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SÉQUENCE 1

CHAPITRE 4

Les valets dans les pièces de Molière

Document 1
Molière, Dom Juan, 1665
Don Juan est un noble espagnol qui a abandonné son épouse juste après le mariage. Ce n’est pas la première
fois qu’il le fait. Dans cette scène Sganarelle, son valet, essaie de lui faire entendre raison.

Acte I, scène 2
DON JUAN, SGANARELLE.
[...]
DON JUAN : Et ne trouves-tu pas, dis-moi, que j'ai raison d'en user de la sorte ?
SGANARELLE : Eh ! Monsieur.
DON JUAN : Quoi ? Parle.
SGANARELLE : Assurément que vous avez raison, si vous le voulez ; on ne peut pas aller là contre. Mais si
vous ne le vouliez pas, ce serait peut-être une autre affaire.
DON JUAN : Eh bien ! je te donne la liberté de parler et de me dire tes sentiments.
SGANARELLE : En ce cas, Monsieur, je vous dirai franchement que je n'approuve point votre méthode, et
que je trouve fort vilain d'aimer de tous côtés comme vous faites.
DON JUAN : Quoi ? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au
monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux
honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à
toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n'est bonne que pour
des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première ne
doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos cœurs. [...] Il n'est rien qui
puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre […].
SGANARELLE : Vertu de ma vie, comme vous débitez ! […]
DON JUAN : Qu'as-tu à dire là-dessus ?
SGANARELLE : Ma foi ! j'ai à dire…, je ne sais ; car vous tournez les choses d'une manière, qu'il semble
que vous avez raison ; et cependant il est vrai que vous ne l'avez pas. J'avais les plus belles pensées du
monde, et vos discours m'ont brouillé tout cela. Laissez faire : une autre fois je mettrai mes
raisonnements par écrit, pour disputer avec vous.
DON JUAN : Tu feras bien.
SGANARELLE : Mais, Monsieur, cela serait-il de la permission que vous m'avez donnée, si je vous disais
que je suis tant soit peu scandalisé de la vie que vous menez ? [...]
DON JUAN : Holà ! maître sot, vous savez que je vous ai dit que je n'aime pas les faiseurs de
remontrances.
SGANARELLE : Je ne parle pas aussi à vous, Dieu m'en garde. Vous savez ce que vous faites, vous ; et si
vous ne croyez rien, vous avez vos raisons ; mais il y a de certains petits impertinents dans le monde, qui
sont libertins sans savoir pourquoi, qui font les esprits forts, parce qu'ils croient que cela leur sied bien ;
et si j'avais un maître comme cela, je lui dirais fort nettement, le regardant en face : « Osez-vous bien

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ainsi vous jouer au Ciel, et ne tremblez-vous point de vous moquer comme vous faites des choses les plus
saintes ? C'est bien à vous, petit ver de terre, petit mirmidon que vous êtes (je parle au maître que j'ai dit),
c'est bien à vous à vouloir vous mêler de tourner en raillerie ce que tous les hommes révèrent ? Pensez-
vous que pour être de qualité, pour avoir une perruque blonde et bien frisée, des plumes à votre chapeau,
un habit bien doré, et des rubans couleur de feu (ce n'est pas à vous que je parle, c'est à l'autre), pensez-
vous, dis-je, que vous en soyez plus habile homme, que tout vous soit permis, et qu'on n'ose vous dire vos
vérités ? Apprenez de moi, qui suis votre valet, que le Ciel punit tôt ou tard les impies, qu'une méchante vie
amène une méchante mort, et que… »
DON JUAN : Paix ! […]

Document 2
Molière, Tartuffe, acte II, scène 2, 1669
Orgon veut marier sa fille Mariane à Tartuffe, un parasite qui vit sous son toit, et se fait passer pour un dévot.
Dorine, la servante de la maison, qui a eu vent de l’affaire, intervient, et veut faire entendre raison à son maître.

Acte II, scène 2


DORINE, ORGON, MARIANE
[…]
DORINE.
Allez, ne croyez point à Monsieur votre père :
Il raille.

ORGON.
Je vous dis…

DORINE.
Non, vous avez beau faire,
On ne vous croira point.

ORGON.
A la fin mon courroux…

DORINE.
Hé bien ! on vous croit donc, et c'est tant pis pour vous.
Quoi ? se peut-il, Monsieur, qu'avec l'air d'homme sage
Et cette large barbe au milieu du visage,
Vous soyez assez fou pour vouloir... ?

ORGON.
Écoutez :
Vous avez pris céans certaines privautés
Qui ne me plaisent point ; je vous le dis, mamie.

2 CNED SECONDE FRANÇAIS


DORINE.
Parlons sans nous fâcher, Monsieur, je vous supplie.
Vous moquez-vous des gens d'avoir fait ce complot ?
Votre fille n'est point l'affaire d'un bigot :
Il a d'autres emplois auxquels il faut qu'il pense.
Et puis, que vous apporte une telle alliance ? [...]
Ferez-vous possesseur, sans quelque peu d'ennui,
D'une fille comme elle un homme comme lui ?
Et ne devez-vous pas songer aux bienséances,
Et de cette union prévoir les conséquences ? [...]
Et qui donne à sa fille un homme qu'elle hait
Est responsable au Ciel des fautes qu'elle fait.
Songez à quels périls votre dessein vous livre.

ORGON.
Je vous dis qu'il me faut apprendre d'elle à vivre.

DORINE.
Vous n'en feriez que mieux de suivre mes leçons.

Document 3
Molière, Les Fourberies de Scapin, acte I, scène 2, 1671
Octave est au désespoir : il vient d’apprendre que son père est de retour et qu’il veut le marier, alors que lui-
même s’est engagé avec une femme fraîchement rencontrée.

SCÈNE 2
SCAPIN, OCTAVE, SILVESTRE.

SCAPIN.- Qu’est-ce, Seigneur Octave, qu’avez-vous ? Qu’y a-t-il ? Quel désordre est-ce là ? Je vous vois
tout troublé.
OCTAVE.- Ah, mon pauvre Scapin, je suis perdu, je suis désespéré ; je suis le plus infortuné de tous les
hommes.
SCAPIN.- Comment ?
OCTAVE.- N’as-tu rien appris de ce qui me regarde ?
SCAPIN.- Non.
OCTAVE.- Mon père arrive avec le seigneur Géronte, et ils me veulent marier.
SCAPIN.- Hé bien, qu’y a-t-il là de si funeste ?
OCTAVE.- Hélas ! tu ne sais pas la cause de mon inquiétude.
SCAPIN.- Non ; mais il ne tiendra qu’à vous que je la sache bientôt ; et je suis homme consolatif, homme à
m’intéresser aux affaires des jeunes gens.
OCTAVE.- Ah ! Scapin, si tu pouvais trouver quelque invention, forger quelque machine, pour me tirer de la
peine où je suis, je croirais t’être redevable de plus que de la vie.
SCAPIN.- À vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m’en veux mêler.
J’ai sans doute reçu du Ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d’esprit, de

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ces galanteries ingénieuses à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies ; et je puis dire sans
vanité, qu’on n’a guère vu d’homme qui fût plus habile ouvrier de ressorts et d’intrigues ; qui ait acquis
plus de gloire que moi dans ce noble métier : mais, ma foi, le mérite est trop maltraité aujourd’hui, et j’ai
renoncé à toutes choses depuis certain chagrin d’une affaire qui m’arriva.
OCTAVE.- Comment ? Quelle affaire, Scapin ?
SCAPIN.- Une aventure où je me brouillai avec la justice.
OCTAVE.- La justice !
SCAPIN.- Oui, nous eûmes un petit démêlé ensemble.
SILVESTRE.- Toi, et la justice ?
SCAPIN.- Oui. Elle en usa fort mal avec moi, et je me dépitai de telle sorte contre l’ingratitude du siècle,
que je résolus de ne plus rien faire. Baste. Ne laissez pas de me conter votre aventure.

[Octave narre sa rencontre avec une femme dont il est tombé amoureux et à qui il a promis le mariage]

SCAPIN.- Est-ce là tout ? Vous voilà bien embarrassés tous deux pour une bagatelle. C’est bien là de quoi
se tant alarmer. N’as-tu point de honte, toi, de demeurer court à si peu de chose ? Que diable, te voilà
grand et gros comme père et mère, et tu ne saurais trouver dans ta tête, forger dans ton esprit quelque
ruse galante, quelque honnête petit stratagème, pour ajuster vos affaires ? Fi. Peste soit du butor. Je
voudrais bien que l’on m’eût donné autrefois nos vieillards à duper ; je les aurais joués tous deux par-
dessous la jambe ; et je n’étais pas plus grand que cela, que je me signalais déjà par cent tours d’adresse
jolis.

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