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Le président Sudre Dartiguenave

28 Juillet 1915 - 28 juillet 2015 : voici un siècle que les américains ont lancé une opération
militaire contre Haïti sous le prétexte que ce pauvre petit pays constituait un foyer de
désordre dans la caraïbe. En fait, ce sont les américains eux-même qui entretenaient ce
désordre en soutenant des groupes rivaux d'haïtiens, les uns contre les autres moyennant la
jouissance d'avantages économiques et financiers au détriment de puissant concurrents
allemands et français. Ils ont ainsi proposé aux consolidataires Vilbrun Guillaume Sam leur
appui militaire pour combattre le libéral Rosalvo Bobo en échange du contrôle de la Banque
Centrale et de la douane d'Haïti. L'accord était sur le point d'être conclu quand l'émissaire
américain FULLER quitta le pays provoquant ainsi le soulèvement des partisans de Rosalvo
Bobo à Port-au-Prince. Vilbrun Guillaume Sam fut alors lynché par la population tandis
qu'une escadre américaine, commandée par le contre-amiral Capertone entrait dans la baie
de Port-au-Prince et débarqua un détachement de fusiliers-marins à Bizoton (voir Max U.
Duvivier, 1'occupation américaine d'Haïti, Revue de la société Haïtienne d'Histoire et de
Géographie).

L'occupation militaire d'Haïti par les Etats-Unis venait de commencer.


Elle dura 19 ans, jusqu'en 1934.

1- Dartiguenave l’homme lige des américains

1-1- Un marché de Dupe

L’un des premiers actes posés par les américains à leur arrivée à Port au Prince a été de
chasser de la résidence présidentielle le comité révolutionnaire qui venait de déclarer
Rosalvo Bobo chef de l’Etat en remplacement de Vilbrun Guillaume Sam assassiné. Une
délégation dont faisait partir l’ex-président Légitime a été alors dépêchée par l’occupant à
bord d’une unité des forces navales pour aller chercher dans le Nord le président
auto-proclamé. Celui-ci n’a pu débarquer à Port au Prince qu’après avoir renoncé à son
statut de chef d’Etat mais avec la possibilité d’être candidat à la prochaine élection
présidentielle s’il le désirait.
Rosalvo Bobo fut battu dans l’urne par Sudre Dartiguenave qui recueillit 94 voix sur 116
votants. Alors que lui-même n’obtient que 3 voix, Emmanuel Thézan 4 voix et Luxembourg
Cauvin 14 voix. L’autre bulletin étant blanc.

Rosalvo Bobo, le candidat malheureux à la présidentielle pensait qu’il allait être élu par le
parlement vu qu’il avait remporté la victoire sur le champ de bataille contre Vilbrin Guillaume
Sam avant l’intervention américaine. Il s’était donc trompé sur Dartiguenave qui avait le
double avantage d’être le président du parlement et le candidat de Washington qui voulait
plutôt un libéral-conservateur au pouvoir. Mais le côté le plus dramatique et aussi le plus
Caucasse du scrutin, c’est que le président autoproclamé apportait au président élu la
caution démocratique tout en renouvelant sa confiance à l’occupant qui lui avait volé sa
victoire militaire et qui profitera de la fin de la première guerre mondiale pour l’expulser sur
Paris où il mourut en 1924.
Dartiguenave était un homme comblé mais inquiet pour son avenir politique. Le jour de son
élection à la présidence de la république et au moment où il allait prononcer son discours
d’investiture, il a éclaté en sanglot dans les bras de Constantin Mayard, le maître des
cérémonies. Il se réjouissait à sa manière d’avoir terrassé ses compétiteurs qu’il considérait
comme des victimes expiatoires de l’occupation alors qu’il était lui-même l’homme lige des
américains.
Le cabinet ministériel formé à cette occasion comptait surtout des hommes-liges comme lui,
hormis Pauléus Sanon chargé des Relations Extérieures et Antoine Sansaric titulaire du
transport. D'ailleurs ils se sont empressés de démissionner pour ne pas signer la convention
d’assistance haïtiano-américaine qui livrait le pays pieds et poing liés aux Etats-Unis. Ils
furent remplacés immédiatement par Louis Borno et Paul Salomon. Le cabinet s’est encore
renforcé après la signature de la convention et l’adoption d’une nouvelle constitution
accordant le droit de bail aux étrangers.
Dantes Bellegarde fut nommé au ministère de l’instruction publique, Louis Roy aux travaux
publics, Féquière aux finances en remplacement d’Eli et Justin Bareau à la justice en
remplacement d’Etienne Dorneval. Même Constantin Mayard, qui occupait l’Intérieur
cumulativement avec la présidence du parlement depuis l’élection de Dartiguenave, dut
céder son portefeuille ministériel à Barnave Dartiguenave, le frère du chef de l’Etat. Il fut
finalement réaffecté au conseil d’Etat après la dissolution du parlement. Quant à Charles
Leconte, il fut tout bonnement renvoyé du gouvernement, son ministère de la Guerre et de la
Marine ayant disparu avec l’ancienne armée d’Haïti (Voir le livre bleu…).
Ainsi, de replâtrage en replâtrage, de réaménagement en réaménagement, Dartiguenave
avait donc fini par former un cabinet ministériel homogène dominé par la bourgeoisie
fonctionnariste et consumériste dont il était lui-même un produit pur jus malgré ou à cause
de deux superbes plantations qu’il possédait près de l’Ans-a-Veau, sa ville natale.

1-2- La saison des soldes

Le pays fut bradé aux américains qui ont obtenu le contrôle financier, la construction des
routes, le rétablissement de la « corvée » ou du travail forcé, le bail emphytéotique, la
dissolution du parlement et de l’armée.
Une grande partie de la souveraineté nationale fut donc aliénée par Dartiguenave pour être
président de la République. Il ne lui restait plus que ses yeux pour pleurer et des larmes
pour implorer la miséricorde divine.
Hormis les collaborationnistes et des professionnels indépendants, la bourgeoisie nationale
était aux abois, particulièrement les commerçants refoulés à la rue Traversière et dont les
plus chanceux, Simon Vieux et Raphaël Brouard se trouvaient sur la Grand’Rue. Tout le
bord de mer de Port aux Princes était envahi par des Libano-syriens qui avaient profité du
droit de bail pour s’installer sur les dépouilles des allemands écartés du marché au moment
de la première guerre mondiale. Ces Libano-syriens (les Bacha, les Salamé, les Talamas)
arrivés quelques années auparavant en qualité de marchants forains, occupaient le haut du
pavé à coté d’autres étrangers, laissant les nationaux sur les bas cotés de la route. De
même, des entrepreneurs américains contrôlaient l’économie sucrière haïtienne.
Ainsi, la compagnie sucrière haïtiano-américaine (la haitian american sugar Company, la
HASCO), dont l’usine avait été construite dans la banlieue nord de Port aux Princes,
absorbait la plus grande partie de la canne produite dans les plaines de Léogane et du
Cul-de-Sac. Elle obligeait les grands planteurs haïtiens de la région comme les Tancrède
Auguste, qui possédaient une sucrerie à Chateaublond, à se reconvertir dans la Guildiverie
et le commerce.
La HASCO s’était également distingué en imposant de dures conditions de travail aux
ouvriers de l’usine qui ont réalisé la première grève syndicale du pays (voir Roger
Gaillard…). C’est aussi la forcerie exercée par les américains sur les paysans employés
dans la construction de la route Hinche-Saint Michel de l’Attalaye qui a relancé le
mouvement CACO au Plateau Central, à l’appel de Charlemagne Péralte, l’un des plus
dignes fils de la région, qui s’était enfui du Cap-Haïtien où il avait été condamné au
nettoyage des rues.
Le mouvement CACO est apparu au Plateau Central sous Dartiguenave, bien entendu
parce qu’il était dirigé par des féodaux et des fils de féodaux locaux comme Charlemagne
Péralte. Mais surtout parce que le Plateau Central était naturellement déshérité et ne pouvait
supporter le poids de la corvée. Le mouvement connut une telle intensité que les américains
ne réussirent pas à le mâter malgré le recours à des bombardements aériens.

1-3- Le prix du sang

C’est en cherchant à organiser une percée sur la Grande Rivière du Nord que Péralte fut
attiré dans un piège par un pauvre paysan Haïtien du nom de Conzé et abattu par le
Lieutenant américain Hanneken. L’événement fut célèbre à Port au Prince par le président
Dartiguenave qui en signe de reconnaissance descerna la médaille militaire à l’assassin de
Péralte en présence du Major Meade avant une revue de troupes au Champ de Mars (Voir
la photo publiée par Roger Gaillard dans son ouvrage Charlemagne Péralte le CACO, Port
au Prince, 1982).
Quant au président lui-même, il fut tout simplement remercié pour ses bons et loyaux
services à l’expiration de son mandat et remplacé par Louis Borno, son ancien ministre des
Relations Extérieures, devenu entre temps directeur de l’Ecole de droit de Port-au-Prince.

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