Vous êtes sur la page 1sur 4

Lecture complémentaire : groupement de textes autour du parcours « Maître et valet »

Texte 1 : extrait I, 5 Le Malade imaginaire (1673)

Argan, hypocondriaque, ne cesse de s’entourer de médecins, incompétents et cupides, qui le maintiennent dans ses
maladies imaginaires pour lui soutirer de l’argent. Il décide de marier sa fille Angélique, contre son gré, à Thomas
Diafoirus, homme stupide mais soi-disant médecin et fils de médecin. Toinette, servante intelligente, vive et combative,
soutient la fille de son maître et cherche à empêcher ce mariage.

TOINETTE Mon Dieu! tout doux. Vous allez d'abord aux invectives. Est-ce que nous ne pouvons pas
raisonner ensemble sans nous emporter. Là , parlons de sang-froid. Quelle est votre raison, s'il vous plaît,
pour un tel mariage?
ARGAN Ma raison est que, me voyant infirme et malade comme je le suis, je veux me faire un gendre et des
alliés médecins, afin de m'appuyer de bons secours contre ma maladie, d'avoir dans ma famille les sources
des remèdes qui me sont nécessaires, et d'être à même des consultations et des ordonnances.
TOINETTE Eh bien, voilà dire une raison, et il y a du plaisir à se répondre doucement les uns aux autres.
Mais, monsieur, mettez la main à la conscience; est-ce que vous êtes malade?
ARGAN Comment, coquine! si je suis malade! Si je suis malade, impudente!
TOINETTE Eh bien, oui, monsieur, vous êtes malade; n'ayons point de querelle là -dessus. Oui, vous êtes
fort malade, j'en demeure d'accord, et plus malade que vous ne pensez: voilà qui est fait. Mais votre fille
doit épouser un mari pour elle; et, n'étant point malade, il n'est pas nécessaire de lui donner un médecin.
ARGAN C'est pour moi que je lui donne ce médecin, et une fille de bon naturel doit être ravie d'épouser ce
qui est utile à la santé de son père.
TOINETTE Ma foi, monsieur, voulez-vous qu'en amie je vous donne un conseil?
ARGAN Quel est-il, ce conseil?
TOINETTE De ne point songer à ce mariage-là .
ARGAN Et la raison?
TOINETTE La raison, c'est que votre fille n'y consentira point.
ARGAN Elle n'y consentira point?
TOINETTE Non.
ARGAN Ma fille?
TOINETTE Votre fille. Elle vous dira qu'elle n'a que faire de monsieur Diafoirus, de son fils Thomas
Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde.
ARGAN J'en ai affaire, moi, outre que le parti est plus avantageux qu'on ne pense. Monsieur Diafoirus n'a
que ce fils-là pour tout héritier; et, de plus, monsieur Purgon qui n'a ni femme ni enfants, lui donne tout
son bien en faveur de ce mariage; et monsieur Purgon est un homme qui a huit mille bonnes livres de
rente.
TOINETTE Il faut qu'il ait tué bien des gens pour s'être fait si riche.
ARGAN Huit mille livres de rente sont quelque chose, sans compter le bien du père.
TOINETTE Monsieur, tout cela est bel et bon; mais j'en reviens toujours là : je vous conseille, entre nous, de
lui choisir un autre mari; et elle n'est point faite pour être madame Diafoirus.
ARGAN Et je veux, moi, que cela soit.
TOINETTE Eh! fi! ne dites pas cela.
ARGAN Comment! que je ne dise pas cela?
TOINETTE Eh! non.
ARGAN Et pourquoi ne le dirais-je pas?
TOINETTE On dira que vous ne songez pas à ce que vous dites.
ARGAN On dira ce qu'on voudra, mais je vous dis que je veux qu'elle exécute la parole que j'ai donnée.
TOINETTE Non, je suis sû re qu'elle ne le fera pas.
ARGAN Je l'y forcerai bien.
TOINETTE Elle ne le fera pas, vous dis-je.
ARGAN Elle le fera, ou je la mettrai dans un couvent.
TOINETTE Vous?
ARGAN Moi.
TOINETTE Bon.
ARGAN Comment, bon?
TOINETTE Vous ne la mettrez point dans un couvent.
ARGAN Je ne la mettrai point dans un couvent?
TOINETTE Non.
ARGAN Non?
TOINETTE Non.
ARGAN Ouais! Voici qui est plaisant! Je ne mettrai pas ma fille dans un couvent, si je veux?
TOINETTE Non, vous dis-je.

1. Prouvez que Toinette, la servante, mène le dialogue. Relevez des éléments précis justifiant votre
réponse.
2. Montrez qu’Argan est tyrannique mais faible en citant précisément des procédés.
3. En quoi cette scène de confrontation entre le maître et la servante est-elle comique ?

Texte 2 : Victor Hugo, Ruy Blas (1838) III, 5

Ce drame romantique met en scène Don Salluste qui, pour se venger de la reine d’Espagne, utilise son valet Ruy Blas,
amoureux de celle-ci. Il le fait passer pour un membre de sa famille, Don César, et l’introduit à la cour en le présentant
comme un noble. Six mois passent, Don Salluste vient surprendre Don César, déguisé en valet.

DON SALLUSTE
Eh bien ! Comment cela va-t-il ?
RUY BLAS, l’œil fixé sur don Salluste impassible, et comme pouvant à peine rassembler ses idées.
Cette livrée ?…
DON SALLUSTE, souriant toujours.
Il fallait du palais me procurer l’entrée.
Avec cet habit-là l’on arrive partout.
J’ai pris votre livrée et la trouve à mon goû t.
Il se couvre, Ruy Blas reste tête nue.
RUY BLAS
Mais j’ai peur pour vous…
DON SALLUSTE
Peur ! Quel est ce mot risible ?
RUY BLAS
Vous êtes exilé !
DON SALLUSTE
Croyez-vous ? C’est possible.
RUY BLAS
Si l’on vous reconnaît, au palais, en plein jour ?
DON SALLUSTE
Ah bah ! Des gens heureux, qui sont des gens de cour,
Iraient perdre leur temps, ce temps qui si tô t passe,
À se ressouvenir d’un visage en disgrâ ce !
D’ailleurs, regarde-t-on le profil d’un valet ?
Il s’assied dans un fauteuil, et Ruy Blas reste debout.
À propos, que dit-on à Madrid, s’il vous plaît ?
Est-il vrai que, brû lant d’un zèle hyperbolique,
Ici, pour les beaux yeux de la caisse publique,
Vous exilez ce cher Priego, l’un des grands ?
Vous avez oublié que vous êtes parents.
Sa mère est Sandoval, la vô tre aussi. Que diable !
Sandoval porte d’or à la bande de sable.
Regardez vos blasons, don César. C’est fort clair.
Cela ne se fait pas entre parents, mon cher.
Les loups pour nuire aux loups font-ils les bons apô tres ?
Ouvrez les yeux pour vous, fermez-les pour les autres.
Chacun pour soi.
RUY BLAS, se rassurant un peu.
Pourtant, monsieur, permettez-moi.
Monsieur de Priego, comme noble du roi,
À grand tort d’aggraver les charges de l’Espagne.
Or, il va falloir mettre une armée en campagne ;
Nous n’avons pas d’argent, et pourtant il le faut.
L’héritier bavarois penche à mourir bientô t.
Hier, le comte d’Harrach, que vous devez connaître,
Me le disait au nom de l’empereur son maître,
Si monsieur l’archiduc veut soutenir son droit,
La guerre éclatera…
DON SALLUSTE
L’air me semble un peu froid.
Faites-moi le plaisir de fermer la croisée.
Ruy Blas, pâle de honte et de désespoir, hésite un moment ; puis il fait un effort et se dirige lentement vers la fenêtre, la
ferme, et revient vers Don Salluste, qui, assis dans un fauteuil, le suit des yeux d’un air indifférent.
RUY BLAS, reprenant, et essayant de convaincre don Salluste.
Daignez voir à quel point la guerre est malaisée.
Que faire sans argent ? Excellence, écoutez.
Le salut de l’Espagne est dans nos probités.
Pour moi, j’ai, comme si notre armée était prête,
Fait dire à l’empereur que je lui tiendrais tête…
DON SALLUSTE, interrompant Ruy Blas et lui montrant son mouchoir qu’il a laissé tomber en entrant.
Pardon ! Ramassez-moi mon mouchoir.
Ruy Blas, comme à la torture, hésite encore, puis se baisse, ramasse le mouchoir, et le présente à don Salluste.
DON SALLUSTE, mettant le mouchoir dans sa poche.
Vous disiez ?

1. En quoi les didascalies, dans cette scène sont-elles importantes ?


2. En quoi le personnage du valet est-il double ?
3. Montrez la supériorité de Don Salluste.

Texte 3 : Jean Genet, Les Bonnes (1947)

Deux domestiques, Claire et Solange, projettent d’assassiner leur maîtresse, en simulant les rôles. La première joue le rôle
de « Madame », tandis que Solange est Claire « la bonne ». Elles interprètent dans cette scène leur propre vision de la
relation maîtresse/domestique.

CLAIRE
Préparez ma robe. Vite le temps presse. Vous n’êtes pas là ? (Elle se retourne.) Claire ! Claire !
Entre Solange.
SOLANGE
Que Madame m'excuse, je préparais le tilleul (Elle prononce «tillol ».) de Madame.
CLAIRE
Disposez mes toilettes. La robe blanche pailletée. L’éventail, les émeraudes.
SOLANGE
Tous les bijoux de Madame ?
CLAIRE
Sortez-les. Je veux choisir. (Avec beaucoup d'hypocrisie.) Et naturellement les souliers vernis. Ceux que vous convoitez
depuis des années.
Solange prend dans l'armoire quelques écrins qu'elle ouvre et dispose sur le lit.
Pour votre noce sans doute. Avouez qu'il vous a séduite ! Que vous êtes grosse ! Avouez-le !
Solange s'accroupit sur le tapis et, crachant dessus, cire des escarpins vernis.
Je vous ai dit, Claire, d’éviter les crachats. Qu'ils dorment en vous, ma fille, qu'ils y croupissent. Ah ! Ah ! Vous êtes
hideuse, ma belle. Penchez-vous davantage et vous regardez dans mes souliers. (Elle tend son pied que Solange
examine.) Pensez-vous qu'il me soit agréable de me savoir le pied enveloppé par les voiles de votre salive ? Par la
brume de vos marécages ?
SOLANGE, à genoux et très humble.
Je désire que Madame soit belle.
CLAIRE, elle s’arrange dans la glace.
Vous me détestez, n'est-ce pas ? Vous m’écrasez sous vos prévenances, sous votre humilité, sous les glaïeuls et le
réséda. (Elle se lève et d'un ton plus bas.) On s'encombre inutilement. Il y a trop de fleurs. C'est mortel. (Elle se mire
encore.) Je serai belle. Plus que vous ne le serez jamais.

1. Comment pouvez-vous qualifier la relation entre la maîtresse et la bonne alors que


Claire et Solange interprètent chacune un rôle ?
2. Relevez les différents procédés employés (grammaticaux, lexicaux) pour évoquer les
rapports entre les deux personnages.
3. Quels points communs pouvez-vous établir entre L’Île des esclaves et ces trois extraits
quant à la relation maître / valet ?

Vous aimerez peut-être aussi