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P h o t o d u M D N p a r l e m a t e l o t - c h e f Da n B a r d , Ca m é r a d e c o m b a t d e s Fo r c e s c a n a d i e n n e s

Des membres du 1er Bataillon, Princess Patricia’s Canadian Light Infantry qui jouent le rôle des forces de la coalition s’abritent derrière un véhicule blindé
léger (VBL) 6.0 au cours de l’exercice MAPLE RESOLVE, à Wainwright, en Alberta, le 10 mai 2021.

Véhicule de combat d’infanterie ou taxi


de combat? Les difficultés de l’infanterie
canadienne en matière de mécanisation
par Peter Kasurak

Peter Kasurak a publié deux ouvrages sur l’Armée canadienne : mais à bonne distance de ceux-ci, ou en sont-elles inséparables?
A National Force, dans lequel il retrace l’évolution de cette institution Une mauvaise décision sur ce point fondamental pourrait avoir des
qu’est l’Armée de terre de 1950 à 2000, et plus récemment Canada’s résultats désastreux.
Mechanized Infantry: The Evolution of a Combat Arm, 1920-2012.
Monsieur Kasurak enseigne à l’occasion au département des études L’Armée canadienne appartient traditionnellement à l’école de
permanentes du Collège militaire royal du Canada. pensée du « taxi de combat », même si son expérience du combat et

L
les jeux de guerre inspirés de la Guerre froide sont venus remettre
’histoire de la mécanisation des armées s’intéresse en cause ce choix de doctrine. Le présent article traite de l’évolution
avant tout à l’évolution de la doctrine des chars et de l’infanterie mécanisée du Canada et témoigne de la prééminence
des blindés. L’évolution de l’infanterie, pourtant de la tradition sur la logique et l’innovation.
tout aussi importante, en est généralement exclue.
Une vérification rapide sur Amazon.ca produit Un mauvais départ : la doctrine de
plus de 20 000 résultats pour le mot tank, mais seulement 58 l’Armée britannique
pour le terme mechanized infrantry, dont des réimpressions de
manuels de campagne. Dans l’imaginaire populaire, l’infanterie
est passée du rôle de « reine du combat » à celui de Cendrillon.
Or, la façon de concevoir et de structurer l’infanterie – le noyau
A vant et pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Armée
canadienne fait partie de l’Armée impériale britannique
et n’a donc pas de doctrine propre. Son état-major n’est pas
même de l’armée – n’en demeure pas moins un facteur central suffisamment développé pour élaborer une doctrine nationale
dans la conception d’une force terrestre. et, de toute façon, celle-ci irait à l’encontre de l’objectif d’inté-
gration des troupes canadiennes aux Forces armées impériales.
De même, le rôle confié au véhicule d’infanterie constitue un Malheureusement, l’Armée britannique prend mauvaise décision
facteur central dans la conception de troupes d’infanterie mécanisée. sur mauvaise décision à l’égard de ses forces blindées et de la
Ainsi, deux grands axes d’évolution sont apparus : une infanterie mécanisation de son infanterie. En vérité, elle fait peu de cas
à pied doublée de véhicules de transport faisant figure de « taxi de de l’intégration des différentes forces de combat. En 1889, un
combat », ou une infanterie repensée en tant que force motorisée observateur allemand formule cette observation :
où les soldats et leur véhicule forme un tout parfaitement intégré.
Or, le rôle que jouera le véhicule d’infanterie est étroitement lié En vérité, les différentes forces de l’armée anglaise ne
au rapport censé exister entre l’infanterie et le char. Les troupes sont pas suffisamment unies. Il y règne un esprit de caste;
d’infanterie mènent-elles leur propre combat à l’aide de chars, elles ne rendent pas compte que l’une n’existe que pour

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L’HISTOIRE
l’autre et que l’efficacité d’une armée
se mesure au produit, et non à la
somme, de l’efficacité de chacune
des forces qui la composent1 [TCO].

En outre, l’Armée britannique est


fermement convaincue que l’infanterie
doit être composée de fantassins. Comme
l’a dit Richard Simpkin, brigadier de corps
blindé britannique pendant la Guerre
froide : « Qu’elle s’y rende en marchant
ou qu’elle y soit envoyée en parachute,
en planeur ou en camion, c’est à pied
que l’infanterie britannique se mobilise,
se déploie et se rend au combat. Et c’est
pareillement qu’elle se défend dans les
trous de tirailleur »2 [TCO].

Lebrecht/Alamy Stock Photo


Au sortir de la Première Guerre
mondiale, les plus éminents théoriciens
britanniques n’envisagent pour l’infanterie
qu’un rôle de second plan dans l’avenir
mécanisé qui s’annonce. J.F.C. Fuller
songe à des chars qui surgiraient de for-
teresses terrestres, dotés seulement d’une Chenillette biplace anglais appelé Carden Loyd carrier Mark VI. Véhicule de reconnaissance d’avant la
poignée d’hommes sans blindés. Dans le Deuxième Guerre mondiale et mitrailleuse mobile.
volume III de ses Lectures on Field Service
Regulations, publié en 1932, Fuller soutient que de « combiner chars Pendant la bataille de France, l’Armée emploie fort mal les
et infanterie revient à atteler un tracteur à un cheval de trait ». Le deux bataillons motorisés de la 1re Division blindée dans la défense
rôle de l’infanterie se résumerait à occuper le territoire conquis par de Calais et les perd tous deux dans une bataille statique n’offrant
les blindés. Dans le même esprit, B.H. Liddell Hart réduit le futur aucune leçon utile sur la guerre de manœuvre. Les véhicules de
rôle de l’infanterie à celui de « marines terrestres » chargés de faire transport des bataillons d’infanterie, en revanche, étonnent par
le ménage et la police dans les territoires dont les forces blindées leur performance. Dans son rapport de constatations, le lieutenant-
se sont emparées3. général Sir William Bartholomew déclare que la chenillette
porte-Bren (ou porteur universel) « s’est avérée d’une grande effica-
En 1931, la doctrine britannique telle qu’elle est énoncée dans cité, même lorsqu’elle est utilisée dans un rôle d’assaut pour lequel
Modern Formations consiste à mécaniser l’infanterie, qui combattra elle n’est absolument pas conçue » et qu’elle a « démontré son
certes aux côtés des forces blindées, mais séparément. Les chars immense valeur dans toutes les fonctions, avec ou sans hommes à
deviendront la principale force offensive et seront protégés par des bord, même pour monter au front sans tirer pour effrayer l’infanterie
chars légers pendant les assauts et par l’infanterie lorsqu’au repos. ennemie. » L’enthousiasme de Bartholomew transparaît dans la bro-
Celle-ci sera munie d’un véhicule blindé léger de transport, la chure d’instruction militaire The Infantry (Rifle) Batallion datant de
chenillette Carden Loyd, dont l’unique fonction sera de transporter 1941, dans laquelle il préconise une utilisation agressive des véhicules
une mitrailleuse de calibre .303 qui sera ensuite débarquée pour de transport pendant les attaques d’infanterie contre des positions
être utilisée au sol. Ces véhicules de transport n’appartiendront pas défensives, pour gagner du temps ou attaquer l’ennemi de flanc.
aux bataillons d’infanterie, mais plutôt à la brigade. Le commande- De concert avec l’infanterie et les chars, ces véhicules pourraient
ment du transport d’infanterie sera même confié à la division et le s’engouffrer dans les brèches et obliger l’ennemi à abandonner ses
« convoi » jouera un rôle purement administratif, jamais tactique. positions. Ils pourraient précéder l’infanterie et repérer les failles dans
L’Armée britannique abandonne l’idée de développer un véhicule la défense ou travailler en tandem avec les chars en déployant les
d’infanterie tactique dès 19364. armes antichars. Leur équipage serait composé de soldats capables de
« réfléchir à vingt miles à l’heure plutôt qu’à trois miles à l’heure »
En 1939, l’Armée britannique compte trois types d’infanterie et « doués d’un esprit vif et combatif »5 [TCO].
portée : la compagnie de soutien portée chargée de transporter les
armes lourdes de chaque bataillon d’infanterie; les « bataillons Toutefois, cette vague d’enthousiasme pour les forces de combat
motorisés » des divisions blindées avec leur compagnie de soutien, portées et les formations interarmes n’est que de courte durée. En
mais aussi leurs pelotons d’éclaireurs de compagnie d’infanterie 1943, l’état-major général sert de nouveau cette mise en garde :
dotés chacun de deux véhicules de transport et de leurs troupes d’in- les véhicules de transport ne doivent pas être utilisés comme des
fanterie portées par des camions ou des semi-chenillés appartenant chars et être envoyés au front toutes armes déployées. La meilleure
au bataillon; et le régiment de reconnaissance des divisions blindées position pour ces véhicules se trouve derrière les pelotons de l’effort
(qui pourrait protester à l’idée d’être inclus dans l’infanterie) avec principal. Utilisés en combinaison avec des chars, ils doivent servir
ses blindés de reconnaissance et ses chars légers, peut-être même uniquement de taxis6.
des chars sans tourelle.

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Parmi les innovations
qui découlent de ces expéri-
mentations, la mieux connue
est sans doute le transport
de troupes blindé (TTB)
Kangaroo, créé par le lieu-
tenant-général Guy Simonds
comme moyen de transport
pour faire traverser les lignes
allemandes à l’infanterie
Militar y Images/Alamy Stock Photo

pendant la phase d’assaut de


l’opération Totalize. Simonds
ordonne que 60 TTB soient
fabriqués à partir de canons
automoteurs Priest desquels les
canons seront retirés et aux-
quels du blindage sera ajouté.
Ces TTB étant découverts, les
troupes y entrent et en sortent
La chenillette porte-Bren britannique en Afrique du Nord. Le Bren était le pilier de l’appui-feu des sections
d’infanterie pendant la Deuxième Guerre mondiale et la guerre de Corée. par le côté. Un seul véhicule
peut transporter une section
d’infanterie tout entière. Au
En 1941, si l’Armée britannique parle parfois de coopération cours de l’opération Totalize, l’innovation qui consiste à protéger
« toutes armes », elle ne fait généralement référence qu’à l’infanterie, l’infanterie pendant une attaque porte ses fruits : l’infanterie embar-
aux mitrailleuses et à l’artillerie, à l’exclusion des véhicules blindés. quée sur blindé ne déplore qu’environ 20 pour 100 des pertes subies
Pour elle, la coopération infanterie-blindés demeure deux batailles par l’infanterie à pied9.
distinctes. Les fantassins doivent utiliser au mieux le terrain et se fier
à leurs propres armes. Ils ne peuvent compter sur les chars. La façon La Première Armée canadienne et son supérieur, le 21e Groupe
dont ces éléments s’articulent reste plutôt nébuleuse. The Infantry d’armées, sont emballés par le Kangaroo. Au Canada comme en
Division in the Attack rapporte qu’il existe plus d’une solution, Grande-Bretagne, des régiments de transport de troupes blindé faisant
mais qu’aucune n’est entièrement satisfaisante. L’infanterie se doit appel à des chars et des canons automoteurs sans tourelle voient
simplement d’être « entreprenante »7. le jour au sein du parc de « curieux véhicules » de la 79e Division
blindée de Percy Hobart. Ces TTB sont trop complexes et trop rares
Une innovation voit le jour au cours de la campagne du désert pour être remis directement à l’infanterie. S’il est possible de gérer
occidental : les Jock Columns du brigadier J.M. « Jock » Campbell, les véhicules de transport administratifs au niveau divisionnaire, il
qui réunissent un bataillon d’infanterie motorisée avec son peloton en va autrement des véhicules de combat. À qui, du régiment de
antichar, un parc de voitures blindées pour faire écran et une batterie TTB ou de l’infanterie, faut-il confier la responsabilité de ces véhi-
de canons de campagne tractés, le tout formant une force mobile cules? La 79e Division blindée soutient que les TTB rappellent les
qui est fréquemment utilisée pour mener des attaques d’infanterie et engins de débarquement et que le commandement doit être confié
excelle contre un ennemi en infériorité numérique, mais non contre au commandant de l’unité de TTB tant que les troupes se trouvent
une résistance musclée. En octobre 1942, l’Armée britannique à bord. Montgomery se range du côté de l’infanterie, mais le débat
organise un colloque à la School of Infantry en vue de parvenir à reste ouvert. En effet, des problèmes tactiques sont susceptibles de
un consensus sur l’utilisation autonome des véhicules de transport. survenir si des TTB, prêtés par la division à un bataillon d’infante-
Les délégués concluent que ceux-ci ne sont utiles que comme écrans rie, arrivent en retard ou qu’un conflit éclate avec le commandant
de protection et flancs-gardes8. d’infanterie. Les Kangaroo intègrent néanmoins à merveille le
principe de protection de l’infanterie, mais témoignent également
Les Canadiens qui se préparent au combat n’ont donc pas des désavantages d’employer des véhicules qui ne font pas partie
grand-chose à se mettre sous la dent en matière de doctrine des for- intégrante de l’unité de combat10.
mations interarmes. L’infanterie et les chars combattront ensemble,
mais séparément. L’infanterie possède d’ailleurs quelques véhicules D’autres troupes canadiennes testent divers véhicules de
et s’en est servie en combat avec brio dans certaines conditions. combat d’infanterie improvisés. L’utilisation de chars Honey
La seule chose dont on ne peut douter, c’est que la chenillette (Stuart) sans tourelle par la troupe de reconnaissance du régi-
porte-Bren « n’est pas un char d’assaut ». ment Lord Strathcona’s Horse (Royal Canadians) lors de l’assaut
de la rivière Melfa en est un brillant exemple. Le major-géné-
L’apprentissage par l’expérience ral Bert Hoffmeister, commandant de la 5e division canadienne
(blindée), s’est mis en tête qu’une attaque conventionnelle par des

L ’Armée canadienne, qui a hérité de la doctrine défaillante


de l’Armée britannique, n’a d’autre choix que d’improviser
pendant les combats. Le Canada explore alors deux voies de
troupes d’infanterie couvertes par un barrage d’artillerie ne pourrait
fonctionner, car la poussière et la fumée réduiraient la visibilité
et trahiraient la position des troupes canadiennes. Il laisse donc
mécanisation de l’infanterie : une infanterie à pied couplée à des au brigadier J.D.B. Smith, commandant de la 5e brigade blindée
taxis de combat, et une infanterie embarquée sur un véhicule de canadienne, et au lieutenant-colonel Paddy Griffin, commandant
combat. Les deux modèles connaissent un certain succès. du Lord Strathcona’s Horse, le soin de concevoir un plan. Smith
et Griffin jettent leur dévolu sur un point de franchissement qu’ils

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L’HISTOIRE
jugent moins bien défendu que les ponts et enjoignent au lieute- cette force, qui ne pourrait être que très mobile, serait
nant Edward Perkins, commandant de la troupe de reconnaissance, composée de Sherman, de M-10, de Stuart, de voitures
de s’en saisir. La troupe compte onze chars Honey équipés de tronquées et blindées et peut-être même de véhicules de
mitrailleuses de calibre .50. L’équipage de cinq hommes trans- transport. À leur bord se trouveraient des troupes d’in-
porte également une mitrailleuse Browning de calibre .30, quatre fanterie spécialement entraînées. Ces hommes, robustes,
mitraillettes Thompson et une arme antichar PIAT. La traversée seraient armés de fusils automatiques, de grenades (…) de
organisée par Perkins se déroule sans anicroche grâce aux véhicules « bombes collantes » et d’une petite quantité de matériel
de transport qu’il a utilisés de façon intégrée au lieu de les reléguer du génie (pour démolir les routes). Cette force d’assaut
à un rôle de transport. Des problèmes subsistent néanmoins. Certes, serait prête à faire face à n’importe quelle opposition, que
les PIAT parviennent à tenir en échec les blindés allemands, mais l’on parle d’infanterie ou de chars12 [TCO].
une arme plus lourde ne serait pas superflue. Perkins constate que
pour rejoindre les chars des British Columbia Dragoons chargés Au terme de la guerre, le 1st Canadian Armoured
de soutenir ses troupes, il doit traverser lui-même la rivière, car les Personnel Carrier Regiment, la 79e Division dont il relève et le
Sherman des Dragoons ne sont pas aussi mobiles que les Honey Lake Superior Regiment (Motor) dressent un compte rendu de leur
et sont incapables d’effectuer la traversée. Le corps d’infanterie expérience des transports d’infanterie et émettent des recommanda-
principal, le Westminster Regiment, un bataillon motorisé, arrive en tions pour l’avenir. Le 1st Regiment souhaite que le futur TTB soit
retard parce qu’il manque également de mobilité et doit emprunter couvert et muni d’une rampe de débarquement arrière. Une tourelle
un autre itinéraire. L’opération, quoique de petite envergure, révèle protégerait l’artilleur et le véhicule serait doté de mitrailleuses de
qu’une équipe dotée d’un véhicule suffisamment blindé, intégré à calibre .30 et .50. La 79e Division, quant à elle, veut un véhicule
son plan tactique, peut accomplir de grandes choses. Perkins se voit blindé léger de transport amphibie également muni de roues pour les
décerner l’Ordre du service distingué et on lui demande de préparer mouvements routiers. Elle recommande que les unités d’infanterie
un compte rendu de bataille sous forme d’une dépêche qui servira qui utilisent ces véhicules en soient propriétaires, mais maintient
à l’instruction des troupes11. que le commandement doit être confié au commandant de l’unité de
TTB tant que les troupes se trouvent à bord, une position en droite
D’autres troupes canadiennes déployées en Italie parviennent ligne avec le modèle du taxi de combat.
aux mêmes conclusions : l’infanterie doit disposer de véhicules de
combat et les unités d’infanterie et de blindés doivent être mieux Le Lake Superior Regiment (Motor), pour sa part, préconise
intégrées. Après une série de batailles coûteuses, le chroniqueur plutôt l’utilisation de véhicules de combat d’infanterie. Dans son
du Three Rivers Regiment propose qu’une force d’assaut spéciale compte rendu d’expérience de guerre, on peut lire :
soit créée :
Rien n’empêche
d’utiliser le transporteur
comme un char léger,
particulièrement contre
une résistance désor-
ganisée. L’expérience
a été tentée à plusieurs
reprises, avec de bons
résultats. Un fantassin
attaquant au sol ne
pose aucun problème
pour l’infanterie dissi-
mulée et protégée dans
une tranchée, mais ce
même fantassin a
très peu de chances
contre un véhicule de
transport. Quand bien
même on effectuerait
un tir a priori à pleine
puissance avec une
mitrailleuse Browning
de calibre .50 ou .30,
JuistLand/Alamy Stock Photo

si les véhicules de
transport sont pro-
tégés par d’autres
véhicules, seules des
armes antichars et des
mines pourront freiner
leur progression.
Char d’assaut Sherman III de l’Armée canadienne après l’invasion et la libération de la Sicile en 1943.

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Le Lake Superior Regiment (Motor) rapporte le cas d’une d’élaborer un concept d’opération pour la guerre nucléaire. Au vu
opération de nettoyage qui s’est déroulée dans un village et où le des effectifs respectifs de l’Organisation du Traité de l’Atlantique
peloton d’éclaireurs s’est servi de toute sa puissance de feu pour Nord (OTAN) et des pays du pacte de Varsovie, les tacticiens cana-
couvrir l’infanterie. L’officier allemand qui s’était fait prisonnier diens présument que l’OTAN n’aura d’autre choix que de recourir
se disait impressionné par cette puissance de feu et affirmait qu’il aux armes nucléaires tactiques. Il en résulterait alors un « combat
ne se serait pas rendu s’il en avait soupçonner toute l’ampleur13. de chiens d’une grande fluidité », car chaque côté chercherait à
repérer et à attaquer les cibles nucléaires ennemies tout en évitant
Au terme de la guerre, le taxi de combat et le véhicule de de se masser trop longtemps pour devenir lui-même une cible. Or,
combat d’infanterie comptent tous deux des adeptes, selon leur ce concept nécessite que l’Armée canadienne soit entièrement méca-
expérience respective de la guerre. Les grandes lignes du concept nisée et structurée en groupements tactiques toutes armes pas plus
de taxi de combat moderne sont en place, tout comme celui, étayé gros que ce qu’elle peut se permettre de perdre en une seule frappe
par l’expérience des batailles, d’un véhicule de combat d’infanterie. nucléaire. Non seulement l’infanterie, mais aussi l’artillerie, l’appui
Or, aucun de ces concepts ne trouvera d’application directe dans tactique et le service soutien devront être embarqués17.
l’après-guerre.
Le CEMG qui succédera à Simonds, le lieutenant-
Le développement des forces mécanisées général Howard Graham, approuve l’exercice GOLD RUSH en tant
que « concept » seulement, mais non en tant que doctrine. Il souhaite

A u début de la période d’après-guerre, la demande en matière


d’infanterie mécanisée – en infanterie tout court, en fait –
est inexistante. Le gouvernement de Mackenzie King sabre les
plutôt amener l’Armée canadienne vers la toute nouvelle voie de
la mobilité aérienne totale. Il s’ensuit une période de confusion
doctrinale qui durera trois ans, au cours desquels les tacticiens en
effectifs de l’Armée canadienne, qui se voit réduite à quelque structure des forces et en équipement n’auront aucune ligne direc-
15 500 hommes sur les 500 000 qu’elle comptait jusque-là. La trice pour les guider. Parmi les exposés du Collège d’état-major de
possibilité que l’Union soviétique prenne pied dans le Nord pour 1957, les opinions divergent sur l’épaisseur du blindage requise et le
y installer des bases aériennes avancées nécessaires à ses forces rôle – transport ou assaut – de ces véhicules. Ce n’est qu’en août 1958
de bombardement de portée réduite représente la seule menace qu’émerge enfin un consensus, avec la présentation d’un concept
immédiate à l’horizon. L’Armée canadienne réagit en mettant sur de guerre de l’avenir approuvé à la troisième conférence tripartite
pied la Force de frappe mobile, qui est alors composée d’un seul sur l’infanterie qui réunit les États-Unis, la Grande-Bretagne et le
bataillon aéroporté, mais finira par en compter trois. À cause des Canada. Le concept en question, érigé au rang de doctrine en 1960,
limites de la flotte de transport de l’Aviation royale canadienne, mise sur « l’attaque et l’évasion », une version élaborée du « combat
la Force de frappe mobile n’a ni véhicule blindé léger ni véhicule de chiens » de l’exercice GOLD RUSH. L’infanterie aurait alors
de transport d’infanterie, uniquement des autoneiges. L’aviation besoin d’un degré de mobilité et d’une puissance de frappe encore
soviétique finit par réaliser des progrès et parvient à atteindre inégalés. Ses véhicules devraient être amphibies et aérotransportables.
des cibles nord-américaines d’un seul coup, ce qui signe la fin Elle aurait pour élément principal un groupement de combat toutes
de la Force de frappe mobile14. armes de la taille d’une compagnie, capable d’autonomie et apte à
manœuvrer dans une zone de trois à quatre mille yards. Les véhi-
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le Canada est cules d’infanterie feraient partie intégrante des unités et serviraient
convaincu de la supériorité de sa doctrine, qui nécessite au plus seulement de taxis de combat, de moyens de transport protégé. Des
de légers rajustements, et se trouve plus riche d’une abondance de chars ouvriraient la voie aux TTB, qui seraient protégés par les armes
surplus, dont 1 300 porteurs universels. Il ne songe à les remplacer d’appui de l’artillerie et de l’infanterie. Il ne fallait pas exposer ces
qu’en 1951 et parvient à un concept fini en mars 1952. Le XA-20, véhicules à des risques inutiles, mais ils étaient aussi censés servir
un véhicule découvert de 6 350 à 6 800 kilogrammes, d’une capacité d’armes de choc, dans un assaut combiné avec les chars « d’une
de chargement de 1 360 kilogrammes, est conçu pour transporter extrême violence »18.
cinq hommes, conducteur y compris, et n’est muni que d’un très
léger blindage15. Selon l’énoncé des besoins approuvé par le lieute- Le concept d’attaque et d’évasion et celui de TTB en tant que taxi
nant-général Simonds, chef d’état-major général (CEMG), à la fin de combat deviennent alors la nouvelle orthodoxie, et ce, sans même
de l’année 1953, « ce véhicule a pour principale fonction d’assurer que l’Armée canadienne ait analysé la faisabilité de cette tactique
le transport rapide des armes collectives en terrain accidenté tout ou la viabilité d’autres types de véhicules. L’Armée part simplement
en protégeant l’équipage contre les munitions de petit calibre et les du principe que le taxi de combat peut être utilisé comme un char
éclats de mortier ». Autrement dit, l’Armée canadienne est revenue léger, même si les concepts et la doctrine démentent cette thèse.
au point de départ, reprenant la doctrine d’avant-guerre de l’Armée
britannique sans même se poser la question : taxi de combat ou L’adoption de cette nouvelle doctrine, même sous la forme de
véhicule de combat d’infanterie16? « concept », signifie que le projet de véhicules XA-20 ne répond pas
au besoin d’un TTB destiné au transport d’infanterie, mais pouvant
Toutefois, l’avènement des armes nucléaires tactiques vient également servir au transport de n’importe quelle unité de combat et
vite remettre en cause ce retour à un passé connu et rassurant. La d’armes d’appui au combat. En avril 1956, alors que le prototype du
cible formée par la longue queue logistique d’une armée classique XA-20 est presque achevé, le projet est annulé et transformé en vue
préoccupe Simonds, qui lance alors l’exercice Gold Rush en vue de produire plutôt une chenillette légère conçue pour le transport
de trouver une solution. Simonds se dit qu’on pourrait remplacer de n’importe quelle formation. Comme le XA-20, ce véhicule que
bon nombre de camions par des avions capables de décoller et l’on nommera Bobcat doit être amphibie et aérotransportable, même
d’atterrir sur de courtes distances. Cette piste de solution ne donne si les raisons justifiant ces exigences restent obscures. La Force de
aucun résultat probant, mais l’exercice Gold Rush permet cependant frappe mobile n’avait visiblement que faire de TTB et d’après l’exer-

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L’HISTOIRE
cice GOLD RUSH, seuls des systèmes d’arme très légers auraient En l’état, ce qu’on demande, c’est un autre char; un char
besoin d’un transport aérien. Son caractère amphibie serait certes capable de transporter plus d’hommes, mais doté d’une
utile dans certaines circonstances, mais à moins que les chars à ses puissance de feu moindre. Ce me semble être un concept
côtés puissent également se déplacer dans l’eau, il pourrait bien se fallacieux, car en utilisant des VCIB [des véhicules de
retrouver du mauvais côté d’un obstacle, seul avec son blindage et combat d’infanterie blindés], nous risquerions la vie de
son armement légers. dix ou onze hommes pour effectuer une tâche moins effi-
cacement que ne pourraient le faire trois à cinq hommes
Or, la capacité industrielle du pays – et peut-être même des à bord d’un char [TCO].
meilleurs ateliers de l’époque – ne peut répondre à ce besoin exigeant
et à l’ambition de l’Armée de faire construire au Canada un véhicule James Tedlie résume ainsi avec justesse la position de l’Armée
encore inédit. Après avoir manqué à plusieurs reprises de satisfaire canadienne, mais s’appuie pour ce faire sur une opinion plutôt que
aux exigences, après être passé entre les mains de différentes firmes, sur des essais ou des expérimentations20.
le projet du Bobcat est finalement annulé en novembre 1963. Pour le
remplacer, l’Armée canadienne choisit le véhicule de transport M-113 L’Armée canadienne finit par réaliser un examen général de sa
de l’Armée américaine, qui deviendra le taxi de combat par excellence doctrine et de la structure de ses forces au début des années 1960.
de l’OTAN, et porte son choix sur l’obusier M-109 comme canon Le chef d’état-major général, le lieutenant-général Geoffroy Walsh,
automoteur, car aucun châssis alors en production ne peut servir à commande la tenue d’une série de jeux de guerre afin de déterminer
la fois de TTB et de plate-forme de tir19. l’efficacité de la doctrine « attaque et évasion » de l’Armée. Les
résultats de ces jeux, les Iron Crown, n’ont rien d’encourageant et
En 1960, alors que le projet du Bobcat est en cours, le Canada poussent Walsh à mettre sur pied l’Army Doctrine and Organization
est invité à se joindre à un groupe de travail de l’OTAN afin de conce- Board (ATOB) sous la direction du major-général Roger Rowley.
voir un TTB. Il accepte l’invitation, mais sans grand enthousiasme, L’ATOB réalise toute une série d’études et d’essais sur le terrain
proposant d’abord le ministère de la Production de la défense, et qui infirment la doctrine « attaque et évasion » et lui substituent
non la Défense nationale, en tant que représentant. Les pays du une défense plus statique derrière des obstacles majeurs. Dans ses
FINABEL (soit la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, le études, l’ATOB ne revient toutefois pas sur la question des TTB, car
Luxembourg et l’« Allemagne », alors nommée République fédérale le Bobcat est alors considéré comme le véhicule de l’avenir. Rowley
d’Allemagne) adoptent un concept de véhicule de combat d’in- conclut qu’une intégration beaucoup plus étroite de l’infanterie et
fanterie selon lequel la France et l’Allemagne mettront en service des blindés est nécessaire. Il souhaite étudier la fusion de ces deux
des véhicules lourdement blindés et armés, destinés à travailler en branches dans ce qu’il appelle une structure de panzergrenadier.
étroite collaboration avec les chars. Ce concept entre clairement en Walsh lui oppose un refus pur et net21. Le concept de taxi de combat
conflit avec celui du Bobcat et le modèle de taxi de combat, aussi est maintenant bien installé dans l’Armée canadienne.
le Canada rejette-t-il les standards de l’OTAN à mesure que celui-ci
les propose. Le colonel James Tedlie, directeur du développement La révolution du BMP
des méthodes de combat, conteste la nécessité d’un blindage lourd
pour qu’un véhicule d’infanterie puisse fonctionner en tandem avec
des chars. Il écrit : À peine l’Armée canadienne22 a-t-elle décidé de sa doctrine
que l’environnement commence à changer. Ce chan-
gement s’accélère avec
l’avènement du BMP-1
de l’Armée rouge en
1967. Cette version
nettement améliorée
du véhicule de combat
d’infanterie (VCI) est
capable de transporter
une section d’infanterie
entière, elle est amphi-
bie, mais surtout, elle est
équipée d’un canon de
73 mm dont les projec-
tiles perforants peuvent
percer le blindage des
chars de combat prin-
cipaux de l’OTAN. Sur
V i k t o r K a r a s ev / A l a m y S t o c k P h o t o

le plan tactique, cela


implique qu’un bataillon
de défense de l’OTAN
confronté à une force
soviétique de cinquante
chars et VCI vulné-
rables à une distance
de 2 000 mètres aurait
Véhicule de combat d’infanterie russe BMP-2 au Orr’s Hill Army Museum, à Trincomalee, au Sri Lanka. moins de cinq minutes

Revue militaire canadienne • Vol. 22, n o 1, hiver 2021 19


de gros calibre pourrait
être ajouté au peloton
antiblindé du bataillon25.
Si l’équipe chargée de
l’étude sur l’infanterie
juge que la proposition
du Collège d’état-major
« suscite la réflexion »,
elle adopte néanmoins
l’approche privilégiée
par le 4e Groupe-brigade
mécanisé du Canada.
Par conséquent, l’Ar-
d p a p i c t u r e a l l i a n c e a r c h i ve / A l a m y S t o c k P h o t o

mée canadienne passera


plus de dix ans à mettre
en place une structure
de force faisant appel à
deux véhicules uniques
en leur genre : un taxi de
combat amélioré capable
de transporter une section
d’infanterie complète,
mais également muni
d’une arme de 25 mm,
er e
Des soldats du 1 Bataillon du 68 Régiment blindé patrouillent à bord d’un véhicule de combat d’infanterie M2 Bradley
ainsi qu’un chasseur de
près de Bakouba, en Irak, en mai 2006. chars. Les jeux de guerre
démontrent que la force
à sa disposition pour neutraliser l’attaque et devrait détruire les conçue dans le cadre de l’étude sur les systèmes de l’Armée cana-
véhicules ennemis au rythme de dix par minute23. dienne pourrait se défendre contre une force de style soviétique,
mais le projet consistant à développer deux véhicules uniques et à
Le BMP-1 ne s’illustre pas particulièrement pendant la guerre les intégrer à la structure désirée, en corps d’armée, est irréaliste,
israélo-arabe du Kippour de 1973, mais au lieu de délaisser ce modèle pour ne pas dire pharaonique26.
de VCI, les Soviétiques et les Américains intensifient tous deux les
travaux de développement et aboutissent au BMP-2, pour les pre- L’avènement du véhicule blindé léger
miers, et au Bradley, pour les seconds. L’Armée canadienne relance
sa capacité de développement des méthodes de combat et commence
à se pencher sur le problème. En 1977, BRONZE RAMPART, le L e comité de développement des méthodes de combat de
l’Armée canadienne ne démord pas du concept à deux véhi-
premier grand jeu de guerre, l’amène à conclure que le groupe-brigade cules, même après que le gouvernement conservateur abandonne
du Canada en Europe ne pourrait déplacer ses éléments d’infanterie son projet de division lourde en Europe et décide de rééquiper
ou ses éléments antichars contre les forces soviétiques modernes. son armée en véhicules blindés légers. L’option des VCI a été
D’après un commentaire du lieutenant-colonel W.E.J. Hutchinson, rejetée sans appel, mais il s’avère irréaliste de séparer le véhi-
alors commandant des forces canadiennes, « la question la plus cule de transport de troupes et le véhicule armé (dit « véhicule
dérangeante » est de savoir : « Quel rôle l’infanterie joue-t-elle sur de tir d’appui direct »), car celui-ci ne peut être confiné à un
un champ de bataille de blindés? » Équipée du M-113, l’infanterie rôle anti-BMP. Dès qu’il commence à tirer, les chars ennemis
est devenue « une nuisance, si ce n’est une charge ». Le fait est que engagent à leur tour le feu et avec son blindage léger, les pertes
le M-113 manque de puissance de feu et de blindage pour pouvoir sont immenses27. Le projet de véhicule blindé léger (VBL)
se frotter au BMP. Hutchinson doit détourner des chars, des armes passera par plusieurs versions en raison de conflits entourant la
antichars et des ressources aériennes de leur usage premier pour doctrine et de réductions budgétaires avant qu’une force externe,
récupérer son infanterie; en effet, s’il l’abandonnait là, les hommes la politique industrielle, le rattrape finalement.
seraient peu enclins à retourner au combat24.
L’Armée canadienne possède des véhicules blindés sur roues
Au vu des résultats de BRONZE RAMPART, l’Armée cana- depuis 1977, c’est-à-dire depuis l’achat d’un véhicule blindé poly-
dienne lance une étude sur l’infanterie qui donnera lieu à deux valent comme véhicule d’entraînement. Cette acquisition aboutit à
grands rapports de l’état-major. Le Collège d’état-major préconise la mise sur pied d’une capacité de fabrication de véhicules blindés
de rééquiper des VCI avec un canon de 20 à 30 mm et d’en modifier légers au Canada, à l’usine de GM Diesel (rebaptisé plus tard
la disposition en conséquence. En Allemagne, le 4e Groupe-brigade General Dynamics) de London, en Ontario. L’achat d’un autre blindé
mécanisé du Canada voit les choses autrement. Il maintient que léger est effectué en 1990 en réponse aux besoins d’entraînement
l’infanterie doit être à pied et combattre à partir des retranchements, de la Milice au pays. L’Armée aurait préféré faire l’acquisition du
et préconise l’utilisation d’un « véhicule de combat d’infanterie M-113 pour que la Milice puisse s’entraîner avec le même véhicule
canadien » qui peut être enfoui dans le sol et transporter les matériaux que celui en usage en Europe, mais le VBL de GM Diesel peut être
pour les abris. Pour augmenter la puissance de feu de l’infanterie, configuré comme le M-113 et la société offre un financement à des
un « chasseur de chars » muni d’un blindage lourd et d’une arme conditions avantageuses tout en menaçant de fermer son usine si

20 Revue militaire canadienne • Vol. 22, n o 1, hiver 2021


L’HISTOIRE
elle n’obtient pas une commande. Cette commande enfin passée, l’on pourrait véritablement qualifier de VCI. Selon le devis, ce
la société remporte une autre commande du US Marine Corps, le véhicule pourrait transporter moins d’une section d’infanterie
LAV-25, semblable au modèle commandé pour la Milice, mais équipé complète, mais il devra être suffisamment mobile et protégé
d’une mitrailleuse à chaîne de 25 mm. L’Armée canadienne fait pour manœuvrer avec les chars30. Toutefois, l’évaluation des
ensuite l’acquisition du Coyote, inspiré du LAV-25, pour répondre candidats comporte des lacunes et accuse du retard. Les hauts
à ses besoins en matière de reconnaissance. Enfin, en 1995, le gou- placés de l’Armée canadienne eux-mêmes semblent en faire
vernement conservateur de Jean Chrétien annonce qu’il rééquipera peu de cas. Le projet est annulé en décembre 2013 lorsque le
tout le parc de véhicules de l’Armée canadienne avec la dernière chef d’état-major de la défense et le commandant de l’Armée
version du VBL, le VBL III. Cette version répond aux standards de canadienne annoncent que le VBL III a été si bien amélioré que
mobilité de l’OTAN, égale le rendement hors route du VCI Bradley l’Armée n’a plus besoin du VCR31.
de l’Armée américaine à 95 % et est capable de transporter 3,5 tonnes
de blindage ou de matériel de plus que le Coyote28. Conclusion

C’est ainsi qu’une suite de décisions dictées par la politique


industrielle et les restrictions budgétaires de l’Armée donne naissance
à un véhicule que d’aucuns considèrent sans doute comme un VCI.
P endant plus de soixante-dix ans, l’institution de l’Armée
canadienne est restée fidèle à la conviction que lui avait
transmise l’Armée britannique, à savoir que l’infanterie doit se
Muni d’une mitrailleuse à chaîne de 25 mm, il peut transporter six rendre au combat à pied et que sa place est dans les tranchées.
ou sept fantassins en plus de son équipage de trois hommes. Il est Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’innovation est née de la
aérotransportable, mais trop lourd pour être amphibie. Des jeux nécessité et l’afflux de réservistes de la Milice est venu rompre
de guerre ont lieu en 1999, des essais sur le terrain sont réalisés avec la tradition. Cette expérience de guerre plaidait en faveur de
en 2001 et la doctrine tactique de compagnie est mise au point en la supériorité du modèle du véhicule de combat d’infanterie et a
2003. L’industrie et l’équipement ont été plus rapides que la doctrine. conduit à une meilleure intégration de l’infanterie et des blindés,
L’Armée canadienne a fait l’acquisition d’un quasi-VCI sans jamais mais l’Armée n’avait pas les moyens institutionnels nécessaires
statuer sur sa position relative au rôle de l’infanterie dans le combat pour diffuser les leçons apprises.
mécanisé. Certes, ce n’est « pas un char », mais le VBL devrait être
en mesure d’abattre les BMP ennemis et sa mitrailleuse fera partie L’Armée de l’après-guerre a eu tôt fait d’oublier et n’a d’abord
intégrante de la section d’infanterie29. cherché rien de plus qu’une chenillette porte-Bren améliorée.
L’arrivée de la guerre nucléaire tactique l’a obligée à accepter le
Dénouement : le véhicule de combat rapproché concept de taxi de combat, mais elle en a ensuite fait un dogme, sans
jamais remettre en question sa décision par des essais sur le terrain

L e débat opposant taxi de combat et VCI prend fin en juillet 2009


avec la décision du gouvernement de rééquiper l’Armée
en chars, renversant ainsi la politique de maintien d’une force
ou même des jeux de guerre. Avec l’avènement du BMP, les jeux de
guerre ont démontré une fois pour toutes que le concept de taxi de
combat était lettre morte. L’Armée canadienne s’y est néanmoins
légèrement blindée motivée par des considérations politiques. Peu accrochée, même si son concept nécessitait des véhicules inédits, qui
après, le ministère de la Défense nationale annonce qu’il compte n’existaient dans aucune autre armée. Finalement, l’acquisition d’un
faire l’acquisition d’un véhicule de combat rapproché (VCR) que quasi-véhicule de combat d’infanterie, le VBL III, est davantage le
produit des besoins étran-
gers et de la politique
industrielle canadienne
que le résultat d’un choix
de doctrine délibéré. La
doctrine n’est venue que
bien plus tard.

Le débat entre taxi


de combat et véhicule
de combat d’infanterie
illustre bien le pouvoir de
P h o t o d u M D N p a r l e c a p o r a l T i n a G i l l i e s / A R 2 011- 014 2 - 0 2 0

la ligne de pensée toute


tracée de l’Armée cana-
dienne et les répercussions
des décisions prises autre-
fois dans un pays lointain
sur celles d’aujourd’hui.

Le VBL III à l’œuvre dans le district de Panjawii, dans la province de Kandahar, en Afghanistan, le 8 mai 2011.

Revue militaire canadienne • Vol. 22, n o 1, hiver 2021 21


NOTES
1 Cité dans Richard Simpkin, Mechanized Infantry, 12 « 12th Canadian Armoured Regiment (TRR) War Hutchinson » (en italique dans le texte original),
Oxford, Brassey’s Publishers Limited, 1980, p. 13. Diary », juillet 1944, BAC, RG 24, vol. 12744. BAC, RG 24, dossier CFBV 3189–3-12, vol. 1.
2 Ibid., p. 20. 13 Lake Superior Regiment (Motor), « General Report Pour accès à l’information : A201100004_2011-
3 J. P. Harris, Men, Ideas and Tanks: British on the Motor Battalion – France, Belgium and 06-14_13-40-52.pdf.
Military Thought and Armoured Forces, 1903- Holland, 30 June 1944 to 31 December 1944 », 25 « The Canadian Infantry », annexe G du
1939, Manchester, Manchester University Press, s.d., DHP, collection Kardex 145.2L1013(D1). document 3189–2 (IST) [compte rendu de la
1995, pp 225-227 et p.208. 14 Sean M. Maloney, « The Mobile Striking Force deuxième réunion de l’équipe chargée de
4 War Office de Grande-Bretagne, Modern and Continental Defence, 1948–1955 », Canadian l’étude sur l’infanterie canadienne, du 26 au
Formations, 1931, Provisional, Londres, HMSO, Military History, vol. 2, no 2, article 10 (1993). 29 septembre 1977], 14 octobre 1977, DHP,
1931, pp. 11-13, ministère de la Défense nationale, <http://scholars.wlu.ca/cmh/vol2/iss2/10>. RG 81/38; « 4 CMBG Concept Paper, The Role
Direction de l’histoire et du patrimoine (DHP), 15 « Brig. A.E. Wrinch. DGQMG(D&D) to DRB of Mechanized Infantry in the 1986–95 Period »,
groupe d’archives (RG) 87/134; Harris, op. cit., (Attn: Col. G.M. Currie, Canadian Carrier) », annexe F du document 3189–2 (IST) [compte
p. 280-282. 27 décembre 1952, BAC, RG 24, 7116 Carriers/4, rendu de la deuxième réunion de l’équipe char-
5 Cité dans David Fletcher, Universal Carrier, vol. 1. gée de l’étude sur l’infanterie canadienne, du 26
1936-48: The “Bren Gun Carrier” Story, Botley 16 « LGen. G.G. Simonds, CGS, to Minister, Infantry au 29 septembre 1977], 14 octobre 1977, DHP,
(Grande-Bretagne), Osprey, 2005, p. 14; voir aussi Carrier Project », 17 octobre 1953, BAC, RG 24, 7116 RG 81/38.
« Some Lessons Learned of Recent Operations », Carriers/4, vol. 1. 26 « Land Force Combat Development Study LFCDS
s.d., Bibliothèque et Archives Canada (BAC), 17 « Exercise “GOLD-RUSH,” vol. 1, The Tactical 77–8-1, The Canadian Infantry: 1986–1995 »,
RG 24, vol. 10751, anciennement à la DHP, col- Concept », s.d. [juin1955? mentionné au Conseil 1er mars 1978, DHP, RG 81/46; « Land Force
lection Kardex 220C1.009 (D25); War Office de de l’Armée le 28 juin 1955], DHP, RG 73/1299. Combat System Study for the Period 1986–96 »,
Grande-Bretagne, The Infantry (Rifle) Battalion, 18 « Canadian Army Statement of Position, Third 22 septembre 1981, DHP, RG 82/6.
Part 2: The Carrier Platoon, Military Training Tripartite Infantry Conference, 1958 », août 1958, 27 « Discussion of Certain Technical Aspects of
Pamphlet No. 39, Londres, War Office, 1941, p. 8, BAC R112, vol. 35568, dossier S-1200-E4-2, Light Armoured Vehicle SOR », 9 mars 1989,
réimprimé au Canada, DHP, RG 77/129, mai 1941. pt 9; « The Infantry Battalion in Battle (APC’s) BAC, RG 24, ACC 2004–00510–6, boîte 44, dos-
6 War Office de la Grande-Bretagne, Infantry 1959 (Provisional) », CAMT 7-84, Quartier sier 32065–100–003; « 5 Project L2065 Light
Training, Part 5: The Carrier Platoon, Military général de l’Armée canadienne, mai 1959, DHP, Armoured Vehicles, Statement of Requirements »,
Training Pamphlet (s.n.), Londres, War Office, collection Kardex 145 036(D1). s.d., BAC, RG 24, ACC 2004–00510–6, boîte 44,
1943, p. 15, DHP, RG 93/62. 19 Un compte rendu plus fouillé du projet du Bobcat dossier 32056–100–003.
7 War Office de Grande-Bretagne, Notes on Tactics se trouve dans l’ouvrage de Peter Kasurak : 28 Kasurak, op. cit., pp. 178-189.
as Affected by the Reorganization of the Infantry Canada’s Mechanized Infantry: The Evolution of 29 Canada, ministère de la Défense nationale, Force
Division, Army Training Instruction No. 1, a Combat Arm, 1920-2012, Vancouver et Toronto, terrestre – Tactiques de la compagnie de VBL (ver-
Londres, War Office, 1941, p. 3, DHP, RG 86/436; UBC Press, 2020, pp. 87-109. sion provisoire), B-GL-321–007/FP-002, 2003,
War Office de Grande-Bretagne, The Infantry 20 « Col. James Tedlie, Director of Combat p. 1. <https://archive.org/details/B-GL-321-007_
Division in the Attack, Part 9, 1941, Military Development to DEP, Proposed NBMR for AIFV LAV_Company_Tactics_Interim_2003> [lien en
Training Pamphlet No. 23, Londres, War Office, and ATV Long Term », 28 juin 1962, BAC, RG 24, anglais].
1941, pp. 16-17 et 20-21, DHP, RG 90/38. vol. 35589, dossier 1325-6-AC/176, pt. 1. 30 Ministère de la Défense nationale,
8 Army Tactics and Organization Board, « Report 21 Kasurak, op. cit., pp. 78-83. « Documentation – Véhicule de combat rap-
on 1964 Activities », annexe P du chapitre 3, 22 Dans cet article, les forces terrestres sont désignées proché », le 6 septembre 2012. [Récupéré le
« British and Canadian Unit Reconnaissance », par la dénomination « Armée canadienne » même 20 novembre 2017] <https://web.archive.org/
octobre 1964, BAC, RG 24, vol. 19836. si celle-ci a disparu en 1964 avec l’intégration des web/20130531223423/http://forces.gc.ca/site/
9 Kenneth R. Ramsden, The Canadian Kangaroos forces armées et n’est rentrée officiellement en news-nouvelles/news-nouvelles-fra.asp?id=4220>.
in World War II, Cavan (Ontario), Ramsden- usage qu’en 2011. Entre-temps, le commandement 31 Ministère de la Défense nationale, « Déclaration –
Cavan, 1998, pp. 1-3; « Brig. C.C. Mann, Chief des forces mobiles est confié au commandant Le chef d’état-major de la Défense et le
of Staff to LGen. H.D.G. Crerar, COCinC, First supérieur des forces terrestres (de 1965 à 1993) commandant de l’Armée émettent une déclaration
Cdn Army, Personnel Carrier Sqn, CAC », puis au chef d’état-major de l’Armée de terre (de conjointe au sujet de l’annulation du processus
26 août 1944, BAC, RG 24, vol. 10457. 1993 à 2011). d’acquisition des véhicules de combat rapproché »,
10 « Correspondence between First Canadian Army, 23 W. Blair Haworth Jr, The Bradley and How It le 20 décembre 2013. <https://web.archive.org/
1 British Corps, 30 British Corps and 21 Army Got That Way: Technology, Institutions, and the web/20131221015743/http://www.forces.gc.ca/fr/
Group HQ », du 24 février au 31 mars 1945, BAC, Problem of Mechanized Infantry in the United nouvelles/article.page?doc=le-chef-d-etat-major-
RG 24, vol. 10457; 1st Bn, Lake Superior Regiment States Army, Westport (Connecticut), Greenwood de-la-defense-et-le-commandant-de-l-armee-
(Motor), « War Diary », le 28 février 1945, BAC, Press, 1999, pp. 48-51. emettent-une-declaration-conjointe-au-sujet-de-
RG 24, vol. 15099. 24 « DLOR Staff Note 77/3, Presentation on Research l-annulation-du-processus-d-acquisition-des-
11 H.J. Perkins, « Crossing of the Melfa », War Game BRONZE RAMPART to the Defence vehicules-de-combat-rapproche/hpf8gsnx>.
Canadian Army Training Memorandum No. 43, Symposium 14 Jan 77 by Lieutenant-Colonel
octobre 1944. G.C.F. McQuaid and Lieutenant-Colonel W.E.J.

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