Vous êtes sur la page 1sur 3

Commentaire linéaire Texte 1 : acte I, scène 2, de « Cette femme-ci » à la fin.

Pistes pour une lecture linéaire


- une scène d’exposition réussie, qui nourrit la curiosité du spectateur (suspense)
- une scène qui met en évidence l’ambiguïté du marivaudage, entre intérêt et amour
- une scène qui montre qu’on est bien dans une comédie d’intrigue, avec Dubois comme meneur de
jeu.

Commentaire linéaire :

Introduction :
Marivaux est l’un des plus célèbres dramaturges français du 18 ème siècle. Ses comédies sont à la croisée du
burlesque de la commedia dell’arte et d’un théâtre courtois et psychologique.
Les Fausses Confidences, présentée pour la première fois en 1737 est à la fois comédie de mœurs et
comédie d'intrigue. Elle met en scène un jeune galant démuni qui, aidé par son ancien valet, nourrit le
projet de séduire une jeune veuve fortunée dont il est secrètement amoureux.
La scène à l’étude (Acte I, scène 2) intervient après une scène 1 très rapide qui situe l’action « chez
Madame Argante ». C’est la scène 2 qui fait réellement office d’exposition en nous présentant les
personnages et les prémices de l’intrigue. De plus, cette scène permet d’entrer directement dans le jeu du
marivaudage.
Problématique : Comment, dans cette scène d’exposition, l‘ingénieux valet Dubois, par les pouvoirs du
langage, promet-il à Dorante l’amour d’Araminte, une veuve inaccessible dont ce dernier est épris ?
Après avoir observé un Dorante doutant de ses chances de réussite (l. 1 à 3), nous verrons comment Dubois
veut le convaincre du contraire (l. 4 à 7). Suite à une querelle maître-valet liée à cette opinion divergente (l.
8 à 15), nous découvrirons l’amorce du stratagème dévoilée par Dubois dans sa tirade finale.

Développement :
Nous avons affaire à un dialogue entre Dorante, jeune bourgeois bien né mais sans fortune, découvert dans
la scène 1 et son ancien valet Dubois, qui a organisé sa venue dans la maison de la femme qu’il veut
approcher.
Réplique 1 : Dorante prend la parole. Il désigne Araminte par le démonstratif « cette femme-ci », ce qui
contribue à nourrir le mystère autour de sa personne et à en montrer l’importance. Il insiste sur sa haute
position : « un rang dans le monde » et son accès à la bonne société, avec la double hyperbole « liée à tout
ce qu’il y a de mieux ». Araminte est veuve : cette situation est la plus enviable pour une femme à l’époque
(car permet une relative indépendance). De plus, elle est nantie puisque son mari appartenait à la caste la
plus riche : « grande charge dans les finances », hyperbole. Cette situation renvoie à la préoccupation de
Marivaux : brosser une peinture d’un milieu de son époque.
Opposition entre sa situation et celle de Dorante : « moi qui ne suis rien, moi qui n’ai point de bien », mise
en valeur grâce à la forme tonique du je dans « que je l’épouserai », à l’anaphore du « moi » et à
l’assonance en « in ».
Effet de surprise : le projet de mariage est enfin dévoilé, (alors que Dorante vient au départ pour se faire
engager par Araminte en tant qu’intendant) avec l’emploi du futur, mais sous la forme de l’interrogation :
« tu crois qu’elle fera quelque attention à moi, que je l’épouserai… » (l. 2-3). Dorante marque son doute à
l’égard de la réalisation de ce projet grâce à cette question rhétorique et au « tu crois » qui renvoie à un
jugement, celui de Dubois, afin de marquer le doute chez l’énonciateur. Tout l’enjeu est de faire en sorte
qu’Araminte porte « quelque attention à moi », le « quelque » est une atténuation qui montre le peu
d’ambition de Dorante.

Réplique 2 : Au contraire, Dubois est ambitieux pour son ancien maître : ses exclamations confirment sa
confiance (l. 4), la comparaison avec le Pérou donne l’idée d’un point culminant, d’un trésor. Il y a un jeu
de mots avec le terme « mine », qui, mis à la mode par les précieuses renvoie au joli teint de Dorante mais
qui fait également référence aux richesses minières du Pérou. La négation syntaxique qui met en valeur le
comparatif de supériorité : « il n’y a point de plus grand seigneur que vous » (l. 5) enfle encore l’éloge de
Dorante par Dubois qui veut lui redonner confiance. Il insiste sur sa beauté grâce au présentatif « voilà une
taille » (l. 5-6)-> cette beauté physique est mise en parallèle avec le social, à l’avantage de Dorante : « qui
vaut toutes les dignités possibles » (l. 6), encore un superlatif renforçant l’idée que Dorante a autant de
prestance qu’un haut membre de la société.
Dubois affiche sa confiance dans la réussite de leur plan avec la répétition de « infaillible » (l. 6). Leur
dessein est collectif : « notre projet », il s’associe au projet de mariage de son maître.
Cette confiance est marquée par le connecteur temporel « déjà » dans « je vous vois déjà » (l. 7) : Dubois
offre à Dorante une vision d’avenir qui insiste sur sa belle allure mise en valeur par le « déshabillé ». Cette
projection dans le futur le présente comme l’époux qui partagera le quotidien d’Araminte.

Répliques 3 à 8 : Opposition de Dorante avec l’exclamation « quelle chimère ! » (l. 8) qui souligne son
désaccord. Dubois persiste : avec l’affirmation « Oui, je le soutiens ». Ce dernier use du présent pour
désigner le futur : « Vous êtes actuellement dans votre salle » (l. 9), il marque là sa confiance aveugle.
Notons ici une certaine ambiguïté du marivaudage : il n’est pas question d’amour dans ce mariage, mais de
possession, puisque Dubois parle de biens matériels : « votre salle », « vos équipages » (l. 9).
S’ensuivent deux courtes répliques que l’on peut qualifier de stichomythie : elles confèrent une rapidité à
la scène qui plaît au spectateur. De plus, ce « duel de paroles » permet de mettre en valeur la différence
sociale entre Dorante et Araminte en pointant différence entre 50 000 et 60 livres de rente. L’exclamation
de Dubois « Ah » souligne ce décalage mais ne lui enlève pas sa confiance. Il semble être un habile rhéteur
et même le spectateur est amené à penser que l’écart de fortune entre les deux est moindre.
Là encore, on note une ambiguïté des motivations des deux hommes : est-il toujours question d’un
mariage d’amour ? Pourtant il est surtout question d’argent… L’argent, qui cause la différence de statut
social, est le principal obstacle à ce mariage.
Mais Dorante soulève un autre obstacle à cette union à la ligne 12 dans « Et tu me dis qu’elle est
extrêmement raisonnable ? » A la fois hyperbole et question rhétorique, cette interrogation n’attend
qu’une confirmation et permet d’introduire de manière naturelle une autre crainte de Dorante et un
second obstacle à ce mariage : La raison. Celle-ci est un frein pour l’entreprise de Dorante car elle s’oppose
au sentiment et ne considère que l’intérêt.
Pourtant, Dubois en fait un argument positif avec l’opposition et le parallélisme de construction « tant
mieux… tant pis » (l. 13). Ensuite, Dubois esquisse en une phrase l’intrigue de la pièce à venir (une espèce
de prolepse) : « Si vous lui plaisez, elle en sera si honteuse, elle se débattra tant, elle deviendra si faible,
qu'elle ne pourra se soutenir qu'en épousant » (l. 14). Avec une accumulation de superlatifs, la passion est
vue comme une faiblesse qui s’oppose à la raison, idée qu’on retrouve dans toute la pièce.
Dubois est donc présenté comme machiavélique. Il a tout prévu et est sûr de lui : « vous m'en direz des
nouvelles ». L’usage du futur montre sa certitude. On semble bien loin des préoccupations amoureuses…
Pourtant, paradoxalement, on revient à l’amour avec la question de Dubois (là encore une question qui
n’attend pas de réponse) : « Vous l’avez vue et vous l’aimez ? » (l. 15)

Réplique 9 (l. 16) : Cette réplique est déterminante. Dorante y avoue la force de son amour : « avec
passion ». On est loin des manigances machiavéliques dans la phrase exclamative « Et c'est ce qui fait que
je tremble ! » Le tour du présentatif du « c’est » met en valeur sa crainte : « je tremble ». Dorante apparaît
donc comme un amant sincèrement épris, il incarne dès lors un idéal d’amoureux courtois qui frémit à
l’idée de ne pouvoir jamais être uni à celle pour qui il soupire.
Réplique 10 : la tirade finale de Dubois. Les interjections : « Oh ! », « Eh ! que diantre ! » (l. 17) traduisent
l’agacement de Dubois que le sentimentalisme de Dorante « impatiente [z] ». C’est en cela que les deux
hommes s’opposent aussi : outre le fait que l’un soit arrogant et que l’autre doute ; ce dernier fait la place
aux sentiments quand le premier calcule.
Le ton employé par Dubois lorsqu’il dit : « vous m’impatientez » (l. 17) peut choquer au sein d’une relation
maitre-valet où le respect est censé être de mise. On comprend bientôt avec « vous réussirez, vous dis-je »
(l. 18) que le lien unissant les deux hommes n’est pas basé sur la hiérarchie mais sur un lien de complicité
voire d’amitié. Dubois vise ici à regonfler l’égo de son maître et sa confiance en leur projet à travers des
énumérations comme à ligne 19 : « je sais votre mérite, je sais mes talents, je vous conduis ». Le
parallélisme de construction (en 3 temps) : « on vous aimera, toute raisonnable qu’on est ; on vous
épousera, toute fière qu’on est ; et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes » relève les principaux
obstacles à cette union : la raison, la différence de rang social et la différence de biens. Mais Dubois
révoque ces difficultés d’un trait, fort de sa foi en son talent et en le pouvoir de séduction de Dorante.
Enfin, Dubois utilise pour clore sa campagne de motivation des verbes au futur : « il faudra que tout se
rende » (+ verbe falloir à valeur d’obligation), « et il parlera » (à propos de l’amour personnifié) l. 21-22.
Ces verbes au futur impliquent la certitude de Dubois quant à la réalisation de son plan.
Dubois prend congé de Dorante au moment où il « entend [s] quelqu’un » (l. 22), ce qui nous replonge
dans l’ambiance de la manigance dévoilée au tout début de la scène. Le serviteur introduit à la dernière
ligne un ultime rouage de son plan : la suivante d’Araminte, qu’il s’agira de manipuler par les sentiments :
« tâchez que Marton prenne un peu de goût pour vous ». Le machiavélisme de Dubois n’en est que
renforcé. La conclusion du valet : « L’Amour et moi, nous ferons le reste. » est percutante par sa brièveté
et son caractère avéré (certain). Utilisant encore une fois le futur, Dubois redouble d’arrogance en se
mettant au même niveau que l’amour personnifié (le dieu Amour).

Conclusion :
 Une scène d'exposition d'une comédie de mœurs : inscription dans une époque contemporaine à
Marivaux (Araminte est veuve d'un négociant, Dorante sans fortune...) et la différence de condition
est pesante entre les individus. Mais également l'exposition d'une comédie d'intrigue : Dubois
semble le spécialiste de la dissimulation et l'intrigue s'approfondit au cours de la scène (Dorante
veut devenir intendant d'Araminte – puis son époux !).
 L'originalité de cette scène tient en partie à la relation inhabituelle entre maître et valet. Il s'agit
davantage d'une relation d'amitié, avec une fidélité du valet à l’égard de son ancien maître et une
reconnaissance de ce dernier envers celui qui sert ses desseins.
 Cette scène, en plus de présenter la situation des personnages, leurs liens, leur statut social, nous
permet de plonger dans le marivaudage : il existe une coïncidence dérangeante entre passion et
intérêt. On insiste sur la richesse de la dame, mais en même temps la passion est réelle ; l'amour est
pourtant vu comme un moyen d'accéder à ce qu'on souhaite. L'amour s'accommode donc de
l'intrigue, ce qui est moralement assez dérangeant...

Ouverture : Cette passion qui s’accommode de l’intérêt semble bien éloignée de la passion sans mélange et
désintéressée, dont fait preuve le héros de la pièce Cyrano de Bergerac, né de la plume d’Edmond Rostand
en 1897. Cyrano, lui, offre une image de pure passion qui dédaigne l’argent et la position sociale pour rester
fidèle à ses principes et à sa passion pour Roxane.

Vous aimerez peut-être aussi