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FRANÇOISE RACHMUHL

18 CONTES
DE LA NAISSANCE
DU MONDE

Illustrations de Frédéric Sochard

Flammarion Jeunesse
Rachmuhl Françoise

18 contes de la naissance du monde

Flammarion

Collection : roman jeunesse


Maison d’édition : Flammarion Jeunesse

© Flammarion pour la présente édition, 2010

ISBN numérique : 978-2-0813-0303-4


ISBN du pdf web : 978-2-0813-0272-3

Le livre a été imprimé sous les références :


ISBN : 978-2-0812-4219-7

Ouvrage composé et converti par Nord Compo


Présentation de l’éditeur :
L’illustrateur est né en 1966. Après des études aux
Arts décoratifs, il travaille comme infographiste, et
fait de la communication d’entreprise, ce qui lui
plaît beaucoup moins que ses activités parallèles de
graphiste traditionnel : création d’affiches et de
pochettes de CD. Depuis 1996, il s’auto-édite, et
vend « ses petits bouquins », de la poésie, sur les
marchés aux livres… Pour le plaisir du dessin, il
s’oriente désormais vers l’illustration de presse et la
jeunesse. Et avec tout ça, il a trouvé le temps de
faire deux expositions de peinture…

L’auteur aime les contes depuis toujours. Elle aime les


écouter dès son enfance lorraine, les inventer, les lire.
Plus tard, elle se mettra à en écrire. Au cours de ses
nombreux voyages, elle a recueilli récits traditionnels
et légendes, dits ou publiés en français ou en anglais
(elle a séjourné aux États-Unis). Elle a publié pour la
jeunesse une dizaine de recueils de contes de différents
pays ou des provinces de France. Après avoir
longtemps travaillé dans l’édition scolaire, elle anime
actuellement dans des classes des ateliers d’écriture de
contes ou de poésie.
Introduction

Le mystère de la naissance du monde a toujours intrigué les hommes.


Comment est-il né ? Comme un enfant, est-il sorti d’un œuf, d’un ventre ?
A-t-il flotté au fond des eaux avant d’émerger à l’air et à la lumière ? Quels
ont été ses premiers pas, ses premiers mots, avant même que l’homme
existe ? Comment était-ce, au tout premier matin du monde ?
Les savants se sont penchés sur le problème. Ils ont examiné le ciel, la
terre, le présent et le passé de notre planète, proposé des explications, établi
quelques faits indiscutables. Mais beaucoup de questions restent encore
sans réponse.
Dès les époques les plus reculées, dans toutes les civilisations, des plus
raffinées aux plus barbares, les hommes ont échafaudé des systèmes de
pensée pour tenter d’expliquer le monde : ce qu’on appelle des
cosmogonies. Entre le réel qui les entourait et ce qu’ils imaginaient, il y
avait place pour le mythe.
À l’origine, les mythes sont des récits merveilleux, qui mettent en scène
les grandes forces de la nature, les dieux et les hommes. Ils remontent à la
nuit des temps et leur origine est obscure. Ils se sont transmis oralement,
avant que des écrivains s’en emparent. C’était au cours de cérémonies
sacrées qu’ils étaient récités. Dès le début, ils ont eu une valeur religieuse.
C’est encore le cas – pensons à la Bible, considérée par certains comme un
recueil de légendes, par d’autres comme un livre saint.
Même si leur diversité est étonnante, les grands mythes de la naissance
du monde offrent des points communs à toutes les traditions, dans tous les
temps, sur tous les continents. Mais ils peuvent aussi présenter des variantes
importantes : ils proviennent de l’esprit inventif des hommes, tout en étant
enracinés dans la réalité d’un pays et d’une époque.
L’univers des dieux qu’ils dépeignent ressemble beaucoup à celui des
humains : mêmes qualités, même illogisme et parfois même cruauté – et
souvent même fin dernière. Les dieux, bien qu’ils soient supérieurs à
l’homme, peuvent connaître, eux aussi, la souffrance et la mort.
Il existe une autre catégorie de contes plus légers, dénotant un esprit
plus fantaisiste que religieux : ce sont les contes étiologiques. Ils racontent
pourquoi les choses sont ce qu’elles sont, pourquoi l’homme n’est pas
immortel, pourquoi la lune se présente de profil, pourquoi la baleine se
promène et pourquoi le moustique pique…
Devant une telle variété de mythes et de contes, il a fallu faire des
choix. Choix opérés dans un souci de représentativité – aucun des cinq
continents n’est oublié. Recherche de la variété et d’une certaine originalité.
C’est pourquoi nous n’avons pas pris d’extraits de la Bible, la plupart des
jeunes lecteurs connaissant déjà l’histoire de l’arche de Noé ou de la tour de
Babel.
Des récits sont issus de traditions lointaines, dans le temps ou l’espace,
d’autres ont attiré notre attention à cause de leur tonalité différente,
tragique, tendre, poétique ou malicieuse… Chaque fois que nous avons pu,
nous avons placé côte à côte des contes de pays différents, exploitant les
mêmes thèmes. Au lecteur de faire la comparaison !
Certains textes peuvent surprendre et dérouter. C’est qu’ils
appartiennent à des civilisations différentes de la nôtre, qui obéissent à une
logique différente. Mais en choisissant ces récits et en les adaptant pour les
enfants d’aujourd’hui, nous n’avons pas voulu les déformer ni les affadir.
Car ce que nos ancêtres lointains ont imaginé, ce en quoi ils ont cru, mérite
le respect.
LA NAISSANCE DU MONDE
Le genou de la déesse
Conte de Finlande

Au XIXe siècle, un jeune médecin finlandais recueille de vieilles légendes en forme


de poèmes, contées par les paysans, à la veillée. Il en fait un long récit, qu’il publie, le
Kalevala.
Au début du Kalevala, le monde n’existe pas encore, la déesse flotte sur les eaux
et voici qu’un oiseau vient pondre ses œufs sur son genou…
Vous retrouverez le thème des eaux primitives et celui de l’œuf cosmique – l’œuf
qui contient en germe l’univers ou cosmos – dans de nombreux pays, Chine, Japon,
Égypte, Amérique…
Au commencement, il n’y avait que le ciel, vide, il n’y avait que la
mer, vide, et Luonnotar, la belle déesse, la fille de l’air, s’ennuyait. Elle
descendit du ciel, se posa sur les vagues, sur le dos brillant de la mer. Elle
joua avec les gouttes salées, elle joua avec l’écume blanche, puis elle
s’étendit sur les eaux, sa chevelure flottant autour de son visage.
Doucement ballottée par les courants, bercée par le mouvement incessant de
l’eau, elle s’endormit.
Alors surgit du fond de l’horizon un oiseau gigantesque : c’était la
femelle d’un aigle. Elle était lasse, elle cherchait un endroit où bâtir son nid,
où pouvoir déposer ses œufs. Elle parcourut l’espace du regard, elle ne vit
que des vagues. Elle agita désespérément les ailes. Leur battement réveilla
la déesse.
Elle ouvrit les yeux. L’oiseau géant s’épuisait au-dessus d’elle.
Luonnotar comprit et lentement sortit de l’eau son genou pour que l’aigle
s’y pose.
L’aigle construisit son nid, y pondit six œufs d’or, un œuf de fer, et
couva. Un an, deux ans, neuf ans…
Au cours de la dixième année, la chaleur dans le nid devint telle que la
déesse en fut gênée. Malgré elle, elle étendit la jambe : les œufs se
brisèrent, l’aigle s’enfuit. Le monde naquit.
La partie inférieure des coquilles devint la terre courbe ; la partie
supérieure, la voûte céleste ; le blanc de l’œuf, le soleil éclatant ; le jaune, la
lune et les étoiles lumineuses ; et les débris de l’œuf de fer se
transformèrent en nuages.
Le monde existait, mais il était incomplet. Beaucoup de temps encore
s’écoula. Ce fut la déesse qui l’acheva.
Après des années et des années, un jour, elle sortit de l’eau. Du bout des
doigts, elle façonna golfes et baies, monts et vallées. En étendant les bras,
elle dessina les plaines, en frappant le sol du talon, elle creusa des trous à
poissons, en marchant le long du rivage, elle fit surgir une île à chacun de
ses pas. Puis elle tordit ses cheveux ruisselants et les filets d’eau qui en
découlaient formèrent lacs, fleuves, torrents et cascades.
Ainsi fut créé le monde et la Finlande, le pays aux quarante mille lacs,
put ouvrir, entre sable et rochers, ses yeux d’azur.
Le géant Ymir
Conte de Scandinavie

Le monde serait-il né de la décomposition d’un corps géant ? Les habitants de


Babylone le racontaient, au IIe millénaire avant Jésus-Christ. Pour eux, il s’agissait du
cadavre de Tiamat, la mer violente, l’odieuse aïeule des dieux, que le héros divisa en
deux, pour en faire le ciel et la terre. Pour les Scandinaves, de nombreux siècles plus
tard, il s’agit du premier des géants-du-givre.
Au commencement, il n’y avait ni ciel, ni mer, ni terre. Aucune plante
nulle part. Au nord, une contrée effroyable, obscure et glacée. Au sud, le
pays du feu. Au centre, l’abîme, Ginnungagap, qui semblait attendre la vie.
Des fleuves aux eaux venimeuses, venus du nord, se déversèrent dans
l’abîme. Ils gelaient au fur et à mesure, remplissant Ginnungagap de
couches de givre. Mais sous l’effet des étincelles et des flammèches qui
s’échappaient du sud, les gouttes de givre se mirent à fondre et la vie
apparut.
Elle prit la forme d’un géant et d’une vache colossale, au pis chargé de
lait. Ymir, le géant, put s’y abreuver et s’endormit. Pendant son sommeil,
deux créatures sortirent de ses aisselles puis une troisième, quand il frotta
ses pieds l’un contre l’autre. De ces trois créatures est descendue la race des
géants-du-givre, monstrueux et méchants, car nés des eaux maléfiques du
nord.
Cependant la vache nourricière léchait les pierres de glace, qui sont
salées. À force de les lécher, le premier jour, elle fit apparaître une
chevelure, le deuxième jour, une tête, et le troisième, un être entier, beau,
vigoureux : c’était un dieu. Il épousa une géante et eut pour descendant
Odin, devenu depuis le père et le maître bienveillant des dieux.
Dieux et géants ne pouvaient pas s’entendre. Odin et ses deux frères
tuèrent Ymir et, dans la mare de son sang, noyèrent tous les géants – sauf
deux d’entre eux qui s’échappèrent et donnèrent naissance à de nombreux
enfants. La race des géants-du-givre ne peut mourir et toujours les dieux
combattront les géants.
Odin et ses deux frères ne tentèrent pas de rejoindre les fugitifs. Ils
avaient une autre tâche à accomplir : il leur fallait créer le monde.
Ils transportèrent le corps d’Ymir dans l’abîme Ginnungagap. De sa
chair ils firent la terre, de ses os les montagnes, de ses dents les rochers, de
ses cheveux les arbres et de son sang intarissable la mer, qui encercle la
terre et que les hommes auront tant de mal à franchir.
Ensuite ils prirent le crâne du géant pour former la voûte du ciel. Ils y
fixèrent les étincelles jaillies du pays du feu, pour que les astres puissent
éclairer le monde. Ils en réglèrent le mouvement et, depuis lors, on
distingue la nuit du jour et l’on fait le compte des années. Pour finir, les
dieux s’amusèrent à lancer en l’air ce qu’il restait de la cervelle d’Ymir.
Ainsi naquirent les nuages, chargés de neige ou d’orage.
Odin et ses frères prirent soin de repousser les géants au-delà de la mer,
dans la brume et le froid, aux limites du monde. Afin de se protéger d’eux,
ils se servirent des cils d’Ymir pour bâtir une muraille tout autour de la
terre. Puis, au centre de celle-ci, ils construisirent une forteresse
magnifique, où ils avaient l’intention d’habiter. Mais la terre qui les
entourait leur semblait vide.
Un jour que les trois dieux se promenaient le long du rivage, battu par
les flots, ils virent deux troncs d’arbre échoués sur le sable. Ils les
redressèrent et les taillèrent, pour en faire des hommes. Odin leur donna le
souffle et la vie ; ses frères, l’intelligence, le mouvement et les organes des
cinq sens. Puis ils les vêtirent et les nommèrent. L’homme fut appelé Ask,
ce qui signifie « le frêne », et la femme, Embla, « la vrille de la vigne ».
Ask et Embla, leurs enfants, leurs petits-enfants honorèrent les dieux et
peuplèrent la terre, dans l’espace compris entre la forteresse divine et le
sombre pays des géants.
Et nous sommes leurs descendants.
Les pattes du grèbe
Conte vogoul (Sibérie)

Les hommes naîtraient des arbres. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? Quant
à la terre, elle s’est formée grâce au plongeon d’un oiseau, parti la chercher au fond de
l’eau. Comment, vous n’en croyez rien ? Pourtant le mythe du plongeon, vous le
trouverez aussi bien en Inde qu’en Sibérie ou chez les Indiens d’Amérique du Nord.

Au commencement, il n’y avait que la mer et le ciel et, dans le ciel, le


dieu Noumi-Toroum et ses sept fils, qui étaient tous les sept de vaillants
héros. Et sur les eaux glacées, s’ébattant dans leur nid flottant, il y avait
deux oiseaux au plumage d’argent, le petit grèbe et le grand grèbe.
L’air et l’eau ne suffisaient pas aux dieux ni aux oiseaux. La terre aussi
devait exister. Pour cela, il suffisait d’aller chercher une motte de glaise au
fond de l’eau et de la rapporter à la surface. Ce furent les grèbes qui s’en
chargèrent.
Le grand grèbe plongea le premier, profond, profond. Pourtant il
n’atteignit pas le fond.
Le petit grèbe plongea à son tour, aussi profondément qu’il put. Il
n’atteignit pas le fond, lui non plus.
Les deux oiseaux décidèrent d’unir leurs efforts et ils plongèrent
ensemble, une fois, deux fois, toujours plus profond. Sans succès. Ils durent
vite remonter à la surface, ils n’en pouvaient plus, ils étaient hors d’haleine.
Ils se reposèrent un moment sur les flots.
Une troisième fois, ils s’enfoncèrent dans l’eau, encore plus loin, encore
plus longtemps, si longtemps qu’ils en perdirent le souffle, et, quand ils
remontèrent, ils étouffaient. Du sang coulait sur la poitrine du grand grèbe
et sur la nuque du petit. Voici pourquoi, le grèbe adulte porte une tache
rouge sur sa gorge argentée et le jeune grèbe une petite sur le cou.
Dans leurs pattes, les deux oiseaux rapportaient une motte de glaise
qu’ils déposèrent à la surface de la mer. Elle forma un tas, puis un
monticule, une île, un continent : voici comment se forma la terre.
Cependant, du haut du ciel, Noumi-Toroum regardait s’étendre la terre
et il s’en réjouissait. Tout à coup il fronça le sourcil : cette terre ne cessait
pas de s’agiter, elle flottait, elle tournait, elle tournoyait au gré des
mouvements de l’eau. Comment faire pour l’arrêter ? Agacé, le dieu céleste
lança adroitement sur elle son énorme ceinture cloutée de fer. Aussitôt la
terre s’immobilisa et, à l’endroit où la ceinture l’avait touchée, s’éleva une
puissante montagne, l’Oural, qui sépare aujourd’hui l’Europe de l’Asie.
Beaucoup de temps s’écoula. Noumi-Toroum s’occupait de ses affaires.
La terre ne tourbillonnait plus. Elle s’était épaissie, fortifiée, et la taïga,
l’immense forêt des pays nordiques, la recouvrait toute. Mais sous les
branches des pins, pas de galopades, pas de chants d’oiseaux dans le
feuillage des mélèzes, pas de huttes dans les clairières et nulle trace de ski
ou de raquette pour rayer la surface gelée des étangs.
L’un des fils de Noumi-Toroum s’en aperçut et s’en attrista. Il envoya
sa sœur, Kalym l’ailée, la messagère, avertir leur père.
— Père, père, tu as consolidé la terre, elle est devenue habitable. Tu
dois créer l’homme à présent.
— Très bien, répondit le dieu. Je vais charger de cette tâche ton petit
frère, mon fils cadet.
Le jeune garçon se mit à l’ouvrage, coupa sept mélèzes, les tailla avec
beaucoup d’application, les sculpta en forme d’hommes. Ceux-ci
demeurèrent immobiles, raides et silencieux.
Pendant ce temps, son oncle, le dieu du monde souterrain, faisait la
même chose avec de la terre glaise.
Quand il eut fini, il proposa à son neveu d’échanger ses figurines contre
les statuettes de bois.
— Ah non, s’écria le garçon, j’ai eu trop de mal à les fabriquer. Regarde
comme mes hommes sont beaux !
— Les miens ne sont pas mal non plus.
— Les tiens sont moins solides que les miens. Si tu laisses tomber sur
eux une seule goutte d’eau, ils se fendillent, et si tu les plonges dans la mer,
ils fondent.
Le dieu du monde souterrain prit l’air soucieux.
— Tu as raison, finit-il par dire. Aussi vais-je les transformer en
Menkws : ils deviendront les esprits bienveillants des forêts. Tes hommes à
toi sont plus solides. Seulement ils n’ont ni mouvement ni âme.
— C’est vrai. Comment leur en donner une ?
Embarrassé, le jeune garçon se grattait la tête.
— Si tu voulais, mon oncle… Je ne suis que le fils d’un dieu, mais toi,
tu es un dieu… Si tu voulais, tu pourrais leur donner une âme.
— Oui… Pourquoi pas ? À une condition : que ton père, Noumi-
Toroum, leur confectionne une colonne vertébrale, pour leur permettre de
bouger.
Ainsi fut fait. Le dieu du monde souterrain porta les êtres de mélèze au
dieu du ciel, qui souffla dessus et les dispersa dans la taïga.
Du temps encore s’écoula. Les hommes se multipliaient sur la terre,
mais ils n’avaient rien à manger. Kalym l’ailée remonta au ciel voir son
père.
— Bonne nouvelle, mon père ! À présent les hommes sont nombreux
sur la terre… Mauvaise nouvelle, mon père ! Ils ne vont pas tarder à mourir
s’ils n’ont rien pour se nourrir.
Noumi-Toroum réfléchit.
— C’est bon, dit-il à sa fille. Retourne vers tes protégés. Que sous les
branches et dans les fourrés, se dispersent l’élan, l’ours, le loup, le renard et
la zibeline, que les oiseaux volent dans l’air, que les poissons nagent dans
l’eau et que des troupeaux de rennes traversent les étangs gelés !
Désormais, pour se nourrir, l’homme pourra pêcher et chasser.
C’est depuis ce jour-là que les habitants du Grand Nord survivent,
malgré la glace et le froid, en chassant et en pêchant, sur la mer et dans la
taïga.
Le cinquième soleil
Conte aztèque (Mexique)

Selon la mythologie aztèque, le monde s’est constitué par étapes et chaque étape
s’est terminée par une catastrophe. Il ne s’agit pas seulement du déluge – que l’on
rencontre dans tant d’autres civilisations – mais de la destruction par le vent ou par le
feu – reflets d’une réalité terrible, au pays des typhons et des volcans.

Avant nous, avant notre époque, disent les vieux, il y eut quatre
genres de vie, quatre genres d’hommes, sous quatre soleils différents.
Au commencement, disent les vieux, la terre et le ciel se sont établis, et
quand ils furent bien établis, le dieu Quetzalcoatl fabriqua l’homme avec de
la cendre. C’était sous le premier soleil, du signe de l’Eau. On l’appela
Soleil d’Eau. L’eau déferla sur le monde, elle inonda tout. Les hommes
devinrent des poissons.
Alors, disent les vieux, fut établi le deuxième soleil, sous le signe du
Jaguar. Il bouscula le ciel, il cessa de suivre sa route. Quand il arrivait à
midi, il répandait la nuit, et les jaguars dévoraient les hommes. Sous ce
soleil vivaient des géants. Lorsqu’ils se rencontraient, ils se saluaient en
disant : « Ne tombez pas », car celui qui tombait ne se relevait pas.
Le troisième soleil fut établi alors, disent les vieux, sous le signe de la
Pluie. Quelle pluie ? Une pluie de feu. Sous ce soleil, elle est tombée. Tout
ce qui vivait a été brûlé. Il a plu du sable, il a plu des pierres, et les roches
sont devenues couleur de feu.
Alors, disent les vieux, le quatrième soleil a été établi. On l’appela
Soleil de Vent. Tant qu’il a duré, le vent a soufflé et il a tout emporté. Les
hommes se sont dispersés dans la montagne et sont devenus des hommes-
singes.
Alors, nous disent les vieux, est né le cinquième soleil, celui qui nous
éclaire maintenant. C’est lui qui a créé l’aurore. On l’appelle Soleil de
Mouvement. Il avance, il suit sa route, il éclaire tous ceux qui se déplacent
sur la terre et tous ceux qui ont faim. Et c’est ainsi que nous mourrons, à
cause des déplacements et des famines, sous le cinquième soleil, celui qui
existe maintenant.
LES HOMMES
L’ascension
Conte des Indiens Zuni (Amérique du
Nord)

Aux yeux des Zuni, la terre est belle et elle existait déjà avant que l’évolution de
l’homme soit achevée. C’est à l’homme de s’adapter à la terre, ce n’est pas la terre qui
doit se soumettre à l’homme. Car la terre, et tout ce qu’elle porte, et tous les éléments,
et tous les hommes, appartiennent à la même famille et participent à la même vie.
Quelle belle leçon de sagesse !
Au commencement, quatre mondes s’étageaient, du bas jusqu’en haut,
des mondes obscurs et malodorants. Au-dessus d’eux s’étendait la terre,
déjà formée, déjà belle, avec ses forêts, ses collines et ses sources, et sur la
terre rayonnait le père Soleil.
Tout en bas, dans le quatrième monde, vivaient des êtres, mi-animaux,
mi-hommes. Ils n’étaient pas achevés. Une toison les recouvrait, formant
des touffes sur le haut de leur tête, comme des cornes. Ils avaient une
queue, des yeux, mais pas de bouche ; des fesses mais pas de trou dans le
derrière, et leurs pieds et leurs mains étaient palmés.
Ils s’agitaient dans le quatrième monde, tout en bas, dans le noir. Ils ne
pouvaient pas se voir, juste se sentir. Ils se marchaient dessus et se jetaient
leurs ordures les uns sur les autres. Ils avaient du mal à respirer.
Ils vécurent ainsi quatre jours aussi longs que quatre années.
Très loin au-dessus d’eux, sur la terre, le père Soleil se désolait, parce
qu’il n’y avait pas d’humains pour l’honorer et lui dresser des bâtons de
prière. Alors il pensa aux êtres du quatrième monde, il eut pitié d’eux et il
dit :
— Il faut que ces êtres montent jusqu’à ma lumière et ils deviendront
mon peuple.
Pour les aider, il leur envoya ses deux fils, les deux prêtres divins, Jeune
Frère et Frère Aîné. Les deux frères étaient nés quand le père Soleil avait
percé de ses rayons la brume qui enveloppait la terre. En trois jours, ils
étaient devenus adultes, capables de descendre chercher les êtres d’en bas.
Le quatrième jour, Jeune Frère dit à Frère Aîné :
— Nous sommes nés depuis quatre jours, nous sommes en âge de
travailler. Notre terre est bonne, mais personne ne l’habite. Allons vers le
sud-ouest. Là, en-dessous, dans le quatrième monde, il y a des êtres qui
vivent à l’étroit, dans le noir. Ils se marchent dessus, ils se jettent leurs
ordures les uns sur les autres. Et pourtant ils appartiennent à la même
famille que nous. Ils sont nos frères et nos enfants. Il faut qu’ils montent
jusqu’à ce monde-ci pour connaître notre père le Soleil.
Frère Aîné répondit :
— Qu’il en soit ainsi.
Les deux frères, qui étaient prêtres divins, se dirigèrent vers le sud-
ouest, jusqu’à l’entrée du quatrième monde. Ils descendirent d’abord dans
le premier monde, faiblement éclairé, puis dans le deuxième monde,
sombre, dans le troisième monde, encore plus sombre, enfin ils arrivèrent
dans le quatrième monde : là, c’était l’obscurité totale. Les êtres qui y
vivaient ne pouvaient pas se voir. Pour se reconnaître, ils se tâtaient dans le
noir et promenaient leurs mains palmées sur leurs visages.
Certains parmi eux s’aperçurent de la présence des deux prêtres divins
et dirent :
— Il y a deux étrangers parmi nous. D’où venez-vous, étrangers ? Mais
vous êtes nos pères, les prêtres divins !
Tous les êtres accoururent pour tâter le visage des prêtres divins, en
disant :
— Nos pères ! Vous êtes venus !… Montrez-nous comment sortir d’ici.
Nous avons entendu parler de notre père le Soleil et nous voulons le voir.
Les deux frères répondirent :
— Nous sommes là pour vous conduire sur la terre où vous verrez le
soleil. Nous suivrez-vous ?
— Oui, nous vous suivrons. Dans ce monde-ci, nous ne pouvons pas
nous voir. Nous marchons les uns sur les autres, nous nous jetons nos
ordures les uns sur les autres. C’est un monde répugnant. Nous attendons
depuis longtemps que quelqu’un nous conduise vers le père Soleil. Mais
nos frères du nord doivent venir avec nous.
— Qu’ils viennent, dirent les prêtres divins.
Et il en fut de même pour les êtres de l’est, pour ceux du sud et pour
ceux de l’ouest.
— Comment pouvons-nous accéder au monde éclairé par la lumière du
jour ? demandèrent les êtres d’en bas aux deux frères.
Jeune Frère se dirigea vers le nord. Il tenait des graines à la main. Il les
enfonça dans la terre, fit un tour complet sur lui-même : quand il se
retourna, un pin déjà grand était sorti du sol. Il fit un second tour et les
branches de l’arbre avaient atteint toute leur taille. Il arracha une branche et
la donna aux êtres. Il agit de même à l’ouest, en plantant un épicéa, au sud,
en plantant un sapin blanc, à l’est, en plantant un tremble. Puis il dit aux
êtres d’en bas :
— Maintenant nous pouvons aller dans le monde supérieur. Gens de
mon peuple, soyez prêts et prenez avec vous vos affaires.
Les deux prêtres divins prirent la branche de pin du nord, en guise de
bâton de prière, et la plantèrent dans le sol. Les êtres grimpèrent dessus et,
tandis que roulait le tonnerre, ils entrèrent dans le troisième monde. Il y
faisait moins sombre et cela les gêna.
— Est-ce ici que nous devons vivre ? demandèrent-ils.
— Pas encore, répondirent les deux frères.
Les êtres demeurèrent là quatre jours, aussi longs que quatre années,
puis les prêtres dressèrent, comme un long bâton de prière, la branche de
l’épicéa poussé à l’ouest et, tandis que grondait le tonnerre, les êtres
parvinrent dans le deuxième monde, un monde plongé dans la pénombre.
Cependant ils furent éblouis.
— Est-ce ici que nous devons vivre ?
— Pas encore.
Au bout de quatre jours aussi longs que quatre années, les prêtres
enfoncèrent dans le sol la branche du sapin blanc grandi au sud et, dans un
grondement de tonnerre, les êtres atteignirent le premier monde. Une
lumière rouge, comme celle de l’aurore, l’éclairait. Les êtres, aveuglés,
eurent du mal à garder les yeux ouverts. Mais bientôt ils purent se voir, voir
leurs corps couverts de cendres et de saletés, leurs têtes pleines d’une boue
verdâtre. Cela les rendit tristes.
— Est-ce ici que nous devons vivre ?
— Pas encore.
Ils y restèrent quatre jours aussi longs que quatre années, puis les
prêtres saisirent la branche du tremble de l’est et la fichèrent en terre. Le
tonnerre résonna comme les êtres accédaient au monde supérieur, baigné
par la lumière du jour.
Les deux prêtres divins arrivèrent les premiers, puis les hommes-
médecine avec leurs ballots de remèdes, puis tous les êtres. La clarté du
soleil les éblouissait tellement que leurs yeux douloureux étaient pleins de
larmes.
— Regardez le soleil, même s’il vous blesse, regardez bien votre père le
Soleil, leur dit Jeune Frère.
Ils pleuraient tant ils souffraient et, au fur et à mesure que ces larmes,
causées par le soleil, tombaient sur la terre, il en naissait des fleurs, qui
ressemblaient à l’astre, boutons-d’or et tournesols.
— Est-ce ici que nous allons vivre ? demandèrent les êtres.
— Oui, dirent les prêtres divins, c’est dans ce monde éclairé par notre
père le Soleil.
Les êtres demeurèrent là quatre jours aussi longs que quatre années.
— Il est temps à présent, dirent les prêtres divins, que notre peuple
apprenne à manger.
Ils semèrent du maïs et, par magie, celui-ci poussa si vite qu’il put
bientôt être moissonné. Quand les êtres l’eurent en leur possession, ils le
reniflèrent. Mais ils ne pouvaient pas l’avaler, car ils n’avaient pas de
bouche.
Les deux frères s’en attristèrent. Jeune Frère dit à Frère Aîné :
— Attendons la nuit et pendant qu’ils dormiront, nous irons leur tailler
des bouches.
Ce qu’ils firent. Comme ils avaient affûté leur couteau sur une pierre à
aiguiser rouge, les bouches furent rouges.
Le lendemain matin, quand le soleil se leva, les êtres s’étonnèrent
d’avoir des bouches. Ils avaient peur. Ils craignaient d’avoir été ouverts et
mis en morceaux pendant leur sommeil.
Mais bientôt ils eurent faim. Ils mangèrent du maïs et burent de l’eau.
La nuit suivante, ils se sentirent gênés : ils ne pouvaient pas évacuer la
nourriture qu’ils avaient ingurgitée, ils n’avaient pas de trou dans le
derrière. Les prêtres divins s’en aperçurent et leur creusèrent un trou entre
les fesses. Comme le couteau dont ils s’étaient servis avait été aiguisé sur
une pierre noire, le trou devint noir.
À présent les êtres pouvaient manger et digérer, mais leurs mains
palmées les rendaient malhabiles. Ils avaient du mal à se servir d’une meule
pour moudre le maïs, le réduire en farine et en faire des gâteaux. Ils avaient
du mal à se laver les mains. Ils traînaient aussi les pieds.
Jeune Frère dit à Frère Aîné :
— C’est désolant que ces gens aient des mains et des pieds palmés.
Coupons la membrane qui unit leurs doigts et séparons-les.
— Qu’il en soit ainsi, répondit Frère Aîné.
Le lendemain matin, les êtres, d’abord effrayés d’avoir des doigts et des
orteils séparés, se rendirent vite compte que c’était plus pratique pour
travailler et pour marcher.
Mais ils avaient encore des queues et des cornes.
— Si nous les leur coupions ? suggéra Jeune Frère.
— Qu’il en soit ainsi !
Il en fut ainsi et les êtres se réjouirent : ils étaient achevés.
Ils étaient devenus des hommes.
De l’âge d’or à l’âge de fer
Conte du monde gréco-romain

Dans la mythologie gréco-romaine, comme dans bien d’autres, est évoqué le


souvenir de l’âge d’or – temps béni, temps hélas perdu, période de paix et d’harmonie,
quand les hommes et les dieux fraternisaient. Cela ne vous rappelle-t-il pas le Paradis
terrestre, un épisode célèbre de la Genèse, au début de la Bible ?

C’était au commencement du monde. La terre existait, avec ses


fleuves, ses monts, ses forêts et, au-dessus d’elle, le Ciel étoilé, et déjà elle
était peuplée par les Titans et par les dieux.
Les Titans, enfants de la terre, étaient des sortes de géants, d’une force
peu commune, des êtres brutaux et grossiers. Les dieux et les déesses, d’une
intelligence plus raffinée, avaient Zeus à leur tête.
L’homme existait aussi. C’était Prométhée, le fils d’un Titan, qui l’avait
créé, avec de l’eau et de l’argile. Il avait façonné un être à l’image des
dieux. Cet être se tenait debout sur ses jambes et non à quatre pattes,
comme la plupart des animaux. Sa face était levée vers le ciel et non
inclinée vers la terre. Enfin il possédait une âme, qui l’élevait au-dessus des
bêtes.
Au début, la vie des hommes fut un enchantement. Ils avaient pour
compagnons les dieux eux-mêmes, qui descendaient du mont Olympe, leur
séjour habituel, pour festoyer avec eux.
Chaque jour était jour de fête, dans un printemps perpétuel. On n’avait
pas besoin de travailler aux champs, ceux-ci se couvraient seuls de
moissons. Les arbres offraient leurs fruits, les abeilles leur miel. On
s’abreuvait à des fleuves de lait et de nectar, cette boisson divine qui peut
rendre immortel.
On ne connaissait pas les ravages du temps, ni ceux de la vieillesse, ni
de la maladie. On ignorait la guerre et les dangers de la navigation.
Hommes et dieux vivaient ensemble dans la paix, en bonne harmonie.
C’était l’âge d’or.
Mais les Titans jalousaient les dieux. Entre les uns et les autres, un
désaccord s’éleva. Les Titans voulaient, par la force brutale, dans le chaos,
dominer le monde, les dieux voulaient l’organiser.
Ce fut entre eux une guerre impitoyable et très longue. Zeus, malgré son
intelligence supérieure, ne serait jamais venu à bout de ses ennemis si
Prométhée ne s’en était mêlé.
Prométhée… un malin, qui avait plus d’un tour dans son sac, mais qui,
par-dessus tout, tenait à son indépendance. Bien que fils de Titans, dans la
lutte qui opposa ceux-ci aux dieux, il ne prit pas parti. Il vint même en aide
à Zeus et lui permit de se procurer la foudre. Avec la foudre, le roi des dieux
possédait l’arme suprême.
Du haut du mont Olympe, où il s’était réfugié, Zeus, soutenu par les
autres dieux, lança son arme sur les Titans, qui escaladaient la montagne.
Les géants, foudroyés, tombèrent les uns sur les autres, et les pierres, qu’ils
entraînaient dans leur chute, s’entassèrent au-dessus d’eux. Définitivement
vaincus, ils furent exilés dans le monde souterrain, où régnaient la Nuit et la
Mort.
Zeus, aidé par Thémis, la déesse de la Justice, put organiser l’univers
comme il le souhaitait.
Il lui fallait donner à chaque divinité sa part et son rôle dans le monde.
Il lui fallait aussi séparer nettement le domaine des dieux de celui des
hommes. Celui qui convenait le mieux pour accomplir cette tâche délicate,
pas de doute : c’était l’astucieux Titan, Prométhée – encore lui !
Prométhée alla chercher un superbe taureau blanc et l’abattit. Puis il fit
de son corps deux parts, qu’il présenta à l’assemblée des hommes et des
dieux. L’une de ces parts, enveloppée dans une belle couche de graisse
blanche, ne contenait que les os, parfaitement nettoyés. L’autre semblait
répugnante : c’était l’estomac de la bête. Pourtant, à l’intérieur, se
trouvaient tous les morceaux de chair que l’on pouvait manger.
Le Titan laissa Zeus choisir. Flatté, le roi des dieux prit la belle part de
graisse blanche. Quand il découvrit qu’elle ne renfermait que des os, il
devint furieux. Trop tard ! Le sort en était jeté.
Désormais les hommes n’offriraient en sacrifice aux dieux que les os de
leurs bêtes, dont la fumée monterait dans l’air bleu jusqu’aux demeures
divines. En revanche les dieux laisseraient la chair de l’animal aux hommes.
Ceux-ci avaient besoin de chair pour se nourrir et échapper, provisoirement,
à la mort. Ce n’était pas le cas des dieux, puisqu’ils étaient immortels.
À partir du moment où Prométhée fit ce partage, en favorisant les
humains qu’il avait autrefois créés, les destins des dieux et des hommes se
séparèrent. Ce fut la fin de l’âge d’or, le début de l’âge d’argent.
Le Temps fit irruption : avec lui, la naissance, la vieillesse, la mort. Au
lieu d’un éternel printemps, les quatre saisons se succédèrent et, sous la
chaleur de l’été, comme sous le vent glacial de l’hiver, les hommes durent
chercher un abri, dans des grottes ou des huttes de joncs. Ils durent
construire des maisons. Ils durent enfouir les semences du blé dans la terre
et atteler des bœufs à la charrue pour tracer des sillons. Ils durent apprendre
à cuire leurs aliments et à faire griller la viande. À la différence des dieux, il
leur fallait se nourrir chaque jour. À la différence des bêtes, ils ne
mangeaient pas de chair crue. Ils avaient besoin du feu.
Le feu… où le trouver ? Zeus, toujours en colère contre Prométhée et
ses protégés, avait caché le feu, qu’il ne voulait à aucun prix donner aux
hommes.
Le Titan était malin. Il alla se promener, mine de rien, sur les pentes du
mont Olympe, le domaine réservé des dieux. Il tenait à la main,
négligemment, une branche de fenouil, à la tige creuse, aux feuilles vertes.
Quand il aperçut, dans un creux de la montagne, une petite flamme qui
brûlait dans l’air tranquille, il se pencha, et, le plus vite qu’il put, cueillit
une braise et la dissimula dans la tige creuse du fenouil… Puis, mine de
rien, il redescendit paisiblement la pente et s’en alla trouver les hommes. Et
les hommes possédèrent le feu.
La nuit venue, lorsque Zeus, du haut de l’Olympe, regarda en bas, chez
les hommes, il vit s’allumer des lumières et monter des fumées odorantes. Il
entra dans une colère épouvantable. Cette fois, Prométhée, tout malin qu’il
était, ne put échapper au châtiment.
Le maître des dieux l’enchaîna au mont Caucase et commanda à son
aigle, l’oiseau royal, de dévorer le foie du coupable. Une fois dévoré, le foie
du Titan repoussait et son supplice devait durer pour l’éternité.
Entre-temps, les hommes avaient appris à se servir du feu, non
seulement pour répondre aux besoins de leur corps, mais aussi pour se
forger des armes. Les hommes étaient devenus batailleurs. Pourtant ils
continuaient à honorer les dieux, ils ne s’abandonnaient pas encore à la
violence. Ils étaient à l’âge de bronze.
Les dieux s’abaissent parfois à aimer des mortelles. Zeus, un jour, aima
l’une d’entre elles. Il eut d’elle un fils, un demi-dieu, un héros, qui devint
célèbre pour ses exploits : Héraclès.
Un matin qu’Héraclès passait au pied du Caucase, il entendit les
plaintes du Titan et vit l’aigle royal battre des ailes au-dessus du corps
mutilé. Le héros prit son arc, le banda et décocha une flèche, qui transperça
l’oiseau. Prométhée, le voleur de feu, était délivré.
Héraclès poursuivit son chemin. Zeus se réconcilia avec le Titan. Celui-
ci pouvait à nouveau s’occuper des hommes.
Hélas ! Les hommes avaient bien changé !
Non contents de diviser la terre, qui autrefois appartenait à tous, en
parcelles soigneusement clôturées, non contents d’en cultiver la surface, les
hommes fouillaient ses entrailles pour en extraire le fer et l’or.
Pour posséder l’or, ils se disputèrent, se battirent, s’entretuèrent. Le
paysan se méfiait de son voisin, les frères se déchiraient, les enfants
cessaient de respecter leur père et souhaitaient sa mort. Plus personne
n’honorait les dieux, et les dieux, qui venaient de temps en temps rendre
visite aux humains, demeurèrent entre eux, dans l’Olympe.
Seule régnait, au-dessus des hommes, la Guerre, au visage terrible, aux
mains rougies de sang, entrechoquant ses armes.
Ce fut l’âge de fer.
Aujourd’hui, nous y sommes encore.
Après le déluge
Conte du monde gréco-romain

Le thème du déluge est universellement évoqué, dans toutes les civilisations. Si


l’évocation des grandes eaux recouvrant le sol est partout la même, la manière dont la
terre va se repeupler ensuite peut varier… Voici une façon de faire originale.

Les hommes se conduisaient si mal que Zeus, le maître du monde,


résolut de se débarrasser d’eux.
Il convoqua l’assemblée des dieux pour leur faire part de sa décision.
Ceux-ci arrivèrent par la Voie lactée et prirent place autour de leur roi.
Quand Zeus eut terminé son discours, la plupart l’approuvèrent. Pourtant
tous regrettaient la disparition du genre humain. Zeus leur promit alors
qu’une race d’hommes, nouvelle et meilleure, renaîtrait ensuite,
miraculeusement.
Le roi des dieux donna ses ordres. Il enferma les vents doux, aimables,
capables d’écarter les nuages, et lança le Vent du Sud à l’assaut.
Le Vent du Sud leva son visage sombre et l’obscurité enveloppa la terre.
Il étendit ses ailes humides, secoua sa barbe et sa chevelure ruisselantes,
tandis que, de la main, il pressait les nuages. Des trombes d’eau se
déversèrent et leur fracas emplit l’air.
Cependant, sur les flots, se déchaînait Poséidon, roi de la Mer et frère
de Zeus. Il mugissait, il hurlait, il soulevait de son trident des vagues hautes
comme des montagnes.
À son appel, les fleuves sortirent de leur lit et bientôt une immense
plaine liquide s’étendit à perte de vue, recouvrant champs, villages, forêts,
collines, même les temples sacrés des dieux, emportant dans ses remous
hommes et bêtes, moissons, maisons, troncs d’arbres, débris de statues,
tronçons de colonnes. Seuls voletaient encore quelques oiseaux. Comme ils
n’avaient rien pour se nourrir, rien pour se poser, ils finissaient par tomber à
l’eau, épuisés.
Pourtant deux êtres étaient encore en vie : Deucalion et sa femme,
Pyrrha.
Deucalion avait su qu’une catastrophe se préparait, averti par son père,
Prométhée, le Titan toujours prêt à aider les hommes. Sur le conseil de son
père, il avait construit une arche solide, en bois d’acacia, et s’y était
enfermé avec Pyrrha. Tous deux étaient purs, justes et bons, tous deux
craignaient et honoraient les dieux.
La colère de Zeus s’étant apaisée, le Vent du Sud se calma. Poséidon, à
son de trompe, ordonna à la mer et aux fleuves de se retirer derrière leurs
bords. Les nuages se dispersèrent, les eaux commencèrent à refluer et le
vaisseau de Deucalion et de Pyrrha se posa doucement sur le sommet du
mont Parnasse.
L’homme et la femme, sains et saufs, sortirent de l’arche, posèrent les
pieds sur le flanc détrempé du mont, puis adressèrent leurs remerciements
aux nymphes de la montagne et à Thémis, la déesse de la Justice, qu’on
honorait en ce lieu où elle rendait des oracles. Ensuite, leurs prières
achevées, ils regardèrent autour d’eux.
Les branches des arbres, dépouillées de leurs feuilles, étaient
entièrement enduites de boue et, au loin, çà et là, dans la plaine
marécageuse, ils pouvaient voir les ruines des villages et des cadavres
d’animaux. Leurs yeux s’emplirent de larmes : toute la terre dévastée offrait
un visage de désolation.
— Mon épouse chérie, dit Deucalion à Pyrrha, nous avons eu la même
enfance, puisque nos pères étaient frères, nous avons partagé le même sort,
puisque nous nous sommes mariés, et maintenant voici que tu es la seule
femme vivante au monde, comme je suis le seul homme… La terreur fait
encore trembler ma voix. Que serais-tu devenue si j’avais été englouti par
les flots ? Et moi, que serais-je devenu si toi, tu avais disparu ? Je me serais
jeté à l’eau pour te suivre, je ne t’aurais pas survécu… Nous voici tous les
deux bien seuls… Ah, si je pouvais, comme Prométhée mon père, fabriquer
un homme avec de l’argile et lui donner une âme, je repeuplerais la terre !
Hélas ! je n’en suis pas capable.
Tous deux décidèrent alors de se rendre dans ce qui avait été le temple
de la grande Thémis, pour lui demander secours.
D’abord ils aspergèrent leurs vêtements et leur tête avec l’eau boueuse
du Céphise, le fleuve qui coulait près d’eux. Une fois purifiés, ils entrèrent
dans le sanctuaire délabré, devant l’autel où ne brûlait aucune flamme. Ils
s’agenouillèrent, courbèrent le visage jusqu’au sol et baisèrent la dalle de
marbre froid.
— Si nos prières respectueuses peuvent adoucir la colère des dieux et
toucher leur cœur, dis-nous, Thémis, toi qui es si bonne, comment faire
pour réparer nos pertes et reconstituer la race humaine.
La déesse fut émue. Elle leur répondit par cet oracle :
— Éloignez-vous du temple, voilez-vous la tête et dénouez votre
ceinture. Puis lancez derrière vous, par-dessus votre dos, et sans vous
retourner, les os de votre grand-mère.
Deucalion et Pyrrha restèrent un long moment immobiles et muets. Ils
ne savaient comment interpréter les paroles mystérieuses de la déesse.
Pyrrha finit par déclarer, en tremblant, qu’elle ne pouvait pas obéir à
Thémis, elle craignait trop d’offenser l’ombre de sa grand-mère, morte
depuis longtemps.
Deucalion réfléchissait.
— Je crois que j’ai compris, affirma-t-il d’une voix rassurante. Notre
grand-mère, c’est la terre et ses os, ce sont les pierres.
— Tu crois ? demanda Pyrrha, craintive.
— Que risquons-nous ? Essayons.
Ils sortirent du temple, se voilèrent la tête, dénouèrent leur ceinture,
ramassèrent des cailloux le long du fleuve, qu’ils jetèrent dans leur dos, en
descendant la pente de la montagne.
Le long de leur chemin, à chaque caillou lancé par Deucalion se dressait
un homme, à chaque caillou lancé par Pyrrha, une femme. Ce fut ainsi que
la terre fut repeuplée, après le déluge.
Si cette nouvelle race d’hommes, à laquelle nous appartenons, est si
forte au travail et si dure à la peine, ne nous étonnons pas. Car elle est, à
l’origine, faite de pierre.
Le mensonge du lézard
Conte du Kenya (Afrique)

Les deux contes africains qui suivent, pleins de malice, vous expliqueront
pourquoi l’homme n’est pas immortel, malgré la bonne volonté du Créateur. Dire qu’il a
failli l’être… Il s’en est fallu de peu !

Waaqa, le Dieu tout-puissant, créa le ciel et la terre. Puis il créa les


êtres qui peuplent les monts et les plaines, l’eau et l’air et, pour leur donner
vie, il souffla dessus. Ensuite il créa la mort qui met fin à toute existence.
Parvenu à ce point de son travail, il réfléchit et résolut de faire une
exception – une seule. Ce serait pour la lune ou pour l’homme : l’une de ces
deux créatures ne mourrait pas. Mais laquelle ? Il hésitait. Finalement il se
décida en faveur de l’homme. Lui seul, parmi les êtres créés, vivrait
éternellement.
Bon, mais l’homme n’en savait rien – ni la lune d’ailleurs. Il fallait les
prévenir. Waaqa leur envoya le lézard en guise de messager. Il irait d’abord
chez la lune, qui habitait plus loin, ensuite chez l’homme.
Le lézard se mit en route, par les plaines, par les monts, dans le sable et
la poussière, s’arrêtant de temps en temps à l’ombre d’un sycomore,
cherchant de quoi se nourrir, un peu d’herbe, un peu d’eau, en vain la
plupart du temps, car partout régnaient la chaleur et la sécheresse.
Enfin au terme d’un long et pénible voyage, affamé et assoiffé, il arriva
chez la lune. La lune se trouvait à l’intérieur de sa case et, devant celle-ci,
sur un petit feu de bois, était posée une marmite dans laquelle bouillonnait
un liquide d’un beau rouge.
— C’est de la soupe, pensa le lézard. De la bonne soupe ! La lune va
sûrement m’en offrir… Non, ce n’est pas si sûr… Elle m’en voudra si je lui
apprends qu’elle est mortelle. On n’aime guère les porteurs de mauvaises
nouvelles… Eh bien, je ne le lui dirai pas… Je lui dirai même le contraire.
Qui saura que c’est un mensonge ?
Le lézard entra dans la case, salua la lune et lui annonça que le Créateur
l’avait choisie, elle, elle-même, pour lui offrir l’immortalité.
— Merci, oh merci, dit la lune. Tu as fait un long chemin pour
m’annoncer la nouvelle… Tu dois avoir faim et soif. C’est bien malheureux
que je n’aie rien à t’offrir.
— Mais… dit le lézard, et la soupe, dehors, dans la marmite ?
— Mon pauvre ami ! Ce n’est pas de la soupe, c’est de la teinture pour
que je puisse repeindre les murs de ma case !
— Ah… ah… fit le lézard. Ah… Ma sœur… J’ai quelque chose de très
embarrassant à te dire… Je crois que je me suis trompé… J’étais si fatigué
que ma langue a fourché, mon esprit s’est embrouillé… Ce n’est pas toi,
c’est l’homme que Waaqa a choisi. C’est lui qui ne mourra jamais.
— Ce qui a été dit ne peut être dédit, répliqua la lune avec fermeté.
Quand on a craché sur le sol, on ne peut ravaler sa salive.
Que vouliez-vous que fasse le lézard ? Il s’en alla, déçu, confus et
toujours affamé, et s’en retourna sur la terre apprendre à l’homme la
mauvaise nouvelle.
Depuis ce temps-là, la lune ne meurt pas, elle fait semblant et disparaît
une nuit par mois, mais elle renaît la nuit suivante. L’homme, lui, meurt
pour de bon quand sa vie parvient à son terme.
Et, naturellement, il en veut au lézard. Chaque fois qu’il en aperçoit un,
il le poursuit et tente de l’écraser. Mais le lézard s’échappe. Heureusement
pour lui, il est beaucoup plus vif que l’homme !
La lenteur du caméléon
Conte ndebele (Zimbabwe, Afrique)

Si l’homme n’est pas immortel, malgré la bonne volonté du Créateur, c’est, à


chaque fois, par la faute du messager. Vraiment, le Créateur aurait mieux fait de se
déranger lui-même ! Mais peut-être qu’au fond il ne souhaitait pas vraiment que
l’homme devienne immortel, et donc semblable à lui…

Quand le Créateur eut fini de créer le monde, il lui restait encore une
tâche, agréable à vrai dire : il s’agissait de faire à l’une de ses créatures le
don de l’immortalité. À qui le ferait-il ? Il hésitait. Évidemment il pensait à
Premier Homme, cet être insupportable qui se croyait supérieur aux autres
animaux, parce qu’il se tenait sur ses pattes arrière et était capable de lever
la tête, en regardant le ciel, pour savoir s’il pleuvrait. Mais enfin, le
Créateur avait créé Premier Homme à son image… Cela donnait à l’homme
quelque avantage.
Le Créateur décida donc de faire à Premier Homme ce cadeau royal : le
don de l’immortalité. Pour cela, il suffisait que Premier Homme boive une
gorgée de l’eau d’un certain fleuve, caché dans certaines hautes herbes et
spécialement béni par le Créateur lui-même. Après quoi, non seulement
Premier Homme ne mourrait pas, mais aucun de ses descendants non plus.
Loin du fleuve en question et loin du Créateur, au beau milieu de la
savane, Premier Homme était occupé à jouer son rôle d’homme, de
chasseur, de mangeur de chair, et il se pavanait, marchant fièrement sur ses
deux jambes, la tête haute et jetant un regard de pitié sur les animaux qui se
déplaçaient sur leurs pattes, les yeux baissés.
Premier Homme ignorait tout du cadeau royal que voulait lui faire le
Créateur. S’il l’avait su, quelle n’aurait pas été son attitude !
Le Créateur devait le prévenir. Qui, parmi toutes les bêtes, pourrait
porter à l’homme la bonne nouvelle ?
Le Lion ?… Le Lion avait beau être le roi des animaux, il était
paresseux, tout le monde le savait. La Lionne était trop occupée à nourrir sa
marmaille. Le Chacal ? Celui-là, on ne pouvait guère se fier à lui. Le
Vautour ? Il s’arrêterait en route pour se repaître de charognes. Le
Perroquet ?… Trop bavard. L’Antilope ?… Trop fuyante. La Fourmi ?… La
Fourmi… Peut-être… Non, trop petite, trop laborieuse. Bref, aucun animal
ne semblait convenir. Finalement le Créateur choisit un brave garçon, un
peu lent, mais en qui on pouvait avoir toute confiance : Caméléon.
Après avoir longuement réfléchi, avant d’accepter, et fait, sans se
presser, ses préparatifs de voyage, Caméléon se mit en marche, lentement,
lentement, sûrement – lenteur est mère de sûreté.
À chaque pas, il avançait une patte, mais avant de la reposer sur le sol,
il hésitait – on ne prend jamais trop de précautions –, demeurait quelques
minutes la patte en l’air – on ne sait pas ce qu’il peut se passer –, esquissait
un mouvement en arrière – ne valait-il pas mieux s’en retourner ? –,
finalement se décidait à poser la patte en avant. Ensuite, soulevant l’autre
patte, retombait dans les mêmes doutes et les mêmes angoisses.
Bref, vous l’avez compris, Caméléon n’allait pas vite. Au bout d’un très
long temps – plusieurs semaines, plusieurs mois, plusieurs années ? –, il
arriva enfin auprès de Premier Homme. Il lui délivra son message – oh
lentement, lentement, un mot après l’autre, surtout pas de précipitation, la
précipitation est source d’erreurs, c’est connu.
Dès que Premier Homme eut compris ce dont il s’agissait, il bondit
dans les hautes herbes, à la recherche du fleuve. C’était là… Non, là…
L’eau aurait dû se trouver là…
Dans ce qui avait été le lit du fleuve, dans le sable, au milieu des
cailloux, pas le moindre ruisselet, la moindre flaque, la moindre goutte, la
moindre trace d’humidité. Premier Homme eut beau piétiner le sol, le
creuser avec ses ongles, s’aplatir, lécher les cailloux, manger le sable…
Rien à faire.
Premier Homme et ses descendants ne seraient jamais immortels.
— C’est ta faute ! cria-t-il à Caméléon.
Et, dans sa rage, il tua la pauvre bête.
Voyant cela, le Créateur hocha la tête. « J’aurais dû m’en douter, pensa-
t-il. Je connais pourtant les hommes. Et maintenant ? Ils ne pardonneront
jamais la perte de leur immortalité à ce pauvre animal, ni à ses descendants.
C’est vrai, il a été trop lent, mais tellement plein de bonne volonté…. Et je
suis sûr qu’à la dixième, à la vingtième génération, les hommes
continueront à le haïr. »
Alors, dans sa bonté, le Créateur permit à Caméleon de se dissimuler,
en changeant de couleur suivant son environnement. Ainsi, pour échapper à
ses poursuivants, ce drôle d’animal peut se confondre, dans la savane, avec
le sable, les herbes ou les branches.
La sorcière Wuriri
Conte aborigène (Australie)

Comment expliquer la multiplicité des langues dans le monde ? Les Aborigènes


ont réfléchi à la question. D’autres peuples ont donné d’autres explications – pensez à
la tour de Babel. Mais toujours cette multiplication de langages différents, qui empêche
les gens de se comprendre, est présentée comme une malédiction.

Il y eut un temps où les hommes parlaient tous le même langage. Ils


adoraient se réunir pour chanter, jouer, danser ensemble. Quand ils
voyageaient, où qu’ils aillent, ils étaient toujours bien accueillis : ils
s’entendaient parce qu’ils se comprenaient. Et même si leur vie était rude,
ils étaient heureux. Ou plutôt ils l’auraient été sans la sorcière Wuriri.
La sorcière Wuriri ! une vieille plus vieille que le monde, grincheuse et
grommelant entre ses dents, ridée, cassée, tordue, pliée en deux sur son
bâton, tremblotante et pourtant aussi vigoureuse que tous les esprits
mauvais réunis. Et surtout méchante.
Elle ne pensait qu’à faire le mal. Quand elle voyait les hommes
rassemblés autour d’un bon feu, pour manger, pour se raconter des histoires,
pour faire de la musique, elle surgissait devant eux, brandissant son grand
bâton. Elle leur tapait dessus et s’approchait du feu, elle écartait les
morceaux de bois, elle dispersait les braises, puis elle disparaissait. Les
hommes demeuraient comme paralysés. Plus de feu, plus de joie. Plus
moyen de faire cuire les aliments, de se chauffer, de chanter, de jouer ni de
danser ensemble. Tout le monde avait très peur de la sorcière et de ses
pouvoirs magiques.
Enfin, un jour, Wuriri mourut. Vous le savez sans doute, toutes sorcières
qu’elles sont, les sorcières ne sont pas éternelles. Ceux qui la trouvèrent,
étendue à leurs pieds, immobile, sans vie, n’en croyaient pas leurs yeux. Et
si c’était encore un tour qu’elle leur jouait ? Ils attendirent un bon moment
et, comme elle ne bougeait pas, ils se mirent à crier de joie et, vite, ils
envoyèrent des messagers dans le monde entier, pour annoncer la bonne
nouvelle aux gens et les inviter à un grand festin. Et quel festin ! On y
mangerait de la sorcière. (En ce temps-là, on était un peu cannibale, on
avait l’habitude de faire rôtir ses ennemis et de se régaler avec. Puisqu’ils
étaient morts de toute façon, ça ne tirait pas à conséquence.)
Le festin dura neuf jours et neuf nuits. Vous auriez dû les voir, autour
d’un feu énorme, tous, même les vieux branlants, les femmes enceintes, les
bébés chancelant sur leurs jambes, les nourrissons tétant leur mère. Ils
tournaient tous autour des flammes, en dansant et en chantant :
Ah ! Ah ! Ah ! La sorcière est morte !
Nous mangerons Wuriri
Sous la forme d’un rôti.
La sorcière finira
Dans nos estomacs !
Ah ! Ah ! Ah !
Bien sûr, chacun voulut en avoir un morceau : un bout d’oreille, une
bouchée de cuisse ou un petit os du cou. Cette vieille si décharnée était
encore capable de les nourrir tous. C’était un tour de sa magie ! Et ils se
régalaient.
Seulement voilà : au fur et à mesure qu’ils mangeaient un morceau de
sorcière différent, les hommes se mirent à parler un langage différent.
Ils se regardèrent, ils répétèrent ce qu’ils venaient de dire. Rien à faire :
ils ne se comprenaient plus, mais plus du tout. Les uns essayèrent de
chanter, les autres voulurent discuter, d’autres firent de longs discours pour
dire qu’il fallait se taire, d’autres se taisaient. Chacun se demandait ce que
l’autre voulait dire et le croyait fou. Et ç’en fut fini de leur belle humeur et
de leur bonne entente. Ils commencèrent à se disputer, ils finirent par se
battre.
Cela dure encore aujourd’hui.
La sorcière s’est bien vengée.
LES ASTRES
Le garçon Lune et la fille Soleil
Conte japonais

Dans la mythologie gréco-romaine, l’histoire d’Orphée et d’Eurydice n’est pas


sans rappeler celle-ci. Dans un cas comme dans l’autre, le héros, pour retrouver sa
bien-aimée, doit se rendre aux Enfers et vaincre la mort. Mais le goût des Japonais
pour les récits terrifiants et pour les détails monstrueux transparaît et rend inquiétant
ce conte poétique.
La terre n’existait pas encore. Il y avait le ciel, il y avait la mer. Et sur
la mer flottait un radeau. Et sur ce radeau se tenaient deux divinités, belles
et jeunes comme le premier matin du monde : Izanagi et Izanami.
Le dieu Izanagi avait un corps musclé, une barbe noire et une chevelure
épaisse, retenue par un peigne en bois. Izanami était souple et délicate et
elle portait un kimono blanc, à la manière des Japonaises.
Izanagi et Izanami se penchèrent au-dessus du radeau : ils avaient cru
apercevoir quelque chose au fond de l’eau. Ils prirent leur lance de jade
pour fouiller la mer. Quand ils la relevèrent, un peu d’eau coula, qui
s’épaissit rapidement en une sorte de gelée, se solidifia, se développa et
finit par former une île, la toute petite île d’Onogoro. Les deux divinités
quittèrent leur radeau pour aborder sur la première terre au monde.
Au centre de l’île s’élevait un pilier qui montait jusqu’au ciel. Izanagi
en fit le tour par la gauche, Izanami par la droite. Quand ils se
rencontrèrent, la déesse s’écria :
— Quel bonheur de te voir, toi si beau et si fort !
Le dieu fronça le sourcil :
— C’est moi l’homme, c’est à moi de parler le premier. Comment oses-
tu inverser les rôles ?
Au Japon, qu’elle soit déesse ou simple mortelle, la femme ne doit
jamais prendre une initiative avant l’homme.
Les deux divinités alors recommencèrent à tourner autour du pilier.
Quand elles furent face à face et qu’Izanagi put contempler le fin visage, les
lèvres closes, les yeux baissés de la déesse, cette fois ce fut lui qui parla :
— Quel bonheur de rencontrer une fille aussi belle que toi ! Veux-tu
que nous nous marions ?
Ils eurent de nombreux enfants : les huit grandes îles japonaises et les
multiples petites îles qui les entourent. Ils donnèrent aussi naissance aux
rivières, aux montagnes, aux arbres et aux herbes.
Premier matin du monde.
La colline sans nom
disparaît dans la brume.

Une brume chargée de tous les parfums de la terre enveloppait les îles.
Izanami souffla dessus : le dieu du Vent naquit et dispersa la brume.
Ensuite la déesse donna le jour au dieu du Feu. Hélas ! en venant au
monde, il brûla sa mère, si bien qu’Izanami mourut.
Izanagi était désespéré. Il haïssait cet enfant qui avait coûté la vie à son
épouse chérie. Il tira le sabre qui pendait à sa ceinture et coupa le dieu du
Feu en trois : les trois morceaux devinrent aussitôt trois dieux. Quant aux
gouttes de sang qui tombèrent de la lame, elles se transformèrent en étoiles
– ce sont les cinq cents étoiles qui bordent la Voie lactée.
Izanagi continuait à se lamenter, se roulait à côté de la morte, sanglotait
à fendre l’âme. De ses larmes surgit la jeune déesse de la Rosée.
Éclat de la rosée.
Bruit léger
des bambous qui s’égouttent.

Cependant Izanami était partie au Pays des Morts, sous la terre, dans les
Enfers, et le temps s’écoula. Izanagi restait inconsolable.
Alors il prit une grande résolution. Puisque celle qu’il aimait se trouvait
désormais dans le monde souterrain, il irait la chercher.
Il se rendit dans un lieu appelé la Source Jaune, un endroit désolé, où
des pins aux troncs tordus gardaient l’entrée d’un gouffre, si profond, si
obscur, qu’on n’en voyait pas le fond. C’était la Porte des Enfers.
Izanagi rejeta en arrière sa chevelure noire, la fixa avec le peigne, posa
la main sur la poignée de son sabre et descendit hardiment dans les
ténèbres. Il finit par arriver près des Morts. Dès qu’il reconnut la douce voix
de son épouse, il fut bouleversé.
— Divine Izanami, lui dit-il, ma femme, ma sœur chérie, je suis venu te
chercher jusqu’ici. Acceptes-tu de me suivre ?
— Mon cher époux, lui répondit-elle, pourquoi viens-tu si tard ? J’ai
déjà goûté à la nourriture des Enfers, je n’ai plus le droit de retourner à la
lumière du jour – ni de te revoir jamais. Je t’en supplie, éloigne-toi et
surtout n’essaie pas de me voir.
Mais Izanagi ne pouvait accepter l’idée d’être venu de si loin pour
chercher sa femme et de repartir sans même jeter un coup d’œil sur elle.
Il retira le peigne planté sur sa tête, en brisa une dent, puis le remit dans
ses cheveux. Il enflamma ensuite la dent de bois qu’il tenait à la main. Les
ténèbres s’éclairèrent faiblement. Il vit Izanami.
Izanami… Quoi ? C’était cela, Izanami ?… Ce n’était plus ce corps
divin, c’était une chose innommable, un squelette avec des morceaux de
chair pourrie. Izanagi, horrifié, recula.
— Tu m’as regardée malgré ma défense ! hurla la déesse, tu m’as
plongée dans la honte !
Elle lança sur son époux les huit abominables Filles des Enfers, des
monstres toujours affamés, et se mit à leur tête. Izanagi s’enfuit.
Il remonta la pente du chemin des Morts, de toute la vitesse de ses
jambes, les furies sur ses talons. Sans se retourner, il arracha une touffe de
ses cheveux, qui tomba et se transforma en une plante aux larges feuilles.
Les Filles des Enfers se précipitèrent sur elle et la dévorèrent, puis se
remirent à la poursuite du dieu.
Izanagi saisit alors son peigne en bois et le lança derrière lui. Aussitôt
s’élevèrent des taillis de bambous. Les Filles des Enfers se précipitèrent sur
les pousses tendres et les dévorèrent.
Izanagi se rapprochait du monde supérieur. Les ténèbres étaient moins
épaisses. Sans ralentir son pas, il jeta un coup d’œil derrière lui : les
horribles mégères et le cadavre d’Izanami avaient repris leur course. Le
dieu frissonna, la sueur ruisselait de son front sur le sol, forma un filet
d’eau, puis une large rivière, qui arrêta un instant les monstres, juste assez
longtemps pour qu’Izanagi, d’un bond, atteigne l’entrée des Enfers.
Les furies tentèrent encore de l’atteindre, celle qui avait été son épouse
lui tendit ses bras décharnés.
Mais la lumière du jour illuminait le dieu. Il aperçut, contre un pin, un
énorme rocher, qu’un millier d’hommes n’auraient pu ébranler. D’une main,
il le poussa, le roula, et ferma pour toujours la porte qui mène au Pays des
Morts.
Derrière, tempêtaient Izanami et ses monstrueuses suivantes.
— Adieu, lui cria son époux, tout est fini entre nous !
— Si tu m’abandonnes, mon cher époux, clama-t-elle, chaque jour
j’étranglerai mille hommes !
— Et moi, ma femme chérie, chaque jour j’en ferai naître mille cinq
cents ! Adieu ! Adieu ! Tu seras désormais la grande déesse des Enfers.
Izanagi s’éloigna de l’entrée du Pays des Morts et chercha une eau dans
laquelle se tremper, pour se purifier des souillures dont il s’était couvert au
fond des Enfers.
Il découvrit dans une petite île la rivière des Orangers, fraîche,
transparente, parfumée. Il s’y baigna, longuement.
Lorsqu’il sortit de l’eau, une goutte tremblait au bout de son nez. Ce
n’était pas une goutte, c’était le dieu de la Tempête, Susanoo, qui se
manifesta immédiatement par des bruits et des mouvements désordonnés.
Dans l’œil droit d’Izanagi, une autre goutte donna naissance à un
garçon, Tsukino-kami, le dieu de la Lune, enfin d’une troisième goutte dans
son œil gauche, sortit une lumineuse petite fille, Amaterasu, la déesse du
Soleil.
Izanagi s’adressa d’abord à ses deux fils :
— À toi, Susanoo, qui es si turbulent, je donne le domaine de l’Océan,
la plaine aux huit cent mille vagues, limitée par ses rivages. À toi, calme
Tsukino, je donne le royaume de la Nuit, mais tu n’y règneras jamais
pendant le jour.
Le dieu prit tendrement dans ses bras sa fille Soleil.
— Et toi, Amaterasu, toi qui rayonnes, aussi belle que ma chère
Izanomi autrefois, tu auras en partage le Ciel illimité.
À la venue du soleil,
après le départ de la lune,
dansent les libellules.
Saulé et Ménulis
Conte de Lituanie

Dans de nombreuses civilisations, en particulier dans les pays du nord de


l’Europe, le soleil est une déesse, la lune un dieu. Saulé, en Lituanie, est une divinité
puissante, qui se déplace à cheval, se promène au-dessus de la mer et se montre
maternelle envers les humains.

Avec ses yeux lumineux et ses joues rouges, Saulé, la déesse-Soleil,


ressemble à une paysanne décoiffée, car ni chignon, ni tresse, ni foulard ne
parviennent à discipliner sa chevelure de flamme, d’où s’échappent toujours
quelques flammèches – pardon, quelques mèches. Mais, à la différence
d’une paysanne, la déesse porte des vêtements éclatants.
Resplendissant de lumière,
Saulé traverse le ciel,
Couronne d’or sur la tête,
Et souliers d’argent aux pieds.

Saulé travaille durement. Chaque jour, à l’aube, dès que l’Aurore, sa


servante, a attelé ses chevaux, elle sort des flots pour parcourir le ciel dans
toute son étendue, avant de replonger, le soir, dans l’océan. Et le lendemain,
elle recommence.
Les deux chevaux de Saulé
Sortent de l’eau en nageant.
L’un a une selle d’or,
L’autre des brides d’argent.

Saulé ne connaît guère le repos, sauf, parfois, en hiver, quand elle


parvient à s’enfoncer dans les nuages pour faire une petite sieste. Mais dès
le mois d’avril, elle est là, elle rayonne dans le ciel, tôt levée, tard couchée,
elle appelle les hommes au travail, elle les surveille, elle les encourage. Les
hommes savent qu’ils ont besoin d’elle, de sa chaleur et de sa lumière.
Lève-toi, Saulé, à l’aube.
Réchauffe-nous dans nos champs.
De notre peine aie pitié,
Le soir, couche-toi à temps.

Un jour, Perkunas, le père de Saulé, dieu du Tonnerre et de la Foudre,


l’appela pour lui dire :
— Ma fille, je suis content de toi. Tu es une bonne travailleuse.
Pourtant le travail n’est pas tout dans la vie. Que dirais-tu du mariage ?
— Si telle est votre volonté, mon père… répondit Saulé avec modestie.
— J’ai pensé t’offrir comme époux ce bon gros garçon au visage
joufflu, au teint pâle, Mén…
— Ménulis ! s’écria étourdiment Saulé.
Puis, craignant d’en avoir trop dit, elle rougit : aussitôt régna sur la terre
une chaleur épouvantable et deux ou trois déserts se formèrent. Perkunas
sourit :
— Je vois que ma proposition te plaît. Il s’agit bien de Ménulis, le dieu-
Lune. La nuit, il marche dans le ciel à petits pas, il éclaire les voyageurs de
sa lanterne, il accompagne les morts dans l’au-delà. Ce sont des personnes
tranquilles et Ménulis ne se fatigue pas. Entre nous, je le crois moins
courageux que toi, mais qu’importe ? Il ne risque guère de s’amuser en ton
absence, puisqu’il dort le jour pendant que tu travailles.
Les noces furent célébrées en grande pompe, bien au-delà de l’océan. Il
vint des invités de tous les coins du monde et, selon la coutume lituanienne,
chacun reçut un cadeau : le Silex eut l’étincelle ; le Cerf, ses bois ; le Pin, sa
robe d’aiguilles vertes ; et l’on glissa un anneau d’or à la patte de chaque
alouette.
Les premiers temps de leur mariage, Saulé et Ménulis furent heureux.
Ils s’arrangeaient pour passer quelques bons moments ensemble, à l’aube
ou au crépuscule. Ils eurent pour enfants tant d’étoiles qu’ils ne parvenaient
plus à les compter.
Peu à peu, cependant, Ménulis prit l’habitude d’emmener avec lui, sur
les routes du ciel, ses filles-Étoiles. Il partait de plus en plus tôt, sa lanterne
à la main, tandis que Saulé, à peine rentrée, s’écroulait de fatigue. Mari et
femme ne se retrouvaient plus ensemble.
Saulé gronda Ménulis
Qui ne brillait pas le jour.
Et Ménulis répondit :
Tu as le jour, j’ai la nuit.

La déesse-Soleil alla trouver Perkunas, son père, pour se plaindre de


son époux.
— Nous nous voyons à peine ! Quand je sors, il dort, quand je rentre, il
est déjà parti. Il me délaisse. Bien plus, il me prend mes enfants. Mes
petites Étoiles chéries ne jouent plus jamais à côté de moi.
La voix de la déesse tremblait de colère, tandis que de grosses larmes
coulaient de ses yeux. En tombant sur la terre, elles se transformaient en
fleurs, pâquerettes, marguerites, tournesols, qui ont la forme de la roue
céleste et dont les pétales rayonnent autour d’un cœur d’or, comme celui du
soleil.
Perkunas écouta sa fille, la renvoya chez elle avec de bonnes paroles et
convoqua son gendre. Il lui fit part des reproches que lui adressait Saulé.
— Comment ! s’exclama Ménulis. Comment ne comprend-elle pas que
si j’emmène avec moi les Étoiles c’est pour qu’elle puisse se reposer ? Ces
petites filles sont si nombreuses, si turbulentes, que j’ai moi-même bien du
mal à les supporter. Mais que ne ferais-je pas pour ma chère femme ?
Perkunas, rassuré sur la conduite de Ménulis, réussit à réconcilier le
Soleil et la Lune. Pas pour longtemps.
Saulé revint trouver son père. Cette fois, elle ne pleurait pas. Ni larmes
ni colère. Une voix éteinte, un visage pâli, caché derrière ses longs
cheveux : une véritable éclipse de soleil. Sur la terre, il se mit à faire
sombre et froid.
— J’en suis sûre… Il me trompe… avec l’Aurore, ma servante… Elle
peut se faire belle, elle, elle a tout le temps de se pomponner… Une fois
qu’elle a attelé mes chevaux, sa tâche est terminée… Tandis que moi… à
travailler toute la journée… Oh c’est trop facile de tomber amoureux
d’elle !
Perkunas ne plaisantait pas avec l’honneur familial. Il se leva, prit son
tonnerre et ses éclairs, et repoussa sa fille qui suppliait :
— Pas trop fort, mon père… Ne le frappez pas trop fort…
Le maître du ciel alla se cacher derrière un nuage. Il attendit l’infidèle.
Dès que Perkunas le vit, il lança sa foudre sur la blanche figure
épanouie. Celle-ci se fendit en deux. Ce qui explique pourquoi la lune
apparaît, le plus souvent, sous la forme d’un croissant.
Saulé, elle, toujours amoureuse, désespère de rejoindre Ménulis un jour.
Mais, en bonne travailleuse, elle continue à parcourir le ciel, d’un bout de
l’année à l’autre, du levant jusqu’au couchant.
Tous les jours, Saulé se lève
Dans l’arbre couleur de feu.
Avant de trouver cet arbre,
Tous les jeunes seront vieux.
Le fils du jaguar
Conte des Indiens d’Amazonie

Le jaguar est un animal symbolique, souvent présent dans la mythologie des


Indiens d’Amérique latine. Puissant, mystérieux, tantôt allié, tantôt ennemi des
humains, il est comme le soleil, qui fait fructifier la terre, mais qui, par l’intensité de ses
rayons, peut aussi la brûler…

Jaci, la Lune, s’ennuyait dans le ciel. Elle avait été jadis une jeune fille
comme les autres, une Indienne à la douce figure ronde, aux pommettes
hautes, aux lèvres tendres. Elle avait vécu parmi les hommes. Elle
s’ennuyait d’eux.
Pourtant elle ne pouvait descendre jusqu’à eux. Elle demanda donc au
jaguar de le faire à sa place. Il se glisserait dans la forêt immense, se
confondrait avec les lianes et, ombre parmi les ombres, s’approcherait du
village et surprendrait les secrets des hommes. Il remonterait les transmettre
à la Lune, et cela la distrairait.
Jaci avait confiance dans le jaguar, la plus puissante, la plus habile de
toutes les créatures.
Or, un soir que le jaguar s’approchait du fleuve pour y boire, il
rencontra une jeune Indienne. Elle remontait dans le sentier, les bras
chargés de poissons. Le jaguar pensa qu’elle allait s’enfuir devant lui,
terrorisée à sa vue, comme la plupart des humains.
Mais pas du tout. La jeune fille ne manifesta aucune crainte. Elle
regarda le fauve en souriant, continua à marcher d’un pas égal et, comme il
la suivait, elle se retournait de temps en temps pour lui jeter un coup d’œil.
Le jaguar aima sa démarche tranquille et son visage souriant.
Il la suivit jusqu’au village et entra avec elle dans sa hutte. Elle le reçut
comme on reçoit un hôte de marque. La bête et la belle passèrent la nuit
ensemble.
Avant l’aube, le jaguar sortit de la hutte et s’éloigna de son pas feutré.
Un peu plus tard dans la journée, les nouveaux amis se retrouvèrent au bord
du fleuve et remontèrent tous deux jusqu’à la hutte de l’Indienne. Et il en
fut de même les jours suivants.
Malheureusement, les gens du village se doutèrent de quelque chose. Ils
guettèrent la jeune fille et son ami, et les virent ensemble. Ils ne
comprenaient rien à cet amour entre deux êtres d’espèce différente, et ce
qu’ils ne comprenaient pas, ils le redoutaient et cherchaient à le détruire.
Un matin, après le départ du jaguar, ils entrèrent dans la hutte de
l’Indienne, s’emparèrent d’elle, malgré ses supplications, l’entraînèrent loin
de là, à l’extrémité du village. Ils l’enfermèrent dans une autre hutte, après
l’avoir solidement ligotée.
À la nuit tombée, le jaguar, de son allure balancée, s’approcha du
rivage, se coula dans les hautes herbes, pour aller boire l’eau du fleuve. Puis
il attendit son amie, qui n’était pas là. Il l’attendit longtemps, enfin partit à
sa recherche. Il la chercha partout, dans la forêt, dans le village, longtemps,
longtemps. La douleur le tenaillait. Il ne la trouvait toujours pas.
Alors une rage folle, aveugle, le prit et il détruisit tout sur son passage.
Arbres, buissons, huttes, hamacs, marmites, tout volait en éclats. D’un coup
de patte, il égorgeait les animaux. Puis il disparut.
Les villageois, qui s’étaient terrés, impuissants, réapparurent. Ils se
mirent à errer dans les débris.
Des plaintes s’élevaient d’une hutte, à l’extrémité du village. C’était la
jeune fille qu’ils avaient emprisonnée et qui n’avait pu échapper au
massacre. Dans sa folie meurtrière, sans le savoir, le jaguar avait blessé
celle qu’il aimait, en abattant la hutte.
Elle mourut. Les villageois enveloppèrent son corps dans un fin tissu de
laine blanche et le déposèrent, selon la coutume, dans une pirogue, sur le
fleuve. Le bateau s’éloigna au fil du courant.
Plusieurs mois s’écoulèrent. Les hommes avaient réparé leurs huttes. Ils
pêchaient, tranquillement, dans le fleuve, lorsqu’ils virent s’approcher le
bateau qui avait renfermé la jeune morte, et dont ils avaient presque oublié
le souvenir.
Le corps de l’Indienne ne s’y trouvait plus. Mais dans la couverture de
laine blanche était blotti un nouveau-né.
— C’est le fils du jaguar ! s’écrièrent les villageois.
Honteux de ce qu’ils avaient fait subir autrefois à la jeune femme, ils
prirent l’enfant avec eux et l’élevèrent. C’était un garçon
exceptionnellement beau, fort et intelligent.
Il fit des progrès si rapides en peu d’années que, déjà, les anciens du
village songeaient à le marier.
Un jour où les villageois se trouvaient tous au bord du fleuve, le garçon,
sans prononcer un mot, prépara un grand feu. Quand celui-ci commença à
flamber, le jeune homme s’élança dans les flammes, en étendant les bras,
comme un aigle prêt à s’envoler.
Et, sous les yeux étonnés des hommes et des femmes, sans se brûler,
poussé par l’air chaud, il s’éleva lentement vers le ciel. Son corps devenait
transparent, lumineux, éblouissant. Il montait, montait toujours, et finit par
s’immobiliser, haut dans le ciel, sous la forme d’une énorme boule de feu.
Les hommes le regardaient avec stupeur. Leurs yeux brûlaient, ils
devenaient aveugles sous l’effet de la lumière intense. Ils se réfugièrent
dans leurs huttes.
Autour d’eux, la chaleur flétrissait les herbes, desséchait les arbres, les
animaux fuyaient en haletant, l’eau du fleuve s’évaporait. La forêt, devenue
silencieuse, se transformait en désert.
Alors Jaci, la Lune, qui avait tout vu, décida d’intervenir et de sauver la
terre. Elle se sentait responsable, elle qui avait envoyé le jaguar chez les
hommes. À cause d’elle, le fauve avait rencontré l’Indienne, à cause d’elle,
ils avaient eu ce fils éblouissant.
Elle souffla longuement sur la forêt et sur le fleuve. Chaleur et lumière
devinrent moins denses, l’eau recommença à couler, le feuillage des arbres
à bouger, à nouveau plein de bruissements.
Et si le fils du jaguar, devenu le Soleil, continua à rayonner, il le fit avec
plus de douceur.
LES ANIMAUX
Les trois gouttes de sang
Conte du Vietnam

Ce conte du moustique est très populaire au Vietnam. Comme dans le conte


suivant, recueilli dans un tout autre pays, cet animal est le résultat d’une
métamorphose, celle d’un être malfaisant en un insecte buveur de sang.

Quand Ngoc Tam vit la belle Nhan Diep, sa chevelure de nuit, ses
joues couleur de pivoine, sa taille souple comme le bambou, il tomba
amoureux d’elle et l’épousa.
Ngoc Tam était un paysan, simple, confiant et courageux. Il cultivait un
petit champ de mûriers pour que sa femme puisse élever des vers à soie. Il
travaillait dur dans sa rizière, au long des jours, au long des mois.
Comme le dit le poète :
Sous les feuilles des mûriers
Sommeillent les vers à soie
Et les hirondelles couvent
Leurs œufs dans la véranda.
Le paysan fatigué
Prend sa herse sur l’épaule,
Rentre chez lui à midi.
Le chant des coucous résonne.
Sa journée n’est pas finie.

Même si sa vie était rude, Ngoc Tam se trouvait heureux. Nhan Diep ne
se plaignait pas. Pourtant elle aurait préféré mener une existence différente
et posséder plus d’argent : elle ne rêvait que luxe et repos, robes et bijoux.
Son mari ne se doutait de rien et quand, subitement, elle tomba malade
et mourut, il fut inconsolable. Il ne voulut pas se séparer du corps de sa
bien-aimée. Il le mit dans un cercueil, vendit tous ses biens, s’acheta un
sampan et partit avec le cercueil sur son bateau, au fil de l’eau.
Un matin, au réveil, un parfum délicieux surprit Ngoc Tam. Il leva les
yeux vers la rive : une colline couverte de plantes odoriférantes et d’arbres
chargés de fruits s’élevait de l’autre côté de l’eau. Il descendit à terre et
commença à gravir la pente. Il avançait comme dans un enchantement. Il
finit par rencontrer un petit vieillard qui s’appuyait sur une canne de
bambou. Aux rides de son visage halé, à sa chevelure de coton blanc, à son
regard étincelant de jeunesse sous ses paupières blondes, Ngoc Tam
reconnut le génie de la Médecine. Celui-ci voyageait par le monde, avec sa
colline pour bagage, afin d’enseigner aux hommes les remèdes qui
soulagent leurs maux. Ayant entendu vanter les grandes qualités de Ngoc
Tam, le génie avait arrêté sa colline sur la rivière, près du sampan, et
proposait au paysan de l’admettre parmi ses disciples.
— Je vous remercie humblement, s’écria Ngoc Tam, prosterné aux
pieds du génie. Mais je ne pourrais demeurer sans ma femme. Tout ce que
je souhaite, c’est de pouvoir vivre avec elle comme avant… Je vous en
supplie, ressuscitez-la !
— Quelle folie de croire que la vie humaine, si pleine de souffrances,
est le bien suprême ! Quelle folie plus grande encore de se fier à un être
aussi léger et inconstant qu’un papillon dans le vent ! Enfin, je consens à
exaucer ton vœu… J’espère que tu ne t’en repentiras pas. Ouvre le cercueil,
coupe-toi le bout du doigt et laisse tomber trois gouttes de ton sang sur le
corps de ta femme.
Le paysan obéit. Nhan Diep poussa un profond soupir, battit des
paupières et s’éveilla, lentement, comme si elle sortait d’un profond
sommeil. Puis elle s’assit dans le cercueil, se dressa et l’enjamba, prête à
s’en aller.
— Ne partez pas si vite, dit le génie. N’oubliez jamais que c’est grâce à
votre mari que vous vous retrouvez en vie. Soyez pour lui une bonne
épouse. Et profitez tous deux de votre bonheur.
Ngoc Tam était pressé de rentrer chez lui avec sa femme et de reprendre
sa vie de travail. Il avançait aussi vite qu’il pouvait sur la rivière, à force de
rames, de nuit comme de jour. Pourtant, un soir, il dut s’arrêter dans un port
et partir, seul, dans les ruelles, acheter des provisions. Quand il revint sur le
quai, les bras chargés de paquets, son sampan était vide, Nhan Diep avait
disparu.
Il la chercha partout désespérément. Il la retrouva au bout d’un mois.
Quand son mari avait laissé Nhan Diep seule pour se rendre dans le
port, un riche marchand avait amarré son bateau à côté du sampan. Attiré
par la beauté de la jeune femme, il l’avait invitée à monter à son bord pour
prendre le thé. Et tandis qu’elle trempait ses lèvres dans une tasse de
porcelaine fine, ornée de dragons rouges et de nuages d’or, il avait fait
mettre les voiles.
Nhan Diep s’était habituée à mener une vie de luxe, elle avait autant de
robes et de bijoux qu’elle voulait. Elle n’était pas du tout enchantée que son
ancien mari l’ait retrouvée. Pourquoi retourner travailler dans un champ de
mûriers, avec un paysan qui sentait la sueur ?… Fi donc ! Elle ne repartirait
pas avec Ngoc Tam et le lui fit clairement savoir.
Comme le dit le poète :
Le fleuve le plus profond,
Tu peux toujours le sonder.
Mais le fond d’un cœur perfide,
Qui pourra jamais l’atteindre ?

Alors Ngoc Tam réalisa qui était vraiment sa femme et sentit son amour
pour elle le quitter, comme un vêtement qu’on ôte et qui tombe à terre.
— Tu es libre, dit-il à Nhan Diep. À une condition : que tu me rendes
les trois gouttes de sang que j’ai versées pour te ressusciter. Coupe-toi le
bout du doigt.
Soulagée de se débarrasser de son paysan de mari à si bon compte, la
jeune femme saisit un couteau et s’entailla le bout du doigt. Mais à peine la
première goutte de sang commençait-elle à perler que Nhan Diep pâlit,
chancela, s’affaissa sur le sol : elle était morte.
Était-elle morte tout à fait ? Eh bien non, car, sous la forme d’un
moustique, elle poursuit son ancien mari et tout autre humain qu’elle
rencontre, et réclame encore et encore, afin de renaître à la vie, les trois
gouttes de sang qui lui manquent.
Hé là ! Dis-moi donc, moustique,
Pourquoi vrombis-tu ainsi ?
Te plaindrais-tu de la vie ?
Lit douillet, natte de jade,
Sont à ta disposition.
Joues de neige et lèvres roses,
Tu les goûtes à loisir.
L’innocence d’un enfant
Ne trouble pas ton plaisir.
Que nous soyons dans la peine
Ne te cause aucun tracas,
Quand tu as la panse pleine.
Mais enfin, prends garde à toi !
Si jamais une palmette
Vient me tomber sous la main,
Je frapperai avec joie
Et justice sera faite !
Le Windégo
Conte des Indiens Cree (Amérique du
Nord)

Avez-vous entendu parler du Windégo ? Si vous vous promenez dans les grandes
forêts du nord des États-Unis ou au Canada, vous en aurez sûrement une idée. Alors,
méfiez-vous ! Et méfiez-vous aussi des moustiques, qui pullulent au bord des lacs de
ces régions.
Savez-vous bien ce qu’est un Windégo ? Non ?… Un Windégo est un
monstre de pierre, qui habite dans les grandes forêts du nord de l’Amérique.
Aucune lance, aucune flèche ne peut l’atteindre. Il ressemble grossièrement
à un homme, aussi haut que l’arbre le plus haut, aussi pesant qu’une
montagne. Quand il marche, ses pas ébranlent les profondeurs du sol.
Sauvez-vous vite alors, ou cachez-vous, car c’en est fait de vous si vos yeux
rencontrent les siens. Son regard creux vous paralyse et vous devenez sa
proie : le Windégo se nourrit de chair humaine.
Dans un village niché dans la forêt, au bord d’un lac aussi bleu que le
ciel, vivait un groupe d’Indiens. Les hommes chassaient et pêchaient, les
femmes s’occupaient des enfants, préparaient les repas, confectionnaient
avec les peaux des bêtes tentes et vêtements. Chacun vaquait à sa tâche et
ils étaient heureux.
Et puis le malheur les frappa. L’un des jeunes gens partit un soir, avec
son arc sur l’épaule, pour mieux surprendre le gibier, et ne revint pas le
lendemain matin, ni les jours suivants. Ce fut ensuite le tour d’une jeune
fille, qui s’éloigna dans la même direction, en cueillant des baies sur les
buissons. Puis un autre homme, une autre femme disparurent. Les Indiens
comprirent qu’un Windégo était venu s’installer près de chez eux.
Avant d’être mangés les uns après les autres, devaient-ils s’en aller et
reconstruire leur village, bien loin de là, dans une contrée étrangère ?
Ils se réunirent autour d’un grand feu pour en discuter et implorer les
Esprits protecteurs de leur pays. Les plus craintifs voulaient partir, les autres
ne le voulaient pas : il leur coûtait trop de quitter une région qu’ils
connaissaient et qu’ils aimaient, où ils étaient nés, où les pères de leurs
pères dormaient dans la terre sacrée.
Comme la réunion se prolongeait, un enfant qui jouait par là s’amusa à
lancer une pierre dans les flammes. Sous l’action de la chaleur, la pierre
éclata.
— Grands-parents, s’écria-t-il en s’adressant aux anciens du village,
comme la chaleur a cassé la pierre en plusieurs morceaux, ne pourrait-elle
en faire autant du Windégo, puisqu’il est, lui aussi, en pierre ?
Les anciens se prirent à sourire et pensèrent que les Esprits parlaient par
la bouche de cet enfant et qu’ils allaient peut-être exaucer leurs prières.
Le jour suivant, les hommes creusèrent une fosse, non loin du village,
sur le chemin que, d’ordinaire, prenait le Windégo pour s’emparer de ses
proies. Ils creusèrent jusqu’à ce que la fosse soit assez profonde pour
contenir en son entier le plus grand des arbres de la forêt. Les femmes
comblèrent l’énorme trou avec des branches, de la mousse et des feuilles,
puis effacèrent soigneusement les traces de leur travail.
Tous les villageois, formant un large cercle autour de la fosse, se
blottirent dans les taillis et attendirent. La nuit vint. Bientôt des
craquements, des pas se firent entendre, des pas lourds qui se rapprochaient.
Le sol trembla. Hommes et femmes retenaient leur souffle et se cachèrent
les yeux de leur main pour ne pas être tentés de regarder le monstre.
Ils n’eurent pas à attendre longtemps. Avec fracas, le Windégo tomba
au fond du trou.
Les villageois se précipitèrent pour amasser au-dessus de lui bûches,
bûchettes, branches, branchettes, brindilles même, n’importe quoi capable
de flamber. Puis la plus âgée des femmes du village lança une braise.
Aussitôt le feu prit. La fosse se transforma en fournaise. Par saccades,
des gémissements s’en échappaient, au fur et à mesure que le grand corps
du Windégo brûlait.
Mais quand son cœur explosa, avec un bruit terrible, chaque villageois
entendit distinctement vibrer à son oreille une voix aiguë qui disait :
— Tu as cru te débarrasser de moi par le feu, mais je continuerai à te
poursuivre, toi et tes descendants, et à me nourrir de votre sang, maintenant
et dans les siècles à venir.
Cette petite voix sortait des cendres du Windégo, éparpillées dans l’air
entre les arbres. Elles s’étaient transformées en moustiques.
Sedna et le fulmar
Conte inuit (Canada)

Ce conte est étrange et cruel – comme d’autres contes de ces régions polaires,
où la vie des hommes est difficile. Sedna, la femme mutilée, qui continue à vivre au
fond de l’eau, est une figure symbolique, à la fois de la mort et de la vie.

Il y avait, dans le Grand Nord, au pays des neiges et des glaces, une
jolie fille nommée Sedna. Elle demeurait avec son père et menait une vie
dure, mais heureuse. Elle se trouvait bien ainsi et repoussait fièrement les
jeunes gens du village qui auraient voulu l’épouser.
Le printemps arriva, les blocs de glace se disloquèrent et fondirent. Un
grand oiseau des mers, un fulmar, se percha sur le rivage et, s’adressant à
Sedna, se mit à chanter :
— Viens avec moi, Sedna, viens au pays des hommes-oiseaux. Là-bas,
tu ne connaîtras plus jamais la fatigue ni la faim. Tu vivras sous une tente
couverte de peaux de renne, tu dormiras sur des fourrures d’ours, tes
vêtements, légers et chauds, seront tissés de plumes. Grâce à mes
compagnons, les hommes-oiseaux, les fulmars, tu ne manqueras jamais de
rien, ni d’huile pour ta lampe, ni de viande dans ta marmite.
La voix du fulmar était douce, ses belles paroles enchantèrent Sedna.
Elle accepta de s’enfuir avec lui, au-dessus du vaste océan.
Le trajet était long. Finalement ils arrivèrent au pays des fulmars. Sedna
découvrit la demeure que lui offrait l’homme-oiseau : une cabane, aux murs
faits de méchantes écailles de poisson, percés de trous, qui laissaient entrer
le vent et la neige. En guise de fourrures, des peaux rugueuses de morse
recouvraient sa couche. Quel genre de vie allait-elle mener ? Du poisson,
rien que du poisson pour nourriture, des fulmars, rien que des fulmars
comme compagnie !
Trop tard ! Sedna se rendait compte que les oiseaux n’avaient rien de
commun avec les hommes et qu’elle aurait mieux fait d’écouter le plus
modeste des jeunes gens qui lui faisaient la cour, dans son village.
Bientôt pourtant, elle donna naissance à des enfants-oiseaux. Cela,
c’était le pire.
Elle commença à se lamenter. Elle appelait son père :
— Ah, mon père, si tu savais comme je suis malheureuse, quelle
misérable vie je mène, tu viendrais me délivrer. Tu prendrais ton kayak et
courrais sur la mer pour me chercher et m’emmener bien loin. Je ne suis ici
qu’une étrangère, les hommes-oiseaux me regardent méchamment. Le vent
froid souffle sur mon lit et ma nourriture est mauvaise. Ah, mon père, viens
et ramène-moi dans mon pays.
Une année était passée depuis la fuite de Sedna. C’était à nouveau le
printemps et la fonte des neiges. La surface de l’eau était parcourue par des
brises tièdes. Le père prit son kayak et partit rendre visite à sa fille, dont il
ignorait les souffrances.
Quand il apprit quels outrages celle-ci avait subis, il entra en rage.
Profitant de l’absence des autres hommes-oiseaux, partis à la pêche, il tua le
fulmar, monta avec Sedna dans le petit bateau et ils s’éloignèrent
précipitamment sur la vaste mer.
Les hommes-oiseaux revinrent de la pêche et cherchèrent partout leur
compagnon. Lorsqu’ils découvrirent qu’il avait été assassiné et que son
épouse avait fui, ils poussèrent des cris lamentables, en tournant autour du
corps. Puis ils s’envolèrent tous, dans un grand bruit d’ailes, et, dès qu’ils
aperçurent les fugitifs, ils utilisèrent leurs pouvoirs magiques et
provoquèrent une tempête.
Des vagues énormes soulevaient le kayak, le faisaient tourbillonner,
croulaient sur lui avec fracas. Le père crut sa dernière heure venue. Il
comprit que les hommes-oiseaux se vengeaient et, pour apaiser leur esprit,
saisit Sedna, cause de leur malheur, et la jeta par-dessus bord. Aussitôt la
mer s’apaisa.
La pauvre fille se débattait. Elle s’agrippa au rebord du kayak. Le père
prit son couteau et lui trancha les mains. Sedna sombra au fond de l’eau.
Mais les mains de Sedna vivaient encore. Elles tournoyaient au gré des
flots et se changèrent en phoques, orques et baleines.
Sedna, non plus, ne mourut pas.
C’est elle la nourricière qui fournit aux hommes les bêtes dont ils ont
besoin pour vivre, là-bas, dans le Grand Nord.
Mais si elle est bonne envers les Inuits, les habitants du pays des glaces,
elle n’a jamais pardonné à son père, qui finit sa vie misérablement.
Sedna est désormais la déesse du fond des mers, celle qui préside à la
Mort comme à la Vie.
Sole et Bon Dieu
Conte martiniquais (Antilles)

En Martinique, c’est seulement la nuit venue, autour d’un feu, que le conteur
réunit les gens du village. « Sôle au commencement té an bel ti poisson, bien formé,
bien joli… » Au commencement, Sole était un joli petit poisson…
Mais attention ! S’il prend envie au conteur de conter en plein midi, malheur à lui !
Il risque fort d’être changé en panier de persil !
Bon Dieu n’avait pas tout à fait terminé le monde. Il restait encore, çà
et là, quelques petites choses à faire. Aussi, avant de regagner ses nuages, se
promenait-il sur la terre et sous les eaux, pour aménager, compléter,
modifier, rectifier ceci ou cela.
Il aimait tout particulièrement se rendre dans les mers du Sud, voir
évoluer, à coups de queue et de nageoires, les gracieuses créatures qui les
peuplaient et les entendre bavarder. En ce temps-là, bien sûr, les poissons
parlaient.
Bon Dieu se réjouissait, en particulier, d’avoir donné naissance à la plus
jolie petite poissonne des Antilles, Sole. Sole alors était multicolore, vive et
dodue, avec un œil rond de chaque côté de la tête. En un mot, ravissante !
Et elle le savait.
Maligne, avec ça, la langue bien pendue, un brin malveillante, toujours
prête à exercer son esprit aux dépens des autres poissons et à leur jouer des
tours. Il faut dire que Bon Dieu avait un faible pour les farceuses de son
espèce.
Un jour que Sole se promenait non loin du rivage, elle aperçut une
grosse masse échouée sur le sable, qui se débattait en soufflant. C’était
Requin en personne, que la marée avait entraîné jusqu’à un trou dans la
plage et abandonné là, en se retirant. Requin ne connaissait rien aux marées.
Il était grand, gros, goinfre et bête.
En d’autres circonstances, Sole aurait fui Requin, de peur de lui servir
de déjeuner. Mais cette fois, il lui parut inoffensif et elle pensa pouvoir tirer
parti de la situation.
— Que fais-tu là, mon pauvre Requin ? Que t’est-il arrivé ? dit-elle en
se rapprochant.
— Eh bien… fit Requin en haletant, la mer m’a amené là… Je prenais
un bon bain dans ce creux… si confortable… et puis elle s’en est allée…
sans… sans me prévenir… et… et… je suis coincé, termina-t-il en
suffoquant. Peux-tu m’aider ? Je… je te le revaudrai.
— Bien sûr que je peux t’aider ! C’est moi qui commande à la mer ! Je
vais lui ordonner de revenir. Ne t’en fais pas.
Sole savait que la marée montait. Elle attendit quelques minutes, fit
semblant de donner des ordres. À la première grosse vague, qui entraîna
Requin loin de la plage, elle se glorifia bruyamment.
— Hein, qu’est-ce que je t’avais dit ?
— Ah, chère amie, tu m’as sauvé la vie… Si tu voulais… tu pourrais
m’être bien utile. Grâce à toi, je pourrais échapper aux dangers, tu me
servirais de poisson-pilote. En échange, je t’offre ma protection. Je te
porterai, je t’abriterai sous mon aileron.
Sole eut l’air d’hésiter avant d’accepter l’offre.
Ce fut une alliance profitable pour les deux compères. Sole, qui avait la
vue perçante et l’esprit agile, empêcha plus d’une fois le grand benêt de
foncer, tête baissée, dans un filet, d’avaler un hameçon ou de s’encastrer
entre deux roches. Requin, lui, la défendait contre les poissons voraces.
Ensemble, ils parcouraient de grandes distances dans les mers du Sud et
menaient une vie agréable. Au détriment des autres poissons. Car si Requin
les avalait en quantité, Sole, qui avait moins d’appétit, continuait à se
moquer d’eux, et ses moqueries devenaient de plus en plus méchantes. Seul
son compagnon échappait à ses mauvaises blagues – ceci, parce qu’il la
protégeait…
Non contente de tirer fierté de ses écailles et de ses nageoires, elle se
vantait à présent de son amitié avec le plus redoutable « chasseur des
mers ».
Aussi Sole devint-elle vite insupportable. On murmurait sur son
passage. Quand on apercevait l’ombre des deux compères, on s’enfuyait, si
l’on pouvait.
Le comble, ce fut quand on découvrit le rôle joué par Sole auprès de
son ami. À la manière des chiens de chasse, qui rabattent le gibier pour leur
maître, elle indiquait à Requin les meilleurs endroits où trouver des
poissons : il n’avait plus qu’à se servir.
C’en était trop ! Les habitants des mers montèrent juqu’au ciel pour se
plaindre de Sole à Bon Dieu.
Bon Dieu, nous l’avons dit, était plein d’indulgence pour les farceurs,
les malins toujours prêts à se tirer d’affaire, les petits qui se moquent des
gros. Et puis, parmi ses créatures, Sole n’était-elle pas l’une des plus
jolies ? Cependant il la fit venir.
— Vous m’avez demandée, me voici, commença la jeune insolente en
s’adressant à Bon Dieu.
— Sole, ma fille, j’ai entendu à ton sujet des réclamations et des
plaintes. Si quelques-uns te défendent, la plupart t’accablent. Je veux que
mon peuple vive en paix… Fais attention. Tu es loin d’être sotte. Je sais que
tu connais le fonctionnement de la mer. Eh bien, je te nomme Grande
Inspectrice des Marées. Qu’en dis-tu ?
— Peuh… fit Sole. C’est bien parce que c’est vous qui me le
demandez !
— À la prochaine lune, tu viendras me dire comment les choses se
passent. N’oublie pas.
Sole alla retrouver Requin et lui conta son entrevue avec Bon Dieu, en y
ajoutant des commentaires désobligeants.
— Si ce vieux-là t’ennuie, dis-le-moi, proposa Requin. Je ne ferai de lui
qu’une seule bouchée !
Sole se mit à rire. Ce brave Requin… Quel nigaud ! Mais quel bon
serviteur il était pour elle…
Et la belle vie recommença. Sole se montrait encore plus vaniteuse, plus
arrogante, plus méchante qu’auparavant. Elle se souciait des marées comme
d’une guigne et n’imagina pas une seconde remonter au ciel pour rendre
compte de sa mission.
Les habitants des mers retournèrent trouver Bon Dieu pour se plaindre.
Ils partageaient tous le même avis : si le Créateur voulait que la paix règne
parmi eux, il devait les débarrasser de cette peste.
Bon Dieu convoqua Sole immédiatement.
— Sole, je t’ai nommée Grande Inspectrice des Marées, tu t’en
souviens ? C’est un honneur que je t’ai fait. Les mois ont passé, les lunes
ont tourné, tu n’es jamais venue m’en parler. Dis-moi, ma fille, comment va
la marée aujourd’hui ?
— Elle va… elle va, répondit Sole, comme le derrière de ma grand-
mère !
Cette fois, Bon dieu prit son élan et flanqua à Sole une telle gifle que la
malheureuse en fut tout aplatie. Sa colonne vertébrale dessina un zigzag, ses
yeux sautèrent tous deux du même côté, elle perdit ses belles couleurs, elle
perdit la parole. Bref, elle devint le poisson gris, plat et laid que vous voyez,
au marché, à l’étal du poissonnier.
— Et maintenant, disparais de ma vue ! tonna Bon Dieu.
Sole alla se cacher dans les algues, au fond de la mer. Là, chancelante et
déglinguée, elle chercha péniblement sa nourriture. Les autres poissons,
sans pitié, se moquaient d’elle, même Requin, autrefois son compère.
Mais Bon Dieu n’est pas mauvais bougre. Sa colère apaisée, au bout
d’un certain temps, il appela les poissons et leur dit :
— En voilà assez. Sole est infirme pour le reste de ses jours et ses
descendants après elle. Elle est punie, vous êtes vengés. Laissez-la
tranquille et ne lui adressez plus la parole. Oubliez-la.
Les poissons obéirent. Ils s’éloignèrent de Sole, ils ne lui parlèrent plus.
Ils ne parlèrent plus d’elle, ni de rien d’autre. Ils ne parlèrent plus du tout.
Depuis ce jour, ils sont muets.
La pintade à l’aube
Conte du Nigeria (Afrique)

Encore une histoire de soleil, mais cette fois, s’il ne se lève pas, c’est la faute de
la pintade. La faute de la pintade ?… Pas si sûr. Lisez plutôt ce dernier conte
malicieux, qui, avec ses répétitions et ses reprises, ressemble à ce que les conteurs,
dans leur langage, appellent une « randonnée ».
Savez-vous pourquoi, dans la savane africaine, le soleil se lève ? Parce
que la pintade l’appelle.
Toujours réveillée la première parmi les animaux de la brousse, à
l’aube, la pintade appelle le soleil, elle l’appelle de sa voix grinçante, elle
l’appelle encore et encore, et il finit par l’entendre. Il se lève et inonde le
pays de lumière.
Mais si la pintade ne l’appelle pas, il ne se lève pas.
Il y a longtemps, au commencement du monde, Premier Homme et
Première Femme partirent un jour dans la brousse chercher de quoi se
nourrir. Ils virent un bouquet de palmiers et, sous les palmes, des régimes
de dattes bien mûres.
Premier Homme grimpa tout en haut d’un palmier et commença à
détacher les dattes avec son couteau.
En détachant les dattes, les coups qu’il donnait dérangèrent de petites
mouches noires qui dormaient là. Elles se mirent à bourdonner – bzz, bzz,
bzz – à tourner, à se poser – bzz, bzz, bzz – à se promener sur le visage de
l’homme et à lui chatouiller le nez.
Pour s’en débarrasser, Premier Homme fit un geste et son couteau lui
échappa.
— Gare dessous ! cria-t-il à Première Femme qui se tenait au pied de
l’arbre.
Première Femme fit un bond de côté et sauta sur un cobra, caché dans
l’herbe sous les feuilles.
Le cobra fut si effrayé qu’il se faufila aussitôt dans un trou du sol. Ce
trou était la demeure d’un rat.
Devant l’irruption soudaine de cet hôte inattendu, le pauvre rat se sauva
en galopant jusqu’à l’arbre le plus proche – lequel arbre abritait le nid d’un
oiseau tisserin.
L’oiseau tisserin couvait, dans son nid de larges feuilles. Persuadé
qu’on en voulait à sa couvée, il s’agita dans tous les sens, poussant des cris
de frayeur, de fureur, et fit un tel tintamarre qu’il terrifia un singe.
Le singe, perché sur une branche, plus haut dans l’arbre, se balançait en
mangeant une mangue, bien juteuse. Du coup, il lâcha sa mangue.
La mangue atterrit, avec un bruit sourd, sur le crâne d’un éléphant
sommeillant à l’ombre de l’arbre.
Réveillé en sursaut, l’éléphant se crut cerné par des chasseurs. Il se rua
dans la brousse, entraînant, dans sa fuite éperdue, une liane accrochée à ses
défenses.
La liane avait enfoncé ses racines dans une haute fourmilière. Une fois
la liane déracinée, la haute fourmilière s’écroula.
La haute fourmilière s’écroula sur le nid de la pintade, qui justement se
trouvait là, dans un creux de la savane. Aucun œuf n’en réchappa.
La pauvre pintade fut si bouleversée par la perte de sa couvée qu’elle
étendit ses ailes au-dessus de son nid, et demeura ainsi, sans bouger, sans
parler, pendant deux jours et deux nuits.
Et la pintade devenue muette, le soleil ne se leva pas. Toute la savane
fut plongée dans l’obscurité.
Plus que tout au monde, les animaux redoutent l’obscurité. Ils
appelèrent le Créateur à l’aide.
Le Créateur convoqua les animaux. Quand ils furent tous là, il demanda
à la pintade :
— Pourquoi n’as-tu pas réveillé le soleil depuis deux jours ?
La pintade répondit en gémissant :
— Tous mes œufs ont été brisés dans l’écroulement de la fourmilière
construite au pied d’une liane déracinée par un éléphant frappé par une
mangue lâchée par un singe effrayé par un oiseau alarmé par un rat surpris
par un cobra heurté par Première Femme évitant le couteau échappé des
mains de Premier Homme agacé par le vol de petites mouches noires qui se
trouvaient à l’extrémité du dattier sur lequel il avait grimpé.
Le Créateur reprit posément la chaîne fatale de ces malheureux
événements et demanda leur témoignage aux animaux, qui confirmèrent les
propos de la pintade, point par point.
Le Créateur conclut donc que les véritables coupables étaient les petites
mouches noires qui se trouvaient à l’extrémité du dattier.
— Il semble bien que tout ceci soit de votre faute, leur dit le Créateur
avec sévérité. Pourquoi avez-vous agacé Premier Homme qui récoltait sa
nourriture ? Qu’avez-vous à répondre ?
Au lieu de répondre poliment, comme l’avaient fait, avant elles, tous les
animaux, les mouches se contentèrent de bourdonner en volant, de voler en
bourdonnant – bzz, bzz, bzz, bzz, bzz, bzz…
Le Créateur renouvela sa demande et obtint la même réponse.
— Puisqu’il en est ainsi, dit-il aux mouches, à partir de maintenant, je
vous retire le don de la parole. La seule chose dont vous serez capable, c’est
de bourdonner – bzz, bzz, bzz. Quant à toi, pintade, assez gémi ! Ce n’est
pas parce qu’il arrive malheur à tes œufs que toute la savane doit être
plongée dans l’obscurité. Ta tâche, c’est, à l’aube, de réveiller le soleil. Ne
l’oublie jamais. Et maintenant, allez !
Le Créateur fut obéi.
Les mouches ne savent plus rien faire d’autre que bourdonner,
bourdonner, bourdonner – bzz, bzz, bzz, bzz, bzz, bzz…
Et la pintade, réveillée à l’aube dans la savane, appelle le soleil, appelle
le soleil, et le soleil finit toujours par se lever.
Bibliographie

Ouvrages généraux
Les Grands Mythes de création du monde, P. Ravignant, A. Kielce, Le
Mail, 1988.
Dieux, héros et mythes, M. Leturmy, Le Club français du Livre, 1958.
Ce que disent les contes, L. Schnitzer, Le Sorbier, 2002.

Europe
Les Mythes grecs, R. Graves, Librairie Générale Française, 2002.
Les Métamorphoses, Ovide, Flammarion, « GF Étonnants Classiques »,
2006.
L’Univers, les dieux, les hommes, J. P. Vernant, Seuil, 1999.
Le Kalevala, E. Primicerio, traduit par A. M. Cabrini, Hatier, 1967.
L’Edda, S. Sturluson, traduit par F. X. Dillmann, Gallimard, 2008.
Contes lithuaniens, J. Mauclère, F. Lanore, 1936.
Religion et Mythologie chez les Baltes, P. Jouet, Archè, Les Belles
Lettres, 1989.

Asie
Mythes et Légendes sibériens, L. Popova, L’Harmattan, 1992.
Contes et Légendes du Japon, F. Challaye, Nathan, 1963.
Vietnamese Legends, G. F. Schultz, Charles E. Tutle Company, Japan,
1965.
Anthologie de la poésie vietnamienne, Gallimard, 1981.

Australie
La Planète des langues, M. Yaguello, Seuil, 1993.

Afrique
Mythes et Légendes de la Corne de l’Afrique, C. Balder, Karthala,
2000.
When Lion Could Fly, N. Greaves, Southern Book Publishers, 1993.

Amériques
The Story Telling Stone : Myths and Tales of the American Indians,
S. Feldmann, Dell Publishing, New-York, 1965.
The Legend of the Windego, G. Ross, Dial Book for Young Readers,
1996.
Contes d’Amazonie, H. Perol, Hatier, 1979.
Françoise Rachmuhl

L’auteur aime les contes depuis toujours. Elle aime les écouter dès son
enfance lorraine, les inventer, les lire. Plus tard, elle se mettra à en écrire.
Au cours de ses nombreux voyages, elle a recueilli récits traditionnels et
légendes, dits ou publiés en français ou en anglais (elle a séjourné aux
États-Unis). Elle a publié pour la jeunesse une dizaine de recueils de contes
de différents pays ou des provinces de France. Après avoir longtemps
travaillé dans l’édition scolaire, elle anime actuellement dans des classes
des ateliers d’écriture de contes ou de poésie.
Frédéric Sochard

L’illustrateur est né en 1966. Après des études aux Arts décoratifs, il


travaille comme infographiste, et fait de la communication d’entreprise, ce
qui lui plaît beaucoup moins que ses activités parallèles de graphiste
traditionnel : création d’affiches et de pochettes de CD. Depuis 1996, il
s’auto-édite, et vend « ses petits bouquins », de la poésie, sur les marchés
aux livres… Pour le plaisir du dessin, il s’oriente désormais vers
l’illustration de presse et la jeunesse. Et avec tout ça, il a trouvé le temps de
faire deux expositions de peinture…

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