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POUR LE DRAPEAU

CONTRIBUTION A LA RECHERCHE SUR LES COULEURS HAITIENNES


(EXTRAITS)

INTRODUCTION

Depuis que le drapeau noir et rouge institué par la constitution impériale de 1805 a été
rétabli le 25 mai 1964, après avoir été remplacé en 1843, l’intelligentsia haïtienne ne cesse
de s interroger sur les véritables couleurs de notre bicolore pendant la guerre de
l’indépendance nationale. Cette question est même devenue une véritable obsession pour
de nombreux Haïtiens comme si notre pays se retrouvait, brusquement, face aux impératifs
historiques qui ont déterminé ses plus dignes fils à le doter d’un étendard pour conduire sa
lutte de libération nationale. Il en est de même pour des étrangers qui se sont laissés
entraîner dans la mouvance de l'évènement et dont les études ont souvent retenu l’attention.
Pour nous qui entreprenons depuis longtemps une nouvelle lecture de l’histoire d’Haïti la
question du drapeau national ne pouvait être passée sous silence. Mais il nous a paru
impossible de livrer au grand public les résultats de nos recherches et de nos réflexions tant
que nous n’avions pas un élément nouveau à verser aux débats. En fait il ne s’agissait pas,
pour nous de choisir des drapeaux bleu et rouge ou noir et rouge celui qui paraissait le plus
conforme à notre tempérament politique mais plutôt de retrouver les véritables couleurs
sous lesquelles se sont battus nos Ancêtres pour nous forger une patrie à laquelle nous
sommes tant attachés.

Dans notre quête de la vérité nous avons adopté deux procédés: l’un consistant à
rechercher dans les musées étrangers un drapeau indigène qui aurait été pris par l’armée
expéditionnaire française sur les troupes de libération nationale; l’autre, à défaut d’une telle
découverte, tendant à retrouver dans les collections et archives des documents susceptibles
d’établir les véritables couleurs du drapeau des héroïques combattants de notre
indépendance puisque renseignement fourni par nos manuels d’histoire nous paraissait bien
suspect dans ce domaine et tout à fait insuffisant. Les recherches que nous avons
entreprises dans les capitales étrangères et surtout à Paris n’ont pas été infructueuses. A
défaut du drapeau-trophée que nous avons vainement cherché au musée des Invalides et à
la section de la symbolique militaire, au château de Vincennes, nous avons finalement
trouvé aux archives historiques du ministère de la guerre et aux archives nationales de
France quelques documents qui, confrontés ou associés à ceux déjà révélés par d autres
chercheurs, nous permettent d’arriver à une conclusion non-équivoque de la question sous
étude. Des esprits tatillons vont, certainement, soulever la question de l’opportunité de la’
réactivation d’un tel débat à un moment ou la communauté haïtienne traverse une crise
extrêmement grave ou même nous accuser de faire le jeu de certaines chapelles historiques
et politiques qui ne manqueraient pas d’utiliser notre étude à des fins partisanes. Nous ne
sommes pas insensibles à de pareilles objections. Mais comme nous refusons de nous livrer
à cette sorte de gymnastique qui consiste à ramener les faits à nos simples convictions et
que de plus, comme nus entretenons la certitude que notre régénération nationale ne peut
se réaliser qu’à la faveur d’une étude spectrale et ouverte de nos problèmes dont celui du
drapeau, nous avons décidé de livrer et nos réflexions particulières et le contenu des
documents que nous avons découverts. Pour n’avoir pas été élucidés, une fois pour toutes,
par ceux qui en avaient la possibilité, mais à qui la probité intellectuelle faisait défaut, des
faits essentiels de notre histoire ont été mal interprétés. Cela a provoqué, pendant
longtemps, une atmosphère de tension dans la vie sociale haïtienne, l’approfondissement
des clivages idéologiques, la multiplication des chapelles et, finalement, le détournement de
renseignement de l’histoire de son objectif qui est celui du renforcement des valeurs
citoyennes. En fait, comme le soulignait Marc Bloch, « l’ignorance du passé ne se borne pas
à nuire à la connaissance du présent, elle compromet dans le présent, l’action même ». Que
dire alors des falsifications du passé et des silences calculés observés chez certains
historiens? Le rétablissement des faits constitue une démarche normale, positive de la part
de tout écrivain soucieux de la vérité. Conscients du fait que le traitement du phénomène
historique est fortement marqué par le contexte dans lequel il a pris naissance ainsi que par
la formation et l’appartenance sociale de l’analyste, nous ne saurions ne pas admettre les
différences d’éclairage et d’interprétation. Cependant, ce que nous n’acceptons pas c’est
l’altération abusive des faits et leur utilisation à des fins mesquines et partisanes puisque
cela peut marquer, de façon durable et négative, l’esprit et le comportement de plusieurs
générations. Notre souci, en l’occurrence, n’est pas de plaire à certains ou de déplaire à
d’autres, mais plutôt de rétablir les faits en vue d’éviter des révisions qui pourraient s’avérer
déchirantes ou alors de permettre, en même temps, a ceux qui auraient à les faire de
procéder en connaissance de cause. De toute manière nous nous attendons à toutes sortes
de réactions, mais aucune d’elles ne pourra changer nos convictions, notre force étant la
certitude d’avoir révélé la vérité que l’effort, la patience et la persévérance nous ont aidés à
découvrir.

CHAPITRE 1 – NOS DIFFÉRENTS DRAPEAUX

Le bleu ou le noir
Le drapeau rouge
Drapeaux et signaux

CHAPITRE 2 – LES ORIGINES DU DRAPEAU

Selon les historiens classiques


Du Haut-du-Cap à Pierroux

CHAPITRE 3 – LA CRÉATION DU DRAPEAU

Pour asseoir son autorité et réduire les factions qui étaient apparues au sein de la vieille
armée coloniale, Dessalines dut entreprendre ou couvrir plusieurs actions militaires, en
janvier 1803, contre d’anciens officiers de Toussaint Louverture. C’est ainsi que Sans-Souci
et Jasmin furent assassinés par Christophe qu’ils refusaient de reconnaître comme
commandant des troupes du Nord et que fut mis en fuite Petit Noël Prieur qui avait fait
exécuter Paul Louverture pour venger ses compagnons.

C’est alors également que l’armée nationale qui s’appelait armée de Saint-Domingue prit le
nom d’armée indigène et que Dessalines, qui avait nommé Pétion général de division et
commandant des troupes de l’Ouest, marcha sur l’Arcahaie pour y installer ce général.
(…)
Parallèlement à l’armée de terre, l’armée navale fut organisée avec le concours de
Derenoncourt, Masson, Laporte, Pierre Jean-Félix, Aoua, Bégon, Boisblanc. Pas moins
d’une douzaine de barges étaient réunies à l’Arcahaie et aux Gonaïves où des chantiers
navals furent ouverts. Un système de communication fut alors établi entre les principaux
ports libérés par l’armée nationale et permettait aux barges qui en assuraient le maintien
d’attaquer, à n’importe quel moment, les bâtiments ennemis et de récupérer les
ravitaillements anglais et américains. La surveillance française fut alors renforcée sur les
côtes et des actions punitives furent lancées par la marine française contre les
révolutionnaires en vue d’anéantir leurs barges.

C’est dans cette conjoncture que Dessalines, qui se préparait à marcher sur le Sud, se
décida à changer de drapeau.

Cela se passa en février 1803 à la Petite-Rivière de l’Artibonite selon Madiou qui prétend
également que Dessalines arracha alors la bande blanche du tricolore français, créant ainsi
le drapeau bleu et rouge. Reprise par Beaubrun Ardouin, cette version n’a pas été adoptée
par Saint-Rémy qui soutient plutôt que le drapeau bleu et rouge fut créé par Dessalines à
l’Arcahaie.

La version adoptée par Saint-Rémy a été reprise par la plupart de nos historiens.

(...)

En fait la création d’un drapeau pour l’armée nationale constituait un événement d’intérêt
général qui devait requérir la présence des officiers-généraux et adjudants ayant le
commandement des différentes divisions militaires. Or, la liste des participants produite par
Saint-Rémy pour le Congrès de l’Arcahaie montre clairement que les Christophe, Clerveaux,
Vernet, Capois, Toussaint Brave, Romain, Férou, Geffrard et leurs adjudants n’ont pas
assisté à cette réunion. Seuls les officiers de l’Ouest y avaient été convoqués par le général
en chef qui se fit accompagner par Gabart. Il est difficile de ne pas admettre que le Congrès
de l’Arcahaie n’ait été convoqué pour régler les problèmes spécifiques de la division de
l’Ouest dont le commandant, le général Pétion, n’avait pas encore réussi à faire l’unanimité
autour de lui ni à faire reconnaître l’autorité du général en chef par l’armée de Cangé et de
Lamour Dérance bien implantée à Petit-Goâve et à Jacmel.

Ce sont d’ailleurs des problèmes d’état-major qui avaient décidé Dessalines à avoir des
entretiens avec Capois dans le Nord-Ouest en janvier 1803 et le conduisirent, après
l’Arcahaie, dans le Sud où il rencontra Geffrard au Camp Gérard.

(...)

Mais au demeurant quelles sont les couleurs du drapeau indigène et quand a-t-il été créé ?
Quels ont été les participants au Congrès et les résolutions ? Telles sont les questions
auxquelles il nous faut répondre maintenant dans une perspective de rétablissement des
faits.

Évidemment pour Madiou et Beaubrun Ardouin comme pour Saint-Rémy et ses disciples, le
drapeau indigène ne pouvait être que bleu et rouge puisque selon eux, Dessalines, après
avoir supprimé la bande blanche du tricolore français, en avait rapproché les deux autres
bandes pour en faire l’étendard de la révolution. Beaubrun Ardouin et Saint-Rémy en
donnent pour preuve le spécimen dont il est question dans un procès-verbal qu’ils ont
découvert et soutiennent que ce drapeau portait la devise: Liberté ou la Mort. Ici, il est fort
intéressant de faire remarquer que ni l’un ni l’autre ne spécifient les couleurs du spécimen
découvert dans la barge capturée par la marine française. Ils se contentent d’insinuer que ce
drapeau était bleu et rouge, laissant ainsi aux historiens qui leur ont succédé le soin de
préciser cette idée. C’est ainsi que partant de la création du drapeau bleu et rouge Beaubrun
Ardouin fait remarquer avec finesse

« qu’à ce sujet nous avons vu un procès-verbal (...) dressé à propos d’une barge capturée
(...) On y trouva un drapeau indigène ayant cette devise: Liberté ou la mort »

Saint-Rémy est plus nuancé et plus adroit. Il ne mentionne pas en lettres capitales « un
drapeau indigène » comme le fait Beaubrun Ardoin, mais tout simplement « un drapeau »
dont il essaie de préciser la nature en ajoutant à l’énoncé de son texte « avec la légende
désignée », c’est-à-dire avec la devise Liberté ou la mort qui avait été substituée aux
initiales de la République française dans les « drapeaux de l’insurrection ».

La manipulation réalisée par Beaubrun Ardouin et Saint Rémy en 1854-1855 a si bien réussi
qu’il a fallu la publication en 1953, soit un siècle plus tard, par T.C. Brutus, dans le journal
"Le Nouvelliste", du procès-verbal mentionné pour savoir que le drapeau trouvé dans la
barge capturée était noir et rouge et non bleu et rouge et que la devise qui y était inscrite
était plutôt "Libre ou mourir".

Sur l’heure, les révélations faites par T.C. Brutus n’ont pas entrainé une forte adhésion ni
donné lieu à des discussions, à un moment ou le pays s’apprêtait à célébrer le
tricinquantenaire de son indépendance. Même les vœux émis par Étienne D. Charlier qui
souhaitait que la recherche aiguillée dans cette direction puisse permettre de faire le point
sur la question, n’ont pas été entendus. Le mythe du drapeau bleu et rouge accrédité
pendant si longtemps était trop ancré dans les esprits pour qu’il fut possible de l’en déraciner
du jour au lendemain et sur la simple publication d’un document dont l’authenticité n’avait
pas encore été contrôlée. L’intelligentsia haïtienne se trouva alors en présence d’un dilemme
que ni les dissertations d’écoliers, ni les articles politiques et historiques, ni les prises de
position de l’armée, ni même la révision de la Constitution, ne parvinrent à résoudre. Il s’est
installé alors dans les esprits un certain doute auquel succéda rapidement une fiévreuse
exaltation de la part de ceux qui avaient tendance à identifier les couleurs nationales à celles
de leur clan politique tandis qu’une vive curiosité naissait chez ceux qui étaient plus
sensibles à la preuve documentaire qu’à la valeur des arguments surtout, quand ceux-ci
sont uniquement basés sur des hypothèses et des supputations.

Pour nous qui n’avons aucune couleur à défendre ni à annoncer et qui ne voulons satisfaire
que notre curiosité de chercheur et répondre, en même temps, aux attentes qu’imposait une
telle position, le problème du drapeau apparaissait comme une question d’histoire et de
recherche et non comme une affaire idéologique et politique. Les recherches que nous
avons été alors amenés à faire en vue d’élucider cette question nous ont permis de
découvrir non seulement le procès-verbal publié par T.C. Brutus mais encore l’interrogatoire
d’un prisonnier mentionné dans ce document ainsi que la lettre de transmission de cet
interrogatoire au ministre de la marine et des colonies.

Ce procès-verbal révèle réellement que le drapeau trouvé dans la barge capturée le 19 mai
1803 par une unité de la marine française était noir et rouge et qu’il portait la devise Libre ou
mourir:

« Il (le capitaine) a trouvé à bord de la ditte(sic) barge un pierrier et neuf fusils en mauvais
état ainsi qu’un pavillon de couleur rouge et noire ayant l’inscription de libre ou mourir ».

Il est tout de même extravagant de la part de Beaubrun Ardouin de n’avoir pas révélé les
couleurs du drapeau dont il est question ici alors qu’il avoue avoir vu le procès-verbal et
reconnaissait lui-même que « quand on ose se faire historien et qu’on trouve des documents
certains sur les faits il faut dire la vérité même contre le parti politique dont on soutient les
droits ».

A la limite, on peut lui pardonner d’avoir mal transcrit la devise « libre ou mourir » que portait
ce drapeau ou de l’avoir passablement enjolivée en la transformant en « Liberté ou la Mort
». Mais il est absolument inadmissible qu’un historien qui prêche à tout bout de champ la
nécessité de dire la vérité en fasse si peu de cas quand il s’agit d’une question aussi
essentielle que celle des couleurs sous lesquelles se sont battus nos ancêtres pour
l’honneur et la dignité.

A la vérité, en recourant à cette manipulation, Beaubrun Ardouin obéissait à une double


motivation: insinuer que le drapeau de la barge capturée était bleu et rouge et prouver par la
même occasion que le drapeau national était de mêmes couleurs. Quant à Saint-Rémy qui
s’en est servi pour prouver que le drapeau national a été créé à l’Arcahaie, il ne faisait que
disputer à son devancier l’usage d’un acte dont la publication semble n’avoir jamais été
envisagée.

Outre les omissions, insinuations et distorsions auxquelles a recouru Beaubrun Ardouin pour
prouver que le drapeau indigène était bleu et rouge, des contre-vérités ont été utilisées dans
le même but par cet auteur qui affirme, entre autres, que le procès-verbal a été dressé dans
la rade de Port-au-Prince par Latouche-Tréville. Or, la copie que nous avons sous les yeux
indique que l’acte a été plutôt établi au bureau de l’état-major général qui, pour le moins
qu’on sache, ne se trouvait pas à bord du navire-amiral, le Duguay-Trouin, ni de tout autre
navire stationné dans la rade de Port-au-Prince. De plus le procès-verbal n’a pas été signé
par Latouche-Tréville mais plutôt par Yves Marie Bot, le capitaine de la goélette la Marie qui
a capturé la barge en question. Ce fait n’est marqué non plus d’aucune solennité comme
l’écrit Beaubrun Ardouin. D’ailleurs la découverte du nouveau drapeau adopté par les
indigènes, même si elle confirmait la volonté d’indépendance de ceux-ci, constituait en la
circonstance un fait secondaire pour les Français, eu égard à la masse d’informations
obtenues sur les actions projetées par l’état-major de Dessalines, informations dont ils se
sont servies pour mettre en échec l’opération contre Saint-Marc et pour battre les troupes de
Cangé qui s’étaient portées contre la Plaine du Cul-de-Sac.

Pour s’en convaincre il suffit de considérer la lettre par laquelle Latouche-Tréville


transmettait, le 20 mai, au ministre de la marine et des colonies, l’interrogatoire du marin fait
prisonnier lors de la capture de la barge. L’amiral faisait alors observer au ministre qu’il lui
envoyait cet interrogatoire parce qu’il pensait qu’il lui serait

« utile de connaître la position des brigands, leurs projets, leurs ressources, leurs relations
les secours qui leur sont fournis et leur espérance ».

A aucun moment il n’a été question du drapeau indigène dans cette lettre ni dans
l’interrogatoire qui ne comporte pas moins de 54 questions, ni dans un rapport adressé,
toujours le 20 mai, à Decrès par Latouche-Tréville qui lui recommandait, une fois de plus, la
lecture de l’interrogatoire.

« Veuillez lire l’interrogatoire du nègre pris dans une barge qui est joint à une lettre sous
même date ».

Il apparaît, dans ces conditions, que le drapeau noir et rouge a été découvert, pour la
première fois, par la marine française, le 19 mai 1803 lors de la capture de la Victoire. En
faisant passer le pavillon de cette barge pour le drapeau indigène bleu et rouge, Beaubrun
Ardouin et Saint-Rémy ont, sans doute, commis une forfaiture impardonnable. Mais, avec le
rétablissement de la vérité sur les couleurs du pavillon de la Victoire, les arguments que ces
historiens avançaient sur la création d’un drapeau indigène bleu et rouge ont maintenant
plutôt tendance à servir en faveur du drapeau noir et rouge.

Ainsi, poursuivant jusqu’au bout le redressement des faits. Chacun, selon qu’il se réfère à
Beaubrun Ardouin ou à Saint Rémy, peut affirmer que le drapeau noir et rouge a été créé
par Dessalines en février 1803 à la Petite-Rivière de l’Artibonite ou le 18 mai 1803 à
l’Arcahaie. Or, aucun drapeau n’a été créé le 18 mai 1803, si l’on en croit Madiou dont les
principaux arguments, à ce sujet, ont été repris par Beaubrun Ardouin, l’auteur de la
manipulation utilisée par Saint-Rémy dans sa version des faits. Cela est, d’ailleurs,
corroboré par Jean Pierre, le marin fait prisonnier lors de la capture de la barge la Victoire:

« Interrogé s’il n’a pas entendu parler du motif du voyage de Quanger(sic) il a répondu que
tout ce qu’il avait entendu dire (c’était) que Dessalines se disposait à marcher sur
Saint-Marc le trois prairial (23 mai) et sur la plaine du Cul-de-Sac. »

La création du drapeau est, ici, complètement éludée par Jean Pierre qui « n’a entendu
parler » que des plans de campagne de Dessalines qu’il révèle d’ailleurs à l’état-major
français. Au reste, si cette création avait eu lieu au Congrès, le prisonnier l’aurait, au moins,
« entendu dire » et surtout l’aurait avoué puisqu’un acte aussi officiel et public n’aurait pu
constituer un secret que l’on se serait senti tenu de garder. En fait le seul drapeau créé à
l’Arcahaie l’a été en février 1803 par Pétion qui a transformé en bleu et rouge le tricolore
français en l’amputant de sa couleur blanche comme l’avait ordonné Dessalines. Rien
d’étonnant alors que ce drapeau se soit trouvé en bonne place au Congrès de l’Arcahaie et
qu’il ait flotté à côté du noir et rouge le 18 mai.

Telle est, du moins, la conclusion à laquelle nous avons abouti.


CHAPITRE 4 – LE CONGRES DE L’ARCAHAIE

La date du congrès de l’Arcahaie


Les résolutions du Congrès de l’Arcahaie
Les participants du Congrès de l’Arcahaie
La mort de Laporte

CHAPITRE 5 – DU CONGRES DE L’ARCAHAIE A L’EVACUATION DU CAP

La campagne de Port-au-Prince
L’occupation de Jacmel
La conquête du Sud
(…)

Quand, en février 1803, Dessalines ordonna à ses généraux d’enlever le blanc du tricolore,
Geffrard était au nombre de ceux qui avaient reçu cet ordre. Celui-ci a, certainement, été
exécuté puisque, selon Madiou, Dessalines, dans sa harangue à l’armée du Sud, au
moment de la rencontre de Camp Gérard, début juillet 1803, fit allusion au nouvel étendard
en ces termes :

« Aujourd’hui, nous combattons pour l’Indépendance de notre pays et notre drapeau rouge
et bleu est le symbole de l’union du noir et du jaune ».

Voilà donc qui plaide, une nouvelle fois, contre la thèse de St-Rémy suivant laquelle le
drapeau bleu et rouge a été créé à l’Arcahaie le 18 mai 1803. En effet, nous avons
mentionné dans ce texte la lettre écrite par Dessalines à Geffrard le 19 mai de l’Arcahaie,
lettre publiée par Saint-Rémy, pour lui accuser réception des siennes des 30 avril et 5 mai et
lui annoncer ce qu’il y était venu faire (la réinsertion de l’armée de Cangé) et sa prochaine
visite dans le département du Sud. Il lui aurait donc, par la même occasion, comme il l’avait
fait en février 1803, lors de la réception de l’imprimé qui lui aurait été envoyé par Pétion,
donné l’ordre de modifier les couleurs de son drapeau pour se conformer aux dispositions
prises en ce sens au cours de ce Congrès. Or il ne l’a pas fait. Saint-Rémy est donc pris à
son propre jeu, car il n’y eut pas de création de drapeau à l’Arcahaie. Et si Dessalines avait
attendu sa rencontre avec Geffrard pour opérer le changement, des auteurs, comme Madiou
et Ardouin, qui ont donné des compte-rendus assez détaillés de l’entrevue de Camp Gérard
et surtout des dispositions qui y furent arrêtées - réorganisation de l’armée, nomination des
chefs de corps, constitutions de nouvelles demi-brigades, dispositions générales quant à la
poursuite des opérations - en auraient certainement fait mention. Malheureusement la thèse
farfelue de Saint-Rémy a prévalu et s’est imposée jusqu’à cette heure puisque certains
secteurs de l’intelligentsia haïtienne croient encore que les principaux officiers de l’armée
indigène se sont réunis à l’Arcahaie le 18 mai 1803 pour créer le drapeau haïtien alors que
des février 1803, l’étendard bleu et rouge, selon Madiou et Ardouin, flottait sur les positions
occupées par les troupes indigènes dans le Sud. Quelle est la position du drapeau noir et
rouge dans une telle conjoncture ?
Battu, une première fois par les troupes françaises, Geffrard avait été obligé de se replier
dans les mornes de Petit-Goâve d’où il partit, le 16 février 1803, accompagné par Cangé,
pour se porter dans la plaine des Cayes. A cette époque Cangé n’était pas encore
officiellement rallié à Dessalines. Evidemment on ne peut affirmer qu’il portait alors un
pavillon noir et rouge. Nous avons fait cette attribution à partir du document
Latouche-Tréville qui comprend les déclarations faites par Yves-Marie Bot le 19 mai 1803 à
propos d’un drapeau noir et rouge, et dont l’utilisation a été confirmée par la carte de
Leclerc.

Les troupes du Sud échappent donc à l’analyse que nous avons faite au sujet de la
présence dans divers corps de l’armée indigène d’un drapeau noir et rouge puisque ces
troupes ne se sont retrouvées ni à Jacmel, ni à Port-au-Prince, ni à la bataille du Cap.
Parties du Sud, elles n’eurent pas le temps de rejoindre le gros de l’armée, Geffrard ayant
été contraint de bifurquer en direction de Jacmel, comme nous l’apprend Ardouin, « pour
étouffer une insurrection éphémère ».

Le lecteur comprendra, dans ces conditions, qu’on ne peut pas se livrer à des suppositions,
ce à quoi nous nous refusons d’ailleurs. Libre à lui de penser que le drapeau bleu et rouge
fut le seul à flotter dans les limites du département du Sud jusqu’à son remplacement par le
noir et rouge en 1805. Cela lui est d’autant plus aisé que la preuve du contraire ne peut être
opposée, actuellement, au témoignage de Madiou que nous avons indiqué, même si celui-ci
ne doit être pris qu’avec des pincettes.

4.Les combats du Sud

(…)

Cependant, l’idée d’un pavillon spécial pour la division composée des demi-brigades de
Léogane, Jacmel et Petit Goâve quoique alléchante en soi ne saurait être retenue. Elle est
rejetée par le document Babron. Même si le pavillon de Cangé pouvait être vu à partir de
nombreux points de la ville du Cap, le lieutenant de vaisseau Babron révèle la présence d’un
pavillon de mêmes couleurs dans des positions autres que celles des troupes campées à la
Petite-Anse. En effet, dans son « Précis des Opérations maritimes de Brumaire, Affaire du
26 (18 novembre). Evacuation du Cap... » il écrit ceci :

« Les montagnes étaient hérissées d’ennemis. Une de leurs colonnes commandée par
Christophe avait gravi derrière le Poste d’Estaing et forcé 300 hommes qui le défendaient de
l’abandonner avec la plus grande précipitation. A 10h. du matin l’Etendard Indigène noir et
rouge(sic) flottait sur plusieurs de nos postes que nous avions été contraints d’évacuer ».

Le Journal de Campagne de Dessalines et le rapport de Rochambeau confirment


l’occupation, vers cette heure là, des positions de Destaing et des Mornets par Christophe
dont les canons exécutaient des tirs plongeants vers le Cap. Ces positions étaient plus que
visibles de la ville et du lieutenant Babron. Celui-ci qui y est resté jusqu’à l’évacuation et a
assisté à l’entrée et au défilé des troupes indigènes a eu tout le loisir de constater, de plus
près, les couleurs des drapeaux indigènes. Ce qui donne une importance exceptionnelle à
son témoignage. Si les couleurs mentionnées pour les pavillons observés sur les positions
des Mornets, le 18 novembre à dix heures du matin, n’avaient pas été les vraies, Babron
avait eu tout le temps voulu pour se reprendre d’autant plus qu’il fait encore mention du
pavillon indigène dix jours après, naturellement, sans en mentionner les couleurs puisque
c’était une affaire réglée :

« Le 7 frimaire (29 novembre) la 110e s’embarque vers 9 hres du matin. À 9h 1/2 l’armée
indigène fit son entrée dans la ville au son d’une bruyante musique; une colonne de près de
deux mille nègres fila vers les forts de St-Joseph, du Grigri et de Picolet, bientôt après leur
étendard y fut déployé ».

Il est à remarquer que le général Romain qui servait sous Christophe avait été chargé de
neutraliser Picolet le 18 novembre. Ses pavillons ne pouvaient être différents de ceux qui
avaient flotté sur les Mornets et dont Babron nous a révélés les couleurs. Les mêmes
pavillons ont dû être hissés sur les forts Saint-joseph et Grigri. Provenant du journal d’un
officier de marine qui a eu des opérations ponctuelles à réaliser telles que l’organisation des
corvées, l embarquement des troupes, les informations dont nous sommes gratifiées ici
n’ont pas été rédigées et consignées suivant les fantaisies de la mémoire. Leur rédaction a
obéi, sans aucun doute, aux règles édictées pour celle d’un journal de bord et a été réalisée
au fil des événements.

(…)

CONCLUSION

Nous avons essayé, au cours de ces pages, de traiter, avec le plus de dépouillement
possible, la question des couleurs des drapeaux qui ont couvert les armées indigènes
pendant nos luttes de libération nationale et les premiers moments de notre indépendance
et d’élucider ou redresser quelques problèmes connexes. Notre argumentation, comme
nous l’avons souligné en introduction, se fonde sur des documents déjà publiés et sur ceux
que nous avons mis à jour au cours de nos recherches. Cela ne nous a pas empêchés de
faire appel aux travaux de nos devanciers surtout ceux de Madiou, d’Ardouin et de
Saint-Rémy soit pour les critiquer, soit pour rendre notre texte moins ardu par la présentation
d’auteurs auxquels le lecteur est déjà familier.

Les résultats auxquels nous avons abouti, par rapport au texte produit, peuvent paraître bien
minces. Toutefois nous sommes réconfortés à l’idée d’avoir, d’une part, établi l’inanité des
débats menés autour de ce qu’on appelle allègrement le drapeau impérial de 1805, le
drapeau républicain de 1807, et plus simplement les drapeaux de Dessalines et de Pétion ;
et d’autre part, apporté la confirmation de l’existence d’un pavillon noir et rouge avant
l’indépendance, contrairement à l’enseignement officiel véhiculé par les manuels des Frères
de l’Instruction chrétienne, existence révélée par la présence de ce drapeau autant dans une
barge capturée le 19 mai qu’au siège de Jacmel en septembre et aux combats du Cap le 18
novembre 1803.

Cette révélation invalide-t-elle la thèse de l’existence d’un drapeau bleu et rouge avant
l’indépendance? Nous ne croyons pas puisque nous faisons nôtre la thèse de la présence
de deux pavillons durant la guerre de libération nationale : l’un bleu et rouge, et l’autre noir
et rouge, même si la preuve documentaire favorise celui-ci. En effet, l’enseignement
concernant le drapeau bleu et rouge ne s’appuie sur aucun document écrit. Madiou et
Ardouin qui situent sa création au mois de février 1803 mentionnent seulement "un
imprimé", sans nom ni date, qui aurait été à l’origine de l’exérèse subi par le drapeau
français sur ordre de Dessalines. Ces écrivains, malgré l’ambiguité de certaines de leurs
affirmations et de leurs attitudes, surtout en ce qui concerne Ardouin, doivent être crédités
d’avoir reproduit ce qui leur a été rapporté par des témoins ou acteurs des divers
événements qui avaient marqué notre lutte de libération nationale. C’est ce qu’on appelle la
preuve testimoniale qui est admise en histoire. Il faudra donc supposer que nos auteurs ont
fidèlement rapporté les témoignages qu’ils ont recueillis ainsi que les gestes et les faits
auxquels ils ont assisté eux-mêmes.

Pour notre part, nous avons établi l’existence depuis la guerre de libération nationale de
deux drapeaux, l un bleu et rouge créé en février 1803 et non le 18 mai puisqu’il faut rejeter
la thèse de Saint-Rémy qui procède, comme le dit celui-ci, d’un choix personnel dont
l’analyse a démontré le caractère simpliste et fantaisiste, l’autre noir et rouge dont
l’existence est révélée, dès le 19 mai 1803, par le document Latouche-Tréville-Yves Marie
Bot, puis confirmée par la carte de Leclerc, le rapport Babron et la lettre écrite par
Saint-Mansuy au général Quantin. Nous sommes-nous conformés à renseignement de
Fustel de Coulanges qui, à propos de l’historien, écrivait ceci : « Son unique habileté
consiste à tirer des documents tout ce qu’ils contiennent et à n’y rien ajouter de ce qu’ils ne
contiennent pas. Le meilleur des historiens est celui qui se tient le plus près des textes, qui
les interprète avec le plus de justesse, qui n’écrit et même ne pense que d’après eux ».

Nous ne saurions le dire, mais ce dont nous sommes certains c’est d’avoir entrepris cette
étude sans idées préconçues et de l’avoir menée en toute bonne foi. Ayant traité le sujet en
tant que question d’histoire le problème du choix entre les deux drapeaux ne s’est pas posé
pour nous, même si nous croyons que tout choix de ce genre est politique et que l’historique
tient celui-ci en état. Ce qui nous préoccupe c’est le fait d’être couverts par un drapeau,
véritable symbole d’unité et de ralliement qui s’impose au respect de la communauté
internationale par notre comportement collectif, car, après tout, quelles que soient les
couleurs du drapeau choisi pour notre peuple, c’est dans notre esprit et notre cœur qu’il
nous faut les unir et puiser la force et le courage dont nous avons besoin pour nous libérer
de l’état d’arriération dans lequel nous avons toujours vécu malgré notre indépendance.

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