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LA FIN D'UN RÈGNE

Cincinnatus Leconte

L'avènement de Leconte au pouvoir et le décès de Firmin en exil annoncent une nouvelle


période d'incertitudes, de troubles et d'anarchies mettant en danger l'indépendance
nationale comme prédit par le dernier leader du parti libéral.

LE CAS LECONTE

C’est celui d'un «consolidataire» qui a voulu se reconvertir dans la bonne gouvernance.
L'homme trainait derrière lui d'horribles casseroles. Cependant, devenu Président de la
République, il s'est brusquement ressaisit à cause peut être de l'apparente prospérité que
connaissait le pays depuis la chute de Nord Alexis.

En fait la principale spécificité du gouvernement Leconte est la reprise du commerce


extérieur grâce à la remontée des cours du café en baisse depuis 1896. Ainsi, étant donné
que la production caféière s'était stabilisée à quelques 30 000 T, les exportations
s'établissaient à 50 millions de francs par an retrouvant à peu près le niveau qu'elles avaient
sous Hyppolite (voir Alain Turnier - La Société des Baïonnettes).

Une autre spécificité du gouvernement Leconte c'est la bonne gouvernance. Le Président


s'était résolu à battre le rappel des grands commis de l’État pour former un cabinet
ministériel conduit par Edmond Lespinasse et Jacques Nicolas Léger et susceptible
d'assurer la bonne tenue de l'administration Publique.

Le gouvernement Leconte s'est également signalé par sa politique vis-à-vis des Allemands.
Le Président les admirait pour avoir travaillé dans une de leurs maisons de commerce au
Cap Haïtien et visité, par la suite Hambourg qui lui avait laissé d'agréables souvenirs. Il avait
même créé une école allemande au Cap dès son accession au pouvoir. Tout cela agaçait les
français qui se sentaient menacés dans ce qu'ils considéraient comme leur pré-carré et
surtout les Américains qui commençaient à renforcer leur position dans le pays et
continuaient à étendre leur hégémonie dans le reste du continent au nom de la doctrine de
Monroe (voir Leslie Manigat - La prépondérance américaine en Haïti...).

Ainsi tout compte fait, Haïti s'est retrouvé dans le jeu des rivalités internationales et au
centre d'intérêt particulier qu'il convient de rappeler pour bien marquer la gravité de la
situation ;

Les nouveaux progrès enregistrés par les États-Unis sur le marché haïtien dans les
échanges commerciaux, les chemins de fer et les investissements bancaires
concurremment avec la France et l'Allemagne

L'attitude bienveillante du Président Leconte vis-à-vis de l'Allemagne

La campagne présidentielle menée contre les Syro-Libanais, soutenus par les États-Unis
La résurgence du litige frontalier entre l’État Haïtien et la République Dominicaine qui se
trouvait alors sous le contrôle des États-Unis.

C'est dans ce contexte délétère que se produisit l'explosion du Palais National. Cela ne
signifie pas pour autant que les États-Unis aient eu une quelconque responsabilité dans
cette affaire. Encore que Washington avait de bonnes raisons d’en vouloir à Leconte qui
avait été le chef du soulèvement caco contre Antoine Simon, obligeant la compagnie
américaine de chemin de fer Mc Donald à arrêter ses travaux dans le Nord, en 1911. Ainsi,
au lieu d'orienter leurs recherches de ce côté-là, certains ont plutôt tendance à attribuer la
paternité du drame à Tancrède Auguste qui aurait fait incendier le palais pour s'emparer du
pouvoir. D'autres y voient plutôt la main des dominicains qui se seraient débarrassé du chef
de l’État haïtien sous prétexte que celui-ci se préparait à attaquer leur pays. D'autres encore
préfèrent incriminer les Syro-Libanais qui s'étaient emparés du commerce de détail réservé
aux nationaux. Bien sûr que Tancrède Auguste, lui aussi un « consolidataire », en acceptant
la succession de Leconte voulait redorer également son blason. Bien sûr que Leconte qui ne
portait pas les dominicains dans son cœur avait procédé à la réforme de l'armée et à la
construction des casernes de Port-au-Prince pour loger la troupe. De même, il n'aimait pas
les Syro-Libanais. Et alors, peut-on dans ces conditions et sans aucune preuve, prétendre
valablement qu'il a été la victime des Dominicains ou des Syro-Libanais ou bien de Tancrède
Auguste ? Et puis, comment un tel attentat aurait-il pu réussir vu le dispositif sécuritaire
déployé autour du palais depuis la réforme de l'armée et la construction des casernes ?

A la vérité, le président Leconte a été plutôt naïf en installant dans les sous-sols du palais
une poudrière, qui pouvait exploser à la moindre étincelle, surtout en des moments de fortes
canicules. Est-ce donc par accident que s'est produite l'explosion du Palais National dans
laquelle le Président Cincinnatus Leconte et sa famille ont péri ? Bien malin celui qui pourra
l'établir irréfutablement. D'autant que la thèse du sabotage a encore de beaux jours devant
elle.

ENCORE L'ANARCHIE

La mort de Leconte a été durement ressentie par les caco. Il s'en est suivi tout un cycle de
violences opposant différentes catégories sociales dans des luttes intestines, éphémères
parfois futiles et toujours nocives et néfastes pour le pays :

Politiciens, féodaux, fermiers avec ou sans monture, paysans sans terre du Nord (caco de
Davilmar Théodore) et ceux de l'Artibonite (« Zandolites », anolis de Oreste Zamor) contre
politiciens et féodaux de l'Ouest (Tancrède Auguste et Michel Oreste) ;

Caco de Davilmar Théodore contre Zandolites de Oreste Zamor ;

Caco de Vilbrun Guillaume Sam contre caco de Davilmar Théodore ;

Caco de Rosalvo Bobo contre caco de Vilbrun Guillaume Sam.

Le pays était donc retombé dans l'anarchie, d'où se détachent deux événements majeurs
qui allaient avoir des conséquences funestes pour l'avenir de la nation :
· Débarquement sous Oreste Zamor d'un groupe de fusiliers marins américains à
Port-au-Prince, qui se sont emparés des réserves de la Banque Nationale pour les
transférer dans les caves de la National City Bank à New York, d'ordre de Washington ;

· Envoi à Port-au-Prince toujours sous Oreste Zamor d'un émissaire américain du nom
de Fuller pour négocier avec les autorités haïtiennes le contrôle de la Banque Nationale et
de la Douane.

Washington voulait donc protéger ses investissements en Haïti. D'autant que les bons du
Trésor avaient réapparu sous Davilmar Théodore dit Papa Da. Et que ces bons furent vite
qualifiés de « bonda » par la population qui les refusait. Le pays était au bord de la
banqueroute et ne pouvait plus faire face au paiement de la dette extérieure, qui s'élevait à
113,1 millions de francs soit 22,5 millions de dollars (Alain Turnier - La Société des
Baïonnettes p.35). Les carottes étaient donc cuites.

LA MISSION FULLER

L'émissaire américain est arrivé en Haïti sous Oreste Zamor, au moment où celui-ci, à la tête
des troupes gouvernementales, tentait d'arrêter l'avancée des caco de Davilmar Théodore
dans l'Artibonite.

Fuller réussit à rencontrer Zamor au Haut des Gonaïves pour lui proposer l'appui militaire
des Etats-Unis en échange du contrôle de la Banque Nationale et de la Douane d'Haïti. Le
président préféra perdre le pouvoir au lieu d'accepter une telle compromission. Les mêmes
propositions furent faites à Davilmar Théodore, devenu Président de la République et
attaqué par les caco de Vilbrun Guillaume Sam un «consolidataire» comme Leconte et
Tancrède Auguste. Le Président Théodore lui aussi refusa l'offre américaine et fut renversé
par son adversaire qui accepta d'ouvrir les négociations avec Fuller.

La mission Fuller a été longuement étudiée par Max U. Duvivier dont le père Ulrich Duvivier,
ministre des affaires étrangères sous Vilbrun Guillaume Sam a laissé une documentation
officielle et de première main sur ce sujet. (Voir l'étude de Max U. Duvivier dans la Revue de
la Société haïtienne d'Histoire et de Géographie)

Dans le projet d'accord présenté par Fuller à Vilbrun Guillaume Sam apparaît au premier
plan le contrôle de la Banque Nationale et de la Douane d Haïti exigé par les États-Unis.
Mais en fait les américains réclamaient surtout l’occupation militaire du territoire national qui
mettrait à leur disposition les potentialités économiques et minières et les positions
stratégiques du pays, tel que le Môle St Nicolas convoité par les grandes puissances
européennes et dont ils voulaient avoir exclusivement la cession ; ils voulaient aussi obtenir
pour leur ambassadeur le droit d'assister le chef de l’État dans ses attributions de manière à
en devenir le principal conseiller.

Les amendements, présentés par Vilbrun Guillaume Sam portaient sur le Môle St Nicolas,
les fonctions de l'ambassadeur américain, la création d'un comité paritaire pour le règlement
des litiges et surtout sur la durée de la présence des troupes américaines sur le territoire
national dans le cas de leur débarquement pour rétablir la paix.
Les discussions sur les amendements avaient à peine commencé que, sans donc attendre
la fin des négociations et la signature du protocole d'accord, l'émissaire américain s'est
décidé à rentrer à Washington probablement pour aller recueillir les toutes dernières
suggestions de son gouvernement. En somme, Washington avait eu gain de cause sur toute
la ligne y compris sur le principe de l'intervention militaire pour sécuriser les institutions
haïtiennes en cas de nécessité. Dès lors, les troupes américaines pouvaient débarquer à
Port-au-Prince. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé après le lynchage de Vilbrun Guillaume
Sam par le peuple en armes, suite au soulèvement des caco de Rosalvo Bobo dans le Nord.
Ce n'est pas pour rétablir l'ordre et la paix dans le pays, comme on se plait à le dire mais
plutôt pour empêcher la prise du pouvoir par le libéral Rosalvo Bobo et pour sauvegarder les
intérêts bassement mercantiles de leurs ressortissants que les États-Unis sont intervenus
militairement en Haïti en 1915. Le règne de l'anarchie était donc terminé tandis que
commençait l'une des périodes les plus humiliantes pour la nation haïtienne : l'occupation
américaine.

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