Vous êtes sur la page 1sur 3

Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

Yémen du Sud et un Yémen du Nord, puis l’unification


s’est faite dans la violence et les protestations lors
Yémen: quatre années d’une guerre sans
des Printemps arabes de 2011 qui ont débouché sur
héros la chute du pouvoir), s’est transformée en conflit par
PAR THOMAS CANTALOUBE
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 27 MARS 2019 procuration entre deux ennemis régionaux, Téhéran
et Riyad, porté par la vanité du nouvel homme fort
Le 26 mars marque le quatrième anniversaire de
saoudien, le prince héritier et ministre de la défense
l’intervention saoudienne au Yémen, transformant une
Mohammed ben Salmane (surnommé MBS).
guerre civile en conflit international. Aujourd’hui, la
crise humanitaire ne fait qu’empirer, mais des signaux
indiquent que 2019 pourrait enfin voir un cessez-le-
feu durable s’installer.
« Il n’y a pas de héros au Yémen. Il n’y a que
des victimes et des criminels. » La femme qui parle
ainsi est Radhya Almutawakel, son visage doux
encadré d’un foulard. Présidente de Mwatana, une Des enfants dans le nord-ouest du Yémen victimes de
organisation de défense des droits de l’homme, elle malnutrition comme 80 % de la population du pays. © Reuters

s’efforce de recenser les violations perpétrées par tous Comme dans toute guerre, les civils se sont
les belligérants dans le conflit yéménite. Une tâche retrouvés pris au piège entre des intérêts qui les
presque impossible qu’elle s’acharne à remplir, tout dépassaient. Écartelés entre les deux factions, Houthis
en essayant de mobiliser la communauté internationale et gouvernement, qui contrôlent chacune une partie
afin de tenter de ramener la paix dans son pays après du territoire, mais surtout, pour les populations en
plus de quatre ans de conflit. zone rebelle, bombardées de manière relativement
Car, oui, cela fait aujourd’hui plus de quatre années indiscriminée par l’aviation saoudienne et émiratie
que les rebelles houthis, qui mènent un mouvement et encerclées par un blocus maritime. Pendant
chiite basé dans le nord du Yémen mais qui se bat les deux ou trois premières années, la guerre au
principalement contre la marginalisation de cette zone Yémen a été « oubliée », car le pays demeure
par le pouvoir central, ont renversé le gouvernement quasiment inaccessible aux journalistes, mais aussi à
du président élu Abdrabbo Mansour Hadi, plongeant de nombreux humanitaires. Aujourd’hui, si cet accès
le pays dans la guerre civile. Une guerre qui s’est très ne s’est pas amélioré, la tragédie des civils sur place a
vite internationalisée, avec l’intervention militaire de quelque peu réveillé l’opinion publique internationale.
l’Arabie saoudite le 26 mars 2015, à la tête d’une Selon l’ONU et la plupart des ONG, la situation au
coalition incluant les Émirats arabes unis (EAU), le Yémen fait partie « des pires crises humanitaires de
Maroc, la Jordanie, l’Égypte. Sans oublier l’appui notre époque ». Retour du choléra, famine rampante,
des États-Unis en matière de renseignement et de malnutrition généralisée (80 % de la population a
ravitaillement en vol, et de plusieurs pays européens, besoin d’assistance humanitaire pour survivre)… Si
dont la France, en armements divers. les chiffres de mortalité sont difficiles à établir, ils
Officiellement, l’Arabie saoudite et ses partenaires ont ont été longtemps sous-estimés, selon l’organisation
justifié leur intervention pour rétablir le gouvernement ACLED qui juge que le décompte des morts dues
légitime du président Hadi. Officieusement, il au conflit se chiffrerait à près de 80 000 décès, soit
s’agissait de contrer l’Iran, qui soutient en sous-main cinq à huit fois plus que communément établi jusqu’à
les rebelles houthis. Ainsi, une guerre civile comme le présent.
Yémen en a malheureusement déjà connu beaucoup (le
pays a longtemps été divisé, jusqu’en 1990, entre un

1/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2

Depuis les négociations timides entamées à Stockholm salaires, plus d’usines, les produits mettent du temps à
au mois de décembre 2018, un accord signé par les arriver et sont très chers, les pêcheurs ne peuvent plus
différentes parties belligérantes a permis un début de s’éloigner des côtes en raison du blocus. »
désescalade, mais il reste très fragile selon plusieurs
représentants de la société civile yéménite. La raison
en est que toute forme d’État a quasiment disparu
au Yémen, aussi bien dans les zones houthies (au
nord-ouest), que dans celles restées dans le giron
gouvernemental (au sud et à l’est). « À Aden [au
sud-ouest – ndlr], on considère généralement que
la guerre est terminée, rapporte Laila Alshabibi, La situation au Yémen début 2019 : en vert la zone contrôlée par les Houthis, en rose
par les forces loyales au gouvernement, et en jaune et blanc par des groupes terroristes.
une responsable associative. Après quatre années, on
s’attendait à un changement, mais ce n’est que le début D’après toutes les ONG qui opèrent au Yémen,
d’une autre guerre. » qu’elles soient locales ou internationales, « l’énormité
de la crise est telle qu’elle dépasse les simples
« Le gouvernement, qui était déjà fragile auparavant, capacités des humanitaires », comme l’explique Dina
s’est complètement effondré et il n’arrive pas à el-Mamoun, la responsable d’Oxfam à Sanaa, la
gérer tous les problèmes : services à la population, capitale. « Il y a vingt millions de personnes qui ont
approvisionnement, déplacés internes… ajoute-t- besoin d’une assistance alimentaire. Qu’est-ce que les
elle. Les prix ont énormément augmenté et il y a de ONG peuvent faire face à un tel problème ? »
moins en moins de liquidités, notamment parce que le
gouvernement a interdit la réception d’argent depuis Pour Radhya Almutawakel : « Les Yéménites ne
l’étranger. L’essentiel de la population dépend des souffrent pas de la faim : ils sont affamés. Le Nord
salaires versés par le gouvernement, qui est presque et le Sud sont désormais contrôlés par des groupes
le seul employeur. Mais toutes les familles n’ont pas armés fanatiques qui n’ont aucune considération
la chance d’avoir un fonctionnaire en leur sein… » pour la population ordinaire. Sans même parler
Avant la guerre, le revenu moyen d’une famille était des intervenants extérieurs comme l’Arabie saoudite,
de 1 300 dollars par mois, aujourd’hui, il se situe entre l’Iran ou les groupes terroristes qui jouent avec le
300 et 400 dollars alors que les prix de la nourriture Yémen comme sur un échiquier. La seule possibilité
et du carburant ont bien souvent doublé, triplé ou pour ramener la paix est politique. Le processus
quadruplé. de Stockholm est la seule solution que nous ayons
aujourd’hui et il faut donc le poursuivre. »
Quant aux Houthis, ils n’ont pas réellement essayé
de bâtir un État et une administration dans les L’an passé, Riyad ne voulait pas écouter les pays qui
territoires qu’ils contrôlent. Dans la ville d’Hodeïda, poussaient le Royaume à négocier une sortie politique.
qui comprend le principal port de l’ouest du pays, Pour le prince héritier Mohammed ben Salmane, il
« tout est sinistré », selon les mots que Dalia s’agit d’une affaire de prestige – il a démarré cette
Qasim peine à trouver. « La région était déjà très guerre et interdit à quiconque parmi ses sujets de
pauvre auparavant, les gens vivaient de l’agriculture la critiquer. Mais après l’assassinat du journaliste et
familiale, ils étaient pêcheurs et il y avait quelques opposant Jamal Khashoggi et l’opprobre qui s’est
ouvriers et commerçants. Aujourd’hui, il n’y a plus de ensuivi, l’échine de MBS est soudainement devenue
plus souple. En décembre 2018, Riyad a fait volte-face
et envoyé tout son cortège de diplomates à Stockholm.
Cela fait dire à Radhya Almutawakel qu’« il existe
un équilibre de faiblesse entre toutes les parties en

2/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3

présence au Yémen. Personne ne veut négocier, mais mettre fin à ce conflit, confie en off un diplomate du
comme personne n’est puissant, tout le monde est Quai d’Orsay responsable du dossier. Ils veulent que
sensible à la pression ». 2019 marque la dernière année de la guerre. »
Les Houthis comme les forces loyales au Bien évidemment, il est toujours plus aisé de vouloir
gouvernement voient bien qu’ils ne peuvent remporter la paix que de la conclure. Et, comme avertissent les
la guerre ni même rétablir la paix sur leur territoire, les membres de la société civile yémenite par la voix
Émirats arabes unis sont depuis longtemps convaincus de Radhya Almutawakel, « il serait très dangereux
de l’inanité de ce conflit, l’Arabie saoudite est de plus de passer un accord entre l’Arabie saoudite et les
en plus isolée et l’Iran a d’autres chats à fouetter. Dans Houthis qui laisserait de côté le reste du peuple
les chancelleries également prédomine le sentiment yéménite. Il faut que toutes les parties et la population
qu’il est possible d’en finir. « Nous recevons de soient associées à la fin du conflit, autrement la paix
signaux de la part de Riyad et des EAU qu’ils veulent ne tiendra jamais ».

Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Directeur éditorial : François Bonnet Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Société des Amis de Mediapart. Paris.

3/3

Vous aimerez peut-être aussi