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SEQUENCE 1 – 1ère G- C.

BUTTERLIN – Français- TEXTES POUR L’ORAL

Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle


Lecture intégrale, Molière, Le Malade imaginaire, 1673

TEXTE 1

ARGAN. Je lui commande absolument de se préparer à prendre le mari que je dis.


TOINETTE. Et moi, je lui défends absolument d’en faire rien.
ARGAN. Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-ce là, à une coquine de servante, de
parler de la sorte devant son maître ?
5 TOINETTE. Quand un maître ne songe pas à ce qu’il fait, une servante bien sensée est en droit de le
redresser.
ARGAN, courant après Toine e. Ah ! insolente, il faut que je t’assomme.
TOINETTE, évitant Argan, et me ant la chaise entre elle et lui. Il est de mon devoir de m’opposer aux
choses qui vous peuvent déshonorer.
10 ARGAN, courant après Toine e autour de la chaise avec son bâton. Viens, viens, que je t’apprenne à
parler.
TOINETTE, se sauvant du côté où n’est point Argan. Je m’intéresse, comme je dois, à1 ne vous point
laisser faire de folie.
ARGAN, de même. Chienne !
15 TOINETTE, de même. Non, je ne consen@rai jamais à ce mariage.
ARGAN, de même. Pendarde !2
TOINETTE, de même. Je ne veux point qu’elle épouse votre Thomas Diafoirus.
ARGAN, de même. Carogne !
TOINETTE, de même. Et elle m’obéira plutôt qu’à vous.
20 ARGAN, s’arrêtant. Angélique, tu ne veux pas m’arrêter ceEe coquine-là ?
ANGELIQUE. Hé ! mon père, ne vous faites point malade.3
ARGAN, à Angélique. Si tu ne me l’arrêtes, je te donnerai ma malédic@on.
TOINETTE, en s’en allant. Et moi, je la déshériterai, si elle vous obéit.
ARGAN, se jetant dans sa chaise. Ah ! ah ! je n’en puis plus. Voilà pour me faire mourir.
Molière, Le Malade imaginaire, I, 5, 1673

1
Je m’intéresse… à : je prends soin de…
2
Pendarde : canaille (au sens strict du terme qui mériterait d’être pendue).
3
Ne vous faites point malade : ne vous rendez pas malade.
TEXTE 2
ARGAN. Ne vous ai-je pas recommandé de me venir dire d’abord tout ce que vous voyez ?
LOUISON. Oui, mon papa.
ARGAN. L’avez-vous fait ?
LOUISON. Oui, mon papa. Je vous suis venue dire tout ce que j’ai vu.
5 ARGAN. Et n’avez-vous rien vu aujourd’hui ?
LOUISON. Non, mon papa.
ARGAN. Non ?
LOUISON. Non, mon papa.
ARGAN. Assurément ?
10 LOUISON. Assurément.
ARGAN. Oh çà, je m’en vais vous faire voir quelque chose, moi.
LOUISON, voyant une poignée de verges1qu’Argan a été prendre. Ah ! mon papa !
ARGAN. Ah ! ah ! pe@te masque2, vous ne me dites pas que vous avez vu un homme dans la chambre de
votre sœur !
15 LOUISON, pleurant. Mon papa !
ARGAN, prenant Louison par le bras. Voici qui vous apprendra à men@r.
LOUISON, se jetant à genoux. Ah ! mon papa, je vous demande pardon. C’est que ma sœur m’avait dit
de ne pas vous le dire ; mais je m’en vais vous dire tout.
ARGAN. Il faut premièrement que vous ayez le fouet pour avoir men@. Puis après nous verrons au reste3.
20 LOUISON. Pardon, mon papa.
ARGAN. Non, non.
LOUISON. Mon pauvre papa, ne me donnez pas le fouet.
ARGAN. Vous l’aurez.
LOUISON. Au nom de Dieu, mon papa, que je ne l’aie pas !
25 ARGAN, voulant la foue er. Allons, allons.
LOUISON. Ah ! mon papa, vous m’avez blessée. AEendez : je suis morte. (Elle contrefait4 la morte.)
ARGAN. Holà ! Qu’est-ce là ? Louison, Louison ! Ah ! mon Dieu ! Louison ! Ah ! ma fille ! Ah !
malheureux ! ma pauvre fille est morte ! Qu’ai-je fait, misérable ! Ah ! chiennes de verges ! La peste
soit des verges ! Ah ! ma pauvre fille, ma pauvre pe@te Louison !
30 LOUISON. Là, là, mon papa, ne pleurez point tant : je ne suis pas morte tout à fait.
ARGAN. Voyez-vous la pe@te rusée ? Oh çà, çà, je vous pardonne pour ceEe fois-ci, pourvu que vous me
disiez bien tout.
LOUISON. Oh ! oui, mon papa.

Molière, Le Malade imaginaire, II, 8, 1673

1
Verges : Longues baguettes de bois fines et flexibles, utilisées en guise de fouets.
2
Masque : effrontée, insolente.
3
Au reste : pour le reste.
4
Contrefait : imite
TEXTE 3

BERALDE Dans les discours et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands
médecins. Entendez-les parler, les plus habiles gens du monde ; voyez-les faire, les plus ignorants de
tous les hommes.
ARGAN Ouais ! vous êtes un grand docteur, à ce que je vois ; et je voudrais bien qu’il y eût ici quelqu’un
5 de ces messieurs, pour rembarrer vos raisonnements, et rabaisser votre caquet.
BERALDE. Moi, mon frère, je ne prends point à tâche1 de combaEre la médecine ; et chacun, à ses périls
et fortune2, peut croire tout ce qu’il lui plaît. Ce que j’en dis n’est qu’entre nous ; et j’aurais souhaité de
pouvoir un peu vous @rer de l’erreur où vous êtes, et, pour vous diver@r, vous mener voir, sur ce
chapitre3, quelqu’une des comédies de Molière.
10 ARGAN. C’est un bon imper@nent que votre Molière, avec ses comédies ! et je le trouve bien plaisant
d’aller jouer4 d’honnêtes gens comme les médecins !
BERALDE. Ce ne sont point les médecins qu’il joue, mais le ridicule de la médecine.
ARGAN. C’est bien à lui à faire5 , de se mêler de contrôler la médecine ! Voilà un bon nigaud, un bon
imper@nent, de se moquer des consulta@ons et des ordonnances, de s’aEaquer au corps des médecins,
15 et d’aller meEre sur son théâtre des personnes vénérables comme ces messieurs-là !
BERALDE. Que voulez-vous qu’il y meEe, que les diverses professions des hommes ? On y met bien tous
les jours les princes et les rois, qui sont d’aussi bonne maison que les médecins.
ARGAN. Par la mort non de diable ! si j’étais que des médecins6, je me vengerais de son imper@nence ;
et, quand il sera malade, je le laisserais mourir sans secours. Il aurait beau faire et beau dire, je ne lui
20 ordonnerais pas la moindre pe@te saignée, le moindre pe@t lavement ; et je lui dirais : Crève, crève ;
cela t’apprendra une autre fois à te jouer à la Faculté.
Molière, Le Malade imaginaire, III, 3, 1673

1
Je ne prends point à tâche : je n’ai pas pour but.
2
A ses périls et fortunes : à ses risques et périls.
3
Sur ce chapitre : à ce sujet.
4
Jouer : ridiculiser, tourner en dérision.
5
C’est bien à lui à faire : c’est bien son rôle.
6
Si j’étais que des médecins : si j’étais à la place des médecins.
Parcours associé « Comédie et spectacle »
Dans ce vaudeville, (pièce légère, comique, qui exploite par des rebondissements le comique de situa6on,
notamment, tout ce qui tourne autour de l’adultère bourgeois), écrit par Georges Feydeau (1862-1921), le
deuxième acte se déroule à l’hôtel du Minet-Galant, un établissement où se retrouvent des couples adultères. Le
patron de l’hôtel a fait installer un disposi6f visant à éviter à ces couples le flagrant délit. Derrière le lit d’une des
chambres se trouve un autre lit, dissimulé par une cloison, dans lequel est couché, Bap6s6n, un vieillard. Un
bouton à côté du lit ac6onne, la « tourne e », disposi6f perme ant de faire pivoter le lit et la cloison de manière
à ce que le couple illégi6me puisse disparaître et faire apparaître Bap6s6n, à leur place, si besoin. Raymonde,
épouse de M. Chandebise, un riche bourgeois, s’est rendue à l’hôtel afin de surprendre son mari, qu’elle croit
infidèle. Elle se retrouve par un concours de circonstances dans ce e chambre avec M. Tournel, un ami de son
mari qui lui fait des avances. Comme il se montre très insistant, elle ac6onne le bouton, croyant qu’il permet
d’appeler du personnel. Elle déclenche en réalité la « tourne e ». Tournel, qui est de dos à ce moment, et n’a rien
vu, se je e sur le lit, et, croyant embrasser Raymonde, se met à embrasser Bap6s6n.
Scène VII TOURNEL, BAPTISTIN, puis RUGBY, puis POCHE.
TOURNEL, sautant hors du lit, à la vue de Bap6s6n. Ah ! Affolé, ahuri, ne comprenant rien à ce qui lui
arrive, pendant un bon moment il va, vient comme un écureuil en cage avec des regards effarés, à
droite, à gauche, au lit, au public, comme un homme qui a li éralement perdu le nord.
BAPTISTIN, entonnant son refrain coutumier 1. Oh ! mes rhuma@smes !
5 TOURNEL, retrouvant sa salive. Qu’est-ce que c’est que ça ?
BAPTISTIN. Mes pauvres rhuma@smes !
TOURNEL, à Bap6s6n. Qu’est-ce que vous faites là, vous ? D’où sortez-vous ? Par où êtes-vous entré ?
BAPTISTIN, se redressant sur son séant 2 et l’air bien abru6. Hein ?
TOURNEL. Et Raymonde ?… Raymonde, où est-elle ? (Courant ouvrir la porte donnant sur le hall. À
10 part.) Personne ! (il réintègre la chambre dont il laisse la porte ouverte et tout en gagnant le cabinet de
toile e, appelant.) Raymonde… Raymonde ! Il disparaît dans le cabinet de toile e.3
RAYMONDE, sortant comme une folle de la chambre du fond droit où la tourne e l’a transportée.
Qu’est-ce qui s’est passé ?… Où suis-je ?… Oh mon Dieu ! (Appelant.) Tournel ! Tournel ! (Au public.) Oh
non ! assez ! assez de cet hôtel ! filons ! filons ! Elle se précipite dans l’escalier ; à peine a-t-elle disparu,
15 que Rugby fait irrup6on hors de sa chambre.
RUGBY. Alloh, boy 4 ! (Ne trouvant personne à qui parler) No body here ! (Il est arrivé à la cage de
l’escalier, appelant en se penchant par-dessus la rampe.) Boy ! Boy !
RAYMONDE, surgissant dans l’escalier dont elle a regrimpé les marches quatre à quatre. Ciel ! mon
mari !… Mon mari dans l’escalier 5! Voyant la porte de Rugby ouverte elle se précipite dans la chambre.
20 RUGBY, la regarde un instant ahuri, puis sa figure prend un air émous6llé 6et s’élançant à sa suite. Ah !
that’s a darling, hurrah ! 7… Il traverse la scène à grandes enjambées et pénètre dans la chambre dont
la porte se referme sur lui.
POCHE, de l’escalier, descendant en scène. Je suis bête ! Je ne trouve pas le vermouth ! pas étonnant !
Je l’ai donné hier à Bap@s@n. (Appelant en se dirigeant vers la chambre fond droit.) Bap@s@n ! Eh !

25

1
Baptistin, payé par le patron de l’hôtel, a pour mission de jouer le vieillard malade dès que la « tournette » est
actionnée, pour duper ceux qui viendraient prendre leur conjoint en flagrant délit d’adultère.
2
S’asseyant.
3
Rugby est un Anglais lubrique, qui loue une chambre à l’hôtel.
4
Rugby appelle Poche qui doit lui apporter du vermouth (vin aromatisé).
5
Raymonde vient en réalité d’apercevoir Poche, qui est le garçon de l’hôtel, et, par ailleurs, le sosie de son
mari (les deux rôles sont joués par le même acteur.)
6
Excité, titillé.
7
Ah ! C’est une petite chérie, hourrah !

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