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Cours de Mr Jean-Rémi PAPE (MCU Bordeaux 1)

Espèces et spéciation

I. Conceptions typologique et multi-dimensionnelle de l’espèce

DIAPO espèces similaires, espèces différentes ?

Karl von Linné (1758) : « appartiennent à une même espèce tous les individus
conformes à un certain type ». Cette conception typologique de l’espèce est basée
sur des critères morphologiques. Sans aucune ironie, cette définition est
aujourd’hui valable pour les jardiniers.

Baron Cuvier (1817) : « c’est une collection de tous les organismes nés les uns des
autres ou de parents communs, et qui leur ressemble autant qu’ils se ressemblent
entre eux ». Cette conception est basée sur des critères mixologiques et
morphologiques. Cette définition peut parfois suffire (malheureusement !!) à
certains ingénieurs agronomes pour lesquels la population n’est entrevue qu’à
travers le prisme de la production.

Ernst Mayr (1942) : « les espèces sont des groupes de populations naturelles
interfécondes et qui sont reproductivement isolés d’autres groupes semblables ».
Cette conception exclue le critère morphologique, conserve le critère mixologique
et ajoute la notion de populations naturelles. Ce dernier point fait allusion à deux
éléments :
- la structuration géographique de l’espèce
- le pool génétique commun

1 Génétique évolutive
Chapitre : Espèces et spéciation
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Conception typologique Conception multidimensionnelle

Il s’agit d’un individu isolé Il s’agit de population

L’espèce est représentée par un type La variation intraspécifique est une caractéristique
dont la définition est structurale fondamentale de l’espèce.
L’espèce polytypique est dimensionnelle
L’espèce est séparée de ses voisines par une (variation des individus dans l’espace) et
discontinuité morphologique. C’est un système peut inclure de nouvelles sous-espèces.
fermé. Elle constitue un système relativement ouvert,
du moins non fermé.
C’est la population ou plutôt un groupe de
La catégorie taxinomique de rang le plus bas populations (race géographique, sous-espèce).
est l’espèce. L’espèce est formée de la réunion de sous-espèces
interfécondes.
La nomenclature est binomiale. L’espèce est décrite par un système trinomial
Ex : Rana esculenta Ex : Parus major aphrodite

II. Structuration géographique de l’espèce, mécanismes


d’isolement reproductifs et modalités de spéciation

Les individus sont rarement uniformes sur l’ensemble de l’aire de répartition de


l’espèce (taille, forme, couleur, chromosome, enzymes).

Les populations centrales d’une espèce sont plus polymorphes que les populations
périphériques. Au centre des populations, les conditions génétiques sont donc
optimales car il existe de véritables brassages génétiques. Le polymorphisme des
populations centrales est supérieur au polymorphisme des populations
périphériques.

a. Structuration géographique de l’espèce

DIAPO cline, ceinture hybride

1. La variation en cline

C’est une répartition du polymorphisme (caractères phénotypiques et/ou


génétiques) sur de grandes distances. La variation d’un caractère s’effectue en

2 Génétique évolutive
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gradient selon un gradient géographique. C’est la variation en cline. Les


différentes populations se touchent, cette variation en cline est caractéristique des
espèces continentales.
Exemple général : Si on prend en compte le réarrangement chromosomique chez
Drosophila, on conclue que la variation chromosomique est plus réduite en région
périphérique.
Exemple détaillé : le cas du moineau domestique (Passer domesticus) au Etats-
Unis. Il existe une variation en cline concernant un facteur phénotypique, la
corpulence. La corpulence des oiseaux augmente lorsqu’on se déplace vers le nord
du pays. Des études semblent indiquer que la température est un des éléments
principaux à prendre en compte pour expliquer cette répartition.

Notons que les clines peuvent être lisse (smooth) ou à paliers (stepped). Ainsi la
fitness d’un gène A peut progressivement diminuer ou augmenter sur l’aire
géographique d’étude ou, au contraire, présenter une rupture sèche de sa valeur.
Dans ce dernier cas, la variation abrupte (step) est liée à un écotone (zone de
transition entre deux écosystèmes.

2. Les isolats géographiques

Une partie de l’espèce se détache de son aire géographique. Autre cas, les sous-
espèces sont désormais séparées par une barrière (géographique, écologique,
éthologique). Selon le temps de séparation (court ou long), il peut survenir des
divergences sous l’action de la dérive génétique ou de la sélection. Ceci concerne
les espèces des iles, des montagnes et des vallées.

Destinée des isolats :


- soit devenir des espèces distinctes
- soit disparaître
- soit rétablir un contact avec les populations centrales (zone de
contact secondaire)

3. Zone d’intergradation ou ceinture hybride

Variante particulière du cline précédemment étudié. Succession de populations


capables de se croiser avec les populations les plus proches (adjacentes). La
répartition circulaire rapproche les populations aux extrémités du cline. La

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divergence génétique est telle que les extrêmes ne peuvent plus se croiser
(espèces en anneau ou ring species).
La zone encadrée de rouge est ici secondaire (retour après isolement).
Exemples célèbres :
 les goélands argentés (Larus argentatus) et bruns (L. fuscus) avec une
répartition sur la zone [Iles britanniques-Canada-Sibérie orientale-
Sibérie Occidentale-Finlande-Suède-Iles Brittaniques]
 les salamandres (Ensatina) de Central Valley en Californie,
 les pouillots verdâtres (Phylloscopus trochiloides) de l’Himalaya.

Conclusion partielle :
Dans la pratique, une espèce ne constitue jamais un continuum biologique mais une
série de populations. La population est l’unité de base du monde vivant.
Si on veut définir une population par son étendue géographique, sa structure, son
pool génique, elle sera caractérisée par les échanges qu’elle effectue en
permanence avec les populations voisines. Ces échanges assurent la cohésion de
l’espèce et conditionnent l’essentiel de sa dynamique.

2. Les mécanismes d’isolement reproductif

1. Les deux types d’IR

En écologie, on parle de deux catégories d’isolement :


 Isolement géographique avec fragmentation de l’aire de
distribution de l’espèce. Cela peut empêcher le croisement. Il
s’agit de contraintes physiques (montagnes, iles, etc…) mais
non biologiques.
 Isolement reproductif qui est inscrit dans le code génétique
des individus de l’espèce. Il s’agit de la mise en place et du
maintien de l’intégrité génétique de l’espèce. Si le pool
génique d’une population reste ouvert (migration par
exemple), il reste fermé par ses mécanismes d’isolement
reproductif.

Un isolement prézygotique empêche la formation de zygote hybride.

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 Isolement de type écologique : les populations occupent un même


territoire mais vivent dans des habitats différents et ne se
rencontrent pas.
 Isolement reproductif de type temporel.
 Isolement éthologique : l’attraction entre femelles et mâles est
absent, on parle d’isolement sexuel.
 Isolement prézygotique mécanique : impossibilité de copuler due à la
taille ou à la forme différente des organes génitaux
 Isolement prézygotique de type gamétique : pas d’attraction entre
gamètes et donc pas de fécondation (ex : système protéine/récepteur
entre zone pellucide et spermatozoïde)

Un isolement post-zygotique réduit la variabilité ou la fertilité des hybrides.

 Létalité des hybrides F1: viabilité faible ou nulle, ne se développent


pas ou n’atteignent pas la maturité sexuelle (isolement dit COMPLET)
 Stérilité des hybrides F1: pas de gamète fonctionnel. Selon la règle
dite de Haldane, ceci touche surtout le sexe hétérogamétique
 Dépression (ou dégénérescence) des hybrides : les descendants (F2,
F3, F4,…) ont une viabilité ou une fertilité réduite, c'est-à-dire une
mauvaise valeur sélective

On discerne l’IR postZ exogène de l’IR postZ intrinsèque.


Le premier dépend de l’environnement et dans ce cas, les génotypes
parentaux sont favorisés dans leurs habitats respectifs. Les individus F1 ont une
valeur sélective plus faible que les individus de la génération parentale quel que
soit l’habitat.

DIAPO Mus musculus


Le second de dépend pas de l’environnement mais induit une contre-
sélection des hybrides (ex : zone d’hybridation stable avec formation de sous
espèces (Mus musculus) domesticus et musculus des souris d’Europe, les hybrides
présesentent une forte charge parasitaire, une stérilité partielle pour les mâles,
une baisse de la fécondité chez les femelles)

Un IR postZ incomplet peut être à l’origine d’une zone d’hybridation dans la


nature (aire géographique bien délimitée). Cette zone peut être stable. C’est le
cas de la formation des espèces du genre Mus en Europe. On observe alors une

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contre sélection (IR postZ intrinsèque) des hybrides (charge parasitaire, stérilité
mâle et baisse de la fécondité des femelles).

Remarques générales:
Le gaspillage est plus grand avec les mécanismes postzygotiques.
L’isolement reproductif est acquis non par un mais par deux ou plusieurs
mécanismes différents. L’association de ces mécanismes est soit successive soit
simultanée. Certains mécanismes sont plus fréquents chez les végétaux : isolement
temporel. D’autres le sont chez les animaux, comme l’isolement sexuel ou
éthologique.

2. Les bases génétiques de l’IR ?

 Expérience princeps

Claudine Petit (entre 1958-1966)


Transfert de chromosomes marqués chez la drosophile : le comportement sexuel de
la drosophile dépend de mécanismes d’interactions entre les gènes. On note un
rôle prépondérant des chromosomes 1 et 2 dans l’isolement sexuel. C’est donc
polyfactoriel.
L’isolement sexuel entre deux groupes de populations est sous la dépendance de
facteurs polygéniques. Les mécanismes d’isolement reproductif protègent
l’intégrité des systèmes génétiques. Ces mécanismes agissent en synergie et
n’interviennent pas au même moment. Il existe des degrés dans l’isolement
reproductif marqués dans le temps, l’espace et l’intensité de l’isolement. Ces
mécanismes d’isolement reproductif n’ont pas tous le même impact évolutif,
l’isolement sexuel constituant la forme la plus achevée. L’isolement sera complet
entre deux groupes de populations lorsque l’isolement sexuel se sera installé
→→SPECIATION

L’expérience de Radman et Rayssiguier (1989) sur Escherichia coli* a montré la


possibilité de croisement (conjugaison) entre deux bactéries E. coli et Salmonella
typhimurium.
Ces bactéries possèdent des génomes analogues à 80%. En inactivant par mutation
une enzyme particulière, la recombinaison devient possible. Il y a formation
d’hybride variable. Ces enzymes sont responsables du contrôle de la fidélité de la
transmission génétique au sein d’une même espèce. Ils ont démontré que le
système de réparation des mésappariements des bases (SRM) empêche la

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recombinaison entre chromosomes (ou séquences chromosomiques) similaires et


assure à la fois la stabilité des génomes portant les séquences répétées et
l'établissement des barrières génétiques entre les espèces proches.
*: RAYSSIGUIER C., THALER D.S., RADMAN M. The barrier to recombination between Escherichia coli
and Salmonella typhimurium is disrupted in mismatch-repair mutants
Nature (1989) 342, 396-401

 Les modèles expliquant les bases génétiques générales de l’IR


postZ

Le 1er modèle est dit modèle de sous-dominance (valable pour un


déterminisme monolocus simple). Une population 1 de type (A1/A1) et une
population 2 de type (A2/A2) vont engendrer une F1 de type (A1/A2). La valeur
sélective du génotype Htz (A1/A2) sera inférieure à celle des génotypes parentaux :
dépression d’hybridation. Le problème est que la dépression d’hybridation en F1
est souvent observée chez le sexe hétérogamétique ou alors dans les deux genres
mais à partir de la F2…
Le 2ème modèle est dit modèle bi-locus de Dobzhansky-Muller. DIAPO
modèle bi-locus Les allèles responsables de la dépression d’hybridation sont
avantageux dans leur fond génétique habituel et deviennent délétères lorsque
mélangés aux allèles d’une autre espèce. Dans ce cadre explicatif on prévoit une
incompatibilité des combinaisons nouvelles et on parle de rupture de coadaptation
des gènes.

 Les gènes responsables d’un IR postZ


Ce sont des travaux récents (depuis 2006). On a identifié des locus à effet fort (un
gène est suffisant), des locus à effet faibles (plusieurs gènes requis en même
temps, sur- ou sous-expression de centaines de gènes) et des remaniements
chromosomiques.

3 exemples de locus à effet fort :


Le gène Odysseus (gène homéobox à évolution rapide car gène sexuel) est
impliqué dans le développement et s’exprime dans les testicules. Un
croisement Drosophila simulans x Drosophila mauritiana produit une F1 où
tous les mâles sont stériles.
Le gène Nup96 est un gène codant une protéine de canal transmembranaire
du noyau des cellules. Un croisement Drosophila simulans x Drosophila

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melanogaster (ayant des variants différents de ce gène) produit une F1 non


viable.
Chez 2 populations du Copépode Tigriopus on observe une différence de 3
substitutions dans le gène du cytochrome C (à évolution lente). Un
croisement entre individus de ces 2 populations produit une F1 avec une
dépression d’hybridation.

Pour les remaniements chromosomiques responsables d’un IR postZ, on cible


particulièrement les éléments transposables comme P, Hobo ou encore I
(chez la drosophile). Certains mécanismes sont aujourd’hui en partie
élucidés.

III. Les mécanismes de la spéciation

Le terme de spéciation désigne le phénomène de formation et de différentiation


d’espèces nouvelles.
La plupart des spéciations échappent à l’expérimentation.
Les progrès conjoints de la paléontologie moderne, de la génétique des populations
et de la systématique évolutive permettent aujourd’hui de proposer des modèles
cohérents et crédibles.

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1. La spéciation sympatrique

Cette spéciation se déroule sur un même territoire et peut être rattachée aux
phénomènes de sélective disruptive (exemple : insectes phytophages avec
plantes hôtes différentes voir Rhagoletis ci dessous) ou d’homogamie.
Il y aurait un déterminisme génétique liant les traits d’adaptation à la niche
écologique, du choix de la niche et du partenaire sexuel utilisant la même
niche. Cela pourrait être un gène pléiotrope qui contrôlerait ces différents
traits.

a. Mouches de la pomme et de l’aubépine, (Rhagoletis pomonella)


DIAPO
R. pomonella est une espèce indigène de l'Est de l'Amérique du Nord et elle se
reproduisait initialement dans le fruit de l'aubépine (Reissig, 1991). R.
pomonella appartient à un ensemble de quatre espèces de mouches
étroitement apparentées qui ne peuvent pas être distinguées physiquement
(Berlocher et Bush, 1982)

La mouche de la pomme et la mouche de l'aubépine sont toutes deux classées


dans la même espèce (Rhagoletis pomonella) (Bush, 1969). Il est impossible de
distinguer physiquement la mouche de l'aubépine de la mouche de la pomme. Il
n'y a pas d'isolement géographique ni de séparation physique entre les
populations de mouches de la pomme adultes et de mouches de l'aubépine
adultes.

Observations
La mouche qui se reproduit dans les pommes appartient à une race distincte de
celle qui se reproduit dans le fruit de l'aubépine (cenelle).
Les mouches adultes émergent pour se reproduire avant que les fruits ne soient
mûrs.
La femelle dépose les oeufs fécondés dans le fruit mûr.
Des larves éclosent, se nourrissent du fruit et se transforment en nymphe/pupe
(Reissig, 1991).
Les pommes mûrissent environ un mois plus tôt que les cenelles, mais il y a
chevauchement entre la fin de la saison des pommes et le début de la saison
des cenelles (Belocher et Feder, 2002).

Parasistisme et fitness des larves

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La pomme commerciale typique mesure 70 mm de diamètre, tandis que la


cenelle sauvage typique a un diamètre de 12,5 mm. Les larves qui éclosent dans
les pommes peuvent pénétrer 5,5 fois plus en profondeur dans le fruit (compte
tenu du diamètre) que celles qui éclosent dans les cenelles. Les guêpes
parasitoïdes pondent leurs oeufs dans le corps de la larve de mouche, et la larve
de guêpe finit par tuer la larve de mouche de la pomme. La mouche de la
pomme réussit mieux à éviter le parasitisme des guêpes en s'enfonçant plus
profondément dans le fruit que ne le peut l’ovipositeur de la gyuêpe. La
mouche de la pomme renferme 70 % moins d'oeufs de parasitoïdes que la
mouche de l'aubépine (Berlocher et Feder, 2002). Les fruits du pommier
fournissent 220 fois plus de nourriture (selon leur volume) aux larves en
développement que les fruits de l'aubépine, plus petits. La mouche de la
pomme pond plus d'oeufs dans une pomme que la mouche de l'aubépine. La
qualité nutritionnelle du fruit de l'aubépine se traduit par un meilleur taux de
survie des larves se nourrissant de la cenelle : 52 % des larves ayant éclos dans
les cenelles survivent, comparativement au 27 % des larves survivantes
initialement déposées dans les pommes (Prokopy et coll., 1988; Freeman et
Herron, 1998). Les chenilles et charançons peuvent aussi se nourrir de pommes,
ce qui réduit la quantité de nourriture disponible pour les larves de mouche.

Evolution chez la mouche de la pomme


La fidélité au type de fruit représente un obstacle important au flux génétique
entre les deux races de mouches de la pomme. En effet, certaines mouches
préfèrent de beaucoup s'accoupler sur l'aubépine et pondre leurs oeufs fécondés
dans les cenelles. Alors que d’autres ont une forte préférence pour
l'accouplement et la ponte des oeufs fécondés dans des pommes.
Le taux d'hybridation entre les deux races (celle se reproduisant dans la pomme
et celle se nourrissant de cenelles) n'est que de 4 % à 6 % (Berlocher et Feder,
2002).
Les deux races de mouches de la pomme sont génétiquement distinctes. Elles
ont des profils génétiques identifiables (Berlocher et Feder, 2002).

b. D’autres exemples
« Les preuves de la spéciation sans frontières. » P Capy. Les dossiers de la
Recherche, n°27, Mai 2007, 26-27

2. La spéciation géographique (ou allopatrique)

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a. Spéciation par lente différentiation des races géographiques :


processus de vicariance
Le stade « race géographique » est un préliminaire nécessaire à la spéciation.
L’isolement spatial des populations est une condition essentielle au développement
des barrières de reproduction.

 Présentation du modèle
DIAPO Mettler et Cregg
Au niveau de l’espèce initiale A : il y a répartition sur l’ensemble du territoire.
Ensuite il y séparation par une barrière extrinsèque en 2 (ou plus) grandes
populations constituant autant de races géographiques. Les unités ainsi isolées vont
diverger génétiquement et ceci de façon graduelle. La croix rouge marque un
début d’isolement reproductif, une incompatibilité. Avec deux croix rouges, on
atteint un stade où l’isolement sexuel est complet. Ce modèle est dû à deux
botanistes : Mettler et Gregg.

Comment fonctionne ce modèle ?

Partons de l’espèce initiale.


Ce sont les mécanismes postzygotiques qui s’établissent en premier à la suite de
cette divergence génétique.
La sélection naturelle favorise ensuite le développement de mécanismes
d’isolement reproductif prézygotiques. Le croisement entre les deux groupes de
populations devient maintenant impossible.
La spéciation géographique est un processus graduel. Son existence présuppose la
présence dans la nature de situations transitoires. L’observation minutieuse devrait
nous dévoiler la hiérarchie des niveaux de spéciation.

 Travaux de Spassky et Ayala sur Drosophila willistoni


2 DIAPOs relations phylogénétiques

→→→→Voir le diagramme analysant les relations phylogéniques.


C’est un groupe avec 6 espèces en voie de formation. Ces travaux ont été effectués
en Amérique Centrale. Les relations entre les 6 espèces sont mises en évidence par
des analyses fines et des croisements expérimentaux qui mettaient en jeu des
paramètres :
 Affinité reproductive des groupes

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 Différence chromosomique
 Comportement sexuel
 Distribution géographique
 Différence morphométrique
 Phylogénie des enzymes (différence électrophorétique
entre 36 loci codant les enzymes)

Comment se dégage une hiérarchie entre 5 niveaux :


V sous espèces (séparation géographique sans MIR prézygotique, MIR postZ
possibles) « en bleu sur la diapo »
IV semi sous-espèces naissantes (séparées géographiquement + MIR avancés)
« orange »
III espèces jumelles (sexuellement isolées, IR achevé) « noir »
II sous-ensembles « jaune »
I une super espèce = groupe ancestral « vert »

Limite de cette conception de la spéciation : Si on étudie l’évolution avec une


approche et une vision biomoléculaire et biochimique, on peut établir un arbre
généalogique qui sera certainement assez différent de celui obtenu par les
paléontologistes.

→→→→ La différentiation génétique pendant la spéciation

I est l’identité génétique, c’est à dire la proportion de gènes identiques dans les
deux groupes de populations comparées (I varie de 0 à 1)
D est la distance génétique, c’est à dire une estimation du nombre de substitutions
alléliques par locus (D varie de 0[pas de changement génétique] à ∞ [chaque locus
peut subir plusieurs fois une substitution génétique]).

Niveau de comparaison I D

I populations locales 0.970 ± 0.060 0.031 ± 0.007


II sous-espèces (étape 1 de la spéciation) 0.795 ± 0.013 0.230 ± 0.016
III Espèces naissantes (étape 2 de la spéciation 0.798 ± 0.026 0.226 ± 0.033
IV Espèces jumelles 0.563 ± 0.023 0.581 ± 0.039
V Espèces morphologiquement différentes 0.352 ± 0.023 1.056 ± 0.068

Niveau I : populations locales (races géographiques), les populations ne présentent


pas d’isolement reproductif et sont identiques sur le plan génétique.

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Niveau II : sous-espèces (étape 1 de la spéciation) mise en place de MIR post-


zygotiques qui induisent une stérilité « hydride ». La divergence génétique est
sensible (23 loci/100.
Niveau III : semi-espèces, mise en place de quelques MIRs prézygotiques qui ne
nécessitent pas une divergence génétique importante. Au cours de l’étape 1,
l’isolement reproductif est un sous-produit du changement génétique, alors que
pour l’étape 2 ce serait la sélection naturelle qui favoriserait les MIR
prézygotiques. Seuls quelques gènes qui affectent le comportement sexuel auraient
besoin d’être modifiés pour que la mise en place de MIR prézygotiques s’effectue.
Niveau IV : malgré leurs ressemblances morphologiques, les espèces continuent à
évoluer génétiquement (58%).
Niveau V : espèces morphologiquement différentes, une fois la spéciation
terminée, les espèces continuent à évoluer génétiquement (plus d’une substitution
allélique par locus).

Pour l’isolement sexuel, la séparation se fait là : III/IV


Au niveau morphologie, la spéciation apparait là : IV/V
Pour la différenciation génétique, elle se réalise en deux étapes
De ceci découle une conception de l’évolution en mozaïque.
Considérons le cas de l’archéoptéryx (mozaïque au niveau morphologique)
La conception actuelle se doit d’englober tous les niveaux d’investigation.

Il n’y a plus d’unité sur le plan évolutif de l’organisme. L’ensemble des niveaux
donnent l’impression d’être autonomes (semi-dépendance). Il y a le problème du
passage du génotype au phénotype.
Les résultats du tableau concordent avec le diagramme. La première étape (A)
demande une quantité de changement génétique (23%). Un faible changement
génétique supplémentaire est nécessaire à la 2ème étape (B).

Commentaires :
Il s’agit d’un ensemble de travaux fondamentaux exécutés par les synthéticiens sur
les mécanismes de spéciation. Ce modèle de spéciation par races géographiques est
le plus connu. La spéciation est ici due à la sélection naturelle (étape B). Elle
n’explique cependant pas l’évolution en mozaïque, les différents niveaux se
transformant à des rythmes différents.
Même si ce modèle est sympathique et semble marcher réellement, peut-on
l’extrapoler à l’ensemble des êtres vivants ?

13 Génétique évolutive
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 Le chevauchement circulaire (cas des goélands)

Il y a intergradation et formation d’une boucle. Les anneaux contigus permettent


les croisements aux individus appartenant aux sous-espèces. Les anneaux
terminaux ne permettent pas aux individus de se croiser entre eux.
Prenons le cas de deux espèces sympatriques
Larus fuscus
Larus argentatus
*Les deux formes cohabitent et s’hybrident, on peut donc les considérer comme
deux sous-espèces d’une même espèce.
*Croisement impossible et les deux formes ne s’hybrident pas. On peut les
considérer comme deux espèces distinctes.

b. Spéciation par isolats marginaux ou spéciation parapatrique

Les populations situées à la périphérie de l’aire de répartition représentent des


situations très favorables à la spéciation. En effet, le brassage génétique y est
faible (peu d’échanges de migrants)
Deux phénomènes vont intervenir dans l’ordre:
Isolement génétique avec arrêt du flux génique
Isolement géographique ensuite

Cela entraîne au final une divergence génétique et l’apparition d’espèces


nouvelles.

c. Spéciation péripatrique par colonisation : principe de fondation (E.


Mayr)

Il y a ici un processus de dispersion. Quelques individus peuvent quitter la


population centrale, ils peuvent émigrer et occuper les territoires vierges.
Le principe du modèle :
Il faut un petit nombre de fondateurs (une seule femelle fécondée suffit).
Elle emporte avec elle une petite partie de la variabilité génétique de l’espèce
mère. Les conditions de milieu sont différentes pour la population fondatrice et

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elle divergera sous l’influence de la dérive génétique. L’atteinte de l’isolement


reproductif peut être très rapide. Cela peut provoquer un changement de vallée
adaptative.

DIAPO effet fondateur


Un exemple : pinsons de Darwin.
Chaque petite île possède des espèces particulières de pinsons. Il s’agit de
variations adaptatives qui aboutissent à une diversification, en particulier du bec.

Ceci a été imaginé par un synthéticien et pourtant il a pris comme facteur moteur
la dérive génétique.
1. Réduction de la taille de la population
2. Coupure du flux génique entre population mère et
fondatrice

Il y a réduction du polymorphisme génétique puisque N diminue, et action rapide


de la dérive génétique. Le polymorphisme ne peut plus être alimenté par les
mutations de la population mère. Il y a affaiblissement de l’homéostasie, ce qui
permet un remaniement du pool génique des fondateurs.

3. La spéciation paléogéographique

a. Les trois modalités de spéciation

*L’ANAGENESE
C’est le mécanisme d’évolution phylétique cher aux paléontologues.
*La FUSION de deux espèces
L’exemple le plus célèbre est l’hybridation de deux espèces.
*La CLADOGENESE
Il s’en suit une multiplication des espèces. On peut parler de véritable spéciation.

Les modèles de mécanique évolutive seront étudiés à plusieurs niveaux : isolement


reproductif, isolement géographique, distances génétiques, etc…
L’étude de la spéciation a été abordée longtemps en tenant compte de l’opposition
allopatrie-sympatrie. On la retrouve ceci chez Ernst Mayr (synthéticien) lorsqu’il annonce :
« La formation d’espèces nouvelles est due à la spéciation allopatrique ». Aujourd’hui on a

15 Génétique évolutive
Chapitre : Espèces et spéciation
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démontré qu’il existe aussi de la spéciation sympatrique comme par exemple la polyploïdie
chez les végétaux.

Continuité ou discontinuité des processus évolutifs ? DIAPO gradualisme,


ponctualisme

L’examen de la théorie sur la discontinuité des processus évolutifs de spéciation


aboutit à une remise en question de la TSE. Darwin disait «la nature ne fait pas de
saut ». La sélection naturelle agit comme la sélection artificielle exercée par
l’homme. Cette vision est à rapprocher de l’idée du chainon manquant dans la
lignée des Hominidés prônée par les paléontologistes.
Ces conceptions sont parfois reliées dans les ouvrages à des termes bien précis : la
continuité à la pensée réductionniste et la discontinuité à la pensée émergentiste.

b. Les problèmes de l’espèce en paléontologie

On ne peut pas appliquer le critère mixologique (logique de Mayr est impossible),


seul le critère typologique est appréhendé (ex : ressemblance physique)

Modèle de Simpson (1940) : L’évolution phylétique est une division graduelle des
populations dans le temps c’est à dire une anagenèse entrecoupée de crises de
cladogenèse, c’est à dire par des évènements de divergence de populations
phylétiques. (ex : Kosmoceras, ammonite du jurassique)

A noter : Longtemps on interpréta ces faits d’une façon différente. Il s’agissait


plutôt d’un artéfact dû à une absence de fossilisation. En effet, le dogme était que
l’évolution ne faisait pas de saut.

Cette conception de l’anagenèse admet le gradualisme et l’évolution sur place. En


particulier l’évolution sympatrique des populations en fonction de la sélection
naturelle.

c. Modèle de Eldredge et Gould (1972)


Ils travaillent sur Phacops rana ; trilobite du Dévonien moyen d’Amérique du Nord.
Leur étude a été menée sur une grande aire géographique (≠ travail de Simpson).
Ils admettent donc que la migration peut intervenir dans les mécanismes de la
spéciation. Deux milieux particuliers sont observés : mer épicontinentale et mer

16 Génétique évolutive
Chapitre : Espèces et spéciation
Cours de Mr Jean-Rémi PAPE (MCU Bordeaux 1)

marginale. Les fossiles de chacun des milieux sont passés à l’examen minutieux des
spécialistes.

On peut ainsi opposer un modèle quantique à celui continu et progressif de


Simpson. Dans le modèle quantique de Eldredge et Gould les traits verticaux
correspondent à une absence de transformation ou stase et les traits horizontaux à
une transformation brutale et instantanée.

Représentation graphique classique


Pendant les périodes de stases il peut exister une certaine variabilité
morphologique au sein de l’espèce mais elle n’est pas directive.
Les séries paléontologistes sont souvent lacunaires et discontinues. Ce modèle peut
expliquer le remplacement d’une espèce par une autre.

Ce modèle a été à l’origine d’une foison de travaux nouveaux et novateurs :


travaux de Kimura, travaux de Lewontin-Hubby sur le polymorphisme enzymatique,
etc… (Voir chapitre suivant)

Reflexions diverses
La discontinuité est-elle due à des artéfacts ?
Serait-elle exclusivement contingente ou bien ne trahirait elle pas un aspect du
processus de la spéciation ? Gould retient ce dernier aspect. Dans sa théorie il
retient de longues périodes d’équilibre puis de brèves crises de spéciation
allopatrique. Un tel changement brutal peut être le fait d’une action conjointe de
la dérive génétique et de la migration.
Les facteurs moteurs décrits par Simpson peuvent être envisagés pendant ces
courtes périodes de crises. En effet, des isolats géographiques, une population
fondatrice, un flux génique coupé, un N faible, engendrent des transformations
instantanées à l’échelle géologique. Ce nouveau modèle est en rupture avec le
modèle phylétique graduel de Simpson et la lenteur des mécanismes avancés.

En fait, la vie de l’espèce se résume ici à une traversée de conflits entre :


 Un fixisme conservatif assuré par l’homéostasie des MIR et
des mécanismes ontogénétiques,
 Des révolutions novatrices aléatoires par dérive génétique et
migrations.

17 Génétique évolutive
Chapitre : Espèces et spéciation
Cours de Mr Jean-Rémi PAPE (MCU Bordeaux 1)

4. La spéciation stasipatrique

« Une autre manière de créer des espèces. » B. Dutrillaux. Les dossiers de la


Recherche, n°27, mai 2007, 46-52

La spéciation stasipatrique ou chromosomique recouvre des processus causaux


différents. On parle de remaniements chromosomiques. C’est un modèle de
spéciation avec flux de gènes comme dans le cas de la spéciation sympatrique.
Les remaniements comme les fusion/fission centrique ou en tandem, les inversions
ou les translocations sont issus de perturbations de la gamétogenèse. Les hybrides
issus d’un croisement entre individus portant un remaniement et individus
contrôles (hétérozygotes chromosomiques) peuvent présenter une diminution de la
fertilité et de la viabilité par un phénomène de sous-dominance. (ex : 2N x 4N)

18 Génétique évolutive
Chapitre : Espèces et spéciation

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