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« Je ne manquerai pas de prier le Ciel qu’il vous donne toute sorte de biens. »
Entre le pronom personnel « je » qui est sujet du verbe « prier » et le « vous »
qui est l’objet du verbe « donner » la dissonance est claire.cette formule est à
mettre en rapport avec une autre formule prononcée par le pauvre plus loin «
prier le ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent
quelque chose. Les deux formules se renforcent pour mieux mettre en valeur le
rôle que s’attribue le pauvre. Il s’est fait intercesseur sur le plan spirituel en
faveur du riche.
« Eh ! Prie-le qu’il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des
autres ». Ici le libertin cet à instaurer une stratégie de tentation progressive.
Cette réplique en constitue la première étape dans la mesure où il semble
insister sur l’inutilité de ses prières. Il lui refuse son rôle théologique
d’intercesseur. Par la séquence « sans te mettre en peine des affaires des
autres » il tente de ridiculiser la naïveté de la croyance du pauvre.
« de prier le ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me
donnent quelque chose. » la réponse naïve du pauvre est paradoxale. Le
substantif prospérité signifie « un état d’abondance d’augmentation des
richesses » et s’oppose au syntagme nominal « quelque chose ». La théologie
du pauvre est donc fondée sur une inversion des valeurs reconnues en ce sens
que le pauvre est plus élevé dans la hiérarchie que le riche et sur une relation
d’échange. Le premier est matériellement pris en charge par le second, et le
second est soutenu spirituellement par le premier, et l’un et l’autre fondent
leur action sur la foi de Dieu. Ce thème est très développé dans la seconde
moitié du XVIIème siècle et la pièce Dom Juan est écrite en pleine querelle de
Tartuffe. Il est clair que la relation du pauvre et du riche n’est pas aussi terni
que dans Tartuffe car le pauvre est réellement dans la nécessité et que Dom
Juan est libertin donc loin de participer à cette entreprise spirituelle. Le résultat
est clair depuis le début et le dialogue qu’on verra s’instaurer entre eux ne peut
être qu’un « faux dialogue ».
« Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise ? » cette interrogation
s’inscrit dans la visée provocatrice du maitre. Il manipule son interlocuteur
pour le mettre face à ses contradictions.
« tu te moques : un homme qui prie le ciel tout le jour, ne peut pas manquer
d’être bien dans ses affaires. » Avec la première proposition « tu te moque »
affecte l’indignation. Par le lien logique de la conséquence, Dom juan exprime
de manière implicite la responsabilité du Ciel dans la misère du pauvre, il
entend mettre en évidence l’injustice divine. MaisMolière, lui, semble nous
inviter plus à nous interroger sur la responsabilité d’une société où les riches
s’amusent à opprimer les pauvres.
« je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n’ai jamais un morceau de
pain à mettre sous la dent ». L’expression « je vous assure » trahit la crédulité
du pauvre qui croit réellement à l’indignation de Dom Juan. Le syntagme « le
plus souvent » inscrit la misère dans la fréquence et la négation totale et le
recours à l’adverbe « jamais » souligne encore l’aspect pathétique de son
interlocuteur.
« je m’en vais te donner un louis d’or, tout à l’heure, pourvu que tu veuille
jurer ». la tentation est enfin formulée explicitement le motif qui pousse dom
juan à faire blasphémer le mendiant est ambigu. Il peut être la cruauté mêlée à
l’insolence libertine, comme il peut être le besoin de dominer qu’il a déjà
exprimé dans les scènes précédentes .
« tu n’as qu’à voir si tu veux gagner un louis d’or ou non » cette réponse
matérialiste s’oppose à l’aspect moral de la révolte du mendiant. En effet Dom
Juan use de la nécessité pécuniaire de son interlocuteur pour le manipuler à
souhait. « En voici un que je te donne, si tu jures, tiens, il faut jurer. A moins de
cela tu ne l’auras pas. Prends, le voilà ; prends ; te dis-je, mais jure donc. » le
rythme saccadé de la réplique traduit l’emportement du libertin. Il joue le rôle
de Satan dans la tentation du désert. Il y a même dans le style un souvenir de la
manière biblique, Dom Juan renouvelant trois fois ses formules de tentateur en
présentant l’objet tant convoité par sa victime.
Il insiste sur la conséquence en cas de refus « a moins de cela tu ne l’auras
pas » la négation montre que cette conséquence est la privation.
Sganarelle par sa troisième intervention dans cette scène donne une note
comique à cette tension et à cette attente « va, va, jure un peu, il n’y a pas de
mal » .le complément de manière « un peu » contraste avec le verbe
« jurer » .C e valet qui tenait toujours tête à son maître en matière de religion,
privilégie le gain matériel.