :

a. Ces principes sont articulés autour de sa nature contractuelle


résultant de l’article 206 CCMT qui considère que le transport maritime s’effec-
tue par un contrat de transport de marchandises par mer qui est « la convention
par laquelle un transporteur maritime s’engage à prendre en charge une mar-
chandise que lui remet un chargeur avec promesse de la délivrer à destination ».
La notion de chargeur ne prête à aucune équivoque. En effet, selon
l’article 166 CCMT

« le chargeur est toute personne par laquelle ou au nom de laquelle ou


pour le compte de laquelle un contrat de transport de marchandises par
mer est conclu avec un transporteur ainsi que toute personne par laquelle
ou au nom de laquelle ou pour le compte de laquelle les marchandises
sont effectivement remises au transporteur dans le cadre d’un contrat de
transport de marchandises par mer ».

b. Le fondement et l’étendue de la responsabilité du transporteur


maritime sous connaissement sont régis par les articles 141 à 149 CCMT et
s’appliquent à toutes pertes, dommages ou avaries subis par les marchandises
transportées.

c. La délimitation du champ de la responsabilité est fixée dans le


temps et dans l’espace à partir de l’appréhension des marchandises par le
246 Le droit maritime dans tous ses états

capitaine ou les agents du transporteur maritime au port d’embarquement


jusqu’à sa délivrance au destinataire au port de destination.

d. La nature de la présomption légale de responsabilité qui pèse sur


le transporteur est une obligation de résultat. Toutefois le même code ajoute
une condition : celle d’avoir exercé une diligence raisonnable, ce qui instaure un
flou laissant entendre qu’il s’agit en réalité d’une présomption de faute.

e. Le plafond de la limitation de responsabilité a été affirmé dans


son principe et ses montants fixés par l’article 147 CCMT qui dispose que
quelle que soit la nature nationale ou internationale du transport, la responsa-
bilité du transporteur maritime ne peut, sauf le cas de dol, dépasser pour les
pertes, avaries ou dommages survenues aux marchandises, les sommes fixées
par le décret n° 216 du 20/01/1990 : 400 dinars par colis ou par unité habi-
tuelle de fret à moins que la nature et la valeur de ces marchandises n’aient été
déclarées par le chargeur avant leur embarquement et que cette déclaration ait
été insérée au connaissement pour faire foi à l’égard du transporteur, sauf s’il
fournit la preuve contraire.

f. Les réserves spéciales :


Si le transporteur conteste, pour une raison ou une autre, l’exactitude de
la déclaration ou a des doutes sur sa sincérité, il est habilité par la loi à insérer
sur le connaissement des réserves spéciales. Celles-ci doivent nécessairement
être motivées séparément colis par colis en transférant la charge de la preuve de
leur véritable valeur, soit à la charge de l’expéditeur de la marchandise lui-même
ou à défaut, du réceptionnaire de la marchandise.
Il est évident que le système de responsabilité institué par les dispositions
pertinentes du CCMT était intimement imbriqué avec les autres règles des
professions maritimes.
Le transporteur, pour bien accomplir ses obligations en vertu du contrat
de transport le liant au chargeur ou au destinataire, est lié par les prestations des
entrepreneurs de manutention qui assurent le chargement et le déchargement
des marchandises transportées par le navire dans l’enceinte portuaire.
L’entrepreneur de manutention intervient selon l’article 169 du CCMT
en qualité de mandataire

« chargé, dans l’enceinte portuaire, de toutes les opérations d’embarque-


ment et de débarquement des marchandises y compris les opérations de
mise et de reprise sous hangar et sur terre-plein, qui en sont le préalable
ou la suite nécessaire » (modification par la loi n° 98-22 du 16/03/1998).
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 247

Il est également chargé de la réception et de la reconnaissance à terre des


marchandises ainsi que leur garde et conservation jusqu’à leur embarquement
ou leur livraison matérielle aux ayants droit.
Aussi, est-il admis que l’entrée en vigueur et la ratification de la Con-
vention de Hambourg par la Tunisie ont profondément déstabilisé les assises
du régime de responsabilité institué, jusque-là par le CCMT, ce qui a eu pour
conséquence une jurisprudence manquant d’homogénéité à plusieurs niveaux :
En effet, la Convention de Hambourg, dans son article 5/4 sur le fon-
dement de la responsabilité du transporteur, a opté pour une présomption de
faute (faute présumée), fondée sur l’article 5/1 : le transporteur est tenu respon-
sable du préjudice résultant des pertes ou dommages subis par les marchandises
mais aussi (ce qui est une nouveauté pour le droit Tunisien) du retard à la
livraison à condition de prouver que :
L’événement qui a causé la perte, le dommage ou le retard a eu lieu
pendant que les marchandises étaient sous sa garde selon les termes de l’article 4 ;
Et à moins qu’il ne rapporte la preuve contraire, que lui-même (trans-
porteur), ses préposés ou ses mandataires ont pris toutes les mesures qui pou-
vaient raisonnablement être exigées pour éviter l’événement et ses
conséquences (obligation de diligence).
Malencontreusement, le système instauré par le CCMT a été « déchique-
té » puisque l’article 5/3/a rend le transporteur responsable en cas d’incendie
résultant d’une faute ou d’une négligence du transporteur ou ses préposés, des
fautes entraînant un retard dans la livraison. De même en cas d’incendie, une
enquête doit être menée conformément à la pratique des transports maritimes,
ce qui est déjà une règle suivie depuis toujours en droit maritime tunisien.

g. les limites de la responsabilité posées par l’article 6 de la


convention de Hambourg sont au-delà de celles déterminées par le CCM à
savoir 835 unités de compte par colis ou unité de chargement et 2,5 unités de
compte par kilogramme de poids brut.
La liste des divergences est plutôt longue, ce qui a rendu le CCMT ana-
chronique et défiguré par rapport aux Règles de Hambourg, entraînant une
grande ambiguïté des solutions due à une dualité de régimes juxtaposés arbitrai-
rement sans uniformisation. La jurisprudence Tunisienne a eu la très délicate
tâche de naviguer à travers des textes législatifs affectés de remous pour consa-
crer une jurisprudence abondante et parfois inquiétante à tous les niveaux
(compétence, loi applicable, déchéance, limitation, freinte de route, exemptions)
et qui fera l’objet d’une étude détaillée plus loin.

h. La présomption de responsabilité accentuée du CCMT :


Le Code de Commerce Maritime a encadré les obligations du transpor-
teur maritime par une présomption de responsabilité en s’inspirant des
dispositions de la Convention internationale de 1924 sur le connaissement sans
248 Le droit maritime dans tous ses états

la ratifier. En effet le transporteur maritime demeure responsable de toute perte,


dommage ou avaries subis par les marchandises voyageant sous connaissement.
Ainsi, l’article 145 énonce le principe que le transporteur est garant de
toutes pertes, avaries ou dommages subis pour les marchandises pour lesquels il
n’aurait pas exercé une diligence raisonnable. Il s’exonère s’il prouve que les
causes des pertes ou dommages proviennent des neuf cas limitativement cités.
En effet, par la mise en jeu de cette présomption, le transporteur est tenu
d’une obligation de résultat dont il ne peut s’exempter qu’en prouvant
l’existence des cas exceptés. Dans le même esprit et paradoxalement, l’article
145 CCMT a institué à l’encontre du transporteur maritime une présomption de
garantie de toutes pertes, avaries ou lorsqu’il est prouvé que le transporteur n’a
pas agi en bon père de famille et n’a pas exercé la diligence raisonnable exigée.

i. Les causes légales d’exemption du CCMT :


Le transporteur ne peut s’affranchir de cette obligation de garantie que
s’il parvient à prouver que les causes de ces préjudices proviennent des cas
exceptés énumérés ou causes suivantes :
1er cas Les faits, négligences ou fautes du Capitaine, des marins, du
pilote ou de ses propres préposés, dans la navigation ou le
maniement du navire ;
2e cas Les vices cachés du navire ;
3e cas Les faits constitutifs d’un cas fortuit ou de force majeure
revêtant les caractères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et
d’extranéité ;
4e cas Les grèves, lock-out, arrêts ou entraves apportés au travail
pour quelque cause que ce soit, partiellement ou totalement ;
5e cas Le vice propre de la marchandise ou défaut d’emballage ou de
marque ;
6e cas Les déchets de route (freinte de route) en volume ou en poids
d’après la nature de la marchandise, la durée du voyage, les
variations de température et la tolérance déterminée par les
usages ;
7e cas L’acte d’assistance ou de sauvetage ou la tentative faite dans ce
but ou encore du déroutement du navire effectué à cet effet ;
8e cas L’incendie ;
9e cas Le déroutement justifié du navire après avis des officiers ou
des principaux

La multiplicité des cas exceptés et leurs interprétations incertaines et


variées ont donné lieu à de nombreuses zones d’ombre, voire des vicissitudes
théoriques et pratiques. Certains cas exceptés d’exonération ont perdu de leur
valeur, ce qui a nécessité sur le plan international, des travaux de rationalisation
et d’uniformisation tendant à clarifier certains concepts. Le CCMT a prévu que,
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 249

dans tous les cas exceptés ci-dessus mentionnés, le chargeur est habilité par la
loi, d’administrer la preuve contraire en prouvant que les préjudices sont
imputés soit à une faute du transporteur (faute personnelle prouvée) soit à une
faute de ses proposés non couverte par le 1er cas d’exemption.
Il s’avère, par voie de conséquence, que le CCMT a prévu des causes va-
riées d’exonération et la seule preuve de l’une d’elles est de nature à écarter sa res-
ponsabilité ce qui est différent des cas de la Convention de Hambourg plus ciblés.
Ces causes légales d’exonération ont été réparties par la doctrine en cause
tenant à l’exploitation du navire (faute nautique du capitaine, vice caché du na-
vire, innavigabilité du navire, déroutement du navire par acte d’assistance ou de
sauvetage) et en causes imputées à un fait étranger au navire (cas fortuit, force
majeure, grèves, entrave au travail, vices de la marchandise, freinte de route,
incendie).
Néanmoins avec l’entrée en vigueur de la Convention de Hambourg, les
cas exceptés ont perdu toute signification à l’exception de ceux maintenus par
les règles de Hambourg.
Il convient, par ailleurs, de remarquer que la jurisprudence Tunisienne
relative à la freinte de route, par exemple, a été pléthorique et mérite qu’on lui
réserve une place de choix.
En effet, la notion de freinte de route a été citée par l’article 145 al 8 du
CCMT comme étant une cause légale d’exonération du transporteur maritime
de la responsabilité qui pèse sur lui et ce, dans des proportions et à des taux
reconnus par l’usage. Celle-ci est appréciée soit en volume soit en poids d’après
la nature de la marchandise, la durée du voyage, les variations de température et
la tolérance déterminée par les usages. De par sa nature, la freinte de route (ou
déchet de route) est une forme de vice propre de la marchandise. L’expérience
portuaire et maritime a démontré que certaines catégories de marchandises telles
que l’acide phosphorique, les huiles, les vins en vrac, les farines, les charbons
mouillés, peuvent perdre du poids ou du volume lorsqu’elles sont transportées
par mer dans certaines conditions atmosphériques et de durée.

Au cours de la réalisation des opérations de transport proprement dites


et des opérations commerciales de chargement et de déchargement, les unités de
charge telles que palettes, conteneurs et semi-remorques peuvent subir des per-
tes, avaries ou préjudices, ce qui implique de traiter le contentieux de la respon-
sabilité du transporteur maritime sous l’angle des principales décisions pronon-
cées par les tribunaux Tunisiens et particulièrement par la Cour de cassation en
mettant l’accent sur le fondement et les conditions de mise en œuvre de cette
250 Le droit maritime dans tous ses états

responsabilité et ses implications juridiques et financières ainsi que les


vicissitudes l’ayant caractérisée.
La jurisprudence Tunisienne a eu à résoudre une multitude de litiges
relatifs à ce sujet important.
Elle était ballottée entre les dispositions impératives du CCMT et les
nouvelles dispositions des Règles de Hambourg applicables en vertu d’une règle
constitutionnelle donnant priorité d’application aux traités dûment signés et
ratifiés par la Tunisie, ce qui a bouleversé la philosophie juridique du CCMT.
En effet, il est clair que l’objectif initial des Règles de Hambourg est la
recherche d’un juste équilibre dans la répartition des risques entre les transpor-
teurs, les chargeurs et les assureurs maritimes ainsi qu’une division équitable des
charges, droits et obligations en matière de responsabilité entre eux.
D’une manière générale, ladite Convention détermine la limite des pla-
fonds de responsabilité, résout la question de la limite de la valeur unitaire des
colis chargés en conteneurs, garantit le droit du transporteur à un plafond par
unité de charge en cas de dommage causé par ses employés et élude les litiges
relatifs à la validité des clauses concernant le choix de la loi applicable ainsi que
les clauses d’élection du for. Ces règles instituent le principe de l’arbitrage en
résolvant la question des marchandises en pontée, ainsi que celle des marchan-
dises pour lesquelles aucun connaissement n’est émis. Elles consolident les
exemptions accordées au transporteur en cas d’incendie et suppriment les
exonérations de responsabilité pour faute nautique.
Sur le plan international, les Règles de Hambourg introduisent des modi-
fications relativement légères sur la répartition des responsabilités en faisant
supporter une dose plus importante au transporteur qu’au chargeur. Néanmoins
elle n’opère pas, pour autant, un bouleversement radical du régime de respon-
sabilité en vigueur dans le concert mondial (convention de 1924 sur l’unifica-
tion de certaines règles en matière de connaissement, et protocole de Visby).
Par contre, elle défigure le système institué par le CCMT en y introduisant une
véritable cacophonie juridique.
Face à ces ambiguïtés, le législateur Tunisien a dû faire des modifications
par bribes et par à-coups à l’instar de la révision de l’ancien plafond de l’article
147 du CCMT largement dépassé par la conjoncture économique du transport
maritime, qui fixait les taux de la responsabilité du transporteur, quelle que soit
la nature nationale ou internationale du transport, (sauf en cas de dol) à un
plafond de 100 dinars (40 € environ) par colis ou unité habituelle de fret. La loi
de 1962 avait prévu qu’un décret pouvait modifier cette somme.
Cette carence a été partiellement levée par le décret n° 90/216 du
20/01/1990 qui ne tient compte que partiellement des taux fixés par les con-
ventions internationales en vigueur ; et des révisions législatives ponctuelles ont
été introduites.
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 251

Ils sont nombreux et variés :


Ainsi par décision n° 9178 du 21 mai 2005 2 la Cour de cassation a
affirmé le principe que

« La république Tunisienne a ratifié la Convention de Hambourg de 1978


publiée au JORT par décret n° 117 en date du 17/01/1981 et entrée en
vigueur en 1992. De ce fait, il existe dans la législation tunisienne des
causes d’exemption de la responsabilité découlant du retard dans la
livraison de la marchandise transportée ».

La Cour suprême est allée plus loin encore dans une décision, étonnante
et critiquable à plus d’un titre, en considérant que lorsque le transport maritime
revêt un aspect international, seules les règles de Hambourg sont applicables.
Les règles du CCMT sont, par conséquent, écartées et ne sont applicables que
pour le transport entre ports Tunisiens (cabotage national).
Un autre arrêt portant le n° 9326 du 21/06/2007 (BCC 201) de la Cour
de cassation a affirmé le principe selon lequel les règles de responsabilité du
transporteur maritime telles qu’édictées par le CCMT s’appliquent exclusive-
ment au transport maritime intérieur entre ports tunisiens et uniquement pour
les questions qui n’ont pas été incluses par les règles de Hambourg à l’instar du
transport maritime des personnes et à titre onéreux.
La Cour Suprême affirme : « Attendu que les dispositions du CCMT ne
peuvent en aucun cas s’appliquer aux opérations de transport international de
marchandises »
Cette décision a soulevé beaucoup de critiques en raison du fait qu’elle
confirme l’abrogation judiciaire pure et simple de toutes les règles impératives
applicables à la responsabilité du transporteur maritime, ce qui est à la limite
extrêmement audacieux, pour ne pas dire en violation avec la loi et les règles
d’interprétation usuelles.
À l’occasion d’un autre litige la Cour de cassation dans un arrêt non
publié (n° 37604 du 30/10/2010) confirme la tendance largement établie de
l’application des règles de Hambourg aux litiges enrôlés devant la justice en
consacrant le principe suivant :

« attendu qu’en vertu l’article 2 de la Convention des Nations unies sur le


transport des marchandises par mer de 1978 et compte tenu, du fait que
le déchargement des marchandises tel qu’il figure sur le connaissement
s’est opéré sur le territoire de la République Tunisienne, partie
contractante à la Convention de Hambourg, d’où il ressort que les

2 RJL, p. 195.
252 Le droit maritime dans tous ses états

relations juridiques dérivant du connaissement dans le litige font


nécessairement partie du champ d’application de la Convention de
Hambourg, seul texte applicable ».

À travers ces décisions transparaissent des vicissitudes et une véritable


instabilité contestable sur le plan des principes directeurs du régime de respon-
sabilité du transporteur. Aussi une clarification, voire une révision législative
profonde ou un « carénage systématique » devient, à notre avis, une nécessité
impérieuse pour corriger cette tendance pernicieuse de replâtrage.

Il convient de noter que l’évolution de la jurisprudence Tunisienne à ce


sujet a connu également plusieurs étapes.

Parmi les décisions les plus significatives, on peut citer celle de la Cour
de cassation du 3 mai 2005 (BCC 245) affirmant le principe selon lequel les règles
générales du CCMT sont seules applicables et notamment son article 169 qui
dispose que l’acconier opère pour le compte du transporteur maritime, lequel est
le seul tenu de l’obligation de délivrance des marchandises et, par conséquent, le
seul responsable du bon état de la marchandise jusqu’à sa délivrance au
destinataire.
Dans d’autres décisions, la Cour de cassation a opté également pour
l’application de l’article 146 CCMT en affirmant que tout préjudice à la mar-
chandise est présumé, sauf preuve contraire rapportée par le transporteur mari-
time, l’avoir été entre l’appréhension ou prise en charge de la marchandise et sa
délivrance au destinataire3.
Dans un autre arrêt n° 5190/2006 du 31/01/2007, la Cour de cassation,
à propos d’un contrat de transport maritime litigieux se situant entre deux pays
différents avec un port de déchargement Tunisien, a énoncé le principe selon
lequel

« La Convention de Hambourg s’applique en vertu de ses articles 2 et 15


relatifs aux mentions obligatoires que doit comporter le titre de transport
maritime. Il s’avère que parmi les mentions obligatoires, figure la nature
générale des marchandises, ses caractéristiques d’identification, la
déclaration expresse du caractère spécial des marchandises, le nombre de

3 C. cass n° 40438 du 21 mai 1996, BCC, p. 73.


Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 253

colis, le poids et la quantité, conformément aux spécifications signalées


par l’expéditeur.
L’article 16 ajoute que le transporteur doit insérer une clause de réserve
dans le connaissement établissant l’inexactitude des détails de la
marchandise, ainsi que les motifs qui l’ont laissé douter, ou si les moyens
raisonnables de vérification font défaut, sous peine de la supposer l’avoir
considéré comme valables.
Il ressort, selon la Cour de cassation, de la combinaison des deux articles
précités, que le transporteur est tenu d’apporter au connaissement, la
mention de la nature générale des marchandises et ses caractéristiques
d’identification. Cette obligation ne s’étend pas à la garantie des vices de
la marchandise, le défaut de sa description ou de sa qualité, qui pèse sur
le vendeur expéditeur, le contrôle du transporteur lors de l’acceptation de
la marchandise, se limite à la nature générale des marchandises et leurs
caractéristiques et ne s’étend pas à leur qualité ou leur conformité aux
normes exigées par l’expéditeur. L’absence de vices apparents et cachés
couverts par la garantie demeurent à la charge du vendeur expéditeur
jusqu’à la livraison, conformément à l’article 228 du CCMT, ce qui n’est
pas contraire aux dispositions de l’article 145 CCMT selon lequel le
transporteur doit garantir la marchandise… ».

Par décision n° 6071 du 9 mars 20054, la Cour de cassation a con-


sacré l’application des articles 169 et 144 CCMT en même temps que
l’article 4 de la Convention de Hambourg en affirmant que

« la présomption de responsabilité à la charge du transporteur maritime


commence selon l’article 144 CCCMT à partir de la prise en charge des
marchandises par le capitaine du navire ou par les agents du transporteur
maritime jusqu’à sa délivrance au destinataire »

Aussi, il s’avère que, concernant l’obligation de délivrance de la marchan-


dise quant à sa durée, la jurisprudence Tunisienne a toujours été constante,
contrairement à d’autres questions plus controversées.

Un survol des dispositions de l’article 145 CCMT, permet de savoir que


le transporteur maritime est garant de tous les préjudices subis par les
marchandises. Mais il peut s’exonérer en rapportant la preuve contraire dans les

4 RJL, 2006, p. 187.


254 Le droit maritime dans tous ses états

9 cas limitativement énoncés. Ainsi en est-il de l’arrêt de la Cour de cassation du


29 avril 1978 (n° 3977, BBC 72 P 64) qui a admis la force majeure comme cause
légale d’exonération de la responsabilité du transporteur maritime à condition
de revêtir les caractères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extranéité.

La freinte de route a fait l’objet d’une jurisprudence abondante en droit


positif Tunisien et les juridictions ont continué à l’appliquer alors même que la
convention de Hambourg ne l’a pas évoquée.
C’est en vertu de l’article 145 al 6 CCMT que cette cause légale d’exoné-
ration du transporteur maritime est retenue. Ainsi si le transporteur maritime
prouve que les pertes, avaries ou dommages ont pour cause des « déchets de
route » en volume ou en poids d’après la nature de la marchandise, la durée de
voyage, les variations de température et la tolérance déterminée par les usages, il
est en droit d’échapper à sa responsabilité.
Cette jurisprudence a connu une évolution souvent en « dents de scie » et
parfois chargée d’ambiguïtés.
Un grand nombre de décisions mériteraient d’être mis en exergue :
Ainsi en est-il de la décision civile5 qui a admis la freinte de route en tant
que cas légal d’exonération de la responsabilité du transporteur maritime
notamment pour certains produits tels que le ciment, le vin, le pétrole et dérivés.
Des perturbations sont intervenues au niveau de la position des tribunaux
surtout après la ratification de la Convention de Hambourg.
Cette ratification a divisé la doctrine en deux tendances : La première
préconisant le maintien de la freinte de route comme cause d’exonération sur la
base du CCMT et des usages, la seconde soutenant pour sa part son exclusion
pure et simple sur la base des Règles de Hambourg.
Un examen approfondi du courant jurisprudentiel permet de constater
également une division au sein des chambres de la Cour de cassation au sujet
des solutions adoptées à propos de litiges à problématique similaire au niveau
des faits, de la procédure et des allégations des parties.
Certaines appliquent la freinte de route en vertu l’article 145 al 6.
D’autres l’écartent en vertu des Règles de Hambourg en motivant leurs
décisions sur des fondements bien établis.
Ainsi, la décision de la Cour de cassation du 27/01/1999, a retenu
l’application de l’article 145 CCMT en affirmant que la freinte de route est une

5 Arrêt CC n° 9326 en date du 21/06/2007 RJL, 2007.


Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 255

cause d’exonération par référence aux usages, aux avis d’experts et aux juge-
ments des tribunaux et compte tenu de l’ensemble des Conventions internatio-
nales y compris la convention de Bruxelles du 28/08/1924 non ratifiée, ce qui
est très étonnant pour une Cour de droit de se référer à des traités désuets.
Une autre décision de la même Cour (n° 136 du 25/09/2000), qualifie la
freinte de route comme un vice propre à la marchandise par référence à la
Convention de Bruxelles. Elle ajoute que la reconnaissance de la freinte de
route est unanimement acceptée sur le plan international selon les usages et les
coutumes.
La décision n° 3905/2004 du 07/01/2005 de la Cour de cassation a
affirmé que la Convention de Hambourg est applicable au litige concernant un
contrat de transport international de marchandises par mer. Elle ajoute que tant
que ladite Convention n’a pas précisé des moyens de preuve déterminés pour
établir la freinte de route subie par la marchandise lors du transport… ladite
Convention, même si elle ne citait pas la règle de la freinte de route, n’a pas
interdit son application, chose imposée par la nature de la marchandise et le
long trajet parcouru en vertu de l’usage maritime mondial. Par voie de consé-
quence, la cour de cassation décide que la juridiction de la décision critiquée n’a
pas violé les dispositions des Règles de Hambourg.
En définitive et sans nécessité de citer d’autres décisions aussi étonnantes
qu’anachroniques, il s’avère d’une grande importance de mettre beaucoup
d’ordre dans la maison du droit maritime tunisien et dans les règles régissant le
régime de responsabilité du transporteur maritime pour remédier à la désuétude,
voire l’anachronisme qui a atteint les assises essentielles du droit de la responsa-
bilité maritime. En effet, ses spécificités et son particularisme ont été
profondément désarticulés par une greffe inadéquate de règles antinomiques.
Plus de vingt ans après l’entrée en vigueur de la Convention des Nations
Unies sur le transport international de marchandises par mer, les juridictions
tunisiennes ont eu à se prononcer sur plusieurs litiges significatifs qualifiés et
commentés différemment :

La Cour de cassation dans sa décision CC 12/07/2007 opposant le


réceptionnaire, l’Office des céréales au transporteur, la Cotunav, a affirmé un
principe qui mérite à juste titre d’être critiqué.

a. Les faits de l’espèce et la procédure : L’Office des céréales a, sur


la base d’un contrat international, acheté 24 365,325 TM de blé tendre d’une
valeur de 593 810,67 $ en coût et fret (c&f).
Le transport de la cargaison a été assuré à bord du navire le « Kef »
appartenant à la Cotunav. Ce navire a effectué le voyage d’un port Turc au port
de déchargement de Bizerte (Tunisie) en vertu d’un connaissement émis en
256 Le droit maritime dans tous ses états

septembre 2002. Un manquant de 162,928 tonnes et d’une valeur de


17 431,66 $ a été constaté au port de Bizerte. Le réceptionnaire a exigé la
réparation du préjudice à la Cotunav.
La Cotunav a été désignée responsable, par l’Office, du fait de sa déclara-
tion de la quantité de marchandise chargée au port d’embarquement et dispose,
par conséquent, de la possibilité d’une action récursoire contre le chargeur.
L’examen des arguments en présence permet de constater que le litige
porte essentiellement sur l’exécution du contrat de commerce international
objet du contentieux.
La Cotunav est aussi présumée garante de la quantité de marchandise
déclarée expressément au connaissement sur la base duquel le fret a été payé
(l’article 16 al 3 de la convention de Hambourg).
Le réceptionnaire (l’office des céréales) s’est pourvu en cassation sur le
fondement de l’article 16 des règles de Hambourg demandant le paiement de la
valeur du manquant de 17 431,66 $, de la quote-part de l’assurance relative à la
marchandise sinistrée, et des frais.
La procédure antérieure au pourvoi en cassation consiste dans la
condamnation par le tribunal de première instance du transporteur maritime à
régler la valeur du manquant estimé par l’expert à 24 323,277 TND.
La Cotunav avait interjeté appel invoquant la freinte de route sur la base
de l’article 145 CCMT non abrogé et prétend que le blé tendre transporté par
mer est de nature à perdre de son poids par un phénomène naturel au cours de
l’expédition maritime et que l’usage portuaire Tunisien le fixe à un taux de
0,50 % du poids réel de la marchandise.

Ils se résument en 2 points déterminants :


– La transgression de la convention de Hambourg et de l’article 123 du
code de procédure
– La primauté constitutionnelle (art 32) des traités internationaux sur le
droit interne.

Par conséquent, l’Office des céréales déduit que l’article 145 CCMT n’a
pas vocation à s’appliquer aux contrats internationaux de transport maritime de
marchandises (art 3 de la Convention).
Par ailleurs, l’Office fait grief à la Cour d’appel d’avoir fondé sa décision
sur une disposition inapplicable (art 145 CCMT). Il lui reproche, par la même,
d’avoir écarté lapidairement la convention de Hambourg.
Selon l’argumentaire présenté par le réceptionnaire, l’entrée en vigueur de
la Convention de Hambourg entraîne de facto l’abrogation de toutes dispo-
sitions antérieures et leur remplacement par les nouvelles règles de la
Convention régissant la responsabilité du transporteur maritime. Il appuie sa
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 257

thèse sur l’article 2 de la Convention dont les dispositions étendent son champ
d’application « à tous les contrats de transport par mer » à destination d’un port
Tunisien quelle que soit la nationalité du navire ou le port de chargement.
L’argument présenté par le réceptionnaire dans ce litige est que l’on ne
trouve nulle part trace dans les règles de Hambourg quant à la faculté du
transporteur maritime de s’exonérer en raison de la faute nautique de son
Commandant, de l’équipage ou même de la freinte de route (145 CCMT). Selon
l’office, les cas exceptés par le CCMT sont aberrants et l’article 5 des règles de
Hambourg a sciemment supprimé la plupart des 9 cas d’exonération du
transporteur maritime.
Le réceptionnaire prétend que l’article 5 n’a en effet maintenu de cette
liste que le cas de l’incendie.
En outre, ajoute-t-il sur la base de l’article 5 alinéas 3 que l’ayant droit à
la marchandise qui prétend au dédommagement « peut considérer les
marchandises comme perdues si elles n’ont pas été livrées… »
Cela équivaut donc à affirmer que le transporteur est responsable de la
livraison intégrale de la marchandise au destinataire selon l’état décrit au
connaissement. Il ne peut s’exonérer de sa responsabilité pour manquant que
s’il démontre qu’il a émis des réserves sur le connaissement en vertu de l’article
2 de la convention.

L’analyse de la décision permet de noter que l’article 16 alinéa 3 b de la


convention prévoit que

« la preuve contraire (par rapport aux indications figurant au connais-


sement) par le transporteur n’est pas admise lorsque le connaissement a
été transmis à un tiers, y compris au destinataire, qui a agi de bonne foi
en se fondant sur la description des marchandises donnée au
connaissement ».

L’Office des céréales soutient que, selon l’article 16 alinéa 3 et à l’excep-


tion des indications pour lesquelles une réserve a été faite…, le connaissement
constitue une présomption que le transporteur a pris en charge la marchandise
telle que décrite sur ce document. La preuve contraire par le transporteur n’est
pas admise lorsque le connaissement a été transmis à un tiers
D’autre part, l’exonération figurant à l’article 145 CCMT est appliquée à
des conditions bien déterminées (dans le cadre de la relation du transporteur
avec la cargaison). Mais on peut se poser la question primordiale de savoir si les
dispositions de cet article ont été tacitement abrogées étant donné qu’elles sont
en contradiction avec celles de l’article 16 précité. La Cour de cassation a déjà
confirmé dans plusieurs décisions que les dispositions relatives à la
258 Le droit maritime dans tous ses états

responsabilité du transporteur maritime édictées par le CCMT y compris l’arti-


cle 145 ne s’appliquaient plus aux contrats de transport maritime internationaux
de marchandises étant donné qu’elles ont été abrogées par les dispositions de la
Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer du
30 mars 19786.
Ces décisions ne sont pas aussi bien justifiées qu’on peut le penser et
méritent que l’on s’y attarde et laissent le débat ouvert.
Autre grief du pourvoi invoqué par l’Office, est la transgression des
dispositions des articles 542 et 544 COC et la dénaturation des circonstances
relatives à la freinte de route :
L’office invoque un autre grief dans son pourvoi à savoir la référence à
des circonstances et lois étrangères : la décision de la cour d’appel s’est basée
sur le fait qu’il y a une unanimité des experts et de la majorité des conventions
internationales sur le fait que certains produits, comme le blé tendre, subissent
généralement un manquant de poids durant le transport maritime et prétend
que cette coutume n’est pas prouvée et qu’il n’y a pas de base légale exonérant
le transporteur maritime de la freinte de route de 0,5 % pour le blé. La Cour
n’ayant pas invoqué un texte juridique ce qui constitue une atteinte à la loi.
L’importateur indique également qu’il ressort de la jurisprudence compa-
rée, que le transporteur est responsable envers le destinataire de sa faute ou de
celle du chargeur pour omission de déclaration réelle de la quantité chargée.
Dans ce sens, il n’y a aucun usage national ou international qui évoque la
freinte de route, ce qui a été soutenu et confirmé par la jurisprudence Améri-
caine et Canadienne7.
Aussi est-il légitime de s’interroger si ce litige est de nature à être soumis
aux chambres réunies en Tunisie compte-tenu de l’impact de l’éventuelle
décision ?

L’article 192 CPCC stipule que

« les chambres réunies siègent chaque fois qu’il s’agit d’unifier la


jurisprudence entre les différentes chambres et lorsque l’arrêt rendu est
fondé sur un texte devenu inapplicable en raison de son abrogation
tacite ».

On peut se demander alors, si c’est effectivement le cas de l’article 145


CCMT. Les avis des chambres de la Cour de cassation sont contradictoires au
sujet de cette question, ce qui nécessite de soumettre le litige aux chambres

6 Arrêts n° 5472-5773-5474 en date du 03/04/2001 n° 8872-2006 du 28/06/2007.


7 W. Tetley, Mamie cargo Claims, Canada 1968 p. 301 et 302.
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 259

réunies afin de trancher définitivement cette question et de clarifier les ten-


dances jurisprudentielles.
Néanmoins, il convient de réfuter certains griefs avancés par l’Office :
Il est certain que si le principe de la primauté des conventions internatio-
nales sur le droit interne ne suscite aucune contestation, il est, toutefois,
hasardeux de soutenir qu’elles abrogent les dispositions du droit national, dans
tous les cas traités par lesdites conventions. Ce principe ne s’applique pas lors-
que ces conventions ne traitent pas de questions qui sont, par contre,
réglementées par le droit national (CCMT).
La raison évidente est que l’on ne peut dire qu’il y a contradiction ou
abrogation pour des questions non traitées par lesdites conventions. Il n’y a
nullement de contradiction entre le droit interne et ce qui est traité par la Con-
vention de Hambourg. Cette dernière n’a prévu aucune disposition spécifique
relative à la freinte de route soit pour l’accepter soit pour la rejeter ce qui milite
en faveur de son admission en tant que cas légal d’exonération.
Il ressort aussi de l’annexe 2 de la Convention de Hambourg intitulée
« consensus » adopté par la conférence des Nations Unies sur le transport de
marchandises par mer, qu’il est entendu que la responsabilité du transporteur en
vertu de la présente convention est fondée sur le principe de la faute ou de la
négligence présumée. Cela signifie qu’en règle générale, la charge de la preuve
incombe au transporteur mais que dans certains cas les dispositions de la
convention modifient cette règle.
Aussi est-il possible de la rejeter lorsqu’il est prouvé que le manquant
réclamé est basé sur la freinte de route liée à la nature de la marchandise si elle
ne résulte nullement de sa négligence.
Un autre argument de taille invoqué par l’Office est que l’on ne peut
tenir compte de la freinte de route lorsque le manquant total du poids dépasse
le taux toléré. Cet argument est rejeté en se fondant sur les dispositions des
règles de Hambourg (art 5 alinéa7) : « lorsqu’une faute… a concouru avec une
autre cause à la perte, le dommage… le transporteur n’est responsable que dans
la mesure de la perte… qui est imputable à cette faute ». Il en est de même pour
la nécessité de prouver l’usage qui détermine la freinte de route. La
jurisprudence est claire et stable à ce sujet et se résume ainsi :

« la notion de freinte de route jouit d’une reconnaissance internationale.


Par conséquent cet usage général et dominant, que la convention de
Bruxelles a consacré et que l’article 54 COC a déterminé, ne nécessite pas
de rapporter une attestation le consacrant ».

Finalement la Cour de cassation énonce le principe suivant :

« Considérant que de la ratification par l’État Tunisien de la convention


des Nations unies sur le transport des marchandises par mer du
31/03/1978, par la loi 33 du 28/05/1980 connue sous le nom de “règles
260 Le droit maritime dans tous ses états

de Hambourg” parue au JORT par décret 117 de 1981 en date du


17/01/1981 et entrée en application en date du 01/11/1992, est devenue
la seule applicable pour ce qui touche toutes les opérations de transport
maritime international. Ses dispositions touchent l’ordre public, qu’il ne
devrait pas transgresser, abstraction faite de la volonté des parties, toutes
les fois où elle est applicable au sens de son article 2 ».

Il en découle que le CCMT n’est applicable que dans les cas du transport
maritime national (cabotage national). L’on ne peut, par contre, appliquer les
dispositions du CCMT aux opérations de transport international de marchan-
dises par mer, que dans les cas suivants :
– Si la convention a clairement prévu l’application du droit interne (art
21, 25, 26)
– S’il concerne des procédures non réglementées par la convention, com-
me la procédure de l’expertise et des moyens de preuve.
– S’il a été convenu sur la base du connaissement entre le transporteur
et le chargeur dans le cadre du transport international des marchan-
dises par mer non soumis à la convention, de le soumettre au droit
Tunisien.
– lorsque le litige est soumis à la Convention de Hambourg conformé-
ment à l’article 2 de cette convention.

Il convient de mettre en exergue le fait que le CCMT a évoqué 9 cas


d’exonération du transporteur maritime dans son article 145. Or la convention
de Hambourg n’a pas repris ces cas d’exonération mais a retenu uniquement 2
cas (incendie et sauvetage en mer).
En fait l’exonération de la responsabilité équivaut à un renversement de
la charge de la preuve qui fait disparaître la présomption de faute vis-à-vis du
transporteur maritime. C’est le chargeur ou le destinataire qui supporte la
charge de la preuve pour démontrer la faute, cause principale du dommage ou
du manquant et pour retenir la responsabilité du transporteur comme support
de dédommagement.
Or le transporteur a réaffirmé l’absence de sa responsabilité du man-
quant survenu à la quantité de marchandise transportée et a invoqué la freinte
de route exonératoire au sens de l’article 145 al 6 CCMT.
La question qui se pose est de savoir si la freinte de route enfreint l’ordre
public tunisien d’autant plus que le législateur l’a bien consacré en matière de
transport maritime national dans le CCMT basé sur l’équité et la justice.
Pour que le transporteur s’exonère et repousse sa responsabilité au sujet
de la freinte de route il doit :
– respecter les conditions exigées ;
– l’invoquer lui-même au moyen d’une attestation du port de destina-
tion confirmant l’existence d’un usage émanant des services adminis-
tratifs du port, des syndicats compétents ou de l’expert étant donné
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 261

que le manquant, même si l’usage le reconnaît, aura un taux variable


selon les catégories de marchandises. Il sera déterminé au cas par cas
en fonction de la durée du voyage, des conditions météo et leur in-
fluence sur ce phénomène ainsi que selon la nature de la marchandise.

Il est aussi admis que la freinte ne doit pas dépasser un certain pour-
centage reconnu et acceptable.
Si le manquant dépasse ce pourcentage, la freinte de route est rejetée et le
transporteur sera dans ce cas responsable de l’ensemble du manquant. La doc-
trine considère que la freinte de route ne constitue pas une exonération de la
responsabilité mais bien une irresponsabilité en démontrant que la même
cargaison qui a été déchargée au port de destination et son manquant de poids
est due à sa nature.
Dans l’affaire (Cotunav / Office des Céréales), le transporteur n’a formulé au-
cune réserve sur le connaissement relatif aux indications de la marchandise et par-
ticulièrement son poids. Il est, par conséquent, tenu responsable de l’exécution
de son obligation, comme indiqué au connaissement. L’expertise a démontré
que le manquant dépassait le pourcentage de freinte de route acceptable par les
usages. Ce qui confirme que la cause du manquant n’est pas la freinte de route.
L’article 6 des règles de Hambourg a fixé un plafond de dédommage-
ment qu’on ne saurait dépasser, soit 835 DTS pour chaque colis ou 2,5 DTS du
poids de la marchandise avariée ou perdue.
Ce plafond favorable au réclamant sera appliqué, à moins que le trans-
porteur n’accorde un plafond plus important que celui prévu par la convention
(art 6 alinéa 4 et art 23 alinéa 2).
L’unité, selon l’article 6, est le droit de tirage spécial fixé aux États
membres du FMI dont la Tunisie est membre.
Or la demande de dédommagement ne dépasse pas le plafond prévu par
la Convention de Hambourg, et le transporteur est redevable de tout le
montant réclamé.

L’introduction de la convention de Hambourg dans l’ordre juridique ma-


ritime Tunisien a créé de la confusion au sein de la jurisprudence ancienne bien
établie dans ses assises. Les juridictions chargées de juger les litiges enrôlés se
sont trouvées confrontées à une situation cornélienne peu enviable en raison
des fondements divergents et des principes régissant la responsabilité du trans-
porteur maritime parfois contradictoires du fait des philosophies antinomiques
des deux législations. Des incohérences sont apparues et des décisions contra-
dictoires ont créé une situation peu crédible au regard des intérêts des
intervenants dans la chaîne du transport.
262 Le droit maritime dans tous ses états

La position des magistrats s’est compliquée, compte tenu de cette dualité


de régimes juridiques, de leur caractère hybride, ce qui a mis le juge au pied du
mur pour rendre une justice transparente et équitable.
Aussi, le juge Tunisien a dû faire des acrobaties sur un trapèze de cirque
fort dangereux pour trancher certains litiges dont il y a lieu d’en rendre compte
à travers trois principaux courants :
1. Le premier courant minimaliste n’applique que les dispositions du
CCMT en écartant les règles de Hambourg.
2. Le 2e courant maximaliste, plus récent, a, par contre, écarté les dis-
positions du CCMT pour appliquer exclusivement celles de Hambourg.
3. Le 3e courant mixte a, en quelque sorte, concilié les deux systèmes en
fondant ses décisions sur deux textes diamétralement contradictoires.

Le courant minimaliste a été le plus dominant depuis la promulgation du


CCMT jusqu’à l’année 1992.
Il se caractérise, en effet, par une tendance constante concernant toutes
les questions juridiques relatives à la compétence d’attribution, à la prescription
de l’action, à la limitation des plafonds de responsabilité, aux causes légales
d’exonération, aux réserves et aux questions de preuve.
Les juridictions Tunisiennes ont continué généralement à appliquer le
régime institué par le CCMT malgré l’entrée en vigueur des règles de Hambourg
ce qui a entraîné des craintes au sein des professionnels du monde maritime.

Les juridictions Tunisiennes ont écarté l’application de l’article 121 des


règles de Hambourg concernant la compétence territoriale.
Dans un arrêt civil de la Cour de cassation n° 339979 du 10/04/1966, le
principe affirmé est que « les juridictions compétentes pour trancher le litige
sont les tribunaux Tunisiens en vertu de l’article 2 du CPCC tant que le contrat
international de transport a été exécuté sur le territoire Tunisien, outre le fait
que le défendeur a élu domicile en Tunisie à travers son représentant. De même
l’article 162 CCMT considère comme nul et non avenu toute clause mentionnée
sur le connaissement de nature à modifier le lieu de compétence.

Les tribunaux Tunisiens ont écarté l’application de l’article 20 des règles


de Hambourg relatif à la prescription de l’action (2 ans).
La plupart des décisions fondent leurs jugements sur la base de l’article
234 CCMT et l’article 396 COC à l’instar de la décision de la Cour de cassation
en date du 14/07/1970 n° 6085 ; n° 3523 du 24/05/1965 ; n° 3550 du 08/06/
1981 et n° 5828 du 13/07/1982. Toutes les décisions postérieures ont persisté à
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 263

affirmer les mêmes principes à savoir que « le délai fixé par l’article 234 CCMT
est le délai de prescription de 1 an qui peut être interrompu »8.

Les juridictions Tunisiennes ont opté d’une manière constante pour


l’application de l’article 159 CCMT.
Plusieurs décisions ont abondé dans ce sens :
– Arrêt CC n° 21109 du 14/01/2003
– Arrêt CC n° 5040 du 17/12/1981

À travers une jurisprudence tunisienne tumultueuse et parsemée d’em-


bûches, il apparaît que le choix de la transposition, du système des règles de
Hambourg au sein de la législation maritime tunisienne, a été faite sans une
réflexion mure et sans étude préalable de ses implications juridiques et
économiques sur le commerce maritime tunisien.
Cet état de fait désolant a, en quelque sorte, démembré le régime juridi-
que d’Ordre Public institué par le CCMT en ce qui concerne la responsabilité
du transporteur maritime et a affecté sa crédibilité vis-à-vis des opérateurs ma-
ritimes étrangers. Aussi est il impérieux d’ores et déjà de procéder à une refonte
totale du CCMT pour le mettre au diapason de l’évolution internationale
notamment à la veille de l’entrée en vigueur des Règles de Rotterdam.
En droit français et américain, la cour d’appel de Paris9 dans l’affaire du
navire : « Helene-Delmas » a décidé que « les différentes opérations préalables à
l’embarquement, acheminement terrestre et entreposage à quai avant mise à
bord du navire, font partie intégrante du contrat de transport du transporteur et
relèvent de la responsabilité du transporteur maritime.
Le fait pour ce dernier d’avoir, par suite de l’avarie de son navire, délégué
la partie maritime du transport à une autre compagnie qui a établi le con-
naissement sous son nom, ne peut avoir pour conséquence de l’exonérer de sa
responsabilité à raison des avaries survenues au cours de la première phase
d’exécution du contrat de transport10.
La chambre commerciale de la cour de cassation (26/02/1991) a écarté la
faute nautique comme cas excepté en décidant dans l’affaire du navire : « Aude »
que « la gîte du navire, le désarrimage consécutif d’une partie de la cargaison et
le jet à la mer de celle-ci pour éviter la perte du navire ayant eu pour cause une

8 CC décision n° 52312 du 18/02/1998.


9 5e ch. 28/03/1991.
10 SA navale des chargeurs Delmas c/ coopérative ivoirienne Cofruitel et Cie d’assurance la concorde, DMF p. 517.
264 Le droit maritime dans tous ses états

faute de Manutention commise au cours du déchargement, le transporteur ne


peut s’exonérer en invoquant la faute nautique au sens de l’art, 4-2 de la
convention de Bruxelles de 1924 (sté sud- cargos c/entreprise portuaire d’Oran).
La chambre commerciale de la Cour de cassation (23/06/1982) concer-
nant un transport maritime international en pontée du navire : « Mercandia-
exporter » a jugé

« qu’il y a lieu d’accorder au transporteur maritime le bénéfice de la


limitation de responsabilité prévue par la convention de Bruxelles de
1924 sur les connaissements lorsque, d’une part, les connaissements ne
comportaient pas de déclaration de valeur et d’autre part, le transporteur
maritime n’avait commis aucune faute intentionnelle susceptible de lui
faire perdre le droit d’invoquer la limitation de responsabilité »11

Dans un arrêt de la chambre commerciale du 27/04/1993 concernant le


navire de la Cotunav « Moularès » la Cour de cassation française a affirmé le
principe que « la personne mentionnée sur le connaissement sous la rubrique
« Notify » et qui a reçu mandat du chargeur de recevoir la marchandise est
recevable à agir contre le transporteur maritime en qualité de destinataire réel
(Cotunav/C/Cie navigation et transports)

Selon le professeur Pierre Bonassies12,

« l’idée s’affirme de plus en plus fortement dans la jurisprudence fran-


çaise que l’obligation pour le transporteur de faire diligence pour assurer
la navigabilité du navire, comme son obligation de procéder de façon
appropriée et soigneuse au chargement et au transport de la marchandise
sont des obligations essentielles, auxquelles le transporteur ne peut échap-
per. La transgression de ces obligations entraîne donc sa responsabilité,
quelles que soient les circonstances 13 ou quelles que soient les clauses
figurant au connaissement ».

D’autre part, M. Bonassies, considère14 que l’événement le plus impor-


tant survenu en 1992 est certainement l’entrée en vigueur, le 1er novembre 1992,
des règles de Hambourg.
Cet auteur a mis en relief les principaux changements apportés par la
nouvelle convention au droit international des marchandises et de s’interroger
sur les conséquences éventuelles de cette convention sur les intérêts des
transporteurs, chargeurs et destinataires Français.

11 Sté United national development company /c / Sté Mercandia, DMF, p. 26.


12 « Le droit positif français », DMF 1991.
13 Aix-en Provence, 8 novembre 1988, navire Hakko-minerva, DMF 1990, 704 DMF 1991, 95.
14 « Doctrine droit positif français », DMF, 1992, p. 3.
Lotfi CHEMLI & Abdennebi Belazi BEN SAID 265

Il observe que les règles de Hambourg s’assignent un domaine d’appli-


cation plus large que celui que se reconnaît la convention de 1924. Elles appor-
tent des modifications au régime de la conclusion du contrat de transport mari-
time et au régime du connaissement. La notion de réserve est plus claire dans
les règles de Hambourg. L’Apport le plus notable à la théorie du connaissement
est certainement la lettre de garantie. Selon le professeur Bonassies, ces règles
restent en retrait sur la convention de 1924 pour ce qui est des obligations
générales du transporteur mais marquent un progrès dans le domaine du
transport en pontée.
L’apport le plus considérable touche le domaine de la responsabilité du
transporteur depuis la prise en charge de la marchandise jusqu’à la livraison,
ainsi que son fondement puisque sous le régime nouveau, le transporteur ne
pourra plus invoquer la plupart des cas exceptés prévus par la convention de
1924. En particulier, il ne pourra plus prétendre s’exonérer en invoquant la
faute dans la navigation ou l’administration du navire. Seuls, lui demeurent
ouverts, les cas exceptés d’incendie ou, avec des nuances celui d’assistance.
Driss SAIDOUNE
Doctorant en Droit, Université Aix-Marseille

Le transport correspond au besoin de l’homme de se déplacer et de dé-


placer les choses. L’homme en vient à se forger de véritables besoins, celui de
se déplacer pour ses activités professionnelles, celui de voyager dans le cadre de
ses loisirs, celui d’avoir à sa disposition un produit quel que soit son lieu de
fabrication ou de récolte et celui de consommer à toute époque une denrée
pourtant saisonnière.
L’importance des transports est également révélée à l’occasion de cir-
constances perturbatrices, telles qu’une difficulté naturelle voire une catastrophe.
En somme, le transport est l’expression même du commerce. De la mo-
deste caravane au moyen le plus moderne, c’est le vecteur nécessaire à la
satisfaction du besoin, d’échange et à la répartition des richesses.
Ainsi, l’activité de transport apparaît cumulativement comme un facteur
de progrès, véritable instrument d’une politique, mais également comme un
critère de développement économique.
Le droit ne pouvait ignorer un phénomène aussi spécifique et primordial
de l’activité humaine. Chaque mode de transport tend à avoir sa propre
réglementation.
En revanche, la tentative de l’unification des droits de transport reste
décevante, même si l’unification est acquise par genre de transport entre de
nombreux pays. Ceci s’explique par le fait que certains transporteurs bénéficient
d’une véritable situation de monopole dans leur activité, alors que d’autres
restent plus proches de celle d’un commerçant ordinaire. De même la nécessité
de distinguer les modes de transport peut poser problème en présence de
certaines techniques récentes Ex : aéroglisseur, engin maritime ou aérien ? La
réponse décide évidemment du régime juridique applicable au contrat.
L’opération de transport commence par la remise de la marchandise par
l’expéditeur au transporteur de sorte à ce qu’elle puisse supporter un déplace-
ment effectué dans des conditions normales. De ce fait, les tarifs imposent
parfois à l’expéditeur l’exécution matérielle du chargement de la marchandise
qui consiste dans son arrimage et de son calage. Ce principe n’est pas obli-
gatoire, cependant dans certain mode de transport notamment le transport
maritime, les parties au contrat de transport peuvent fixer dans ce dernier des
268 Le droit maritime dans tous ses états

incoterms permettant de connaître les obligations des parties en ce qui con-


cerne le chargement et le déchargement de la marchandise.
Ensuite, le transporteur est soumis à un faisceau d’obligations ayant pour
but d’assurer, dans les meilleures conditions, le déplacement et la conservation
des marchandises du point d’expédition au lieu de destination.
C’est ainsi que le transporteur doit assurer à la marchandise les soins
ordinaires et généraux appropriés à son maintien en l’état, et compatibles avec
les nécessités du service.
Les exigences des voituriers varient suivant la nature de la marchandise
et le genre de transport demandé1.
Ce déplacement qui va être réalisable grâce aux opérations préalables de
chargement, constitue l’objet essentiel des obligations du voiturier. Il peut se
décharger de toutes sortes d’obligations accessoires, comme de charger ou de
décharger, ou connexes comme d’assurer une livraison contre remboursement
ou de s’intéresser aux opérations de dédouanement. Il ne peut pas esquiver
cette obligation sans ruiner l’économie du contrat de transport.
Enfin, l’opération de transport prend fin par la remise de la marchandise
par le transporteur à la disposition effective du destinataire au lieu de
destination dans l’état où elle se trouvait au moment de sa prise en charge.
En cours de chargement, deux types de dommages matériels peuvent se
produire : dommages à la marchandise et dommage aux engins du transporteur.
Qui doit supporter le poids de ces dommages ? La réponse dépend d’une
question préalable : à qui incombait le chargement ?
S’il devait être effectué par l’expéditeur, celui-ci, ne peut rien réclamer du
fait des dommages subis par sa marchandise au cours des opérations de charge-
ment, mais il peut être tenu de réparer les dommages qu’il a causés aux choses
appartenant au transporteur ainsi qu’aux marchandises appartenant aux tiers. Ce-
pendant si le chargement incombait au transporteur, les solutions sont inversées.
Encore faut il établir, pour appliquer cette répartition, que le dommage
est bien dû au chargement, ce qui est important compte tenu de la présomption
qui pèse sur lui lorsque le chargement incombait à l’expéditeur et qu’il est
invoqué par le transporteur pour se libérer.
Il peut y avoir d’ailleurs concurremment une faute de l’expéditeur et une
faute du transporteur qui a accepté le chargement défectueux sur les instances
de l’expéditeur, auquel cas il y aura lieu de partager le poids des dommages
entre eux.
Sous ces réserves, le principe est que la responsabilité incombe à celui
qui a chargé.

1En ce sens que c’est le transporteur qui décide des modalités selon lesquelles le transport sera
effectué. Autrement dit c’est la nature de la marchandise et le moyen de transport utilisé qui vont
décidés des conditions de transport
Driss SAIDOUNE 269

De même, lorsque l’expéditeur confie sa marchandise au transporteur


afin de la transporter, ce dernier est tenu de prendre soin de la cargaison.
Quand la marchandise arrive avariée, la mise en jeu de la responsabilité
du transporteur manifeste qu’il n’a pas pris suffisamment soin de cette
marchandise.
Le transporteur doit une certaine sécurité et il n’atteint cette sécurité
qu’en prenant soin de la marchandise.
La responsabilité du transporteur naît donc de la conclusion du contrat de
transport conclu à l’occasion de l’accomplissement des opérations de transport.
Le transporteur maritime peut être responsable à l’occasion de la perte,
d’avarie et du retard de la marchandise ou de sa faute.
Qu’elle est donc le particularisme de la faute dans le droit maritime
marocain et comparé ?
On étudiera dans une première partie le principe de distinction et la
coexistence de la faute nautique et la faute commerciale, et dans une deuxième
partie l’absence de faute comme condition exonératoire.

L’expression faute nautique comprenant aussi bien la faute dans la naviga-


tion que la faute dans le management du navire au sens de la convention de
Bruxelles.
La jurisprudence considère que la faute est nautique dès qu’elle constitue
une menace directe pour la sécurité du navire et de l’expédition, même si elle a
des conséquences néfastes sur la marchandise.
La faute sera ainsi qualifiée de commerciale toutes les fois qu’une
manœuvre maladroite aurait entraîné un dommage à la cargaison sans porter
atteinte à la sécurité du navire.

« Si le mobile de l’acte peut à la rigueur être considéré comme nautique,


la faute proprement dite est commerciale dans la mesure où elle porte
atteinte à la garde et à la conservation de la marchandise »2.

Il y a lieu d’étudier dans ce paragraphe le principe de distinction et la


coexistence des deux notions.

2 Trb. Com. Sète, 28 avril 1959, DMF, 1959 p. 685.


270 Le droit maritime dans tous ses états

L’opposition entre ces deux notions résulte des textes eux-mêmes. On la


rencontre déjà dans le Harter Act qui annule, par son article 1er

« toute clause par laquelle les capitaines et armateurs ne seront pas


responsables des pertes ou avaries résultant de négligences, fautes ou
erreurs dans le chargement, l’arrimage, la garde, la conservation ou la
livraison des marchandises3 ».

L’article 3 apporte une exception au principe de la responsabilité du


transporteur en cas de faute de l’équipage, commise dans la navigation ou dans
l’administration du navire.
Le droit marocain proscrit également les clauses qui libéreraient le
transporteur en cas de fautes commerciales (art. 264. Al. 1) et permet au
transporteur de s’exonérer des fautes nautiques (art. 264. Al. 2).
Il en est de même tant dans la convention de Bruxelles que dans la loi
française de 1966 où le législateur a expressément voulu cette distinction. Cette
volonté a pris corps dans l’article 3 al. 2 de la convention, en vertu duquel

« le transporteur procédera de façon appropriée et soigneuse au


chargement, à la manutention, à l’arrimage, au transport, à la garde, aux
soins et au déchargement des marchandises transportées ».

Les mêmes dispositions se retrouvent dans l’article 38 du décret du


31 décembre 1966.
Si les fautes commerciales, telles qu’elles résultent de ces textes, sont
celles commises dans les soins prodigués aux marchandises, les fautes nautiques
apparaissent comme celles commises directement à l’occasion de la navigation.
Cette distinction présente, certes, l’avantage de la simplicité, mais elle ne répond
malheureusement ni à l’esprit général des textes, ni à la réalité des choses.
C’est généralement sous ce double aspect, nautique et commercial, que
se présentera la faute. Sa qualification juridique dépendra alors d’un critère de
distinction. Si bon nombre d’auteurs 4 se sont efforcés de définir la faute
nautique, les tribunaux n’ont pas formulé de critère unique.

3 H. Cherkaoui, La responsabilité du transporteur maritime et aérien, revue et corrigée 2009, 2e édition,


p. 187.
4 V. Rodière, « Faute nautique et faute commerciale devant la jurisprudence française », DMF

1961 p. 451 s. ; M. Pourcelet op. cit., p. 96 et s. ; Lefage, « Faute commerciale et faute nautique »,
DMF 1963, p. 104.
Driss SAIDOUNE 271

Nous savons déjà qu’une faute est qualifiée de nautique lorsque le but prin-
cipal de l’acte au cours duquel elle a été causée aux marchandises : par exemple,
au cours d’une opération de remplissage des ballasts, l’ingénieur du bord chargé
de l’opération commet une faute de manœuvre qui permet à l’eau de s’infiltrer
jusqu’aux marchandises.
Il se peut cependant que le capitaine puisse éliminer ou limiter les effets
néfastes d’une telle faute nautique en ordonnant le pompage de l’eau qui s’est
infiltrée par inadvertance dans les cales, en isolant les marchandises avariées
pour éviter l’extension du dommage, ou en prenant toute autre mesure appro-
priée pour la conservation des marchandises. Si le capitaine omet de prendre les
mesures qu’il avait le devoir et le pouvoir de prendre, il commet sans aucun
doute une faute dans l’exécution de son obligation de prendre soin des
marchandises et de veiller à leur conservation ; il devra donc répondre des
conséquences d’une telle faute.
Le transporteur ne sera toutefois tenu de répondre que des conséquences
de cette faute à l’exclusion de toute autre. Il faut donc nécessairement faire le
partage entre les dommages ou pertes qui proviennent de la faute nautique, et
celles qui sont causées par le manque de soins. C’est ce que la cour de cassation
française a très justement décidé dans un arrêt de censure du 6 juillet 1954 en
cassant un arrêt de la cour d’appel de Rennes qui, après avoir déclaré que « les
griefs relevés à la charge du capitaine constituaient non pas deux fautes diffé-
rentes, mais les deux aspects d’une même faute », nautique pour ce qui est du
maniement du navire et commerciale pour ce qui est de la cargaison, a attribué
ainsi à la faute le double caractère de faute nautique et de faute commerciale,
puis a condamné le transporteur à payer des dommages-intérêts à raison des
avaries causés par une faute commerciale.
En effet, la cour d’appel de Rennes ne justifiait pas de l’existence d’un
lien de causalité entre le dommage et la faute commerciale, c’est-à-dire n’opérait
pas le partage entre le dommage résultant de la faute et celui qui provient de la
faute commerciale5.

Dans le domaine des responsabilités de plein droit, le législateur met


l’accent non plus sur la faute ou sur son absence, mais sur la cause du dommage.
Parmi ces causes, il effectue un tri, afin de retenir celles qui exonéreront le
transporteur. Elles deviendront par là de véritables cas exceptés, dont il suffira

5Civ. 6 juillet 1954, DMF 1954, 714 cassant l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, 10 juillet 1952,
DMF 1952, 324 ; sentence arbitrale, 20 juin 1950.
272 Le droit maritime dans tous ses états

en principe au transporteur de montrer l’existence et le lien de cause à effet


avec le dommage pour échapper à toute responsabilité.
Dans cette optique, on étudiera l’absence de faute comme condition du
cas excepté, ainsi que comme condition de la force majeure.

L’incendie, « feu anormal, destructeur et dangereux, causant des dom-


mages d’importance appréciable », est assez largement interprété, ce qui
correspond à la volonté du Doyen Rodière qui considérait
qu’« il faut étendre la solution des choses endommagées par l’incendie à
celles qui l’ont été par les effets ou les conséquences de l’incendie, ainsi
par la fumée qui s’en est dégagée ou par l’eau jetée pour l’éteindre »6.

Fut ainsi admis comme entrant dans le cas excepté d’incendie les dom-
mages (maturation) subis par une marchandise qui se trouvait dans une cale
dont le système de ventilation a été stoppé du fait de l’incendie7.
L’incendie est donc une cause exonératoire de responsabilité pour le trans-
porteur, sauf dans le cas où le chargeur démontrerait qu’il a commis une faute.
Les professeurs Bonassies et Scapel, dans l’ouvrage de droit maritime le
plus récent, considèrent qu’il n’est sans doute pas nécessaire de prouver que le
fait non imputable était extérieur, imprévisible et irrésistible « pour les cas
exceptés spécifiques visés par la loi de 1966 (incendie, grève, sauvetage) »8.
Ainsi, les décisions judiciaires constatant que le dommage est dû à un
incendie et que le transporteur n’a pas commis de faute, avec éventuellement le
constat de ce que la cause de l’incendie est inconnue, il est vraisemblable que les
juges ne ressentent pas la nécessité de justifier plus avant leurs décisions. Si le
cas excepté d’incendie est rejeté c’est qu’il est lié à une faute du transporteur
(qui, si elle ne l’évince pas, s’accommode mal d’un cas de force majeure), et s’il
est reconnu c’est que l’événement est, a minima, très proche de constituer un
cas de force majeure.

Le (i) du 2nde paragraphe de l’article 4 de la Convention de Bruxelles de


1924 vise « un acte ou omission du chargeur ou propriétaire des marchandises,
de son agent ou de son représentant », le (n) vise « les insuffisances d’emballage »
et le (o) « les insuffisances ou imperfection de marques ». Ces trois cas exceptés

6 Rodière, Traité, t. II « Affrètement et transports », 1968, n° 627, p. 269.


7 CA Paris 9 mars 1977.
8 P. Bonassies et Ch. Scapel, n° 1073, p. 685.
Driss SAIDOUNE 273

distincts sont réunis dans un seul cas qui vise les « fautes du chargeur, notamment
dans l’emballage, le conditionnement ou le marquage des marchandises ».
La faute du chargeur, certainement l’un des cas exceptés les plus sollicités
– notamment quant à l’emballage défectueux de la marchandise – correspond
au fait du tiers – ici le cocontractant.
La jurisprudence n’exige pas que la faute commise par le chargeur (celle
du destinataire n’est pas reconnue) présente les caractères de la force majeure9.
Cela se comprend aisément : la faute du chargeur ou de ses substituées suffit à
dégager la responsabilité du transporteur. La faute de son cocontractant l’exo-
nère de sa responsabilité sans qu’il soit nécessaire que celle-ci soit irrésistible et
imprévisible.

Le terme d’ennemis publics « prête à discussion », il paraît toutefois in-


discutable que son rejet fondé sur la souveraineté s’exerçant sur les eaux dans
lesquelles se déroulèrent les événements est infondé10.
De ce fait, la démonstration des caractères irrésistible et imprévisible
devrait emporter reconnaissance de ce cas excepté11, sans toutefois que cela soit
indispensable.
La jurisprudence considère d’ailleurs que le caractère prévisible d’une
attaque ou d’un vol s’oppose à la reconnaissance de ce cas excepté12. Cela n’équi-
vaut pas nécessairement à ce que la force majeure soit exigée pour que ce cas
excepté soit reconnu, cette exigence correspondant, en réalité, à celle d’absence
de faute du transporteur.
Il semble donc que le fait d’ennemis publics, s’il peut être un cas de force
majeure, ne nécessite pas d’être qualifié comme tel pour être reconnu.
B. Absence de faute : condition de la force majeure
L’effet principal et non discuté de la force majeure réside dans l’exoné-
ration de responsabilité dont bénéficie le débiteur. N’étant pas responsable de
l’inexécution celui-ci n’aura pas à verser de dommages et intérêts au créancier.

9 Récemment, et parmi un florilège d’arrêts, Cass. Com 22 janvier 2002, CA Aix 2 décembre 2004,
7 septembre 2001, Kamakura, 29 juin 2000, CA Versailles 5 avril 2001, 30 mars 2000, CA Paris
19 février 2003.
10 P. Bonassies et Ch. Scapel, n° 1077, p. 687 et DMF 1989, p. 419 note de P. Bonassies à propos

de l’arrêt Cass. 14 février 1989, Sunny Arabella. Une étude accessible sur le site de l’OMI (www.imo.
org) nous apprend que 86,5% des attaques de navires entre 1995 et 2000 eurent lieu dans les eaux
territoriales ou des ports, démontrant encore un peu plus le caractère aberrant de la solution
adoptée par la Cour de cassation. Cf. aussi, sur l’état actuel de la piraterie le site www.arte.tv.fr.
11 Dans ce sens : P. Bonassies et Ch. Scapel n° 1077, p. 687.
12 TC Marseille 18 décembre 1998, Tiger Force, CA Paris 7 octobre 1986.
274 Le droit maritime dans tous ses états

Il existe toutefois une exception : dans l’hypothèse où le débiteur d’une


obligation de livraison est mis en demeure de livrer, il sera redevable de dom-
mages et intérêts en cas d’inexécution de son obligation quand bien même celle-
ci serait due à un cas de force majeure.
Il y a là une sorte de peine privée reposant sur la volonté d’inciter le
débiteur à livrer en temps et en heure, mais aussi sur l’idée que la faute du
débiteur doit entraîner comme conséquence qu’il supporte les risques liés à la
force majeure. Sa faute l’oblige !
Certes, la faute initiale du débiteur rend possible la survenance du cas de
force majeure. Sans elle, le bien n’aurait pas subi la force majeure, elle peut donc
apparaître comme la cause adéquate ou tout au moins une cause ayant participé
à la survenance du dommage. Mais la théorie de la causalité adéquate n’est pas
totalement respectée en droit civil français : il est impensable que de façon
générale l’absence de livraison soit une cause normale, habituelle, de la perte du
bien13. L’absence de livraison n’est que l’une des causes du dommage, elle ne
devrait donc pas entraîner une exonération totale.
Mais plus que la question de l’exonération (solution acquise dont seuls
les fondements sont contestés), c’est celle de son caractère partiel qui suscite la
controverse14.
Nombre d’auteurs estiment que la qualification de force majeure entraîne
nécessairement une causalité exclusive, qu’elle ne peut qu’être la cause adéquate
du dommage ou de l’inexécution. Les professeurs Flour, Aubert et Savaux consi-
dèrent ainsi que « l’existence d’un tel événement exclut toute responsabilité du
fait personnel. S’il y a eu force majeure, il n’a pas pu y avoir faute – comme elle
exclut d’ailleurs la responsabilité du fait des choses »15.
De même le professeur Le Tourneau considère-t-il que « force majeure
et responsabilité sont des termes antinomiques et inconciliables »16 parce qu’un
résultat ne peut être imputé à faute qu’à celui qui avait le pouvoir de l’empêcher.
Est ainsi avancée l’idée selon laquelle le caractère irrésistible de l’événe-
ment de force majeure exclut toute autre cause au dommage.
Nous pouvons toutefois noter qu’il y a « souvent lieu à ambiguïté faute
d’opérer une distinction selon le stade auquel intervient la force majeure »17.

13 L’article 1302 alinéa 2 du Code civil vient d’ailleurs battre en brèche cette hypothèse en dis-
posant que « Lors même que le débiteur est en demeure, et s’il n’est pas chargé des cas fortuits,
l’obligation est éteinte dans le cas où la chose fut également périe chez le créancier si elle lui eût
été livrée ».
14 Question qui nous intéresse particulièrement de part la possibilité, lorsque la preuve de l’un des

cas exceptés de la Convention de Bruxelles de 1924 ou de la loi française du 16 juin 1966 est
rapportée, pour l’ayant-droit marchandise de prouver que le transporteur a commis une faute et,
ainsi d’obtenir que l’exonération de responsabilité ne soit que partielle.
15 In Droit civil. 2. Le fait juridique, Armand Colin, 2005, n° 275, p. 297
16 In Le Tourneau, n° 1803, p. 483.
Driss SAIDOUNE 275

Certes les conséquences d’un événement de force majeure, par hypothèse


irrésistible, ne peuvent être évitées. Pour autant, celui-ci peut n’être que pour
partie cause du préjudice.
Le débiteur peut ainsi commettre une faute postérieure à l’événement de
force majeure venant aggraver les conséquences de celui-ci, comme l’a admis un
arrêt récent de la 2e chambre civile de la Cour de cassation18 : « la faute (posté-
rieure) engage la responsabilité de son auteur malgré la force majeure »19. Nous
noterons cependant que dans l’espèce considérée, la faute postérieure du débi-
teur de l’obligation de déblaiement (constituée par son abstention), joue un
effet extinctif quant aux effets de la force majeure, venant ainsi les « éclipser ».
Prenons l’exemple d’une tempête venant endommager par mouille une
cargaison lors de son transport. Si les 2/3 de la cargaison sont affectés, il reste
possible de sauver les marchandises restées saines grâce à la dissociation des deux
parties de la marchandise. Cependant, si lors de la réalisation de cette opération,
le transporteur commet une faute entraînant la destruction de la marchandise
restée saine, sa faute postérieure au cas de force majeure aura contribué au
dommage.
Le débiteur peut aussi commettre une faute antérieure à la force majeure.
Il faudra donc rechercher ce qui serait produit en l’absence de faute.
Il paraît donc possible de considérer qu’un cas de force majeure ne soit à
l’origine que d’une partie de l’inexécution contractuelle en cas de succession
temporelle de causes, à tout le moins lorsque la faute du débiteur est
postérieure à la force majeure. Le professeur Starck défendait ainsi que
« si la faute ou le fait ont simplement aggravé un dommage qui se serait
produit de toute façon par suite d’un événement de force majeure, le
juge devrait rechercher quelle eût été l’importance du sinistre si le fait ou
la faute n’eût pas eu lieu et ne laisser à la charge du défendeur que la
partie du dommage qui lui est attribuée, c’est-à-dire l’aggravation »20.

De même le Doyen Rodière considérait-il


qu’« on conçoit le jeu par contre le jeu successif et cumulatif de deux
causes dont l’une est une faute du débiteur, l’autre un événement qui ne
lui est pas imputable.

17 In Bénabent n° 562, p. 387, à propos des divers cas de responsabilité délictuelle – l’auteur
considérant qu’il faut distinguer la force majeure survenant au stade de l’acte fautif et la force
majeure survenant après une faute.
18 Cass. civ. 2e 5 février 2004.
19 Note de S. Beaugendre, « Voile sur la force majeure », Dalloz 2004, p. 2520. Cf. aussi la note

approbative sur ce point du professeur Jourdain in RTD civ. 2004, p. 740.


20 B. Starck, « La pluralité des causes de dommage et la responsabilité civile (La vie brève d’une

fausse équation : causalité partielle = responsabilité partielle) », JCP 1970, I, 2339.


276 Le droit maritime dans tous ses états

Il semble néanmoins que la doctrine s’accorde sur la caducité de ces


solutions, reléguant au rang historique cette causalité partielle de la force
majeure, en considérant que désormais l’existence d’un cas de force
majeure entraîne en principe la disqualification de la faute »21.

Si nous admettons clairement que les caractéristiques propres à la notion


de force majeure rendent cette notion exclusive de toute faute du débiteur
procédant du même événement, il nous semble qu’une faute débiteur distinct
peut, elle aussi, contribuer à déterminer l’événement ou à en déterminer les
circonstances.
Quelle que soit l’importance de l’exonération, totale ou partielle, celle-ci
fait exception à l’obligation, pour le débiteur n’exécutant pas son obligation,
d’acquitter des dommages et intérêts. La sanction étant écartée, reste à
déterminer le devenir des rapports entre les parties, c’est-à-dire du contrat et
des obligations qu’il contient ; en effet :

« une chose est de déterminer dans quelle mesure l’inexécution de


l’obligation d’un des cocontractants par suite d’une force majeure rejaillit
sur l’obligation de l’autre contractant, autre chose est de se prononcer sur
le sort du contrat »22.

21 Fabre-Magnan, n° 270, p. 739.


22 Propos des professeurs Weill et Terré in Droit civil, les obligations, 4e édition, Dalloz 1986, n° 486,
p. 506.
Farouk ZERHOUNI
Doctorant en droit maritime à l’université Paris I Panthéon Sorbonne,
Responsable à l’Agence Nationale de Ports.

Dans le contexte économique actuel de mondialisation, aucun dirigeant,


gestionnaire, avocat ou juriste d’entreprise, ne peut nier l’importance de l’arbi-
trage et notamment des MARC dans la vie des affaires1.

L’expression « modes alternatifs de règlement des conflits » recouvre tout


mécanisme permettant de trouver des solutions acceptables par des parties en
différend en dehors des procédures judiciaires traditionnelles (d’où le terme
« alternatif »). Ils ne se substituent pas à celles-ci mais doivent permettre de
« vider les conflits » de leur substance à la satisfaction des parties.
Cette expression désignée par l’acronyme MARC, est apparue au milieu
des années 1990 comme un équivalent français à la notion américaine
d’Alternative Dispute Resolution (ADR)2.
Les litiges sont donc réglés autrement qu’en empruntant la voie du sys-
tème judiciaire traditionnel. De ce fait, l’arbitrage, la conciliation ou la média-
tion peuvent représenter des modes de règlements de conflits encore plus
avantageux pour les parties3.
La mondialisation des échanges de marchandises, l’amélioration des
modes de transport maritime ont beaucoup modifié le commerce maritime.
Dans les domaines commerciaux à spécificité forte, comme le transport
maritime, lorsque naissent des divergences d’interprétation sur la signification
d’une obligation contractuelle, armateurs, affréteurs, chargeurs, assureurs vont
préférer recourir au jugement de professionnels avertis. Cette volonté sera
encore plus forte si les parties au contrat sont de nationalité différente et n’ont
qu’une connaissance limitée de l’organisation judiciaire du pays de leur cocon-
tractant. Ils vont d’autant plus préférer faire régler leur différend par leurs pairs
qu’ils pourront choisir l’arbitrage. Enfin, ils savent que ce choix apportera une
solution plus rapide et moins onéreuse qu’un procès. Pour ces raisons,

1 Les modes alternatifs de règlement des conflits.


2 L. Cadiet, Compte rendu de l’ouvrage de C. Samson et J. McBride (dir.), Solutions de rechange au
règlement des conflits - Alternative Dispute Resolution, Sainte-Foy, Les Presses de l’université Laval,
Québec, 1993, in Revue internationale de droit comparé 1994, n° 4, p. 1213-1217.
3 P. Lamontagne, Médiation et arbitrage : Modes alternatifs de résolution de conflits, p. 2.
278 Le droit maritime dans tous ses états

l’arbitrage est devenu dans le transport maritime le mode le plus courant de


résolution des litiges4.
Il est donc clair, que l’arbitrage trouve souvent son application dans le
cadre de l’assurance maritime qui met en litiges plusieurs intervenants du
domaine du transport maritime. On parle de l’arbitrage en matière d’assurance
maritime qui est le thème de ce sujet.
L’assurance maritime est définie par Le doyen René Rodière défini
comme suit :

« L’assurance maritime est le contrat par lequel l’assureur s’engage


moyennant le paiement d’une prime, à indemniser l’assuré du préjudice
subi par des valeurs définies et exposées aux dangers d’une expédition
maritime, du fait de la survenance de certains risques »5.

Différents types d’assurances existent en transport maritime. Tout d’abord,


l’assurance sur facultés est une assurance marchandises souscrite par les intérêts
cargaison afin de protéger leurs marchandises. L’armateur doit également
assurer ses navires par le biais d’une assurance corps et machines. Il doit aussi
se prémunir des risques liés à sa responsabilité civile.
Cependant, en matière de responsabilité de l’armateur, l’assurance
maritime la plus utilisée est celle fournie par les Protection and Indemnity Clubs ou
Clubs de protection et d’indemnité.
Il est donc clair que les intérêts cargaison et intérêts du navire sont souvent
opposés et font l’objet de contentieux. L’arbitrage est là pour régler ces litiges.
L’essor considérable de l’arbitrage maritime dans le monde depuis les
années soixante est lié au développement des relations internationales, le résul-
tat a été la création de très nombreux centres d’arbitrage6.
Les centres d’arbitrage maritime les plus connus sont ceux de Paris,
Londres et New York.
L’arbitrage maritime en France est né avec la création de la Chambre ar-
bitrale maritime de Paris en 1966. Ses fondateurs, initialement armateurs et
affréteurs céréaliers, avaient pour but de faire régler par des praticiens les pos-
sibles litiges nés lors de l’exécution de chartes parties7. Ils souhaitaient éviter de
devoir aller en arbitrage à Londres pour de petits litiges. Cet objectif a été très
vite atteint, et a également permis de progressivement bâtir une jurisprudence
de la Chambre pour éviter de nouvelles contestations et de nouveaux procès ou
arbitrages. Si l’arbitrage maritime en France est aujourd’hui bien vivant, il n’a

4 F. Arradon, L’arbitrage maritime en France, p. 1.


5 R. Rodiere et E. du Pontavice, Droit maritime, Dalloz 1997 p. 173.
6 F. Arradon, L’arbitrage maritime en France, p. 2.
7 Une charte-partie (charte partagée) est un contrat d’affrètement portant soit su0r le parcours (au

voyage), sur la durée (à temps), soit sur le navire seul (coque nue).
Farouk ZERHOUNI 279

bien sûr pas l’importance de l’arbitrage maritime à Londres qui reste la place de
référence avec ses forces et ses faiblesses.
Quant au Maroc, la Chambre d’Arbitrage Maritime du Maroc dont la
création remonte à 1980 n’est que très peu sollicitée.
En droit marocain l’arbitrage est régi par les dispositions de la loi n° 08-058,
quant à l’assurance maritime au Maroc, elle est régie par les dispositions suivantes :
– Les polices françaises d’assurance maritimes :
* Les conditions générales de l’imprimé du 1er décembre 1941
(mise à jour le 1er janvier 1956) de la police française d’assuran-
ce sur corps de tout navire à l’exception des navires de pêche,
de plaisance, de voiliers et des navires à moteur auxiliaire ;
* Les conditions générales de l’imprimé du 1er janvier 1956 (mise
à jour le 1er janvier 1963) de la police française d’assurance sur
corps de pêche,
* Les conditions générales de la police française d’assurance ma-
ritime sur facultés du 17 août 1944 (modifié le 1er janvier 1947
et le 1er juillet 1960).
– C’est le 4e titre de DCCM qui traite l’assurance maritime comportant
45 articles allant l’article 345 à l’article 390 dudit code9.
– Les règles de York et d’Anvers qui demeurent applicables s’il y a in-
sertion de celles-ci dans le contrat transport afin de régler un litige re-
latif au règlement des avaries communes, ainsi que certaines disposi-
tions de la convention des nations unies sur le transport des
marchandises par mer 1978 (Règles De Hambourg).

En droit français, il y a lieu de citer la loi française relative à l’arbitrage


soit le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l’arbitrage.
Pour le droit comparé, il est important de citer la loi française du 3 juillet
1967 régit exclusivement les contrats d’assurances couvrant les risques relatifs à
une opération maritime. Ses dispositions et son décret d’application comme
celles du code de commerce français qu’elles ont remplacé sont plus libérales
que celles de la loi terrestre, protégeant tantôt les assurés, tantôt les assureurs10.
Les polices françaises d’assurance maritimes tel celle relative à la poli-
ce française sur corps de tout navire à l’exclusion des navires de pêche, de
plaisance et des navires en construction du 1er janvier 2012 alors qu’au Maroc

8 La loi 08-05 promulguée par le dahir n° 1.07.169 du 30 novembre 2007. Bulletin officiel n° 5584
du 6 décembre 2007, p. 1369.
9 Dahir portant code de commerce maritime du 31 mars 1919 (28 joumada II 1337) (BO 26 mai

1919 et rectif. 15 août 1930).


10 F. Zerhouni, Le règlement du sinistre maritime, Mémoire Master droit des contentieux, Université

Hassan II Casablanca-Mohammedia, p. 13, année universitaire 2011-2012.


280 Le droit maritime dans tous ses états

on est toujours sous le régime des polices du XXe siècle qui ne prennent pas en
compte l’évolution que connaît le monde du transport maritime.
Et enfin les conventions internationales qui portent atteinte à l’assurance
maritime tel la convention de Bruxelles de 1924 « Règles de La Haye » qui a été
adoptée en France par la loi du 9 avril 1936 et mise en application par le décret
du 25 mars 193711.
C’est donc par le biais du premier protocole modificatif a été signé le
23 février 1968 et est entré en application le 23 juin 1977. Vingt pays, dont la
France, sont parties à ce protocole également appelé « Règles de Visby » ou
encore « Règles de La Haye-Visby ».
Il sera donc question à travers cet article d’étudier les textes juridiques
marocains et français régissant l’arbitrage en matière d’assurance maritime en se
limitant aux recours qui sont faits suite au recours subrogatoire de l’assureur
maritime contre le tiers responsable du dommage.
Notre étude sera divisée en deux parties :
– La première sera consacrée aux fondements de l’assureur maritime
pour recourir à l’arbitrage.
– La deuxième partie portera sur l’élaboration et l’exécution de la
sentence rendue.

Lorsqu’un sinistre survient du fait d’un cas fortuit, il est définitivement


pris en charge par les assureurs. En revanche, si le dommage subi par l’assuré
est dû à la responsabilité d’un tiers par exemple en cas d’abordage fautif ou en-
core dans le cas où la responsabilité du transporteur maritime envers le pro-
priétaire de la marchandise assurée est engagée, les assureurs qui ont indemnisé
l’assuré possèdent une action en justice contre ce tiers responsable12.
Il est un fait acquis aujourd’hui que l’assuré ne saurait à la fois obtenir
des dommages et intérêts du tiers et prétendre être intégralement indemnisé par
ses assureurs. Ce serait pour lui, s’enrichir contrairement au principe indemni-
taire de l’assurance qui est un principe essentiel. C’est pour cette raison que la
subrogation existe (A).
Néanmoins pour recourir à l’arbitrage il faut qu’il y ait insertion d’une
clause compromissoire ou que les parties au litige se mettent d’accord à travers
la signature d’un compromis d’arbitrage (B).

11 G. Ripert, Précis de droit maritime, Dalloz, 4e éd., 1947, p. 51.


12 F. Zerhouni, Le règlement du sinistre maritime, op. cit., p. 97, année universitaire 2011-2012.
Farouk ZERHOUNI 281

Le terme « subrogation » d’origine canonique est synonyme de remplace-


ment ou de substitution. Elle est réelle quand il s’agit de remplacer un bien par
un autre, et dans ce cas, il n’est pas question de paiement.
En revanche, on dit que la subrogation est personnelle lorsqu’il y a
substitution d’une personne à une autre. Cette dernière opération sera, elle,
directement liée à un paiement, puisqu’elle n’intervient qu’en cas de paiement13.
Deux institutions romaines sont à l’origine de la subrogation personnelle,
ce sont « la cession d’action » et « la cession in locum creditoris ».
La question du fondement du recours subrogatoire de l’assureur n’est
actuellement plus à discuter. Pratiquement, toutes les législations sont d’accord
sur ce point avec des nuances plus ou moins minimes14.
En droit marocain, le cadre juridique du recours subrogatoire de
l’assureur maritime varie selon le fait que le responsable est soumis ou non
soumis au droit maritime. En effet, on appliquera les dispositions du droit
commun (DOC) lorsque le responsable n’est pas soumis aux dispositions du
droit maritime tel l’aconier. Cependant, ceci ne demeure qu’une exception car
dans la majeure partie du temps ce seront les dispositions du DCCM et des
polices d’assurance maritimes qui trouveront application. En conséquence, la
subrogation peut revêtir deux formes, quand celle-ci résultera de la loi, on
parlera de subrogation légale (1), mais quand ce sera d’un accord des parties ce
sera la subrogation conventionnelle (2) qui s’appliquera.

La subrogation légale de l’assureur maritime a vu le jour au Maroc avec le


DCCM du 31 mars 1919, contrairement au droit français ou il a fallu attendre la
loi n° 67-522 du 3 juillet 1967 relative aux assurances maritimes pour trouver
un cadre légal à la subrogation des assureurs maritimes.
Cependant, il est important de signaler que bien avant le DCCM du
31 mars 1919, le DOC qui constitue le droit commun des contrats a réservé
tout un chapitre à la subrogation. Il s’agit de chapitre III du troisième titre qui
s’étend de l’article 211 à 216 du DOC.
Conformément à l’article 214 al 3, la subrogation a lieu de droit dans
plusieurs cas notamment :… « Au profit de celui qui a payé une dette dont il
était tenu avec le débiteur, ou pour lui comme débiteur solidaire, caution,
cofidéjusseur, commissionnaire ».

13 J. Mestre, La subrogation personnelle, Thèse Aix 1976, Librairie Générale de Droit et de


Jurisprudence. 1979 p. 72.
14 F. Z. El Kaki, Le recours subrogatoire de l’assureur en matière de transport maritime de marchandises,

Mémoire DESS Droit des assurances, année universitaire, 2002-2003, p. 19.


282 Le droit maritime dans tous ses états

L’article 367 du DCCM apporte une réponse claire au principe de


subrogation en stipulant que :
« Le paiement par l’assureur des indemnités à sa charge entraîne de plein
droit subrogation à son profit dans tous les droits, actions et recours
pouvant appartenir à l’assuré contre des tiers à raison des pertes ou
avaries qui ont fait l’objet de ce paiement… »

Cette même disposition est reprise par l’article 687 du projet de code ma-
ritime 2007. Il en ressort que le contrat d’assurance maritime qui lie l’assureur à
celui qui a intérêt, constitue le fondement même de l’action de l’assureur, celui-
ci après avoir indemnisé l’assuré est subrogé dans ses droits actions et recours
contre le responsable.
La loi française du 3 juillet 1967 à son tour est explicite puisqu’elle pré-
cise que : « l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance acquiert, à concurrence
de son paiement, tous les droits de l’assuré nés des dommages qui ont donné
lieu à garantie ». C’est pour éviter que ces droits ne se perdent que l’assuré doit,
comme nous l’avons précédemment indiqué, prendre des mesures conserva-
toires d’ordre juridique.
Ce faisant, on peut affirmer que l’article 367 du DCCM a consacré une
subrogation légale novatrice, ou encore qu’il a étendu le domaine d’application
de l’article 241 du DOC. Par conséquent, l’assureur n’est tenu à aucune signifi-
cation pour exercer son droit contre le tiers comme le prévoit l’article 195 du
DOC.
Ainsi pour bénéficier de cette subrogation légale deux conditions sont
requises :
- La première est que l’assureur ait effectivement payé l’indemnité
d’assurance,
- La seconde est que ce paiement ait été fait en exécution de
l’obligation contractuelle de la garantie et du risque couvert.
Dès que ces deux conditions sont réunies, la subrogation légale joue de
plein droit.
À titre d’exemple, une telle position a été prise par le biais de la sentence
arbitrale n° 1202 rendue par la Chambre Arbitrale Maritime de Paris ou il s’agit
d’un négociant, qui avait indemnisé les réceptionnaires pour des avaries consta-
tées à l’arrivée du navire retardé par une avarie de moteur en cours de traversée,
recherchait, avec son assureur subrogé, la responsabilité du transporteur.
Le Tribunal arbitral s’est d’abord estimé compétent car l’action du négo-
ciant se fondait non sur les connaissements mais sur l’accord de partenariat con-
tenant la clause compromissoire. Le Tribunal a constaté qu’ayant indemnisé les
réceptionnaires, le négociant justifiait de son intérêt à agir et que, selon le droit
Farouk ZERHOUNI 283

néerlandais auquel était soumis le contrat d’assurance, l’assureur bénéficiait de


la subrogation légale dès lors qu’était démontré qu’il avait indemnisé son assuré15.
C’est donc pour cette raison que le tribunal arbitral a accepté la demande
du demandeur.
Sur le fond, le Tribunal a considéré que les caractères de la force majeure
plaidée par le défendeur n’étaient pas établis, que le transporteur avait failli à ses
obligations et qu’il devait être déclaré responsable des avaries. Sur le quantum,
compte tenu du caractère non contradictoire de certaines constatations et
valorisations, il a appliqué, dans son pouvoir souverain d’appréciation, des
décotes de 30 à 50 % sur les montants allégués des dommages16.
Néanmoins dans la pratique, l’assureur peut même exercer cette action
de recours en son propre nom avant tout paiement, en appliquant les
dispositions de l’alinéa 2 de l’article 367 du DCCM qui dispose :
« L’assureur tenu du paiement de pertes ou avaries dont la responsabilité
incombe à un tiers, peut également, même avant paiement, agir en son
nom propre contre ce dernier »

Cette action est confirmée par la jurisprudence17qui a jugé que


« l’assureur est subrogé légalement même avant tout paiement, dans tous
les droits et actions de l’assuré contre le responsable, des manquants et
avaries avant d’indemniser le préjudice issu de l’obligation d’exécuter le
contrat d’assurance, ce dernier n’a pas à prouver cette subrogation mais il
demeure que la pratique des tribunaux de ces dernières années fait défaut
à cette disposition et veut que l’assureur désirant d’exercer le droit de
subrogation doit verser au dossier du tribunal la quittance subrogative
attestant que l’assuré a dûment été payé »18.

Ainsi cette disposition a été supprimée du projet de code maritime 2007


que le législateur de ce dernier confirmant que la subrogation légale ne peut
exister qu’avec le paiement de l’indemnité de l’assureur.

15 Gazette de la Chambre d’arbitrage maritime de Paris n° 31, Printemps 2013, p. 7.


16 Ibid.
17 En matière de transport maritime, si l’assureur peut engager son action avant même paiement

des indemnités, encore faut-il que ce paiement intervienne au plus tard lorsque l’affaire est en
l’état, à défaut de quoi l’assureur ne peut valablement invoquer la subrogation de plein droit dont
il bénéficie (Casablanca 31 janvier 1963 : F.-P. Blanc, Rev. mar. de droit 1er novembre 1963, p. 420).
18 H. Besri, « Réflexion pratique sur l’assurance maritime au Maroc », Revue marocaine de droit et de

l’économie de développement, n° 18 1998 p. 23.


284 Le droit maritime dans tous ses états

L’assureur, lorsqu’il veut réclamer au responsable du dommage le règle-


ment d’une somme qu’il n’était pas contractuellement tenu de régler à son assu-
ré ou au tiers lésé, il en est ainsi lorsqu’il effectue un règlement à titre commercial.
Il doit passer par la technique de la subrogation conventionnelle prévue
par le droit civil en amont ou en aval des dispositions des polices françaises
d’assurance maritime.
En France, le principe de la subrogation conventionnelle fut introduit en
premier lieu par le droit commun. C’est ainsi qu’il résulte de l’article 1250-1 du
code civil, que celui qui s’acquitte d’une dette qui lui est personnelle peut
néanmoins prétendre bénéficier d’une subrogation conventionnelle, s’il a par
son paiement, et du fait de cette subrogation, libéré envers leurs créanciers
communs celui qui doit peser la charge définitive de la dette.
L’article 213 du dahir des obligations et contrats19 émet des conditions
pour que la subrogation conventionnelle soit valable.
En France tout comme au Maroc, les conditions générales des polices
françaises sur corps et facultés imposent à l’assuré de prendre de toutes les
mesures nécessaires à même de garantir à l’assureur un recours contre le tiers
responsable.
La conservation du recours subrogatoire de l’assureur est basée pour
l’assurance corps par le biais de l’article 16 1er alinéa d’où voici un extrait :

« … l’assuré doit également, en cas de pertes ou dommages imputables à


des tiers, prendre toutes mesures nécessaires pour conserver, au profit
des assureurs, le recours en responsabilité que la loi peut lui accorder
contre ces tiers et leur prêter son concours sans réserve pour engager
éventuellement les poursuites nécessaires… ».

Cette même disposition est reprise par l’article 16 2e alinéa de la police


française d’assurance maritime sur facultés qui dispose que :

« L’assuré doit également prendre, en temps utile, toutes mesures


nécessaires pour conserver, éventuellement au profit des assureurs, ses
droits et recours contre le transporteur et tous autres tiers responsables,
et prêter aux assureurs son concours sans réserve pour engager, le cas
échéant, les poursuites nécessaires »

19 L’article 213 du DOC dispose que : « La subrogation conventionnelle a lieu également, lorsque
le débiteur emprunte la chose ou la somme qui fait l’objet de l’obligation afin d’éteindre sa dette,
et subroge le prêteur dans les garanties affectées au créancier et au refus de celui-ci de recevoir le
paiement, moyennant la consignation valablement faite du débiteur ».
Farouk ZERHOUNI 285

Cette règle qui demeure traditionnelle en assurance maritime, signifie que


l’assuré doit conserver le recours de l’assureur notamment en lui permettant
d’engager en son nom les poursuites nécessaires.
En pratique, dans le cas où l’assuré ne conserve pas le recours au profit
des assureurs, il sera indemnisé déduction faite de 50 % du montant de
l’indemnité au motif de non conservation du recours.

L’arbitrage international n’oblige pas les parties d’avoir un écrit pour


prouver la convention d’arbitrage20.
La loi marocaine 08-05 quant à elle maintient la nécessité de l’écrit pour
la convention d’arbitrage, tout en admettant différents moyens de preuve, et
retient la distinction entre la clause compromissoire et le compromis.
L’article 307 de la loi 08-05 dispose que :

« La convention d’arbitrage est l’engagement des parties de recourir à


l’arbitrage pour régler un litige né ou susceptible de naître concernant un
rapport de droit déterminé, de nature contractuelle ou non contractuelle.
La convention d’arbitrage revêt la forme d’un compromis d’arbitrage ou
d’une clause d’arbitrage ».

La question de l’inclusion d’une clause compromissoire dans les contrats


d’assurance, les connaissements ou les chartes parties est une option que les
parties contractantes doivent considérer de manière appropriée et réfléchie.
L’article 1442 alinéa 2 du décret n° 2011-48 du 13 janvier 201121portant
réforme de l’arbitrage définie la clause compromissoire comme suit :

« La clause compromissoire est la convention par laquelle les parties à un


ou plusieurs contrats s’engagent à soumettre à l’arbitrage les litiges qui
pourraient naître relativement à ce ou à ces contrats ».

Le principe d’autonomie de la clause compromissoire amène à penser


que cette dernière constitue un objet juridique distinct du contrat principal. Le
terme de « séparabilité » de la clause compromissoire.

20 Article. 1507 du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l’arbitrage


dispose : « La convention d’arbitrage n’est soumise à aucune condition de forme ».
21 Décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, JORF n° 0011 du 14 janvier 2011 p. 777 texte n° 9.
286 Le droit maritime dans tous ses états

On parle de l’indépendance de celle-ci qui demeure valable alors même


que le contrat est considéré comme nul, cette position est prise par le législateur
marocain22 tout comme le législateur français23.
Au titre de la subrogation : l’assureur ayant indemnisé, au moins partiel-
lement son assuré, il a recueilli du fait de la subrogation les droits et obligations
de ce dernier, et peut donc se prévaloir du contrat porteur de la clause
compromissoire. Classiquement, la validité de la quittance subrogatoire est mise
en cause inliminelitis24 dans chaque affaire, ou presque25.
L’assureur en reprenant à son compte les droits et obligations nés du
contrat à l’origine du litige, l’assureur reprend la clause compromissoire.
En matière de marchandises transportées par voie maritime, il faut que la
clause d’arbitrage soit insérée d’une manière explicite au connaissement ou tout
autre document de transport26 ceci en se basant sur les dispositions de l’article
22 des règles de Hambourg27.
Néanmoins en France, les polices françaises maritimes font souvent
l’objet de mises à jour et de refontes. On peut citer l’exemple de la dernière
police française d’assurance maritime sur corps de tous navires tous risques du
1er janvier 2012 qui en insérant une clause compromissoire donne recours à la
chambre d’arbitrage maritime de Paris pour les litiges qui peuvent survenir28.
Ceci contrairement au Maroc, il est important de signaler que les condi-
tions générales françaises polices maritimes applicables au Maroc ne parlent en
aucun de l’arbitrage et ne prennent pas en compte l’évolution qu’a connu le
commerce maritime ce qui confirme que ces polices sont dépassées et doivent
faire l’objet d’une restructuration très rapidement.

22 L’article 318 de la loi 08-05 dispose que : « La clause d’arbitrage est réputée être une
convention indépendante des autres clauses du contrat. La nullité, la résiliation ou la cessation du
contrat n’entraîne aucun effet sur la clause d’arbitrage comprise dans ledit contrat lorsque celle-ci
est valable en soi ».
23 L’article 1447 du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l’arbitrage dispose

que : « La convention d’arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte. Elle n’est
pas affectée par l’inefficacité de celui-ci. Lorsqu’elle est nulle, la clause compromissoire est
réputée non écrite ».
24 Au commencement du procès.
25 O. Jambu-Merlin, « L’assurance maritime, terre d’élection de l’arbitrage », Publié le 6 juillet

2012.
26 M. El Khayat, « Analyse des règles de Hambourg : Convention de nations unies sur le transport

de marchandises par mer 1978 », Revue de droit et d’économie, n° 3 année 1987, p. 99.
27 La convention des nations unies sur le transport des marchandises par mer dit règles de

Hambourg du 31 mars 1978 sous le dahir n° 1-84-21 du 11 rebia I 1407 (14 novembre 1986)
portant publication de la convention des Nations unies pour le transport de marchandises par
mer (BO n° 3953 du 19 hija 1408 (3 août 1988) entrée en vigueur au Maroc le 1er novembre 1992.
28 Article 5.5 de la police française maritime sur corps de tous navire tous risques du 1er janvier

2012 : « Tous différends découlant du présent contrat d’assurance ou en relation avec celui-ci
seront tranchés par la chambre arbitrale maritime de Paris conformément à son règlement ou par
tout autre tribunal arbitral agréé ».
Farouk ZERHOUNI 287

Ce n’est donc qu’à travers les conditions particulières que les assureurs
peuvent insérer une clause compromissoire afin de remplir le vide laissé par le
législateur marocain à ce niveau. Néanmoins, en pratique les assureurs mariti-
mes marocains ne font pas preuve d’une telle disposition dans les conditions
particulières sauf qu’en cas d’une demande spéciale de l’assuré qui en général
n’est pas conscient de l’importance de l’arbitrage une mention qui stipule qu’en
complément des conditions générales, il peut y avoir un accord commun entre
l’assureur et l’assuré ils peuvent recourir à l’arbitrage.
Les raisons du non recours des assureurs maritimes aux instances arbitra-
les tiennent à l’attitude de ceux-ci et de leurs avocats. Les dossiers litigieux sont
généralement déposés devant les juridictions étatiques classiques. Ces derniers
ont le choix entre déposer le dossier devant la Chambre arbitrale ou le confier à
leurs avocats. Or cette deuxième option semble automatique chez les assureurs
qui confient le dossier à l’avocat après avoir essayé d’arriver à une solution dans
le cadre d’une transaction amiable afin de clore le litige définitivement.
En définitive, dans le cas où il n’y a pas insertion d’une clause
compromissoire il est possible que l’assureur et le tiers responsable se mettent
d’accord de recourir à l’arbitrage afin de régler leur différend.
Quelle est donc la spécificité de ce compromis ? La différence entre
compromis d’arbitrage et clause compromissoire.

Le recours à l’arbitrage dans le cadre des litiges mettant un assureur


maritime et une autre entité par le biais du compromis d’arbitrage qui est défini
comme une convention à part entière par laquelle les parties soumettent à des
arbitres un litige déjà né. Il doit réunir trois éléments : l’exposé du litige, la
désignation du ou des arbitres, la volonté de faire juger le litige par arbitrage.29
C’est donc qu’après la survenance du dommage que les parties en litiges
se mettent d’accord pour recourir à l’arbitrage.
Ceci étant en droit marocain l’article 314 dans son premier alinéa de la loi
08-05 défini le compromis d’arbitrage comme suit :

« Le compromis d’arbitrage est la convention par laquelle les parties à un


litige déjà né soumettent celui-ci à un tribunal arbitral.
Le compromis peut être conclu même au cours d’une instance déjà
engagée devant une juridiction.
Lorsqu’il y a accord sur le recours à l’arbitrage au cours de l’examen du
litige devant une juridiction, celle-ci doit décider de soumettre les parties
à l’arbitrage. Cette décision est réputée être une convention d’arbitrage
écrite ».

29 http://www.arbitrage.org, site officiel de la chambre arbitrale internationale de Paris.


288 Le droit maritime dans tous ses états

En droit français30 comme en droit marocain qui instaure dans l’article


313 du code de procédure civile quele compromis doit impérativement être
constaté par un écrit. Cet écrit est exigé « ad probationem » et non pas « ad
validitatem » comme c’est le cas pour la clause compromissoire31.
Cette preuve écrite du compromis peut résulter d’un procès-verbal signé
par l’arbitre et les parties. Elle peut également être établie par acte authentique
ou par acte sous seing privé ou encore par un échange de lettres ou de tout
autre moyen de télécommunication considéré comme convention et qui en
atteste l’existence32.
De même que pour la clause compromissoire, le compromis doit dési-
gner les arbitres ou prévoir les modalités de leur désignation. Il doit également
déterminer l’objet du litige. Cette exigence s’explique par la nécessité que soit
fixée avec précision la compétence des arbitres.
En cas de non-respect de ces dispositions, la nullité du compromis sera
prononcée.
D’autre part, il important de signaler qu’en matière de marchandises trans-
portées par voie maritime, les navires font souvent objet de saisies conserva-
toires quand la marchandise a été avariée quand la responsabilité du transpor-
teur est engagée chose qui donne lieu à l’émission d’une lettre de garantie par le
P&I Club pour avoir la main levée du navire.
Cette lettre de garantie ayant pour premier objectif de libérer le navire
mais elle a aussi pour objet de changer la compétence établie par clause com-
promissoire du connaissement et par ce biais devient applicable pour le litige en
question la clause compromissoire ou la clause attributive de juridiction édictée
par le club du navire par le biais de l’anti suit injonction.
En matière maritime, l’anti suit injonction revêt une importance considé-
rable pour la place arbitrale londonienne. En effet, cette mesure édictée par le
juge étatique londonien empêche une partie au contrat de transport maritime
international d’entamer ou de poursuivre une procédure judiciaire parallèle en
violation de la clause de compétence insérée dans ledit contrat33.

De ce fait, une fois la lettre de garantie émise par les P&I Club, l’anti suit
injonction joue et tout litige dans l’affaire sera réglé en principe devant the
London Maritime Arbitrators Association (LMAA).

30 Article 1443 du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 inclue dans le code procédure civile
français dipose que : « A peine de nullité, la convention d’arbitrage est écrite. Elle peut résulter
d’un échange d’écrits ou d’un document auquel il est fait référence dans la convention
principale ».
31 http://www.legalis.net.
32 Article 313 alinéa 2 du code de procédure civile marocain ;
33 B. Amouri, L’anti-suit injonction en matière maritime, mémoire master droit maritime et des transports,

Université de droit d’économie et des sciences d’Aix Marseille III, année universitaire 2011-2012
p. 5.
Farouk ZERHOUNI 289

Pour conclure, cette partie la convention d’arbitrage, lorsqu’elle est mise


en œuvre, est le point de départ du procès arbitral qui après sa saisie de l’affaire
devra rendre une sentence arbitrale.
Quelle est la spécificité de celle-ci par rapport au jugement des
juridictions classiques ?

La sentence est la décision par laquelle les arbitres, conformément aux


pouvoirs que leur confère la convention arbitrale, tranchent les questions liti-
gieuses qui leur ont été soumises par les parties. Parmi les sentences, on
distingue les sentences définitives des sentences avant-dire-droit qui se divisent
elles-mêmes en sentences préparatoires, qui sont destinées à ordonner une
mesure d’instruction, et en sentences provisoires, par lesquelles sont ordonnées
des mesures provisoires ou qui tranchent un point préliminaire. Quel que soit le
type de sentences arbitrales elles doivent respecter certaines conditions prévues
par la loi (1). Dès son édition la sentence produit des effets (2).

Les sentences arbitrales doivent respecter des conditions de fond mais


aussi des conditions de forme.

Que ce soit en droit marocain ou en droit français, la sentence arbitrale


doit faire l’objet d’un écrit, elle doit exposer succinctement les prétentions
respectives des parties et doit être motivée. Elle est soumise à des conditions
précises prévues par les dispositions de la loi 08-05 34 au Maroc et du décret
n° 2011-48 du 13 janvier 2011 35 en France. Elle doit par ailleurs comporter
impérativement un certain nombre d’indications, à savoir :
– Le nom des arbitres qui l’ont rendue,
– La date à laquelle elle a été rendue,
– Le lieu où elle a été rendue,

34 Article 327-23 de la loi n° 08-05 dispose que : « La sentence arbitrale doit être écrite. Elle doit
viser la convention d’arbitrage et contenir l’exposé succinct des faits, des prétentions des parties
et leurs moyens respectifs, les pièces, l’indication des questions litigieuses résolues par la sentence
ainsi qu’un dispositif statuant sur ces questions. Elle doit être motivée, sauf si les parties en ont
décidé autrement dans la convention d’arbitrage ou que la loi devant être appliquée à la procédure
d’arbitrage n’exige pas la motivation de la sentence. La sentence concernant un litige auquel est
partie une personne de droit public doit toujours être motivée ».
35 Article 1482 du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 qui dispose que : « La sentence arbitrale

expose succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Elle est motivée ».
290 Le droit maritime dans tous ses états

– Le nom, les prénoms ou la dénomination des parties, ainsi que leur


domicile ou siège social,
– Éventuellement, le nom de l’avocat des parties ou de toute personne
les ayant représentées ou assistées.

Les arbitres doivent tous la signer. Toutefois, si une minorité des arbitres
refuse de le faire, les autres peuvent la rendre en en faisant mention36.
Toutes ces conditions sont édictées à peine de nullité de la sentence.

En droit français, la sentence doit, pour être rendue, recueillir la majorité


des voix (article 1480 du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011).
L’article 1478 du même décret prévoit que le litige doit être tranché en
application des règles de droit, sauf si les parties ont confié les pouvoirs
d’amiable compositeur à l’arbitre.

La sentence, dès lors qu’elle est rendue, produit les mêmes effets qu’un
jugement rendu par les juridictions étatiques.
En conséquence, une fois la sentence rendue, le contrat d’arbitre prend
fin. Mises à part les questions relatives aux honoraires de l’arbitre et à sa
responsabilité pour lesquelles un lien entre l’arbitre et les parties peut subsister.
Le principe est que l’arbitre est dessaisi et perd ainsi tout pouvoir. Ce
principe du dessaisissement n’est cependant pas absolu et l’arbitre peut
conserver ou recouvrer des pouvoirs dans certaines situations, une fois le
tribunal arbitral dessaisi la sentence arbitrale acquiert l’autorité de la force jugée.

La sentence arbitrale, lorsqu’elle est rendue, dessaisit le tribunal arbitral.


Celui-ci ne pourra donc pas statuer une nouvelle fois sur le litige. Néanmoins,
en cas de nullité de la sentence, les arbitres pourront substituer une nouvelle
sentence à la sentence nulle si telle est la volonté des parties (art. 1485)
Ce principe comporte toutefois quelques exceptions, prévues par l’art.
1475 al. 2. L’arbitre dispose tout d’abord du pouvoir, non limité dans le temps,
d’interpréter sa sentence. Il peut de même rectifier les erreurs et oublis matériels
qui entachent sa décision. Il peut enfin la compléter quand il a omis de statuer
sur un chef de demande.

36 Voir article 327-25 de la loi n° 08-05.


Farouk ZERHOUNI 291

L’arbitre est dessaisi après que la sentence ait été rendue implique donc,
en vertu du principe de l’autorité de chose jugée, d’évaluer quels points litigieux
ont été finalement été tranchés.
La règle d’autorité de la chose jugée des sentences arbitrales est aujour-
d’hui communément admise et explicitement énoncée dans plusieurs législa-
tions, notamment en France, au Maroc, en Allemagne ou encore en Suisse, ainsi
que par le biais de la convention internationale de New York de 1958.
En droit français, l’article 1484 alinéa 1er du décret de du 13 janvier 2011
dispose que : « La sentence arbitrale a dès qu’elle est rendue, l’autorité de la
chose jugée relativement à la contestation qu’elle tranche ».
Cette disposition est reprise par la loi 08-05 incorporé dans le code de
procédure civile marocain.
La sentence arbitrale étant rendue celle-ci devra faire l’objet d’une
exécution, quelle est donc la spécificité de l’exécution des sentences arbitrales
en droit marocain et en droit français ?

En principe, la sentence devrait être exécutée spontanément par les par-


ties en se basant sur le principe de droit de Pacta Sunt Servanda associé à l’auto-
rité de la chose jugée justifie pertinemment l’obligation d’exécuter spontané-
ment la sentence arbitrale mais, si l’une des parties s’y refuse, la décision
arbitrale, ayant l’autorité de la chose jugée mais pas la force exécutoire, devra
faire l’objet d’une procédure d’exequatur (2). La sentence arbitrale est par
ailleurs susceptible d’exécution provisoire (1).

La question des intérêts octroyés par les sentences rendues en matière


d’arbitrage international suscite un intérêt certain en doctrine, ce qui n’est pas
surprenant compte tenu de sa très grande importance pratique37. Il peut en effet
s’écouler une longue durée entre le moment de la survenance du dommage ou
celui de la contestation du paiement d’une somme d’argent, et le moment où la
somme correspondante est payée en exécution, dans l’hypothèse qui nous
occupe, d’une sentence arbitrale qui aurait condamné la partie débitrice.
C’est pour cette raison que la sentence arbitrale peut être assortie d’une
exécution provisoire tel qu’il est disposé dans l’article 1484 alinéa 2 du décret du

37 P. Pinsole, Les intérêts composés dans l’arbitrage international, p. 2.


292 Le droit maritime dans tous ses états

13 janvier 2011 qui dispose que : « Elle peut être assortie de l’exécution
provisoire. Elle est notifiée par voie de signification à moins que les parties en
conviennent autrement ».
En droit marocain tout comme le droit français, l’exécution provisoire
des sentences arbitrales est possible néanmoins les règles applicables à
l’exécution provisoires aux jugements rendus par les juridictions étatiques38.
Le juge d’exéquatur peut donc refuser l’exécution provisoire pour le
motif qui n’est pas au nombre de ceux limitativement énumérés par la loi.
La sentence arbitrale qui a été rendue dans un pays étranger que celui ou
la sentence va être exécutée n’est pas obstacle pour son exécution39.
Le juge français se reconnaît même la possibilité d’accorder des intérêts
moratoires en vertu de l’article 1153-1 du code civil à partir du prononcé d’une
sentence étrangère40.

L’exéquatur est un acte ou une injonction à la suite d’une procédure


particulière incorporant la sentence arbitrale dans un ordre juridique d’un état
autre que celui qui a rendu la sentence.
L’exéquatur est la décision par laquelle l’autorité judiciaire compétente
donne force exécutoire à une sentence arbitrale, elle a donc pour objet la
reconnaissance puis l’exécution forcée.
En droit marocain, cette procédure est régie par les dispositions 327-31,
327-32, 327-33 du code de procédure civile accompagné des dispositions légales
de la convention de New York de 1958 ratifiée par le Royaume du Maroc41.
La procédure est déclenchée par un arbitre ou la partie la plus diligente.
Elle se déroule en principe devant le juge dont le ressort duquel la sentence a
été rendue ; elle peut également se dérouler devant le président de la cour
d’appel lorsque la sentence a fait l’objet d’un recours. La minute de la sentence
et un exemplaire de la convention d’arbitrage doivent être déposés au secréta-
riat de la juridiction compétente42.

38 Article 327-26 du code de procédure civile : « Dès qu’elle est rendue, la sentence arbitrale a la
force de la chose jugée relativement à la contestation qu’elle tranche… Les règles sur l’exécution
provisoire des jugements sont applicables aux sentences arbitrales pour lesquelles l’exequatur
n’est pas exigible ».
39 Cassation 1re civ, 10 mars 1993, 360 note Kahn, obs Hasher DMF 1994, 28 obs. Cadiet,

Versailles 29 juin 1995, Adde Cass, 1re civile, 8 juillet 2009, n° 8 d 2009.
40 L. Caduet, Droit judiciaire privé, 7e édition Lexis Nexis ; 2012, p. 804.
41 Convention de New-York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences

arbitrales étrangères.
42 K. Khakhay, L’assistance maritime au Maroc, thèse pour l’obtention du doctorat en droit privé,

Université Paul Cézanne, 2011, p. 243.


Farouk ZERHOUNI 293

Le juge de l’exequatur rend une ordonnance. Celle-ci doit être motivée


lorsqu’elle refuse d’accorder l’exequatur. Lorsque l’exequatur est obtenu, elle est
apposée sur la minute de la sentence arbitrale. L’ordonnance d’exequatur n’est
susceptible d’aucun recours. En revanche, l’ordonnance qui refuse l’exequatur
est susceptible d’appel.
La cour d’appel saisie suite à une procédure d’appel peut prononcer
l’annulation de la sentence arbitrale ou confirmer l’ordonnance du juge de
première instance en ordonnant son exécution, cet arrêt de la cour d’appel peut
à son tour faire l’objet de pourvoi en cassation devant la cour de cassation.

Au Maroc, les litiges liés au domaine du droit maritime et plus spécia-


lement ceux relatifs à l’assurance maritime sont nombreux, néanmoins ils font
que rarement l’objet de procédures d’arbitrage.
Ces causes de non-recours à cette instance sont multiples. Il est, en pre-
mier lieu, rare que les contrats prévoient l’arbitrage au Maroc. Les clauses com-
promissoires confient dans la quasi-totalité des cas l’arbitrage aux Chambres
arbitrales de Londres, New York ou Paris, qui jouissent d’une réputation mon-
diale en ce domaine. Ce raisonnement est valable aussi bien pour les litiges
opposant deux parties étrangères que pour ceux impliquant des parties
marocaines43.
De ce fait, il est important que tous les acteurs du commerce maritime
soient conscients de l’importance des modes alternatifs de résolution des
conflits dans les litiges internationaux qui demeure très important.

43Journal l’économiste, Édition n° 67 du 18/02/1993 ; Arbitrage maritime : la chambre marocaine


peu sollicitée.
Nadia BENREDOUANE
Docteur en Droit Université Panthéon Sorbonne Paris

Le bassin méditerranéen revêt pour l’Union européenne un intérêt capi-


tal sur le plan économique1, politique, historique, stratégique, écologique. Sa fa-
çade méditerranéenne ne cesse de s’agrandir, à l’adhésion des deux membres
fondateurs la France et l’Italie en 1957 s’est ajoutée celle de la Grèce en 1981,
de l’Espagne en 1986, de Chypre, de Malte et de la Slovénie en 2004 et, en
juillet 2013, la Croatie est devenue le 28e État membre de l’UE. Cependant la
pollution ne connaissant pas de frontière, l’Union européenne, même en réunis-
sant huit États riverains de la Méditerranée, ne saurait à elle seule et sans coopé-
rer avec les autres États de la région faire face à la pollution de la Méditerranée
par les transports. En effet la Méditerranée, véritable carrefour maritime, est le
siège d’un trafic dense. Elle supporte 30 % du volume commercial maritime
international et près de 25 % du transport maritime mondial de pétrole passe
par ses eaux. Deux mille navires marchands de plus de 100 tonneaux de jauge
brute (TJB) naviguent en permanence sur cette mer, dont 250 à 300 pétroliers2.
Or, la mer Méditerranée présente des caractéristiques particulières qui font
d’elle une mer vulnérable propice à une attention accrue en matière de pollution
par les navires. La vulnérabilité de la Méditerranée, « mer au milieu des terres »,
tient essentiellement à son caractère de mer semi-fermée, au lent renouvelle-
ment de ses eaux (une régénération complète des eaux de la Méditerranée est
estimée à 90 ans)3 et à sa faible productivité qui a pour conséquence la présence
d’espèces d’une grande diversité mais limitées en nombre4. La concomitance de

1 B. Khader, L’Europe pour la Méditerranée : de Barcelone à Barcelone (1995-2008), Paris, L’Harmattan,


2009, 256 p.
2 La protection de la Méditerranée contre les accidents maritimes et les rejets illicites des navires,

REMPEC, 2002.
3 M. Grenon, M. Batisse (dir.), Le plan bleu : avenirs du bassin méditerranéen, Programme des

Nations unies pour l’Environnement, Plan d’action pour la Méditerranée, Economica, Paris, 1989,
p. 27.
4 J.-L. Carsin, C. Chassard-Bouchaud, L’environnement de la Méditerranée, collection Que sais-je, Paris,

PUF, 1998, p. 28.


296 Le droit maritime dans tous ses états

ces phénomènes laisse présager des effets dévastateurs de la pollution sur


l’écosystème du bassin méditerranéen.

L’action de l’UE en faveur de la protection du milieu marin de la Médi-


terranée du fait du transport est incontournable non seulement vis-à-vis de ses
États membres, mais plus particulièrement dans le cadre de cet article, vis-à-vis
des pays riverains non-membres. Les politiques européennes à l’égard des États
tiers de la Méditerranée oscillent entre deux méthodes d’actions intégrant cha-
cune une dimension environnementale : la coopération bilatérale, dans le cadre
du processus d’élargissement, des accords d’association et des plans d’action au
titre de la politique européenne de voisinage (PEV) (I), et la coopération mul-
tilatérale par le truchement du partenariat euro-méditerranéen, du volet régional
de la PEV5 et de la coopération avec les institutions créées dans le cadre du
Plan d’action pour la Méditerranée (PAM)6 (II).

Les États candidats et « candidats potentiels » méditerranéens contri-


buent essentiellement à la protection de la mer Méditerranée en s’alignant, dans
une perspective d’adhésion, sur la politique et sur la législation de l’UE dans les
domaines de l’environnement et de la sécurité des transports (A). En 2004,
l’UE a lancé une nouvelle initiative : la Politique européenne de voisinage (PEV)
qui vise, tout en écartant l’adhésion, à rapprocher les États frontaliers Est
européens, les pays du Sud de la Méditerranée et les pays du Caucase du Sud du
système économique et des politiques de l’UE, y compris en matière de
protection de l’environnement marin et de sécurité du transport maritime (B).

L’intégration de la dimension environnementale et sécuritaire du trans-


port maritime dans les relations avec les pays tiers méditerranéens apparaît, tout
d’abord, dans le cadre des négociations avec les futurs adhérents7.

5 C. Stephanou, « “Union européenne” et “Union pour la Méditerranée” : Des projets politiques


concurrents ou complémentaires ? » in A. Sedjari (dir.), Euro-Méditerranée : Histoire d’un futur, Paris,
L’harmattan, 2010, p. 131.
6 Les pays méditerranéens et la Communauté européenne ont adopté le PAM en 1975. Celui-ci

joue un rôle historique comme cadre de coopération pour la protection de l’environnement en


Méditerranée
7 G. Proutière-Maulion, « L’intégration de la dimension environnementale dans les relations avec

les pays tiers » in A. Fenet (dir.), Droit des relations extérieures de l’Union européenne, Paris, Litec, 2006,
p. 237-238
Nadia BENREDOUANE 297

Les États méditerranéens intéressés par l’adhésion à l’UE sont suscepti-


bles de se trouver dans des situations différentes8, il convient de distinguer les
candidats potentiels (Bosnie-Herzégovine), les État qui, après avoir déposé une
demande officielle d’adhésion, ont été reconnus candidats et attendent l’ouver-
ture des négociations (Albanie), les États qui en négocient actuellement les con-
ditions (Monténégro, Turquie) ainsi que les États qui ont signé leur accord
d’adhésion et qui attendent sa ratification par eux-mêmes et par l’ensemble des
États membres.
Néanmoins, l’adhésion implique l’acceptation et l’intégration de l’acquis
de l’Union par les nouveaux membres. La Commission définit cet acquis com-
me incluant le contenu, les principes et les objectifs politiques du traité ; la légis-
lation adoptée en application des traités et la jurisprudence de la Cour de
Justice ; les déclarations et les résolutions adoptées dans le cadre de l’Union ; les
accords internationaux conclus par la Communauté et ceux conclus par les
États membres entre eux dans le domaine des activités de l’Union9. Tradition-
nellement, la reprise de l’acquis ne devait être observée par un nouvel État
membre qu’au jour de son adhésion. Pourtant, en pratique, l’application de ce
principe a subi un bouleversement avec la stratégie de pré-adhésion renforcée et
avec le processus d’adhésion et de stabilisation (destiné exclusivement aux pays
des Balkans) qui contraignent les États candidats à se rapprocher de l’acquis de
l’Union avant l’adhésion10.
Dans le but de pacifier et de stabiliser durablement les Balkans, l’UE a
estimé que seule une perspective concrète d’intégration dans les structures eu-
ropéennes permettrait d’atteindre cet objectif. Le 26 mai 1999, la Commission
lance une nouvelle approche renforcée vis-à-vis des pays de l’Europe du Sud-
Est. Approche qui implique l’établissement d’un processus de stabilisation et
d’association (PSA) intéressant particulièrement cinq pays riverains de la
Méditerranée : l’Albanie, l’ancienne République yougoslave de Macédoine, la
Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro. Le PSA a été conçu afin d’aider
les pays des Balkans à faire les réformes drastiques nécessaires, préalable incon-
tournable à une future adhésion. En 2000, les Conseils européens de Feira et de
Nice ont explicitement reconnu la vocation des pays des Balkans à être consi-
dérés comme des « candidats potentiels » et évoqué « une perspective réelle
d’adhésion » dès que les conditions pertinentes auront été remplies11.

8 L. Memeti-Kamberi, L’État candidat à l’Union européenne, Paris, L’harmattan, 2012, 631 p.


9 Commission des Communautés européennes, L’Europe et le défis de l’élargissement, Bulletin des
Communautés européennes, 1992, supplément 3/92.
10 L. Coutron, Jurisclasseur Europe Traité, Fasc. 115 : Union européenne – Adhésion – Aspects

juridiques généraux, 31 Octobre 2012, spécialement p. 44-72.


11 Lors du Conseil européen de Thessalonique, 19 et 20 juin 2003, il a été affirmé que les pays des

Balkans occidentaux feront partie intégrante de l’UE dès qu’ils répondront aux critères requis et
que le processus de stabilisation et d’association constitue le cadre du parcours européen des pays
des Balkans occidentaux jusqu’à leur future adhésion.
298 Le droit maritime dans tous ses états

Les accords de stabilisation et d’association (ASA), véritable pierre angu-


laire du PSA, prévoient tous un alignement sur la législation européenne en ma-
tière de sécurité des transports et d’environnement. L’assistance technique et
financière de ce processus est fournie par l’instrument d’aide de pré-adhésion
(IAP) qui prévoit un soutien financier pour la mise en œuvre de l’acquis de
l’Union.
Considérée comme un candidat potentiel, la Bosnie-Herzégovine a signé
un ASA en 2008. L’Albanie, quant à elle, a conclu un ASA avec l’UE le 12 juin
2006, a déposé sa candidature en avril 2009 et a obtenu le statut de candidat à
l’adhésion à l’UE en juin 2014. Le Monténégro, indépendant depuis juin 2006, a
conclu un ASA en octobre 2007 et présenté la candidature de son pays à l’UE le
15 décembre 2008. Le 17 décembre 2010, le Conseil lui a accordé le statut de
candidat officiel à l’adhésion et depuis le 29 juin 2012 les négociations pour
l’adhésion sont officiellement ouvertes.
La question de l’adhésion de la Turquie, depuis plusieurs années, cristal-
lise les débats. Brièvement résumées, deux visions s’opposent : les adversaires à
son adhésion qui proclament que la Turquie n’est pas un pays européen et ses
partisans qui, sous l’impulsion de la Commission12, insistent sur l’intérêt géopo-
litique, économique, militaire et stratégique de son intégration à l’UE13. Toute-
fois, la route vers l’intégration est un long périple puisque le premier dépôt de
candidature de la Turquie date de 1987. Le Conseil européen d’Helsinki des 10
et 11 décembre 1999 reconnaît la qualité d’État candidat à la Turquie et le Con-
seil européen de Bruxelles des 16 et 17 décembre 2004 décide de la recevabilité
de sa demande d’adhésion et l’ouverture des négociations. Le 3 octobre 2005, les
ministres décident d’entamer les négociations d’adhésion. Les négociations s’an-
noncent longues, les relations entre l’Union et la Turquie restent tendues et os-
cillent entre gel partiel et reprise des discussions. Un rapport de la Commission
de 2012 fait état d’un certain nombre d’inquiétudes concernant le respect des
droits fondamentaux, la question des minorités et la question chypriote14.
Les négociations d’adhésion sont fondées sur l’ouverture de chapitres.
Ces chapitres sont au nombre de 35 et correspondent aux différents domaines
de l’acquis dans lesquels des réformes doivent être effectuées pour remplir les
critères d’adhésion. Le chapitre 4 porte sur l’acquis de l’Union en matière de
transport et le chapitre 27 sur l’acquis en matière d’environnement.

12 Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, Recommandation de


la Commission européenne concernant les progrès réalisés par la Turquie sur la voie de l’adhésion,
Bruxelles, le 6 octobre 2004, COM (2004) 656 final.
13 R. Mehdi, « L’intérêt de l’Union européenne à l’adhésion de la Turquie au regard des enjeux

géopolitiques » in B. Bonnet (dir), Turquie et Union européenne : état des lieux, Bruxelles, Bruylant,
2012, p. 281-299. Voir aussi R. Yakemtchouk, « L’union européenne et l’Islam », RMCUE, n° 497,
avril 2006, p. 226-234.
14 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, Stratégie

d’élargissement et principaux défis 2012-2013, Bruxelles, 10 octobre 2012, COM (2012) 600 final.
Nadia BENREDOUANE 299

Le dernier élargissement de l’UE à dix pays de l’Europe orientale et cen-


trale (PECO) et à deux îles méditerranéennes, Chypre et Malte, a redéfini ses
frontières extérieures et l’a incitée à rechercher une politique cohérente de voi-
sinage sans ouvrir de nouvelles perspectives d’adhésion. Une nouvelle initiative,
baptisée « Politique européenne de voisinage », est approuvée par le Conseil euro-
péen en juin 200315. Elle concerne initialement les États frontaliers Est euro-
péens (Moldavie, Biélorussie, Ukraine) mais s’étend rapidement à tous les pays
ayant une frontière maritime ou terrestre avec l’Union : les pays du Sud de la
Méditerranée et depuis 2004 les pays du Caucase du Sud. Elle ne s’adresse pas
aux partenaires voisins de l’UE qui participent au processus de pré-adhésion ou
d’adhésion en cours 16 . L’objectif de la PEV est de renforcer la stabilité, la
sécurité et la prospérité des pays situés au-delà de ses frontières et d’éviter un
nouveau clivage entre l’UE élargie et ses voisins17. La méthode proposée con-
siste à définir, avec les pays partenaires, un ensemble de priorités dont la réalisa-
tion les rapprochera de l’Union européenne. Ces priorités seront intégrées dans
des plans d’action bilatéraux adoptés conjointement, couvrant des domaines clés
qui requièrent une action spécifique : dialogue politique et réforme, commerce
et mesures préparant les partenaires à une participation progressive au marché
intérieur, justice et affaires intérieures, énergie, transports, société de l’informa-
tion, environnement, recherche et innovation, politique sociale et contacts entre
communautés18 . Ces plans d’action s’ancrent dans un ensemble de principes
communs mais sont différenciés en raison des besoins et des capacités de
chaque pays.
En 2011, une Communication de la Commission « Une stratégie
nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation » réforme la PEV afin de prendre

15 Pour une étude approfondie de la PEV, voir R. Rhattat, La politique européenne de voisinage dans les
pays de l’aire méditerranéenne, Bruxelles, Bruylant, 2011, 360 p.
16 En ce qui concerne le pourtour de la Méditerranée, elle s’applique aux voisins de l’UE que sont

l’Algérie, l’Autorité palestinienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, le Maroc, l’Égypte,


Israël, le Liban, la Libye, la Syrie, la Tunisie (la Turquie candidate à l’adhésion n’est pas
concernée).
17 L’article 8 du TUE expose les grandes orientations de la PEV et fournit la base sur laquelle re-

pose cette politique : « L’Union développe avec les pays de son voisinage des relations privilégiées,
en vue d’établir un espace de prospérité et de bon voisinage, fondé sur les valeurs de l’Union et
caractérisé par des relations étroites et pacifiques reposant sur la coopération ». Voir aussi
Règlement (CE) n° 1638/2006 du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 2006 arrêtant
des dispositions générales instituant un instrument européen de voisinage et de partenariat. Com-
munication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social
européen et au Comité des régions, une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation,
Bruxelles, le 25 mai 2011, COM (2011) 303.
18 Communication de la Commission, Politique européenne de voisinage, document d’orientation,

Bruxelles, le 12 mai 2004, COM (2004) 373 final.


300 Le droit maritime dans tous ses états

en considération les événements, appelés habituellement « printemps arabe »,


qui se sont déroulés dans les pays méditerranéens. La nouvelle approche vise à
consolider les démocraties, à prendre des mesures en faveur d’une croissance
économique durable et à établir des partenariats régionaux efficaces. Cette
nouvelle approche se base sur une responsabilité mutuelle ainsi que sur un
attachement commun aux valeurs universelles des droits de l’homme, de la dé-
mocratie et de l’État de droit. Elle suppose un niveau de différenciation beau-
coup plus élevé qu’auparavant afin de permettre à chaque pays partenaire
d’approfondir ses liens avec l’UE dans la mesure de ses propres aspirations, de
ses besoins spécifiques et des capacités dont il dispose. Le renforcement du sou-
tien de l’UE est conditionnel, il dépend des progrès accomplis dans l’établisse-
ment et la consolidation de la démocratie ainsi que dans le respect de l’État de
droit. L’aide de l’UE sera d’autant plus importante que les réformes internes
d’un pays progresseront efficacement et rapidement19.
La nouvelle approche appuie la mise en place d’un renforcement de la
coopération sectorielle, entre autres, en matière de changement climatique, de
protection de l’environnement et de transport maritime durable 20 . Les plans
d’action de la PEV restent le cadre dans lequel s’inscrit la coopération. Il est
demandé aux partenaires de se concentrer sur un nombre limité de priorités, à
court et à moyen terme, assorties de critères de référence plus précis et d’un
calendrier d’actions plus clair.
L’ensemble des États méditerranéens se sont engagés, dans leur plan
d’action respectif, à améliorer la sécurité du transport maritime et à préserver
l’environnement marin21. Il convient de souligner qu’à ce jour l’Algérie, la Libye
et la Syrie n’ont pas encore conclu de plans d’action.
Afin de contribuer au renforcement des institutions, des actions de
jumelage et l’assistance technique, par le biais du programme TAIEX (Technical
Assistance and Information Exchange) ont été introduites dans le cadre de la PEV.
Les Institution européennes ont également doté la PEV d’un instrument
financier spécifique : l’Instrument européen de voisinage et de partenariat
(IEPV). Opérationnel depuis 2006, il remplace essentiellement MEDA,

19 Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social


européen et au Comité des régions, une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation,
Bruxelles, le 25 mai 2011, COM (2011) 303. Communication conjointe de la Haute représentante
de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Tenir les engage-
ments de la nouvelle politique européenne de voisinage, Bruxelles, le 15 mai 2012, JOIN (2012)
14 final. Communication conjointe de la Haute représentante de l’Union européenne pour les
affaires étrangères et la politique de sécurité, Politique européenne de voisinage : vers un renfor-
cement du partenariat, Bruxelles, le 20 mars 2013, JOIN (2013) 4 final.
20 Communication conjointe de la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires

étrangères et la politique de sécurité, Une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation,
Bruxelles, le 25 mai 2011 COM (2011) 303.
21 Les plans d’action sont disponibles sur http://ec.europa.eu/world/enp/index_fr.htm.
Nadia BENREDOUANE 301

instrument financier du Partenariat Euro-Med, et TACIS, programme en faveur


des voisins de l’Est. À partir de 2014, l’IEVP sera remplacé par l’Instrument
européen de voisinage (IEV) qui reflétera les ambitions de la PEV révisée22.

À l’exception de la participation de l’UE au Plan d’action pour la Médi-


terranée et de son adhésion à la Convention de Barcelone pour la protection de
la mer Méditerranée contre la pollution de 1976, amendée en 1995, et à ses pro-
tocoles (C), les relations euro-méditerranéennes se sont caractérisées pendant de
nombreuses années par une logique économique et bilatérale. Elles vont con-
naître un virage important par l’avènement, avec la Conférence Barcelone de
1995, d’un partenariat euro-méditerranéen. Ce partenariat suppose l’adhésion des
États partenaires à des règles et à des objectifs communs sur les plans politique,
culturel, économique et financier, et plus généralement sur le développement
durable de la région. L’Union pour la Méditerranée qui lui succède élèvera la dé-
pollution de la mer Méditerranée au rang de priorité. Avec pour objectif spéci-
fique la sécurité maritime, la prévention de la pollution provenant des navires et
les problèmes environnementaux dans le monde marin, la coopération euro-
méditerranéenne servira d’assise à la mise en œuvre du projet A. Safemed. La
PEV, étudiée ci-dessus, traduit également une vision régionale de la protection
de l’environnement marin méditerranéen par le soutien qu’elle apporte à la
promotion de programmes de coopération transfrontalière de même qu’à
l’émergence d’une vision intégrée des politiques maritimes en Méditerranée (B).

Dès le début des années 60, certains États tiers de la Méditerranée ont
souhaité tisser des liens privilégiés avec l’UE. La réponse donnée fut de con-
clure des accords bilatéraux essentiellement d’ordre économique. La politique
méditerranéenne de l’Union européenne débute par des accords d’association
avec les pays du Maghreb, se renforce avec l’approche globale méditerranéenne
qui embrasse une grande partie des pays tiers de la Méditerranée (1972)23 et se

22 Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil instituant un instrument euro-


péen de voisinage, Bruxelles, le 7 décembre 2011, COM (2011) 839 final.
23 Communication de la Commission au Conseil, Les relations entre la Communauté et les pays

du bassin méditerranéen, SEC (72) 3111 final, Bruxelles le 27 septembre 1972. Il s’agit de trans-
former les accords existants avec les États méditerranéens afin de les inscrire dans une politique
globale définie par la Communauté. R. Foch, « La Communauté et la Méditerranée », Politique
étrangère, n° 2, 1976, p. 105-112.
302 Le droit maritime dans tous ses états

réforme avec la politique méditerranéenne rénovée (1990)24. Il est à noter que


cette dernière soutient les efforts des pays dans la protection de
l’environnement25.
La Conférence euro-méditerranéenne de Barcelone des 27 et 28 novem-
bre 1995 est un véritable tournant dans les relations entre l’UE et les États tiers
de la Méditerranée par sa volonté de créer un cadre multilatéral de dialogue et
de coopération basé sur un partenariat. À l’occasion de cette rencontre, une
déclaration et un programme de travail ont été adoptés par les participants.
L’objectif général est de contribuer à garantir la paix, la stabilité et la prospérité
dans la région grâce au dialogue renforcé, au libre-échange et à la coopération.
Le développement durable et sa dimension environnementale sont intégrés
dans les textes du partenariat euro-méditerranéen. La déclaration de Barcelone
est un triptyque composé d’un volet « politique et sécurité », d’un volet « écono-
mique et financier » et d’un volet « social, culturel et humain ». Le préambule de
la déclaration fait référence à un « développement économique et social durable »
cependant, c’est le volet « économique et financier » qui en révèle la dimension
environnementale. Il est prévu le développement d’une coopération renforcée
en matière d’environnement. Plus spécifiquement en ce qui concerne le milieu
marin, les États confirment leur attachement à la Convention de Barcelone26 et
au PAM. Le programme de travail situé en annexe de la déclaration la complète
sur ce sujet.
La particularité du dispositif de Barcelone est de superposer deux di-
mensions complémentaires : une dimension bilatérale sous forme d’accords d’as-
sociation entre chaque partenaire méditerranéen et l’Union et une dimension
régionale27. Chacune de ces dimensions inclut une composante environnemen-
tale visant à prévenir la dégradation du milieu marin.
Suite au bilan mitigé du processus de Barcelone28, l’Union pour la Médi-
terranée, projet porté par Nicolas Sarkozy, refond le processus de Barcelone en
l’inscrivant dans une perspective plus dynamique. Ce projet initialement connu

24 B. Khader, Le partenariat euro-méditerranéen après la Conférence de Barcelone, Paris, L’Harmattan, 1997,


p. 27-43.
25 J.-P. Chagnollaud, B. Ravenel, « Pour une politique méditerranéenne de l’Europe », Confluences

Méditerranée, n° 7, Été 1993, p. 7-13. Accessible aussi sur le site http://www.confluences-


mediterranee.com
26 La Convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution (Convention de

Barcelone) a été adoptée le 16 février 1976 par la Conférence de plénipotentiaires des États
côtiers de la région méditerranéenne sur la protection de la mer Méditerranée. Elle est entrée en
vigueur le 12 février 1978. La Convention originelle a été modifiée par des amendements adoptés
le 10 juin 1995. Figurant désormais sous le titre de « Convention pour la protection du milieu
marin et du littoral de la Méditerranée », elle est entrée en vigueur le 9 juillet 2004.
27 B. Karray, « L’évolution du partenariat euro-méditerranéen », Journal du droit international (Clunet)

n° 3, Juillet 2008, var. 7.


28 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, Le processus de

Barcelone : Union pour la Méditerranée, Bruxelles, le 20mai 2008, COM (2008) 319/4.
Nadia BENREDOUANE 303

sous l’appellation « Union Méditerranée » devient, suite à l’appel de Rome de


2007, « l’Union pour la Méditerranée » pour être finalement renommé par le
Conseil européen des 13 et 14 mars 2008 « Processus de Barcelone : Union
pour la Méditerranée »29. Le 13 juillet 2008, le Sommet de Paris30, point d’abou-
tissement de plusieurs mois de tractations, permet l’adoption d’une déclaration
commune qui marque le lancement officiel du Processus de Barcelone : l’Union
pour la Méditerranée et la relance des efforts afin de transformer « la Médi-
terranée en un espace de paix, de démocratie, de coopération et de prospé-
rité »31. Conçue comme le prolongement de la déclaration de Barcelone, l’UPM
reprend l’acquis du Processus de Barcelone tout en soulignant qu’il s’agit d’in-
suffler un nouvel élan en renforçant les relations multilatérales, en prévoyant un
meilleur partage des responsabilités et en traduisant le processus en projets con-
crets qui soient davantage visibles pour les citoyens. L’annexe de la déclaration
après avoir rappelé que l’avenir de la région réside dans l’amélioration du
développement socio-économique, de la solidarité, de l’intégration régionale, du
développement durable et de la connaissance énumère plusieurs domaines dans
lesquels l’extension de la coopération est indispensable. Il s’agit, entre autres, de
l’environnement, des transports, des questions maritimes, des ports. Elle pré-
sente également les projets prioritaires qui devront être développés par le biais
d’accords régionaux ou sous-régionaux concrets. La dépollution de la Méditer-
ranée en fait partie et s’appuiera sur l’initiative « Horizon 2020 » lancée par la
Commission puis adoptée, au Caire en novembre 2006, par les ministres euro-
méditerranéens de l’environnement lors de leur troisième réunion.
En réponse au souhait de l’UE de développer une coopération euro-
méditerranéenne sur la sûreté et la sécurité maritime, sur la prévention de la
pollution provenant des navires et sur les problèmes environnementaux dans le
monde marin, le projet « Coopération euromed sur la sécurité maritime et la
prévention de la pollution provenant des navires-SAFEMED » 32 fournit des
conseils et une assistance technique aux États méditerranéens non-membres de
l’UE mais partenaires Euromed33. Les objectifs généraux de SAFEMED sont
d’une part de contribuer à l’amélioration durable de la protection de la Médi-
terranée contre les risques d’accidents et de pollution en mer, d’autre part de
continuer à réduire l’écart existant entre les réglementations communautaires et
internationales afin d’assurer, dans l’Union et le bassin méditerranéen, une

29 R. Rhattat, op.cit., p. 302.


30 B. Khader, L’Europe pour la Méditerranée : de Barcelone à Barcelone (1995-2008), Paris, L’Harmattan,
2009, p. 51.
31 Préambule de la déclaration commune, Le Processus de Barcelone : une Union pour la

Méditerranée, 13 juillet 2008.


32 https://www.safemedproject.org.
33 F. Boukhatmi, « Pour une lex maritima mediteranea », in F. Osman (dir.), Vers une lex mercatoria

mediterranea : harmonisation, unification, codification du droit dans l’Union pour la Méditerranée, Bruxelles,
Bruylant, 2012, p. 216.
304 Le droit maritime dans tous ses états

application effective et uniforme des conventions internationales et des règles


en matière de sûreté, sécurité maritime et de prévention de la pollution.
Les principaux domaines d’action de ce projet relatifs à la protection de
l’environnement et à la sécurité des transports concernent :
– L’application des instruments obligatoires par l’État du pavillon et, à
cet égard, le projet vise à évaluer la situation dans les administrations
maritimes des bénéficiaires, à connaître le niveau de qualification et
d’expérience des personnels travaillant dans les administrations de
l’État du pavillon, à proposer des formations de courte et longue
durée ainsi qu’à améliorer le niveau de surveillance des sociétés de
classification et à aider les administrations maritimes à se préparer au
programme d’audit facultatif de l’OMI.
– La sécurité de la navigation : cette activité porte principalement sur le
développement des systèmes de surveillance du trafic maritime.
– La protection de l’environnement marin : cette partie du projet est re-
lative à l’application effective de la Convention MARPOL et prend en
compte la stratégie du REMPEC en rapport avec le protocole de
prévention et de lutte contre la pollution annexée à la convention de
Barcelone. Cette partie met également en exergue la nécessité de
ratifier la Convention Hydrocarbures de soute et la Convention sur
les systèmes antisalissure nuisibles sur les navires, d’appliquer le code
maritime international des marchandises dangereuses, et vise à
proposer des lignes directrices pour une stratégie régionale cohérente
de gestion des eaux de ballast.
– L’élément humain : cette partie du projet concerne l’application du
code ISM et l’influence de l’élément humain dans les accidents
maritimes.

Ce premier Projet SAFEMED (SAFEMED I), développé en coopéra-


tion avec le Forum euro-méditerranéen des transports (EUROMED), a été mis
en œuvre entre 2006 et 2008. Le bureau de la coopération EuropeAid de la
Commission Européenne et les pays méditerranéens partenaires ont lancé un
second Projet SAFEMED (SAFEMED II) qui couvre les années 2008 à 2011
et sera prorogé jusqu’en 2013. SAFEMED II entend concrétiser les objectifs de
SAFEMED I, élargir son champ d’action en incluant le contrôle des navires par
l’État du port et la fourniture d’équipements, et renforcer la sécurité maritime.
Il est prévu que SAFEMED II assiste les pays méditerranéens partenaires dans
la poursuite de la mise en œuvre du Plan d’action régional du transport (PART)
adopté en 2007 34 . Le PART, sollicité par la Conférence ministérielle euro-
méditerranéenne de Marrakech de 2005, tente d’intensifier la coopération en
34Plan d’action régional de transport pour la région méditerranéenne, 2007-2013, octobre 2007,
(disponible sur http://www.euromedtransport.eu).
Nadia BENREDOUANE 305

matière de transport avec et dans la région méditerranéenne. Il comprend un


volet consacré à la sécurité du transport maritime qui promeut la mise en œuvre
des conventions de l’OMI et de l’OIT (Action 7), la coopération avec l’Agence
européenne pour la sécurité (AESM) (Action 8) et la poursuite du déploiement
des systèmes de service de trafic de navire (VTS) et des systèmes d’information
et de gestion du trafic des navires (VTMIS) dans les principaux ports
méditerranéens (Action 9).
En vue de la réalisation de ces deux projets, la Commission européenne
et les pays partenaires ont convenu de lancer un troisième projet SAFEMED
(SAFEMED III) qui courra de juin 2013 à juin 2016 et sera mis en œuvre par
l’Agence européenne pour la sécurité maritime (AESM).

La coopération transfrontalière (CTF) constitue un des volets de la poli-


tique européenne de voisinage visant à améliorer la coopération le long des
frontières terrestres et maritimes de l’UE dans le but d’éviter une ligne de
fracture35. La CTF a pour objectif, en particulier, de promouvoir le développe-
ment économique et social dans les régions situées de part et d’autre des fron-
tières communes ; traiter les défis communs dans des domaines tels que
l’environnement, la santé publique de même que la prévention et la lutte contre
la criminalité organisée ; garantir des frontières efficaces et sûres ; promouvoir
des actions locales entre les peuples au niveau transfrontalier. L’IEV et son
prédécesseur l’IEVP comportent un volet spécifique relatif à la CTF36.
Les régions situées le long de frontières terrestres partagées ou de
frontières maritimes peuvent établir des programmes entre deux ou plu-
sieurs États partageant une frontière commune. Les régions situées aux
frontières extérieures de l’UE, en bordure des trois bassins maritimes com-
muns (mer Baltique, mer Noire, mer Méditerranée) peuvent participer à
un programme de CTF couvrant un bassin maritime.
Le programme multilatéral de CTF « Bassin maritime Méditerranée » 37
fait partie de la nouvelle PEV et de son instrument financier pour la période
2007-2013 en complément des efforts entrepris dans le cadre de l’UPM. Il vise
à renforcer la coopération entre les régions de l’UE et des pays partenaires

35 F. Morata, « La coopération transfrontalière en Méditerranée : les enseignements de l’expé-


rience européenne », in A. Sedjari (dir), Euro-Méditerranée : Histoire d’un futur, Paris, L’harmattan,
2010, p. 145-167.
36 Article 8 à 12 de la Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil instituant

un instrument européen de voisinage, Bruxelles, le 7 décembre 2011, COM (2011) 839 final.
37 Coopération transfrontalière dans le cadre de l’instrument européen de voisinage et de parte-

nariat (IEVP), Programme de bassin maritime méditerranéen, Décision n° 2008/020-284 de la


Commission européenne le 14 août 2008.
306 Le droit maritime dans tous ses états

situés le long des côtes de la mer Méditerranée. L’Algérie, l’Autorité palestinien-


ne, Chypre, l’Égypte, l’Espagne, la France, la Grèce, Israël, l’Italie, la Jordanie,
le Liban, la Libye, Malte, le Maroc, le Portugal, le Royaume-Uni (Gibraltar), la
Syrie, la Tunisie, la Turquie sont éligibles au programme. Toutefois, L’Algérie,
la Lybie et le Royaume-Uni (Gibraltar) n’y participent pas. La Turquie a
demandé à ne plus être incluse dans la liste des territoires éligibles en tant que
pays en phase de pré-adhésion à l’Union européenne. En ce qui concerne la
Syrie, sur la base de la position de la Commission européenne, la participation
au Programme des acteurs syriens étatiques n’est pas autorisée pour le moment.
Dans la définition du contenu de ce Programme, les pays participants ont
approuvé un ensemble de principes, l’appropriation commune, les bénéfices
communs, le partenariat, le développement durable, l’égalité des chances, la di-
mension territoriale du processus de développement, le renforcement du niveau
de compétitivité des pays du Bassin Méditerranéen, l’intégration et le cofinan-
cement.
L’objectif général du programme retenu par les pays participants consiste
à contribuer à la promotion d’un processus de coopération durable et harmo-
nieuse dans le Bassin Méditerranéen en traitant les questions communes et en
mettant en valeur son potentiel endogène. En accord avec cet objectif, il a été
convenu de quatre priorités spécifiques, la promotion du développement socio-
économique et le renforcement des territoires, la promotion de la durabilité en-
vironnementale du bassin méditerranéen, la promotion de meilleures conditions
et modalités de circulation des personnes, des marchandises et des capitaux, la
promotion du dialogue culturel et de la gouvernance locale.
La volonté conjointe des pays participants a été de concentrer la priorité
2, promotion du développement durable dans le bassin méditerranéen, uni-
quement sur les défis environnementaux. La thématique environnementale
constitue une préoccupation commune et se prête particulièrement bien à une
action collective à l’échelle du bassin. Cette priorité se compose de deux
mesures. La première s’attache à la prévention, la réduction des facteurs de
risque pour l’environnement et la valorisation du patrimoine culturel commun.
Les parties s’accordent à reconnaître que le bassin méditerranéen est confronté
à de multiples risques et dégradations environnementales qui trouvent leur ori-
gine dans les activités humaines (industrie, agriculture intensive, tourisme de
masse, trafic maritime intense et croissant, etc.), mais sont aussi liés aux spécifi-
cités géographiques des territoires et aux tendances démographiques qui le
caractérisent. Les pays participants ont ainsi défini des domaines d’intervention
qui regroupent, sans être exhaustif, la gestion intégrée du cycle de l’eau et la
lutte contre la pollution de la mer et des fleuves ; la gestion et la récupération
des déchets38 ; la protection et la valorisation durable du patrimoine naturel,
38 Un des objectifs spécifiques de cette thématique est l’application de la Convention MARPOL
afin de réduire la pollution par les déchets à l’échelle méditerranéenne en mettant l’accent leur
Nadia BENREDOUANE 307

terrestre et maritime, à des fins économiques et touristiques ; le soutien aux


stratégies d’adaptation des écosystèmes pour accroître leur résilience au change-
ment climatique et réduire le risque de perte des valeurs et des services ; l’adap-
tation aux effets du changement climatique. La deuxième mesure vise à la
promotion de l’utilisation des énergies renouvelables et à l’amélioration de
l’efficacité énergétique en contribuant à faire face, parmi d’autres défis, au
changement climatique.
La gestion du programme est confiée à des structures conjointes : le
Comité de suivi conjoint qui est l’organe décisionnel du programme, l’Autorité
de gestion commune chargée de la gestion opérationnelle et financière du pro-
gramme, le Secrétariat technique conjoint qui fournit un support technique et
administratif à l’Autorité de gestion commune. Enfin, un Comité de sélection
des projets responsable de l’évaluation des propositions de projet est formé à
l’occasion de chaque appel.
Dans le sillage de l’adoption de la politique maritime intégrée de l’UE en
2007 la Commission, dans une Communication du 11 septembre 2009 « Pour
une meilleure gouvernance dans la Méditerranée grâce à une politique maritime
intégrée », propose pour répondre aux défis qui se posent dans le bassin
méditerranéen, notamment en termes de pollution du milieu marin, des solu-
tions communes et intégrées ancrées dans une gouvernance maritime améliorée.
Elle promeut, pour cela, un renforcement de la coopération générale avec les
pays tiers du pourtour méditerranéen.
L’Union européenne a lancé en 2010 le projet régional IMP-MED39 dans
le cadre de la PEV pour encourager et soutenir l’approche intégrée des poli-
tiques maritimes dans le bassin méditerranéen, apporter une assistance techni-
que spécifique et un appui aux neuf pays partenaires : Algérie, Égypte, Israël,
Jordanie, Liban, Maroc, Autorité palestinienne, Syrie et Tunisie. Ce projet a
défini des objectifs clefs : aider les pays partenaires à prendre davantage cons-
cience des enjeux maritimes de la Méditerranée et du bénéfice potentiel associé
à une approche intégrée de la conception et de la mise en œuvre des politiques,
promouvoir l’élaboration de politiques maritimes nationales, sensibiliser aux
possibilités existantes de financement régional et de l’UE. Il est conduit par un
consortium international et couvre tous les secteurs maritimes : navigation et
ports, environnement marin, pêche, gestion des zones côtières, sécurité mariti-
me, recherche marine, tourisme, patrimoine culturel subaquatique, etc.
En 2011, le bureau régional du projet IMP-MED a ouvert ses portes à
Tunis, il servira de point de coordination à toutes les activités.

origine avec une attention particulière pour ceux produits par les navires (tels que définis par
MARPOL 73/78, annexes I à V) en vue d’établir des stratégies adéquates de collecte et de pré-
vention. Voir les lignes directrices de l’appel stratégique. www.enpicbcmed.eu/sites/default/
files/lignes_directrices.
39 http://www.imp-med.eu/Fr.
308 Le droit maritime dans tous ses états

L’Union européenne dispose d’une compétence partagée avec les États


membres en matière d’environnement et de transport40. L’article 216 du TFUE
l’habilite à conclure un accord avec un ou plusieurs États tiers ou organisations
internationales. Le Titre XX relatif à l’environnement précise que, dans le cadre
de leurs compétences respectives, l’Union et les États membres se doivent de
coopérer avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes41.
En matière environnementale, les accords mixtes sont la norme42.
Sur la base de ce fondement, l’Union européenne contribue à la pro-
tection de la mer Méditerranée par l’adoption de la Convention de 1976 pour la
protection de la mer Méditerranée contre la pollution et de sa version amendée,
de ses protocoles et par sa participation au Plan d’action pour la Méditerranée
(PAM)43. Il faut souligner que l’Union est notamment partie au Protocole relatif
à la coopération en matière de prévention de la pollution par les navires, en cas
de situation critique, de lutte contre la pollution de la mer Méditerranée de 2002
et au Protocole relatif aux aires spécialement protégées et à la diversité
biologique en Méditerranée de 1995.

La Convention originelle de 1976 ainsi que la Convention modifiée en


1995 entrée en vigueur 2004 et figurant sous le titre de « Convention pour la pro-
tection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée » prévoient que la
Convention de Barcelone et ses protocoles sont ouverts à la signature et à l’adhé-
sion de la « Communauté économique européenne »44 et de tout groupement
économique régional similaire dont l’un au moins des membres est un État
côtier de la mer Méditerranée et qui exercent des compétences dans les domaines
couverts par la présente Convention ainsi que par tout protocole les concernant45.
Dans les domaines relevant de sa compétence, l’Union européenne
exerce son droit de vote avec un nombre de voix égal au nombre de ses États
membres qui sont Parties contractantes à la Convention et à un ou plusieurs

40 Article 4 TFUE.
41 Article 191 § 4 du TFUE.
42 A. Roger, L’action environnementale extérieure de l’UE : les accords mixtes, Paris, l’Harmattan, 2010,

p. 25 et s.
43 B. Vukas, « La coopération CEE-pays tiers dans le domaine de la protection de l’environ-

nement marin en Méditerranée » in J. Lebullenger, D. Le Morvan (dir.), La Communauté européenne


et la mer, 4e Colloque international de la Commission pour l’étude des Communautés européennes,
Brest, 6, 7 et 8 octobre 1988, Paris, Economica, 1990, p. 405 et s.
44 B. Vukas, « La CEE et la prévention de la pollution de la Méditerranée » in J. Touscoz (dir.), La

Communauté économique européenne élargie et la Méditerranée : quelle coopération ?, actes du Colloque


organisé à Nice les 16-17 et 18 octobre 1980 par la Commission pour l’étude des Communautés
européennes, Paris, PUF, 1982, p. 408.
45 Article 30 de Convention pour la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée

du 10 juin 1995.
Nadia BENREDOUANE 309

protocoles. Inversement, elle laissera aux États membres le soin d’exercer le


leur dans leur champ de compétence46.
En 2005, la Commission européenne et l’Unité de coordination du PAM
ont conclu un programme de travail conjoint dans le but de consolider, déve-
lopper et intensifier leur coopération afin d’accroître leur efficacité. Ce pro-
gramme de travail conjoint porte une attention spéciale au renforcement de la
coopération sur le plan institutionnel, à l’accroissement de la coopération entre
la Commission européenne et les Centres d’activités régionales du PAM de
même qu’au renforcement de la dimension environnementale de la politique
générale et de la promotion des politiques et actions en faveur du développe-
ment durable dans les pays riverains de la Méditerranée. À ce titre, ce
programme de travail prévoit une intensification de la coopération dans la lutte
contre la pollution environnementale liée au transport maritime.

La pollution ne connaissant pas de frontières, il existe une dépendance


réciproque entre les pays riverains de la Méditerranée. L’UE, en tant qu’acteur
régional, joue un rôle important dans la protection de ce patrimoine commun
contre la pollution issue du transport maritime. Les États membres potentiels
de l’UE contribuent essentiellement à la protection de la Méditerranée en
s’alignant sur la politique et sur la législation de l’UE. L’approche de l’UE en-
vers les autres États tiers de la Méditerranée se fonde sur des accords bilatéraux
et multilatéraux. Par ce biais, les pays partenaires sont encouragés à appliquer
les instruments internationaux et régionaux existants de même qu’à rapprocher
leurs législations en matière de protection du milieu marin de celles de l’UE.
Néanmoins, la question de l’efficacité et de l’intelligibilité de la protection du
milieu marin méditerranéen peut être soulevée eu égard à la pluralité des
instruments y relatifs.

46 Article 25 de Convention pour la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée.


Khanssa LAGDAMI
Docteur en Droit de la Mer Université de Nantes et élève avocate à l’EDA Sud-Est

L’État du pavillon est l’entité qui attribue au navire le droit de battre son
pavillon. Il lui octroie une nationalité indispensable à toute navigation. Ce qui
exprime une souveraineté de l’État du pavillon sur ses navires. En matière de
sécurité maritime, la souveraineté de l’État du pavillon n’est pas seulement une
source de droits, mais devient aussi une source de devoirs. L’État du pavillon
s’engage, au regard du droit international de la mer, à exercer à l’égard du navire
battant son pavillon, sa juridiction et son contrôle. De cette manière, le navire
reste toujours rattaché à un État, y affirmant, l’application, quelle que soit la
zone géographique où il se trouve, d’un niveau correct de sécurité maritime.
En mer Méditerranée, le respect de la réglementation par les États du pa-
villon, n’est pas uniforme. Certains de ces pavillons, montrent une déficience
face à leurs obligations à l’égard des navires soumis à leurs juridictions et à leurs
contrôles. Cette situation se comprend d’abord, par le manque de moyens de
certains de ces pavillons. En effet, leurs administrations maritimes sont inégale-
ment performantes, avec un nombre insuffisant de fonctionnaires chargés d’ef-
fectuer les contrôles et des inspecteurs qui ne sont pas suffisamment formés
pour cette tâche (I). Ensuite, par un désengagement volontaire de certains États
dans le contrôle de l’application des normes internationales, faisant du relâche-
ment du lien normalement entretenu avec les navires battant leurs pavillons.
Cet état de fait se manifeste par la présence des pavillons de complaisance dans
la région (II).

Point n’est besoin de rappeler que le principe du contrôle par l’État du


pavillon est affirmé à l’échelle internationale. Toutefois, la situation de ce con-
trôle varie dans la réalité d’un État à un autre. C’est le cas en Méditerranée,
notamment dans les pays de la rive sud. En effet, les statistiques établies annuel-
lement par le Mémorandum de Paris sur la base du nombre d’inspections et de
détentions des navires rentrant dans les ports des pays membres montrent
qu’entre l’année 2008 et l’année 2010, quatre États méditerranéens ont été
312 Le droit maritime dans tous ses états

classés dans la liste noire (entre très haut risque, haut risque et risque moyen) et
quatre autres dans la liste grise1.
Illustration I :
Classement des pavillons méditerranéens dans le cadre du MOU de Paris entre 2008 et 2010 2

Inspections Détentions
État du pavillon Le classement
2008- 2010 2008-2010
Libye Liste noire, Très haut risque 47 14
Albanie Liste noire, Très haut risque 222 44
Syrie Liste noire, à moyen et à haut risque 246 33
Liban Liste noire, à moyen et à haut risque 72 12
Égypte Liste grise 112 12
Algérie Liste grise 98 10
Tunisie Liste grise 57 6
Maroc Liste grise 153 11
Croatie Liste blanche 178 2
Turquie Liste blanche 2294 108
Espagne Liste blanche 278 8
Gibraltar, UK Liste blanche 1 301 29
Grèce Liste blanche 1475 21
Italie Liste blanche 1475 22
France Liste blanche 355 2
Malte Liste blanche 5 569 200
Chypre Liste blanche 2 694 76
Israël Liste blanche * *
Autorités
* * *
Palestiniennes
*: donnée non fournie

1 Dans le cadre du contrôle des navires par le Mémorandum de Paris, les États du pavillon sont
classés en trois listes : noire, grise et blanche. Pour réaliser cette classification, il faut faire trente
inspections au minimum avant de pouvoir inscrire un État du pavillon sur l’une de ces listes. En
outre, les États du pavillon figurant sur la liste noire sont répartis en quatre groupes : risque très
élevé, risque élevé, risque moyen à élevé, risque moyen – en fonction de leur taux d’immobi-
lisation –. Le classement est mis à jour chaque année. Il faut rappeler que le but de la publication
d’une liste noire des pavillons est d’inciter certains pavillons à améliorer la qualité de leur navire.
2 Nous avons recueilli ce tableau des statistiques données dans le rapport annuel du Mou de Paris.

Voir : Paris Mou, « Port state control : voyage completed, a new horizon ahead », Annual report
2010.
Khanssa LAGDAMI 313

Selon un rapport du REMPEC (The Regional Marine Pollution Emergency


Response Center for the Mediterranean Sea)3, cette situation peut être justifiée par le
fait qu’un bon nombre de navires battant pavillon des États figurant dans la
liste noire ou la liste grise du Mémorandum, ne respectent pas les Conventions
internationales applicables, et en particulier l’Annexe I de la Convention
MARPOL 73/78.
Plusieurs obstacles empêchent ces États de remplir leurs obligations en
leur qualité d’État du pavillon. Il s’agit d’abord du manque avéré des moyens
juridiques et institutionnels de base permettant une bonne application des
conventions internationales en matière de sécurité et de sûreté maritime (A) et
ensuite, il est question d’absence de contrôle des certificats des navires battant
leur pavillon délivré par les sociétés de classification auxquelles la majorité de
ces États délèguent leurs obligations (B).

Bien que le système juridique diffère d’un pays à un autre, les États du
sud de la Méditerranée partagent une caractéristique commune, qui est la défi-
cience de la base juridique pour la mise en œuvre et l’application des conven-
tions internationales visant à une meilleure protection de la vie humaine en mer
et du milieu marin. En l’espèce, la majorité des États ont ratifié et promulgué
les conventions internationales, mais leurs législateurs n’ont toujours pas adapté
leurs réglementations et leurs lois pour une application effective transposant les
exigences techniques des différentes conventions. Il faut dire que la majorité de
ces pays sont encore attachés à leurs textes de lois vieillis et ne font pas
beaucoup d’effort pour les réviser ou créer d’autres plus adaptés au changement
que connaît le monde maritime actuel.
Le Maroc, par exemple, applique jusqu’à aujourd’hui le Dahir portant
code de commerce maritime (DCCP 1919). Plus que la moitié des textes de ce
Dahir sont dépassés par le changement qu’a connu le monde maritime depuis
les années 1950. Comme le précise M. Najib Cherfaoui
« Le retard prend forme au début des années 60, époque où apparaissent
la convention internationale pour la reconnaissance et l’exécution des
sentences arbitrales étrangères (9 juin 1958) et celle de La Haye relative à
la procédure civile (1er mars 1954). Ainsi, d’année en année, le cadre
législatif maritime marocain s’avère de moins en moins adapté au con-

3 J.-C. Sainlos, «
Synthèse de l’évaluation de la situation quant à la mise en œuvre et l’application de
l’Annexe I de la Convention MARPOL dans les pays suivant ainsi que des recommandations d’amé-
lioration : Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Syrie, Tunisie et Turquie (pays
SAFEMED) et Albanie, Croatie et Monténégro (pays REMPEC) », Rapport de REMPEC, 2008,
p. 6
314 Le droit maritime dans tous ses états

texte mondial. Il faudra attendre trente ans pour qu’un essai de révision
voie le jour. L’idée et le financement viennent des Danois (1975). Mais,
par ironie du sort, le projet retenu s’inspire de la loi française de 1967.
Sur le terrain, cette initiative reste sans suite. Toutefois, elle fait l’objet
d’un rafraîchissement en 1984, puis d’un remodelage en 2002, suivi d’un
ajustement en 2007. Mais ces retouches à répétition demeurent sans suite
et se révèlent stériles car elles sont loin de combler les lacunes et les
insuffisances constatées4 ».

Pour la Tunisie, son code maritime est daté de 1962 et il n’était pas révisé
depuis. L’Algérie par contre a fait un pas important le 19 juillet 2010 en amen-
dant et complétant son code maritime qui date de 1976. Le nouveau texte a
pour objectif de mettre en adéquation le Code maritime local avec les conven-
tions internationales ratifiées par le pays.
Plus spécifiquement en matière de protection du milieu marin, les États
ont souvent une réglementation générale pour la protection de l’environnement
incluant la protection du milieu marin et/ou des dispositions distinctives d’une
loi maritime régissant la pollution marine. Généralement, dans les textes, la
pollution marine est désignée par des termes ou expressions à caractère général
couvrant à la fois, l’immersion, la pollution accidentelle et celle délibérée5. Les
expressions utilisées ne sont pas toujours appropriées et les contradictions ne
sont pas rares. Au niveau des mesures répressives à l’encontre des pollueurs, il
existe une grande disparité entre les pays dans le degré et la nature des sanctions,
ainsi que dans les procédures en justice. Les poursuites judiciaires manquent
d’efficacité à cause du défaut de solidité des régimes juridiques et du manque de
transparence dans l’attribution et le partage des responsabilités.
Au niveau institutionnel, il faut dire que même si plusieurs gouverne-
ments des États du sud de la Méditerranée montrent une certaine volonté de se
conformer aux prescriptions de l’OMI et de l’OIT, il est incontestable que con-
frontés aux contraintes politiques de la région et aux difficultés économiques et
budgétaires, leurs administrations maritimes ne sont pas en mesure de s’adapter
aux exigences des conventions internationales. De nombreuses observations
4 N. Cherfaoui : « Code Maritime du Commerce du Maroc au cœur du problème » [en ligne], Dis-
ponible sur la page : http://maritimenews.ma/focus/point-de-vue/doc_details/65-code-maritime
-de-commerce-du-maroc-au-coeur-du-probleme-par-najib-cherfaoui.html, (consultée le 19 octo-
bre 2013). Voir aussi à cet égard : H. Cherkaoui : « Pour une proposition de révision du code
maritime marocain de 1919 » [en ligne], Disponible sur la page : http://maritimenews.ma/focus
/point-de-vue/doc_details/85-pour-une-revision-du-code-de-commerce-maritime-marocain-de-
1919-par-pr-hassania-cherkaoui.html, (consultée le 20 octobre 2013).
5 J.-C. Sainlos, « Synthèse de l’évaluation de la situation quant à la mise en œuvre et l’application

de l’Annexe I de la Convention MARPOL dans les pays suivant ainsi que des recommandations
d’amélioration : Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Syrie, Tunisie et Turquie (pays
SAFEMED) et Albanie, Croatie et Monténégro (pays REMPEC) », Rapport de REMPEC,
2008,op. cit., p. 13.
Khanssa LAGDAMI 315

expliquent ce constat : la répartition des compétences en matière maritime entre


les administrations maritimes centrales et les autres ministères, le manque d’en-
gagement et d’implication des ministères de la justice dans la formation du corps
judiciaire et des magistrats sur les points qui concernent les affaires maritimes
en général et les conventions internationales de l’OMI et de l’OIT en particulier.

Il ne fait aucun doute que le premier acteur de la sécurité maritime est


l’État du pavillon. Cependant, ce dernier peut toujours déléguer ses fonctions à
des organismes reconnus. Les organismes reconnus ou les sociétés de classifica-
tion jouent un rôle très important dans le processus de la préservation et même
l’amélioration de la sécurité des navires, ainsi que dans la prévention des rejets
de substances illégales en mer.
Selon le droit international, les sociétés de classification assurent deux
missions essentielles : la classification des navires et la certification statutaire. En effet,
pour la classification, une prestation purement privée, elle consiste à élaborer
les normes de sécurité maritime et à vérifier leur application par le biais des visi-
tes et des inspections. Elles concernent essentiellement la solidité structurelle de
la coque ainsi que la fiabilité des machines et des équipements. Une appré-
ciation sur la conformité du navire est donnée sous forme de côte, permettant
ainsi aux assureurs d’avoir des informations sur le navire qu’ils vont couvrir et
estimer le risque encouru. La certification quant à elle, est une prestation de
nature statutaire. Les sociétés de classification sur délégation 6 des États du
pavillon mènent un contrôle total ou partiel, de la conformité des navires à la
réglementation nationale ou internationale. Des certificats internationaux requis
par les conventions internationales sont attribués aux navires au nom de l’État
du pavillon. La délégation des compétences de l’État du pavillon aux sociétés
de classification revient au fait que dans plusieurs cas, les moyens administratifs
insuffisants des États aboutissent le plus souvent à une « sous-traitance » des
contrôles auprès de sociétés de classification7. Chaque État reste tout de même
libre de déterminer l’étendue des tâches qu’il délègue. Une telle délégation est
admise par la convention SOLAS 1974, la convention sur les lignes de charges,
la convention MARPOL et enfin par le code ISPS8.

6 La délégation est l’acte par lequel le titulaire d’une fonction ou l’autorité qui le contrôle en trans-
fère l’exercice à une autre personne. G. Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 4e édition, 2003.
7 P. Delfaud, « La sécurité du transport et du trafic maritime de marchandises », Rapport de ré-

seau transnational atlantique des partenaires économiques et sociaux – groupe de travail (accessi-
bilité), Nantes, 2005, p. 16.
8 Ici les sociétés de classification sont seulement déléguées pour appliquer le Code ISPS sur les

navires, les ports restent un domaine soumis à l’autorité étatique.


316 Le droit maritime dans tous ses états

Historiquement, les sociétés de classification se sont toujours placées


comme l’acteur le plus compétent en matière de la sécurité maritime. Auteurs
des premières règles de la sécurité maritime9 : « ils possèdent une compétence
universellement reconnue et surtout un réseau international d’experts facilitant
une mise en vigueur homogène des exigences réglementaires »10. Les plus im-
portantes se sont regroupées au sein d’une organisation internationale, l’Asso-
ciation internationale des sociétés de classification (IACS) 11 , qui a pour but
d’imposer une certaine discipline au sein de ses membres afin de promouvoir
les normes les plus élevées en matière de sécurité des navires et de prévention
de la pollution.
Néanmoins, pendant longtemps l’industrie des sociétés de classification
n’a pas fait l’objet d’une réglementation internationale stricte, ce qui a laissé le
champ libre à la prolifération des sociétés aux qualités de sérieux et d’expé-
riences très ondoyantes12. Ainsi, leur crédibilité et leur fiabilité ont fait l’objet de
plusieurs critiques, avec la constatation de délivrance de certificats qui n’étaient
pas conformes à l’état réel du navire. Des réprobations virulentes ont dénoncé
des contrôles de qualité variable selon l’immatriculation des navires sous pavil-
lon de complaisance ou non13. À cet égard, dans l’affaire du naufrage Wellborn14
survenu au large de Madagascar, la jurisprudence française15estima « anormal »

9 Les sociétés de classification sont nées au XVIIe siècle à l’initiative des assureurs maritimes dans
le but d’évaluer la qualité technique des navires, permettant ainsi de déterminer le montant des
primes. Voir : M. Ferrer : La responsabilité des sociétés de classification, Aix-Marseille, PUAM, 2004.
10 P. Boisson, État du pavillon – sociétés de classification, Le pavillon, Colloque international, Institut

du Droit Économique de la Mer, 2-3 mars 2007.


11 Les sociétés de classification les plus connues, et qui répondent aux exigences de l’Association

Internationale des sociétés de classification, sont : LRS (Lloyd’s Register of Shipping) Grande
Bretagne, ABS (American Bureau of Shipping) USA, BV (Bureau Veritas) France, GL
(Germanischer Lloyd) Allemagne, RINA (Registro Italiano Navale) Italie, NKK (Nippon
KaijiKyokai) Japon, DNV (DetNorske Veritas) Hollande. [en ligne], Disponible sur la page :
http://www.iacs.org.uk/explained/members.aspx, (consultée le 17 juin 2011). Parmi les moins
connues et qui ne répondent pas aux conditions de l’IACS on peut citer les : PSR (Panama
ShipRegister), HINSIB (Honduras International Naval Surveying& Inspection Bureau), HRS
(HellenicRegister of Shipping), IRS (International Register of Shipping), CCRS (China
Corporation Register of Shipping), BKR (BulgarskiKorabenRegistar).
12 A. Lefrancois, L’usage de la certification, nouvelle approche de la sécurité dans les transports maritimes,

Centre de Droit Maritime et Océanique, Université de Nantes, Thèse de doctorat, 2010, p. 279.
13 M. Ndende, « Navires sous-normes : ça risque de décoiffer », Journal de la Marine Marchande, 20

juin 1997, n° 4044, p. 1421-1422.


14 C.cass, Ch.com, 27/02/2007, Navire Wellborn, (2005) DMF 313.
15 Elles sont rares les décisions de la jurisprudence française qui portent sur les sociétés de

classification. Néanmoins, les plus marquantes de ces derniers temps sont : L’affaire du Navire
Meranti 38, Arrêt CA Versailles du 5 février 2009 ; L’affaire du Navire Memer, Arrêt CA Paris du
9 juin 2009 ; L’affaire du Navire l’Elodie II (bis), Arrêt CA Versailles du 21 mars 1996.
Khanssa LAGDAMI 317

le maintien de certificat de navigabilité d’un navire pour « … ainsi dire une


épave ». Elle estima que
« la société de classification était tenue d’une obligation de prudence et
de diligence et avait manqué à celle-ci pour avoir laissé circuler pendant
des années sur toutes les mers du monde, un navire dangereux mettant
en danger l’équipage, la cargaison et plus généralement la sécurité en
mer »16.

Il est intéressant de souligner que la principale déficience des sociétés de


classification agissant comme « gardiennes de la sécurité des navires »17, pro-
vient du paradoxe qui existe dans le système : d’une part, les sociétés de classi-
fication sont rémunérées par les armateurs qui font appel à leur service, sont
dans une dynamique concurrentielle et en constante recherche de contrat 18 ;
d’autre part, de nombreux armateurs font partie des membres des comités qui
régissent ces organismes19. Ces deux points réunis pourraient in fine mettre une
grande pression sur les inspecteurs et influenceraient par ricochet leurs
contrôles20.
Consciente de cet état de fait, l’OMI a décidé dans les années 1990 d’en-
cadrer les activités des sociétés de classification, et différentes règles ont été
mises en place dans ce cadre. Deux résolutions régissent aujourd’hui le do-
maine : La résolution A.739 (18) adoptée le 4 novembre 1993 qui définit les
directives destinées aux Administrations des États du pavillon désirant habiliter
des organismes reconnus agissant en leur nom, et la résolution A.789 (19) du
23 novembre 1995 qui, pour sa part fixe les règles définissant les fonctions des
organismes reconnus en matière de visites et de délivrance des certificats.

16 L. Jambon, « Le naufrage du Number one », DMF n° 672, juillet-aout 2006, p. 563-572, p 569.
17 Lord Donaldson of Lymington : « The ISM Code : the road to discovery », LMCLQ, 1998,
p. 526.
18 B. Vaughan, The Liability of Classification Societies, University of Cape Town, 2006, p. 3.
19 Il convient de retenir que les sociétés de classification sont des entreprises à but non lucratif.

Elles n’ont le droit ni d’exploiter ni de gérer les navires. Voir : A. Braen, « La responsabilité de la
société de classification en droit maritime canadien », McGill Law Journal / Revue de droit de McGill,
Volume 52, 2007, 498. Leur comités sont composés de : représentants de propriétaires de navires,
exploitants de navires, affréteurs, constructeurs, assureurs, etc.
20 L’Institut de Soudure et de Qualité (ISQ) de Lisbonne justifie la déficience dans les procédures

de contrôle suivies par les sociétés de classification par le manque de temps. Les navires
souhaitent toujours quitter les ports pour des raisons économiques. Cité par M. Albakjaji, La
pollution de la mer Méditerranée par les hydrocarbures liée au trafic maritime, Thèse doct. : Relations
internationales, Paris-est : École doctorale : Organisations, marchés, institutions (OMI), 2011,
p. 130, p. 178.
318 Le droit maritime dans tous ses états

Du fait de ces directives, l’Administration de l’État du pavillon doit


vérifier que l’organisme délégué dispose de moyens techniques, de gestion et de
recherches suffisants pour effectuer de manière efficace les inspections ; il doit
également instaurer un accord écrit formel décrivant les principaux aspects de la
délégation. Cet accord doit comporter des détails sur les compétences déléguées
(visites, délivrance des certificats, etc.), le fondement juridique de la délégation,
la procédure de notification à l’Administration concernant les problèmes ren-
contrés sur les navires, les règles de confidentialité, la rémunération, les règle-
ments des différends, ainsi que des détails sur la supervision de l’Administration.
L’Administration doit en outre donner à l’organisme reconnu les instruc-
tions à suivre en cas d’un navire inapte à la navigation et mettre à sa disposition
tous les instruments appropriés de la législation nationale lui permettant
d’effectuer sa mission, notamment lorsqu’elle va au-delà de la réglementation
internationale.
En plus de ces exigences de coopération traitant l’effectivité du travail
statutaire des organismes reconnus, les deux résolutions insistent sur l’établisse-
ment d’un système de contrôle que l’Administration de l’État doit exercer sur
ces organismes. Ce système consiste en général à maintenir une communication
continue avec les organismes délégués, à effectuer des visites supplémentaires
des navires et à évaluer le système qualité de la certification et/ou de la
classification par des auditeurs indépendants.
En ce qui concerne les obligations qui incombent aux sociétés de classi-
fication, la résolution A.739 (18) dans son Appendice premier précise que les
organismes reconnus devront démontrer que leur taille, leur structure, leur ex-
périence et leurs capacités sont en convenance avec la mission qui peut leur être
confiée. Ils devront aussi être en mesure de justifier d’une expérience étendue
dans le domaine de l’évaluation, de la conception, de la construction des navires
et le cas échéant de leur système de gestion de sécurité maritime.
Des dispositions spécifiques devront aussi être remplies, à savoir 21 : la
publication et la mise à jour des règlements de classification, la disposition d’un
personnel technique de gestion qualifié pouvant élaborer les règles22 et les faire
appliquer localement, la mise à la disposition de l’administration délégataire de
toutes les informations pertinentes, l’application d’un schéma de certification

21 Ces spécifications ont été recensées par Monsieur P. Boisson in. « États du pavillon / société
de classification », op. cit. p. 46.
22 Il est important de souligner que les sociétés de classification ne sont pas des législateurs, elles

n’ont aucune autorité. Dans le cas du non respect de la réglementation, ils n’ont pas le droit
d’adopter des mesures punitives contre l’armateur du navire. Si le navire ne satisfait pas aux
normes requises comme prévu dans les règles, et le propriétaire ne procède pas aux travaux
correctifs, les certificats de classification seront retirés.
Khanssa LAGDAMI 319

d’un système d’assurance qualité23 conforme aux normes ISO 9001 et certifié
par les auditeurs indépendants reconnus par l’administration. En outre, les
organismes reconnus devront respecter des principes de déontologie. À cet
effet, l’IACS a adopté un code d’éthique qui fixe les règles de bonne conduite
que doivent respecter ses membres afin de préserver leur réputation d’intégrité
et d’indépendance24.
En mai 2006, le Comité de la sécurité maritime de l’OMI a adopté la
Résolution MSC. 208 (81) apportant des modifications sur la Résolution A. 739
(18) mentionnée ci-dessus. Cet amendement est entré en vigueur au niveau
international le 1er juillet 2010. Il amplifie ladite résolution par un nouveau
paragraphe imposant aux OR de faire effectuer les visites réglementaires et les
certifications seulement par des inspecteurs et des experts exclusifs, c’est-à-dire
des personnes exclusivement employées par lesdites OR et dûment qualifiées
pour mener à bien les activités et tâches requises 25 . Une exception à cette
obligation est permise pour les radiocommunications.
Par ailleurs, de nombreuses dispositions européennes sont venues en ap-
pui à la réglementation exigée par l’OMI aux sociétés de classification. Le
22 novembre 1994, le Conseil de l’Union Européenne a repris par une première
directive 94/57/CE les règles et les normes communes concernant les organis-
mes habilités à effectuer l’inspection et la visite des navires ainsi que les activités
pertinentes des administrations maritimes. Cette directive impose aux sociétés
de classification souhaitant agir pour le compte d’un État membre de l’Union
Européenne d’obtenir son agrément26.
Après le naufrage de l’Erika et dans le cadre du paquet Erika III, la direc-
tive 94/57/CE a été modifiée de façon substantielle par la directive 2001/105/
CE27, pour organiser un plus grand contrôle des activités de ces organismes
privés qui jouent un rôle crucial dans la sécurité maritime et la prévention de la
pollution. En effet, cette dernière directive met fin à la procédure d’agrément
par les États membres et renforce les pouvoirs et le contrôle de la Commission
sur les sociétés de classification. La délivrance d’agrément et son retrait dans le
cas d’un organisme qui ne satisfait plus aux critères de la sécurité maritime font
désormais partie de la compétence de la Commission Européenne. Les sociétés

23Sous sa dénomination anglaise : QSCS (Quality management System Certification Scheme).


24 P. Boisson, Politiques et Droit de la Sécurité Maritime, Edition Bureau Veritas, 1998, p. 137.
25 F. Plaza, « Modèles d’Administration maritime », REMPEC, Partenariat Euro-méditerranéen,

Coopération EUROMED sur la sécurité maritime et la prévention de la pollution provenant des


navires (SAFEMED), Rapport final, Janvier 2008, p. 20.
26 A. Lefrancois : L’usage de la certification, nouvelle approche de la sécurité dans les transports maritimes,

Centre de Droit Maritime et Océanique, Université de Nantes, Thèse de doctorat, 2010, p. 281.
27 Directive du 19 décembre 2001, JOCEL n° 19 du 22 janvier 2002, p. 9.
320 Le droit maritime dans tous ses états

de classification doivent donc répondre à des critères qualitatifs très stricts pour
pouvoir être agréées. De plus, sont désormais définies des conditions harmoni-
sées de mise en œuvre de leur responsabilité financière en cas « d’omission
volontaire » ou « de grave négligence »28.
En octobre 2006, la Commission a publié un rapport sur son contrôle
des organismes agréés 29 , où elle soulève des résultats globalement satisfaisants
mais aussi des difficultés à surmonter30. La Commission européenne considère
que les organismes agréés ont un niveau élevé de respect des règles, bien qu’un
certain respect formel semble triompher « au détriment du contrôle proactif et
de la gestion efficace des risques »31.
Pour arriver à un niveau de contrôle sans failles et par souci de clarté,
une directive de refonte de la directive 94/57/CE, modifiée, a été adoptée32. Ses
dispositions ont été classées sous forme de deux actes juridiques communau-
taires, à savoir : la directive 2009/15/CE33 et le règlement n° 391/200934. Suite
à cette refonte, des mesures plus strictes ont été apportées notamment sur les
critères d’agrément. La réforme propose de nouveaux critères minimaux, géné-
riques et spécifiques. En l’espèce, l’organisme agréé doit avoir la personnalité
juridique dans l’État dans lequel il est installé et spécialement sa comptabilité
qui doit être certifiée par des auditeurs indépendants. Il doit être capable
d’assurer une couverture mondiale des inspections. Il doit être en mesure de
définir et documenter les responsabilités, les pouvoirs et les relations entre les
membres du personnel dont le travail a une influence sur la qualité du service.

28 P. Delfaud, « La sécurité du transport et du trafic maritime de marchandises », Rapport de


réseau transnational atlantique des partenaires économiques et sociaux - groupe de travail
(accessibilité), Nantes, 2005, p. 19.
29 Commission of the europeancommunities : « Commission working document on the control of

recognised by the commission and the impact of the civil liabilityregime in accordance with
Directive 94/57/EC », Brussels, 11.10.2006, COM (2006) 588 final.
30 A. Lefrancois, L’usage de la certification, nouvelle approche de la sécurité dans les transports maritimes,

Centre de Droit Maritime et Océanique, Université de Nantes, Thèse de doctorat, 2010, p. 284
31 Commission of the europeancommunities : « Commission working document on the control of

recognised by the commission and the impact of the civil liabilityregime in accordance with
Directive 94/57/EC », Brussels, 11.10.2006, COM (2006) 588 final, op. cit., Under section 3.2.1.
32 Lors des discussions sur l’adoption du troisième volet de la réglementation de la sécurité mari-

time « le paquet Erika III », la proposition de la directive a été présentée au parlement et au Con-
seil le 30 janvier 2006 (COM (2005) 587 final). La même année, le Comité économique et social
européen ainsi que le Comité des régions ont exprimé leur avis. Le 25 avril 2007, le Parlement
procédait à une première lecture du texte. Le 6 juin 2008, une position commune était adoptée,
avant une seconde lecture par le Parlement le 24 septembre 2008, qui a donné lieu à un avis de la
Commission sur les amendements proposés le 26 novembre 2008 (COM (2008) 828 final).
33 Directive constituant des règles et normes communes concernant les organismes habilités à

effectuer l’inspection et la visite des navires et les activités pertinentes des administrations
maritimes, adoptée le 23 avril 2009, JOCEL n° 131 du 28 mai 2009, p. 47-56.
34 Règlement du 23 avril 2009, JOCEL n° 131, p. 11-23.
Khanssa LAGDAMI 321

Enfin, il doit assurer un système de supervision et de contrôle sur tous les


travaux effectués par son personnel35.
De plus, les mesures répressives ont été renforcées à l’encontre des orga-
nismes qui ne respectent plus les critères minimaux dont l’efficacité du contrôle
a été dégradée 36 ou ceux qui ont intentionnellement délivré des informations
insuffisantes, erronées, inexactes ou trompeuses à la Commission lors de leur
évaluation37. D’autres modifications ont été apportées également en matière de
retrait d’agrément 38 ; d’harmonisation des règles et procédures entre les
différents organismes39 ; d’installation d’une entité indépendante d’évaluation et
de certification de la qualité commune40.
En ce qui concerne les pays du sud de la Méditerranée, les
administrations maritimes des États du pavillon délèguent leurs fonctions aux
sociétés de classifications41 à des degrés différents. Les États qui s’appuient
considérablement sur les sociétés de classification se présentent comme suit42.

35 Ces critères ont été recensés par A. Lefrancois, L’usage de la certification, nouvelle approche de la
sécurité dans les transports maritimes, Centre de Droit Maritime et Océanique, Université de Nantes,
Thèse de doctorat, 2010, op. cit.,p. 286.
36 En outre, dans le cadre de la décision-cadre 2005/667/JAI du Conseil du 12 juillet 2005 visant

à renforcer le cadre pénal pour la répression de la pollution causée par les navires, les sociétés de
classification pourront également être poursuivies en cas d’infractions. Le 5 mai 2009, le
parlement européen et le Conseil de l’Europe ont annoncé l’annulation de cette décision-cadre.
Une nouvelle directive sera bientôt adoptée criminalisant les cas sérieux de pollution et imposant
aux États membres de mettre en œuvre des sanctions pénales effectives, proportionnées et dis-
suasives. Les propriétaires de cargaison et les sociétés de classification seront inclus dans le champ
de la directive. Voir : Communiqué de Presse, Pollution maritime : les infractions passibles bien-
tôt de sanctions pénales [en ligne], disponible sur la page : www.europarl.europa.eu (consultée le
20 juin 2011).
37 Des mesures de répressions vont aussi à l’égard des organismes qui tardent ou qui refusent de

corriger les défauts relevés par la Commission.


38 Dans le cas de non-respect des critères minimaux d’agrément ou des obligations des organis-

mes agréés ; refus d’évaluation de la Commission ; non-versement des amendes ou astreintes


infligées ; recherche d’une couverture financière ou du remboursement des amendes. Article 7,
paragraphe 1.
39 Dans le but de permettre la reconnaissance réciproque des certificats de classe entre les

organismes agréés. Article 10.


40 Une entité qui sera évaluer par périodiquement par la Commission. Article 11, paragraphe 6.
41 Plusieurs pays de la sous-région ont recours à des sociétés de classification qui ne sont pas

membres de l’Association Internationale des Sociétés de classification.


42 Voir : F. Plaza, « Modèles d’Administration maritime », REMPEC, Partenariat Euro-

méditerranéen, Coopération EUROMED sur la sécurité maritime et la prévention de la pollution


provenant des navires (SAFEMED), Rapport final, Janvier 2008, p. 15-87.
322 Le droit maritime dans tous ses états

L’Autorité Maritime Jordanienne 43 ne délègue ses fonctions qu’aux so-


ciétés de classification qui sont membres de l’AISC ou qui répondent aux règles
de l’OMI édictées dans les résolutions A.739 (19) et A.789 (21). Neuf sociétés
de classification sont autorisées à réaliser des inspections : ABS, BV, GL, KRS,
LR, NKK, DNV, RINA et ICS. Elles sont habilitées à délivrer des certificats au
nom de l’Administration, sauf pour les certificats suivants dont celle-ci se ré-
serve la délivrance : le certificat de lignes de charge ; le certificat de jaugeages ;
le certificat de sécurité du matériel d’armement ; le certificat de sécurité radio ; le
certificat IOPP (Certificat international de prévention de la pollution par les
hydrocarbures) ; le certificat sur les effectifs minimaux de sécurité, le certificat
international de sûreté du navire et le certificat international de gestion de
sécurité.

La Direction maritime libanaise confie l’essentiel de ses pouvoirs aux


sociétés de classification. Neuf organismes agissant en son nom : GL, BV, LR,
DNV, HR, IRS, PRS, CRS et INSB, dont des organismes qui ne sont membres
de l’AISC.

Des accords formels sont établis avec les organismes BV, LRS et GL
conformément à la résolution A.739 (18). Les sociétés de classification ABS,
DNV, RINA et NKK sont également habilitées à apposer les marques de franc-
bord sur les navires marocains, conformément aux règles de la convention
internationale sur les lignes de charge.

La Direction Maritime44 délègue à des niveaux différents ses fonctions


d’inspections et de contrôle à un grand nombre de sociétés de classification.
Ces sociétés de classification sont autorisées à procéder à des enquêtes et déli-
vrer des certificats au nom de la Syrie. L’Administration a conscience qu’elle ne
devrait déléguer ces fonctions qu’à des sociétés de classification qui se confor-
ment aux résolutions de l’Assemblée de l’OMI relatives aux organismes recon-
nus, comme énoncé aux chapitre XI de la convention SOLAS.

43 De son nom en anglais : Jordan Maritime Authority


44 La Direction générale des ports de son nom en anglais General Directorate of Ports.
Khanssa LAGDAMI 323

L’Administration maritime du pays délègue ses fonctions à dix sociétés


de classification : TL, LRS, ABS, DNV, BV, GL, RINA, NKK, RMR et KR. Ces
organismes reconnus travaillent en Turquie en vertu des protocoles de 1997
signés avec le sous-secrétariat aux affaires maritimes45. Des règles spécifiques
concernant la sélection et l’habilitation des sociétés de classification agissant
pour le compte de l’État du pavillon pour les navires battant pavillon turc,
devraient prochainement entrer en vigueur.
À la suite de ces délégations, le problème qui se pose pour la majorité de
ces pays46, est le fait que leurs administrations maritimes ne disposent pas de
ressources suffisantes pour contrôler et surveiller la performance des activités
réalisées par les organismes reconnus en leur nom et ces derniers ne leur
rendent pas régulièrement compte des missions qui leur sont déléguées.
Par ailleurs, il est à noter que les pays qui ne figurent pas dans la liste tels
que l’Algérie, l’Égypte ou la Tunisie ne délèguent leurs compétences que pour la
délivrance des certificats LoadLines, dans le cadre de la Convention de 1966 sur
les lignes de charges. En effet, pour l’Algérie, les activités du contrôle et des
inspections des navires se font par les garde-côtes sous l’autorité du ministère
de la défense. Quant à l’Égypte, ces activités sont prises en charge par le
département central aux affaires maritimes qui réunit une centaine d’employés
dont une trentaine d’inspecteurs et d’experts.

Après les années 1965, la flotte mondiale a connu une croissance consi-
dérable. Pour couvrir tous les marchés, pour bénéficier de tous les avantages
qu’offrent les activités d’exploitation maritime, certains armateurs ont choisi
d’immatriculer leurs navires sous les pavillons les plus divers, où que ce soit
dans le monde47. Depuis cette époque, tous les armateurs qu’ils soient améri-
cains, européens, chinois ou russes, ont été présents sur les eaux mondiales
sous divers pavillons. Certains préféraient un pavillon avec lequel des liens quasi
institutionnels existaient, par exemple en 1976, à la suite d’une longue grève des
marins, les armateurs de la République Fédérale d’Allemagne font passer 40 %
de leur flotte sous pavillon chypriote, rejoignant ainsi les États-Unis (qui
immatriculaient des navires sous pavillon de Panama depuis « la prohibition »,

45 L’Administration maritime du pays est le Sous-secrétariat aux Affaires maritimes


(Undersecretariat for Maritime Affairs - UMA), dépendant directement du Premier ministre et
intégré au Ministère des transports.
46 Plus spécifiquement le Maroc, la Syrie et le Liban.
47 F. Odier, « Rapport général », Le pavillon, Colloque international, Institut du Droit

Économique de la Mer, 2-3 mars 2007, op. cit., p. 72.


324 Le droit maritime dans tous ses états

puis sous celui du Liberia depuis la seconde guerre mondiale48) ; d’autres, plutôt
à la conquête du pavillon « bon marché » changeaient d’immatriculation passant
d’un pavillon à un autre avec une grande fluidité49. La surcapacité du transport
et la concurrence féroce entre les armateurs ont entraîné un effondrement des
taux de fret et ont participé au développement de « l’immatriculation de com-
plaisance ». Ainsi, par souci de compétitivité et afin de bénéficier d’économies
liées à l’exploitation maritime du navire, certains États, ont procédé à l’affaiblis-
sement des conditions posées à l’immatriculation des navires sous leur pavillon.
Il s’en est logiquement suivi une inéluctable dégradation de la qualité des
navires et un abaissement du niveau de mise en œuvre du droit de la sécurité
maritime, forcément générateur de grands dangers autant pour les hommes que
pour l’environnement marin.
Il est intéressant alors de s’interroger sur l’identification du phénomène
de l’immatriculation de complaisance (A), avant de dresser un état des lieux sur
la présence de cette pratique dans le pourtour méditerranéen (B).

Pour cerner le phénomène de l’immatriculation de complaisance, deux


méthodes sont déployées : en premier lieu sa définition au regard du droit
international et de la doctrine, et en second lieu son identification face aux
autres types d’immatriculations.

Le pavillon de complaisance est une expression métaphorique qui per-


met facilement de détecter la réalité qu’elle désigne. Il existe de nombreux
équivalents qui lui sont parfois préférés, car estimés comme étant moins péjo-
ratifs et plus neutres50. À cet effet, les acteurs du monde maritime emploient
fréquemment l’expression du « pavillon de libre immatriculation » ou celle du
« registre ouvert ».

48 Historiquement, le recours à un pavillon dit de libre immatriculation serait apparu aux États-
Unis au moment de la « prohibition ». Les entrepreneurs américains immatriculaient les navires à
Panama pour permettre la contrebande d’alcool.
49 F. Odier, « Rapport général », Le pavillon, Colloque international, Institut du Droit

Économique de la Mer, 2-3 mars 2007. op. cit. p. 72.


50 L’expression la plus courante pour désigner le phénomène reste le vocable « pavillon de

complaisance », en anglais « flag on convenience ». Entre les deux langues, il existe une différence
dans la signification de l’expression : En français, le terme complaisance est souvent synonyme de
laxisme ; Par contre en anglais, le terme convenience signifie plutôt la commodité, le service ou la
facilité. Cette nuance entre la signification en français et en anglais est le premier signe de l’exis-
tence des conceptions théoriques différentes qui ont été développées pour décrire la pratique.
Khanssa LAGDAMI 325

De nombreuses définitions ont été proposées par les organisations inter-


nationales et par la doctrine, qui tentent de faciliter l’identification du phéno-
mène. En effet, la reconnaissance du concept de l’immatriculation de complai-
sance est apparue pour la première fois en 1954 dans un rapport de l’OCDE,
mais sans pour autant donner une définition précise. Par la suite, en 1958, le
Comité des transports de l’Organisation européenne de coopération économi-
que (OECE) a donné une première définition à cette pratique. Cette définition
a été reprise un peu plus tard, sous une forme analogue par le juriste américain
Boczek :
« un pavillon de complaisance peut se définir comme le pavillon de tout
pays qui autorise l’immatriculation des navires possédés et contrôlés par
l’étranger, à des conditions qui, pour des raisons quelconques, sont com-
modes et adéquates pour les personnes qui demandent cette
immatriculation »51.

Pour distinguer les pavillons de complaisance des paradis fiscaux, une


étude de l’OCDE de 1971, sur la base du rapport d’une commission présidée
par Lord Rochdale pour le gouvernement britannique de 1970, a énuméré six
points communs aux pavillons de complaisance à savoir : la possession ou le
contrôle des navires par des non-résidents, un accès facile aux registres d’im-
matriculation, des impôts peu élevés, un pays d’immatriculation de faible puis-
sance, la possibilité d’employer un équipage de non-ressortissants, l’absence de
moyens suffisants de l’État d’immatriculation pour exercer un contrôle sur les
navires et pour faire respecter les exigences des conventions internationales52.
Ces mêmes critères ont été utilisés par la Communauté économique europé-
enne pour différencier les pavillons de complaisance des pavillons de bon
marché53. Une autre définition beaucoup plus synthétique a été formulée par la
CNUCED, utilisant plutôt la notion de libre immatriculation que celle de
pavillon de complaisance. Selon celle-ci, sont pavillons de libre immatriculation
ceux pour lesquels il n’existe pas de lien substantiel entre les navires et l’État
d’immatriculation. Quatre éléments sont pris en considération pour déterminer
le lien substantiel : la contribution de la flotte marchande à l’économie du pays,
la prise en considération par les comptes nationaux relatifs à la balance des
paiements des recettes et dépenses des transports maritimes ainsi que les achats
et ventes de navires, l’emploi des ressortissants sur les navires et la propriété ef-
fective des bâtiments. Cette définition, même si elle semble juste, ne permet pas

51 Cité par P. Boisson, Politiques et droit de la sécurité maritime, Bureau Veritas, Paris, 1998, op. cit.,
p. 517.
52 OCDE, « Study on flags of convenience », Journal of maritime and Law Commerce, 1973, Volume 4,

n° 2, p. 231-254.
53 P. Boisson, Politiques et droit de la sécurité maritime, op. cit., p. 518.
326 Le droit maritime dans tous ses états

en revanche de cerner clairement la pratique de l’immatriculation de


complaisance.
La doctrine a elle aussi contribué à la formulation de la définition de la
complaisance. Monsieur Jean-Marc Roux définit les pavillons de complaisance
comme
« ceux des pays qui combinent à des conditions extrêmement lâches
d’octroi de leur nationalité aux navires une réglementation en matière
maritime réduite et une exonération d’impôts sur les bénéfices telles que
les armateurs exploitant leur flotte sous ces pavillons se voient assurés
des avantages qui rendent difficiles la position des entreprises maritimes
des pays dont la flotte a constitué, jusqu’à il y a peu de temps, la quasi-
totalité de l’armement mondial »54.

Cette définition pouvait être exhaustive si elle traitait en plus, les moyens
concrets de l’identification d’un pavillon de complaisance. Dans le même ordre
d’idées, le Professeur Lucchini énonce qu’un pavillon de complaisance est
« un pavillon qui est accordé par certains États à des conditions si légères
qu’elles ne ménagent pratiquement aucune place à l’exigence du lien
substantiel. L’immatriculation est faite au profit de navires appartenant à
des étrangers ou contrôlés par eux : les équipages ne sont pas constitués
de nationaux, les bâtiments échappent au contrôle de l’État dont ils
battent le pavillon et n’entrent jamais ou presque jamais, dans ses ports.
La complaisance suppose, en outre, une action doublement délibérée : de
la part de l’auteur de la demande d’octroi du pavillon et de celle de l’État
qui l’accorde »55.

Monsieur Patrick Chaumette précise que


« les pavillons de complaisance constituent des rattachements fictifs des
navires à des ordres juridiques souples, peu contraignants sur le plan
fiscal, quant aux contrôles administratifs, quant à la liberté de
constitution des sociétés, quant au droit social »56.

54 J.-M. Roux, Les pavillons de complaisance, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1961, 157
pages, p. 7-8.
55 L. Lucchini : « Le navire et les navires », Le navire en droit international, actes du XXVe Colloque

de Toulon organisé par la société française pour le droit international, les 30, 31 mai et le 1 er juin
1991, Édition Pédone, Paris, 1992, p. 11-42, p. 37.
56 Cité par P. Chaumette, « Le contrôle des navires par les États riverains », Les cahiers scientifiques

du transport, n° 35/1999 – p. 55-72. p. 57.


Khanssa LAGDAMI 327

Monsieur Emmanuel du Pontavice 57 rappelle à cet effet six


caractéristiques d’un pavillon de complaisance :
« Le pays d’immatriculation autorise des ressortissants étrangers à détenir
et/ou à contrôler ses navires marchands ; L’immatriculation est facile à
obtenir ; Le revenu tiré de l’exploitation d’un navire n’est soumis locale-
ment à aucun impôt, ou bien ceux-ci sont faibles. Un droit d’imma-
triculation et une taxe annuelle, calculée en fonction du tonnage, sont
habituellement les seules charges imposées. Une garantie peut aussi être
donnée ou un arrangement acceptable peut être conclu en vue d’une exo-
nération fiscale pour l’avenir ; Le pays d’immatriculation est une petite
puissance qui n’a pas besoin et n’aura jamais besoin dans aucune circons-
tance prévisible de tous les navires immatriculés sur ses registres, mais les
recettes procurées par l’application de droits très faibles à un tonnage
important peuvent avoir une incidence non négligeable sur son revenu
national et sa balance des paiements ; L’armement des navires par les
équipages étrangers est librement autorisé ; Le pays d’immatriculation n’a
ni le pouvoir d’imposer des réglementations nationales ou internationales,
ni les services administratifs nécessaires à cet effet ; en outre, ce pays n’a
ni le désir ni le pouvoir de contrôler les compagnies elles-mêmes ».

En d’autres termes, un pavillon de complaisance est un pavillon qui


permet à des navires dont leur propriétaire est un étranger de se placer sous sa
juridiction. Les armateurs choisissent ce pavillon pour des raisons d’allégement
des contraintes en matière de fiscalité (frais d’immatriculation et de taxes plus
réduites), de sécurité de navigation (contrôles plus laxistes effectués le plus
souvent par des sociétés de classification) ou de droit du travail auquel
l’équipage est soumis (recrutement des salariés à bas coût venant des pays à bas
salaires).
Néanmoins, les critères facilitant l’identification des pavillons de com-
plaisance, ne doivent pas occulter le fait qu’il existe aujourd’hui partout dans le
monde un bon nombre de flottes de complaisance qui ne fonctionnent pas de
la même manière, et qui n’appliquent pas non plus les règles internationales du
droit de la sécurité et de la sûreté maritimes.

Malgré que les critères de classement d’un État du pavillon dans un


registre d’immatriculation de complaisance paraissent simples à premier abord,
l’identification d’un pavillon en tant que tel n’est pas toujours une chose aisée.
En effet, l’immatriculation de complaisance rentre dans un contexte où le profit

57 E.du Pontavice, « Les pavillons de complaisance », DMF n° 345 et 346, septembre-octobre


1977, p. 506.
328 Le droit maritime dans tous ses états

financier est le but ultime que ce soit pour les États offrant le service ou pour
les armateurs. Il s’agit bien alors d’un domaine fermé où la discrétion, vis-à-vis
d’activités placées à la limite de la légalité est ubiquiste et empêche de ce fait
une identification facile58. Une autre difficulté simultanée à la première, naît du
fait que les États qualifiés comme complaisants par la communauté internatio-
nale n’acceptent pas toujours cette classification et se considèrent juste comme
des États offrant des solutions alternatives aux immatriculations pratiquées par
les États des pavillons traditionnels59.
L’existence de plusieurs types de registres pouvant être désignés comme
registres de complaisance, ne facilite pas l’identification du phénomène. À ce
titre, un classement peut être fait60 :
– les registres indépendants : ce sont les registres de complaisance
qui pratiquent une immatriculation exemptée du contrôle des États
du pavillon traditionnel qui les ont créés, tout en continuant à
entretenir des relations avec eux. Ils représentent les trois quarts de la
flotte de complaisance61.
– les registres de dépendances : qui eux sont directement placés sous
l’influence des États du pavillon traditionnels et à cet effet abritent
une partie de la flotte62.
– les registres offshore : appelés aussi pavillon bis, pavillon économique,
registre second, ou pavillon d’outre mer. Ils ont été créés par les États du
pavillon traditionnel en vue de diminuer les coûts d’exploitation tout
en conservant une flotte sous pavillon traditionnel63.
Il faut souligner que la multiplication des registres pouvant être désignés
comme pavillons de complaisance, aide à la prolifération du phénomène. Ainsi,
durant les dernières décennies, le nombre de la flotte marchande mondiale
agissant sous pavillon de complaisance n’a cessé d’accroître. En effet, pendant
les années cinquante, environ 4 % de la flotte mondiale était enregistrée sous
pavillon de complaisance ; au milieu des années quatre-vingt, ce pourcentage
était passé à 30 %. Aujourd’hui, ce pourcentage s’évalue entre 45 % et 60 %. En

58 M. Lanneau-Sebert, La mise en œuvre du droit de la sécurité maritime, Thèse de droit public, Nantes :
Faculté de droit et des sciences politiques de Nantes, 2006, p. 215-216.
59 Id., p. 216.
60 P. Boisson, Politiques et droit de la sécurité maritime, op. cit., p. 518-519. Monsieur Boisson donne

même un second classement qui s’opère aussi dans le lien de dépendance existant entre les États
du pavillon traditionnels et les États du pavillon pratiquant la complaisance : On peut trouver les
registres qui peuvent être captifs (Isle Of Man, Gibraltar, Nis,…), traditionnels (Panama, Libéria,
Chypre, Honduras) ou nouveaux comme (Bahamas, Vanuatu, Comores).
61 Parmi eux figurent : le Libéria, Panama, Chypre, Malte, le Sri Lanka, Singapour.
62 Parmi eux figurent : Hong Kong, Bermuda, Gibraltar et les autres dépendances britanniques

ainsi que les Antilles néerlandaises.


63 Nous trouvons ici : les registres des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), le

Registre International Français, les Iles Canaries, le pavillon bis danois, le pavillon bis norvégien.
Khanssa LAGDAMI 329

l’espace de soixante ans, le nombre de navires battant pavillon de complaisance


a été multiplié au moins par dix.

Chaque jour, de nombreux navires enregistrés sous pavillons de com-


plaisance sillonnent tous les axes maritimes du globe. Aujourd’hui, le nombre
des États classés comme pavillons de complaisance est relativement important.
La Fédération Internationale des Travailleurs du Transport n’en compte pas
moins de trente-deux, notamment Antigua-et-Barbuda, Antilles néerlandaises,
Bahamas, Barbade, Belize, Bermudes, Bolivie, Myanmar, Cambodge, Îles
Caïmans, Comores, Corée du Nord, Chypre, Guinée équatoriale, Géorgie,
Gibraltar, Honduras, Jamaïque, Liban, Libéria, Malte, Marshall, îles Maurice,
Mongolie 64 , Panama, Sao Tomé-et-Principe, Sri Lanka, Saint-Vincent-et-les
Grenadines, Tonga et Vanuatu65.
Nous remarquons que parmi les pays de cette liste figurent quatre pays
méditerranéens, à savoir, Gibraltar, le Liban, Malte et Chypre.
Illustration 2 :

Source : International Transport Workers Federation

64 Malgré que la Mongolie est à plus que 200 km des côtes, elle enregistre depuis 2003 des navires
du monde entier sous pavillon de complaisance. Ses tarifs d’enregistrement sont inférieurs de
10 % à ceux du marché et il propose des avantages fiscaux non négligeables. Ses principaux
clients sont le Japon et Singapour. Voir : A. Rodier, « Mongolie : loin de la mer, les pavillons de
complaisance », (en ligne), publié le 30 octobre 2009. [en ligne]. Disponible sur la page :
http://www.lefigaro.fr/international/2009/10/30/01003-20091030ARTFIG00370-mongolie-
loin-de-la-mer-les-pavillons-de-complaisance-.php (consultée le 9 avril 2012).
65 Cette liste peut être trouvée sur le site de l’ITF : www.itf.org.uk (consulté le 22 octobre 2013).
330 Le droit maritime dans tous ses états

D’après ce graphique, Panama est le premier pavillon de complaisance au


monde avec 183 503 milliers de tonneaux, suivi par le Liberia avec 82 389 mil-
liers de tonneaux. Les Bahamas se positionnent en troisième place avec 46 543
milliers de tonneaux. Malte et Chypre les deux pays méditerranéens de la liste se
classent successivement en cinquième et sixième positions avec 31 633 milliers
de tonneaux pour Malte et 20 109 milliers de tonneaux pour Chypre. Pour
évaluer réellement l’impact de la présence des pavillons de complaisance sur la
sinistralité en mer Méditerranée, nous allons étudier les accidents maritimes
causés par des pétroliers selon leur pavillon.
Illustration 3 :
Les pavillons et le nombre des pétroliers (Oil Tanker)
qui sont impliqués dans les accidents en mer Méditerranée entre 1979 – 2010

Le pourcentage des pétroliers impliqués


Nombre des pétroliers impliqués dans les accidents maritimes sur le nom-
Le pavillon dans les accidents en mer bre total des navires impliqués dans des
Méditerranée accidents maritimes en mer
Méditerranée

Grèce 79 56,42 %
Malte 29 52,72 %
Italie 26 41,93 %
Panama 17 30,35 %
Libéria 14 50 %
Chypre 10 41,66 %
Turquie 10 24,39 %
Bahamas 6 33,33 %
Espagne 4 30,76 %
France 4 66,66 %
Gibraltar 3 100 %
Russie 3 50 %
Singapore 3 60 %
Égypte 2 50 %
Algérie 2 66,66 %
Honduras 2 12,5 %
Kuwait 2 100 %
Danemark 2 100 %
Norvège 2 50 %
Irak 2 100 %
Iran 2 66,66 %
Serbie 2 22,22 %
St-Vt-Les
2 12,5 %
Grenadines
Uruguay 1 100 %
Khanssa LAGDAMI 331

Japon 1 50 %
Bulgarie 1 50 %
Myanmar 1 50 %
Israël 1 20 %
Island 1 50 %
Antigua et Barbuda 1 100 %
Azerbaïdjan 1 100 %
Autres (5
10 66,66 %
pavillons)
Total 266 48,54 %
Pavillons de
88 39,28 %
complaisance
Source : Base de données des statistiques sur les accidents maritimes dans la mer Méditerranée, le REMPEC66

Ce tableau nous montre que 33 % des accidents survenus en mer Médi-


terranée étaient le fait de navires arborant des pavillons de complaisance (Chypre,
Malte, Liberia, Panama, Honduras, Saint-Vincent-et-les Grenadines). Les deux
pays méditerranéens Chypre et Malte font partie des principaux pavillons
impliqués dans la sinistralité dans cette mer, causant des pollutions majeures
dues aux déversements d’hydrocarbures et aux autres produits chimiques. Les
catastrophes maritimes, l’Erika (immatriculé à Malte) et le Heaven (immatriculé
à Chypre), nous rappellent bien le manquement de ces deux pavillons au
respect des obligations internationales en matière de sécurité maritime.

Par ailleurs, après leur adhésion à l’Union Européenne en 2004, les deux
pays ont fourni des efforts considérables pour se conformer aux exigences
européennes. En effet, une progression positive dans leur classement a été
constatée ces dix dernières années. Les deux pavillons étaient classés jusqu’en
2003 dans la liste noire avec un risque moyen ; en 2004 ils étaient classés dans la
liste grise et depuis 2006 ils sont classés dans la liste blanche. Jusqu’aujourd’hui
les actions faites par leurs autorités compétentes s’avèrent positives mais
n’empêchent pas qu’il reste beaucoup à faire.

En outre, selon le même tableau, d’autres pavillons classés, cette fois-ci,


hors liste des pavillons de complaisance sont fortement impliqués dans les
catastrophes survenues en mer Méditerranée entre 1979 et 2010, notamment la
Grèce, l’Italie et la Turquie. Avec presque 29,6 % de la totalité des accidents
maritimes, la Grèce se classe en première position des pavillons accueillant des
pétroliers impliqués dans la pollution de la mer Méditerranée.

66 Cité par M. Albakjaji, La pollution de la mer Méditerranée par les hydrocarbures liée au trafic maritime,
Thèse de doctorat : Relations internationales, Paris-est : École doctorale : Organisations, marchés,
institutions (OMI), 2011, op. cit. p. 130.
332 Le droit maritime dans tous ses états

Sur ce point, il est intéressant de souligner que depuis l’année 2000 le


pavillon grec est classé dans la liste blanche du Mémorandum de Paris. En effet,
comme la plupart des pavillons européens, ce dernier a intégré dans son
dispositif juridique national l’intégralité de la réglementation mise en œuvre par
l’OMI, ainsi que toutes les directives européennes sur la sécurité et la sûreté
maritimes. Mais malgré tout cela, il reste toujours le pavillon le plus dangereux
pour la sécurité du bassin méditerranéen.
La position de la Grèce dans ce classement, comme celle de l’Italie et
l’Espagne peut être expliquée par la répartition du trafic maritime en
Méditerranée. Les trois pays ont une grande densité du trafic maritime dans
leurs ports, ce qui contribue à l’intensification des cas d’accidents maritimes au
large de leurs côtes67.
Concernant le pavillon turc, 3,7 % des accidents survenus en mer Médi-
terranée étaient le fait de navires arborant ce pavillon. Jusqu’à 2006, la Turquie
était classée dans la liste grise du Mémorandum d’entente de Paris et à partir de
2008, elle est entrée dans la liste blanche. Plusieurs pétroliers et vraquiers turcs
sont interdits d’accès dans les ports de l’Union européenne à la demande de la
Commission européenne. La mesure de refus d’accès aux ports de l’Union
Européenne a été appliquée à ces navires pour avoir été immobilisés plusieurs
fois alors qu’ils figuraient dans la liste noire des navires susceptibles de causer
des désastres maritimes. Par ailleurs, avec sa volonté d’adhésion à l’Union euro-
péenne, le pays s’est engagé ces dernières années dans un processus d’adapta-
tion aux exigences internationales en matière de sécurité pour le transport d’hy-
drocarbures. Depuis 2002, le pays est éminemment rigoureux quant au passage
nocturne des pétroliers de plus de 200 mètres dans les différents détroits du
pays68.

Sans aucun doute l’État du pavillon joue un rôle très important dans le
cycle de la mise en application des normes internationales de la sécurité et de la
sûreté maritimes. Malheureusement, en Méditerranée le respect des obligations
incombant à cet acteur est confronté à plusieurs difficultés à caractère juridique,
institutionnel et politique. En effet, la région méditerranéenne abrite des États
classés dans les listes noire et grise du Mémorandum de Paris, présentant ainsi

67 Parmi les dix ports qui attirent le plus de trafic dans le monde, sept d’entre se situent dans ces
trois pays. Les plus importants sont : (Piraeus en Grèce ; Livourne, Gênes et Venise en Italie ;
Barcelone, Valence et Algesiras en Espagne).
68 B. Germond, « La puissance navale turque : quels atouts pour l’Union européenne ? », in

L’Europe-Puissance et la Turquie, l’Harmattan, Paris, 2006, p. 146.


Khanssa LAGDAMI 333

un risque élevé de pollution maritime. Quatre pavillons méditerranéens figurent


sur la liste des pavillons de complaisance : Chypre, Malte, le Liban et Gibraltar.
Cette réalité des choses nous laisse songer que l’intensité du trafic maritime
dans ce carrefour intercontinental et interocéanique qu’est la mer Méditerranée
n’est pas la seule cause des accidents maritimes. Il faut rajouter la qualité du
navire et de son équipage.

Face au laxisme observé par certains États du pavillon méditerranéen ou


pour leur compte, la communauté internationale est intervenue en édifiant un
corpus de règles plus strictes qui permet à l’État du port de jouer un rôle
palliatif et d’effectuer des contrôles supplémentaires sur les navires.

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