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Borno le mal aimé

- Un Haïtien natif-natal.

Lors de son élection à la présidence de la République, Louis Borno fut atrocement combattu
par ses adversaires. On lui en voulait peut-être parce qu'il avait été l'ambassadeur de Nord
Alexis à Santo Domingo et le ministre des Relations Extérieures de Dartiguenave. Dans tous
les cas, on l'accusait d'être un français au motif qu'il aurait figuré sur la liste des Haïtiens
inscrits au consulat de France à Port-au-Prince pour échapper aux persécutions politiques
sous Salomon.

Faux! Archifaux ! Borno n'était pas un français. Il était le descendant de Marc Borno, un
ancien libre de la région de Gauthier qui s'était battu pendant la colonisation française pour
l'égalité des droits et l'indépendance nationale. Louis Borno était plutôt un haïtien natif-natal
qui n’avait jamais renoncé à la nationalité haïtienne.

Mais pas un serviteur du peuple. Le nouveau chef de l'Etat était un juriste, sorti de la faculté
de droit de Paris en 1890 et rompu aux subtilités diplomatiques qui faisaient de lui surtout un
homme conciliant. Durant ses deux mandats, à part les démêlés qu'il a eus avec Jacques
Roumain et qu'il a fait jeter en prison pour délits de presse, Borno n'a jamais été confronté à
de graves problèmes politiques jusqu'au moment de la grève de Damien, qui lui a fait perdre
le fauteuil présidentiel.

En somme le passage de Borno au pouvoir est surtout signalé par un emprunt de 22.9
millions de dollars contractés auprès de la National City Bank de New York à des taux
usuraires et qui lui a servi à racheter la dette française. Borno s'est alors laissé rouler par les
américains d'autant que la gourde haïtienne et le franc français étaient dévalués par rapport
au dollar américain. Les Etats-Unis ont donc gagné sur toute la ligne quand bien même une
partie de l'emprunt aurait servi à l'Etat haïtien pour financer des travaux d'utilité publique.
Ainsi, les écoles et les routes construites sous Borno ont été réalisées avec l'argent haïtien
et non par les américains comme ils se plaisent à le répéter (voir le rapport Forbes).
D'ailleurs, l'école d'agriculture qui a été logée dans de nouveaux bâtiments à Damien avait
été déjà créée à tort sous le président Leconte, avant l'arrivée des américains (voir Alain
Turnier les temps des Baïonnettes). Il en est de même de l'école de médecine qui occupait
l’ancien bâtiment de l'exposition universelle organisée par le président Salomon. Idem de la
douane de Port-au-Prince construite par le président Hyppolite et qui n'a bénéficié que
d'une petite extension sous Borno.

Du reste, la construction des routes et du service d'hygiène répondaient surtout aux intérêts
des américains qui en avaient besoin pour sauvegarder leur santé et faciliter le transport des
troupes d'occupation (voir Alain Tournier, IBID).

Ainsi, tout bien considéré, Borno n'a entrepris que des réalisations cosmétiques encore que
l'emprunt de 1922 a profité aux américains, qui en ont recueilli les dividendes. Ce qui
provoquera quelques années plus tard des protestations de la part du président Elie Lescot
(voir l’ouvrage de Marcel B. Auguste sur l’administration Lescot).
Borno n'a pas eu non plus la main heureuse dans les négociations sur la révision de l'accord
frontalier de 1929 avec la République Dominicaine. Voilà un homme qui, au moment où il
était ambassadeur à Santo Domingo, défendait le principe de l'inviolabilité de la frontière
hatiano-dominicaine sur la «base de l'uti possidetis de 1874 », reconnaissant bien entendu
les territoires conquis lors des campagnes de l'Est. Mais qui devenu président de la
République, accepta de se défaire d'une bonne partie de ses territoires-là, peuplés surtout
de paysans haïtiens, dont beaucoup seront massacrés en l937 par Trujillo.

- La grève de Damien

Enfin la preuve la plus éclatante de la malgouvernance des affaires publiques par Borno,
est la grève de Danien. Sinon comment peut-on comprendre qu'une action revendicative et
syndicale estudiantine, pourrait dégénérer jusqu'à mettre en péril l'existence du
gouvernement et la présence de l’occupant.
Effectivement, à la rentrée scolaire et universitaire d'octobre 1929, personne ne s'attendait à
une grève de protestation des étudiants de Damien contre la réduction de leurs bourses
décidée par le gouvernement en but à la crise économique mondiale. Au pire pouvait-on
penser à un simple sentiment de mécontentement, vite refoulé. Or la grève déclenchée le
lundi 4 novembre ne tarda pas à gagner les autres établissements supérieurs et à se
transformer en manifestation de rue appuyée par la Ligue de la jeunesse patriote, dont les
dirigeants Jacques Roumain et Georges Petit avaient été arrêtés auparavant. Borno a donc
sous-estimé la portée de sa décision suscitée par le Directeur de Damien, l'américain
George Freiman, de même il n'a pas pris la juste mesure de la situation politique qu'il a
laissé se développer n'ayant pas dès 1e début rétabli la bourse des étudiants et libéré
Jacques Roumain et George Petit .En fait, la grève estudiantine de 1929 n'a pas été inspirée
par la ligue de la jeunesse patriote malgré les coïncidences constatées et cela même si
Louis Diaquoi, Justin D. Sam ou Jean Brière défendaient dans les colonnes du Journal « Le
Petit Impartial » les revendications des boursiers de Damien. C'est plutôt la politique
d'austérité menée par le gouvernement pour faire face à la crise économique mondiale qui a
provoqué la grève.
L’affaire fit grand bruit aux Etats-Unis surtout qu'aux Cayes des fusiliers marins venaient
d'ouvrir le feu sur des paysans qui revenaient du marché faisant plusieurs victimes. D'où
l'envoi à Port-au-Prince d'une commission d'enquête de cinq membres présidée par
Cameron Forbes.

- Résolution de la crise politique

Dès son arrivée à Port-au-Prince, le 26 février 1930, la commission commença par


s'entretenir avec le Haut-commissaire américain en Haïti, le Général John Russel et le Chef
d'Etat Haïtien, le Président Louis Borno (voir le rapport de la commission), elle s'installa à
l'hôtel Excelsior au Champ de Mars pour pouvoir recevoir les personnalités ou délégations
haïtiennes qui souhaitaient la rencontrer. Durant toute la première quinzaine de mars, les
plus grands ténors de l'opposition se sont présentés devant elle en vue de déposer leur
doléances et leur pétition au sujet de la Fédération haïtienne des groupements patriotiques
dont le deuxième secrétaire était Jacques Roumain, La commission a ensuite entrepris une
grande tournée à travers le plateau central et les départements du Nord et de l'Artibonite.
Partout où elle est passée, que ce soit à Mire Balais, Thomonde, Hinche, Cap-Haitien ou
Gonaïves, elle s'est retrouvée face à des manifestations populaires exigeant le départ de
Borno et la fin de l’occupation américaine.

De retour à Port-au-Prince par bateau la commission fut accueillie par une foule immense.
Surtout que les rumeurs venues de Miami faisaient croire qu’il se préparait un coup d'état
pour maintenir Borno au pouvoir.
Puis, les manifestants ont convergé sur le Champ de Mars. Certains portaient des
banderoles. D'autres arboraient les couleurs nationales barrées d'une croix noire en signe
de deuil. Tandis que les femmes chantaient, tous ces manifestants réclamaient des élections
législatives et présidentielles. Ils étaient si menaçants que la Garde d'Haïti, craignant des
débordements, dut intervenir pour disperser des groupes de meneurs et calmer leurs
ardeurs. Dès lors, la commission était convaincue «que l'élection d'un nouveau Président
par les moyens pratiqués dans les deux dernières élections, à savoir par le Conseil d'Etat,
ne serait pas-acceptée par le peuple ». Il fut alors dressé par la commission, un rapport
destiné au département d'Etat et comprenant un plan de résolution de la crise politique
haïtienne.
Les principales recommandations faites par la commission et adoptées par le président
Américain Herbert Hoover sont les suivantes :

Désignation d'un Président provisoire neutre par le président Borno sur proposition de
l'opposition et avec l'investiture du Conseil d'Etat.

Organisation d'élection législative libre, sincère et démocratique par le Président provisoire


dès son entrée en fonction. Le parlement ainsi constitué devant lui-même procéder à
l'élection d'un président définitif pour 6 ans et cela sans que le Président provisoire soit
candidat.

Retrait progressif des forces d'occupation avant l'expiration de la convention d'assistance


haïtiano-américaine en 1936.

C'est Eugène Roy qui fut choisi comme Président provisoire et qui organisa en tant que tel
les élections dont sorti vainqueur Stenio Vincent.

Pauvre Président Bono, lui qui a si bien servi l'occupation américaine et qui, pour n'avoir pas
eu raison de la ténacité de l'opposition, fut abandonné au profit de ses détracteurs par
ceux-là même dont il a été le fidèle collaborateur.

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