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Enfin l'été

Posted originally on the Archive of Our Own at http://archiveofourown.org/works/50825857.

Rating: Teen And Up Audiences


Archive Warning: Graphic Depictions Of Violence
Category: M/M
Fandoms: Sherlock Holmes - Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes & Related
Fandoms, Sherlock Holmes (1984 TV), The War of the Worlds - H. G.
Wells, Jeff Wayne's Musical Version of The War of the Worlds - Jeff
Wayne (Album)
Relationship: Sherlock Holmes/John Watson
Characters: Sherlock Holmes, John Watson, Gregson (Sherlock Holmes)
Additional Tags: There is slight crossover with other Victorian works, Martians, Alien
Invasion, Implied/Referenced Character Death, Angst with a Happy
Ending
Language: Français
Series: Part 15 of OS Sherlock Holmes
Stats: Published: 2023-10-14 Words: 5,086 Chapters: 1/1
Enfin l'été
by UndergroundWall

Summary

Aussi improbable que cela puisse paraître, malgré le fait qu'il n'y avait qu'un chance sur un
million pour que quoi que ce soit viennent de Mars...
Ce n'était pas impossible. Et Sherlock Holmes avait éliminé toutes les solutions impossibles.
Ne restait donc que l'improbable.
Ils viennent.

Notes

Pour la première fois, je vais essayer de faire des notes de bas de page. J'espère que ça va
marcher...
Pour une expérience complète, il faut peut-être connaitre un minimum les évènements de "La
Guerre des Mondes", mais lire le résumé sur Wikipédia pourra faire l'affaire. Je crains que je
n'en spoile la fin, par contre.
Je ne peux que recommander l'écoute de Jeff Wayne's musical version of War of the Worlds

See the end of the work for more notes


Le mois de juin était particulièrement chaud, mais je ne pouvais m'empêcher de ressentir un
vent frais qui glaçait mes épaules, comme un avant-goût de l'automne à venir. La matinée
était agréable, pourtant, et le soleil s'était déjà levé si l'on prenait la peine de prendre de la
hauteur. Pour le reste de la campagne, la nature dormait.

J'avais passé la nuit à guetter le ciel dans le jardin de l'un de mes voisins éloignés avec qui
j'avais le plus d'affinité. C'était un jeune infirme de guerre, et il avait, comme mon bon ami
Watson, une certaine passion pour l'écriture, si bien que lorsque le bon docteur était venu
nous rendre visite, à moi et mes abeilles, dans ma tranquille retraite, ils avaient sympathisé. Il
possédait une lunette astronomique qu'il installait parfois dans son jardin, les soirs ou le ciel
était clair.

La nuit précédente était idéale, et nous avions, comme tout un chacun, entendu parler par les
journaux des étranges effusions qui provenaient de la planète Mars qui était alors en
opposition1. C'étaient déjà un évènement assez rare, et si il y avait eu une opposition deux ans
plus tôt, au mois de mai 1905, nous devrions attendre à nouveau jusque 1922 pour profiter de
ce spectacle. Les explosions, quant à elles... Nous n'avons pu en profiter. Nous apprendrions
plus tard que nous avions observé le ciel lors de la douzième nuit, et que les Cylindres
n'avaient étés propulsé que pendant dix nuits d'affilée. Le premier des vaisseau s'était en fait
écrasé la nuit précédente dans la sablière de Horsell Common, mais nous l'ignorions tout à
fait. Nous étions trop loin pour apercevoir la deuxième ogive, que nous aurions probablement
confondu avec une étoile filante si nous n'avions pas eu les yeux rivés sur la planète rouge.

Monsieur Manders2 s'était couché dépité lorsque nous avons conclu que nous n'observerions
rien cette nuit-là, et je rentrais chez moi dans la pénombre du petit matin. Si je prenais mon
temps, j'arriverais tout juste pour saluer le facteur et récupérer mon journal. La vie loin de
Londres était bien moins sujet à nous presser, et j'en profitais pleinement.

Le vélo du facteur m'a dépassé dans une côte qui longeait un petit bois. Je l'ai vu s'arrêter
quelques mètres plus loin et se retourner pour m'attendre.

"Ah, m'sieur Holmes, belle matinée, hein?

-En effet!" J'aurais pu faire une remarque sarcastique sur ses capacités d'observation, mais
j'avais appris à mes dépends que si je voulais ne pas me mettre à dos la population d'East
Dean3 et me faire une mauvaise réputation jusqu'à Eastbourne et dans tous les South Downs,
je devais m'efforcer de rester courtois.
"Je suis content de vous voir, comme ça je peux vous expliquer en personne. Je n'ai que du
courrier local, aujourd'hui, il n'y a eu aucun train depuis Londres!

-Tiens? C'est étrange.

-Apparemment il y a eu un incident sur la ligne. Courrier en retard, pas de journal du jour.


Toutes mes excuses, M'sieur Holmes.

-Vous n'y pouvez rien, mon garçon."

Il haussa les épaules.

"J'ai discuté avec le chef de gare, même lui ne sait pas trop ce qu'il se passe, c'est un
mystère... On devrait vous demander, M'sieur Holmes, les mystères c'est votre truc!

-Il me faudrait plus d'éléments pour entamer un travail de déduction.

-Ah, ça... Pas grand chose. On en sait vraiment rien. Y'a bien des rumeurs comme quoi le truc
qui a atterri près de Woking a attaqué les gens autour et brûlé des maisons, mais à part ça..."

Je fronçais des sourcils. "Qu'est-ce qui a atterri à Woking?

-Un des trucs que les Martiens ont envoyé! C'était dans le journal d'hier soir, mais comme
vous ne prenez que celui du matin, vous z'avez pas du le lire.

-Est-ce qu'il vous en reste?

-Oh, à la poste, pas du tout, mais j'en ai ramené un chez moi. Si vous venez en ville tout à
l'heure, demandez à ma femme, si elle ne l'a pas déjà jeté...

-Merci jeune homme."

Le froid qui pesait sur mes épaules me paru plus mordant. Je n'ai que peu de considération
pour l'instinct, le pressentiment et ce genre de boniment sur le sixième sens (car il est bien
entendu évident que les humains ont bien plus de cinq sens... La sensation de chaud et de
froid, par exemple, est le plus évident en dehors des cinq premiers). Pourtant, quelque chose
dans ce vent presque automnal au mois de juin, dans les nouvelles inquiétantes et l'accident
sur la ligne, tout cela m'inquiétait.
De retour chez moi, je pris mon petit déjeuner - du porridge adoucis par le miel de mes
propres ruches - et me décidait de repartir aussitôt pour Worthing afin d'envoyer un
télégramme. J'ai profité de la charrette d'un maraicher pour préserver mes forces, et je n'ai pas
prévenu mes abeilles de mon départ. J'ignorais qu'il se passerait plusieurs semaines avant que
je ne revoie mon cher cottage, mais mes voisins sont fiables, et je ne me suis jamais inquiété
de mes gentilles locataires.

Au bureau des télégraphes, j'ai appris de nouvelles choses absolument incroyables. Des
martiens! Des êtres venus de la planète Mars étaient descendu sur Terre et n'avaient
apparemment pas de bonnes intentions. Ils erraient sur la lande près de Woking en ce moment
même, semant la terreur et la désolation dans la campagne environnante.

Woking n'était pas loin de Londres, et j'ai ressenti une profonde angoisse à l'idée que Watson
puisse se retrouver face à des créatures aussi sanguinaires. Oh, je pense qu'il agirait avec
force et courage, et c'est précisément ce qui m'inquiétait.

Je me renseignais autour de moi, et il n'y avait aucun bus à cheval ni aucun taxi qui se rendait
à Londres aujourd'hui. Je pu par contre louer une petite calèche et un bon cheval, mais je
savais déjà que je n'arriverais pas à Londres avant le lendemain soir au moins, et je me suis
donc mis en route sans tarder.

Les premières heures de voyage se sont passées sans encombre. J'étais épuisé le lendemain
matin en arrivant aux abords de Thunbridge Wells, et c'était une autre histoire... Des milliers
de personnes avaient été jetés sur les routes, certains venant directement de Woking, mais
beaucoup étaient des Londoniens. Je scrutait la foule en tentant de reconnaître un visage
familier, mais sans succès. Connaissant mon Watson, s'il avait effectivement fuit, il se serait
plutôt dirigé vers la côte est de l'Angleterre, pour tenter d'attraper l'un ou l'autre navire.

Je continuais à avancer à contre-courant lorsque finalement, le gros de la foule était passé.


J'ai du refuser un grand nombre de propositions de rachat de mon attelage, m'encourageant
d'autant plus à garder ce précieux bien. J'en étais presque à regretter d'être partit sans armes,
mais c'était le domaine de Watson, pas le mien.

C'est en arrivant à Croydon, à la fin de la journée, que je me rendit compte que les rumeurs
que j'avais entendu, et cru seulement à moitié, devaient être vraies. Il est difficilement
probable qu'autant de gens puisse imaginer les mêmes événements, surtout lorsqu'ils sont
aussi improbable, ainsi, toutes ces histoires de gigantesques Tripodes devaient avoir un fond
de vérité. La ville était vide, certains quartiers étaient en flamme, des cadavres carbonisés
jonchaient les routes, et j'avançais, seul, dans le sens inverse des rares et derniers fuyards. Ils
avaient les yeux écarquillés de terreur, parfois ils étaient recouvert de brûlures, et aucun ne
me parla.

Sur le chemin désormais désert, je savais que j'allais me jeter, si pas dans la gueule d'un loup
tout à fait terrestre, au moins dans un sacré pétrin. J'avançais donc très prudemment, et si
j'avais pressé le pas du cheval, j'aurais sans doute raté l'enfant.

Il était couché dans les fourrés, à flanc de colline, semblant tout à fait mort avec ses yeux
fixement ouvert et son expression vide. Je venait de croiser une voiture attelée presque
entièrement réduite en cendre. J'ai compté deux cadavres à l'intérieur en plus de celui du
conducteur et du pauvre canasson qui les tirait. L'enfant n'avait aucune brûlure, et il n'avait
pas l'apparence typique de ceux qui avaient été intoxiqués par ce que les Londoniens en fuite
appelaient "la fumée noire".

Mais il devait être tout à fait mort. À moins que l'impression que ses yeux me suivaient
n'étaient pas qu'une illusion d'optique?

J'ai regardé derrière moi pour m'assurer que j'étais bien seul sur la route, et je suis descendu
de ma simple carriole pour m'en approcher. Mes yeux étaient toujours aussi perçant, et ne
m'avaient pas fait défaut: le regard de l'enfant me suivait.

"Mon petit? Ça va?"

Il sursauta et se redressa aussitôt. Il devait avoir six ou sept ans, pas plus, et serrait dans ses
mains un canard en caoutchouc. Son doigt pointé me désigna la voiture attelée un peu plus
loin.

"Ce sont tes parents?"

Il hocha la tête. Était-il muet, ou tout simplement trop choqué pour émettre le moindre son?
"Je suis désolé, mon garçon. Tu devrais continuer à marcher vers Croydon. Les créatures sont
partie dans l'autre sens, tu ne les croisera plus. Tu sais comment rentrer chez toi? Tu as de la
famille quelque part?"

Son geste suivant désigna la direction générale de Londres.

"Je vais à Londres, mais je pense que ce n'est pas vraiment sûr. Tu devrais vraiment aller un
peu plus loin et te rendre dans un poste de police."

Il ne me répondit pas, mais ne me lâcha pas non plus. J'avais beaucoup se mal de le
convaincre de ne pas me suivre, j'ai finalement abandonné, et il s'est installé dans ma carriole.
Il eut un dernier regard pour la voiture de ses parents, et il serra un peu plus fort le canard.

"Alors, quel est ton nom?"

Toujours pas de réponse. Ce n'est pas que je ne connaissais rien aux enfants, après tout,
j'avais côtoyé les gamins que j'appelais affectueusement mes "Irréguliers" de Baker Street,
mais en général, on se parlait. On discutait. Ici, j'aurais pu parler à un sac de blé, le résultat
aurait été le même, et je me serais moins inquiété pour le sac de blé.

"Je vais me présenter, alors. Je m'appelle Sherlock Holmes. Tu es peut-être un peu jeune pour
avoir entendu parler de moi, mais ce n'est pas très grave. Je vais à Londres pour rejoindre l'un
de mes amis."

J'attendais une réponse, comme si ma présentation allait l'aider à se présenter lui-même, mais
toujours rien.

"Il faudra bien que tu me parles, sinon on aura du mal à retrouver ta famille, canard."

J'ai l'entendre pouffer pendant une demi-seconde.


"Canard? Ça te plait? Eh bien tu seras Ducky, maintenant, jusqu'à ce que je connaisse ton
vrais nom."

Ducky était un compagnon de route plutôt calme. J'étais inquiet de devoir distraire le jeune
garçon, mais il se distrayait bien tout seul. J'aurais aimé plus de conversation, mais je pouvais
me satisfaire de la situation.

Plusieurs routes bloquées nous forcèrent à contourner par le sud-est, et nous arrivions à
Penge à peu près au même moment que les Tripodes.

C'était d'immense machines de guerre, et si j'avais bien compris les descriptions imprécises
des fuyards paniqués, ce n'était vraiment que des machines, dans lesquelles s'installaient les
véritables martiens, dont j'ignorais l'apparence pour le moment. Les martiens n'utilisaient pas
uniquement cet engin, ils avaient aussi une machine volante, disait-on, mais en plus petit
nombre et pas aussi efficace. Sans doute que la gravité terrestre, plus importante que sur
Mars, diminuait son efficacité.

Certains ont dit qu'ils étaient plus grands que Big Ben, ce qui, je pense, était exagéré, mais
pas de beaucoup. Leurs jambes hautes perchées devaient en fait atteindre le bas de l'horloge,
offrant peut-être la possibilité à leur corps d'en toucher les aiguilles, mais la fausse
impression de leur grandeur était peut-être du à leurs machines volantes dont j'ai déjà parlé,
très semblable aux corps des Tripodes, et qui avaient peut-être été aperçues survolant la tour
de l'horloge.

L'enfant, par chance, par réflexe d'auto-préservation ou par conscience de la gravité de la


situation, ne cria pas. Nous avons quitté notre charrette et notre pauvre cheval pour nous
dissimuler dans les fourrés. Notre silence nous sauva, car ils nous dépassèrent, marchant
quelques mètres à côté de nous, sans nous remarquer. J'apprendrai plus tard qu'ils étaient
entrés dans une phase moins destructrice, mais j'ai eu l'occasion ce jour-là de voir mon lot de
dégâts. Je n'ose même pas imaginer la folie furieuse qui a animé ces machines les premiers
jours, lorsqu'ils avaient pour but d’annihiler tout espoir parmi les humains pour nous
transformer en bétail soumis et docile. En attendant, ils avaient emporté notre cheval. J'ai
appris bien plus tard son destin funeste, car il fut un temps ou les martiens tentaient de se
repaître du sang de nos bêtes avant de goûter au nôtre et de se détourner des vaches, chevaux
et chiens errants.
Une fois que les Tripodes furent hors de vue, Ducky pointa du doigts le terrain de cricket tout
proche. Le gazon impeccablement entretenu avait laissé place à de l'herbe rougeâtre aux
endroits ou le terrain était détrempé. J'ai pensé aux espèces botaniques endémiques des îles
du pacifiques que nous avions décimés avec les graines que nos bateaux transportaient,
parfois à notre insu... Verrions-nous disparaître le vert tendre de la végétation au profit de
cette teinte cramoisie ? Est-ce cela qui donnait sa couleur si distinctive à la planète Mars?

J'ai expliqué à l'enfant que nous resterions le plus possible dans le dos des martiens. Ils
avançaient avec un but précis, par petites troupes de trois ou quatre créatures, et ne
repartaient jamais en arrière, ainsi, leur sillage était l'endroit le plus sûr selon mes
observations.

C'était très facile de suivre le chemin tracé par les martiens : les destructions dont ils étaient
la cause se voyaient de loin. Je n'oubliais pas de surveiller nos arrières, au cas ou un autre
groupe nous suivrait.

Les hauteurs de Penge donnaient à voir jusque la City par temps clair, mais aujourd'hui, le
ciel était noircis par les incendies. Le Crystal Palace était en flamme, et je voyais un pan de
mon enfance partir en fumée! Je me souvenais de nos promenades dans le parc, avec mes
parents et Mycroft, lorsque nous étions enfants. J'étais trop jeune pour avoir connu
l'exposition universelle, mais mon frère ainé s'en souvenait bien et me racontait des histoires
invraisemblables, et pourtant rigoureusement vraies, sur les merveilles qu'il avait pu admirer
lorsque le palais était encore à Hyde Park, avant son déménagement.

Ce bâtiment merveilleux destiné à être éphémère et qui avait survécu si longtemps, que
j'avais connu toute ma vie! Ses poutres fondaient maintenant, et le verre de ses fenêtres avait
volé en éclat. Combien de temps aurait-il pu encore tenir?4 Nous ne l'avons pas reconstruit,
hélas, et il manque aux petits Londoniens qui n'ont plus que les statues de sauriens à admirer
dans le parc du palais...

J'espérais que mon frère irait bien. Je n'avais que peu pensé à lui, car j'imaginais qu'il aurait
fuit avec le reste du gouvernement, réfugié à Birmingham, parait-il... Mais c'était Mycroft.
On avait déjà du mal à le faire sortir de sa routine, entre son bureau, son club et son
appartement, ne serait-ce que pour prendre le thé ailleurs que dans ses lieux habituels !
J'espérais que l'un de ses collaborateurs ou que son ami Mélas l'avait persuadé de quitter la
capitale. J'ai appris bien plus tard qu'il avait réussi, et ils allaient bien tous les deux.
"Quel gâchis, Ducky, quel gâchis..."

J'avais pris l'habitude d'avoir un réflecteur de lumière, mais Ducky était un miroir sans tain. Il
ne répondit même pas avec un quelconque geste, et il restait juste là à observer les flammes
qui ravageaient le palais. Après quelques minutes de contemplation, il me désigna le bord du
lac ou l'on pouvait observer les sauriens de béton. Des gens! Des gens étaient en vie, et
sortaient du lac!

Je lui pris le bras et nous avons couru vers le bas de la colline pour prêter main forte aux
pauvres diables. Des diables! Même les sept cercles de l'enfer ne pouvaient ressembler à ça.
Pour fuir le rayon de chaleur des Tripodes, ils avaient plongé dans le lac... Et avaient fini cuit
façon bouillon. Les plus chanceux étaient couvert de cloques rouges, la peau toute
boursouflée, et les autres voyaient des lambeaux de peau se détacher, laissant les muscles à
vif.

Un grand nombre de corps flottaient, inanimés. Je fut tenté de cacher les yeux de l'enfant,
mais c'était trop tard, et il tendait déjà les mains à une écorchée qui tentait péniblement de
sortir de l'eau.

D'autres étaient venu, des jeunes hommes pour la plupart, de la génération de ceux qui iront
mourir dans les champs de Flandre d'ici quelques années.

L'un d'eux semblait savoir quoi faire. Il avait l'allure d'un jeune valet, probablement encore en
apprentissage. Il disait aux rescapés qui pouvaient marcher de se rassembler dans l'une des
grandes maisons du voisinage, où ses maîtres avaient fait dresser des tentes pour accueillir les
blessés. Quelques vieilles dames du voisinage, probablement trop fatiguée pour fuir lorsque
les martiens étaient arrivés, jouaient les infirmières du mieux qu'elles pouvaient. Je les suivit
pour transporter les blessés, et Ducky fit même sa part. J'ai sous-estimé l'enfant, qui avait
évidement vécu un choc, mais était bien loin d'être sans ressources.

On nous proposa de rester en sécurité, et nous l'avons fait. Je n'avais que peu dormis, et
l'enfant ne marcherait pas plus longtemps aujourd'hui. C'était un coup du sort que nous ayons
perdu le cheval.

Le lendemain, j'avais de la fièvre, et je n'étais pas le seul. Plusieurs des pauvres bouillis
avaient succombé dans la nuit, les vieilles dames et le jeune valet avaient beaucoup à faire.
Comme je me sentais suffisamment en forme malgré tout, je les ai aidé du mieux que j'ai pu.
Au deuxième jour, la fièvre m'a terrassé, et selon la lady qui m'épongeait le front lorsque je
me suis réveillé, j'avais déliré trois jours de plus, appelant ma mère, Watson et même mon
frère dans mes rêves fiévreux.

D'autres nous avaient rejoint. Le plus fort d'entre eux était un jeune garde-chasse, un peu plus
vieux que le valet, et qui faisait de son mieux pour enterrer les corps.

"Ça aurait été dommage de vous enterrer, m'sieur Holmes."

Il s'appelait Alec, et nous avons sympathisé. Apparemment Ducky l'avait bien aidé à creuser,
même s'il ne lui parlait pas. Le valet n'avait pas eu plus de confidence avec le petit garçon.

"Après tout ça, je vais repartir vers l'ouest, je crois. D'habitude j'habite à Penge, mais à la
limite du Somerset et du Wiltshire5, pas ici, celui de Londres... J'étais juste venu rendre visite
à mes cousins. Personne ne me croira quand je leur dirais que j'ai croisé Sherlock Holmes!"

Il rigola en roulant un peu de tabac. "Enfin, faudrait déjà qu'ils me croient pour les Tripodes.
Il vous me renvoyer à Londres et me faire enfermer à Bedlam."

Je riais avec lui. "Ils risquent d'avoir trop de monde, alors. Si tout ceux qui les ont vu
deviennent fou..."

Mais il ne riait plus.

"L’hôpital brulera surement, comme le reste, et l'Angleterre ne sera plus peuplée que de
cadavres et de fous."

Nous sommes restés silencieux quelques instants. Il se remit à creuser. J'étais encore trop
faible pour lui prêter main forte.
"Et pourquoi courrez-vous à Londres quand tout le monde fuit, Monsieur Holmes?

-Je cherche quelqu'un.

-Votre Docteur Watson? Il a probablement fuit aussi. Tous les gens du Strand semblent être
partis vers la côte Est et ont fuit par bateau. Des gens ont parlé d'un combat naval avec les
Tripodes, mais apparemment, notre Navy ne faisait pas le poids.

-Il n'est pas du genre à fuir.

-Alors il est mort, Monsieur Holmes."

Il m'a fallu encore quelques jours pour m'en remettre, et juin était devenu juillet lorsque je
repris la route. J'ai essayé de laisser Ducky aux bons soin des lady, mais il ne voulu pas me
lâcher. Une fois tous les blessés emmenés à l'hôpital de campagne, nous avons repris notre
route, en jetant un dernier coup d’œil a l'étang ou flottaient toujours des cadavres hors
d'atteinte. L'herbe rouge avec presque tout recouvert.

Londres était presque désert. Les rares habitants qui étaient restés évitaient
consciencieusement d'approcher Marylebone, ou les créatures avaient établis un camp de
base à Primrose Hill, juste à côté de Regent's Park. Mais rien que traverser la Tamise était un
défi en soi, presque tous les ponts avaient été détruit. Je me suis souvenu du Tunnel de
Greenwich qui passait dessous et, par chance, il était praticable.

Mes sens étaient brouillés. J'avais beau connaître la ville sur le bout des doigts, j'étais
perturbé de la voir si vide. Certains bâtiments étaient en ruine ou brûlaient. D'ici quelques
années, Londres ressemblera enfin à elle-même, et je la visiterais à nouveau pour admirer les
travaux de réparation. Je traverserais un nouveau square qui portera alors le nom du Thunder
Child, ce bateau magnifique qui seul se dressa contre les Martiens et sauva des centaines de
vies, dont celle qui m'était la plus chère. Mais en attendant, je me sentais comme étranger en
terre étrangère 6.

Nous avions dépassé l'île aux chiens lorsque je proposait une pause, que Ducky pris avec
plaisir. Ses petites jambes maigres me faisaient de la peine à voir, car nous n'avions pas
vraiment mangé à notre faim ces derniers jours. J'avais l'habitude de jeûner et même si j'étais
moins résistant avec l'âge, ce n'était pas un problème pour moi, mais pour un jeune garçon de
bonne famille, ce devait être toute une épreuve. Le valet m'avait donné du pain, et je servit la
plus grosse part à Ducky.

Une fois remis en route, nous n'avons pas ralentis notre progression avant de dépasser
Spitafields. Les dégâts se faisaient de plus en plus flagrants à mesure que nous avancions, et
nous étions plus prudents.

Mon objectif était le Strand, pour vérifier le cabinet de Watson, et, si nous pouvions, Baker
Street, ce qui pouvait être délicat vu sa proximité avec le camps des Martiens.

C'est à Holborn que nous nous sommes retrouvés coincés. L'armée et la police avait dressé
des barricades, et il était impossible de continuer jusqu'à Soho.

Je m'approchais d'un Bobby pour lui demander si nous pouvions traverser.

"Ah, ça non, sir. On a fait un périmètre de sécurité.

-Pourquoi faire? Les Martiens sont des deux côtés.

-On fait de notre mieux, sir.

-J'ai besoin de voir l'un de vos supérieurs. Lestrade est-il là?

-Je vais me renseigner, sir."

Nous l'attendions patiemment. Un autre Bobby aimable nous tendis deux bols de soupe, un
pour moi et un pour Ducky. Nous avions eu le temps de le finir et de bavarder un peu lorsque
le premier policier revint accompagné.

"Monsieur Holmes, quelle bonne surprise !

-Gregson ! Ravis de voir que vous allez bien! !"

C'était l'un des jeunes inspecteur dont j'avais suivit la carrière prometteuse. Ce n'était pas une
aussi vieille connaissance que Lestrade, mais cela suffirait.

"Très content de vous savoir parmi nous, Monsieur. Je sais que vous avez demandé à voir
Lestrade, mais..."
Son expression changea subtilement.

"Qu'est-il arrivé, mon brave?

-La fumée noire, Monsieur. Dans tout Scotland Yard. Beaucoup ne sont pas sortis.

-Oh, quelle misère ! Pauvre Lestrade."

Ma réponse peu vous paraître presque froide, mais la période n'était pas au deuil. J'ai eu plus
d'une fois l'occasion de me rappeler de Lestrade par la suite et d'être attristé de sa mort, tout
en me rappelant les moments ou nous avions pu former une équipe. J'avais acheté un buste de
Napoléon et l'avait placé dans mon cottage en souvenir de notre plus fameuse aventure
commune, et pour me rappeler l'émotion que ses éloges m'avaient provoqué7.

"Et vous, Monsieur? Des nouvelles du Docteur ?

-J'essayais justement de le rejoindre. Puis-je avoir un laissé-passé?

-Normalement non, mais pour vous... Bertie !"

Ducky sursauta et vint se cacher derrière moi.

"C'est bien toi, Bertie?

-Je l'ai trouvé sur la route, j'ignore son nom." Plus bas, j'ai expliqué les circonstances dans
lesquelles je l'avais trouvé.

"Pauvre garçon ! Mais je suis sur que c'est lui. C'est le neveu de ma belle-sœur Agatha. La
femme de mon frère, je veux dire. C'est le fils de son frère à elle.

-Tante... Agatha?"

C'était la première fois que j'entendais le son de sa voix claire.

"Eh bien, tu parles Ducky ?


-Dé... Désolé..."

Je passa ma main dans ses cheveux pour l'ébouriffer. "Eh bien, on dirait que tu as trouvé ta
famille, c'est déjà ça. Gregson, vous pourrez veiller sur lui ?

-Bien sûr ! Ma belle-sœur est tyrannique, si elle apprend que j'ai laissé son jeune neveu sans
aide, elle pourrait m'écorcher vif8.

-Oh, oui, c'est bien elle," ajouta Ducky (ou plutôt Bertie). "Prenez soin de vous, Monsieur
Holmes, et merci."

Je lui tendit la main, et il me pris dans ses bras à la place. Gregson me laissa traverser la
barricade, et j'étais dorénavant seul dans la ville morte.

Soho sans animation, c'était un spectacle à vous transpercer le cœur. J'ai trouver le cabinet de
Watson, mais il était vide, et personne ne répondait. La porte n'était pas verrouillée, je me
suis donc laissé entrer. Tout indiquait un départ précipité, et il n'y avait aucun message,
destiné à moi-même ou à qui que ce soit d'autre.

En désespoir de cause, j'ai poussé jusqu'à nos anciens appartement. La bonne Madame
Hudson avait vendu sa maison et vivait maintenant une belle retraite chez sa sœur à la
campagne, ce qui me réjouissait, car j'ai trouvé le bâtiment du 221b, si cher à mon cœur,
éventré. Je n'avais aucune raison de m'éterniser dans le voisinage, mais la curiosité est
probablement un défaut que Watson avait bien remarqué chez moi. Cela aurait été dommage
d'avoir fait tout ce chemin sans observer le camp des Martiens.

Ne dit-on pas que la curiosité a tué le chat ?

J'ai contourné tout Regent's Park et cherché l'endroit le plus sûr pour observer Primrose Hill.
J'ai fini par trouvé un fourré relativement épargné par l'herbe rouge et je m'y suis posté en
observation. L'étrange ballet des Tripodes et autres machines de guerre ne semblaient, de
prime abord, ne pas avoir beaucoup de sens, mais j'ai fini par distinguer un motif. Je me suis
rapproché prudemment, et c'est à mon second poste d'observation que toute l'horreur de
l'invasion m'a frappé.
Ils nous traitaient comme du bétail. Pas pour notre viande, sinon, ils auraient probablement
privilégié nos propres bêtes, mais pour notre sang. Des systèmes complexes de tuyaux
venaient pomper l'essence vitale des pauvres malheureux enfermés dans des cages, et les
Martiens - que j'avais enfin découvert sur leur véritable forme - se l'injectaient à leur tour.

Je n'était pas facilement effrayé, et si leur physique et leur allure était dégoûtante, c'est bien la
manière dont ils se nourrissaient qui m'a glacé jusqu'au fin fond de mon âme. J'ai tenté
d'observer de loin des cadavres en sursis, mais je n'ai pas reconnu Watson parmi eux, ce qui
me soulagea un peu.

Les pauvres prisonniers n'en auraient plus pour longtemps. Ils avaient tous l'air
particulièrement malade et, j'imagine, les Martiens chercheraient une nouvelle source de
nourriture après leur mort. On peu même supposer qu'à terme, ils voudront faire des fermes
avec nous, ne nous vampirisant que de manière espacée, pour nous faire vivre plus
longtemps.

Une fois ces informations récoltées, j'ai rebroussé chemin. Je ne voulais plus m'éterniser à
Londres, car si Watson avait pu s'échapper, je pense qu'il m'aurait rejoint au cottage. C'était
mon dernier espoir et je m'y accrochait.

Porté par un élan de loyauté, j'ai malgré tout rejoint les barricades de Holborn pour y
retrouver Gregson.

"Comment va le garçon?

-Je l'ai fait envoyé en sécurité dans une zone ou les martiens ne sont pas encore arrivés. Il ira
bien si nous parvenons à empêcher l'avancée de l'invasion."

Je lui raconta ce que j'avais découvert et partagea les conclusions de mes observations.

"C'est... Horrible !

-Indubitablement. Mais cela m'a malgré tout donné une lueur d'espoir.

-Vraiment ? Je pense plutôt que notre situation est assez désespérée!"


Ma main posée sur son épaule se fit plus ferme et rassurante. "Vous savez ce que nous avons
apporté aux malheureux peuples des colonies ? Des maladies. J'ai eu de la fièvre ces derniers
jours, une maladie tout à fait ordinaire et dont je me suis vite rétabli. S'ils n'ont rien amené
d'autre avec eux que leurs machines de guerre et l'herbe rouge, ils risquent d'être surpris de ce
que nous pouvons leur apporter..."

L'inspecteur hocha la tête. Il avait compris le fond de ma pensée. "Si seulement cela pouvait
être vrais ! J'espère qu'une fois de plus, vos déduction seront juste, Monsieur Holmes."

J'ai attendu le départ d'un autre groupe de réfugié pour ne pas voyager seul. Nous avons
longés lentement la Tamise pendant deux jours avant que je ne décide de les quitter à
Gravesend et de traverser en barque. Le retour fut long, mais moins que prévu, car j'ai trouvé
un vélo abandonné à Shoreham. J'ai traversé les villes et les campagnes comme un cycliste
solitaire. Je n'étais plus qu'à quelques heures d'Eastbourne lorsque la nouvelle m'est parvenu :
les Martiens étaient tous mort d'un mal mystérieux. Il y avait des scènes de liesse dans tous
les bourgs, et toutes les cloches sonnaient.

J'étais pourtant bien seul en rentrant dans ma maison vide. L'ultime espoir que Watson m'y
attendais s'écroula comme un château de carte, et le silence de ma maison me pesa
cruellement.

Après avoir vérifié les ruches, je décidais de me rendre au village, en passant peut-être par le
cottage de Manders pour le prévenir de mon retour. C'est du haut de la petite colline ou me
facteur m'avait rattraper deux ou trois semaines plus tôt que je vis les bateaux approcher. Ils
battaient pavillons hollandais, belges et français, mais tous avaient ajouté l'Union Jack à leurs
couleurs. Ils naviguaient en direction d'Eastbourne, et j'imaginais déjà la fête qu'on leur
réservaient sur le Pier. Oubliant Manders et électrisé par le mélange d'espoir et de fatigue, j'ai
presque couru jusqu'au port.

La foule était remplis de visages inconnus, mais presque tous avaient l'accent de Londres. Il
en descendait encore des bateaux, portant des pains, des sacs de pommes de terre et tous les
cadeaux que nos voisins du continent nous envoyaient.

Soudain, au milieu de la foule, un regard familier. Une voix que je reconnaitrait toujours,
même entre milles, et qui m'appela.
"HOLMES !"

C'était mon Watson, et le froid qui pesait sur mes épaules s'est envolé.

A la mi-juillet, c'était enfin l'été.


End Notes

1. Une opposition désigne le moment ou une planète se trouve de l'autre côté de la Terre par
rapport au Soleil. C'est le moment idéal pour faire une observation. Retour au texte

2. Harry "Bunny" Manders, auteur fictif des aventures de Raffles, cambrioleur amateur, au
même titre que Watson est l'auteur fictif des aventures de Sherlock Holmes. Retour au texte

3. Saviez-vous qu'il y a un cottage considéré officiellement comme celui ou Sherlock Holmes


prends sa retraite? Il est à East Dean. Il y a même une plaque bleue! Retour au texte

4. Dans notre réalité, le Crystal Palace brûla également, mais en 1936. Retour au texte

5. Penge est le domaine fictif ou vit Clive, premier amant de Maurice (du roman "Maurice"
de E. M. Forster). C'est après que son ancien amant l'ai quitté que Maurice, lors d'un passage
à Penge, croisera la route d'Alec Scudder, garde forestier du domaine. La première traduction
du roman en français portait le titre "Retour à Penge". Retour au texte

6. Stranger in a Strange World, ou "En terre étrangère" en version française, est un roman
d'anticipation de Robert A. Heinlein, ou un jeune humain nait et est élevé sur mars par les
habitants de la planète rouge. Le roman suit son arrivée sur terre, ou il se sent étranger parmi
les humains. Retour au texte

7. "Les Six Napoléons" dont je vous recommande la version de la série de 1984 avec Jeremy
Brett, comprenant une scène effectivement très émouvante entre Lestrade et Holmes. Retour
au texte

8. C'est tout à fait le genre de Lady Agatha Gregson, tante de Bertie Wooster dans les romans
"Jeeves" de P.G. Wodehouse. Voir aussi la série télévisée "Jeeves and Wooster" avec Stephen
Fry et Hugh Laurie. Bertie Wooster est en effet orphelin et a été élevés par ses tantes, mais il
n'est jamais précisé d'autres détails sur la mort de ses parents. Retour au texte

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