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CHAPITRE XXIV

Gouvernement de Dartiguenave

Intervention américaine. — Le croiseur Washington, de la marine


de guerre des Etats-Unis, stationnait depuis le 1*** juillet 1915 devant le
Cap-Haïtien. II avait débarqué dans cette ville des hommes de l'infanterie
de marine pour remplacer les fusiliers qu'une canonnière française y
avaient envoyés en vue de protéger les maisons étrangères contre les
attaques possibles des révolutionnaires cacos. Le 27, l'amiral Caperton
reçut une dépêche du chargé d'affaires américain, l'appelant en toute
hâte à Port-au-Prince, où une insurrection venait d'éclater le matin
même. Quand le Washington mouilla dans la rade de Port-au-Prince
le 28, le président Vilbrun Guillaume Sam, à la suite du massacre des
prisonniers politiques, avait été tué et son corps affreusement mutilé.
L'amiral Caperton, après une brève consultation avec les représentants

i diplomatiques de la France et de la Grande-Bretagne, fit débarquer des


« marines » qui s'emparèrent des principaux postes de la capitale. Dans
la.confusion extrême où l'on se trouvait et en l'absence de toute autorité
constituée, personne n'eut à ce moment l'idée ou le pouvoir de protester
contre une pareille violation de l'intégrité territoriale de la République
d'Haïti. Une courte résistance se produisit néanmoins à l'Arsenal, où
l'officier Germain fut grièvement blessé au bras et le soldat Sully Pierre
tué pour avoir refusé de livrer leur poste.
Ce débarquement fut ordonné par Je Département de la Marine des
Etats-Unis en vue, disait-il, de protéger les intérêts étrangers en Haïti.
Les instructions reçues par l'amiral Caperton le 28 juillet lui prescrivaient
d'accorder tout son appui aux nationaux français et anglais mais.de
recommander aux représentants de la France et de la .Grande-Bretagne de
ne pas faire' eux-mêmes débarquer dans la ville des hommes armés. Le
ministre de France, M. Girard, répondit qu'une question d'honneur l'obli-
geait à faire garder la Légation française par des marins français.
Aucune insulte n'ayant été faite au drapeau américain, aucun citoyen
des Etats-Unis n'ayant été lésé dans ses biens ou molesté dans sa personne

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au cours des malheureux événements qui venaient de se produire, on
crut généralement que l'intervention allait se borner à une pure opération s'engageât à signer avec les Etats-Unis un traité, dont elles firent
de police. On s'aperçut vite, par les mesures prises par l'amiral Caperton connaître les lignes générales. En effet, à une réunion tenue au Théâtre-
pour étendre l'occupation du pays, qu'il n'était pas simplement chargé Parisiana, dans l'après-midi du 11 août, par la majorité des membres
d'une, mission temporaire et qu'il se disposait à exercer une action directe du Corps législatif, le capitaine Beach, représentant de l'amiral Caperton,
sur la reconstitution du gouvernement national. Il essaya cependant de fit savoir que le gouvernement américain désapprouvait l'acte du comité
calmer les inquiétudes des patriotes en affirmant, dans une proclamation révolutionnaire, garantissait toute sécurité à l'assemblée nationale et
du 7 août, que « le gouvernement des Etats-Unis n'avait d'autre but que réclamait expressément en retour : 1° l'acceptation par Haïti d'un
d'aider Haïti à maintenir son indépendance et le peuple haïtien à établir contrôle sur les finances haïtiennes; 2« la constitution d'une gendarmerie
un gouvernement stable ». nationale sous les ordres d'officiers américains. On comprit que l'accord
était fait sur ces points quand on vit le président du Sénat, M. Darti-
Election de Sudre Dartiguenave. — Après les terribles journées des guenave, arriver à la réunion escorté d'un sergent, dont le capitaine
27 et 28 juillet, Port-au-Prince avait assez rapidement recouvré son Beach lui avait imposé la compagnie.
calme. Il s'agissait pour les députés et les sénateurs de se réunir en Le lendemain, 12 août, M. Sudre Dartiguenave fut élu président de la
assemblée nationale afin d'élire, conformément à la Constitution, le république pour une période de sept ans, à la majorité de quatre-vingt-
nouveau chef de l'Etat. Les deux Chambres furent donc convoquées pour quatorze voix contre seize réparties entre divers candidats.
le 8 août. Plusieurs citoyens s'empressèrent de déclarer leur candidature
à la présidence. Le Dr Rosalvo Bobo, chef de la révolution du Nord et Etablissement de la loi martiale. — Deux jours après l'élection
pour le bénéfice duquel le coup de main du 27 juillet avait été fait, vint présidentielle, le Département d'Etat des Etats-Unis déclara que le gou-
à la capitale et fit connaître son intention de se présenter aux suffrages vernement américain ne reconnaîtrait le nouvel élu que si les Chambres
de l'assemblée nationale. Mais la majorité du corps législatif avait déjà, haïtiennes autorisaient celui-ci à signer la convention prévue. En consé-
dans des réunions particulières, décidé de n'accorder son vote à aucun quence, le chargé d'affaires, M. Robert Beale Davis Jr., présenta un projet
chef révolutionnaire — ce qui écartait d'emblée la candidature de l'ancien de convention au Président Dartiguenave et lui demanda de faire voter
ministre de l'intérieur de Davilmar Théodore. Les parlementaires mon- par l'Assemblée nationale « une résolution autorisant le Chef de l'Etat
traient au contraire leurs préférences pour un neutre. Consulté, M. Ter- à conclure la dite convention immédiatement et sans modification ». Une
tullien Guilbaud déclina un tel honneur. L'attention se fixa alors sur telle demande étant contraire à la procédure constitutionnelle en matière
M. Sudre Dartiguenave, président du Sénat, qui, interrogé sur son pro- de traités internationaux, le gouvernement haïtien réclama un délai
gramme politique par les autorités américaines, se déclara disposé à suffisant pour étudier le projet qui lui était soumis.
discuter avec le gouvernement des Etats-Unis les termes d'une convention Certaines clauses du projet de convention soulevèrent de sérieuses
dont le but serait de garantir la paix intérieure et de restaurer les finances objections au conseil des ministres, particulièrement l'article 1 er qui,
haïtiennes. A une semblable demande d'explication, Rosalvo Bobo répondit imposant à la République d'H.aïti un conseiller financier désigné par le
qu'il s'opposerait à la conclusion de tout traité pouvant porter atteinte président des Etats-Unis et ayant les pouvoirs d'un contrôleur général
à la souveraineté nationale. des finances, consacrerait la mainmise absolue des Américains sur TadmK
Un comité révolutionnaire, composé de partisans du D r Bobo, s'était nistration financière haïtienne.
entre temps constitué â Port-au-Prince, en affichant la prétention Pour avoir, raison de ces résistances inattendues, l'amiral Caperton
d'exercer l'autorité executive en vue de maintenir l'ordre public. Il avait ordonna, le 19 août, la saisie des douanes haïtiennes et en fit expulser
tout d'abord protesté, au nom de la nation, contre l'occupation des postes manu militari les fonctionnaires haïtiens. Il nomma le capitaine Beach
militaires de la capitale par les « marines ». Puis, le 11 août au matin, conseiller financier et le lieutenant Conard receveur général des douanes.
il publia un décret par lequel il prononçait la «dissolution» du corps Et ayant accompli cet acte, il câbla à Washington : « United States has
now actually accomplished a military intervention in affairs of another
législatif. Pour rendre ce décret effectif, des individus armés, postés aux
nation. » (Les Etats-Unis ont maintenant réellement accompli une inter-
abords du palais de la Chambre des députés, essayaient par intimidation
vention militaire dans les affaires d'une autre nation.) Contre cet acte.de
d'empêcher les représentants du peuple de se rendre au iieu de leurs
violence, le gouvernement haïtien publia une vigoureuse protestation, à
réunions. laquelle l'amiral Caperton répondit par une proclamation du 3 sep-
Les autorités américaines tirèrent habilement parti de cette situation : tembre 1915. Dans cette proclamation, celui-ci se déclara « investi du
elles offrirent leur protection à l'Assemblée nationale et promirent pouvoir et de la responsabilité du gouvernement d'Haïti dans toutes ses
d'assurer la libre élection du Chef de l'Etat, à la condition que-celui-ci fonctions et dans toutes ses branches sur toute l'étendue du territoire
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occupé par les forces américaines ». Il chargea le colonel Littleton W.-T.
Waller, de l'infanterie de marine des Etats-Unis, « de prendre tous règle- perçues par ses agents, il refusa toute avance pour les dépenses publiques.
ments et dispositions utiles et de nommer les officiers nécessaires pour Le Président Dartiguenave protesta mais ne reçut de l'amiral que cette
réponse laconique : « Funds would be immediately available upon rati-
mettre en vigueur la loi martiale et lui donner son plein effet ». A cette
fication of the treaty». Humilié, M. Dartiguenave nienaça de donner sa
même date du 3 septembre, le colonel Waller émit un ordre du jour
démission. Enfin, le 5 octobre, le Département de la Marine des Etats-
nommant le capitaine Alexander S. Williams grand-prévôt et instituant
Unis accepta qu'un paiement hebdomadaire fût fait au gouvernement
une cour prévotale pour juger « tous les cas dans lesquels les Etats-Unis
pour ses dépenses urgentes, en refusant toutefois de payer avant la
d'Amérique ou des membres des forces américaines seraient impliqués
ratification du traité celles qui étaient restées en souffrance.
et où les ordres du grand-prévôt auraient été violés». On vit, dès ce
jour, défiler devant le capitaine Williams de nombreux citoyens haïtiens Le 6 octobre, la Chambre des députés approuva (la convention, en la
qui avaient osé protester, dans la presse ou dans des réunions publiques, faisant accompagner d'un « commentaire interprétatif ». Ce commentaire
contre la violation du territoire national et la mainmise de l'étranger sur avait été préparé par un comité spécial de la Chambre en^ collaboration
le gouvernement et l'administration de leur pays. Un jeune journaliste avec le ministre des relations extérieures, M. Louis Borno, qui avait
au patriotisme ardent, Elie Guerin, fut particulièrement persécuté. affirmé qu'il était en parfait accord avec la Légation des Etats-Unis rela-
tivement à l'interprétation des différentes clauses du projet. L'annonce
du vote donna lieu à une scène émouvante. Le député des Gonaïves,
Le traité de 1915. — Deux ministres, M, H. Pauléus Sannon (rela-
D** Raymond Cabêche, après avoir protesté contre l'adoption de cette
tions extérieures) et M. Antoine Sansaricq (travaux publics), opposés à
convention qui, d'après lui, n'était qu'un « protectorat imposé à Haïti
la convention, donnèrent leur démission et furent remplacés, le 9 sep-
par le président des Etats-Unis », arracha de la boutonnière de son veston
tembre, le premier par M. Louis Borno, le second par le Dr Paul Salomon sa rosette de représentant du peuple, la lança au milieu de l'assemblée
— ce dernier devant se retirer peu de jours après. A cette occasion, et quitta la Chambre. Necker Lanoix, député de Port-de-Paix. suivit
l'amiral Caperton télégraphia à Washington que la situation était devenue l'exemple de son collègue des Gonaïves. Auguste Garoute, député de
meilleure: «Cela a été obtenu, dit-il, en exerçant une pression militaire Jérémie, se prononça contre l'adoption. Les députés Marcelin Jocelyn,
aux moments propices dans les négociations. » (This has been effected Bréa, Camille Léon, Edgar Numa et Joachim Jean-Baptiste se retirèrent
by exercising military pressure at propitious moments in négociations.) de l'assemblée pour ne pas prendre part au vote.
M. Louis Borno se mit à l'œuvre et réussit à faire admettre quelques
L'opposition parut plus redoutable au Sénat. Le 3 novembre, l'amiral
modifications plutôt de forme destinées à ménager î'amour-propre natio-
Caperton exprima au Président Dartiguenave son mécontentement au
nal, en usant — comme disaient les Américains avec une pointe d'humour
sujet des objections soulevées à la commission sénatoriale et qui, dans
— d'une « phraséologie plus agréable » au goût des Haïtiens ». L'une de
son opinion, portaient sur « des formalités sans importance et des prin-
ces modifications avait néanmoins une grande importance : elle consistait cipes abstraits », Deux jours après, la commission déposait son rapport :
à remplacer la clause, qui faisait du conseiller financier un contrôleur elle admettait le principe de la convention mais proposait d'en ajourner
général des finances haïtiennes, par une formule qui le désignait comme le vote afin que le gouvernement haïtien pût obtenir du gouvernement
« un fonctionnaire attaché au ministère des finances — an officer aitached américain les modifications qu'elle estimait essentielles pour la sauve-
to the Ministry of finance ». garde de l'indépendance nationale. A la séance du Sénat du 12 novembre,
Le 16 septembre 1915, la convention fut signée par M. Louis Borno les trente-six sénateurs présents votèrent le principe de. la convention;
et M. Robert B. Davis Jr. et déposée quatre jours après à la Chambre des vingt-six contre dix repoussèrent la demande d'ajournement après une
députés — la constitution d'Haïti exigeant pour la ratification des traités chaude discussion au cours de laquelle le sénateur Edouard Pouget,
de ce genre l'approbation séparée des deux Chambres législatives. Le jour rapporteur de la commission, prononça l'un des plus éloquents discours
même de là signature de cet instrument diplomatique, des salves tirées de sa carrière parlementaire. Le rejet de'l'ajournement impliquait l'appro-
par les navires de guerre américains annoncèrent la reconnaissance du bation du Sénat, qui adopta,, en outre, le «commentaire interprétatif»
gouvernement du 12 août par les Etats-Unis d'Amérique. annexé à la convention.

Craignant que le Corps législatif ne mît trop de lenteur à donner son


Par la convention du 16 septembre 1915, les Etats-Unis déclaraient
approbation, l'amiral Caperton fit saisir un lot de billets du gouvernement
prêter leurs bons offices à Haïti pour l'aider dans le développement de
non signés et notifia aux autorités haïtiennes qu'il ne les leur remettrait
ses ressources et dans l'établissement de ses finances sur des bases
qu'à la ratification du traité. D'autre part, les recettes douanières étant
solides. Sur la désignation qui lui en est faite par le président des
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Sénat en même temps que la convention, les « réserves » ou « explica-
Etats-Unis, le président d'Haïti nomme : \° un receveur général et tels tions » du Corps législatif d'Haïti ne liaient en aucune façon le gouverne-
aides qui seront jugés nécessaires pour « percevoir, recevoir et appli- ment des Etats-Unis.
quer » tous les droits de douane et 2° un conseiller financier, qui est un Le « commentaire interprétatif », qui liait le gouvernement haïtien
«fonctionnaire attaché au ministère des finances», chargé de présenter s'il ne liait celui des Etats-Unis, disait entre autres choses : le président
des recommandations au gouvernement haïtien pour l'amélioration des d'Haïti aurait le droit de refuser la nomination de certaines personnes
méthodes de perception et de distribution des recettes publiques. Les proposées par le gouvernement américain pour occuper des fonctions en
sommes perçues par le receveur général servent à payer : 1° les dépenses Haïti; le receveur général des douanes pourrait être renvoyé s'il était
du service du receveur général et du service du conseiller financier, 2° les convaincu de malversation; les employés des douanes seraient exclusi-
annuités de la dette publique, 3<> les dépenses de la gendarmerie, devenue vement des Haïtiens nommés par le président d'Haïti; e conseiller finan-
la seule force- armée de la République. Le reste des recettes effectuées va cier ne serait pas un contrôleur général placé au-dessus du gouvernement
aux dépenses courantes du gouvernement haïtien, à qui est laissée la et du corps législatif ni le remplaçant de la Chambre des comptes, mais
libre disposition du produit des taxes intérieures. Les dépenses du rece- un fonctionnaire attaché au ministère des finances avec des attributions
veur général et du conseiller financier ne doivent pas excéder 5 % des purement consultatives; les contestations au sujet de l'exécution du traité
recettes douanières réalisées. Haïti s'engage à ne pas augmenter sa dette seraient soumises à la Cour Permanente d'Arbitrage 4e la Haye confor-
publique ni à réduire ses droits de douane sans le consentement des mément à la Convention de 1909 conclue entre Haïti et les Etats-Unis.
Etats-Unis. Si ce « commentaire interprétatif » avait été accepté et respecté par
les deux parties contractantes, il aurait certainement assuré une meilleure
coopération entre le gouvernement haïtien et le gouvernement des Etats-
Pour maintenir la paix intérieure, Haïti promet de créer une gendar- Unis; il eût empêché en tout cas les graves conséquences politiques,
merie, organisée et commandée par des officiers américains désignés par morales et économiques qui allaient résulter d'une mauvaise application
le président des Etats-Unis. Il est stipulé que ces officiers seront rem- du traité du 16 septembre 1915 par des fonctionnaires américains, trop
placés par des Haïtiens quand ceux-ci seront suffisamment entraînés. souvent ignorants des vrais besoins- du pays et de la psychologie parti-
La gendarmerie a la surveillance du commerce des armes. Haïti agrée culière de son peuple.
de n'aliéner ni louer aucune partie de son territoire et de ne participer
à aucun traité pouvant mettre.cn péril son indépendance. Afin de déve- La Constitution de 1918. — La résistance inattendue que les auto-
lopper ses ressources naturelles, Haïti s'engage à prendre les mesures qui, rités américaines avaient rencontrée dans les Chambres relativement à
« dans l'opinion des parties contractantes, peuvent être jugées néces- l'adoption du traité du 16 septembre 1915 leur avait donné la conviction
saires pour l'hygiène publique et le progrès de la République », £ous la que l'occupation militaire et civile du pays serait continuellement en-
surveillance d'ingénieurs nommés par Je président d'Haïti sur la propo- travée si le régime constitutionnel restait le même. II fallait donc établir
sition du président des Etats-Unis. L'article 14 prévoit que les parties un système qui accordât des pouvoirs plus étendus à l'Exécutif puisqu'on
« auront le pouvoir de prendre les mesures qui peuvent être estimées était sûr d'obtenir de celui-ci tout ce qu'on voulait en employant les
nécessaires pour assurer la complète réalisation de chacun des objets moyens de pression appropriés. Il fut par conséquent décidé qu'une
compris dans le traité ». De plus, les Etats-Unis promettent de « prêter Constitution nouvelle serait votée. Cette révision était, d'autre part, vive-
une aide efficace pour la préservation de l'indépendance haïtienne et le ment désirée par les Américains qui voulaient: 1° faire disparaître du
maintien d'un gouvernement adéquat pour la protection des vies, des pacte constitutionnel la prohibition concernant l'acquisition par l'étranger
propriétés et de la liberté individuelle ». de biens fonciers en Haïti; 2" obtenir sous une forme solennelle l'appro-
. La convention doit rester en vigueur pendant dix ans, et « si, pour des bation des actes accomplis par l'Occupation depuis le 28 juillet 1915.
raisons spécifiques présentées par l'une ou l'autre des parties contrac- On ne pouvait pas attendre du Corps législatif, tel qu'il était à ce
tantes, son objet n'a pas été rempli complètement à ce moment, elle peut moment composé, qu'il acceptât de se prêter à une pareille réforme. Au
être prolongée pour une autre période de dix ans». Sénat particulièrement, une franche hostilité s'était manifestée contre
En attendant l'approbation du Sénat des Etats-Unis, un modus l'Occupation et aussi contre le Président Dartiguenave, à qui l'on repro-
vivendi fut signé le 29 novembre 1915 pour la mise en vigueur immé- chait de se soumettre avec trop de complaisance aux injonctions de
diate de la convention. Celle-ci: ne fut approuvée par le Sénat américain l'amiral Caperton et.de ses subordonnés. Cette hostilité trouvait un
que le 3 mai 1916. Le Secrétaire d'Etat Lansing refusa de soumettre à aliment dans les violentes polémiques des journaux qui, divisés en
cette asseemblée le « commentaire interprétatif » des Chambres haï- groupes adverses, attaquaient furieusement, les uns, le Chef de l'Etat et
tiennes. Il déclara ensuite que ce commentaire n'ayant pas été soumis au
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ses ministres, les autres, les membres de l'Opposition. Cette fureur ico-
noclaste, égale dans les deux camps, servit admirablement les desseins
de l'Occupation.
On fit entendre à Dartiguenave que les Chambres, devant les attaques
de la presse contre certains de ses ministres et contre sa propre personne,
i propriété immobilière illimité à accorder à l'étranger, le colonel Eli K.
Cole, successeur de. Waller, télégraphia à Washington que « l'opposition
manifestée par l'Assemblée nationale à l'octroi de la propriété foncière
aux étrangers et à toute influence américaine est telle que toute tentative
finiraient par le mettre en accusation. Le 5 avril 1916, le Président prit pour empêcher le vote de la Constitution serait infructueuse, sauf la
un décret dissolvant le Sénat et appelant la Chambre des députés à se dissolution des Chambres ». Comme Dartiguenave hésitait à prendre une
former\en assemblée constituante pour réviser la Constitution de 1889 : nouvelle fois la responsabilité d'une si grave mesure, le colonel Cole se
il donna comme raison de cette dernière mesure que les députés, élus au décida à °mr lui-même. Il prépara un ordre du jour de dissolution et,
suffrage direct, étaient les meilleurs interprètes de la volonté du peuple. le 19 juin, il déclara que si le Chef de FEtat refusait de signer le décret
Par un autre décret rendu le même jour, Dartiguenave institua un Conseil de renvoi il disperserait de sa propre autorité l'Assemblée nationale et
d'Etat composé de vingt et un membres et formant un corps consultatif « recommanderait à Washington l'établissement d'un gouvernement mili-
chargé de la préparation des projets de loi et règlements administratifs. taire pour Haïti ». Le major Butler fut chargé, en sa qualité de « général
Le Conseil d'Etat reçut immédiatement la mission de rédiger un projeL haïtien », de convaincre le Président Dartiguenave de la nécessité de se
de Constitution à soumettre à la Constituante. soumettre aux exigences du gouvernement américain. Par décret prési-
Les sénateurs refusèrent de se disperser et protestèrent vigoureuse- dentiel, les chambres furent déclarées dissoutes. Le chef de la Gendar-
ment contre la mesure inconstitutionnelle qui les frappait. Maïs lorsqu'ils merie alla en personne ordonner à l'Assemblée nationale de se disperser
tentèrent de se réunir le 27 avril, le colonel Waller, commandant de la pendant que celle-ci était en séance sous la présidence du sénateur Sténio
Brigade d'Occupation, leur fit savoir qu'il ne leur permettrait de tenir Vincent. Toute réunion des députés et sénateurs expulsés fut interdite
séance que s'ils prenaient l'engagement formel d'amender la Constitution par la police, et les journaux reçurent l'ordre de ne publier aucun article,
selon les vues du Président Dartiguenave — auxquelles l'amiral Caperton commentaire ou information concernant cet événement.
avait déclaré donner son plein agrément. Le 5 mai, le Sénat essaya une
nouvelle fois de se réunir : il en fut empêché par des officiers américains
accompagnés de gendarmes haïtiens.
La Chambre des députés ayant elle-même refusé de remplir le rôle Il fallait cependant aux autorités américaines une nouvelle. Constitu-
de Constituante qu'on voulait lui faire jouer, un décret présidentiel tion pour Haïti. Comme on était convaincu que de nouvelles élections
appela les citoyens aux urnes pour de nouvelles élections législatives. Ces législatives ramèneraient au parlement des éléments indépendants et
élections eurent lieu le 10 janvier 1917 sous la surveillance de la Gendar- hostiles à la mainmise! américaine sur le gouvernement du pays, on
merie d'Haïti, qui venait d'être organisée avec le major Smedley D. Butler « suggéra » au Président Dartiguenave de recourir à une procédure jus-
comme commandant et le capitaine Alexander S. Williams comme sous- qu'alors inconnue dans) la pratique haïtienne: celle du plébiscite. Une
chef — ces deux officiers américains ayant été nommés respectivement proclamation de l'Exécujtif déclara que l'abstention de voter, de la part
général de division et général de brigade de l'armée haïtienne. des fonctionnaires haïtiens, serait un « acte antipatriotique », qui entratj
nerait leur révocation. Le général Williams adressa aux officiers de la
Gendarmerie, presque tous américains, une circulaire leur disant qu'il
était « désirable que la Constitution fût adoptée ». Témoignant plus tard
En avril, les nouveaux députés se réunirent et reconstituèrent le Sénat. devant une commission d'enquête, il déclara que ses subordonnés
Le Chef de l'Etat fit alors connaître à l'Assemblée nationale, qui s'était menèrent « une campagne franchement proconstitutionnelle ». L'Occu-
mise immédiatement à l'étude d'un projet de Constitution, les amende- pation américaine créait ainsi en Haïti un précédent des plus fâcheux.
ments désirés par les Américains et que ceux-ci appelaient par euphé- Le plébiscite eut lieu le 12 juin 1918 et donna le résultat suivant:
misme des « suggestions obligatoires ». Mais l'Assemblée nationale n'était 67.337 bulletins favorables et 335 contre.
pas aussi maniable que les autorités américaines l'avaient espéré: elle- La Constitution de 1918 différait de la précédente — celle de 18891
comprenait, tant au Sénat qu'à la Chambre, des hommes remarquables qui était restée vingt-neuf ans en vigueur — sur trois points principaux :
(Sténio Vincent, Seymour Pradel, Pauléus-Sannon, Edouard Pouget, 1° elle d'onnait aux étrangers le droit d'acquérir sans restriction des biens
Georges Léger, etc.) qui n'étaient nullement disposés à se soumettre aux fonciers enHaïti — supprimant ainsi la prohibition traditionnelle que les
ordres de Washington. Sur la nouvelle que la commission de l'assemblée Haïtiens considéraient comme le plus sûr moyen de conserver la propriété
nationale avait rejeté la « suggestion » américaine concernant le droit de du sol dans les mains des paysans; 2<> elle ratifiait tous les actes de
l'Occupation américaine; 3° elle autorisait la suspension de la législature.
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chef d'Etat, général François Légitime, dont la vie probe et laborieuse
Elle mettait aussi « en vacances » la Chambre des comptes, qui avait pour était un exemple édifiant pour les jeunes générations.
attributions d'examiner et de liquider les comptes financiers de la Le 1«* juillet 1918 s'ouvrit la session législative du Conseil d'Etat.
Au nom du cabinet, M. Louis Borno exposa le programme du gouverne-
République.
ment. « Un gouvernement stable, dit-il, n'a de raison d'être que pour
La nouvelle Constitution contenait à peu près les mêmes dispositions entreprendre d'organiser le pays; d'améliorer la situation matérielle et
que l'ancienne en ce qui regardait l'organisation de la Chambre des morale du peuple; de contribuer à la constitution d'un étal social et
députés et du Sénat. Mais elle retirait à l'Assemblée nationale le privilège politique où tout Haïtien puisse vivre dignement, gagner sa vie par son
de la revision constitutionnelle, laquelle devait avoir lieu dorénavant par travail, développer, librement et pleinement, dans tous les sens, ses
voie plébiscitaire. Un article transitoire prescrivit que la première élection facultés propres, ses possibilités individuelles. Pour parvenir à ce but,
pour la reconstitution de la Chambre des députés serait tenue le 10 jan- nous ne devons pas attendre que le gouvernement américain vienne faire
vier d'une année paire et que cette année serait fixée par un arrêté prési- nos affaires et nous fournir des solutions. Il faut que nous-mêmes
dentiel publié au moins trois mois à l'avance. Dans l'intervalle, le Conseil Haïtiens, gouvernement et citoyens, nous nous mettions fermement à
d'Etat, dont les membres étaient nommés directement par le président notre besogne nationale. Notre personnalité demeure active dans une
d'Haïti, exercerait le pouvoir législatif. collaboration où notre voix, si elle est juste, a droit d'être entendue. Nous
avons à nous efforcer de parler juste, et pour cela nous devons étudier
nous-mêmes, Haïtiens, toutes nos questions économiques, financières,
scolaires et autres, formuler et justifier nos solutions... Le gouvernement
II veut une bonne monnaie. Il veut une magistrature à la hauteur de ses
devoirs. Il veut un enseignement public qui élève le caractère, qui
instruise les cerveaux et les mains. Il veut le développement de nos
Nouvelle orientation. — La nécessité d'adapter la direction générale ressources diverses. »
des affaires publiques aux exigences de l'Occupation et plus tard aux L'application de ce programme de travail, où le gouvernement haïtien
conditions exceptionnelles créées par le traité du 16 septembre 1915 avait entendait garder sa pleine liberté d'initiative dans une loyale collabo-
absorbé l'attention des premiers cabinets du gouvernement de M. Darti- ration avec les autorités américaines réalisée dans les limites du traité
guenave. Peu de ministres, pendant ces trois années troublées, avaient de 1915, allait amener quelques résultats heureux pour la nation et
pu donner leurs soins à l'organisation administrative du pays, à son donner également lieu à de fréquents conflits.
développement économique et au problème de l'éducation nationale.
Après le vote de la constitution du 12 juin 1918, le Président Darti-
guenave crut le moment venu de faire appel à des éléments pris en dehors
des groupes politiques militants pour faire l'œuvre constructive dont il Organisation administrative, -r- Au point de vue politique et mili-
comprenait l'urgente nécessité. Il croyait aussi de cette manière reprendre taire, le territoire haïtien était divisé, avant l'Occupation, en 5 départe-
quelque prestige auprès du peuple, car il savait combien son apparente ments, 27 arrondissements, auxquels il fallait ajouter la ligne Saltrou-
attitude de soumission à l'égard des Américains l'avait discrédité dans Grand-Gosier, 92 communes, 43 quartiers, 38 postes militaires et 531 sec-
l'opinion publique. Il était décidé à.opérer dans son gouvernement et sur tions rurales. Ces divisions et subdivisions territoriales étaient strictement
lui-même un véritable redressement : c'est ce qu'il chargea l'ancien commandées par des militaires. La dissolution de l'armée haïtienne et
ministre Louis Borno de dire aux nouveaux collaborateurs qu'il désirait son remplacement par une.Gendarmerie exigeaient une nouvelle orga-
avoir à ses côtés. nisation politique et administrative du territoire. C'est pourquoi le gou-
Un ministère, composé de Louis Borno (relations extérieures et vernement fit voter la loi du 30 octobre 1918, qui créait la fonction de
finances), Barnave Dartiguenave (intérieur), Ernest Laporte (justice), préfet et instituait quatorze préfectures, bien que l'ancienne division en
Louis Roy (travaux publics), Dantès Bellegarde (agriculture, instruction départements, arrondissements, communes et sections rurales fût con-
publique et cultes), fut constitué et entra en fonction le 24 juin 1918. servée. Le préfet, autorité purement civile, était chargé de surveiller la
Le gouvernement s'occupa immédiatement de la formation du Conseil marche de l'administration publique dans sa circonscription, de faire
d'Etat, auquel la nouvelle constitution attribuait la puissance législative exécuter les décisions légales du gouvernement, de contrôler les conseils
en attendant la reconstitution des Chambres. On tâcha d'y faire entrer communaux, de veiller à l'exécution des lois sur la comptabilité des
des gommes capables et honnêtes. Pour attirer la confiance publique à recettes et des dépenses des communes et de représenter l'Etat en justice.
cet organisme nouveau, il fut décidé d'en confier la présidence à l'ancien
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Réforme judiciaire. — D'importantes réformes furent introduites du 24 février 1919 créant le Service National d'Hygiène et d'Assistance
dans l'organisation judiciaire. Entre autres innovations, la loi du 4 sep- publique — lequel, en dépit de ses défectuosités, est resté l'une des insti-
tembre 1918 institua le régime du juge unique dans les tribunaux de tutions les plus utiles organisées dans le pays par les Américains.
Ire instance. Conformément à la nouvelle Constitution, il fut créé trois
tribunaux d'appel, l'un à Port-au-Prince, l'autre aux Gona'ïves, le troi- Instruction publique. — Le ministère de l'instruction publique fit
sième aux Cayes (loi du 4 septembre 1918). En vertu également d'une preuve d'une très grande activité. Ses efforts visèrent à obtenir de l'orga-
prescription constitutionnelle, le gouvernement procéda à une réorgani- nisation scolaire existante le plus fort rendement possible et à la com-
sation du Tribunal de Cassation, dont la présidence fut de nouveau pléter par des créations ou des innovations reconnues nécessaires,
confiée à M. Auguste Bonamy. Une loi du 12 mai 1920 constitua le Tri- L'arrêté du 21 octobre 1918 sur l'organisation du département de
bunal de Cassation en Conseil Supérieur de la Magistrature, chargé l'instruction publique institua la Direction générale de l'Enseignement
d'assurer « le maintien des règles disciplinaires parmi les membres de composée des inspecteurs généraux, dont les traitements furent aug-
la magistrature et leur offrant les garanties nécessaires d'indépendance mentés d'une manière appréciable par la loi du 30 octobre 1918. Une
et d'impartialité ». autre loi de même date éleva les salaires des inspecteurs d'arrondissement.
Pour assurer une surveillance efficace des écoles des communes et des
Direction générale des travaux publics. — Dès la mise en application sections rurales, l'arrêté du 18 décembre 1918 réorganisa les commissions
du traité par le modus vivendi du 29 novembre 1915, et en vertu d'un locales scolaires.
accord signé à Washington, il fut établi au ministère des Travaux publics Le problème capital dans l'enseignement de tous les degrés consiste :
un Bureau du Génie. Pour remplir le rôle d'ingénieur en chef, on désigna 1° dans la bonne préparation des maîtres et 2° dans l'équitable rémuné-
d'abord le lieutenant de vaisseau Oberlin qui reconnut, en toute loyauté, ration de leurs services. La loi du 28 juillet 1919 institua des certificats
la valeur technique des ingénieurs haïtiens et se montra disposé à" colla- d'aptitude pédagogique du 1«* et du 2<* degré équivalant au certificat de
borer avec.eux. Son successeur, le commandant Gayler, fut moins conci- fin d'études normales primaires, fixa les conditions de nomination et
liant, et le ministre des travaux publics, M. Louis Roy, eut beaucoup de d'avancement des instituteurs publics, détermina les avantages et les
peine à lui faire reconnaître la nécessité d'une organisation où l'élément sanctions attachés à leurs fonctions et établit une échelle des salaires
haïtien devait occuper une place digne de son mérite. L'accord finit par allant de 100 gourdes à 250 gourdes et correspondant aux cinq classes
être obtenu sur un projet, qui est devenu la loi du 2 juin 1920 créant d'instituteurs titulaires. Une importante réforme fut accomplie dans
• la Direction générale des travaux publics. l'enseignement secondaire, dont le programme fut divisé en deux cycles,
l'un allant de la 6e à la 4e, l'autre de la 3 e à la Philosophie, couronnés
Service National d'Hygiène. — Depuis longtemps on avait reconnu la par deux certificats d'études secondaires, lfir et 2e degré. Une loi du
nécessité d'organiser en Haïti une administration spécialement chargée 30 octobre 1918 porta les traitements des professeurs des lycées de
de veiller sur la santé publique. Une loi du 7 juin 1847 avait institué, 150 gourdes à 300 gourdes.
dans chaque chef-lieu de circonscription départementale, un « jury mé- Par la loi du 9 septembre 1918, le ministère de l'instruction publique
dical » composé de médecins et de pharmaciens — celui de Port-au-Prince créa l'Ecole du Bâtiment pour la préparation aux divers métiers (bois,
prenant le nom de Jury Médical Central. Ces organismes ne répondaient pierre, fer) relatifs au bâtiment, et l'Ecole Industrielle préparant aux
en aucune façon aux besoins d'hygiène et d'assistance d'une population industries mécanique, électrique, du mobilier, de la sculpture, de la pein-
de plus en plus nombreuse, d'autant plus qu'ils ne recevaient de l'Etat ture décorative, etc. En vertu de la loi du 5 août 1919 créant l'enseigne-
aucune aide financière sérieuse. ment primaire supérieur avec section professionnelle, l'Ecole secondaire
En mars 1916, sur les instructions du ministre de l'intérieur, M. Cons- spéciale de .garçons de Port-au-Prince fut transformée en école primaire
tantin Mayard, une commission de médecins haïtiens élabora un plan supérieure sous le nom d'Ecole J.-B. Damier. Une loi du 30 juillet 1919
d'organisation du Service National d'Hygiène publique. Malgré tous les créant des sections professionnelles dans les principales écoles primaires
efforts du gouvernement, ITngénieur-sanitaire, Dr McLean, refusa d'in- supérieures du pays se heurta à l'opposition du conseiller financier amé-
corporer les principes essentiels de ce plan dans le projet qu'il soumit ricain et ne fut pas exécutée, de même qu'une loi de même date instituant
au ministère de l'intérieur et qui visait principalement à lui conférer une des « cours normaux » pour ia préparation des instituteurs ruraux.
autorité souveraine sur l'enseignement et l'exercice de la médecine en Une loi du 3 octobre 1918 restitua aux maires des communes la
Haïti, sur l'administration des hôpitaux et des hospices même privés, sur fonction d'état civil et attribua 70 % des recettes de l'état civil aux
le commerce des produits pharmaceutiques, etc. Modifié profondément écoles. La loi du 18 décembre 1918 affecta ces 70 % à la construction de
par le Conseil des Secrétaires d'Etat, le projet McLean est devenu la loi locaux scolaires et à la fourniture aux écoles de mobiliers et matériel

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T

d'enseignement. Afin de faciliter la fréquentation scolaire, un arrêté du


18 décembre 1918 organisa dans chaque commune de la république la de Corps législatif un projet, inspiré en grande partie du rapport de la
« Caisse des Ecoles » : celle de Port-au-Prince établit des cantines sco- commission Leconte de 1912 et qui comportait les points suivants :
laires où des milliers d'enfants pauvres trouvèrent une nourriture saine 1° organisation d'une direction technique centrale; d'un conseil supérieur
et substantielle. La loi du 4 août 1920 créa un Conseil National de 4e l'agriculture (qui, par sa composition, devait former un véritable
l'Université et des Conseils régionaux dans les dix principales villes du conseil économique national) ; de conseils départementaux et communaux
pays et consacra la Fête de l'Université, dont la célébration avait été fixée, d'agriculture; 2° institution d'un enseignement agricole ambulant, assuré
par décision ministérielle du 30 décembre 1919, au 18 mai, date anni- par des professeurs-inspecteurs d'agriculture départementaux et commu-
versaire de la création du drapeau haïtien. La première fête de l'Université naux; 3« réorganisation et élargissement de l'Ecole pratique d'agriculture
fut célébrée le 18 mai 1920 et donna lieu dans tout le pays à de belles de Thor et obligation faite aux communes d'y entretenir des boursiers —
manifestations patriotiques. lesquels, leurs études achevées, devaient s'engager pour une période
déterminée au service de la commune qui aurait pourvu à leur instruction
. Cultes. — Par suite des pertes nombreuses que l'Eglise et les Congré- professionnelle; 4° organisation de la section rurale, avec un conseil
gations enseignantes d'Haïti avaient subies dans leur personnel au cours composé des « notables » de la section et présidé par un « magistrat »
de la guerre de 1914-1918, le gouvernement comprit la nécessité, plus civil, qui serait nommé par le Président de la République sur la dési-
impérieuse que jamais, de la formation d'un clergé indigène. Son désir gnation du dit conseil et qui remplirait, à la fois, les fonctions d'officier
ne s'inspirait d'aucun sentiment d'hostilité à l'égard des religieux fran- de l'état civil, de percepteur et de juge de paix à compétence limitée;
çais qui avaient, depuis le Concordat de 1860, rendu tant de services à 5° suppression radicale de la corvée et son remplacement par une contri-
la nation. Il lui paraissait tout naturel, au contraire, que les jeunes bution pécuniaire de 10 centimes de dollar par mois, à laquelle seraient
Haïtiens vinssent joindre leurs efforts à ceux de ces généreux mission- assujettis, à l'exception des enfants, des vieillards et des indigents
naires dans l'œuvre d'éducation rendue de plus en plus pressante par la notoires, non pas seulement les paysans mais tous ceux, haïtiens ou
triste situation morale des populations urbaines et rurales. étrangers, qui habitent Haïti, à commencer par le Chef de l'Etat; 6° divi-
Les vocations qui se manifestaient ne trouvaient pas toujours le sion du produit annuel de cette contribution en trois parts : l'une affectée
terrain propice où elles pussent se développer et persévérer. C'est à créer entièrement aux besoins de l'enseignement rural; la deuxième au paie-
ce terrain que s'appliquèrent les Evêques d'Haïti qui, à une réunion tenue ment des professeurs-inspecteurs d'agriculture et aux dépensas de l'en-
au Cap-Haïtien, décidèrent de reprendre le plan qu'avait proposé en 1895 seignement agricole en général; la troisième consacrée aux travaux de
le regretté Mgr Tonti, alors archevêque de Port-au-Prince. construction ou de réparation dés routes communales, chemins vicinaux
Un établissement — dit Ecole Apostolique — fut fondé à la capitale et sentiers de montagne.
en octobre 1919 pour la formation à l'état ecclésiastique des jeunes gens Il fut également déposé un projet de loi créant une Caisse autonome
du pays. Il fut installé dans l'un des bâtiments de l'Archevêché, aménagé de l'agriculture que devaient alimenter, à part la taxe de capitation déjà
de façon à offrir toutes les commodités possibles à vingt boursiers, dont prévue, quelques autres impositions légères et de perception facile.
dix pour l'Archidiocèse de Port-au-Prince et le diocèse des Gonaïves, Ces deux projets avaient pour but dé développer la prospérité du pays
cinq pour le diocèse du Cap-Haïtien, cinq pour le diocèse des Cayes. Ce et d'élever le niveau de vie des populations rurales. Ils visaient particu-
chiffre de vingt, qui parut suffisant au début, devait être considérablement lièrement à abolir la corvée, dont la pratique inhumaine avait poussé à
augmenté plus tard pour le plus grand profit de l'Eglise d'Haïti ». la révolte un grand nombre de paysans décorés injustement du nom de
cacos ou de bandits. Le commandant de la Gendarmerie, général
Agriculture et Organisation rurale. — L'un des premiers soucis du Alexander S. Williams, se montra hostile au premier projet, qu'il déclara
cabinet de 1918 fut de préparer un projet d'organisation rurale et agricole contraire au traité de 1915 ; et le conseiller financier Ruan rejeta le plan
répondant à tousles besoins de l'agriculture et de l'instruction dans les d'une caisse autonome de l'agriculture en se disant opposé à toute spé-
campagnes. Le 9 août, le ministre de l'agriculture et de l'instruction cialisation d'impôt.
publique (Dantès Bellegarde) soumit au Conseil d'Etat faisant fonction
Réforme monétaire. —: Le gouvernement de M. Dartiguenave s'était
i Un ancien élève de l'Ecole Apostolique, le P. Augustin, vient d'être élevé à très tôt préoccupé de la question du retrait de la monnaie fiduciaire.
Fépiscopat. La prestation de serment du premier évêque haïtien a donné lieu, en Donnant suite à un arrangement avec la Banque Nationale de la Répu-
avril 1953, a une émouvante cérémonie au palais de la présidence. Mgr. Augustin a blique d'Haïti du 10 juillet 1916 signé à Washington entre les représen-
été sacré le 31 mai 1953 dans la cathédrale de Port-au-Prince par l'archevêque Mgr.
Le Gouaze, dont il devient l'auxiliaire. tants de cet établissement (M, Casenave et M. Farnham) et ceux de
l'Etat haïtien (MM. Sôlon Ménos, Pierre Hudicourt et Auguste Magloire),
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M. Féquière, alors ministre des finances, conclut avec la dite Banque une
convention du 12 avril 1919 sur la réforme monétaire. allemands. Cette opération se fit dans les conditions les plus loyales et,
D'après cette convention, la Banque Nationale de la République à la fin de la guerre, les fonds provenant de la liquidation ou de l'admi-
d'Haïti s'engagea à faire revenir et à tenir en dépôt au crédit d'un compte nistration de ces biens furent remis à leurs propriétaires.
dit « Fonds du Retrait » le solde des dix millions de francs de l'emprunt ~ Le gouvernement pensa que la meilleure façon de participer efficace-
1910, comprenant les 500.000 dollars qui avaient été transportés en ment à l'effort de guerre des Alliés serait, non pas d'envoyer un contingent
décembre 1914 à New-York, augmentés d'un intérêt de 2 % % sur cette haïtien sur le front de bataille, mais de développer la production des
somme, de décembre 1914 au 31 décembre 1918. Le total à porter au vivres alimentaires, dont la culture est particulièrement appropriée au
crédit du Fonds du Retrait, au moment de la signature de la convention, sol d'Haïti, et de contribuer dans une certaine mesure, par leur exporta-
s'élevait à $ 1.735.664,89. Les billets à retirer de la circulation se com- tion, à la subsistance des armées en campagne et des populations de
posaient de 8.572.147 en billets de 1 et 2 gourdes et de 305.825 en billets l'arrière. A cette fin, le ministre des relations extérieures, M. Louis Borno,
de 5 gourdes, soit un total de 8.877.972 gourdes. présenta au Département d'Etat des Etats-Unis une demande d'aide
Tout porteur de papier-monnaie du gouvernement avait le droit d'en financière et technique, consistant en fourniture du capital d'exploitation
exiger l'échange contre de la monnaie légale des Etats-Unis (c'est-à-dire nécessaire et en envoi d'experts agricoles pour la culture intensive de nos
des espèces métalliques ou des greenbacks) au taux de 5 gourdes pour un champs en collaboration avec les propriétaires terriens.
dollar. La Banque Nationale de la République d'Haïti, chargée des opéra- Le gouvernement voyait dans cette assistance un moyen de dévelop-
tions du retrait, était, d'autre part, autorisée, en vertu de l'article 9 de pement des ressources agricoles du pays et aussi une manifestation signi-
son contrat de concession, à émettre ses propres billets jusqu'à concur- ficative de solidarité interaméricaine. Sa demande resta malheureusement
rence de 20 millions de gourdes en billets de 1, 2, 10 et 20 gourdes — sans réponse.
lesquels seraient remboursables en monnaie légale des Etats-iJnis au Sa déclaration de guerre à l'Allemagne permit à la République d'Haïti
taux fixe de 5 gourdes pour un dollar. La Banque était tenue de main- de prendre part à la Conférence de Paix de 1919 et de devenir membre
tenir en tout temps dans ses coffres-forts une encaisse-réserve en monnaie originaire de la Société des Nations, où, à différentes occasions, elle put
américaine, spécialement affectée au remboursement de ses billets. Le élever la voix pour la défense des petites nations et la protection inter-
bénéfice résultant de la non-présentation des billets de la Banque au nationale des droits de l'homme.
remboursement final devront être partagés en parties égales entre cet
établissement et le gouvernement haïtien.

Déclaration de guerre à l'Allemagne. — Dès son arrivée au pouvoir,


III
le ministère de 1918 se trouva en face d'une situation internationale
extrêmement grave. La guerre faisait rage en Europe depuis août 1914.
L'Allemagne ayant affirmé sa volonté d'attaquer et de couler par ses Corvée et massacre. — Quand les Américains débarquèrent à Port-
sous-marins tous navires rencontrés en haute mer, quelle qu'en fût la au-Prince le 28 juillet 1915, l'armée révolutionnaire du Nord, qui avait
nationalité, les relations entre elle et les Etats-Unis devinrent très ten- proclamé chef du pouvoir exécutif le Dr Rosalvo Bobo, tenait encore la
dues : il en résulta, le 3 février 1917, une formelle rupture diplomatique campagne. Elle se débanda en partie lorsque M. Bobo, renonçant à son
et, le 4 avril suivant, une déclaration de guerre du gouvernement amé- titre, vint poser sa candidature à la présidence devant l'Assemblée natio-
ricain à L'Empire allemand. Ces événements eurent une fâcheuse réper- nale. Quelques bandes continuèrent à parcourir la région du Nord-Est,
cussion sur les affaires d'Haïti, dont toute l'activité commerciale était même après l'élection de M. Dartiguenave. En septembre 1915, les auto-
étroitement ljée à celle de la France pour ses exportations et à celle des rités américaines, par l'entremise de M. Charles Zamor,* signèrent un
Etats-Unis pour ses importations. accord avec plusieurs chefs cacos — accord par lequel ces chefs s'enga-
Par suite du torpillage par un sous-marin allemand d'un paquebot geaient à remettre les armes et munitions en leur possession. Mais
français, sur lequel des Haïtiens avaient pris passage, le gouvernement certains autres ayant refusé.de prendre le même engagement, les «ma-
haïtien présenta à Berlin une note de protestation; mais, en guise de rines » entreprirent de les soumettre. Ce fut une campagne de terreur
réponse, le chancelier impérial fit remettre ses passeports au chargé et de massacre qui détermina le secrétaire américain de la marine,
d'affaires d'Haïti. Le 12 juillet 1918, le Conseil d'Etat, réuni en Assemblée M. Josephus Daniels, à intervenir : dans une dépêche du 20 novembre
nationale, déclara la guerre à l'Allemagne. Une loi spéciale du 15 no- 1915, il déclara qu'il était «grandement impressionné par le nombre
vembre 1918 mit sous séquestre les biens appartenant aux résidents d'Haïtiens tués » et exprima sa croyance que le « contrôle pourrait être
maintenu sans autres opérations offensives ».
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269
Après l'intervention du secrétaire Daniels, les attaques des Amé- actes abominables. A la note courageuse du diplomate haïtien le Secré-
ricains cessèrent, et les campagnes du Nord connurent une tranquillité taire d'Etat Lansing répondit, dans une lettre du 10 octobre 1919, que
relative. Mais la corvée allait de nouveau y mettre le feu. « le Gouvernement des Etats-Unis regrette que le brigandage existe en
En juillet 1916, le Commandant de la Brigade d'Occupation, pensant _Haïti et que sa suppression puisse entraîner la perte de vies humaines ».
que la construction de bonnes routes entre les villes haïtiennes avait
un grand intérêt stratégique, ordonna à la Gendarmerie d'Haïti d'appli- Enquête Mayo. — A la suite de divers procès en cour martiale contre
quer rigoureusement la prescription du Code rural relative à la corvée — des « marines » accusés d'exécution illégale de cacos, le major-général
prescription en vertu de laquelle les paysans sont requis de travailler, Barnett, commandant de l'infanterie de marine des Etats-Unis, écrivit au
sans salaire, six jours par an, pour la réparation ou l'entretien des colonel John H. Russell, commandant de la brigade d'occupation, que les
routes «dans les sections où ils habitent». Le recrutement des travail- dépositions de certains témoins lui avaient montré que « practicaily
leurs se fit avec une violence extrême. On alla jusqu'à abattre à coups de indiscriminate killing of natives had been going on for some time ». Il
fusil ceux qui essayaient de s'échapper des camps de concentration déposa aussi devant une commission d'enquête que ces tueries avaient
établis dans plusieurs régions du territoire; Le mécontentement contre eu lieu pendant le temps de service du colonel Russell et que celui-ci ne
le régime de la corvée monta à son comble quand, en violation du Code lui en avait pas fait rapport. De son côté, dans une lettre confidentielle
rural, les officiers américains ordonnèrent aux paysans de travailler en du 7 décembre 1919, le colonel Russell avait reconnu que « dans plusieurs
dehors de leurs sections respectives et bien au-delà du temps fixé par cas des prisonniers haïtiens avaient été exécutés sans jugement ».
la loi. La lettre du général Barnett au sujet de cet « indiscriminate killing »
C'est pour remédier à cette situation intolérable que le ministre de était marquée « personnelle et confidentielle ». Le Navy Department, par
l'agriculture, M. Dantès Beilegarde, avait formellement inscrit dans son erreur semble-t-ii, la communiqua à.la presse. Cette publication déchaîna
projet d'organisation rurale la suppression radicale de la corvée. Le aux Etats-Unis une violente campagne de protestation, et le gouverne-
général Williams, comme nous l'avons précédemment dit, s'était vive- ment américain se vit contraint d'ordonner une enquête.
ment opposé au vote de ce projet; mais, tout en y faisant échec, il comprit Dans la première quinzaine de novembre 1920 arriva à Port-au-Prince
que ce serait une bonne manœuvre politique de paraître réprouver là une nombreuse commission composée d'amiraux, de généraux, d'officiers
corvée et de ne pas laisser au gouvernement haïtien le bénéfice de sa supérieurs de la marine et de l'armée des Etats-Unis, sous la présidence
suppression. Le 2 septembre 1918, le chef de la Gendarmerie publia un de l'amiral Mayo, commandant en chef de la flotte américaine dans
communiqué par lequel, de sa propre autorité, il déclara abolie la pres- l'Océan Atlantique. La commission, érigée en cour de justice, s'installa
cription du Code rural instituant la corvée. «Néanmoins — comme le aux Casernes Dessalines et se déclara prête à entendre tous ceux —
constate l'auteur américain Raymond Leslie Buell — l'ordre du général victimes ou témoins — qui pouvaient par leurs dépositions faciliter sa
Williams ne fut pas obéi pour un temps dans le Nord — ce. qui accrut le haute tâche. Devant les. horreurs qui lui furent dénoncées, elle ne voulut
mécontentement des paysans. En partie comme conséquence du régime pas en entendre davantage et, un beau matin, on apprit avec stupéfaction
de la corvée et du sentiment général antiaméricain, une révolte de Cacos qu'elle était partie en laissant à l'amiral Knapp le soin de poursuivre
éclata en 1918, impliquant cinq mille hommes sous les ordres de Char- tout seul l'enquête interrompue. Le rapport de la commission Mayo
lernagne Péralte. Quand la Gendarmerie d'Haïti, commandée par des déclara toutefois que « les accusations du général Barnett n'avaient
officiers américains, se fut révélée incapable de réduire l'insurrection, les aucune base sérieuse ». On sut plus tard en Haïti qu'aussitôt rentré aux
«marines» furent appelés à prêter leur concours (mars 1919). En Etats-Unis, l'amiral Knapp avait, de son côté, déposé un mémoire dans
octobre, des officiers américains se déguisèrent en messagers attendus par lequel il affirmait, entre autres choses, que le cannibalisme était pratiqué
Charlemagnc Péralte et, grâce à cette ruse, purent pénétrer dans son dans toutes les classes de la société haïtienne.
camp : ils le puèrent avec neuf hommes de sa garde personnelle 1 . »
Le gouvernement haïtien ne recevait au sujet de ces événements Campagtne en faveur d'Haïti. — Interviewé par les nombreux jour-
aucune communication" du chef de l'Occupation ou du commandant dé nalistes qui avaient accompagné la commission Mayo, le Président
la Gendarmerie. Il connaissait, par la rumeur publique ou par quelques- Dartiguenave fit sur la situation générale du pays sous le régime de
uns de ses agents, la plupart des atrocités commises dans les régions du l'Occupation des déclarations courageuses qui produisirent une énorme
Nord et du Plateau Central. Il ordonna au ministre d'Haïti à Washington, sensation aux Etats-Unis, où déjà une ardente campagne de presse com-
M. Charles Moravia, de protester auprès du Département d'Etat contre ces mençait à rendre l'opinion américaine favorable à Haïti. Deux Américains
eurent principalement le mérite d'avoir déclenché ce mouvement en
i-The American Occupation of Haïti, New-York, 1929. faveur du peuple haïtien : M. James Weldon Johnson, homme de couleur,

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et M. Herbert Seîigmann, de race blanche, qui, envoyés par l'Association
c'est-à-dire plus de trois mois après l'ouverture de la session, M. Ruan
Nationale pour l'Avancement des Hommes de couleur, avaient su, pendant
retourna au ministre des finances le projet de budget qui lui avait été
leur séjour à Port-au-Prince au commencement de 1920, garder le secret communiqué pour avis, en remettant pour être « votés, disait-il, tels
sur leur mission. A son retour aux Etats-Unis, Johnson donna à la revue quels et sans modification d'aucune sorte » : 1<> une note comportant
libérale The Nation des articles retentissants sur la situation haïtienne. une estimation en bloc des voies et moyens et une simple indication des
Puis, la campagne présidentielle battant son plein, il alla voir à Marion, sommes que le conseiller financier, sans consultation préalable avec
dans l'Ohio, le candidat républicain Warren Harding, Celui-ci vit tout M. Borno, assignait de sa souveraine autorité aux départements ministé-
le parti qu'il pouvait tirer contre le Président Woodrow Wilson de la riels pour les dépenses du nouvel exercice (1er octobre 1918-30 sep-
question d'Haïti, et il en fit l'un des points principaux de sa plateforme tembre 1919) ; 2<> deux projets de loi par lesquels M. Ruan, contrairement
électorale. au traité de 1915, s'attribuait des pouvoirs de contrôleur général qui le
D'autre part, Weldon Johnson, dans ses entretiens à Port-au-Prince, plaçaient au-dessus du gouvernement et du Corps législatif.
avait fortement insisté sur la nécessité pour les Haïtiens de constituer, Le gouvernement haïtien ne pouvait évidemment accepter la sugges-
sans distinction de parti, une association nationale pour la défense de tion du conseiller financier de présenter tels quels des projets qui révé-
leurs intérêts. Il écrivit à cette occasion de nombreuses lettres à ses amis laient une méconnaissance complète des besoins des différents services
et recommanda vivement ce projet à la commission officieuse (A. Bonamy publics et étaient même entachés d'erreurs matérielles. Par exempte,
et Seymour Pradel), que M. Dartiguenave envoya à Washington en 1920 M. Ruan faisait figurer dans le budget des voies et moyens destinés | à
pour y faire connaître les violences auxquelles le gouvernement était en assurer les dépenses d'un exercice, déjà commencé, des recettes probables
butte de la part des autorités américaines. Georges Sylvain donna suite à tirer de nouveaux impôts directs dont le ministre des finances et tout
à la suggestion amicale de Johnson et anima de son zèle VUnioh le gouvernement n'avaient encore aucune idée. Le 24 octobre seulement,
Patriotique, dont le rôle allait être capital dans l'œuvre de la libération le conseiller financier remit un long projet créant des taxes dites inté-
nationale. Cette association recueillit des fonds par souscription publique rieures. Ce projet, écrit!intégralement en anglais, demandait beaucoup de
et délégua aux Etats-Unis trois de ses membres, Pauléus-Sannon, Sténio temps pour être traduit et plus de temps encore pour être étudié. « 11
Vincent et Perceval Thoby, qui, dans un mémoire du 9 mai 1921, dénon- s'agissait — écrivit M, Borno au ministre des États-Unis — d'impôts
cèrent avec preuves à l'appui les méfaits de l'Occupation américaine. Les directs à appliquer au peuple haïtien déjà si misérable et que nous ne
délégués haïtiens reçurent le meilleur accueil d'Oswald Garrison Viilard, devons taxer qu'avec beaucoup de ménagement, en tenant compte de ses
qui leur ouvrit les portes de The Nation et mit en quelque sorte au service mœurs. Aucun gouvernement, conscient de ses responsabilités, ne peut
d'Haïti l'un de ses brillants collaborateurs, D r Ernest Gruening. L'active accepter les, yeux fermés de pareils impôts. »
campagne ainsi menée dans la presse et dans les milieux politiques Désireux cependant d'arriver à une entente, le gouvernement cherchait
aboutit à l'envoi, fin 1921, d'une commission d'enquête sénatoriale pré- à concilier, dans la mesure du possible, son projet de budget avec les
sidée par Medill McCormick. appropriations arbitraires du conseiller financier. Il était occupé à cette
tâche difficile quand, par une lettre-ultimatum du 30 octobre au ministre
des finances, M. Ruan demanda que le gouvernement fît voter le budget
avant la clôture législative qui devait avoir lieu le 31 octobre, c'est-à-dire
IV le lendemain. Pour obtenir un pareil vote, il aurait fallu supprimer tout
examen par l'assemblée législative et lui demander d'adopter le budget
en bloc — ce qui eût été à la fois une offense pour le Conseil d'Etat et
Le budget 1918-1979. — Le cabinet du 24 juin 1918 se trouva aux une violation de l'article 114 de la Constitution de 1918 prescrivant que
prises, dès son arrivée au pouvoir, avec le conseiller financier américain, le budget de chaque département ministériel est divisé en chapitres et
M. Allison T. Ruan. Celui-ci était aux Etats-Unis au moment de la for-, doit être voté article par article. M. Borno fit donc savoir au conseiller
mation du nouveau ministère. M. Louis Borno eut toutes les peines du financier qu'il y avait impossibilité matérielle et constitutionnelle de
monde à le faire revenir en Haïti pour remplir sa fonction, qui consistait faire passer le budget et les lois de finances avant la clôture et que le
principalement à donner ses « avis » et à faire connaître ses « recom- gouvernement se proposait de convoquer le Conseil d'Etat en session
mandations » pour l'ajustement des recettes et des dépenses budgétaires. extraordinaire pour accomplir cette besogne. Le 13 novembre se produisît
Or l'article 116 de la Constitution faisait au gouvernement l'obligation une intervention retentissante : le colonel John Russell adressa une note
de présenter le budget au Corps législatif au plus tard dans les huit à la Banque Nationale !de la République d'Haïti lui disant qu'en vertu;
jours à partir de l'ouverture de la session législative. Le 12 octobre, « des pouvoirs dont il était investi sous l'autorité de la loi martiale, ijl!
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273
Démission de M. Louis Borno, — Pendant que le gouvernement
ordonnait qu'aucun fonds déposé au crédit du gouvernement à la banque haïtien se débattait au milieu de ces épreuves, la nouvelle lui était venue
ou dans ses succursales ne fût tiré que sur Tordre du chef de l'Occupa- de la mort du ministre d'Haïti à Washington, M. Solon Ménos. M. Ruan
tion ». De cette façon, le colonel Russell faisait main basse sur tous les refusa de payer les frais de funérailles et la somme nécessaire pour le
revenus — même ceux provenant des taxes intérieures que le traité rapatriement de la veuve et des enfants du regretté diplomate. Il fallut,
réservait expressément au gouvernement — afin d'acculer le ministère à pour obtenir ce paiement, que le secrétaire de la légation fît une
la capitulation. Il écrivit, d'autre part, au Président Dartiguenave une démarche directe au Département d'Etat et que celui-ci donnât l'ordre
lettre dans laquelle il disait ; « J'ai la ferme conviction que les objets que au conseiller financier de faire droit à la demande du gouvernement
le gouvernement des Etats-Unis désire que le gouvernement d'Haïti haïtien. Cette attitude de M. Ruan contrastait avec celle du gouvernement
accomplisse comprennent la dépense de ses fonds sous le contrôle du américain qui, dans le même moment, faisait de magnifiques obsèques
conseiller financier; et le fait de n'avoir pas fait voter le budget national à l'un des membres les plus respectés du corps diplomatique de
a prolongé d'une manière indue le moment où ce contrôle aurait dû Washington et ordonnait le transport de son cadavre sur le croiseur
passer entre ses mains. Je crois en outre qu'il est d'importance vitale Salem,
pour le gouvernement haïtien de mettre immédiatement en vigueur Le jour même de l'arrivée du corps de Solon Ménos à Port-au-Prince,
les lois de finances telles qu'elles sont présentées par le conseiller finan- un journal quotidien Le Nouvelliste publia l'entrefilet suivant : M. Ruan
cier, et je ne saurais trop fortement vous engager à le faire. Jusqu'au rappelé. — M. A.T. Ruan serait relevé de ses fonctions de conseiller
moment où les* mesures expédientes auront été prises, je pense qu'il est financier à la suite de difficultés avec notre gouvernement. JLe rappel de
de mon devoir d'empêcher le débours des fonds des taxes antérieures, et M. Ruan affirme les sentiments de droit et de justice proclamés par le
j'ai à vous informer qu'à cette date j'ai ordonné au directeur de la Banque président Wilson et qui, comme l'a souvent répété l'éminent Chef d'Etat,
Nationale de la République d'Haïti de ne pas dépenser des fonds du doivent être la boussole des relations entre les nations grandes et
gouvernement haïtien en sa possession, excepté sur mon ordre. » petites ». À cause de cette note anodine, le directeur du journal M. Henri
A cette lettre M. Louis Borno répondit, au nom du gouvernement, Chauvet — un homme de 55 ans, ancien député, écrivain distingué —
par une note vigoureuse du 14 novembre adressée au ministre des Etats- fut appréhendé par les agents de l'Occupation, déposé en prison,
Unis, M. Bailly-Blanchard, démontrant : 1° que le gouvernement haïtien condamné par la cour prévôtale à une amende de 300 dollars et à la
ne pouvait être rendu responsable du retard dans le vote du budget, suspension du Nouvelliste pendant trois mois. L'imprimerie du journal
dû à l'absence du conseiller financier ; 2° qu'il était impossible d'accep- fut fermée et son personnel licencié; on ne permit même pas d'y faire
ter les projets de M. Ruan tels qu'il les avait présentés attendu qu'il des «travaux de ville». On se montra à ce point sévère à l'égard de
n'y tenait même pas compte des engagements contractuels de l'Etat ; M. Chauvet parce qu'on lui avait demandé de dénoncer M. Borno commje
3o que M. Ruan s'était obstinément refusé à toute collaboration avec l'auteur de l'entrefilet et qu'il avait refusé de se prêter à une telle-
le ministre des finances, considérant ses «avis» comme des ordres manœuvre.
auxquels le gouvernement haïtien devait obéir sans discussion. Le ministre des Etats-Unis, M. Bailly-Blanchard, et le chef de l'Occu-
Sachant bien que toute protestation faite en Haïti serait vaine, pation, colonel Russell, prirent néanmoins prétexte de cet incident pour
M. Borno, agissant en sa qualité de ministre des relations extérieures, aller réclamer à M. Dartiguenave la révocation immédiate de son minis-
décida de porter la question devant le Département d'Etat des Etats- tre des finances et des relations extérieures. Pour ne pas prolonger une
Unis par un télégramme du 14 novembre, dans lequel il disait : « ... Le lutte qu'il sentait vaine, M. Louis Borno donna sa démission le 23 novem-
peuple haïtien est en proie à la tyrannie injuste et vexatoire de fonc- bre 1918. A cette occasion, le colonel Russell écrivit: «J'ai accompagné
tionnaires américains qui, contrairement au traité du 16 septembre 1915, le ministre des Etats-Unis dans une visite au président de la République,
veulent imposer à la République des lois budgétaires et des impôts sans et le résultat en est que l'un des membres du cabinet qui a été un
rien examiner-avec nous, sans reconnaître au gouvernement haïtien le grand obstructionniste a démissionné, de sorte que la situation politique
droit de rectifier des erreurs évidentes, matérielles et autres, commises est maintenant plus brillante ».
dans leurs projets. Le peuple haïtien est sincèrement décidé à effectuer, Afin de ne pas exposer à mourir de faim les fonctionnaires publics,
avec l'aide du gouvernement américain, toutes les réformes que réclame dont le conseiller financier américain refusait de payer les traitements,
le progrès, mais au moyen d'une collaboration qui procède d'examens le nouveau ministre des relations extérieures, M. Constantin Benoît, fut
en commun et non point au moyen d'injonctions impératives signifiées forcé d'écrire à la légation des Etats-Unis une lettre du 3 décembre 1918,
sans respect de la dignité nationale et inspirées peut-être par des senti- disant qu'il est « bien entendu que tout paiement pour le compte du
ments de caractère personnel où les intérêts supérieurs des deux pays ne gouvernement sera fait avec l'avis du conseiller financier et ne sera pas
sont pas considérés... » i
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T
payé sans le visa de celui-ci ». Mais, comme le déclara une note diplo- Le nouveau commandant de la brigade d'occupation, général Catlin,
matique du 25 janvier 1919 remise au Département d'Etat, « en écrivant se montra désireux de se cantonner dans les limites de sa mission mili-
sous une pareille pression la lettre du 3 décembre, contraire au texte taire. Il en sortit une fois pour tancer vertement, sur une plainte du Pré-
du traité de 1915, le gouvernement se réservait naturellement de pro- sident Dartiguenave, le chef de la Gendarmerie qui s'était permis d'inter-
tester auprès du gouvernement américain contre la tyrannie injuste et venir dans une affaire de justice en faveur d'un citoyen américain,
vexatoire des fonctionnaires américains qui l'ont forcé à l'écrire ». Dans comme si les gens de nationalité américaine constituaient une classe
ce mémoire, le gouvernement haïtien réclamait aussi avec force « l'abo- privilégiée dans le pays. Il rappela avec sévérité au général Williams
lition de la loi martiale et le retour à un régime normal de liberté que «toute personne en Haïti, quelle que soit sa nationalité, à l'excep-
devant exister dans un pays où régnent l'ordre et la tranquillité ». tion des agents étrangers, militaires ou diplomatiques, est soumise aux
lois de l'Etat haïtien » et que « les officiers de la Gendarmerie ont pour
devoir d'exécuter les décisions des tribunaux haïtiens sans avoir le droit
Démarches à Paris. — Quand l'armistice du 11 novembre 1918 eut
de les discuter ».
mis fin aux hostilités en Europe, Haïti fut invitée avec les autres puis-
sances alliées et associées à prendre part à la Conférence de la Paix. Le La bonne foi et l'humanité du général Catlin se révélèrent de manière
gouvernement haïtien voulut profiter de l'occasion exceptionnelle que significative à l'occasion du soulèvement des paysans de la région de
lui offrait la présence à Paris du Président Wilson et du Secrétaire Hinche et St-Michel de l'Atalaye, qu'une application illégale dé la corvée
d'Etat Lansing pour essayer de les mettre directement au courant de avait poussés à la révolte. Ayant décidé de mener une enquête au sujet
ses déclamations contre les autorités américaines en Haïti. Par lettre du des faits abominables qui lui avaient été dénoncés, il parcourut les

i
22 janvier 1919, il chargea de cette mission M. Tertullien Guilbaud, mi- champs dévastés de Hinche et de St-Michel, interrogea les paysans,
nistre d'Haïti en France. Celui-ci, dans sa réponse du 25 mars 1919, rendit entendit les plaintes des victimes et, dès son retour à Port-au-Prince,
compte de ses démarches auprès du Président Wilson et de ses conver- réclama, entre autres mesures immédiates, la révocation du général
sations avec M, Lansing et quelques autres membres de la délégation Alexander S. Williams, qu'il rendit responsable des abus commis par
des Etats-Unis à la Conférence de la Paix. M. Lansing se refusa à toute les officiers et soldats de la Gendarmerie. Malheureusement, quelque
discussion, prétendant que les questions soulevées par le ministre haïtien temps après, l'état de sa santé obligea le générai Catlin à demander sa
devaient être examinées à Washington. M, Wilson, trop absorbé par les mise à la retraite, et le Département de la Marine renvoya en Haïti
travaux de Versailles, demanda qu'un mémorandum lui fût remis. pour ie remplacer le colonel Russell, qui fut élevé un peu plus tard au
Bien que la mission spéciale de M. Guilbaud parût infructueuse, ses grade de brigadier-général.
démarches ne furent pas cependant mutiles. La lettre du 15 novembre Au départ de M. Ailison T. Ruan le 23 janvier 1919, îe ministre des
1918 de M. Borno au ministre des Etats-Unis, sa note de même date relations extérieures, M. Constantin Benoît, s'était empressé de télé-
au Département d'Etat, le mémoire du gouvernement haïtien du graphier à la Légation d'Haïti à Washington de faire savoir au Dépar-
25 janvier 1919 avaient produit à Washington une certaine sensation, que tement d'Etat que « vu les nombreuses difficultés ayant existé entre
vinrent renforcer les entretiens de Paris. Le colonel Russell fut rappelé les fonctionnaires du Traité et le gouvernement haïtien, causées surtout
et' il eut comme successeur le brigadier-général A.W, Catlin, qui se par la différence de langues, celui-ci exprimait le vif désir que le gou-
montra humain, généreux, respectueux des lois haïtiennes. M. Ruan vernement américain choisît désormais, pour lui être proposés, des
quitta Port-au-Prince le 23 janvier 1919 et fut remplacé par M. John agents parlant français ». Le gouvernement désirait également — ce
Mcllheriny. qui lui paraissait légitime — connaître à l'avance le nom de tout can-
didat à une fonction importante à exercer en Haïti afin qu'il pût mener
une enquête sur la carrière et les mérites de la personne désignée et
donner son agrément en parfaite connaissance de cause. Le Département
d'Etat ne fit aucune attention à ces recommandations et désigna pour
succéder à M. Ruan M. John Mcïlhenny, qui ne savait pas un mot de
français et dont le curriculum vitae ne semblait guère le qualifier pour
la fonction de conseiller financier en Haïti.
Détente. — La démission de M. Louis Borno comme ministre des M. Mcïlhenny montra néanmoins, dans les premières semaines de
relations extérieures et des finances et le déplacement ultérieur du son arrivée, des dispositions conciliantes. Malgré quelques résistances
colonel Russell et de M. Ruan avaient amené une| certaine détente dans qu'il fallait plutôt attribuer à une insuffisante connaissance des tra-
les rapports du gouvernement haïtien avec les autorités américaines.
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ditions et des besoins du peuple haïtien, il fit preuve, au cours de la dant, par une lettre du 24 août 1918 à M. Bailly-Blanchard, le ministre
discussion du budget de l'exercice 1919-1920, d'un désir de collaboration des relations extérieures, M. Louis Borno, avait avisé le ministre amé-
très appréciable. Mais il changea complètement d'attitude au retour d'un ricain que « tout projet de loi portant sur Vun des objets du traité serait,
voyage qu'il fit aux Etats-Unis. avant d'être présenté au pouvoir législatif, communiqué à la Légation
des Etats-Unis pour l'information de son gouvernement et, s'il était
La question de l'importation d'or, — En 1920, M. Mcllhenny proposa nécessaire, pour une discussion entre les deux gouvernements. La
au gouvernement haïtien une mesure contre laquelle banquiers, commer- Légation des Etats-Unis étendit arbitrairement 'le sens de ce « gentle-
çants, légations accréditées en Haïti protestèrent unanimement : il s'agis- man's agreement » en prétendant que tout projet de loi, quelle qu'en fût
sait de prohiber par une loi l'importation en Haïti de la monnaie d'or la nature, devait être soumis à son approbation ou à sa censure: elle
américaine, — laquelle constitue pourtant la base de toutes transactions s'attribuait ainsi un droit de veto, dont elle se servit pour bloquer toute
commerciales dans le pays. Cette mesure n'avait d'autre but que d'avan- l'activité gouvernementale.
tager — au détriment des autres maisons de commerce et particulière-
ment de la Banque Royale du Canada qui venait de s'établir à Port-au- Message de Dartiguenave au Président Harding. — Le Président
Prince — la Banque Nationale de la République d'Haïti, filiale de la Dartiguenave avait profité de la présence de la Commission Mayo à
National City Bank of New-York, à laquelle les autorités américaines Port-au-Prince en novembre 1920 pour faire à de nombreux journalistes
voulaient réserver le monopole de l'importation des monnaies d'or étran- américains des déclarations courageuses au sujet des tribulations
gères. auxquelles le gouvernement était continuellement en butte. Ces déclara-
Le gouvernement résista. Pour faire pression sur lui, le conseiller tions, publiées dans quelques-uns des plus grands journaux des Etats-
financier, appuyé par le ministre des Etats-Unis et le chef de l'Occu- Unis, eurent un retentissement énorme. Ayant ainsi agi sur l'opinion
pation, suspendit le vote du budget 1920-1921 et confisqua, avec l'appro- publique américaine, M. Dartiguenave eut l'idée de saisir directement
bation du Département d'Etat, les indemnités du président de la répu- de la question haïtienne le nouveau président, M. Warren G. Harding,
blique, des ministres et des conseillers d'Etat. M. Dartiguenave ayant qui devait entrer en fonction le 4 mars 1921.
adressé un message personnel au Président Wilson dans lequel il pro- Dans un message du 24 janvier 1921, le chef d'Etat haïtien exposa
testait contre une pareille mesure « attentatoire à la dignité nationale », les plaintes du gouvernement contre les autorités américaines et exprima
le Département d'Etat répondit que les salaires des autorités haïtiennes le vœu de la nation pour une politique plus respectueuse de son indé-
leur seraient payés après le vote de ces quatre lois : l'une consacrant la pendance et visant davantage au développement de ses ressources mo-
gourde papier de 20 centimes de dollar américain (billet de la Banque rales et économiques. Il affirma avec solennité que « les Haïtiens dési-
Nationale de la République d'Haïti) comme l'unité monétaire légale raient unanimement le retrait de l'Occupation et la fin du régime
du pays; la deuxième relative au bail des terres de l'Etat haïtien dans exceptionnel que sa présence imposait au pays» et conclut par les
les conditions désirées par les Américains; la troisième modifiant les recommandations suivantes: 1° Organisation, dans le plus court délai
statuts de la Banque Nationale de la République d'Haïti; et la quatrième possible et conformément aux termes du traité de 1915 et de la Consti-
transférant cet établissement de nationalité française à la National City tution de 1918, d'une force nationale capable de maintenir l'ordre public
Bank de New-York. et d'assurer toute protection aux citoyens et toute quiétude aux travail-
M. Dartiguenave et les ministres n'acceptèrent de faire voter aucune leurs des villes et des campagnes. 2° Dès que cette organisation aura
de ces lois, qu'ils considéraient comme contraires aux intérêts du peuple été achevée, retrait des troupes d'occupation qui, dans l'intervalle, consti-
haïtien. Ils n'admirent pas que le paiement de leurs traitements pût tueront une simple « Mission Militaire » chargée, en cas de nécessité,
être soumis à une condition aussi outrageante. d'assurer la paix de concert avec la Gendarmerie d'Haïti mais n'ayant
Le Département d'Etat demanda également l'abrogation de sept lois pas d'attributions administratives ou judiciaires; par conséquent, sup-
— en majorité des lois sur l'instruction publique — que le Chef de l'Etat pression sans délai des cours prévotales et de toute juridiction excep-
avait constitutionneilement promulguées et qui étaient devenues par tionnelle pour juger les citoyens haïtiens. 3° Respect des attributions du
conséquent exécutoires : ces lois, qui n'avaient aucun rapport avec le gouvernement en ce qui concerne la direction des affaires politiques du
traité de 1915, n'avaient pas à être communiquées à la Légation des pays. Respect des droits reconnus aux citoyens haïtiens par la Consti-
Etats-Unis. tution et les lois nationales, sous les seules sanctions prévues par la
Le traité du 16 septembre 1915 n'accordait pas à la Légation des législation interne. 4<> Aide efficace donnée par les Etats-Unis au peuple
Etats-Unis le droit de faire objection aux lois de l'Etat d'Haïti. Cepen- haïtien pour le relèvement de ses finances, le développement de ses

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ressources agricoles et industrielles et le progrès de l'éducation publique, L'emprunt Ruan échoua complètement. Le conseiller financier passa
cette aide pouvant être rendue effective par une série de mesures que de longs mois aux Etats-Unis à la recherche de prêteurs. Il revint en
l'étude attentive du milieu haïtien et de ses besoins aura montrées Haïti en octobre 1918, les mains vides.
comme les meilleures. 5° En matière administrative, coopération cons- En octobre 1919, les autorités américaines présentèrent au ministre
tante et loyale entre les fonctionnaires haïtiens et ceux du traité. Défi- des relations extérieures, M. Constantin Benoît, un nouveau protocole
nition précise du rôle et des attributions du conseiller financier, basée pour un emprunt de 40 millions de dollars destiné, y était-il dit, à. donner
sur la lettre et l'esprit du traité afin que ce « fonctionnaire haïtien au pays l'outillage indispensable pour son développement économique
attaché au ministère des finances » ne continue pas à se considérer et à rembourser la dette extérieure. L'avantage de réaliser, à ce moment,
comme le maître absolu de l'administration haïtienne. une pareille opération parut évident au gouvernement haïtien parce
L'exposé de M. Dartiguenave était une peinture exacte de la situa- que le change de la monnaie française, devenu erratique, permettait de
tion telle qu'elle existait à ce moment. « Les méthodes de pression liquider dans des conditions favorables la dette extérieure d'Haïti, dont
employées par le conseiller financier et les autres fonctionnaires du
les titres étaient exclusivement libellés en francs français. Le principe
traité — comme Ta écrit Raymond Leslie Buell — avaient permis aux
d'un emprunt de conversion de la dette extérieure et d'équipement
Etats-Unis d'établir leur contrôle complet sur le système législatif d'Haïti
et d'ignorer la justice locale, écartant de cette façon deux moyens national ayant été adopté par une décision du conseil des secrétaires
possibles d'obstruction à l'extension de l'administration américaine. Le d'Etat en date du 30 janvier 1917, le cabinet de 1919 accepta le nouveau
Président Dartiguenave et son cabinet restèrent cependant fermes et protocole avec la conviction que celui-ci ne comportait aucun renouvel-
s'opposèrent vigoureusement à beaucoup des suggestions américaines. lement du traité de 1915, lequel, ratifié le 3 mai 1916, devait légalement
C'est ainsi que le gouvernement haïtien refusa de faire passer la loi échoir le 3 mai 1926. Une clause du protocole disait d'ailleurs de façon
transférant la Banque Nationale de la République d'Haïti à la National expresse qu'il « n'amplifiait ni en fait ni implicitement le traité de 1915 ».
City Company de New-York et celle accordant le droit de propriété im- Le projet d'emprunt de 40 millions connut le même insuccès que
mobilière à l'étranger dans les conditions voulues par les Américains... celui de 30 millions. Après de nombreux efforts aux Etats-Unis pour
De sérieux conflits s'élevèrent au sujet de questions d'éducation natio- trouver des souscripteurs, le conseiller financier Mcllhenny dut renon-
nale et, finalement, le Président Dartiguenave se montra hostile à un cer à tout espoir de réaliser une opération de cette envergure. ïl réduisit
emprunt aux Etats-Unis comme le proposait le Département d'Etat ». plusieurs fois le chiffre de l'emprunt: chacune de ses propositions, sou-
tenue souvent sur un ton comminatoire par la Légation des Etats-Unis,
Protocole d'emprunt de 1919. — Diverses tentatives furent faites se heurta à la critique du gouvernement, à qui un expert haïtien de
par les autorités américaines, après la ratification du traité de 1915, grande valeur, M. Alexandre Lilavois, avait patriotiquement accepté de
pour décider le gouvernement haïtien à contracter un emprunt aux prêter le concours de sa science financière.
Etats-Unis. La première proposition de ce genre fut présentée par le Devant la persistance des autorités américaines à vouloir imposer
conseiller financier Ruan dans un mémorandum du 30 septembre 1916 au pays un emprunt aux Etats-Unis, le gouvernement finit par prendre
confirmé par une lettre du 15 février 1917 au ministre des finances,. conscience du danger qu'il y avait, pour l'indépendance d'Haïti, à
M. Edmond Héraux. Le conseiller financier déclarait qu'il était urgent contracter de pareilles obligations. Dans une note du 10 novembre 1921,
pour' le gouvernement d'Haïti de contracter immédiatement un emprunt le ministre des relations extérieures, M. Justin Barau, contesta la vali-
de 30 millions de dollars, en prétendant que les capitalistes américains dité du protocole du 3 octobre 1919, qui prévoyait (article 6) qu'il
ne consentiraient à avancer de l'argent à Haïti qu'à la condition que îe cesserait d'exister si, deux ans à partir de la date de sa signature, l'em-
traité du 16 septembre 1915, ratifié le 3 mai 1916, fût renouvelé pour une
prunt de 40 millions n'était pas réalisé. Par conséquent, toute propo-
période de dix ans à partir de la date d'expiration de la première période
sition d'emprunt, présentée après la date du 3 octobre 1921, et d'un
décennale. En conséquence, il exigea que le gouvernement haïtien « expri-
quantum inférieur à 40 millions de dollars, devait faire l'objet d'un
mât son désir » au gouvernement des Etats-Unis de contracter un tel
nouveau protocole. Le Département d'Etat refusa de prendre en considé-
emprunt et de renouveler à cette occasion le traité de 1915: il menaça
ration la fin de non-recevoir du gouvernement basée sur l'invalidité du
de suspendre tous paiements budgétaires si le gouvernement n'obtem-
protocole de 1919 et insista pour que M. Mcllhenny fût chargé, par la
pérait pas. à sa demande. C'est là l'origine de ce qu'on a appelé l'Acte
République d'Haïti, de contracter aux Etats-Unis un emprunt de n'im-
Additionnel, signé en secret par M. Louis Borno et M, Bailly-B'îanchard
porte quel montant, aux mêmes conditions fixées dans ledit protocole
le 28 mars 1917 — lequel devait servir d'accessoire à l'emprunt de
30 millions. pour le chiffre de 40 millions.

280 281
La discussion se poursuivait ainsi entre le gouvernement haïtien et
le général Russell, nommé haut-commissaire et ambassadeur extraordi-
naire à la suite de l'enquête McCormick, quand, le 10 avril 1922, le
Conseil d'Etat se réunit en Assemblée nationale pour élire un successeur
à M. Sudre Dartiguenave, dont le mandat présidentiel devait expirer le
CHAPITRE XXV
15 mai 1922.

Gouvernement de Louis Borno

Election de M. Louis Borno. — Le mandat de M. Sudre Dartigue-


nave, élu le 12 août 1915 par l'Assemblée nationale-pour une période de
sept ans, devait échoir le 15 mai 1922. La Constitution plébiscitaire de
1918, en autorisant la suspension de îa législature, avait prévu, dans un
article transitoire, que les premières élections législatives auraient lieu
le 10 janvier d'une année paire et que ladite année serait fixée par un
arrêté du Chef de l'Etat publié au moins* trois mois à l'avance.
M. Dartiguenave n'ayant exercé cette prérogative ni à la fin de 1919 ni
à celle d« 1921, c'est au Conseil d'Etat que revenait le privilège d'élire
le nouveau président de la république. On soupçonna M. Dartiguenave
d'avoir voulu créer cette situation anormale afin de s'imposer au choix
dès conseillers d'Etat nommés par lui. Il s'attendait de plus, affirmait-
on, à une déclaration en sa faveur du haut-commissaire américain, mais
le général Russell resta muet parce que le gouvernement haïtien persis-
tait à refuser tout engagement au sujet d'un emprunt à contracter aux
Etats-Unis aux conditions voulues par le Département d'Etat.
La majorité du Conseil d'Etat paraissait favoriser la candidature de
son président, M. Stéphen Archer. Mais, par une manœuvre hardie, les
partisans de M. Louis Borno se réunirent le soir du 10 avril et réus-
sirent à nommer leur candidat président de la république pour une
période de quatre ans, conformément à la Constitution de 1918. Cette
élection provoqua de nombreuses protestations; elle fut déclarée inconsti-
tutionnelle, d'abord, parce que le Conseil d'Etat n'avait pas les attri-
butions de l'Assemblée nationale pour élire le chef du pouvoir exécutif;
ensuite, parce que M. Louis Borno était — prétendit-on — inéligible,
étant né d'un père étranger, naturalisé haïtien après sa naissance. On
savait, d'autre part, que le nouvel élu était très impopulaire auprès des
autorités américaines à cause de l'attitude indépendante et digne qu'il
avait eue au cours de son bref passage au ministère fin 1918. M. Borno
sut habilement arranger ses affaires : il eut — afïirma-t-on — une
conversation secrète avec le général Russell et, le 19 avril, le haut-

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282
commissaire fit savoir officiellement que le gouvernement des Etats-Unis de la dette publique a été soigneusement effectué et plusieurs millions
reconnaissait M. Louis Borno comme valablement élu. Cela mit fin à de dollars de principal ont été amortis au moyen de recettes excédant
toute contestation. les montants' fixés dans le plan d'amortissement. La sagesse de cette
politique nous paraît contestable ; il aurait été préférable de réduire
L'Emprunt de 1922. — Le 15 mai 1922, M. Louis Borno prit posses- les impôts, particulièrement les droits d'exportation (ce que le ministre
sion du fauteuil présidentiel. Le 1» juin, le générai Russell adressa une des finances, M. Jean-Charles Pressoir, avait vainement réclamé en 1921)
îettre^au ministre des relations extérieures, M. Léon Déjean, faisant et de laisser le service de la dette suivre son cours normal, —- gardant
connaître au gouvernement haïtien les conditions d'un emprunt à ainsi plus d'argent dans le pays où l'expérience a montré qu'on en
contracter aux Etats-Unis et la loi de sanction préparée à cet effet par avait grandement besoin »,
le Département d'Etat. Le 26 juin, le Conseil d'Etat vota cette loi qui L'emprunt de 1922, imposé à Haïti pour justifier le contrôle de ses
autorisait un emprunt de 16 millions de dollars, première tranche — finances par des fonctionnaires américains, est justement considéré
y était-il spécifié — de l'emprunt de 40 millions du protocole du 3 oc- comme l'un des exemples frappants de ces « emprunts politiques » que
tobre 1919. dénonçait M. Hoover, alors secrétaire du commerce, dans un discours
Les titres de l'emprunt Série A, portant intérêt de 6%, furent vendus prononcé en 1927 devant la 3* Conférence commerciale Panaméricaine :
à la National City Bank à raison de 92,137 le titre de 100 dollars : le « Aucun gouvernement, disait-il, ne devrait emprunter ou prêter de
profit brut réalisé par cet établissement fut de $ 444.321,12. Du montant l'argent à moins que ce ne soit pour des entreprises productives». Un
nominal de seize millions la Répubique d'Haïti reçut 14.755.253 dollars : conseiller financier américain, M. Sidney de la Rue, écrivit dans son
cette somme servit en grande partie à payer des créances étrangères rapport de 1930 : « Une part "relativement petite des fonds provenant des
au lieu d'être employée à des fins productives. En 1923, une émission trois émissions de titres d'Haïti a été consacrée à des travaux publics ou
de titres 6%, dite Série B, payables en Haïti, fut lancée par la National à des entreprises productives ».
City Bank pour un montant de 5 millions de dollars en vue de payer
la balance due sur certaines dettes intérieures. En 1926, une émission La Dictature bicéphale. — Les circonstances dans lesquelles M. Louis
de titres 6%, dite Série C, d'un montant de 2.660.000, fut faite par le Borno accéda au pouvoir le mirent sous la complète dépendance du
gouvernement haïtien pour remplacer les obligations de la Compagnie haut-commissaire américain, général John H. Russell. « Avec l'élection
américaine des Chemins de fer dû Nord. du président Borno, constate Buell, l'opposition de la part du gouver-
Suivant le prospectus publié par le gouvernement, l'emprunt de 1922 nement haïtien aux exigences des autorités américaines prit fin. Le
avait pour but principal de faire profiter Haïti de la baisse du franc gouvernement de Borno transféra la Banque Nationale de la Répu-
français en permettant de racheter avantageusement les 'emprunts 1896 blique d'Haïti à la National City Bank de New-York, consentit à l'éta-
et 1910, dont le solde s'élevait alors à 87.023.825 francs, qui, calculés blissement de la Commission des Réclamations, transmit aux fonction-
à $0, 08 le franc, représentaient 6,971.874 dollars. Le rachat de la dette naires du traité l'administration des Contributions internes, la direction
haïtienne en France s'effectua au change de 14 francs au dollar. Certains de l'Ecole de Médecine et du Service de l'éducation agricole, — ce que
porteurs de titres de l'emprunt 1910 ont cependant réclamé le rembour- le précédent gouvernement avait refusé ».
sement en francs-or, — ce qui a créé de graves difficultés au gouver- Pour montrer avec précision et impartialité ce que fut le régime
nement haïtien. gouvernemental, pratiqué du 15 mai 1922 au 15 mai 1930, il est néces-
En vue d'amortir le plus rapidement l'emprunt de 1922, le conseiller saire de reproduire la description qu'en a donnée un auteur américain,
financier fit garder dans les coffres de la National City Bank de New- M. Arthur C, Miiîspaugh, qui fut conseiller financier en 1928-1929 et
York un$>nréserve considérable, sur laquelle cet établissment accordait dont le témoignage ne peut être mis en doute *.
à Haïti unn^térêt de 2 V2 pour cent tandis qu'il avait la possibilité de la « Nominalement, écrit M. Miiîspaugh, le gouvernement de la Répu-
placer, sur le marché à un taux beaucoup plus élevé. C'est à ce sujet blique d'Haïti est resté constitutionnellement souverain. Le traité et
que l'un des conseillers financiers, D r W. W.Cumberland, pouvait dire les fonctionnaires américains mis provisoirement de côté, le gouver-
en 1926 qu'Haïti «prêtait de Uargent à Wall Street ». La réserve de nement est entièrement centralisé dans la personne du président. Le
New-York, créditée au nom du conseiller financier, s'éleva en 1926 à 15 mai 1922, Louis Borno devint président pour un terme de quatre ans.
$ 2.331.800 ; en 1927 à 2.496.200 ; en 1928 à 3.874.800 ; dépassant 4
millions de dollars en 1929. La Commission Forbes de 1930 contesta
la sagesse de cette politique d'amortissement accéléré : « Le service i-Foreign Affairs, juillet 1929. Voir aussi Haïti under American control, Boston,
1931.

284 285
Agitation des esprits. — Une pareille situation devait naturellement
Il fut réélu en 1926 pour une période semblable. D'intelligence remar- avoir pour effet de créer dans les milieux d'opposition une agitation
quable et réputé parmi les Haïtiens pour la distinction de son esprit, extrême. Une loi de décembre 1922, renforcée en 1924 avec l'approbation
il a constamment collaboré avec les fonctionnaires du traité. Il ne doit du haut-commissaire, restreignit la liberté d'association et de réunion
pas cependant y avoir de méprise sur la réelle situation du président et mit de sérieuses entraves à l'indépendance de la presse. La prison se
Borno. La Constitution de 1918 prévoit que l'autorité compétente pour remplit de journalistes, dont quelques-uns passèrent de longs mois en
élire le président et faire les lois est le Corps législatif consistant en captivité sans pouvoir se faire juger. L'état des esprits devint vérita-
un Sénat et une Chambre des députés, — tous deux élus au suffage blement inquiétant.
universel et direct ; mais il est prescrit que le pouvoir législatif, en A l'extérieur, la campagne en faveur de la libération d'Haïti avait
attendant la reconstitution des Chambres sur la convocation du prési- repris avec plus de force. On s'était rendu compte que la réforme, pro-
dent, sera exercé par un Conseil d'Etat nommé par le chef du pouvoir mise par le Président Harding en réponse à la requête du Président
exécutif. Borno a été élu par le Conseil d'Etat, et depuis 1922 il a lui- Dartiguenave de janvier 1921, et comme conclusion de l'enquête Medill
même nommé les conseillers, et il a été réélu en 1926 par le corps McCormick de 1922, était illusoire ; qu'elle consolidait au contraire
qu'il avait lui-même nommé. Dans l'exercice de leur pouvoir législatif, l'occupation militaire et civile d'Haïti par les Etats-Unis. Les divers
les conseillers d'Etat obéissent au président, et l'acceptation par celui-ci accords ou agréments, signés par le gouvernement avec les autorités
d'un projet de loi équivaut généralement à son vote. En ce qui regarde américaines relativement à la santé publique, à l'agriculture, aux tra-
l'administration, les ministres haïtiens, nommés par le président, s'en vaux publics, à la police, à l'éducation, avaient fait du général Russeîl
réfèrent ordinairement à lui, même pour régler des questions de détail le chef suprême de l'administration haïtienne. Le secrétaire d'Etat
administratif. De plus, les amendements' constitutionnels votés (par Charles Evans Hughes, parlant à Minneapolis devant 1/American Bar
plébiscite) en février 1929 donnent au président une autorité directe Association, le 30 août 1923, n'avait pas hésité à déclarer qu'un « con-
sur la magistrature, qui était autrefois indépendante. seiller juridique américain était en train d'établir pour Haïti les bases
« Le pouvoir des Américains dans les affaires haïtiennes est effectif, d'une solide organisation judiciaire », Aucune déclaration n'était mieux
quoique moins apparent. Par le fonctionnement des Services du traité faite pour éclairer les patriotes haïtiens sur la nette volonté des Amé-
et par le droit de veto du haut-commissaire sur toute la législation, les ricains de s'assurer la mainmise complète sur la vie nationale.
fonctionnaires américains exercent pratiquement un pouvoir absolu en Le 26 mars 1924, le Sénat des Etats-Unis prit connaissance d'un
ce qui regarde le maintien de l'ordre public, les finances, l'économie, la projet de résolution déposé par le sénateur républicain de I'Illinois,
santé publique et le programme d'extension agricole; indirectement, ils Medill McCormick. Ce projet de résolution disait : « La continuation
possèdent une forte et potentiellement décisive influence en d'autres de la loi martiale en Haïti et l'assujettissement des citoyens haïtiens
domaines de la vie nationale. Nominalement, les fonctionnaires du traité au jugement des tribunaux militaires des Etats-Unis constituent des
sont responsables vis-à-vis du président et des ministres de qui relèvent actes antidémocratiques, contraires à l'idéal américain ». En avril 1926,
leurs services; en fait, ils sont dirigés par le haut-commissaire, qui est en le sénateur démocrate de l'Utah, William H. King, présenta à son tour
même temps le représentant spécial du Président des Etats-Unis, l'agent un projet de résolution, par lequel il demandait la levée de l'occupation
diplomatique du gouvernement américain et le commandant des « mari- militaire et civile d'Haïti. Maintes fois, la voix éloquente de William
nes » en Haïti. Non seulement le haut-commissaire met son veto aux lois Borah, sénateur républicain progressiste de l'Ohio, s'éleva au Sénat des
haïtiennes, mais il les rédige. Il négocie les contrats avec les compa- Etats-Unis en faveur du peuple haïtien.
gnies américaines, fixe l'attitude administrative que les fonctionnaires Le 12 avril 1926, M. Louis Borno, avec l'appui manifeste des auto-
du traité doivent observer à l'égard de ces compagnies. Il s'intéresse en rités américaines, se Ht réélire par le Conseil d'Etat président de la
personne aux détails des réclamations, à la perception des revenus, République pour une nouvelle période de quatre ans. Le 6 juin, il partit
à la construction des routes, aux questions d'agriculture, d'éducation et pour les Etats-Unis au milieu de démonstrations populaires qui prirent
d'hygiène. Les fonctionnaires américains ont peu de contact avec l'Exé- presque le caractère d'une émeute. A son retour, il fut accueilli par des
cutif haïtien, et leurs relations avec les ministres sont nécessairement manifestations hostiles aussi violentes. -
superficielles et de pure forme, A la surface, le régime est caractérisé Les progrès accomplis dans certaines branches de l'administration
par une séparation et à la fois une confusion d'autorité et de respon- publique n'eurent pas la vertu d'apaiser les esprits. Le Service d'Hygiène
sabilité. En pratique, il conduit à une alliance entre le président et la Direction Générale des Travaux Publics, en particulier, avaient pu
d'Haïti et le représentant du gouvernement des Etats-Unis, qui accentue obtenir de notables améliorations : des hôpitaux avaient été créés ou
le pouvoir et la responsabilité des Etats-Unis dans les affaires intérieures aménagés d'une façon moderne ; l'Ecole de Médecine avait été pourvue
d'Haïti». »
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286
d'un bâtiment, d'un laboratoire et d'un outillage appropriés ; une Ecole son approbation, j'enverrai en Haïti une commission bour examiner et
d'infirmières avait été ouverte; des travaux sanitaires avaient été entre- étudier la situation dans un effort pour arriver à une politique plus
pris dans différentes régions du pays infestées par la malaria; des définie que celle qui existe ». Mais de plus graves événements allaient
routes voiturables reliant les principales villes de la République avaient hâter sa décision. D'abord, une grève d'étudiants s'était produite, dès
été construites; des ponts avaient été réparés ou jetés sur plusieurs le 31 octobre, à l'Ecole Centrale d'Agriculture, c'est-à-dire au cœur même
rivières ; de bonnes maisons d'écoles avaient été bâties, etc. Mais ces de la plus puissante des organisations américaines, créée en vertu d'un
améliorations matérielles, très coûteuses et dont les autorités américaines accord du 28 décembre 1922. Cette grève s'était répandue par sympathie
s'attribuaient d'ailleurs tout le mérite, ne pouvaient compenser la perte dans toutes les écoles publiques et privées du pays. Uni fait malheureux
de l'autonomie nationale ni justifier les excès d'une occupation étrangère, porta à son point culminant l'agitation des esprits : un groupe de
de plus en plus envahissante. paysans, se rendant à la ville des Cayes, rencontra le 6 décembre, au
En 1928, M. Louis Borno fit voter par plébiscite des amendements lieu dit Marchaterre, une compagnie de marines qui avait été envoyée
constitutionnels, qui affaiblirent davantage les privilèges du corps judi- dans la capitale du Sud pour y tenir garnison. Les soldats américains,
ciaire tout en développant exagérément les pouvoirs du Chef de l'Etat. par suite d'un funeste malentendu, crurent à une attaque et ouvrirent le
La conclusion avec la République Dominicaine d'un traité du 21 jan- feu, tuant et blessant un grand nombre de paysans, hommes et femmes.
vier 1919, dans lequel — prétendit-on — les intérêts des populations de la Le haut-commissaire envoya des télégrammes affolants pour réclamer
frontière avaient été sacrifiés, fut une nouvelle cause de mécontentement. immédiatement des renforts, en déclarant (ce qui était faux) que la vie
La situation devint extrêmement tendue quand on sut que M. Borno, et les biens des Américains étaient en danger. Le 9 décembre, M. Hoover
par un message du 5 octobre 1929, refusait obstinément d'appeler les adressa un nouveau message au Congrès, dans lequel il insista sur la
citoyens à l'urne pour les élections législatives qui devaient avoir lieu le nécessité immédiate de nommer la commission d'enquête. Cette demande,
10 janvier 1930 — ce qui signifiait que Borno voulait ou se faire élire une appuyée par des républicains et des démocrates, donna lieu à une vive
troisième fois par le Conseil d'Etat ou faire élire une personne de son discussion, au cours de laquelle la plus sévère critique fut faite de
choix, dont il serait le maître, l'Occupation et des méthodes employées par le gouvernement américain
et ses fonctionnaires en Haïti pour soumettre ce pays à leur complète
La déclaration faite par lui le 25 novembre qu'il ne serait pas can-
domination. La presse américaine fît chorus et trouva heureusement
didat à la réélection laissa tout le monde sceptique. Une « Ligue d'Action
tous ses éléments d'information dans un rapport documenté et véridique
Constitutionnelle » composée de citoyens éminents fut organisée ; elle
de M. Raymond Leslie Buell, que publia opportunément la Foreign Policy
ne favorisait aucune candidature particulière à la présidence mais
Association de New-York sous le titre de The American Occupation of
demandait l'application de l'amendement constitutionnel prohibant un
Haïti (décembre 1929).
troisième terme; l'observation des prescriptions de la Constitution concer-
nant l'Assemblée nationale; et la réintégration de la nation haïtienne Le Congrès ayant accédé à sa demande, le Président Hoover forma
dans ses droits de souveraineté. A ces revendications le gouvernement une commission d'enquête composée de M. Cameron Forbes, ancien
répondit par des mesures plus sévères. Tout meeting pour la discussion gouverneur général des Philippines, de M. Henry P. Fletcher, ancien^
de la situation politique fut interdit, et la police défendit la publication sous-secrétaire d'Etat des Etats-Unis, de M. William Allen White, de
de certains journaux de Port-au-Prince et du Cap-Haïtien. Dans une M, James Kerney et de M. Elie Vézina, ces deux derniers catholiques.
proclamation du 4 décembre, le Chef de l'Occupation décréta la loi Cinq correspondants spéciaux furent autorisés à accompagner la com-
martiale. mission comme attachés : Braman de VAssociated Press, Frantz Harris
de* la United Press, William Montavon du National Catholic Welfare
La Commission Forbes, — Elu président des Etats-Unis en novembre Conférence News Service, Harold N. Denny du New-York Times, Walt-
1928, M. Herbert Hoover, avant de prendre possession du pouvoir en man du Baltimore Sun.
mars 1929, avait 1 fait un voyage de bonne volonté en Amérique latine.
11 s'était ainsi rendu compte par lui-même du sentiment d'inquiétude et
de méfiance qu'avait provoqué parmi les peuples de ces pays l'occupation
du Nicaragua et d'Haïti par les Etats-Unis. Son attention dut bientôt se La commission nommée par le Président des Etats-Unis pour enquêter
fixer tout particulièrement sur la situation haïtienne. sur la situation haïtienne arriva à Port-au-Prince le 28 février 1930.
Dans son message au Congrès du 3 décembre 1929, M. Hoover déclara Elle fut reçue avec enthousiasme par la population. Mais une déclaration,
que les « Etats-Unis ne devraient pas être représentés au dehors par des faite le soir par le président de la commission, M. Cameron Forbes,
marines » et conclut de la manière suivante : « Si le Congrès m'accorde tomba comme une douche glacée sur la joie populaire : la commission,

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disait-il, était chargée de renseigner M. Hoover sur l'état des affaires « Les autorités américaines craignaient que de cette réunion à l'église
en Haïti et non pas de décider sur les changements qu'il conviendrait ne sortît une populace désordonnée : ce fut une foule pieuse et disci-
d'introduire dans le régime gouvernemental et administratif du pays. plinée qui émergea du Sacré-Cœur. Elle portait les bannières du Sacré-
Les Haïtiens n'avaient pas oublié la futilité des enquêtes précédentes, Cœur de Jésus et de la Vierge-Marie. Elle priait le Saint-Esprit de donner
et particulièrement de l'enquête McCormick, qui, au lieu d'apporter les sa lumière à chacun des Commissaires pour qu'ils pussent comprendre
améliorations espérées, avaient fortifié la domination américaine en la vérité de la situation haïtienne. Elle priait lev Sacré-Cœur de Jésus
réduisant jusqu'à l'extrême limite l'indépendance nationale : ils réso- de faire à la Commission, au Président Hoover, au peuple des Etats-
lurent de boycotter la commission et de ne pas répondre à sa promesse Unis, la charité de trouver le moyen de restaurer l^s institutions pour
d'entendre « tous ceux qui désiraient lui soumettre leurs vues ». la défense desquelles les Ancêtres avaient lutté jusqu'jà la mort et que les
Une délégation de journalistes haïtiens fit visite aux commissaires fils se sentaient aujourd'hui incapables de défendre p£r la force. La foule
et insista pour que l'assurance ferme fût donnée au peuple haïtien que, se dirigea vers le monument de Dessalines au Champ-de-Mars. Se rappe-
comme résultat de la nouvelle enquête, des mesures appropriées seraient lant la- scène dramatique de la proclamation de l'indépendance sur la
prises pour mettre fin à la dictature et restaurer le gouvernement repré- place d'armes des Gonaïves le l° r janvier 1804, elle groupa ses bannières
sentatif en Haïti. La Commission promit de consulter Washington sur au pied de la statue du Libérateur et fit le serment de coopérer avec la
une telle* extension de ses pouvoirs et, en attendant que vînt cette Commission Forbes et le Président Hoover à débarrasser Haïti des
réponse décisive, Port-au-Prince resta plongé dans une lourde atmos- maux que l'Occupation américaine y avait apportés.
phère d'inquiétude et de doute. Le lendemain (qui était un dimanche), « Comme par miracle un changement se produisit dans la situation.
il se produisit dans les esprits un changement presque miraculeux, La Commission se réunit le lendemain à 9 heures du matin. Il n'y eut
qu'un témoin, M. William F. Montavon, explique dans une page émou- plus aucun sentiment de méfiance. La Commission avait été, dans l'inter-
vante. valle, autorisée à déclarer que sa mission était de restaurer le gouverne-
« Ce dimanche était le premier du Carnaval. Le Carnaval, depuis ment représentatif en Haïti. Un sentiment de bonne volonté, de confiance
les temps coloniaux, est en Haïti une occasion de grande liesse. Les mutuelle et de respect réciproque avait, comme'par un coup de baguette,
Evêques avaient coutume de recommander à leurs ouailles de consacrer remplacé la suspicion et l'hostilité ^qui existaient auparavant 1 .»
le dimanche à des prières comme une réparation pour les péchés auxquels Cette manifestation religieuse, où s'étaient confondues des femmes
pouvait donner lieu la saison du mardi-gras. Mais, agissant cette fois de toutes les classes et de toutes les conditions, avait profondément
en dehors du Clergé, le peuple haïtien avait lui-même décidé de faire remué les membres de la Commission. XJn incident, survenu au cours
de ce dimanche de Carnaval un jour de deuil autant que de prières. Le du défilé, lui donna un caractère presque symbolique i devant l'hôtel
mot se répandit à Port-au-Prince et dans les environs qu'une grande Excelsior, où siégeait la Commission, la foule s'arrêta pour chanter des
manifestation serait tenue dans l'église paroissiale du Sacré-Cœur. Les cantiques patriotiques ; une vieille femme s'avança alors vers William
marines, craignant une émeute, refusèrent d'autoriser la réunion, mais Allen White qui se tenait à la porte d'entrée et lui tendit le petit drapeau
la Commission intervint pour faire accorder cette autorisation sur la rouge et bleu qu'elle tenait à la main. Le grand philanthrope américain
demande qui lui en fut faite par des dames haïtiennes. Ce dimanche eut à ce moment un geste touchant : il porta à ses lèvres le cher emblème
après-midi, des délégations de tous les quartiers de la capitale et des qui pour les Haïtiens représente la liberté et l'indépendance.
sections voisines s'assemblèrent dans la jolie petite église du Sacré-Cœur Le rôle joué par les femmes haïtiennes au cours de ces événements
et prièrent Dieu d'illuminer l'esprit des Commissaires, Des cantiques fut particulièrement remarquable. Quelques-unes, appartenant à la meil-
patriotiques, spécialement composés pour la circonstance, furent chan- leure, société de Port-au-Prince, se présentèrent devant la Commission
tés avec une telle ferveur que personne n'y pouvait rester insensible. et affirmèrent que le peuple n'accepterait pas que le nouveau président
Deux membres de la Commission, William Allen White et Elié Vézina, fût élu par le Conseil d'Etat. D'autre part, une déclaration du Clergé
tous les correspondants de presse américains et de nombreux autres Catholique, qui disait se solidariser avec la nation haïtienne dans ses
journalistes assistèrent à la cérémonie. Les délégations étaient si nom- revendications pour la liberté, fit une profonde impression, particuliè-
breuses que les rues avoisinantes étaient, sur une longue distance, rement sur les membres catholiques James Kerney et Elie Vézina. La
pleines d'une foule recueillie.* C'était un meeting populaire en même Ligue d'Action Constitutionnelle, qui s'était unie aux autres groupe-
temps qu'un service religieux. Il n'y eut ni sermon ni discours. On ne ments patriotiques pour.former un Comité Fédératif, délégua spéciale-
pouvait cependant douter de la profondeur et de l'unanimité du senti-
ment patriotique qui. s'exhalait de cette harmonie de la musique et de
la prière. i Haïti, conférence prononcée le 3 novembre 1930 au Catholic Study Club de
Détroit, Michigan,

290
291
faire un rapport sur le système scolaire d'Haïti et de lui présenter des
ment auprès de la Commission l'un de ses membres, M. Georges N. recommandations pour l'avenir.
Léger. De nombreux témoignages furent portés devant la Commission,
les uns ayant trait à la situation politique, les autres insistant sur les Eugène Roy, Président Provisoire. — La Commission Forbes avait
questions morales, sociales ou économiques créées par l'Occupation et acquis la conviction qu'il fallait agir vite pour empêcher une confla-
les méthodes employées par les fonctionnaires américains pour parvenir gration générale. Le 15 mai approchait, et il importait d'assurer la
à l'absorption complète de l'activité nationale. Ils s'accordèrent tous sur transmission du mandat présidentiel dans des conditions qui fussent
les ^points suivants : 1° II n'y aura pas de paix réelle et stable en Haïti acceptables pour le peuple comme pour M. Louis Borno.
tant que la nation haïtienne n'aura pas été réintégrée dans la plénitude Après bien des pourparlers, on se mit d'accord sur le plan suivant :
de son indépendance politique et de sa souveraineté territoriale. 2° La les leaders de l'Opposition présenteraient une liste de cinq neutres ;
réintégration de la nation dans ses droits d'indépendance politique et M. Borno ferait de même, et le candidat dont le nom serait porté sur
de souveraineté territoriale consiste principalement dans la reprise par les deux listes serait le président provisoire désigné. Pour que cette
l'Etat haïtien de sa liberté de législation et de son autonomie adminis- désignation eût un caractère populaire, elle serait confirmée par
trative abolies par le régime de l'Occupation — des fonctionnaires une assemblée de délégués représentant les différents groupes de l'Oppo-
américains irresponsables faisant des lois, créant des impôts, dépensant sition, et le Conseil d'Etat serait appelé plus tard à y mettre le sceau
l'argent* du peuple, administrant les affaires de la République d'Haïti, officiel. Le chef d'Etat ainsi choisi prendrait l'engagement d'ordonner
sans aucun contrôle législatif, sans participation de la nation à la gestion des élections législatives dans le plus court délai possible ot, une fois
de ses propres intérêts. 3° Réunion des Chambres législatives à une date ces élections faites, il donnerait sa démission pour que l'Assemblée
très prochaine. 4° Election du président de la république par l'Assemblée nationale pût immédiatement procéder à l'élection du président définitif.
nationale composée de la Chambre des députés et du Sénat. 5° Désoccu-
C'est en vertu de ce compromis que les délégués de l'opposition,
pation du territoire d'Haïti.
venus des cinq départements de la république, se réunirent à Port-au-
La Commission entendit, avec une égale impartialité, les fonctionnaires
Prince le 20 mars 1930 et ratifièrent le choix qui avait été fait de
du gouvernement de M. Borno. Les autorités américaines mises en cause
M. Eugène Roy comme président provisoire.
dans les dépositions des opposants haïtiens remirent des rapports pour
« La seconde étape dans l'exécution du programme—écrit M. Fletcher
expliquer leur attitude. Le général Russell adressa aux commissaires un
— était l'élection de M. Roy par le Conseil d'Etat. Celui-ci devait se
volumineux mémoire qui ne fut pas rendu public et que M. Cameron
réunir le 14 avril, mais une enquête ,sur l'état d'esprit de certains de
Forbes refusa même de communiquer aux correspondants de presse
ses membres permit de se rendre compte que quelques-uns d'entre
américains. eux n'étaient pas disposés à voter pour M. Eugène Roy, comme d'autres
Après deux semaines d'enquête et de voyage dans certaines'parties candidats plus riches en promesses étaient, entre temps, apparus sur :
du pays où elle espérait trouver des informations plus précises, la Com- la scène. Les leaders de l'ppposition devenaient très nerveux à rapproche i
mission dut reconnaître que la situation était grave et requérait des de la réunion du Conseil d'Etat et accusaient le Président Borno de
mesures immédiates. chercher à renverser tout le plan adopté d'un commun accord en ne
Comme mesure urgente, elle demanda au Président Hoover d'ordonner faisant pas le nécessaire pour assurer l'élection du candidat choisi.
la reconstitution des Chambres législatives dispersées depuis 1917, — Mais M. Borno tint sa parole. La veille de la réunion du Conseil, il prit
ces chambres devant se réunir en assemblée nationale pour élire consti- un arrêté ajournant la séance d'élection jusqu'au 21 avril et, dans l'inter-
tutionnellement le . successeur de M. Louis Bornb, dont le deuxième valle, il révoqua dix des conseillers récalcitrants, les remplaçant par
mandat expirait le 15 mai 1930. Une fois que les Chambres seraient des personnes dont le vote pour M. Roy était certain. Le Conseil d'Etat
reconstituées et le président élu, la Commission, dans son rapport au se réunit le 21 avril. M. Eugène Roy fut élu président de la république
Président des J2tats-Unis, recommanda de remettre graduellement au et prit possession du fauteuil présidentiel le 15 mai 1930 * ».
gouvernement haïtien les services administratifs accaparés par les Amé- M. Eugène Roy s'empressa de faire voter une loi électorale qui
ricains soit en vertu du traité de 1915, soit par suite d'accords particuliers assurait la liberté et la loyauté des élections. Ces élections, fixées au
concernant la Garde d'Haïti, la Direction générale des travaux publics, le 14 octobre 1930, eurent lieu dans le plus grand enthousiasme et dans
Service Technique de l'Agriculture et de l'Enseignement professionnel. une discipline parfaite. Les officiers et soldats de la Garde d'Haïti
Ce dernier Service, organisé sous la direction de l'Américain Freeman,
avait suscité des critiques particulièrement violentes. C'est pourquoi
le président Hoover avait également pensé à envoyer une autre commis- ifienry-P. Fletcher: Quo Vadis, Haïti? — Foreign Àffairs, July 1930, p. 543.
sion, présidée par l'éducateur nègre Robert R. Moton et chargée de lui
293
292 '
avaient reçu du haut-commissaire l'ordre de rester dans leurs canton-
nements : nulle part, malgré cette abstention complète de la police,
il ne se produisit la moindre rixe entre électeurs. Députés et sénateurs
furent choisis parmi les candidats qui s'étaient le plus nettement décla-
rés contre le régime américain en Haïti.
Le haut-commissaire Russell — ainsi que l'avait recommandé la CHAPITRE XXVI
Commission Forbes — quitta Port-au-Prince après ces élections légis-
latives, qu'il avait constamment déconseillées dans ses rapports au
Département d'Etat, Il fut remplacé par un diplomate de carrière Gouvernement de M. Stenio Vincent
M. Dana G. Munro, qui, le 17 novembre, présenta à M. Eugène Roy ses
lettres de créance comme envoyé extraordinaire et ministre plénipo-
tentiaire des Etats-Unis en Haïti. Des relations diplomatiques normales
se trouvaient ainsi rétablies entre les deux pays.
Le 18 novembre, l'Assemblée nationale, composée de la Chambre des
députés et du Sénat, reçut la démission de M. Eugène Roy et choisit Liquidation du traité de 7915. — M. Sténio Vincent, élu président
le Sénateur Sténio Vincent comme président de la république pour une pour une période de six ans, s'assigna comme but principal la liquidation
période de six ans. «sans heurt » du traité du 16 septembre 1915. Afin de* donner plus
Par la constitution d'un gouvernement national, chargé d'assurer de force et de prestige à son gouvernement par la constitution d'un
avec la loyale collaboration du gouvernement américain l'exécution ministère de concentration nationale, il fit appel à trois de ses concurrents
complète du pian Forbes, la certitude de la libération prochaine se fit dans la bataille électorale du 18 novembre, Seymour Pradel, Price Mars
dans tous les esprits. et H. Pauïéus-Sannon. Les deux premiers déclinèrent cette invitation
et préférèrent garder leurs sièges au Sénat, où ils prétendaient pouvoir
mieux servir les intérêts de leurs mandants. M. Pauléus-Sannon accepta
le portefeuille des relations extérieures dans un cabinet composé de
M. Auguste Turnier à l'intérieur, de M. Perceval Thoby aux finances
et travaux publics, du D^ A. V. Carré à l'instruction publique et de
M. Adhémar Auguste à la justice.
Tandis que la majorité des membres du Corps législatif, toute
frémissante encore d'ardeur nationaliste, préconisait une politique
mumm HAïTIEN
radicale pour la liquidation rapide du traité de 1915 et votait une
« Résolution Bellerive » demandant la levée à brève échéance de
l'Occupation américaine, le gouvernement préféra prendre la voie plus
prudente des « haïtianisations » successives par des accords partiels. Dès
le 4 décembre 1930, le commandement militaire du département du Centre
fut confié à un officier haïtien de la Gendarmerie, devenue, depuis Borno,
V*OI*
la Garde d'Haïti. Le département militaire de l'Artibonite et du Nord-
VSKTI iwEftprre Ouest fut « haïtianisé » le 30 janvier 1932, celui du Sud le 16 juillet 1934.
Malgré les difficultés suscitées en Haïti par certains fonctionnaires .
américains et ceux de leurs amis qui étaient restés aux Etats-Unis
partisans de la prolongation indéfinie de l'Occupation, les négociations
entreprises par le gouvernement aboutirent, le 5 août 1931, à un accord
signé à Port-au-Prince par M. Abel N. Léger, alors ministre des relations
extérieures, et M. Dana G. Munro, ministre des Etats-Unis. En vertu
de cet accord, les prétendus arrangements du 24 août 1918 (faisant

295
l'obligation au gouvernement de soumettre tous ses projets de loi à « marines » devaient s'accomplir au 1er octobre 1934. Mais, à la suite
l'approbation de la Légation américaine) et du 3 décembre 1919 (exigeant d'un voyage de M. Vincent aux Etats-Unis en mars 1934, le Président
le visa du conseiller financier sur tous mandats émis par le ministère Franklin Roosevelt vint lui rendre visite au. Cap-Haïtien le 5 juillet de
des finances) furent abrogés et les trois services suivants, Direction -la même année et, au cours de cette mémorable entrevue des deux
Générale des Travaux publics, Service National d'Hygiène et Service Chefs d'Etat, il fut convenu que l'haïtianisation de la Garde et la
Technique de l'Agriculture et de l'Enseignement professionnel, furent désoccupation s'effectueraient à une date plus rapprochée. En effet, le
remis aux autorités haïtiennes. l?r août 1934, le président Vincent remettait le commandement de la
Les pourparlers furent plus laborieux en ce qui concerne le Service Garde, seule force armée d'Haïti, au colonel haïtien Calixte et, le 21, il
financier et la Garde d'Haïti. Dans une lettre du 22 décembre 1931 à avait la légitime fierté de hisser le drapeau national sur les Casernes
la Légation des Etats-Unis, M. Abel N, Léger parla des « très dures Dessalines, d'où venaient de partir (15 août) les derniers soldats de la
garanties politiques que le gouvernement américain avait imposées dans Brigade américaine d'Occupation commandée par le général Little.
le passé à la République d'Haïti pour la protection des intérêts privés
de citoyens américains ». Il contesta qu'Haïti fût obligée, aux termes
du protocole de 1919 et du contrat d'emprunt de 1922, de subir le Conflits avec le Corps législatif. — Les élections législatives du
contrôle financier -après l'échéance du traité de 1915 au 3 mai 1936. 14 octobre 1930 s'étaient faites en pleine ferveur patriotique. Députés et
Il proposa en conséquence l'organisation d'une agence fiscale qui, d'après sénateurs, élus en grande majorité à cause de leurs professions de foi
le gouvernement haïtien, garantirait efficacement les intérêts des porteurs nationaliste, apportèrent dans les discussions de la tribune la même
de titres 1922 et, dans le cas où cette proposition était rejetée, il demanda ardeur combative, qui dégénéra bien souvent en surenchères électorales
que le Département d'Etat reconnût à Haïti le droit de contracter un ou en effusions démagogiques. Les élections qui eurent lieu le 10 janvier
emprunt en vue du rachat immédiat du solde des obligations. Le 1932, et qui ne furent pas, dans l'opinion des opposants, tout à fait
gouvernement américain repoussa le projet d'agence fiscale mais déclara loyales, écartèrent de la Chambre des députés quelques-uns de ses
ne pas faire objection au remboursement anticipé des titres. Relati- membres les plus ardents.
vement à la Garde, la Commission Forbes avait fait remarquer, dans Dès la première heure, il avait paru nécessaire de remplacer la
son rapport au Président Hoover, que « le remplacement des officiers Constitution plébiscitaire de 1918 par un pacte constitutionnel qui pût
américains par des Haïtiens* prévu dans le traité de 1915, n'avait pas être considéré comme une réelle expression de la volonté du peuple.
été accompli aussi rapidement qu'il eût fallu », et elle recommandait Ainsi fut élaborée la Constitution du 15 juillet 1932 qui, tout en tenant
que des mesures fussent prises pour hâter cette « haïtianisation » même compte de certaines innovations utiles, reproduisait dans ses lignes
si la Garde d'Haïti n'avait pas encore atteint le «degré d'efficience» principales celle de 1889, dont l'existence avait été la plus longue et qui
désirable. s'était révélée, dans l'ensemble, la mieux adaptée aux conditions
Un traité relatif au contrôle financier et à la Garde d'Haïti fut politiques du pays.
signé le 3 septembre 1932 par M. Albert Blanchet, ministre des relations Les causes de friction ne tardèrent pas à se multiplier entre l'élu du
extérieures, et M. Dana G. Munro, ministre des Etats-Unis. Il fut rejeté 18 novembre, qui se plaignait des restrictions apportées par la nouvelle
à l'unanimité des voix par l'Assemblée nationale, qui le jugea non Constitution aux prérogatives présidentielles, et ses électeurs législatifs,
satisfaisant. Les négociations, reprises entre le gouvernement haïtien et qui le voyaient avec inquiétude manifester une tendance de plus en
la Légation Américaine, se terminèrent par un accord exécutif du plus marquée au pouvoir personnel» Un conflit d'une certaine gravité
7 août 1933 conclu entre M. Albert Blanchet et M. Norman Armour, se produisit en mai 1933 entre le Sénat et le Président de la République
nommé ministre des Etats-Unis en octobre 1932. Cet accord, qui ne au sujet d'un arrêté sur les graines de coton, — M. Vincent contestant
différait que fort peu du traité du 3 septembre, ne fut pas soumis à la aux Chambres législatives le droit constitutionnel d'infliger un vote de
sanction de l'Assemblée nationale, où il aurait eu probablement le même blâme aux ministres et de faire ainsi injonction au Chef de l'Etat de
sort. renvoyer ses collaborateurs. Par un message du 5 juillet 1933, le
En vertu de l'accord du 7 août 1933, le conseiller financier fut Président Vincent demanda à la Chambre des députés de l'investir des
remplacé par un « représentant fiscal » qui avait à peu près les mêmes « pouvoirs exceptionnels que réclamaient, prétendait-il, les circonstances »
pouvoirs et dont les attributions de contrôle furent plus tard, par suite du moment. Rien ne paraissait justifier aux yeux des parlementaires
d'un arrangement subséquent, transférées à la Banque Nationale de la une pareille demande : elle fut repoussée. La situation devint très
République d'Haïti, devenue haïtienne. De plus, la complète haïtianisation tendue quand le Sénat refusa de prendre en considération un contrat
de la Garde d'Haïti et la désoccupation du territoire haïtien par les dé rachat de la Banque Nationale de la République d'Haïti, signé à

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Washington le 12 mai 1934, et un contrat pour le monopole de l'achat
et de l'exportation des figues-bananes, conclu avec la Standard Fruit Bien que la Constitution de 1935 eût supprimé le système représentatif
and Steamship Co. du gouvernement d'Haïti pour le remplacer par un « régime d'autorité »,
elle emprunta au système parlementaire l'une de ses règles en permettant
S'appuyant sur une résolution de la Chambre des députés du jiux membres du corps législatif de cumuler l'exercice de leur mandat
12 décembre 1934 et invoquant l'article 28 de la Constitution qui « fait avec l'occupation d'une charge de Secrétaire d'Etat ou d'une fonction
résider la souveraineté nationale dans l'universalité des citoyens », le diplomatique temporaire.
Chef de l'Etat, à qui le droit de dissolution était légalement refusé,
Le trait essentiel de cette Constitution fut le rôle accordé au
recourut à un référendum extraordinaire en demandant au peuple, par « peuple », qui, selon l'article 13, exerce effectivement la souveraineté :
un décret du 12 janvier 1935, de « donner à l'Exécutif l'autorité de lo par le libre choix qu'il fait du Chef du Pouvoir Exécutif ; 2° par
prendre toutes mesures de caractère économique destinées à améliorer l'élection des membres de la Chambre des députés et des électeurs
la situation générale du pays et d'effectuer l'achat de la Banque sénatoriaux ; 3° par l'opinion qu'il peut, par voie de référendum,
Nationale de la République d'Haïti en vue de parfaire l'arrangement émettre sur toutes questions l'intéressant et au sujet desquelles il est
qui devait mettre fin au contrôle financier ». Dans un acte du 18 janvier, consulté par le Chef du Pouvoir Exécutif, — la procédure et les garanties
onze sénateurs formant la majorité de la haute assemblée contestèrent du référendum étant réglementées par arrêté du Chef du Pouvoir
la constitutionnalité du décret présidentiel et déclarèrent qu'ils ne Exécutif.
seraient point liés par ce référendum inconstitutionnel, quel qu'en fût La Constitution prévoyait, pour Féïection du président de la
le résultat. Le référendum eut lieu le 10 février, et il fut naturellement république, une procédure assez compliquée : elle remettait à l'Assemblée
favorable au gouvernement. Interprétant ce résultat comme une répu- nationale, composée de la Chambre des députés et du Sénat, la mission
diation par le peuple des onze sénateurs et de sept députés qui s'étaient de désigner à huis-clos trois candidats présidentiels dont les noms seraient
joints à eux, le Président Vincent les déclara déchus de leurs mandats. soumis au vote des assemblées primaires électorales de chaque commune
Puis, il décida qu'une nouvelle Constitution serait adoptée pour remplacer convoquées par le Chef d'Etat en fonction, — ce qui équivalait à un
celle de 1932. Une commission spéciale de la Chambre des députés fut plébiscite. Elle prescrivait enfin que toute révision constitutionnelle,
chargée de préparer le projet de la nouvelle Charte. Ce projet, soumis élaborée par l'Assemblée nationale, serait soumise par le Pouvoir
comme celui de Dartiguenave de 1918 à la ratification populaire, est Exécutif à la ratification populaire.
devenu la Constitution du 2 juin 1935. Par une disposition spéciale, la Constitution proclama que le « Citoyen
Sténio Vincent ayant bien mérité de la Patrie pour avoir 1° libéré le
Réforme constitutionnelle. — Comme le déclara M. Sténio Vincent pays de la tutelle étrangère, 2» entrepris sérieusement son organisation
dans un discours prononcé aux Cayes le 21 juillet 1935, la nouvelle économique, et la majorité du Pays ayant publiquement manifesté le
Constitution accomplissait une véritable « révolution » dans le régime désir qu'il n'y ait pas de solution de continuité dans l'œuvre entreprise
gouvernemental du pays. Répudiant le principe de la séparation des par l'actuel Président, le Citoyen Sténio Vincent est investi d'un nouveau
pouvoirs si cher à Montesquieu, elle faisait de l'Exécutif le seul pouvoir mandat de cinq ans à compter du 15 mai 1935 ».
de l'Etat et réduisait le corps législatif et le corps judiciaire au simple Ainsi le mandat de M. Vincent était porté à onze ans, mais il ne
rôle d'auxiliaires. Elle assimilait le président de la République à l'Etat pouvait pas être candidat à un troisième terme parce que l'article 34,
lui-même en le présentant comme la « personnification de ïa nation ». 2"^ alinéa, disait : « Aucun citoyen ne peut être élu président de la
Elle lui accordait le droit de dissoudre le corps législatif et de prendre, république s'il a exercé deux fois le mandat présidentiel ».
dans l'intervalle des sessions et avec l'assistance d'un Comité permanent Cependant, quatre ans après, le Président Vincent éprouva le
composé de six députés et de cinq sénateurs agréés par lui, des décrets besoin d'apporter de nouvelles modifications à la Constitution du 2 juin
ayant force de loi. Elle abolissait l'autonomie communale et confiait le 1935 : les unes portaient sur des questions de détail, d'autres avaient
soin au Chef de l'Etat de désigner, par arrêté, le magistrat de chaque une importance plus grande parce qu'elles renversaient quelques-unes
commune parmi trois citoyens élus par une assemblée spéciale. Elle des idées qui semblaient lui avoir suggéré au début sa réforme de
attribuait au président de la République le privilège de nommer dix l'Etat. L'une de ces modifications donnait à l'Exécutif une mainmise
plus complète sur le Sénat en permettant au Chef de l'Etat de nommer
sénateurs sur les vingt et un dont se compose le Sénat, avec en outre
et de révoquer, à son gré et à n'importe quel moment de la législature,
la faculté de soumettre à l'élection de la Chambre des députés une liste
les dix sénateurs choisis par lui. Une autre changeait la procédure de
de candidats pour les onze autres sièges. l'élection présidentielle et les conditions de la révision constitutionnelle

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et revenait aux règles établies par les Constitutions précédentes, —
lesquelles, expliqua M. Vincent dans son message du 22 mars 1939 au certain équilibre dans leurs échanges mutuels. Les principales denrées
Corps législatif, lui paraissaient, après réflexion, « mieux convenir aux haïtiennes, le café notamment, entrant déjà en franchise de droits sur
exigences de notre vie politique et de notre milieu social ». le territoire américain, il convenait de chercher quelles facilités de banque
Avec la même docilité qu'il avait mise à accepter la part de ou de transport pourraient leur être accordées pour favoriser leur
souveraineté qui lui avait été octroyée en 1935, le peuple renonça en placement avantageux sur le marché des Etats-Unis et dans quelle mesure
1939, par plébiscite, à la précieuse prérogative de choisir directement pourraient être abaissées les taxes très lourdes qui pèsent sur d'autres
le Chef du Pouvoir Exécutif et de réviser la Constitution ; mais on lui produits haïtiens à leur entrée dans l'Union.
conserva le privilège d'émettre, par voie de référendum et par oui ou Le traité de commerce signé le 28 mars 1935 entre Haïti et les .Etats-
par non, son opinion sur toutes les questions politiques, économiques Unis ne modifia pas profondément cette situation. Haïti accorda des
ou sociales, au sujet desquelles le président de la République jugerait concessions consistant en réductions de droits sur une série de produits
bon de le consulter. d'exportation américaine, agricoles et industriels, en prenant de plus l'en-
gagement de ne pas augmenter ses taxes d'importation sur une liste addi-
tionnelle d'articles couvrant dix-neuf classes de marchandises. En retour,
Débarrassé de toute opposition dans les Chambres et dans la presse, elle obtenait l'assurance que ses principales denrées — cafés, cacao, sisal,
le Président Vincent put prendre et faire sanctionner toutes les mesures campêche, bananes, gingembre — continueraient à entrer en franchise
qu'il croyait propres à assurer le maintien de son gouvernement et le de droits, et bénéficiait elle-même de certaines réductions de droits sur
développement matériel et moral du pays. Il a lui-même, dans deux le rhum, les ananas et les confitures de mangos et de goyaves, dont
ouvrages, «Efforts et Résultats» et «En Posant les Jalons», énuméré l'exportation aux Etats-Unis représentait une valeur insignifiante.
et essayé d'expliquer les actes, de son administration. Nous en retiendrons La conséquence la plus immédiate du traité haïtiano-américain du
ici quelques-uns des plus importants. 28 mars 1935 fut de mettre en péril les relations d'Haïti avec la France.
Celle-ci estima en effet que.l'adoption de la «clause inconditionnelle de
Rachat de la Banque, — Un contrat de vente de la Banque Nationale la nation la plus favorisée », stipulée dans la convention, lui faisait
de la République d'Haïti au Gouvernement haïtien fut signé le 12 mai perdre les avantages qu'elle avait réclamés et obtenus dans un accord
1934. Modifié par une loi du 28 mars 1935, il fut sanctionné par la loi du 12 avril 1930, auquel avait été attaché un « avenant » du 10 mars
du 21 mai 1935. Acquise au prix de 5 millions de gourdes par la vente 1934. Par cet « avenant » la France donnait l'entrée sur son territoire,
de ses actions à'l'Etat haïtien, la Banque Nationale de la République sous l'empire du tarif minimum, à un maximum de 30 millions de kilos
d'Haïti devenait haïtienne de nationalité et était autorisée à réduire son de café haïtien, et Haïti convenait d'appliquer des réductions de droits
capital social à 1 million de dollars en monnaie légale des Etats-Unis, à des articles d'origine française décrits par crûs ou par marques de
Le 9 juillet 1935, M. Vincent présida à la cérémonie de transfert de cet fabrique. Des accords subséquents et particulièrement celui du 24 juin
établissement à l'Etat haïtien. 1937 firent cesser les difficultés qui existaient à ce sujet entre la France
et Haïti.
Contrat de figues-bananes. — Par un contrat du 25 février 1935,
sanctionné par la loi du 13 mars de la même année, le Gouvernement
haïtien concéda à la compagnie américaine Standard Fruit and Contrat de travaux publics. — Par un contrat du 6 juillet 1938, le
Steamship Co. le privilège exclusif d'achat, pour une durée de vingt gouvernement d'Haïti entreprit, avec le concours de la compagnie
années, de toutes les figues-bananes de condition loyale et marchande américaine J. G. White Engineering Corporation, l'exécution d'un
produites sur tout le territoire de la République d'Haïti, — la Compagnie programme de travaux publics se chiffrant à 5 millions de dollars. Le
s'engageant d'autre part a acheter les dites figues-bananes dans des financement de ces travaux fut assuré par la Import and Export Bank,
qui accepta de négocier au pair les bons du Gouvernement, moyennant
conditions nettement stipulées. La production et l'exportation de ces
un intérêt annuel de 5 %. Ce programme, réparti sur une période de
fruits prirent en peu de temps une importance considérable.
trois ans, comprenait des travaux de drainage, d'irrigation, d'extension
agricole et de construction de routes qui, dans la pensée du Président
Traité de commerce avec les Etats-Unis. — Depuis longtemps les Vincent, « donneraient une impulsion nouvelle à l'agriculture, permet-
Haïtiens, frappés par la grande disproportion existant entre le chiffre traient l'accroissement et la diversification de la production haïtienne
des ventes et celui des achats d'Haïti aux Etats-Unis, désiraient qu'un et amèneraient une amélioration considérable de la situation économique
traité commercial intervînt entre les deux pays qui pût établir un du pays ».
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Le président dominicain, général Léonidas Trujillo, eut une entrevue
Commerce de détail. — L'article 6, 2»« alinéa, de la Constitution de avec le Chef d'Etat haïtien le 18 octobre 1933 à Ouanaminthe, et il fut
1935 prévoyait que certaines différences pourraient être établies par ta convenu entre eux que des négociations seraient poursuivies en vue
loi, en ce qui concerne l'exercice des droits civils, entre les Haïtiens d'apporter au traité du 21 janvier 1929 les modifications reconnues
d'origine et les Haïtiens par naturalisation. Prenant texte de cette nécessaires. Ces négociations aboutirent à l'accord du 27 février 1935.
disposition constitutionnelle, le Président Vincent édicta un décret-loi Pour donner plus d'éclat à la signature du protocole final, considéré
du 16 octobre 1935 qui eut un profond retentissement sur la vie commer- comme la consécration définitive de l'amitié haïtiano-dominicaine, le
ciale du pays. Ce décret réservait le commerce de détail seulement à général Trujillo tint à venir lui-même à Port-au-Prince où il fut reçu
l'Haïtien d'origine, qu'il définissait de la manière suivante : « Est Haïtien avec la plus grande cordialité. Au cours d'une émouvante cérémonie au
d'origine tout individu né d'un père qui, lui-même, est né haïtien. Est palais national, le 9 mars 1936, les deux Chefs d'Etat apposèrent leur
également Haïtien d'origine tout individu non reconnu par son père mais signature au bas de l'Acte qui mettait lin, croyait-on, à tout conflit
né d'une mère qui, elle-même, est née haïtienne, L'Haïtienne d'origine, désagréable entre les deux républiques-sœurs, seules souveraines de
mariée à un étranger et qui, pendant le mariage, recouvre la nationalité l'île d'Haïti. •
haïtienne en se conformant à la loi sur la nationalité, pourra également Les relations entre les deux gouvernements continuèrent pendant
exercer le commerce de détail ». quelque temps à être des plus cordiales. De fréquentes visites étaient
Les étrangers, et par conséquent les Haïtiens par naturalisation, échangées entre de hauts dignitaires des deux républiques. Puis, soudain,
étaient autorisés à exercer le commerce dans la République en qualité dans les premiers jours d'octobre 1937, un bruit sinistre, que vinrent
de négociants-consignataires dans les ports ouverts ; et de sévères confirmer des récits détaillés publiés dans les revues et journaux amé-
sanctions devaient leur être appliquées s'ils se livraient à « l'achat en ricains, parcourut toute Haïti et l'agita d'une émotion intense : des
Haïti des marchandises énumérées dans le décret-loi pour leur revente milliers d'Haïtiens, établis depuis longtemps dans la République Domi-
en détail jusqu'à la fraction infinitésimale », nicaine ou y résidant à titre temporaire comme ouvriers agricoles, avaient
été tués ou cruellement maltraités sans motif plausible. La simultanéité
Justice sociale, — M. Sténio Vincent a le mérite d'avoir introduit des scènes d'horreur, qui s'étaient produites dans plusieurs endroits diffé-
dans la pratique gouvernementale certaines idées de justice sociale, rents de la Partie de l'Est, montrait que les auteurs de ces crimes avaient
dont la plupart de ses prédécesseurs ne s'étaient pas beaucoup souciés. obéi à un mot d'ordre et ne laissait aucun doute sur la participation
Il multiplia les dispensaires dans les campagnes, donna de précieux qu'y avaient prise certaines autorités dominicaines, civiles et militaires.
encouragements à des œuvres privées de bienfaisance et, pensant, avec Le gouvernement haïtien demanda immédiatement qu'une enquête
raison, que « la vie d'un peuple ne peut être considérée sous l'angle fût ouverte sur les faits dénoncés par la presse étrangère et dont les
exclusivement matériel », il créa des bibliothèques populaires dans les détails affreux étaient révélés chaque jour par les nombreux rescapés
principales villes de la République et apporta un concours généreux à qui avaient pu passer la frontière pour se réfugier en terre haïtienne.
l'Eglise dans sa mission d'évangélisation et de moralisation populaire. Le gouvernement dominicain promit, par un accord du 15 octobre, d'or-
donner une enquête sur les actes criminels qui lui avaient été signalés
M. Vincent entreprit la «lutte contre le taudis» en transformant, pour et d'en livrer les auteurs à la justice. Mais les Haïtiens avaient toute
commencer, le quartier insalubre de La Saline, qui devint la Cité-Vincent. raison de penser qu'une pareille investigation ne pourrait aboutir à rien
Il eut l'idée de compléter cette transformation matérielle par une réforme de sérieux; et des groupes commencèrent à s'agiter, en accusant M. Sténio
morale de plus grande portée sociale, et il fit appel aux Religieux et Vincent de faire preuve en cette circonstance d'une patience et d'une
Religieuses de l'Ordre des Salésiens pour créer, dans cette zone autrefois prudence excessives. Il était à craindre qu'un tel état d'esprit ne finit par
mal famée de la capitale, une œuvre solide d'éducation et de travail. mettre le feu aux poudres. Le 15 novembre, dans une lettre personnelle
au Général Trujillo, le Président Vincent se plaignit de la lenteur de
Relations haïtiano-dominicaines. — Le traité du 21 janvier 1929 l'enquête menée unilatéralement par le gouvernement de Santo-Domingo
avait été signé par le gouvernement de Louis Borno dans le but sans doute et proposa d'y associer les gouvernements amis de Cuba et du Mexique.
louable de mettre fin aux difficultés fréquentes et aux incidents parfois La Chancellerie dominicaine repoussa cette proposition, de même qu'elle
très graves survenus entre Haïti et la République Dominicaine au sujet refusa les bons offices et l'offre formelle de médiation de Cuba, du
de la détermination de la ligne-frontière. Mais conclu hâtivement et sans Mexique et des Etats-Unis.
une connaissance parfaite des lieux par nos négociateurs, il avait^ pro- Dans une lettre du 14 décembre au ministre des relations extérieures
voqué de vives réclamations de la part des propriétaires haïtiens dont les dominicain, le ministre d'Haïti à Santo-Domingo, M. Evremont Carrié,
intérêts n'avaient pas été suffisamment protégés.
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Cependant, les amis et partisans de M. Vincent avaient commencé, dès
fit connaître que « le Gouvernement haïtien avait décidé d'invoquer le
le milieu de 1939, une ardente campagne pour sa réélection en 1941, bien
traité du 3 mai 1923 et la convention du 5 janvier 1929 et de mettre en
que la Constitution de 1935 eût formellement prohibé un troisième
mouvement les procédures établies par ces deux instruments diploma-
mandat. Suivant la pratique traditionnelle, de bons ajbôtres recueillaient
tiques interaméricains pour arriver au règlement du grave différend qui
les signatures des fonctionnaires de l'administration publique dans toutes
existait entre les deux pays ». Par conséquent, le gouvernement haïtien
les communes du pays et adressaient de ferventes pétitions au Président
remit ce différend pour « investigations et étude » à la Commission de la République pour le solliciter de faire le sacrifice d'assumer, une
d'Enquête prévue par le traité du 23 mai 1923 dit « Traité Gondra », en troisième fois, les «responsabilités du pouvoir». Les manifestations de
donnant à la Commission permanente établie à Washington les fonctions loyalisme se multipliaient, et tout paraissait marcheij à souhait quand,
de conciliation fixées par le traité de Washington du 5 janvier 1929. à la stupéfaction de ses admirateurs, M, Vincent, dajis une adresse au
Le gouvernement haïtien désigna pour le représenter devant la Com- peuple haïtien du 13 juin 1939, déclara qu'il avait «décidé de se sous-
mission permanente de Washington M. Abel-N. Léger, ancien ministre traire au pressant appel de la grande majorité de ses compatriotes et qu'il
des relations extérieures, et M. Hoffman Philip, ancien ambassadeur des n'avait subi, en s'arrêtant à ce parti, aucune pression d'aucune sorte ».
Etats-Unis au Chili, assistés de M. Dantès Beliegarde et de M. Edmé Il invoquait, par surcroît, des raisons de santé qui l'obligeaient à songer
Manigat comme conseillers, La délégation haïtienne était en train de à la retraite. Personne ne voulut croire à ces raisons, bien qu'elles fussent
discuter avec la délégation dominicaine les bases d'un projet de concilia- réelles, et l'insistance même qu'il avait mise à dire qu'aucune pression
tion quand elle reçut le texte d'un arrangement conclu, grâce à l'entre- n'avait été exercée sur sa volonté accréditait davantage l'opinion que
mise de Mgr Silvani, nonce apostolique à Port-au-Prince et à Santo- certain « avertissement » lui était venu de l'extérieur. Un voyage qu'il fit
Domingo, entre les gouvernements haïtien et dominicain. Cet arrangement à Washington en vue de régler des difficultés soulevées par les compa-
fut entériné par la Commission permanente de conciliation en sa séance gnies américaines eut, prétendait-on, des résultats peu satisfaisants pour
du 31 janvier 1938 tenue au palais de l'Union Panaméricaine à le succès de sa candidature.
Washington.
La campagne pour la réélection n'en continua pas moins. Ceux qui
Par l'accord du 31 janvier 1938, le gouvernement dominicain, tout en étaient dans l'intimité de M. Vincejit affirmaient qu'il tenait plus que
exprimant ses regrets et sa réprobation des déplorables événements d'oc- jamais à garder le pouvoir. Aussi, tous les candidats à la députation pour
tobre 1937 et en promettant solennellement d'en faire rechercher et punir 1940 déclarèrent-ils, dans leurs manifestes électoraux, qu'ils réclamaient
les auteurs avec promptitude et impartialité, s'engageait à payer sept cent du peuple le « mandat impératif » de réélire M. Sténio Vincent — la
cinquante mille dollars au gouvernement haïtien, lequel emploierait cette volonté populaire étant la loi suprême, supérieure à toute prescription
somme, selon son propre jugement, au mieux des intérêts des victimes constitutionnelle.
ou de leurs familles. Par suite d'arrangements ultérieurs, cette somme
Quand les Chambres se réunirent en 1941, elles votèrent, respective-
ne fut pas payée en totalité. Le premier versement de deux cent cinquante
ment les 10 et 13 mars, une Résolution commune qui décidait «qu'il y
mille dollars servit à établir des'colonies agricoles (Morne-des-Cornmis-
a lieu de prolonger de cinq ans la durée du second mandat dont est investi
saires, Grand-Bassin, d'Osmond, Saltadère et Billiguy), où furent re-
le Président de la République, le citoyen Sténio Vincent, à compter du
cueillis les rescapés et quelques familles des victimes du massacre.
15 mai 1941 ». Elles demandèrent au Chef de l'Etat de soumettre cette
Résolution à la ratification populaire. Mais M. Vincent répondit que le
Transmission de pouvoirs. — Le règlement de l'affaire dominicaine
référendum était déjà fait en sa faveur puisque le peuple avait exprimé
ne fut pas accepté avec une grande satisfaction par l'opinion publique.
sa volonté « au moyen de ses bulletins de vote à l'occasion des dernières
Même pendant que se déroulaient les négociations, un attendat, dirigé
élections législatives ». Néanmoins, il refusa le mandat dont on voulait
contre le commandant de la garde présidentielle (colonel Armand) et le
l'investir une troisième fois et, dans son message du 12 avril 1941 à
chef d'état-major du Président Vincent (capitaine Merceron), avait été
l'Assemblée nationale, il laissa à celle-ci « toute latitude de choisir le
peut-être provoqué par des ressentiments personnels, mais il montra que
citoyen qui répondait aussi bien aux nécessités nationales et internatio-
l'harmonie n'était pas parfaite entre les officiers de l'armée, où une
nales du moment qu'à la continuité de la politique d'action économique
« purge » drastique parut nécessaire. D'autre part, le Chef de l'Etat, dans
et sociale du Gouvernement de 1930». Ce citoyen, il l'avait lui-même
les discours nombreux qu'il prononçait à travers la République, ne cessait
désigné aux suffrages des mandataires du peuple en le faisant venir de
de dénoncer en termes virulents les adversaires de son gouvernement, les
Washington pour le nommer sénateur de la république : c'était M. Elie
rendant responsables de toute attaque ou de toute critique publiée contre
Lescot, qui avait successivement occupé, sous l'Administration de
lui dans la presse étrangère, qui, bien souvent, l'accusa d'avoir instauré
M. Vincent, les fonctions de juge d'instruction, de commissaire du gou-
en Haïti une dictature à la mode fasciste,
305
304
vernement près le Tribunal de Cassation, de ministre de l'intérieur, de
ministre plénipotentiaire dans la République Dominicaine et aux Etats-
Unis.
M. Elie Lescot fut élu par l'Assemblée nationale, le 15 avril 1941,
président de la République pour une période de cinq ans, à la presque
unanimité des voix : 56 voix sur 58 votants. Il partit immédiatement
pouj; Washington et, à son retour, le Président Sténio Vincent lui remit, CHAPITRE XXVIÏ
le 15 mai, les rênes du pouvoir.

Gouvernement de M. Elie Lescot

Programme gouvernemental — Ayant pris possession du fauteuil


présidentiel, au cours d'une cérémonie qui réunit amicalement au Palais
National le Chef d'Etat sortant et le nouvel élu, M. Elie Lescot fit
connaître au peuple sa ferme volonté de continuer le programme de son
prédécesseur basé « sur la paix par l'ordre et le travail, sur le renforce-
ment de nos capacités productives et le concept généreux d'une justice
sociale de plus en plus élargie ». Son rêve le plus cher, disait-il, était de
«pouvoir, par le travail organisé, „ bannir de l'esprit de FHaïtien la
politique telle qu'elle est malheureusement comprise par beaucoup de
nos compatriotes — la politique malsaine de l'intrigue, du tripotage, la
politique destructive de la dénonciation lâche, du mensonge et de la
calomnie, et de faire régner, à la place des dissensions fatales qu'entraîne
cette politique, la Charité, la grande Charité chrétienne, grâce à un ensei-
gnement fortement religieux et hautement moral ».
Quant à sa politique extérieure, il la définissait de la manière sui-
vante : «J'entends qu'Haïti apporte son concours le plus complet pour
la sauvegarde de la démocratie exposée aujourd'hui à l'invasion des
idéologies régressives et aux assauts dévastateurs des impérialismes
débridés, en délire de conquête... Il faut que le monde entier sache que
la République d'Haïti entend marcher dans une union parfaite avec ses
vingt républiques-sœurs de ce continent, et il convient de proclamer, avec
la force d'une profession de foi, que notre sort est profondément lié au
sort des Etats-Unis d'Amérique; j'entends que notre politique interna-
tionale soit le reflet fidèle et sincère de la politique internationale de notre
généreuse et puissante voisine... Des circonstances géographiques iné-
luctables et aussi certaines contingences d'ordre international font de la
République Dominicaine notre alliée naturelle. »,

Commandement de la Garde d'Haïti. — -Afin de donner une portée


pratique à la disposition constitutionnelle qui fait du président de la
République le «chef suprême des forces de terre, de mer et de l'air»,
306
307
votants, dont trois Haïtiens, choisis par le Président d'Haïti, et trois
M. Lescot émit un arrêté par lequel il déclara assumer, à partir du Américains, choisis suivant accord entre le gouvernement haïtien et celui
5 juin 1941, « le commandement effectif de toutes les forces armées de des Etats-Unis.
terre, de l'air et de mer de la République ». Le Conseil d'Administration de la Banque avait les attributions
La fonction de Commandant de la Garde d'Haïti était remplacée par suivantes : 1° élaborer le budget de la République; 2° tenir les comptés
celle de Chef d'Etat-Major, choisi par le Président de la République dans et effectuer les dépenses du gouvernement haïtien r3° percevoir tous les
le cadre des colonels en service de ligne et nommé pour une période de revenus de douane; 4° superviser et inspecter les perceptions de tous
deux^ans renouvelable. Le Chef d'Etat-Major était chargé de la transmis- revenus publics; 5° établir les règlements et l'administration nécessaire
sion des ordres du Chef de l'Etat en ce qui regarde l'administration en vertu de telle législation utile pour la manutention des recettes com-
générale de la Garde d'Haïti. Le Président se réservait le contrôle immé- munales par les percepteurs réguliers des recettes internes.
diat de la Garde du Palais cantonnée au District du Palais National et L'Accord reconnaissait que le service d'intérêts et d'amortissement des
la direction de la Police de Port-au-Prince. L'arrêté créait un organisme titres de l'emprunt 1922 et 1923 constituait une première charge sur tous
dénommé Conseil Militaire, composé de trois membres au moins et de les revenus de l'Etat. Le Gouvernement haïtien s'engageait, d'autre part!,
cinq membres au plus et chargé de faire au Commandant en chef des jusqu'à complet amortissement des dits titres, à ne pas augmenter sa
forces armées toutes recommandations utiles concernant les questions dette publique, sauf entente préalable entre les deux gouvernements.
militaires* Les controverses qui pourraient s'élever entre les deux gouvernements
Le Président Lescot choisit son fils, le lieutenant Roger Lescot, pour au sujet de l'interprétation ou de l'exécution de cet Accord, du 13 sep-
être son assistant technique, tembre 1941 seraient réglées par les voies diplomatiques ou, autrement,
suivant la procédure de la Convention d'Arbitrage signée à Washington
Administration territoriale. — Par décret-loi du 14 octobre 1941, le 5 janvier 1929.
l'administration préfectorale créée en 1918 fut abolie et on y substitua
un rouage politique et administratif qui reprit le nom de «délégation» La J. G. White Engineering Corporation, — Le gouvernement dé
des gouvernements d'avant l'Occupation américaine. Le décret-loi stipula M. Vincent avait, par contrat du 6 juillet 1938, retenu les services de lit
qu'à l'exception de Port-au-Prince, siège du pouvoir central, il y aurait compagnie américaine J. G. White Engineering Corporation pour J'exé-
dans chaque chef-îieu de département et dans certains chefs-lieux d'ar- cution d'un programme de travaux dont le coût était estimé à $ 5.000.000,
rondissement un représentant civil du Chef du Pouvoir Exécutif, portant La limite de cette somme étant sur le point d'être atteinte, les parties
le titre de Délégué. Ce délégué serait la première autorité de sa circons- contractantes décidèrent^ par une convention du 30 septembre 1941, que
cription et recevrait les honneurs dus à un Secrétaire d'Etat. Ses attri- la vie du contrat serait prolongée et qu'un crédit de 500.000 dollars serait
butions consistaient à surveiller dans sa circonscription la marcKe des ajouté au montant initial.
services publics, à assurer l'exécution des décisions du Gouvernement, à Il fut entendu que les billets à ordre émis ou à émettre en vertu du
contrôler les communes et à transmettre, avec ses observations, au minis- contrat de 1938 et de la nouvelle convention du 30 septembre 1941
tère de l'intérieur les projets de budget de ces communes, etc. porteraient intérêt, à partir du 16 juillet 1940, au taux de 4 % au lieu
Six Délégations furent créées respectivement au Cap-Haïtien, à Port- de celui de 5 % antérieurement prévu. La Banque Export-ïmport accepta
de-Paix, à Gonaïves, aux Cayes, à Jacmel et à Jérémie. d'acheter les billets ainsi émis par le Gouvernement haïtien.
Un nouveau contrat du 14 mai 1942, sanctionné par le décret-loi
Accord Exécutif du 13 septembre 19bl. — Un accord exécutif, destiné du 16 juin de la même année, chargea de l'achèvement du programme
à remplacer l'arrangement financier du 7 août 1933, fut signé le 13 sep- de travaux publics de la White la Société Haïtiano-Américaine de Déve-
tembre 1941 par M. Charles Fombrun, ministre des relations extérieures, loppement Agricole, dite SHADA.
et M. J. Campbell White, ministre des Etats-Unis à Port-au-Prince. Cet
accord supprimait les fonctions de Représentant Fiscal et de Représentant La Société Haïtiano-Américaine de Développement Agricole. — Par
Fiscal Adjoint telles qu'elles étaient antérieurement définie^ et transfé- une convention conclue à Washington le 15 août 1941 entre M. Abel
rait les dites fonctions à la Banque Nationale de la République d'Haïti, Lacroix, ministre des finances, M. Fernand Dennis, ministre plénipo-j
qui, outre ses opérations commerciales usuelles de banque nationale, était tentiaire, représentant le gouvernement haïtien, d'une part, M. Thomas
la seule dépositaire des revenus et fonds publics du gouvernement haïtien. A. Fennell, président de la Société Haïtiano-Américaine de Développement
Le Conseil d'Administration de la Banque, présidé par le ministre des Agricole, M. Warren Lée Pierson, président de l'Export-Import Bank,
finances comme président honoraire, était composé de six membres d'autre part, cet établissement financier s'engagea à ouvrier à la SHADA,

308 . 309
votants, dont trois Haïtiens, choisis par le Président d'Haïti, et trois
M. Lescot émit un arrêté par lequel il déclara assumer, à partir du Américains, choisis suivant accord entre le gouvernement haïtien et celui
5 juin 1941, « le commandement effectif de toutes les forces armées de des Etats-Unis.
terre, de l'air et de mer de la République ». Le Conseil d'Administration de la Banque avait les attributions
La fonction de Commandant de la Garde d'Haïti était remplacée par suivantes : 1<> élaborer le budget de la République; 2° tenir les comptés
celle de Chef d'Etat-Major, choisi par le Président de la République dans et effectuer les dépenses du gouvernement haïtien ;* 3° percevoir tous les
le cadre des colonels en service de ligne et nommé pour une période de revenus de douane; 4° superviser et inspecter les perceptions de tous
deux^ans renouvelable. Le Chef d'Etat-Major était chargé de la transmis- revenus publics; 5° établir les règlements et l'administration nécessaire
sion des ordres du Chef de l'Etat en ce qui regarde l'administration en vertu de telle législation utile pour la manutention des recettes com-
générale de la Garde d'Haïti. Le Président se réservait le contrôle immé- munales par les percepteurs réguliers des recettes internes.
diat de la Garde du Palais cantonnée au District du Palais National et L'Accord reconnaissait que le service d'intérêts et d'amortissement des
la direction de la Police de Port-au-Prince. L'arrêté créait un organisme titres de l'emprunt 1922 et 1923 constituait une première charge sur tous
dénommé Conseil Militaire, composé de trois membres au moins et de les revenus de l'Etat. Le Gouvernement haïtien s'engageait, d'autre part!,
cinq membres au plus et chargé de faire au Commandant en chef des jusqu'à complet amortissement des dits titres, à ne pas augmenter sa
forces armées toutes recommandations utiles concernant les questions dette publique, sauf entente préalable entre les deux gouvernements.
militaires* Les controverses qui pourraient s'élever entre les deux gouvernements
Le Président Lescot choisit son fils, le lieutenant Roger Lescot, pour au sujet de l'interprétation ou de l'exécution de cet Accord, du 13 sep-
être son assistant technique. tembre 1941 seraient réglées par les voies diplomatiques ou, autrement,
suivant la procédure de la Convention d'Arbitrage signée à Washington
Administration territoriale. — Par décret-loi du 14 octobre 1941, le 5 janvier 1929.
l'administration préfectorale créée en 1918 fut abolie et on y substitua
un rouage politique et administratif qui reprit le nom de «délégation» La J. G. White Engineering Corporation, — Le gouvernement dé
des gouvernements d'avant l'Occupation américaine. Le décret-loi stipula M. Vincent avait, par contrat du 6 juillet 1938, retenu les services de la
qu'à l'exception de Port-au-Prince, siège du pouvoir central, il y aurait compagnie américaine J. G. White Engineering Corporation pour J'exé-
dans chaque chef-lieu de département et dans certains chefs-lieux d'ar- cution d'un programme de travaux dont le coût était estimé à $ 5.000.000.
rondissement un représentant civil du Chef du Pouvoir Exécutif, portant La limite de cette somme étant sur le point d'être atteinte, les parties
le titre de Délégué. Ce, délégué serait la première autorité de sa circons- contractantes décidèrent, par une convention du 30 septembre 1941, que
cription et recevrait les honneurs dus à un Secrétaire d'Etat. Ses attri- la vie du contrat serait prolongée et qu'un crédit de 500.000 dollars serait
butions consistaient à surveiller dans sa circonscription la marcKe des ajouté au montant initiai.
services publics, à assurer l'exécution des décisions du Gouvernement, à Il fut entendu que îe|s billets à ordre émis ou à émettre en vertu du
contrôler les communes et à transmettre, avec ses observations, au minis- contrat de 1938 et de la nouvelle convention du 30 septembre 1941
tère de l'intérieur les projets de budget de ces communes, etc. porteraient intérêt, à partir du 16 juillet 1940, au taux de 4 % au lieu
Six Délégations furent créées respectivement au Cap-Haïtien, à Port- de celui de 5 % antérieurement prévu. La Banque Export-ïmport accepta
de-Paix, à Gonaïves, aux Cayes, à Jacmel et à Jérémie. d'acheter les billets ainsi émis par le Gouvernement haïtien.
Un nouveau contrat du 14 mai 1942, sanctionné par le décret-loi
Accord Exécutif du 13 septembre 19kl. — Un accord exécutif, destiné du 16 juin de la même année, chargea de l'achèvement du programme
à remplacer l'arrangement financier du 7 août 1933, fut signé le 13 sep- de travaux publics de la White la Société Haïtiano-Américaine de Déve-
tembre 1941 par M. Charles Fombrun, ministre des relations extérieures, loppement Agricole, dite SHADA.
et M. J. Campbell White, ministre des Etats-Unis à Port-au-Prince. Cet
accord supprimait les fonctions de Représentant Fiscal et de Représentant La Société Haïtiano-Américaine de Développement Agricole. — Par
Fiscal Adjoint telles qu'elles étaient antérieurement définiek et transfé- une convention conclue à Washington le 15 août 1941 entre M. Abel
rait les dites fonctions à la Banque Nationale de la République d'Haïti, Lacroix, ministre des finances, M. Fernand Dennis, ministre plénipo-j
qui, outre ses opérations commerciales usuelles de banque nationale, était tentiaire, représentant le gouvernement haïtien, d'une part, M. Thomas
la seule dépositaire des revenus et fonds publics du gouvernement haïtien. A. Fennell, président de la Société Haïtiano-Américaine de Développement
Le Conseil d'Administration de la Banque, présidé par le ministre des Agricole, M. Warren Lee Pierson, président de PExport-Import Bank,
finances comme président honoraire, était composé de six membres d'autre part, cet. établissement financier s'engagea à ouvrier à la SHADA,

308 . 309
déclaration de guerre à l'Allemagne, à l'Italie et à leurs satellites, la
avec la garantie de la République d'Haïti, un crédit de 5 millions de Hongrie, la Bulgarie et la Roumanie.
dollars représenté par des billets à ordre portant intérêt de 4 % Tan. Un arrêté du 8 décembre déclara le territoire de la République en état
La SHADA avait pour objet de développer et d'exploiter les ressources de siège et attribua à l'autorité militaire le « contrôle de toutes les acti-
agricoles et autres de la République par 1° la plantation et le développe- vités nationales sous la haute direction du Président de la République,
ment de la culture du caoutchouc, des plantes à huile, des plantes à Chef suprême des Forces Armées ». Comme conséquence de cette situa-
épices, des plantes à fibres, des plantes médicinales et alimentaires; les tion, le gouvernement, par un décret-loi du 18 décembre 1941, s'empressa
ressources forestières et telles autres ressources du territoire d'Haïti ou de mettre sous séquestre les biens mobiliers et immobiliers, propriétés
capables d'être produites dans le pays; 2<> l'exécution de travaux d'expéri- des ressortissants des pays ennemis, et d'ordonner la liquidation des
mentation destinés à améliorer les cultures existantes, à développer les maisons de commerce ou toutes autres entreprises leur appartenant. La
moyens de combattre pu de prévenir les maladies végétales et à déter- Banque Nationale de la République d'Haïti fut chargée de remplir les
miner les possibilités d'adaptation en Haïti de certaines cultures; 3° le fonctions de séquestre-liquidateur général. ,
développement de méthodes de préparation et de transformation des Le décret-loi du 13 janvier 1942 conféra au Chef de l'Etat le privilège
denrées et également le développement des industries et de l'artisanat de prendre, par décrets, les « mesures imposées par les circonstances » et
agricole; 4<> l'achat et le placement sur les marchés intérieurs et exté- ayant « force obligatoire » dans toute la République. Usant des pouvoirs
rieurs des produits agricoles et manufacturés d'Haïti, exceptionnels qui lui étaient ainsi conférés, M. Lescot s'octroya le drojit
Contre une émission par la SHADA en faveur de l'Etat d'un million (décrets des 2 et 14 février 1942} de déférer aux tribunaux militaires, non
de dollars d'actions ordinaires, le gouvernement haïtien concéda à la seulement la connaissance de tout fait qualifié crime ou délit contre a
Société, pour une durée de cinquante ans, le privilège exclusif d'acheter sécurité et Tordre public, mais aussi, s'il le jugeait nécessaire, celle dçs
dans le pays et d'en exporter tout le caoutchouc naturel cultivé et produit crimes et délits de diront commun contre les personnes et les propriétés;.
dans la République. Il lui donna également à bail, pour cinquante ans, Estimant que ces pouvoirs exceptionnels étaient encore insuffisants, te
cent cinquante mille acres de terre plantés en arbres susceptibles de Chef de l'Etat prit, le 23 février 1941, un décret suspendant les garanties
produire des bois de charpente au Morne-des-Commissaires, au Morne- constitutionnelles pour « toute la durée du conflit international ». Il obtint
La Selle et à Cerca-la-Source, avec privilège exclusif pour la Société d'y du Corps législatif une loi du 20 avril 1942 l'autorisant à effectuer, à la
pratiquer des coupes d'arbres en vue de la production des bois de char- loi sur le budget et la comptabilité publique et au budget général de
l'exercice 1942-1943, «tous aménagements, modifications ou réductions
pente et autrement exploiter les terres affermées. Le gouvernement s'en-
qui pourraient être imposés par les circonstances ». D'autre part, un
gageait, d'autre part, à faire obtenir à la Société, par voie d'expropriation
décret-loi autorisa le gouvernement à prélever, sur les fonds provenant de
pour cause d'utilité publique ou par autre procédure, tout droit de pas-
la séquestration et de, la liquidation des biens des ressortissants des
sage, servitude ou intérêt dans les terres dont la SHADA avait besoin
pays ennemis, toutes valeurs nécessaires aux besoins de la défense natio-
pour l'exécution de son programme général ou de n'importe lequel de ses nale (15 juin 1942). Plus tard, par décret présidentiel du 25 février 1944,
projets. Cette dernière clause devait avoir de graves conséquences éco- tous les biens meubles et immeubles appartenant à des ennemis, alliés ou
nomiques et politiques, dont il sera question plus tard. agents d'ennemis, mis sous séquestre, furent déclarés « biens de l'Etat
haïtien » et remis à l'Administration Générale des Contributions directes
Haïti en guerre. — Le peuple haïtien suivait avec angoisse la guerre —: la Banque Nationale de la République d'Haïti ayant cessé ses fonctions
qui se poursuivait en Europe depuis septembre 1939, et la tension qui de séquestre-liquidateur.
s'était produite récemment dans les relations des Etats-Unis avec le Les décrets-lois du 29 novembre 1937 et du 29 mai 1939, pris sous le
Japon lui paraissait de plus en plus inquiétante. Le matin du 7 dé- gouvernement de M. Sténio Vincent, permettaient l'acquisition de la
cembre 1941, le Président Lescot et une foule nombreuse assistaient, au nationalité haïtienne par naturalisation en pays étranger sans condition
Théâtre-Parisiana, au déroulement d'un film consacré à l'effort de guerre de résidence préalable. Leur application avait donné lieu à des abus très
du Canada lorsque le bruit se répandit, vers les onze heures, que la flotte regrettables et même dangereux pour la sécurité continentale, M. Lescot
japonaise avait violemment attaqué par surprise la base navale améri- les abrogea par décret du 4 février 1942. De même, il abolit, par décret-
caine de Pearl Harbour dans. le Pacifique. Dès qu'il eut notification loi du 11 janvier 1943, la distinction établie par les décrets-lois des
officielle de cet événement, le Chef de l'Etat adressa un message au 16 octobre 1935 et 28 septembre 1939 entre Haïtiens d'origine et Haïtiens
Comité Permanent de l'Assemblée nationale pour lui démander l'autori- par naturalisation en ce qui concerne l'exercice en Haïti du commerce
sation de déclarer la guerre à l'Empire Nippon — ce qui fut fait par de détail.
décret du 8 décembre, suivi de ceux dès 12 et 14 du même mois portant
311
310
Ainsi par décrets-lois, décrets présidentiels, simples arrêtés, lois ment produisit une impression défavorable. On trouva scandaleux que le
obtenues de la complaisance d'un Corps législatif obéissant, le Chef de Président Lescot eût invoqué l'état de guerre pour justifier son « coup
l'Etat avait pu réunir dans ses mains tous les pouvoirs, légiférant sou- de main » parlementaire lorsqu'à ce même moment aux Etats-Unis, dans
verainement en toutes matières : justice, finances, économie nationale, un pays plus directement engagé dans le conflit mondial et qui entretenait
commerce, travail, éducation, santé publique, défense nationale, relations des millions d'hommes sur les divers fronts de bataille, on préparait, en
extérieures, etc., souvent même en contradiction flagrante avec les prin- toute discipline et dans l'ordre constitutionnel, les élections de novem-
cipes fondamentaux de la Constitution dictatoriale de 1935. bre 1944 qui mettaient aux prises M. Franklin D. Roosevelt et le candidat
républicain Thomas Dewey.
Amendements constitutionnels. - Prolongation de mandat. — Le
11 avril 1944, le Corps législatif vota une Résolution déclarant qu'il y Le mécontentement grandit, — De toutes les mesures prises avant et
avait lieu de réviser la Constitution de 1935 amendée en 1939. L'Assem- après la révision constitutionnelle M. Elie Lescot revendiqua l'entière
blée nationale se réunit le 1.9 avril et prit connaissance: 1° d'un « Exposé responsabilité, considérant comme une atteinte à son autorité la plus
de lyiotifs à l'appui d'une série d'amendements à 13 articles de la Consti- légère critique d'un acte ministériel ou administratif de quelque nature
tution » présenté par un groupe de députés et 2<> d'un message du Prési- que ce fût. Il révoqua des fonctionnaires, qui avaient osé, même sur des
dent de la République proposant de modifier trois articles de la charte sujets étrangers à la politique, donner un avis jugé non conforme aux
constitutionnelle. vues du gouvernement. Il déclara déchu du mandat législatif un député
La proposition d'initiative parlementaire comportait des changements qui avait lu à la tribune un projet de Résolution qu'il prétendit
très importants : elle demandait, par exemple, que le mandat du pré- « attentatoire à la souveraineté nationale » et le remplaça par une
sident de la République fût porté de 5 ans à 7 ans et que son mandat personne de son choix. Il envoya «pourrir» en.prison des journalistes
pût être renouvelé; que le Chef de l'Etat eût le pouvoir de combler les qu'il retint pendant de longs mois sans jugement comme « prison-
vacances qui se produiraient, au Sénat, parmi les onze sénateurs élus et, niers d'Etat » et déféra, à son gré, aux cours martiales des gens sim-
à la Chambre des députés, en cas de mort, de démission, de déchéance, plement soupçonnés de tramer des complots contre la sûreté publique
d'abstention volontaire non justifiée de plus d'un mois d'un membre du ou des prévenus de droit commun qui se voyaient ainsi frustrés de la
Corps législatif de participer aux travaux de l'assemblée à laquelle il protection d'une justice impartiale.
appartient. Elle réclamait, dans une disposition spéciale, qu'à cause de la Il serait cependant injuste de rejeter en-bloc toutes les mesures
situation internationale créée par la guerre « le Citoyen Elie Lescot fût adoptées par le gouvernement de M. Lescot: l'historien doit faire le
revêtu d'un nouveau mandat présidentiel commençant le 15 mai 1944 départ nécessaire entre celles dont les conséquences ont été heureuses
pour prendre fin le 15 mai 1951 ». De son côté, M. Elie Lescot proposait pour le pays et celles" qui lui ont été au contraire défavorables.
que la femme haïtienne âgée de trente ans accomplis, sans qu'elle eût
le droit de vote, fût éligible aux fonctions de sénateur, de député, de
membre des administrations communales et qu'elle pût occuper la charge
de ministre, de sous-secrétaire.d'Etat, etc. Il recommandait deux modifi- Dans le domaine culturel, les contacts directs établis par le Chef de
cations de forme aux attributions du Tribunal de Cassation et, dans une l'Etat avec des gouvernements, des institutions ou des personnalités
disposition spéciale, il demandait à l'Assemblée natioiaie de décider éminentes de l'étranger ont valu à la République d'Haïti des sympathies
« qu'aucune élection n'aurait lieu sur toute l'étendue .de la République actives — et même des concours matériels d'importance. L'Institut
durant l'actuel conflit international, que les sénateurs élus et les députés Haïtiano-Américain, le Centre d'Art, l'Institut d'Ethnologie furent créés,
resteraient en fonction, dans les conditions prévues par la Constitution, et Ton jeta les bases de l'Institut Français d'Haïti et d'un Cours Normal
jusqu'à ce que lé peuple soit appelé dans ses comices, et que le peuple Supérieur. Des bourses nombreuses, accordées soit par le gouvernement
ne serait appelé dans ses comices qu'une année après la signature du haïtien soit par des organismes américains ou canadiens, permirent à
traité de paix avec toutes les puissances en guerre avec la République un grand nombre d'étudiants de poursuivre leurs études de lettres, de
d'Haïti». sciences ou d'art dans des centres universitaires réputés. Un Congrès
L'affaire fut bâclée en un tournemain, et c'est avec stupeur que le International de Philosophie, le premier de ce genre tenu en Amérique,
peuple haïtien apprit ce qui venait de se faire en son nom dans l'intimité amena à Port-au-Prince, grâce à l'initiative du D r Camille Lhérisson, des
de l'Assemblée nationale. Le gouvernement et le Corps législatif furent hommes d'une haute valeur scientifique, tel un Jacques Maritain, Aux
enveloppés dans une même réprobation générale qui, pour être muette, Cours d'Eté, organisés par le ministre de l'éducation nationale, M. Mau-
n'en était pas moins dangereuse pour l'avenir. A Washington, l'événe- rice Dartigue, se firent entendre, des professeurs américains, français.

312 313
canadiens de grand renom. Une mission spéciale assura la préparation
des maîtres d'anglais dans les lycées et autres écoles d'Haïti. Par un Dans le domaine de la législation, du travail, de la santé publique et
accord du 30 avril 1944 entre le gouvernement et la Fondation Inter-
de l'assistance sociale, le gouvernement de M. Lescot a pris certaines
américaine d'Education de Washington, une Commission Coopérative
initiatives dignes de retenir l'attention. Il convient de signaler à ce sujet
Haïtiano-Américaine d'Education fut chargée de réaliser un programme
Jes décrets-lois des 4 mai et 24 septembre 1942 sur le salaire minimum;
de coopération intellectuelle et professionnelle dans tout le pays : elle
le décret-loi du 17 mai 1943 créant une Caisse d'Assurance Sociale; le
entreprit, en particulier, de développer en Haïti l'art et l'industrie
décret-loi du 24 septembre 1943 sur l'organisation des cités ouvrières,
céramiques.
etc. Un décert-loi du 17 juin 1942 fit obligation aux jeunes médecins
M. Lescot encouragea personnellement la visite en Haïti d'artistes, diplômés de la Faculté de Médecine de Port-au-Prince de consacrer les
comme Jouvet et sa troupe, comme le chanteur nègre Todd Duncan, deux premières années de leur carrière à un stage professionnel dans une
d'écrivains, savants et conférenciers comme Geneviève Tabouis, André commune de l'intérieur afin d'assurer aux masses rurales des soins
Maurois, Dr Du Bois, Henri Torrès, Alfred Métraux, Alain Locke, Auguste médicaux et une meilleure protection contre les maladies épidémiques.
Viatte, Richard Pattee, Jacques Rousseau, etc. Au cours d'un voyage qu'il A la suite d'une recommandation de la 3 e Conférence Sanitaire de Rio-
fit en octobre 1943 au Canada, où il reçut à l'Université Lavai le diplôme de-Janeiro, une Mission Sanitaire Américaine s'était constituée et avait
de docteur en droit des mains du Cardinal Villeneuve, archevêque de apporté un concours efficace au Service National d'Hygiène publique dans
Québec; aux Etats-Unis, où M. Roosevelt et ie Cardinal Spellman, arche- sa campagne contre le paludisme et dans l'exécution d'un programme
vêque de New-York, lui réservèrent leur plus cordial accueil; à la Havane, de travaux d'assainissement dont le premier projet fut inauguré le
où il fut invité par le Président Batista et trouva l'occasion de rendre 1er j u i n 1942.
un double hommage à Toussaint Louverture et à Alexandre Pétion, * * *
M. Lescot contribua de façon heureuse à resserrer plus étroitement les
relations intellectuelles entre la Puissance Canadienne, l'Union Etoilée et Quelle que fût toutefois l'excellence de ces mesures et de quelques
la République Cubaine. autres en matière d'éducation, de justice, de commerce, d'agriculture,
A Port-au-Prince, le Chef de l'Etat reçut la visite du Président du d'industrie ou de finances, elles ne parurent pas justifier la confiscation
Venezuela, Général Médina Angarita; du Président du Chili, M. Rios; par le Chef de l'Etat des libertés publiques qui forment l'essence des
d'une Mission du Gouvernement Provisoire de la France présidée par le régimes démocratiques. Un journal de la capitale» Le Nouvelliste, ne
Dr Pasteur Vallery-Radot; de la Princesse Juîiana, de Hollande; de cessait de rappeler au gouvernement qu'Haïti avait adhéré à la Déclara-
M. Onésime Gagnon, ministre du trésor, et de M. Paul Beaulieu, ministre tion de l'Atlantique, signé la Convention de Chapultepec, ratifié la Charte
du commerce et de l'industrie de la Province de Québec, etc. des Nations Unies et qu'elle avait pris par là l'engagement de conformer
Ces échanges de courtoisie procurèrent au pays quelques avantages sa politique intérieure et extérieure aux principes contenus dans ces actes
concrets, mais ils servirent surtout à mieux faire connaître et apprécier internationaux-.
Haïti et son peuple. Le mécontentement public trouvait encore un aliment dans les
rumeurs qui. couraient au sujet de la SHADA; au sujet des restrictions
En demandant l'investiture papale pour Mgr Louis Colîignon comme
imposées sur des articles d'importation dont certains favorisés faisaient
évêque des Cayes, le Président Lescot a le mérite d'avoir introduit en
Haïti la Congrégation des Missionnaires Oblats de Marie-Immaculée, à l'objet d'un trafic illicite; au sujet des abus auxquels donnait Heu —
laquelle appartient ce prélat. Une convention du 7 mars 1943 a assuré répétait-on — la prétendue « nationalisation » des biens des ressortissants
des assises permanentes à cette Compagnie qui, bientôt suivie par d'autres des pays ennemis.
communautés religieuses franco-américaines et canadiennes, travaille de L'affaire de la SHADA semblait particulièrement grave au point de
vue de ses répercussions économiques et sociales. Cette Société s'était en
tout cœur à Fœuvre d'éducation menée dans le pays par le Clergé
effet assigné comme but principal la production du caoutchouc par la
Catholique. En témoignage de gratitude, le R. P. Cornelier apporta à
culture d'une plante indigène à latex, la cripstotegia. Elle avait déjà
M. Elie Lescot, en avril 1944, le diplôme de docteur honoris causa que
dépensé, au 30 septembre 1943, la somme considérable de 4.201.485 dol-
l'Université d'Ottawa, dirigée par les Oblats, avait, décerné au Chef
lars dans cette entreprise. Ce programme de production de caoutchouc
d'Etat haïtien 1 . avait paru insensé à tous ceux qui connaissent les conditions agricoles
d'Haïti et qui préconisaient au contraire, dans les circonstances créées par
:
i Sur l'œuvre sociale accomplie par les Oblats dans le diocèse des Cayes, lire : la guerre, un développement intensif des cultures vivrières. Le gouverne-
« Une Aurore sous ïes Tropiques », par Hélène de Beauraont-La-Roiice, Québec, 1949. ment avait endossé avec ostentation ce programme coûteux, en per-
mettant à la SHADA d'exproprier les paysans, de détruire leurs maisons,
314
315
de dévaster leurs champs, de couper les arbres fruitiers dans toutes les
régions où elle s'établissait. Le rapport d'un agronome haïtien sur ces
en Haïti de ia Charte de l'Atlantique. Dans la livraison du 1er jan-
expropriations et déprédations circula sous le manteau et fît une pénible
impression sur le public, d'autant plus que la culture de la cripstotegia, vier 1946, ils firent en termes sévères le procès de M. Sténio Vincent qui,
autour de laquelle on avait mené si grand bruit dans la presse américaine, ayant recueilli pour lui-même tout le bénéfice de la campagne patrio-
n'avait pas permis d'exporter une seule tonne de caoutchouc. Ainsi des tique entreprise contre l'Occupation américaine, avait, par la Constitution
millions de dollars avaient été dépensés en pure perte I dictatoriale de 1935, ouvert la voie à ia tyrannie gouvernementale. Aucune
allusion directe n'était faite au régime de M. Lescot, mais celui-ci se
Quand la SHADA eut été forcée d'abandonner son programme de
sentit visé. Appelés au ministère de l'intérieur, les rédacteurs de La Ruche
caoutchouc, le gouvernement fut incapable d'obtenir une compensation reçurent, sous peine de sanctions sévères, l'ordre formel de cesser leur
équitable pour la réparation des dommages faits aux propriétés rurales; publication. Ils furent ensuite conduits au bureau de la police, où ils
et il dut recourir à un accord avec l'Institut des Affaires Interaméricaines passèrent toute la journée du 3 janvier.
(28 août 1944) pour l'exécution d'un plan coopératif de production de La nouvelle de cette arrestation excita considérablement les esprits.
vivres alimentaires dans les zones où l'on avait procédé à l'arrachage des Le matin du 7 janvier, les élèves (de 10 à 18 ans) du Collège de Port-
plants inutiles de cripstotegia. au-Prince, un établissement privé d'enseignement secondaire, partirent
de l'Avenue de Turgeau et se rendirent au Champ-de-Mars en manifes-
tant contre la dictature. Refoulés par la police, ils se réfugièrent dans ia
cour de l'Ambassade des Etats-Unis. L'attaché militaire américain, Major
On apprit, vers octobre 1944, qu'un complot contre la vie du Chef Peterson, les accompagna jusqu'à la sortie et recommanda aux policiers
de l'Etat avait été découvert et que les auteurs de cette tentative avaient de n'exercer contre ces jeunes gens, presque des enfants, aucun mauvais
été condamnés, à la suite d'une instruction secrète, par une cour mar- traitement. Le mouvement de protestation n'en continua pas moins et,
tiale siégeant aux Casernes Dessalines. L'atmosphère politique déjà si sous la direction d'un groupe d'étudiants réunis à la Faculté de Médecine,
lourde devint alarmante quand des mains inconnues distribuèrent dans il prit vite une ampleur inquiétante. Le 8 janvier, parlant à la radio
le public des centaines d'exemplaires de la traduction française d'une comme « Chef Suprême des Forces Armées », le Président Lescot demanda
lettre personnelle, adressée à M. Elie Lescot par un Chef d'Etat étranger aux agitateurs de cesser leurs « activités » et annonça que des mesures
qui l'accusait explicitement d'avoir eu des faiblesses blâmables dans drastiques seraient prises, au besoin, pour rétablir l'ordre public. Et il
l'exercice de ses fonctions de représentant diplomatique d'Haïti à Ciudad- ajouta d'une façon dramatique : « La Nation est prévenue. Le monde
Trujillo et à Washington. Ces révélations émurent profondément l'opinion entier est averti. » Dans une proclamation faite le lendemain, il réitérait
publique et attristèrent bon nombre d'Haïtiens qui, bien qu'ils ne se son avertissement de la radio et interdisait toute manifestation sur la voie
fussent jamais mêlés de la politique du gouvernement, avaient gardé de publique, en invitant les pères et mères de famille à retenir leurs enfants
la sympathie à M. Lescot à cause de ses réelles qualités d'homme privé. au foyer, car filles et garçons des écoles avaient maintenant pris posses-
On remarqua, d'autre part, que les relations du gouvernement avec le sion de la rue. Mais ce que M. Lescot considérait comme une manifes-
Département d'Etat ne paraissaient pas être aussi cordiales qu'au début. tation puérile et sans importance marquait bien le réveil de la conscience
Dans ses discours, le président ne mettait plus l'accent, comme autrefois, nationale trop longtemps réduite au silence. Les fonctionnaires des
sur la nécessité impérieuse de suivre en tous points la politique de la bureaux publics, les commerçants et boutiquiers, même les employés des
«généreuse et puissante voisine» du nord : il invoquait sans cesse le administrations dirigées par des Américains avaient suivi.les écoliers et
principe de la souveraineté nationale comme s'il craignait une interven- étudiants dans la grève. Et déjà des rixes nombreuses s'étaient pro-
tion étrangère quelconque dans les-affaires intérieures d'Haïti. duites entre la police et les manifestants, parmi lesquels se rencontraient
La divulgation de cette lettre infamante vers novembre 1945 et les des hommes et des femmes de toutes les conditions sociales.
bruits concernant un désaccord possible avec les Etats-Unis n'ont pas été Le cabinet se rendit compte de la gravité de la situation et, sur le
sans quelque influence sur les événements qui allaient mettre fin au conseil du propre fils du président, M. Gérard Lescot, ministre des rela-
régime de M, Lescot. tions extérieures, décida, dans la journée du 10, de remettre sa démission
au Chef de l'Etat pour lui permettre de résoudre la crise en faisant appel
La fin d'un régime. — Deux jeunes gens, Théodore Baker et René à de nouveaux collaborateurs. M. Lescot consulta différentes personna-
Dépestre, fondèrent un petit journal hebdomadaire La Ruche, dont le lités politiques et promit de faire, le vendredi 11, une déclaration solen-
premier numéro parut le 7 décembre 1945. Ils se déclarèrent, dès le début, nelle à la radio. Cette déclaration ne vint jamais. La combinaison minis-
opposés à toute forme de despotisme et réclamèrent la sincère application térielle paraissait déjà avoir été mise sur pied quand, se présentant au
Manoir des Lauriers, résidence de M. Elie Lescot, deux délégués du Comité
316
317
des Grévistes firent entendre au Chef de l'Etat que le peuple réclamait sa
démission. Il était deux heures de l'après-midi.
A quatre heures de cette journée mémorable du 11 janvier 1946, le
colonel Franck Lavaud, Chef d'Etat-Major général de la Garde d'Haïti,
lut à la radio la proclamation suivante :
« Devant la situation exceptionnellement tragique que connaît le pays
à l'heure actuelle et l'impossibilité, pour le Gouvernement, de former un
nouveau cabinet dans lequel seraient représentés tous les partis qui ont CHAPITRE XXVIII
exprimé leurs desiderata, devant l'échec des efforts tentés de bonne foi
pour arriver à une conciliation qui ramènerait l'ordre et le calme dans la
vie haïtienne, l'Armée, par l'organe de son Haut Etat-Major, a pris la
décision de demander au Président de la République d'abandonner ses
pouvoirs, et de se constituer en Comité Exécutif Militaire pour assurer Le Comité Exécutif Militaire
les obligations de l'Etat, en attendant la solution des problèmes qui se
posent.
« Nous n'avons aucune ambition politique. Nous désirons seulement
obtenir que la quiétude revienne dans les familles et la paix dans les
rues. Nous garantissons la sécurité aux institutions haïtiennes et étran-
gères. Nous garantissons toutes les libertés demandées pour l'instauration Le Comité Exécutif Militaire tint à marquer, par une proclamation
du 12 janvier 1946, que son intervention de la veille s'inspirait unique-
d'un régime entièrement démocratique. Dès que le calme reviendra — et
ment de la ferme volonté de l'Armée d'Haïti de «mettre le salut de la
nous sommes persuadés que le peuple haïtien comprendra la nécessité patrie au-dessus des intérêts des particuliers et d'éviter l'anarchie et le
de nous aider à le ramener — nous garantissons que le peuple sera désordre qui provoqueraient des complications qu'aucun patriote sincère
appelé à élire librement ses représentants, et le Comité Exécutif Militaire ne pouvait désirer ».
remettra le pouvoir à celui qui aura été choisi par les mandataires de
Le même jour, répondant à l'une des principales réclamations du
la Nation.
peuple haïtien, le Comité Exécutif décréta la dissolution des Chambres
« Nous faisons un appel urgent au Peuple Haïtien pour qu'il noUvS
législatives, devenues complètement impopulaires à la suite de la revision
fasse confiance et reprenne immédiatement la vie normale — condition
constitutionnelle du 19 avril 1945. Il voulut, d'autre part, former un
essentielle d'une sage et rapide solution des problèmes actuels. L'ex- cabinet chargé de diriger les différents départements ministériels, mais.il
Président Elie Lescot est actuellement prisonnier en sa résidence au lui fut impossible de constituer un ministère civil d'union nationale, dans
Manoir des Lauriers, sous la surveillance de l'Armée. » lequel seraient représentés tous les partis. Il se trouva en effet en pré-
Le Comité Exécutif Militaire était composé du Colonel Franck Lavaud, sence d'une multitude de partis qui-, en vingt-quatre heures, avaient
président, du Major Antoine Levelî, directeur de l'Académie Militaire, et poussé comme des champignons et dont chacun, se prétendant le vrai
du Major Paul E, Magloire, commandant de la Garde du Palais National. représentant des masses populaires, entendait jouer un rôle prépondérant
M. Elie Lescot et sa famille s'embarquèrent, la nuit du 14 janvier, dans les affaires de la République. Chaque groupe désirait naturellement
dans un avion qui les transporta à Miami, et de là ils se rendirent par être représenté dans le cabinet, et ils étaient plus de cinquante.
chemin de fer au Canada. Ne pouvant les mettre d'accord, le Comité Exécutif décida de confier
la direction des diverses branches de l'administration à des militaires
hautement qualifiés : Colonel Benoît O. Alexandre, docteur en médecine
(éducation nationale), Major Antoine Levelt, directeur de l'Académie
Militaire (relations extérieures et cultes), Majox Albert, lenard, ingénieur
(travaux publics et agriculture), Major P. E. Magloire, licencié en droit,
avocat (intérieur et défense nationale), Capitaine Eugène Kerby, avocat
(justice et travail), Capitaine A. Duviella, chef de la comptabilité de
l'Armée (finances et commerce). Dans une note officielle, le Comité
Exécutif fit savoir que « les officiers chargés des différents départements
ministériels s'étaient mis, avec le plus complet désintéressement, au
318 service de la nation et qu'ils renonçaient à toutes indemnités attachées

319
les mesures rigoureuses que commanderait la situation; si elle venait à
aux fonctions qu'ils occupaient, ne désirant jusqu'à la fin recevoir du empirer. Les Etats-Unis d'Amérique avaient en effet décijdé d'adopter une
trésor public que leur solde d'officiers de l'Armée d'Haïti ». Cette décla- attitude de réserve prudente à l'égard de tout gouvernement issu d'un
ration produisit une très favorable impression. mouvement révolutionnaire, jusqu'à ce que celui-ci etfjt fait preuve de
stabilité et démontré qu'il représentait vraiment la volonité de son peuple.
Les chancelleries américaines étaient entrées en consultation au sujet des
Mettant fin à une ardente controverse entre les partisans de l'élection affaires d'Haïti et s'étaient abstenues de toute décision j cette abstention
d'une chambre unique — une Constituante chargée simplement de voter signifiait qu'elles tenaient en suspicion le Comité Exécutif, à cause peut-
une nouvelle Constitution — et ceux qui préconisaient le retour à la être de sa formation exclusivement militaire. ,
Constitution de 1932 mise au rancart par M, Vincent,,le Comité Exécutif
Militaire résolut, par décret du 12 février, d'appeler les assemblées "pri-
maires à se réunir le 12 mai 1946 à l'effet d'élire les députés, les séna- Une pareille situation était extrêmement embarrassante et même dan-
teurs et les conseillers communaux, d'après la procédure établie par la gereuse. Pour en sortir, le Major Levelt, chargé du ministère des relations
loi électorale modifiée du 4 juillet 1930. Cette loi, qui avait été rédigée extérieures, confia à M. Dantès Bellegarde, ancien ministre plénipoten-
par un juriste de grande valeur, M. Rodolphe Barau, ministre de Tinté- tiaire aux Etats-Unis, la mission délicate d'obtenir du Département d'Etat
rieur du gouvernement provisoire de M. Eugène Roy, contenait des à Washington la reconnaissance du Comité Exécutif Militaire comme
prescriptions très rigoureuses sur la tenue des assemblées primaires et gouvernement provisoire de la République. Arrivé dans la capitale fédé-
comportait des pénalités sévères contre toute personne coupable de rale le samedi 23 mars 1946, l'envoyé haïtien fut reçu le lundi 25 mars
fraude ou tout fonctionnaire convaincu d'avoir essayé d'influencer ou par le Secrétaire d'Etat adjoint Spruille Braden qui, après avoir entendu
de paralyser les élections. Ainsi élues au suffrage direct, les deux son exposé, lui donna l'assurance que le gouvernement américain pren-
chambres (Chambre des députés et Sénat) auraient à se réunir en drait à l'égard d'Haïti une prompte décision à la suite d'une consultation
Assemblée nationale, et celle-ci devrait d'abord donner au peuple haïtien avec les autres chancelleries d'Amérique. Au 3^ avril, six pays — la
une nouvelle Constitution et procéder ensuite à l'élection du Président République Dominicaine, le Honduras, l'Uruguay, le Mexique, le Pérou et
de la République. Cuba — avaient déjà fait connaître au Comité Exécutif Militaire qu'ils le
reconnaissaient comme le gouvernement provisoire d'Haïti. Une note dans
ce sens fut remise à M. Bellegarde le 8 avril par le Département d'Etat,
Malgré les mesures prises pour assurer le maintien de l'ordre et le tandis qu'à Port-au-Prince l'Ambassade des Etats-Unis accomplissait la
fonctionnement régulier des services publics, le Comité Exécutif Militaire même formalité auprès du ministère des relations extérieures. Pour
était devenu la cible de violentes attaques. Des défenseurs du peuple marquer cette reprise de relations diplomatiques normales avec les Etats-
avaient surgi de toutes parts, et des meneurs forcenés, reprenant à leur Unis, le Comité nomma M. Dantès Bellegarde ambassadeur d'Haïti à
profit le thème favori du préjugé de couleur ou prêchant la lutte des Washington, et celui-ci présenta ses lettres de créance au Président
classes, excitaient la populace des faubourgs contre ceux qu'ils appelaient Truman le 3 juin 1946 *
les «bourgeois». On parlait dans certains milieux de renouveler les La reconnaissance officielle du Comité Exécutif Militaire raffermit
sanglantes journées des 22 et 23 septembre 1883. On passa, même à son autorité à l'intérieur, lui permit de prendre des mesures importantes
l'action par le pillage organisé de la Maison Bâta de Port-au-Prince. d'ordre financier pour ranimer l'activité économique du pays et lui donna
Un moment désemparé, le Comité pensa à remettre ses pouvoirs à l'avantage, grâce à l'atmosphère sympathique créée en sa faveur au
la Cour de Cassation, mais les membres de ce haut tribunal refusèrent de Département d'Etat, d'obtenir du Gouvernement des Etats-Unis des allo-
prendre une telle responsabilité en un temps où, par suite du déchaîne- cations plus élevées de certains articles indispensables de consommation
ment des passions, l'emploi de la force paraissait devoir être inévitable. courante, dont l'exportation était strictement contingentée.
Ce qu'il fallait surtout craindre, c'était que l'agitation, farouchement
entretenue à la capitale, ne s'étendît à la province et ne provoquât, dans
les principaux chefs-lieux de département, la constitution de comités La loi électorale du 4 juillet 1930, remise en vigueur, reçut plusieurs
révolutionnaires séparatistes. modifications, dont chacune visait à lui conférer une plus grande efficacité
Le Comité Exécutif s'était rendu compte de ce qui faisait sa principale
faiblesse : n'étant pas reconnu par les puissances étrangères comme ïe i Voir Dantès Bellegarde : Dessalines a parlé, Société d'Edition et de Librairie,
gouvernement de facto de la République d'Haïti, il ne se sentait pas Port-au-Prince, 1947.
l'autorité nécessaire pour parler au nom de la nation haïtienne et prendre
321
320
Les diatribes les plus démagogiques y furent prononcées contre la bour-
geoisie, l'Eglise, les Congrégations catholiques, la fem|me haïtienne, etc.,
au milieu des clameurs d'une populace amenée là pour applaudir ses
en vue d'élections loyales et honnêtes. Le Comité Exécutif Militaire orateurs favoris. Des voies de fait furent même exercées contre des
affirma en maintes occasions sa détermination de s'abstenir de toute députés ou des sénateurs, candidats à la présidence, dont on voulait
ingérence dans les opérations électorales du 12 mai. ruiner le prestige. Pour calmer l'impatience du peuple et mettre fin aux
Dans une circulaire du 7 mars aux commissaires du gouvernement violences d'une foule habilement exploitée par des politiciens, un groupe
près les tribunaux civils, le Capitaine Kerby, chargé du ministère de la de parlementaires proposa à l'Assemblée nationale, toijt en continuant la
justice, écrivait: «Cette consultation populaire doit être affranchie de discussion du projet de constitution, d'adopter la Constitution de 1932 en
toute pression insolite, de toute immixtion susceptible de donner l'im- ce qui a trait à l'élection du président de la République et de procéder
pression que la volonté des citoyens a été violée en faveur d'un groupe de à cette élection à la date fixée du 16 août 1946.
candidats au détriment d'un autre. » De son côté, le Major Magloire,
chargé du ministère de l'intérieur, disait, dans une circulaire du 20 fé-
vrier adressée aux commandants des départements et districts militaires :
« Le Comité Exécutif vous rappelle qu'il a pris rengagement solennel de Cette proposition fut adoptée le 12 août, et le 16, au deuxième tour
donner au peuple des élections libres et loyales, d'où sortira le prochain de scrutin, M. Dumarsais Estimé, député des Verrettçs, ancien ministre
Gouvernement de la République. Son honneur est donc engagé à ne point de l'instruction publique et de l'agriculture, recueillit la majorité des
tolérer que, pour faire le jeu de leurs sympathies personnelles, aucunes suffrages de l'Assemblée nationale comme président de la République
autorités, que leurs fonctions appellent soit directement soit indirecte- d'Haïti pour une durée de cinq ans.
ment à prendre part à l'organisation -de la consultation nationale, y Recevant le même jour des mains du Colonel Lavaud, président du
interviennent pour en fausser le mécanisme. Impartialité et neutralité : Comité Exécutif Militaire, les rênes du pouvoir, le nouveau Chef de l'Etat
telle est la consigne qu'elles doivent strictement s'imposer et que le rendit à l'Armée l'hommage suivant : « Le destin de la Garde d'Haïti a
Comité Exécutif Militaire entend qu'elles observent. Les sanctions admi- été, pendant ces sept derniers mois, d'un ordre surprenant. Appelés à
nistratives les plus sévères et les sanctions légales prévues seront inté- servir de rempart à l'autorité executive, vous avez, à un moment où la
gralement appliquées contre tous contrevenants ». conscience nationale protestait contre la dictature, miraculeusement saisi
La période électorale fut marquée par l'extrême violence des polé- que ce qui doit être servi, c'est le peuple et non celui qui exerce sur lui
miques de presse et par les manifestations bruyantes de partisans dirigées sa tyrannie, et vous êtes passés au service de la révolution du peuple,
contre certaines personnes dont on craignait l'influence ou que l'on couronnant cinq jours de glorieuses revendications par la chute du
voulait intimider. Les élections du 12 mai 1946 eurent lieu cependant dictateur. Puis, vous élevant au-dessus des factions, vous avez pris entre
dans une tranquillité relative, excepté au Cap-Haïtien où une collision vos mains le gouvernement, en sorte que le pays tout entier a,, pendant
sanglante se produisit entre la police et une foule de manifestants..Quand des mois, reposé sur vous,
on' connut la liste provisoire des députés et des sénateurs élus, de vives « Vous étiez en même temps la tête qui commande et le bras qui
protestations s'élevèrent de partout, dénonçant des fraudes, des actes exécute. ïl était facile à ce moment-là de passer à la dictature. Mais vous
de corruption, des interventions illégales. Ces protestations furent.portées aviez fait une promesse et vous l'avez tenue. C'est de cette promesse que
sans succès devant les bureaux spéciaux et le bureau central chargés par sont nés les Chambres législatives et le présent Gouvernement à qui, votre
la loi du recensement des votes. rôle d'Exécutif étant terminé, vous venez de transmettre le pouvoir.-
Le Comité Exécutif Militaire, « considérant que, d'après les procès- Vous avez ainsi — vous qui, par formation, entraînement et discipline de
verbaux des bureaux de recensement, les députés et les sénateurs formant corps, sembliez être nés pour l'exercice du pouvoir absolu — donné à
le Corps législatif avaient été régulièrement et librement élus au cours tous un exemple de désintéressement et d'esprit démocratique, qui ne
de la consultation populaire du 12 mai 1946 », appela le nouveau Corps sera pas oublié. »
législatif à s$ réunir à l'extraordinaire le lundi 17 juin en vue de lui
permettre de se constituer.
L'Assemblée nationale inaugura officiellement ses travaux ie 2 juillet
et se mit en mesure d'exécuter la première partie du programme qui
lui avait été fixé par le décret de convocation des assemblées primaires
du 12 février : discussion et vote d'une nouvelle Constitution. A cet effet,
une commission spéciale, composée de députés et de sénateurs, fut chargée
d'élaborer un. projet de charte constitutionnelle. Elle remit bientôt son 323
rapport, et une discussion interminable, effrénée, se déroula à la tribune.

322 .
hygiénique, éducatif et culturel. Cette commission fit une étude conscien-
cieuse des conditions actuelles du pays et présenta un rapport qui fut
publié en un volume de 362 pages par les soins des Nations Unies \

II
De même qu'il avait transformé la ville-frontière de Belladère confor-
Dumarsais Estimé mément aux règles de l'urbanisme et de l'hygiène publique, le gouver-
nement de M. Dumarsais Estimé entreprit d'assainir et d'embellir les bas
quartiers de la capitale qui offraient l'aspect le plus misérable. Pour
opérer cette transformation, il passa avec la Haïti Commerce Co, repré-
L'élection présidentielle ayant, été faite conformément à la proclama- sentée par M. Murray Knobel, un contrat du 19 juillet 1948 pour l'exé-
tion du 12 août 1946 remettant en vigueur la Constitution de 1932, cution des travaux de génie et d'architecture requis pour une Exposition
l'Assemblée nationale constituante reprit, au milieu des mêmes clameurs du Bicentenaire de Port-au-Prince à organiser en commémoration de la
et récriminations démagogiques, la discussion du projet de charte, Cette fondation de cette ville par les Français en 1749. Ces travaux étaient,
discussion fut close le 22 novembre, date à laquelle la nouvelle Consti- d'après le cahier des charges, évalués à 3,995.998 dollars.
tution«fut signée et proclamée loi suprême de la République d'Haïti. L'ONU et beaucoup de pays d'Amérique et d'Europe, particulièrement
les Etats-Unis, le Venezuela, le Chili, le Guatemala, Cuba, Puerto-Rico,
la Province de Québec, la France, l'Italie, la Belgique, San Marin, parti-
cipèrent brillamment a l'Exposition. La France s'y fit représenter par
Une loi du 15 octobre 1946 institua une commission spéciale chargée une nombreuse délégation que présida M. Gaston Monnerville, président
d'enquêter sur l'administration de l'ex-président Lescot et de « rechercher du Conseil de la République; et M. Jacques de* Lacretelle fut chargé de
tous les faits de concussion, de malversation et de détournement de fonds présenter à la Ville de Port-au-Prince la médaille d'or de l'Académie
signalés par la clameur publique». Une autre loi du 28 février 1947 mit française.
sous séquestre, jusqu'à décision de justice, les biens de l'ancien Chef L'ouverture de l'Exposition, le 8 décembre 1949, donna Heu à une
d'Etat, des membres de son gouvernement et de toutes personnes émouvante manifestation religieuse. Au cours de la cérémonie d'inau-
interposées. guration, que présidait le Cardinal Arteaga, archevêque-de la Havane,
assisté de huit Evêques, on entendit la voix même du Pape Pie XII qui,
parlant du poste Radio-Vatican, adressa sa bénédiction au peuple d'Haïti
La loi du 12 juillet 1947 autorisa le Gouvernement à émettre un et fit des vœux pour la paix universelle, dont l'Exposition de Port-au-
emprunt — dit de la Libération financière — de dix millions de dollars, Prince était une manifestation significative en ces temps troublés de
monnaie des Etats-Unis d'Amérique, au taux d'émission de 99 pour cent l'histoire du monde.
et portant intérêt de 5 % l'an.
En vertu du contrat de vente de 1935, sanctionné par les lois des
28 mars et 21 mai 1935, la Banque Nationale de la République d'Haïti Le 6 juillet 1949, un accord fut conclu à Washington entre le repré-
était devenue propriété de l'Etat haïtien :* la loi d'emprunt modifia la sentant du Gouvernement haïtien et celui de la Export-Import Bank pour
composition de son conseil d'administration, dont les membres, nommés le financement d'un projet comportant des mesures d'ensemble pour la
par le Président de la République pour cinq ans, ne peuvent être révoqués lutte contre les inondations, des travaux d'irrigation et d'assèchement,
que pour « détournement de fonds, incompétence manifeste ou conduite y compris la construction de routes tributaires, dans la Vallée de î'Arti-
irrégulière entraînant la perte des droits civils et politiques ». bonite. et aussi les travaux nécessaires pour le développement agricole et
le peuplement des terres situées dans la région. Le coût de ces travaux
était estimé à 6 millions de dollars.
Par cet accord, qui fut sanctionné par la loi du 30 août 1949, la
Sur la sollicitation du gouvernement haïtien, le Secrétariat général Export-Import Bank s'engageait à faire à Haïti des avances jusqu'à
des Nations Unies confia à une mission d'assistance technique, présidée
par M. Ànsgar Rosenborg, le soin d'enquêter sur la situation générale
d'Haïti et de recommander les mesures qu'il conviendrait de prendre * Nations Unies : Mission en Haïti, juillet 1949.
pour améliorer cette situation au point de vue économique, financier,
325
324
7
Les élections eurent lieu le 10 janvier 1950. La session législative
concurrence de quatre millions de dollars, en couverture desquelles s'ouvrit en avril, et, le 18, le Sénat vota, à la majorité de 13 de ses
avances le Secrétaire d'Etat des finances était autorisé à signer, pour le membres, une Résolution par laquelle, interprétant l'article 145, 2^ alinéa,
compte du gouvernement haïtien, des billets à ordre. de la Constitution de 1946, il refusa de se joindre à la Chambre des
députés pour procéder à la révision constitutionnelle.
Cette décision du Sériât ruinait les plans du Ch,ef| de l'Etat et de ses
partisans. Le matin du 8 mai, une foule, venue des faubourgs de la ville
Les rapports entre le gouvernement haïtien et le gouvernement et ostensiblement conduite par des fonctionnaires | du gouvernement,
dommicain s'étaient considérablement refroidis dans les derniers mois de envahit la salle des séances du Sénat, la mit à saq et se répandit au
l'administration de M. Lescot. Ils étaient redevenus cordiaux, comme dehors, en proférant des menaces de mort contre certains sénateurs et
paraissaient l'attester un échange de missions officielles en janvier et autres personnes accusés de trahison. Dans Le Moniteur du même jour,
avril 1947 et, particulièrement, l'élévation au rang d'ambassade des le Président de la République adressa un message au peuple haïtien dans
légations des deux pays. lequel il se solidarisait avec la foule des manifestants dans leur acte de
Dans le second semestre de 1949, une nouvelle tension se produisit vandalisme contre le Sénat, « Votre éloquente attitude de ce matin —
et prit une acuité dangereuse à la fin de la même année. Le Gouverne- disait-il — qui est sans précédent dans notre histoire, témoigne de votre
ment, à «deux reprises» saisit du conflit le Conseil dé l'Organisation maturité politique et de votre participation directe à vos affaires. »
des Etats Américains qui, après enquête, adopta en sa séance du 8 avril L'Armée refusa de s'associer à cette politique d'anarchie, qui visait
1950 une série de recommandations à présenter aux deux gouvernements à là dissolution du Sénat, et le 10 mai, le journal officiel publiait la
en vue de la normalisation de leurs relations. L'une de ces recomman- proclamation suivante, signée du Général Franck Lavaud, du Colonel
dations leur suggérait d'étudier les termes d'un accord qui comporterait : Antoine Levelt et du Colonel Paul E. Magloire ;
1° des clauses spéciales visant à empêcher les habitants, nationaux ou « Le Pays, depuis le 3 avril dernier, traverse une situation compliquée
étrangers, de chacun des deux pays de participer à des entreprises de et dangereuse qui a arrêté la vie de la Nation.*Des éléments inquiétants
quelque nature que ce soit susceptibles d'altérer l'ordre à l'intérieur se sont habilement infiltrés dans les positions-clés du Gouvernement de
du pays voisin ; 2° des règles relatives à l'emploi et à. la protection des la République et, par leur action, maintiennent une agitation continue
%
travailleurs haïtiens en République Dominicaine. dans les esprits.. »
« Le Président de la République a perdu le contrôle des événements
qui se sont développés avec une extrême rapidité, vu l'ambition de certains
depuis le rejet de la révision constitutionnelle par le Sénat.
Une loi de révision constitutionnelle fut votée par le Corps législatif « Devant cet état de choses inextricable et devant l'impossibilité pour
le 1 er juillet 1949. Elle dénonçait 21 articles et les articles A et'E des le pays de continuer sa marche dans le calme et dans la paix, l'Armée,
dispositions transitoires de la récente Constitution de 1946. L'article A pour ne pas avoir à se trouver devant une situation incontrôlable^ a
iixant la fin du mandat de M. Dumarsais Estimé au 15 mai 1952, décidé, par l'organe de son Etat-Major, de prendre les mesures néces-
tout le monde comprit que le projet de révision n'avait d'autre but que saires pour la sauvegarde de la paix publique,
de lui permettre de prolonger la durée de son mandat, contrairement « De l'accord unanime des Officiers, il a été demandé aux membres
à l'article 81, également dénoncé, qui prescrivait que le président « n'était de la Junte de 1946 d'accepter une nouvelle fois à se dévouer au salut
pas immédiatement rééiigible et ne pouvait en aucun cas bénéficier de de la. Patrie.
prolongation de mandat». « En face des graves dangers que courent le pays et la vie des familles
L'opinion commença à s'agiter, et cette agitation augmentait à mesure nous avons endossé la responsabilité de dénouer la crise.
qu'approchait la date des élections, fixée au 10 janvier 1950, pour le « Nous, donnons l'assurance, comme nous l'avons fait dans un récent
renouvellement de la Chambre des députés. Un arrêté du 14 novembre passé, que nous respecterons intégralement les engagements interna-
1949 rétablit l'état de siège sur toute l'étendue du territoire de la Répu- tionaux pris par la République d'Haïti; nous maintiendrons les normes
blique, Une grève s'étant déclarée parmi les étudiants de la Faculté de démocratiques et garantissons la sécurité publique et le respect des biens.
Médecine et de l'Ecole Polytechnique, le Gouvernement l'attribua à la « Nous demandons à tous de nous donner leur appui moral pour nous
propagande communiste répandue par le Parti Socialiste Populaire, aux aider dans la lourde tâche que nous assumons aujourd'hui.
activités du Mouvement Ouvrier Populaire et à la collusion de ces partis « Le Président Estimé, ayant démissionné, se trouve ainsi que sa
avec le Parti Social Chrétien. Il ordonna, en conséquence, la dissolution famille sous notre entière protection, »
de ces partis et la fermeture de leurs organes de publicité.
327
326
III

La Junte de Gouvernement
CHAPITRE XXIX

La Junte de Gouvernement de la République, ainsi composée du Paul Eugène Magloire


Général Franck Lavaud, du Colonel Antoine Leveit et du Colonel Paul
Magloire, prit le même jour du 10 mai 1950 un arrêté qui, « vu l'impos-
sibilité dans laquelle se trouvaient les deux Chambres législatives de
s'entendre et considérant leur impopularité », les déclara dissoutes.
Un cabinet, formé de militaires et de civils, fut nommé par arrêté du
12 mai, et* un décret de la Junte de Gouvernement du 5 juin créa un A une grande cérémonie qui eut lieu au Palais National le 6 dé-
Conseil Consultatif ayant pour attributions de procéder à l'examen appro- cembre 1950, le Président-Elu, M. Paul Eugène Magloire, prêta serment
fondi; de toutes questions d'intérêt public qui lui seraient soumises; de sur la nouvelle Constitution et assuma les pouvoirs de Chef de l'Etat,
recueillir à l'égard de ces questions toutes informations et documenta- qui lui furent transmis par le Général Lavaud, président de la Junte
tions utiles et de les transmettre à l'autorité compétente; d'élaborer le de Gouvernement.
texte des projets de décrets, règlements et autres actes administratifs ou A cette occasion, le Président Magloire adressa au peuple haïtien un
de gouvernement; et, enfin, de formuler son avis motivé, toutes les fois message qu'il nous paraît intéressant de reproduire dans son intégralité.
qu'il en serait requis, sur toutes matières se rapportant à l'administration
du pays.
Un décret de la Junte de Gouvernement en date du 3 août convoqua « En inaugurant aujourd'hui notre mandat de Président de la Répu-
les assemblées primaires à l'effet d'élire le Président de la République, blique, toute notre pensée a été pour vous qui, usant pour la première
les Sénateurs, les Députés et les membres de l'Assemblée Constituante. fois du droit de désigner directement celui qui doit être le premier parmi
Ce décret de convocation comportait une très importante nouveauté : les serviteurs de la Patrie, nous avez fait l'honneur de nous juger digne
l'élection directe par le peuple du Chef de l'Etat. Les conditions dfe la de ce grand et périlleux honneur. C'est à un soldat avare de ses mots,
consultation populaire furent réglées par un décret électoral du 4 août, mais pour qui ceux-ci ont leur sens et leur valeur, que vous avez confié
et les élections fixées au dimanche 8 octobre. la gestion de vos intérêts et la garde de vos droits, tels qu'ils sont
Le Colonel Magloire, qui occupait dans le cabinet ministériel le poste garantis et conditionnés dans la Constitution libérale que, par vos hono-
de secrétaire d'Etat de l'intérieur et de la défense nationale, remit sa rables mandataires, vous avez donnée à la Nation, Ce soldat vous dit :
démission le 3 août et se porta candidat à la présidence de la République. merci, et prend par ce mot l'engagement solennel de ne pas démériter
Les élections eurent lieu dans toutes les communes le 8 octobre; et du plus humble de vous tous, et de travailler jusqu'au suprême sacrifice
le 23 octobre 1950, le Bureau Central de Recensement proclama Président à garder intacte la confiance que vous lui avez faite. Plus que jamais
de la République le Colonel Paul Eugène Magloire, qui avait obtenu nous restons à votre service; nous y serons jusqu'au dernier jour de
presque l'unanimité des suffrages. Furent également proclamés : 37 dé- notre mandat, avec cette même ardeur que nous apportons dans la lutte
putés, 21 sénateurs et 17 membres de l'Assemblée Constituante. et un courage qu'aucun revers ni aucune déception ne pourront affaiblir.
L'Assemblée Constituante se réunit dans la ville des Gonaïves, élut Soldat, nous sommes à la disposition de la Nation et nous ne désobéirons
comme président M. Dantès Beîlegarde et, au cours de nombreuses pas à ses injonctions.
séances tenues du 3 au 25 novembre, vota une Constitution, qui, par sa «Au seuil de notre Gouvernement, nous tenons à affirmer, avec
publication au journal officiel, Ée Moniteur du 28 novembre 1950, est toute la sincérité qu'il convient d'apporter à l'étude de nos problèmes,
devenue la loi suprême de la République d'Haïti \ que nous n'entendons flatter aucune clientèle politique, encore moins
verser dans une démagogie dangereuse en faisant des promesses miri-
fiques que les ressources du pays ne nous permettraient pas de réaliser.
iVoir plus loin le texte de la Constitution du 25 novembre 1950.

328 329
1
C'est cette règle d'honnêteté politique, que nous avons scrupuleusement
L'abandon dans lequel est laissé le campagnard est le principal obstacle
observée dans nos démarches de toujours et que nous avons maintenue
à notre évolution économique, puisque, sans conteste, presque toutes nos
dans l'élaboration du programme que nous avons proposé à l'agrément
possibilités et nos prévisions tiennent au lopin de terre qu'il cultive en
du peuple dès le moment où il nous avait offert sa confiance, et qui,
l'arrosant de sa sueur et qui nous donne le café, le cacao, la figue-
dans sa rigoureuse concision, procède de notre souci constant de vérité
banane et les vivres alimentaires. Ce n'est pas seulement un souci de
et de mesure. réparation et d'encouragement à accorder à l'homme de la terre qui
« Faut-il, d'ailleurs, vous rappeler que nous sommes l'aboutissant milite en faveur de cette politique d'assistance agricole, mais aussi des
d'une série de Gouvernements et qu'ainsi nous recueillons une succession raisons économiques et administratives sérieuses, que nous ne devons
qu'il ne nous a pas été donné de préparer ? pas négliger parce qu'elles conditionnent toutes les autres démarches du
«Par suite d'incompréhension des problèmes véritables de" notre Gouvernement pour le relèvemeent matériel et moral du pays. Ainsi,
économie, nos revenus sont devenus de plus en plus précaires. Certains l'organisation de la section rurale, qui sera envisagée par le gouvernement
de nos prédécesseurs n'ont fait que le déplorer ; d'autres sont passés au et de laquelle dépendent, au premier chef, la renaissance des provinces
large de la solution. La situation est restée la même quand eiîe n'a pas et, conséquemment, la décentralisation des activités du pays et de l'admi-
été aggravée. Aussi nos possibilités financières actuelles ne nous per- nistration publique — l'organisation de la section rurale ne sera possible
mettent pas d'envisager, avec toute l'envergure désirable, l'exécution à qu'en raison du statut économique et social qui aura été donné au
courte échéance du programme véritable d'organisation et d'équipement campagnard par des lois et des mesures qui lui garantissent de meilleures
qu'avec raison le Pays attend depuis longtemps et qu'il espère de notre conditions de vie, un juste bénéfice de son travail et une stabilité qui
gestion. Cet état de choses, qui nous vaut le marasme dont nous nous l'encourage à élargir et à intensifier sa production. II importe de faire
plaignons tous, ne changera pas tant que nous ne procéderons selon la renaître la Commune, laissée jusqu'ici complètement à l'abandon. Il faut
logique, c'est-à-dire tant que nous n'aviserons aux moyens de créer et que la vie nationale, qui semble se confiner de plus en plus au centre du
d'augmenter les ressources indispensables pour assurer un départ sérieux. pays, gagne la périphérie pour donner à toutes nos populations quelque
« C'est donc, avant tout, à la base de notre économie, la terre, et à raison d'être.
tous ceux qui, depuis toujours, luttent par leurs seuls et héroïques moyens « Si nous soulignons, de façon particulière, la nécessité du développe-
pour la mettre en valeur et tirer d'elle la substance même de l'Etat, ment agricole, c'est parce qu'il représente, à notre sens, la pierre angu-
qu'il faut aller si l'on veut donner une impulsion nouvelle aux affaires du laire de notre structure économique et le seul moyen en notre pouvoir,
pays. C'est parce que nous pensons ainsi, en toute sincérité et en toute pour le moment, de constituer des ressources qui nous donnent une
bonne foi, que notre Gouvernement s'engage à accorder l'importance certaine indépendance financière et une liberté d'action pour la réali-
qu'ils méritent et la garantie qui leur sera nécessaire aux projets qui, sation d'un programme appréciable.
avec un sens averti des réalités, seront élaborés, grâce au concours de
techniciens et de capitalistes haïtiens ou étrangers, pour la revalorisation
de notre sol et l'équipement de nos campagnes; c'est aussi pourquoi nous « Nous savons tous qu'il faut plus d'écoles et surtout plus d'écoles
serons disposés à encourager et à protéger par des lois adéquates tous primaires urbaines et rurales pour abolir cet esclavage de l'ignorance,
investissements honnêtes et de nature à contribuer au relèvement de qui pèse encore sur les quatre-cinquièmes de nos populations et empêche
notre potentiel économique. leur évolution politique et morale; il faut des routes qui favorisent l'essor
« Mais en dehors des projets agricoles proprement dits, qui seront économique et social de tous les coins de la République, qui assurent les
sérieusement exécutés par noire Gouvernement pour une augmentation communications entre les centres producteurs, les bourgs et les villes, et
progressive de la production de nos denrées exportables, pour l'intensifi- en même temps permettent aux touristes de jouir de nos sites uniques;
cation de la culture des produits alimentaires, l'amélioration et le déve- il faut une bonne police rurale pour une organisation saine et stable de
loppement des réseaux d'irrigation, la conservation du sol, toutes réali- la vie paysanne; il faut des industries qui transforment nos matières
sations qui, à la longue, redonneront vie et abondance aux plantations — premières et emploient les bras de nos centres surpeuplés; il faut des
en dehors de ces projets, nous avons pensé à mettre à l'étude un pro- hôpitaux et des médecins qui soient à leur tâche pour soulager les
gramme, rêvé depuis plus de. cent ans, mais jamais concrétisé, d'aide misères physiques; il faut tout cela et beaucoup de choses encore; mais
financière aux coopératives et aux planteurs indépendants, que le manque il faut surtout et d'abord créer nos ressources, constituer l'assiette éco-
de moyens et d'assistance technique met le plus souvent à la merci des nomique et financière, qui permettra d'entamer sérieusement la réali-
* spéculateurs trop exigeants, lesquels accaparent ainsi des terres qu'ils ne sation de tous les projets que notre sens des responsabilités comme notre
cultivent pas eux-mêmes, ou des denrées qu'ils n'ont pas produites. patriotisme envisagent pour le bonheur du peuple haïtien.

330 331
« Il serait, cependant, aussi illusoire que dangereux de penser que le
Gouvernement peut tout seul, par de simples lois et des mesures admi-
nistratives — quelque équilibrées qu'elles puissent être — mener à bien des femmes qui ne sauraient renoncer à leurs droits ni vivre dans le
cette tâche qui incombe autant à chaque citoyen qu'à l'administration silence de la conscience qu'imposent les rideaux de fer.
publique! C'est sur la bonne volonté, le courage et l'esprit de sacrifice de « A ce moment délicat de notre histoire, où nous sommes appelé par
chaque homme et de chaque femme d'Haïti que nous comptons pour nous J e peuple à faire la preuve d'une administration nouvelle, nous ne sau-
lancer dans la grande expérience que réclame le pays, Mais il importe, rions oublier notre Armée, dont le véritable esprit fait de discipline, de
avant toutes choses, que soient exclus de notre collaboration les préjugés, respect des lois et des traditions les plus nobles s'est constamment
les haines et les méfiances si savamment et si méchamment entretenus manifesté. Aussi les événements de 1946, au cours desquels le rôle émi-
jusqu'aux dernières campagnes électorales pour servir des intérêts, qui nemment social et humain du soldat trouva l'occasion de s'affirmer, n'ont
n'ont rien de commun avec ceux du pays. C'est parce que nous avons fait que renforcer l'intégration de notre Corps dans l'estime de la Nation.
La gardienne vigilante des institutions nationales et des libertés devait
une juste perception des réalités et une saine conception de notre rôle
trouver, dans ce mouvement d'émancipation et de justice, une parfaite
que nous avons, de notre côté, prêché l'union de la famille haïtienne.
application des principes qui constituent son fonds propre. Dans le climat
Nous aussi, plus intensément peut-être que certains, avons souffert de
de confiance et de stabilité, que nous voulons créer, la contribution de
voir commettre des injustices et des discriminations entre hommes d'une
notre Armée doit être effective pour éviter que se renouvellent les tra-
même race et attachés par toutes leurs fibres à une Patrie qu'ils portent
hisons contre la liberté et contre les institutions.
tous à la même place dans leur cœur; nous professons qu'on ne change
rien à cette situation quand à une faute on oppose une autre faute, mais « Nous désirons que tous les actes de notre Gouvernement soient
que l'on commet envers la Patrie le crime monstrueux d'inciter aux luttes portés à votre connaissance; qu'ils subissent votre examen et vos
intestines qui la ruinent et compromettent sa souveraineté. critiques. C'est dans ce but que nous entendons garantir à notre presse
« Il y a, certes, un redressement à faire en faveur de ceux qui ont été la liberté dont elle jouit déjà, ainsi qu'il en est dans tous les pays où les
frustrés des droits et privilèges auxquels peuvent prétendre tous les citoyens sont jaloux de leurs opinions. Aucune restriction, en dehors de
citoyens, selon leurs mérites et leurs capacités. C'est l'une des tâchés celles prévues par la loi, et qui sont nécessaires à l'exercice même de
principales que se propose notre Gouvernement; mais dans l'intérêt même cette liberté, ne sera apportée aux moyens de diffusion des idées. Comme
nous serions heureux, toutefois, si, s'écartant de la critique simplement
de la cause des humbles et des exploités et par amour pour notre pays
destructive, notre Presse haussait d'un ton sa vocation pour aider le
dont nous ne voulons pas être les propres fossoyeurs, nous nous refusons
Gouvernement, par des suggestions utiles, à résoudre les problèmes
à employer les moyens fratricides et les procédés de désagrégation sociale.
essentiels à notre évolution !
« Tous ceux qui portent en eux l'amour du pays et qui comprennent
la nécessité des mesures propres à assurer sans délai la stabilité politique, « Peuple haïtien — Nous avons mesuré les obstacles et les difficultés
seront d'accord avec nous pour souhaiter que soit inculqué un nouvel de toutes sortes qui sont attachés à notre état. Nous savons quelle dose
esprit de fraternité et de compréhension mutuelle, sans lequel tous les de courage et les sacrifices nombreux qu'impose le lourd privilège que
programmes et les projets, tous les efforts individuels ou collectifs vous nous avez confié; mais nous avons accepté et nous voulons être prêt,
resteraient sans effet. à la fin de notre journée, à vous regarder en face pour la reddition de
comptes. »

« Il est d'autant plus urgent de mettre ,de l'ordre chez nous que les
principes démocratiques auxquels nous avons souscrit avec les peuples Ce message présidentiel produisit la plus favorable impression. Bien
libres de la terre, ces principes pour lesquels nous luttons dans chacun que le Colonel Magloire fût connu de tous ses amis comme complètement
des actes de notre vie politique, parce qu'ils sont les seuls compatibles dégagé de ces préventions et préjugés dont tant de politiciens se sont fait
avec la dignité humaine, sont plus que jamais menacés par l'expansion une arme contre leurs adversaires, on lui sut gré d'avoir blâmé en termes
du communisme. Des armées dites de libération déferlent sur les popu- énergiques la campagne de haine et de dénigrement poursuivie si atroce-
lations que la dialectique marxiste n'a pu convaincre. Et c'est, disent-ils, ment pendant ces derniers temps.
par amour du peuple, et sous l'étiquette du plus pur altruisme, que des Ainsi qu'il l'avait promis dans son discours inaugural, le nouveau
hommes sont par milliers assassinés. Cette guerre qui se fait contre la Président s'est immédiatement mis à l'œuvre pour l'exécution d'un vaste
liberté doit nous trouver sur le même front et guéris de nos dissensions. programme visant à assurer le progrès culturel, social et économique du
Il y va de la vie de notre Nation, où se trouvent encore des hommes et peuple haïtien par l'élévation du niveau de vie de toutes les classes de la
population. Ce programme pratique, entrepris en vertu d'un plan quin-
quennal de 40 millions de dollars, comporte la construction de routes de
332

333
pénétration, la création de cités ouvrières, de logements salubres à bon
marché, d'hôpitaux et dispensaires, d'écoles rurales, urbaines, indus-
trielles, secondaires, d'universités populaires'; d'institutions de crédit agri-
cole et artisanal, de centres de rééducation ou d'éducation des adultes, etc.
On est unanime à reconnaître que les progrès réalisés, du 6 dé-
cembre 1950 au 6 décembre 1952, dans l'ordre politique, social, religieux,
scolaire, sanitaire, agricole, industriel, touristique, par le Gouvernement
du Président Magloire en cette courte période de deux ans \ permettent APPENDICE
d'espérer un avenir brillant pour le peuple haïtien — grâce à une paix
maintenue dans la justice; grâce à la protection et aux garanties sérieuses
accordées aux capitalistes désireux de placer leurs fonds dans les entre- LA CONSTITUTION DU 25 NOVEMBRE 1950
prises industrielles du pays; grâce à l'assistance technique des Nations
Unies et des autres Organisations spécialisées; grâce à la collaboration
de l'Institut des Affaires Interaméricaines et à l'application du Point-
Quatre du Gouvernement Américain; grâce enfin à l'esprit de solidarité
et de concorde que la République d'Haïti apporte dans ses relations avec
l'Organisation des Etats Américains et toutes les nations libres du monde. Message du Président de l'Assemblée Constituante
au Peuple Haïtien

Haïtiens, — Vous nous avez, par votre libre volonté exprimée avec
éloquence dans la journée désormais historique du 8 octobre 1950, confié
la haute mission de vous donner une Constitution démocratique, garan-
tissant pleinement vos droits et vos libertés.
Conformément au décret de convocation de la Junte de Gouvernement,
nous nous sommes réunis dans la ville des Gonaïves et avons, au cours
de nombreuses séances tenues du 3 au 25 novembre, voté une Constitution
qui, par sa publication dans le journal officiel, Le Moniteur, devient la loi
suprême de la République d'Haïti.
Nous n'avons pas la prétention d'avoir fait une œuvre parfaite,
répondant à tous les besoins et à toutes les aspirations de la Nation
haïtienne. Nous pouvons cependant affirmer que nous nous sommes
efforcés, par les innovations que nous y avons introduites, de nous
rapprocher le plus possible de l'idéal démocratique qu'Abraham Lincoln
a défini dans la formule célèbre: «Le gouvernement du peuple par le
peuple et pour le peuple. »

Pour donner à cette formule sa pleine application, nous avons décidé


que l'élection du Président de la République se fera au suffrage direct
et au scrutin secret, afin que tous les Haïtiens majeurs puissent effec-
tivement participer au choix du Chef de l'Etat en même temps qu'à celui
\Voir Deux Ans au Service, du Pays, Secrétairerie d'Etat de la Présidence, l'or! • de leurs représentants au Corps législatif. Le Président, élu dans ces
an-Prince, 1952. conditions, prend une conscience plus nette de ses lourdes responsabilités
334
335
envers la Nation, puisqu'il tient son autorité de la volonté populaire Pour mettre en œuvre un tel programme, l'Etat, qui est la personni-
s'exprimant par des élections honnêtes, dégagées de tous marchandages fication de la Nation, a pour organe et agent d'exécution le Gouvernement,
et compromissions répréhensibîes. composé du Pouvoir Législatif, du Pouvoir Exécutif et du Pouvoir
Le trait le plus distinctif de la nouvelle Constitution est l'agrandisse- Judiciaire.
ment du corps électoral par le droit de vote accordé à la femme haïtienne. Le succès de toute organisation politique dépend, dans un régime
Cette réforme s'imposait comme une obligation par suite de nos engage- républicain et représentatif, de l'équilibre qui doit nécessairement exister
ments internationaux et comme un acte de justice à l'égard de notre entre ces trois Pouvoirs, chacun exerçant ses attributions d'une manière
population féminine qui, dans les différentes branches de l'activité indépendante sans qu'ils puissent cependant être séparés par des cloisons
nationale, apporte une contribution si précieuse au progrès moral et au étanches. L'histoire politique de notre pays a été souvent marquée par des
développement économique du pays. conflits graves qui ont dressé, l'un contre l'autre, le Pouvoir Exécutif
Tout en posant définitivement le principe de l'égalité des droits et le Pouvoir Législatif et ont abouti, presque toujours, à la révolte
sanglante, parce que la Constitution n'avait prévu aucun moyen de
politiques de l'homme et de la femme, la Constituante a estimé qu'il
résoudre la crise.
était prudent de procéder par étapes et que l'exercice de ces droits par
la femme devait être temporairement limité à l'éîectorat municipal. Une L'Assemblée Constituante a voulu être plus prévoyante : elle donne
telle limitation, inspirée par des considérations d'ordre local, ne porte au Président de la République, dans les cas extrêmes, le droit de
aucune atteinte au principe lui-même, reconnu dans la Charte des Nations dissoudre, après deux ajournements, le Corps législatif, en renvoyant
Unies, dans la Déclaration Américaine des Droits de l'Homme signée à sénateurs et députés devant leurs électeurs. Cette solution est la plus!
Bogota le 2 mai 1948 et dans la Déclaration Universelle des Droits démocratique qu'on puisse adopter puisqu'elle fait du peuple, de qui I
Humains proclamée à Paris le 10 décembre 1948. émane tout pouvoir, j'arbitre suprême d'une situation jugée dangereuse
Une fois échu le délai prescrit par la Constitution, l'Haïtienne majeure pour la paix et la bonne marche des affaires publiques.
Le droit de dissolution est un instrument dont le Chef de l'Etat ne
aura le plein exercice de ses droits politiques, j devra user qu'avec prudence. Aucune entrave ne doit en effet être j
apportée à l'exercice du droit de contrôle que la Constitution confère aux
Aux libertés et droits traditionnels reconnus aux citoyens par les Membres du Corps législatif. Nulle atteinte ne peut être portée à leurs
précédentes Constitutions, nous avons ajouté les devoirs nouveaux qu'im- prérogatives, que nous estimons indispensables pour assurer leur com-
posent à la République d'Haïti l'évolution sociale de son peuple et ses plète indépendance et leur permettre de garder la confiance du peuple
obligations internationales. dans leur intégrité et leur souci unique de l'intérêt général.
L'Etat moderne doit se proposer comme but essentiel le complet
développement de l'homme au sein de la société. Afin de favoriser l'éta-
blissement d'une vraie démocratie et d'assurer le progrès culturel, écono-
mique et social de son peuple, il doit travailler à l'amélioration de la Pour faciliter le travail du Corps Législatif et du Pouvoir Exécutif
santé publique; à l'élévation du niveau de vie de toutes les classes de la dans l'élaboration et l'exécution d'un vaste plan de développement
nation; à l'organisation d'un système d'éducation basé sur les principes économique et social, la Constitution crée auprès du Président de la
de liberté, de moralité, de civisme et de solidarité humaine et garantis- République un organisme de caractère purement technique dénommé
sant à tous l'égalité d'opportunités grâce à laquelle chaque individu, Conseil de Gouvernement, dont les importantes attributions seront fixées
suivant ses dons et ses mérites, profitera des avantages que lui offre la par la loi.
communauté nationale et bénéficiera des résultats du progrès intellectuel, De même, en vue d'exercer un contrôle sérieux et permanent des
littéraire, artistique, scientifique et technique accompli dans le monde. dépenses publiques, les Chambres éliront au scrutin secret, au début de
C'est en nous inspirant de ces préoccupations de solidarité humaine chaque session, une Commission Interparlementaire chargée de faire
et de justice sociale que nous avons introduit dans la nouvelle Consti- rapport sur la gestion des Secrétaires d'Etat afin de permettre à chacune
tution des règles relatives au mariage, à la famille, à l'enfant, au bien des deux Assemblées de leur accorder ou de leur refuser décharge. Cette
familial, à la diffusion de l'enseignement à tous les degrés, à la protection Commission Interparîementaire, qui pourra se faire assister de spécia-
du paysan et du travailleur des villes, à la police des campagnes, au petit listes comptables, remplacera efficacement la Chambre des Comptes.
crédit rural et an crédit artisanal, à la sécurité sociale, à l'assistance
publique.

336 337
La protection des droits de l'homme et des intérêts de la nation doit Nous avons l'espoir que la Constitution du 25 novembre 1950 —
être assurée par des institutions permanentes, dont la principale est la œuvre d'adaptation de la réalité haïtienne aux plus hautes valeurs spiri-
Justice. C'est dans les tribunaux, ouverts à tous sans distinction tuelles cl aux fins supérieures de l'homme — restera, dans les mains du
d'origine, de sexe, de classe, de fortune ou de religion, que toute atteinte Peuple haïtien et de son Gouvernement, un instrument de civilisation
aux droits d'autrui doit être jugée. dans la lumière de l'esprit et de la conscience, de paix dans la liberté,
Les agents du Pouvoir Exécutif se rendent parfois coupables d'atten- de justice dans l'ordre, de prospérité par la collaboration des classes
sociales et par la coopération internationale.
tats à la liberté individuelle ou aux autres droits fondamentaux du
citoyen : ces actes arbitraires doivent être réprimés. Pour que nui ne La Constitution du 25 novembre 1950 réaffirme la fidélité du Peuple
puisse échapper à cette juste répression, la Constitution décrète que la haïtien à la devise de son Drapeau : l'Union fait la Force, et sa foi dans
prescription ne pourra être invoquée — au profit d'un fonctionnaire, civil les principes de liberté, d'égalité et de fraternité, qui sont les conquêtes
les plus précieuses de notre civilisation chrétienne.
ou militaire, qui se serait rendu coupable d'actes arbitraires ou illégaux
au préjudice de particuliers — qu'à partir de la cessation de ses fonctions.
Elle ajoute que tous actes accomplis en violation de la Constitution et des
lois, et qui auront porté préjudice aux tiers, autorisent ceux-ci à Le Président de l'Assemblée Constituante :
demander réparation en justice tant contre l'Etat que contre le Secrétaire Dantès Bellegarde
d'Etat qui les aura commis ou qui y aura participé. C'est là une dispo-
sition d'une grande portée juridique et morale, parce qu'elle impute la
responsabilité de l'acte arbitraire et illégal non uniquement à l'Etat,
personne morale, mais aux personnes physiques qui l'auront perpétré.
Quand le Pouvoir Législatif lui-même abuse de ses privilèges et vote
(ionaïves, 25 novembre 1950.
des mesures qui violent la Charte constitutionnelle ou des engagements
internationaux, ces mesures doivent être décrétées inopérantes pour cause
d'inconstitutionnalité.

Nous avons entouré le Corps Judiciaire de toutes les garanties


désirables pour qu'il puisse remplir sa mission d'une équitable et
humaine distribution de la justice, et l'avons investi, par sa Cour de
Cassation, du droit éminent de prononcer l'inconstitutionnalité de toute
loi rendue en violation des règles intangibles de la Constitution.
En raison du grand prestige et de l'autorité morale que confèrent à
la Cour de Cassation la science et l'intégrité de ses membres, l'Assemblée
Constituante a pensé qu'en cas de vacance présidentielle nul n'est mieux
qualifié que le Président de ce Haut Tribunal pour être investi du Pouvoir
Exécutif jusqu'à l'élection d'un nouveau Chef de l'Etat.

Un problème de grande importance politique et économique a parti-


culièrement retenu notre attention : c'est celui de la décentralisation. La
Constitution établit des règles plus précises pour assurer le développement
de la! section rurale, l'autonomie communale, le fonctionnement du
conseil de préfecture, en attendant qu'une loi vienne répondre aux vœux
légitimes des populations de diverses régions du pays en donnant à
l'organisation départementale des bases plus rationnelles et plus justes.

338 339
CONSTITUTION
DE LA

RÉPUBLIQUE D'HAÏTI

Préambule

Nous, Membres de VAssemblée constituante, élus le .8 octobre 1950 en vue


de donner au Peuple haïtien une Constitution démocratique garantissant ses
droits et ses libertés, nous sommes réunis dans la Ville des Gonaïves, du 3 au
25 novembre 1950, et avons voté une Constitution,
Qui fortifie l'unité nationale,
Etablit l'équilibre des pouvoirs de l'Etat, €
Consolide la paix intérieure,
Garantit la justice,
Assure la protection du travail,
Procure les bénéfices de la liberté et de la culture à tous les Haïtiens sans
distinction,
Et vise à constituer une Nation haïtienne socialement juste, économique-
ment libre et politiquement indépendante sur les bases d'une démocratie
solidaire.
Ordonnons que la présente Constitution, signée solennellement le 25 no-
vembre 1950 dans la Ville des Gonaïves, chef-lieu du Département de TArtibo-
nite, soit publiée dans le Moniteur, journal officiel de la République, pour
devenir, dès sa publication, la Loi suprême de la République d'Haïti.

TITRE I

Du territoire de la République

Article premier. — Haïti est une République indivisible, souveraine, indé-


pendante, démocratique et sociale.
Port-au-Prince est sa capitale et le siège de son Gouvernement. Ce siège
peut être transporté ailleurs suivant les circonstances. Toutes les îles adjacentes,
dont les principales sont : La Tortue, la Gonâve, l'Ile-à-Vache, les Cayemittes,

341
Article 8. — Le droit de propriété immobilière est accordé à l'étranger
résidant en Haïti pour les besoins de sa demeure.
la Navase, la Grande Caye et toutes celles qui se trouvent dans les limites Cependant l'étranger résidant en Haïti ne peut être propriétaire de plus
consacrées par le Droit des Gens font partie intégrante du territoire de la d'une maison d'habitation dans une même localité. Il ne peut, en aucun cas,
République, lequel est inviolable et inaliénable. se livrer au trafic dé location d'immeubles.
Article 2. — Le territoire de la République d'Haïti est divisé en départe- Toutefois, les sociétés étrangères de constructions imnobilières bénéficie
ront d'un statut spécial réglé par la loi.
ments. Le département est subdivisé en arrondissements, l'arrondissement en Le droit de propriété immobilière est également accoi dé à l'étranger rési-
communes, la commune en quartiers et en sections rurales. dant en Haïti et aux sociétés étrangères pour les besoins jde leurs entreprises
La loi détermine le nombre et les limites de ces divisions et subdivisions agricoles, commerciales, industrielles ou d'enseignement, dans les limites et
dont elle règle également l'organisation et le fonctionnement. conditions déterminées par la loi.
Ce droit. prendra
«._. fin dans« une
„-.w période
^V..VM« de
uc deux années .après que l'étranger
UCUA années
aura cessé de résider dans le pays ou qu'auront cessé lejs opérations de ces
sociétés conformément à la loi qui détermine les règles à niivr
fuivre pour la trans-
mission et la liquidation des biens appartenant aux étrangers.
Tout citoyen est habile à dénoncer les violations de "cfs dispositions.
T I T R E II

• Chapitre premier Chapitre II


i .
Des Droits Du Droit.public

Article 3, — La réunion des droits civils et politiques constitue la qualité Article 9. — Les Haïtiens sont égaux devant la loi, sous réserve des res-
trictions qui peuvent être prévues par îa loi concernant les Haïtiens par
de citoyen. naturalisation.
L'exercice de ces droits est réglé par la loi.
Tout Haïtien a le droit de prendre' une part effective au gouvernement de
Article 4. — Tout haïtien, sans distinction de sexe, âgé de. 21 ans accom- son pays, d'occuper des fonctions publiques ou d'être nommé à des emplois de
plis, exerce les droits politiques, s'il réunit les autres conditions déterminées l'Etat, sans-aucune distinction de couleur, de sexe ou de religion.
par la Constitution et par la loi. L'Administration des Services publics de l'Etat, en ce qui concerne les
Néanmoins, le droit de vote pour la femme ne s'exercera, à titre transitoire, nominations, termes et conditions de service, doit être exempte de tout privi-
que pour l'électoral et l'égibilité aux fonctions municipales. La loi devra assurer lège, de toute faveur ou discrimination.
le plein et entier exercice de tous les droits politiques à la femme dans un Article 10. — L'Etat garantit le droit à la vie et la liberté de tous ceux
délai qui ne pourra excéder trois ans après les prochaines élections munici- qui se trouvent sur le territoire de la République.
pales générales. . • « Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés
* Cette période accomplie, aucune entrave ne pourra empêcher l'exercice de . par la loi et selon les formes qu'elle prescrit
ces droits. L'arrestation et la détention n'auront lieu que sur le mandat d'un fonction-
naire légalement compétent.
L'aptitude de la femme à toutes fonctions civiles de l'Administration publi- Pour que ce mandat puisse être exécuté, il faut ;
que est reconnue. 1. Qu'il exprime formellement le motif de la détention et la disposition de loi
Toutefois, la loi règle les conditions auxquelles la femme sera transi toire- qui punit le fait imputé ;
ment soumise sous le rapport familial et matrimonial, l'accès restant ouvert à 2. Qu'il soit notifié et qu'il en soit laissé copie au moment de l'exécution à la
toutes -réformes jugées utiles pour réaliser un régime d'égalité absolue entre personne inculpée, sauf le cas de flagrant délit.
les sexes. . . Toute rigueur ou contrainte qui n'est pas nécessaire pour appréhender une
Article 5. — Les règles relatives à la nationalité sont déterminées par personne ou la maintenir en détention, toute pression morale ou brutalité
la loi. physique notamment pendant l'interrogatoire, sont interdites. Les parties lésées
peuvent se pourvoir devant les tribunaux compétents en poursuivant, sans
Les étrangers peuvent acquérir la nationalité haïtienne en se conformant aucune autorisation préalable, soit les auteurs, soit les exécuteurs.
aux règles établies par la loi.
Les étrangers-naturalisés haïtiens. ne ' sont admis à l'exercice des droits Article 11; — Nul ne peut être distrait des juges que la Constitution ou la
loi lui assigne.
politiques que dix ans à partir de la date de leur naturalisation.
Article 6. — Tout étranger qui se trouve sur le territoire, d'Haïti jouit de Un civil n'est point justiciable d'une Cour militaire, ni un militaire, en
matière civile exclusivement, ne sera distrait des tribunaux de droit commun,
la protection due aux haïtiens, sauf les mesures dont la nécessité se ferait exception faite pour le cas d'état de siège légalement déclaré.
sentir contre les ressortissants des pays où l'Haïtien ne jouit pas de cette
même protection.
343
Article 7.. — L'exercice, la jouissance, la suspension et la perte des droits
politiques sont réglés p a r l a loi.
342 ,
La religion catholique, professée par la majorité des Haïtiens, jouit d'une
Article 12. — Aucune visite domiciliaire, aucune saisie de papiers ne peu- situation spéciale découlant du Concordat.
vent avoir lieu qu'en vertu de la loi et dans les formes qu'elle prescrit.
Article 21. — Le mariage tendant à la pureté des mœurs en contribuant
Article 13. — La loi ne peut avoir d'effet rétroactif, sauf en matière à une meilleure organisation de la famille, base fondamentale de la société,
pénale, quand elle est favorable au délinquant. l'Etat devra, par tous les moyens possibles et nécessaires, en faciliter la réali-
La loi rétroagit toutes les fois qu'elle ravit des droits acquis. sation et encourager sa propagation dans le peuple et tout particulièrement
dans la classe paysanne.
Article 14. — Nulle peine ne peut être établie que par la loi ni appliquée
Article 22. — La liberté de l'enseignement s'exerce conformément à la
que dans les cas qu'elle détermine. loi, sous le contrôle et la surveillance de l'Etat qui doit.s'intéresser à la forma-
Article 15. — Le droit.de propriété est gar néanmoins l'expropriation tion morale et civique de la jeunesse.
pour cause d'utilité publique légalement consU eut avoir lieu moyennant L'instruction publique est une charge de l'Etat et des Communes.
le paiement ou la consignation ordonnée par / *ce aux ordres de qui de L'instruction primaire est obligatoire.
droit, d'une juste et préalable indemnité. L'instruction publique est gratuite à tous les degrés.
Mais la propriété entraîne également des obligations. Il n'en peut être fait • L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé.
L'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous,
un usage contraire à l'intérêt général.
uniquement en fonction du mérite.
Le propriétaire foncier doit cultiver, exploiter le sol et le protéger, notam- Article 23. — Le jury, dans les cas déterminés par la loi, est établi en
ment contre l'érosion. matière criminelle. Les délits politiques, commis par la voie de la presse ou
La sanction de cette obligation est prévue par la loi. autrement, seront jugés avec l'assistance du jury.
lie droit de propriété ne s'étend pas aux sources, rivières, cours d'eau, Article 24. — Les Haïtiens ont le droit de s'assembler paisiblement et sans
mines et carrières. Ils font partie du domaine public de l'Etat. armes, même pour s'occuper d'objets politiques, en se conformant aux lois qui
Le propriétaire du sol où se trouvent les sources, rivières, mines et car- règlent l'exercice de ce droit, sans néanmoins qu'il y ait lieu à une autorisation
rières, aura droit à une juste et préalable indemnité exclusivement pour le sol préalable.
en cas d'usage ou d'exploitation par l'Etat ou ses concessionnaires. Cette disposition ne s'applique point aux rassemblements publics, lesquels
Les conditions d'usage ou d'exploitation sont déterminées par la loi. restent entièrement soumis aux lois de police.
Article 16. — La liberté de travail s'exerce sous le contrôle et la surveil- Article 25. :— Les Haïtiens ont le droit de s'associer, de se grouper en
partis politiques, en syndicats et en coopératives.
lance de l'Etat et est conditionnée par là loi. Ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive. Et nul ne peut
Néanmoins, il est interdit, sauf les exceptions et les distinctions établies être contraint de s'affilier à une association ou à un parti politique.
par la loi, à tous les importateurs, commissionnaires, agents de manufactures La loi réglemente les conditions de fonctionnement de ces groupements et
de se livrer au commerce de détail, même par personne interposée. fixe le mode de contrôle des fonds des syndicats.
La loi définira ce que l'on entend par personne interposée. Article 26. — Le droit de pétition est exercé personnellement par un ou
Article 17. — Tout travailleur a droit à un juste salaire, au perfectionne- plusieurs individus, jamais au nom d'un corps.
ment de son apprentissage, à la protection de sa santé, à la sécurité sociale, Article 27. — Le secret des lettres est inviolable sous le& peines édictées
au bien-être de sa famille dans la mesure correspondant au développemenf par la loi.
économique du pays. •
Article 28. — Le français est la langue officielle.
d'est une obligation morale pour l'employeur de contribuer, suivant ses Son emploi est obligatoire dans les services publics.
moyens, à l'éducation de ses travailleurs illettrés.
Article 29. — Le droit d'asile est reconnu aux réfugiés politiques, sous
Tout travailleur a le droit de participer, par l'intermédiaire de ses délégués,
la condition de se conformer à la loi.
à la détermination collective des conditions de travail et de défendre ses
intérêts par l'action syndicale. Article 30. — L'extradition ne sera ni admise, ni sollicitée en matière
Lé congé annuel payé est obligatoire. politique.
Article 31, — La loi ne peut ajouter ni déroger à la Constitution.
Article 18, — La peine de mort ne peut être établie en matière politique,
La lettre de la Constitution doit toujours prévaloir.
excepté pour crime de trahison.
Le .crime de trahison consiste pour l'Haïtien, à participer à une action
armée d'un Etat étranger contre la République- d'Haïti, à se joindre à cet Etat
ou à lui prêter appui et secours.
Article 19. — Chacun a le droit d'exprimer son opinion en toute-matière
et par tous les moyens en son pouvoir.
L'expression de la pensée, quelle que soit la forme qu'elle affecte, ne peut
être soumise à aucune censure, exception faite du cas d'état de guerre déclarée.
Les abus du droit d'expression'sont définis et réprimés par la. loi. 345
Article 20. — Toutes les religions et tous les ^cultes reconnus en Haïti
sont libres.
Chacun a le droit de professer sa religion, d'exercer son culte, pourvu qu'il
ne trouble par l'ordre public,
344
T I T R E III
Article 39. — En cas de mort, démission, déchéance, interdiction judi-
ciaire, radiation ou acceptation de nouvelle fonction incompatible avec celle
Chapitre premier de député, il est pourvu au remplacement du député dans sa circonscription
électorale pour le temps seulement qui reste à courir, par une élection spéciale
sur convocation de l'Assemblée primaire électorale faite par le Président de
De la souveraineté et des pouvoirs auxquels Vexercice en est délégué la République dans le mois même de la vacance.
Avant d'agréer une démission, la Chambre pourra enquêter sur les condi-
tions qui entourent cette démission.
Article 32. — La Souveraineté Nationale réside dans l'universalité des Cette élection a lieu dans une période de trente jours après la convocation
citoyens. de l'Assemblée primaire, conformément à l'article 124 de cette Constitution.
Article 33. — L'exercice de cette souveraineté est délégué à trois pouvoirs : Il en sera de même à défaut d'élection ou en cas de nullité des élections
le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. dans une ou plusieurs circonscriptions.
Ils forment le Gouvernement de la République, lequel est essentiellement Cependant, si la vacance se produit au cours de la dernière session ordi-
civil, démocratique et représentatif. naire de la législature ou après la session, il n'y aura pas lieu à élection
partielle.
Article 34. — Chaque pouvoir est indépendant dés deux autres dans ses
attributions qu'il exerce séparément.
Aucun d'eux ne peut déléguer ses attributions, ni sortir des limites qui lui
sont fixées. SECTION II
La responsabilité est attachée à chacun des trois pouvoirs.
Du Sénat

Chapitre II Article 40. — Aussitôt que les disponibilités du Trésor public le permet-
tront, de nouveaux départements pourront être créés, compte tenu du chiffre
de population de certaines régions et, surtout, de leur double importance éco-
Du pouvoir législatif ou de la représentation nationale nomique et politique.
En attendant que la loi vienne fixer le nombre de sénateurs à élire par
département, le Sénat se compose de 21 membres élus par les Assemblées pri-
SECTION I maires de chaque département et répartis de la manière suivante :
6 pour l'Ouest, 4 pour chacun des départements du Nord, de l'Artibonite,
De la Chambre des députés du Sud, et trois pour le Nord-Ouest.
Leur mandat dure six ans et ils sont indéfiniment rééligibles. Ils entrent
Article 35. — La puissance législative s'exerce par deux Chambres repré- en fonction le deuxième lundi d'avril qui suit leur élection.
sentatives : une Chambre des députés et un Sénat qui forment le corps législatif. Article 41. — Pour être élu sénateur, il faut :
Article 36. — Le nombre des députés est fixé par la loi en raison de la 1. être Haïtien et n'avoir jamais renoncé à sa nationalité;
population. • ' • 2. être âgé de 35 ans accomplis;
Jusqu'à ce que la loi ait fixé le nombre des citoyens que doit représenter 3. jouir des droits civils et politiques ;
chaque député, il y aura trente-sept députés répartis entre les arrondissements, 4. avoir résidé au moins deux années dans le département à représenter.
de la manière suivante :
4 pour l'arrondissement de Port-au-Prince, 2 pour chacun des arrondisse- Article 42. — En cas de mort, démission, déchéance, interdiction judi-
ments du Cap-Haïtien, des Cayes, de Port-de-Paix, des Gonaïves, de Jérénaie, ciaire, radiation ou acceptation de nouvelle fonction incompatible avec celle
de Saint-Marc, de Jaemel et 1 député pour chacun des autres arrondissements. de sénateur, il est pourvu au remplacement du sénateur dans sa circonscrip-
Le député est élu à la majorité relative des. votes émis dans les assemblées tion électorale pour le temps seulement qui reste à courir, par une élection
primaires, d'après les conditions et lé mode prescrits par la loi. spéciale sur convocation de l'Assemblée primaire électorale faite par le Prési-
dent de la République, dans le même mois de la vacance.
Article 37. — Pour être membre de la Chambre des députés il faut :
Avant d'agréer une démission, le Sénat pourra enquêter sur les circons-
1. être Haïtien et n'avoir jamais renoncé à sa nationalité; tances qui entourent cette démission.
2. être âgé de 25 ans accomplis; Cette élection a lieu dans une période de trente jours après la convocation
3. jouir de ses droits civils et politiques; de l'Assemblée primaire, conformément à l'article 124 de cette Constitution.
4. avoir résidé au moins une année dans l'arrondissement à représenter. Il en sera de même, à défaut d'élection ou en cas de nullité des élections
dans une ou plusieurs circonscriptions.
Article 38. — Les députés sont élus pour quatre ans et sont indéfiniment Cependant, si la vacance se produit dans les six mois qui précèdent l'expi-
rééligibles. ' ration du mandat du sénateur à remplacer, il n'y aura pas lieu à* élection
Ils entrent en fonction le deuxième lundi d'avril qui suit les élections. partielle.
346
347
1
SECTION III de laLesession.
temps de l'ajournement ne sera pas imputé sur la durée constitutionnelle

De l'Assemblée nationale Article 51. — En cas de conflit grave, soit entre les deux Chambres, soit
entre elles ou Tune d'elles et le pouvoir exécutif, le Président de la République
a la faculté de dissoudre le corps législatif.
Article 43. — Les deux Chambres se réuniront en Assemblée nationale Le décret de dissolution ordonnera en même temps de nouvelles élections.
dans les cas prévus par la Constitution et aussi pour l'ouverture et la clôture Ces élections auront lieu dans un délai de trois mois à partir de la date
du sus-dit décret.
de chaque session.
Les pouvoirs de l'assemblée sont limités et ne peuvent s'étendre à d'autres Durant ces trois mois, le Président de la République pourvoira aux néces-
objets que ceux qui lui sont spécialement attribués par la Constitution. sités des Services publics par arrêtés pris en Conseil des secrétaires d'Etat.
Article 44. — Le président titulaire du Sénat préside l'Assemblée natio- Il ne pourra, cependant, user du droit de dissolution qu'après avoir vai-
nale, le président titulaire de la Chambre des députés en est le vice-président, nement recouru à la voie de l'ajournement ou quand, suivant l'article précédent,
il ne pourra plus y recourir.
les secrétaires du Sénat et de la Chambre des députés sont les secrétaires de
l'Assemblée nationale. Article 52. — Dans l'intervalle des sessions et en cas d'urgence, le Prési-
En cas d'empêchement du président titulaire du Sénat, l'Assemblée natio- dent de la République peut convoquer le corps législatif à l'extraordinaire.
nale est présidée par le président titulaire de la Chambre des députés et le Il lui rend alors compte de cette mesure par un message.
suppléant du président du Sénat devient îe vice-président de l'Assemblée Dans le cas de convocation à l'extraordinaire, le corps législatif ne pourra
décider sur aucun objet étranger aux motifs de cette convocation.
nationale. Cependant, tout sénateur ou député peut entretenir l'assemblée à laquelle
Article 45. — Les attributions de l'Assemblée nationale sont : il appartient de questions d'intérêt général.
1. de recevoir le serment constitutionnel du Président de la République; Article 53. — Chaque Chambre vérifie et valide les pouvoirs de ses mem-=
2. de déclarer la guerre sur le rapport du pouvoir exécutif; bres et juge souverainement les constestations qui s'élèvent à ce sujet.
3. d'approuver ou de rejeter les traités de paix et autres traités et conven- Article 54. — Les membres de chaque Chambre prêtent le serment sui-
tions internationales ; vant : « J e jure de maintenir les droits du peuple et d'être fidèle à la Consti-
tution ».
4. de reviser la Constitution.
Article 46. — Les séances de l'Assemblée nationale sont publiques. Néan- Article 55. —> Les séances des deux Chambres sont publiques. Chaque
moins, elles peuvent avoir lieu à huis clos sur la demande de cinq membres et Chambre peut se former en comité secret sur la demande de cinq membres et
il sera ensuite décidé, à la majorité absolue, si la séance doit être reprise en décider ensuite à la majorité si la séance doit être reprise en public.
public. Article 56. — Aucun monopole ne peut être établi qu'en faveur de l'Etat
Article 47. — En cas d'urgence, lorsque le corps législatif n'est pas en ou des communes et dans les conditions déterminées par la loi.
session, le pouvoir exécutif peut convoquer l'Assemblée nationale en session Cependant l'Etat et les communes, dans l'exercice de ce privilège, peuvent
extraordinaire. s'adjoindre ou se substituerj des sociétés ou des compagnies.
Article 48. — La présence dans l'Assemblée nationale de la majorité de Dans ce cas, le contrat de concession devra être soumis à la ratification
du corps législatif.
chacune des deux Chambres est nécessaire pour prendre les résolutions.
Article 57. — Le pouvoir législatif fait des lois sur tous les objets d'intérêt
public. *
L'initiative appartient a chacune des deux Chambres ainsi qu'au pouvoir
exécutif.
SECTION IV
Toutefois, la loi budgétaire, celle concernant l'assiette, la quotité et Je
De l'exercice du pouvoir législatif mode de perception des impôts et contributions, celle ayant pour objet de
créer des recettes ou d'augmenter les recettes de l'Etat ou d'augmenter les
dépenses de l'Etat, doivent être votées d'abord par la Chambre des députés.
Article 49. — Le corps législatif a son siège à Port-au-Prince. Néanmoins, En cas de désaccord entre les deux Chambres relativement aux lois men-
suivant les circonstances, ce siège peut être transféré ailleurs au même lieu et tionnées dans le précédent paragraphe, chaque Chambre nomme, au scrutin
même temps que celui du pouvoir exécutif. de liste et eh nombre égal, une Commission interparlementaire qui résoudra
en dernier ressort le désaccord.
Article 50. — Le corps législatif se réunit, de plein droit, chaque année,
Si le désaccord se produit à l'occasion de toute autre loi, celle-ci sera
le deuxième lundi d'avril. ajournée jusqu'à la session suivante. Si, à cette session et même en cas de
La session prend date dès l'ouverture des deux Chambres en Assemblée renouvellement des Chambres, la loi étant présentée à nouveau, une entente
nationale. ne se réalise pas, chaque Chambre nommera au scrutin de liste et en nombre!
La session est de trois mois. En cas de nécessité, elle peut être prolongée égal, une Commission inïerpariementaire, chargée d'arrêter le texte définitif!
de un à deux mois, par le pouvoir exécutif ou le pouvoir législatif. qui sera soumis aux deux assemblées, à commencer par celle qui avait prirni-i
Le Président de la République peut ajourner les Chambres, mais l'ajourne- tivement voté la loi. Et si ces nouvelles délibérations ne donnent aucun résultat,;
ment ne-peut être de plus d'un mois, et pas plus de deux ajournements ne Je projet ou la proposition de loi sera retiré.
peuvent avoir lieu dans le cours d'une même session.
348 349
Le pouvoir exécutif a seul le droit de prendre l'initiative des lois concer- Si les objections sont rejetées par la Chambre qui a primitivement voté la
nant les dépenses publiques ; et aucune des deux Chambres n'a le droit d'aug- loi, elle est renvoyée à l'autre Chambre avec les objections.
menter tout ou partie des dépenses proposées par le pouvoir exécutif. Si la seconde Chambre vote également le rejet, la loi est renvoyée au
Article 58. — Chaque Chambre, par ses règlements, nomme son personnel, Président de la République qui est dans l'obligation de la promulguer.
Le rejet des objections est voté par l'une et l'autre Chambre à la majorité
fixe sa discipline et détermine le mode suivant lequel elle exerce ses attri- des deux tiers de chacune d'elles ; dans ce cas, les votes de chaque Chambre
butions. seront donnés par « oui » et par « non » et consignés en marge un procès-verbal
Chaque Chambre peut appliquer des peines disciplinaires à ses membres à côté du nom de chaque membre de l'assemblée.
pour conduite répréhensible et peut radier un membre par la décision de la Si, dans l'une et l'autre Chambre, les deux tiers ne se réunissent pour
majorité des deux tiers de ses membres. amener ce rejet, les objections sont acceptées.
Article 59. — Tout membre du corps législatif qui, pendant la durée de Article 68. — Le droit d'objection doit être exercé dans un délai de huit
son mandat, aura été frappé d'une condamnation le rendant inéligible, sera jours à partir de la date de la réception de la loi par le Président de la Répu-
déchu de sa qualité de député ou de sénateur. blique, à l'exclusion des dimanches, des jours de fêtes nationales, légales, de
Article 60, — Les membres du corps législatif sont inviolables du jour de chômage et de ceux d'ajournement du corps législatif, conformément à l'ar-
leur prestation de serment jusqu'à l'expiration de leur mandat* ticle 50 de la présente Constitution.
Ils ne peuvent être exclus de la Chambre dont il font partie, ni être en Ce même délai s'applique à l'examen des objections prévues dans l'article
aucun temps poursuivis et attaqués pour les opinions et votes émis par eux, précédent.
soit dans l'exercice de leur fonction, soit à l'occasion de cet exercice. Article 69, — Si dans les délais prescrits, le Président de là République ne
Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un membre du fait aucune objection, la loi doit être promulguée, à moins que la session du
corps législatif pendant la durée de son mandat corps législatif n'ait pris fin avant l'expiration des délais ; dans ce cas, la loi
Article 6 1 . ' — Nul membre du corps législatif ne peut, durant son mandat, demeure ajournée. La loi ainsi ajournée, est, à l'ouverture de la session,
être poursuivi ni arrêté en matière criminelle, correctionnelle ou de police, adressée au Président de la République pour l'exercice de son droit d'objection,
même pour délit politique, si ce n'est avec l'autorisation de la Chambre à Article 70. — Un projet de loi rejeté par l'une des deux Chambres ne
laquelle il appartient, sauf le cas de flagrant délit pour faits emportant une peut être reproduit dans la même session.
peine afflictive et infamante. Il en est alors référé sans délai à la Chambre des
députés ou au Sénat, suivant qu'il s'agit d'un député ou d'un sénateur, si le Article 71, — Les lois et autres actes du corps législatif et de l'Assemblée
corps législatif est en session ;. dans le cas contraire, à l'ouverture de la pro- nationale sont rendus officiels par la voie du « Moniteur » et insérés dans
le bulletin imprimé et numéroté ayant pour titre : « Bulletin des Lois ».
chaine session ordinaire ou extraordinaire.
Article 62. — Aucune des deux Chambres ne peut prendre de résolutions Article 72. — La loi prend date du jour de son adoption définitive par
sans la présence de la majorité absolue de ses membres. les deux Chambres, mais elle ne devient obligatoire qu'après la promulgation
qui en est faite par le Président de la République.
Article 63. — Aucun acte du corps législatif ne peut être pris qu'à la
majorité des membres présents, excepté lorsqu'il en est autrement prévu par Article 73. — Nul ne peut en personne présenter des pétitions au cor pi
législatif. ^H^^ .
la présenté Constitution.
Article 64. — Chaque Chambre a le droit d'enquêter sur les questions Article 74. — L'interprétation des lois par voie d'autorité n'appartient
dont elle est saisie. qu'au pouvoir législatif, elle est donnée dans la forme d'une loi.
Ce droit est limité par le principe de la séparation des pouvoirs, conformé- Article 75. — Chaque membre du corps législatif reçoit une indemnité
ment à l'article 34 de la présente Constitution. mensuelle de mille deux cent cinquante gourdes à partir de sa prestation de
serment.
Article 65. — Tout projet de loi doit être voté article par article.
Article 66, — Chaque Chambre a le droit d'amender et de diviser les Tout membre du corps législatif devenu secrétaire d'Etat, sous-secrétàire
d'Etat ou agent diplomatique cesse d'avoir droit à l'indemnité qui lui est
articles et amendements proposés. Les amendements votés par une Chambre allouée à l'alinéa précédent, sauf s'il s'agit de mission temporaire.
ne peuvent faire partie d'un projet de loi qu'après avoir été votés par l'autre
La fonction de membre du corps législatif est incompatible avec toute
Chambre ; et aucun projet de loi ne deviendra loi qu'après avoir été voté dans autre fonction rétribuée par l'Etat, sauf celle de secrétaire d'Etat, sous-secré-
la même forme par les deux Chambres. taire d'Etat ou agent diplomatique.
Tout projet peut être retiré de la discussion tant qu'il n'a pas été défini- Le parlementaire devenu secrétaire d'Etat, sous-secrétaire d'Etat ou agent
diplomatique, ne pourra prendre part aux travaux de délibérations de la
tivement voté. Chambre à laquelle il appartient.
Article 67, — Toute loi votée par le corps législatif est immédiatement Le droit de questionner ou d'interpeller un membre du Cabinet ou le
adressée au Président de la République qui, avant de la promulguer, a le droit Cabinet entier est reconnu à tout membre des deux Chambres sur les faits et
d'y faire des objections en tout ou en partie. actes de l'administration. ;
Iî>ans ce cas, il renvoie la loi avec ses objections, à la Chambre où elle a La demande d'interpellation doit être appuyée du tiers des membres dû
été primitivement votée. Si la loi est amendée par cette Chambre, elle est ren- corps intéressé.
voyée à l'autre Chambre avec les objections.
Si la loi ainsi amendée est votée par la seconde Chambre, elle sera adressée 351
de nouveau au Président de la République pour être promulguée.
350
Chapitre 1ÏI accusation par les tribunaux ou par la Chambre des députés, ainsi qu'il est
prévu aux articles 112 et 113 de la présente Constitution.
Du pouvoir exécutif Il ne peut accorder amnistie qu'en matière politique et selon les prévisions
de la loi.
Article 80. — Si le président se trouve dans l'impossibilité temporaire
SECTION I d'exercer ses fonctions, le Conseil des secrétaires d'Etat est chargé de l'autorité
executive tant que dure l'empêchement.
Du Président de la République Article 81. — En cas de vacance par décès, démission ou toute autre
cause, de la fonction de Président de la République, le président de la Cour
Article 76, — Le pouvoir exécutif est exercé par un citoyen qui reçoit le de Cassation, ou à son défaut le vice-président, ou à défaut de celui-ci, le juge
le plus ancien de la Cour de Cassation, est investi temporairement du pouvoir
titre de Président de la République. exécutif.
Article 77. — Le Président de la République est élu pour six ans. Il n'est Il convoquera immédiatement les Assemblées primaires pour l'élection
pas immédiatement rééligible et ne peut, en aucun cas, bénéficier de prolon- du Président de la République, qui devra se faire dans les quatre mois, à
gation de mandat. partir de la date de la convocation.
Il entre en fonction au 15 mai de Tannée où il est élu, sauf s'il est élu Ce chef provisoire du pouvoir exécutif ne pourra être çanditat à la pré-
pour remplir une vacance, dans ce cas, il entre en fonction dès son élection sidence devant les Assemblées primaires qu'il aura convoquées ni être élu
et son mandat est censé avoir commencé depuis le 15 mai précédant la date par elles.
de son élection. Article 82. —- Toutes les mesures que prend le Président de la République
Article 78. — Pour être élu Président de la République, il faut : sont préalablement délibérées en Conseil des secrétaires d'Etat.
1. être Haïtien, né d'un père qui lui-même est né Haïtien, ou à défaut de Article 83. — Tous les actes du Président de la République, excepté les
reconnaissance paternelle, d'une mère, née également Haïtienne ; arrêtés portant nomination ou révocation des secrétaires d'Etat, sont contre-
2. n'avoir jamais renoncé à la nationalité haïtienne; signés par le ou les secrétaires d'Etat intéressés.
3. être âgé de 40 ans accomplis; Article 84. — Le Président de la République n'a 'd'autres pouvoirs que
4. jouir des droits civils et politiques; ceux qui lui sont attribués par la Constitution et les lois.
5. être propriétaire d'immeubles en Haïti, et avoir dans le pays sa résidence Article 85. — A l'ouverture de chaque session, le Président de la Répu-
habituelle. blique, par un message, fait séparément à chacune des deux Chambres l'exposé
Avant d'entrer en fonction, le Président de la République prête devant général de la situation et leur transmet les rapports à lui adressés par les
l'Assemblée nationale le serment suivant : différents secrétaires d'Etat.
« Je jure devant Dieu et devant la nation d'observer et de faire observer
Article 86. — Le Président de Ja République reçoit du Trésor public
fidèlement la Constitution et les lois du peuple haïtien, de respecter ses droits, une indemnité mensuelle de dix mille gourdes.
de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire ».
Article 87. — Le Président de la République a sa résidence officielle au
Article 79. — Le Président de la République nomme et révoque les secré- Palais national de la capitale, sauf le cas de déplacement du siège du Gou-
taires d'Etat ainsi que les fonctionnaires et employés publics. Il est chargé de vernement.
veiller à l'exécution des traités de la République.
Il fait sceller les lois du sceau de la République et les promulgue dans le
délai prescrit par les articles 67, 68 et 69 de la présente Constitution.
Il est chargé de faire exécuter la Constitution et les lois, actes et décrets SECTION II
du corps législatif et de 1*Assemblée nationale.
Il fait tous règlements et arrêtés nécessaires à cet effet, sans pouvoir jamais De l'élection du Président de la République
suspendre et interpréter les lois, actes et décrets eux-mêmes, ni se dispenser
de les exécuter. Article 88. — Le Président de la République est élu au scrutin secret,
Il ne nomme aux emplois et fonctions publics qu'en Vertu de la Constitution par suffrages directs, et à la majorité relative des voix exprimées par les
ou de la disposition expresse d'une loi et aux conditions qu'elle prescrit. électeurs de toutes les communes de la République.
Il pourvoit, d'après les lois, à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat. Article 89. — Quatre mois avant le terme du mandat du président en
Il fait tous traités ou toutes conventions internationales, sauf la sanction fonction, celui-ci convoquera les Assemblée primaires qui se réuniront sur
de l'Assemblée nationale à la ratification de laquelle il soumet également tous cette convocation ou de plein droit, le premier dimanche d'avril, aux fins
accords exécutifs. d'élire le Président de la République.
Il a la faculté de dissoudre le corps législatif, conformément à l'article 51 L'inscription des électeurs se fera durant trente jours ouvrables.
de la présente Constitution. L'inscription des électeurs, l'organisation et le fonctionnement des bureaux
Il a le droit de grâce et de commutation de peine, relativement à toutes de vote, le recensement des suffrages se feront dans les formes et délais déter-
condamnations passées en force de chose jugée, excepté le cas de mise en minés par la loi.

352 353
Chapitre IV
SECTION Iïï
Du pouvoir judiciaire
Des Secrétaires d'Etat
Article 97. — Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont
Article 90. — La loi fixe le nombre des secrétaires d'Etat, sans que ce exclusivement du ressort des Tribunaux de droit commun.
nombre puisse être inférieur à cinq. Article 98. — Les contestations qui ont pour objet des droits politiques
Le Président de la République peut, quand il le juge nécessaire, leur adjoin- sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi.
dre des sous-secrétaires d'Etat dont les attributions sont déterminées par la loi.
Pour être secrétaire d'Etat et sous-secrétaire d'Etat, il faut : Article 99. — Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être
1. être Haïtien et n'avoir jamais renoncé à sa nationalité; établi que par la loi.
2. être âgé de 35 ans accomplis; Article 100. — Le pouvoir judiciaire est exercé par une Cour de cassation,
3. jouir de ses droits civils et politiques. des Cours d'appel $t des Tribunaux inférieurs, dont le nombre, l'organisation
Les secrétaires d'Etat et les sous-secrétaires d'Etat sont répartis entre les et la juridiction sont réglés par la loi.
divers départements ministériels que réclament les Services de l'Etat. Le Président de la République nomme les juges des cours et tribunaux. Il
Un arrêté fixera cette répartition conformément à la loi. nomme et révoque les officiers du Ministère public près la Cour de cassation,
Article .91. — Les secrétaires d'Etat se réunissent en Conseil sous la pré- les Cours d'appel et les autres tribunaux permanents ainsi que les juges de
sidence du Président de la République ou de l'un d'eux délégué par lui, et à paix et leurs suppléants.
défaut de délégation, sous la présidence du secrétaire d'Etat de l'Intérieur. Les juges de la Cour de cassation, des Cours d'appel sont nommés pour
Toutes les délibérations du Conseil sont consignées sur un registre et les dix ans et ceux des Tribunaux civils pour sept ans.
procès-verbaux de chaque séance sont signés par les membres présents du Les périodes commencent à courir à partir de leur prestation de serment.
Les juges, une fois nommés, ne peuvent être sujets à révocation par le
Conseil. pouvoir exécutif pour quelque cause que ce soit. Cependant, ils restent soumis
Article 92. — Les secrétaires d'Etat ont leur entrée dans chacune des deux aux dispositions des articles 112, 113 et 114 de la présente Constitution et aux
Chambres ainsi qu'à l'Assemblée nationale, pour soutenir les projets de loi et dispositions des lois spéciales déterminant les causes susceptibles de mettre
les objections du pouvoir exécutif. fin à leurs fonctions.
Article 93. — Les secrétaires d'Etat sont respectivement responsables tant Article 101. — Il sera institué des Cours. d'appel dont le ressort et le
des actes du Président de la République qu'ils contresignent que de ceux de siège seront déterminés par la loi.
leurs départements ainsi que de l'inexécution des lois.
Article 102. — Il pourra être également institué des Tribunaux terriens,
En aucun cas, l'ordre écrit ou verbal du Président de la République ne des Tribunaux du travail et des Tribunaux pour enfants dont l'organisation,
peut soustraire un secrétaire d'Etat à la responsabilité attachée à sa fonction. le nombre, le siège, le fonctionnement seront fixés par la loi.
Article 94. — Chaque secrétaire d'Etat reçoit du Trésor public une indem-
Article 103. — Les Tribunaux terriens ont une mission temporaire. Leurs
nité mensuelle de trois mille gourdes. fonctions cessent dès la réalisation des fins pour lesquelles ils sont organisés.
Les sous-secrétaires d'Etat reçoivent du Trésor public une indemnité men- Chaque Tribunal terrien connaîtra exceptionnellement des difficultés rela-
suelle de deux mille gourdes. tives aux opérations cadastrales, de l'immatriculation des biens-fonds, des
droits immobiliers et des actions possessoires uniquement de la région pour
SECTION IV laquelle il est établi.
Les Tribunaux de droit commun et les Tribunaux de paix conserveront la
Du Conseil de Gouvernement connaissance des litiges qui leur est dévolue par la loi.
Article 104. — La Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires.
Article 95. — Il est institué auprès du pouvoir exécutif un Conseil dé- Néanmoins, en toutes matières, autres que celles soumises au jury, lorsque sur
nommé «Conseil de Gouvernement», composé de neuf membres nommés par un second recours, même sur une exception, une affaire se présentera entre
le Président de la République et dont la mission consiste à étudier, pour en les mêmes parties, la Cour de cassation, admettant le pourvoi, ne prononcera
faire rapport,au Gouvernement, les projets de lois ou de contrats de toutes point de renvoi et statuera sur le fond, sections réunies.
sortes qui lui seront soumis ; à donner son opinion motivée sur toutes les Cependant, lorsqu'il s'agira de pourvoi contre les ordonnances de référé,
questions relatives à l'administration et sur les conditions pratiques et techni- les ordonnances du juge d'instruction, les arrêts d'appel rendus à l'occasion
ques des réalisations à entreprendre. de ces ordonnances, ou contre les sentences en dernier ressort des Tribunaux
Le Conseil de Gouvernement est autorisé, suivant les circonstances et sous de paix et des sentences des Tribunaux terriens, la Cour de cassation, admet-
les conditions à déterminer par la loi, à appeler devant lui pour recueillir tant le recours, statuera sans renvoi»
leurs avis et les discuter avec eux tels experts, techniciens, ou spécialistes dont Article 105. — Les fonctions de juge sont incompatibles avec toutes autres
les lumières et l'expérience seront susceptibles de l'éclairer et le seconder fonctions publiques salariées.
dans l'accomplissement de sa tâche ou même à utiliser leurs services. La loi règle les conditions exigibles pour être juge à tous les degrés.
Article 96. — L'organisation, les attributions et le fonctionnement de ce
Conseil seront déterminés par la loi. 355

354
Article 106. — Les contestations commerciales sont déférées aux Tribu-
que durant un an au moins et cinq ans au plus, mais le condamné peut être
naux civils et de paix conformément au Codu de commerce. traduit devant les tribunaux ordinaires conformément à la loi, s'il y a lieu
Article 107. — Les audiences des tribunaux isont publiques, à moins que d'appliquer d'autres peines ou de statuer sur l'exercice de l'action civile.
cette publicité ne soit dangereuse pour l'ordre public et les bonnes mœurs ; Nul ne peut être jugé, ni condamné, qu'à la majorité des deux tiers des
dans ce cas, le tribunal le déclare par jugement. membres du Sénat. ;
En matière de délit politique et de presse, le huis clos ne peut être Les limites prescrites par l'article 50 de la Constitution à la durée des
sessions du corps législatif, ne peuvent servir à mettre fin aux poursuites
prononcé. lorsque le Sénat siège en Haute Cour de Justice.
Article 108. —• Tout arrêt ou jugement est motivé et prononcé en audience
Article 113. — En cas de forfaiture, tout juge ou officier du Ministère
publique. public est mis en état d'accusation par l'une des sections de la Cour de
Article 109, — Les arrêts ou jugements sont rendus et exécutés au nom cassation.
de la République. Ils portent un mandement aux officiers du Ministère public S'il s'agit du tribunal entier, la mise en accusation est prononcée par la
et aux agents de la force publique. Les actes des notaires sont mis dans la Cour de cassation, sections réunies.
même forme lorsqu'il s'agit de leur exécution forcée.
Article 110. — La Cour de cassation prononce sur les conflits d'attribu- Article 114, — La loi règle le mode de procéder contre le Président de la
République, les secrétaires d'Etat et les juges dans les cas de crimes ou délits
tions d'après le mode réglé par la loi. par eux commis, soit dans l'exercice de leurs fonctions, soit en dehors de cet
Elle connaît des faits et du droit dans tous les cas de décisions rendues exercice.
par le Tribunal militaire.
Article 115. — La loi fixera l'étendue de la responsabilité soit de l'Etat,
Article 111. — La Cour de cassation, à l'occasion d'un litige et sur le soit du fonctionnaire quant aux actes arbitraires qui seront accom'plis en vio-
renvoi qui lui en est fait, prononcé en sections réunies sur l'inconstitution- lation de la Constitution ou des lois, et qui auront causé préjudice aux tiers.
nalité des lois. Les conditions de l'exercice de l'action réservée aux tiers lésés seront
Le recours en inconstitutionnalité n'est soumis à aucune condition de cau- également déterminées par la loi.
tionnement, d'amende et de taxes. En tout cas, l'Etat ou le secrétaire d'Etat responsable ne pourront être
L'interprétation donnée par les Chambres législatives s'imposera pour la condamnés que conjointement.
chose sans qu'elle puisse rétroagir en ravissant des droits acquis pour la chose Article 116. — La prescription ne commencera à courir au profit d'un
déjà jugée. fonctionnaire militaire ou civil qui se serait rendu coupable d'actes arbitraires
Les tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements d'administration et illégaux au préjudice des particuliers, qu'à partir de la cessation de ses
publique qu'autant qu'ils seront conformes aux lois. fonctions.

Chapitre V

Des poursuites contre les membres des pouvoirs de VEtat T I T R E IV

Article 112. — La Chambre des députés accuse le Président de la Répu- De l'Institution communale
blique et le traduit devant le Sénat érigé en Haute Cour de Justice, pour crime
de trahison ou tout autre crime ou délit commis dans l'exercice de ses
fonctions.
Elle accuse également et traduit devant la Haute Cour : Article 117. — La commune est autonome.-
1. Les secrétaires d'Etat en cas-de malversation, de trahison, d'abus ou d'excès Les conditions et les limites de cette autonomie sont réglées par la loi.
de pouvoir ou de tout autre crime ou délit commis dans l'exercice de Article 118. — Le Conseil communal est élu pour quatre ans et ses mem-
leurs fonctions ; bres sont indéfiniment rééligiljles.
2. En cas de forfaiture, tout membre de la Cour de cassation et tout officier Le nombre des membre^ des Conseils communaux est fixé par la loi.
du Ministère public près la dite cour. Pour être élu membre d'un Conseil communal, il faut :
La mise en accusation ne pourra être prononcée qu'à la majorité des deux 1. être Haïtien;
tiers des membres de la Chambre.
A l'ouverture de l'audience, chaque membre de la Haute Cour de Justice 2. être âgé de 25 ans accomplis;
prête le serment de juger avec l'impartialité, la fermeté qui conviennent à un 3. jouir de sep, droits civils et politiques;
homme probe et libre, suivant sa conscience et son intime conviction. 4. être propriétaire d'immeubles dans la commune ou y exercer une industrie
La Haute Cour de Justice ne pourra prononcer d'autre peine que la dé- ou une, profession ; . .
chéance, la destitution et la privation du droit d'exercer toute fonction publi- 5. avoir résidé au moins deux années dans la commune.

356 357
T I T R E VI

Article 119. — Avant d'entrer en fonction, les membres prêtent-le ser-


ment suivant devant le Tribunal civil de la juridiction : « Je jure de respecter De VInstitution préfectorale
les droits du peuple, de travailler au progrès de ma commune, d'être fidèle à
la Constitution et de me conduire en tout comme un digne et honnête citoyen ».
Article 120. — Le Conseil communal ne peut être dissous qu'en cas d'in- Article 127. — Il est créé dans les départements et, au besoin, dans les
curie, de malversation ou d'administration frauduleuse dûment constatée. arrondissements la fonction de préfet.
Dans ce cas, le Président de la République formera une commission de Les préfets sont des fonctionnaires civils qui représentent directement le
trois membres, dite Commission communale, appelée à gérer les intérêts de la pouvoir exécutif.
commune jusqu'aux prochaines élections. La loi détermine leurs attributions et le lieu de leur résidence.
Article 121. — En cas de décès, de démission, d'interdiction judiciaire Article 128. — Le préfet, les magistrats communaux, le commissaire du
d'un membre, ou de sa condamnation passée en force de chose jugée, empor- Gouvernement, les juges de paix, les inspecteurs des écoles, les agents des
tant une peine afflictive et infamante, il sera pourvu à son remplacement par Services de l'agriculture, de la santé publique, des travaux publics, les direc-
le choix d'un citoyen nommé par le Président de la République. teurs de la douane, des contributions et tous autres représentants des Services
publics de la circonscription préfectorale forment le Conseil de préfecture.
Article 122. — La commune a la libre disposition de ses revenus, dans Ce Conseil se réunit obligatoirement deux fois par an au siège de îa
les conditions déterminées par la loi. préfecture pour délibérer sur toutes questions d'ordre régional et en faire
Article 123. — Le Conseil communal délibère tous les deux ans pour le rapport à l'Exécutif.
choix d'un conseil dans chacune des Sections rurales de sa commune. Cependant, en cas de nécessité, le Conseil se réunit à l'extraordinaire.
Ce conseil est appelé : « Conseil des Notables». Il peut être indéfiniment
renouvelé. Il sera composé de douze membres au plus, à titre honorifique.
La loi règle le fonctionnement et l'organisation de ce conseil.
Article 124. — La Section rurale sera organisée dans le cadre de l'institu- T I T R E VII
tion communale, de manière à améliorer les conditions de vie dans les campa-
gnes et à assurer la protection du paysan et la productivité de son travail par :
1. l'établissement de centres de santé et d'éducation rurale; Des finances
2. l'organisation d'une police efficace et la distribution d'une bonne justice;
3. la constitution du bien de famille insaisissable et la transformation des
bourgs et villages suivant les règles de l'hygiène publique ; Article 129. —- La loi fixera les modalités de la décentralisation des finan-
4. l'organisation du petit crédit agricole et artisanal adapté aux conditions ces de la République, compte tenu des intérêts généraux de la nation.
économiques du pays. Article 130. — Les revenus publics ou les finances de l'Etat sont déter r
minés par la loi.
Article 131. — Les impôts au profit de l'Etat et des communes ne peu-
vent être établis que par la loi.
Les lois qui établissent les impôts n'ont de force que pour un an.
TITRE V
Article 132. — L'imposition directe repose sur le principe de la progres-
sivité et est calculée en fonction de l'importance de la fortune, des salaires
et des revenus.
Des Assemblées primaires
Article 133. — L'unité monétaire d'Haïti est la gourde.
La loi en fixe le titre et le poids ainsi que ceux de toute monnaie d'appoint
que l'Etat a la faculté d'émettre avec force libératoire sur tout le territoire
Article 125. — Les Assemblées primaires se réunissent ou sur convocation de la République.
de l'Exécutif ou de plein droit, dans chaque commune, le deuxième dimanche La Banque Nationale de la République d'Haïti, dont la loi fixe le statut, est
de janvier, suivant le mode prévu par la loi, tous les quatre ans, pour l'élection investie du privilège exclusif d'émettre des billets représentatifs de la gourde.
des députés et des conseillers communaux, tous les six ans pour celle des Aucune émission de monnaie ou de billets ne peut avoir lieu qu'en vertu
sénateurs et du Président de la République. d'une loi qui en détermine le chiffre et l'emploi.
Elles se réuniront sur convocation spéciale pour les élections prévues par En aucun cas, le chiffre fixé ne peut être dépassé.
les articles 39, 42, 51, 81 et 89 de la présente Constitution. Article 134. — Il ne peut être établi de privilège en matière d'impôts.
Elles ne peuvent s'occuper d'aucun autre objet et sont tenues de se dis- Aucune exemption, aucune augmentation ou diminution d'impôts ne peut être
soudre dès l'accomplissement des fins sus-désignées. établie que par une loi.
Article 126. — La loi prescrit les conditions requises pour voter dans les
Assemblées primaires. 359

358
Article 135. — Aucune pension, aucune gratification, aucune subvention, 11 en est de même du bilan annuel et des opérations de la Banque Nationale
aucune allocation quelconque, à la charge du Trésor public, ne peut être accor- de la République d'Haïti ainsi que de tous autres comptes de l'Etat haïtien.
dée qu'en vertu d'une loi proposée par le pouvoir exécutif. Les Chambres législatives peuvent s'abstenir de tous travaux législatifs
tant que ces documents ne leur seront pas présentés. Elles refusent la décharge
Article 136. — Tout virement ou toute désaffectation des fonds des Assu- 'des secrétaires d'Etat lorsque les comptes présentés ne fournissent pas par eux-
rances sociales sont interdits. mêmes ou par les pièces à l'appui, les éléments de vérification et d'appréciation
'Article 137, — Le trafic d'influence dans le Gouvernement et dans toutes nécessaires.
les branches de l'Administration publique est interdit, Article 142. — L'examen et la liquidation des comptes de l'Administration
La loi déterminera les conditions qui doivent servir à en paralyser la générale et de tout comptable des deniers publics se feront suivant le mode
pratique. Elle y applique les sanctions nécessaires. établi par la loi.
Aucun membre du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif ou du pouvoir Article 143. — Au cas où le corps législatif, pour quelque raison que ce
judiciaire ne peut être intéressé personnellement, ni par personne interposée, soit, n'arrête pas le budget pour un ou plusieurs départements ministériels
dans un contrat quelconque où l'Etat est partie. avant son ajournement, le ou les budgets des départements intéressés en vigueur
Néanmoins, les présentes dispositions ne doivent, en aucune manière, pendant Tannée budgétaire en cours seront maintenus pour l'année budgétaire
porter préjudice directement ou indirectement au fonctionnement d'entre- suivante.
prises à caractère d'intérêt général en voie de développement dans le pays et Dans le cas, où par la faute de l'Exécutif, les budgets de la République
qui sont jugées propres à promouvoir l'essor économique de la collectivité, n'auront pas été vc^és, le Président de la République convoquera immédiate-
pourvu, toutefois, que les dites entreprises aient été établies avant l'élection ment les Chambres ^législatives en session extraordinaire, à seule fin de voter
du membre du corps législatif et avant la nomination du fonctionnaire ou du les budgets de l'Etat, sauf les sanctions constitutionnelles à prendre contre les
membre de la magistrature. ministres responsables.
Article 138. — Le cumul des fonctions salariées par l'Etat est formelle- Article 144. — En vue d'exercer un contrôle sérieux et permanent des
ment interdit, excepté dans l'enseignement secondaire, supérieur et profes- dépenses publiques, il sera élu au scrutin secret, au début de chaque session
sionnel, ou lorsqu'il s'agit d'une fonction de professeur d'enseignement supérieur ordinaire, une Commission interparlementaire de quinze membres dont neuf
et d'une fonction de professeur à caractère technique relevant de la même députés et six sénateurs chargée de rapporter sur la gestion des secrétaires
spécialité. d'Etat pour permettre aux deux assemblées de leur accorder ou de leur refuser
Article 139. — Le budget de chaque département ministériel est divisé en décharge.
chapitres et en sections et doit être voté article par article. Cette commission pourra s'adjoindre trois spécialistes comptables au plus
Le virement est formellement interdit. pour l'aider dans son contrôle.
Aucune somme allouée pour un chapitre ne peut être reportée au crédit
d'un autre chapitre et employée à d'autres dépenses sans une loi.
Le secrétaire d'Etat des finances est tenu, sous sa responsabilité person-
nelle, de ne servir, chaque mois, à chaque département ministériel, que le
douzième des valeurs votées dans son budget, à moins d'une décision du Conseil TITRE VIII
des secrétaires d'Etat, pour cas extraordinaire.
Les comptes généraux des recettes et des dépenses de la République sont
tenus par le secrétaire d'Etat des finances selon un mode de comptabilité établi De la force publique
par la loi. „
L'exercice administratif commence le 1er octobre et finit le 30 septembre
de l'année suivante. Article 145. — Une force publique, désignée sous le nom de : « Armée
Article 140. — Chaque année, le corps législatif arrête : d'Haïti », et dont le Président de la République est le chef suprême, est établie
pour la sécurité intérieure et extérieure de la République et la garantie des
1. le compte des recettes et dépenses de l'année écoulée ou des années pré- droits du peuple.
cédentes ;
Article 146. — L'organisation de l'armée d'Haïti et des tribunaux dont elle
2. le budget général de l'Etat contenant l'aperçu et la portion des fonds
relève est fixée par la loi.
alloués pour l'année à chaque département ministériel.
La Cour militaire doit prononcer sa sentence en présence de l'accusé et de
Toutefois, aucune proposition, aucun amendement ne peut être introduit son conseil, et mention de cette formalité sera constatée dans la dite sentence.
à l'occasion du budget sans la provision correspondante des voies et moyens. Le tout à peine de nullité.
Aucun changement ne peut être fait soit pour augmenter, soit pour réduire L'accusé ou son conseil pourra faire sa déclaration de pourvoi en cassa-
les appointements des fonctionnaires, publics que par une modification des tion, soit à l'officier remplissant la fonction de greffier, qui doit la recevoir
lois y relatives. à l'audience même, soit au greffe du Tribunal civil de la juridiction du juge-
Article 141. — Les comptes généraux et les budgets prescrits par l'article ment, dans le délai de trois jours francs à partir du prononcé. Le délai et le
précédent doivent être soumis aux Chambres législatives par le secrétaire pourvoi sont suspensifs.
d'Etat des finances, au plus tard dans les quinze jours de l'ouverture de la
session législative. 361
360
L'officier ou le greffier qui aura reçu la déclaration sera tenu de l'ache-
miner, avec toutes les pièces du procès, au Parquet de la Cour de cassation
appelé à mettre l'affaire en état dans le délai de quinze jours au plus.
Article 147. — Le service militaire est obligatoire. Une loi fixera le mode TITRE X
de recrutement et la durée du service.
Article 148. — Les fonctions de police sont séparées de celles de l'armée
et confiées à des agents spéciaux soumis à la responsabilité civile et pénale, De la revision de la Constitution
dans les formes et conditions réglées par la loi.
Article 149. — Les militaires en activité de service ne peuvent être appe-
lés à aucune autre fonction publique. Article 158. — Le pouvoir législatif, sur la proposition de l'une des deux
Article 150, — Indépendamment des autres divisions territoriales adminis- Chambres ou du pouvoir exécutif, a le droit de déclarer qu'il y a lieu de
tratives, des divisions militaires, suivant les circonstances, pourront être éta- réviser telles dispositions constitutionnelles qu'il désigne avec motifs à l'appui.
blies par arrêté du Président de la République. Cette déclaration doit réunir l'adhésion des deux tiers de chacune des deux
Chambres. Elle ne peut être faite qu'au cours de la dernière session ordinaire
d'une législature et sera publiée immédiatement dans toute l'étendue du
territoire.
La législature s'entend de la durée du mandat des députés.
TITRE IX Article 159. — A la première session de la législature suivante, les Cham-
bres se réuniront en Assemblée nationale et statueront sur la révision proposée.
Article 160.— L'Assemblée nationale ne peut délibérer sur cette révision
Dispositions générales si les deux tiers au moins des membres de chacune des deux Chambres ne sont
pas présents.
Aucune déclaration ne peut être faite, aucun changement ne peut être
Article 151. — Les couleurs nationales sont le bleu et le rouge placés hori- adopté qu'à la majorité des deux tiers des suffrages.
zontalement en bandes d'égales dimensions. Article 161. — Toute consultation populaire tendant à modifier la Consti-
Les armes de la République sont : le palmiste surmonté du bonnet de la tution par voie de référendum est formellement interdite.
liberté orné d'un trophée avec la légende : « L'union fait la force ». Article spécial, — Tous les actes accomplis par la Junte de Gouvernement
La devise est : « Liberté, égalité, fraternité ». de la République durant la vacance présidentielle ouverte le 10 mai 1950 sont
L'hymne national est la « Dessalinienne ». ratifiés et validés.
Article 152. — Aucun serment ne peut être imposé qu'en vertu de la Cons-
titution ou d'une loi.
Article 153. — Les Fêtes nationales sont : celle de l'Indépendance, le
1er janvier ; celle de l'Agriculture et du Travail, le l«r mai ; celle du Drapeau,
le 18 mai et celle de la Découverte d'Haïti, le 6 décembre. TITRE XI
Les fêtes légales sont déterminées par.la loi.
Article 154. — Toutes les élections se feront au scrutin secret. Dispositions transitoires
Article 155, — Aucune place, aucune partie du territoire ne peut être
déclarée en état de siège que dans les cas de troubles civils, d'invasion immi-
nente de la part d'une force étrangère. Article A. — Le Président de la République, le citoyen Paul Eugène
L'acte du Président d'Haïti déclaratif d'état de siège doit être signé de tous Magloire, élu le 8 octobre 1950, entrera en fonction le 6 décembre 1950 et son
les secrétaires d'Etat et porter convocation immédiate du corps législatif appelé mandat prendra fin le 15 mai 1957.
à se prononcer sur l'opportunité de la mesure.
Le corps législatif arrêtera avec le pouvoir exécutif, lesquelles des garanties Article B. — Les députés élus sous l'empire du décret de convocation de
constitutionnelles peuvent être suspendues dans les parties du territoire mises la Junte de Gouvernement de la République exerceront leur mandat jusqu'au
en état de siège. deuxième lundi d'avril 1955.
Les sénateurs élus sous l'empire du décret de la Junte de Gouvernement de
Article 156. — Les effets de l'état de siège seront réglés par une loi la République exerceront leur mandat jusqu'au deuxième lundi d'avril 1957.
spéciale.
Article C. — Les prochaines élections des Conseils communaux auront
Article 157. — Tous les codes de lois sont maintenus en tout ce qui n'est lieu en même temps que celles des députés.
pas contraire à la présente Constitution.
Toutes dispositions de lois, tous décrets, arrêtés, règlements et autres actes Article D. — Dès la publication de la présente Constitution, la mission
qui y sont contraires demeurent abrogés. de la Chambre des comptes et du Conseil consultatif prend fin.
Article E. — Dans les quatre mois, à partir de l'entrée en fonction du
362 Président de la République élu, le pouvoir exécutif est autorisé à procéder à
toutes réformes jugées nécessaires dans la magistrature.

363
Article F. — La présente Constitution entrera en vigueur dès la publi-
cation qui en sera faite au « Moniteur », journal officiel de la République.
Donné aux Gonaïves, siège de l'Assemblée constituante» le 2b novembre 1950,
an 147<5 de l'Indépendance.
Le président de l'Assemblée constituante : Dantès Bellegarde.
Les secrétaires : Joseph Renaud et Archimède Beauvoir. TABLE DES MATIÈRES
Les membres : Massillon Gaspard, Othello Bayard, Georges Bretons, Emma-
nuel Leconte, François MaUwn, Clovis Kernisan, Altidor Kersaint, Victor
Duncan, Dr Clément Lanier, Ambert Saindoux, Frédéric Magny, Charles Riboul,
Elie Tiphaine, Georges Léon.
Préface , 7 --- 9
Chapitre I —
Période indienne, et espagnole 11 — 20
Chapitre II —
La Colonie française de Saint-Domingue . . . 21 — 26
Chapitre III —
La société de Saint-Domingue 27 — 46
Chapitre IV --
La vie et les mœurs à Saint-Domingue 47 — 54
Chapitre V —
La lutte pour la Liberté 55 — 70
Chapitre VI —
Toussaint Louverture 71 — 83
Chapitre YIÏ —
La lutte pour l'indépendance 85 — 92
Chapitre VIII -•-
Proclamation de l'indépendance 93 <— 96
Chapitre IX —
Gouvernement de Dessalines 97 —- 109
Chapitre X —
Pétion et Christophe 111 — 124
Chapitre XI —
Jean-Pierre Boyer 125 - - 140
Chapitre XII —
Présidences éphémères 141 - 151
Chapitre XIII --
Faustin Soulouque 153 — 163
Chapitre XIV —
Fabre-Nicolas Geffrard 165 — 175
Chapitre XV —
Salnave et Nissage-Saget 177 — 183
Chapitre XVI Michel Domingue et Boisrond-Canaî 185 — 190
Chapitre XVII— Saîomon 191 - - 194
Chapitre XVIII~— Légitime, Florvil Hippolyte et Tirésias Au-
gustin Simon Sam 195 — 204
Chapitre XIX — La société haïtienne à la veille du 100e anni-
versaire de l'Indépendance , 205 -— 215
Chapitre XX — Nord-Alexis et Antoine Simon 217 — 226
Chapitre XXI — Firmin et le firminisme . 227 — 231
Chapitre XXII — Cincinnatus Leconte, Tancrède Auguste, Mi-
chel Oreste 233 — 242
Chapitre XXIII — La course à l'abîme 243 — 251
Chapitre XXIV .— Gouvernement de Dartiguenave 253 -- 282
Chapitre XXV — Gouvernement de Louis Borno 283 — 294
Chapitre XXVI — Gouvernement de Sténio Vincent 295 — 306
Chapitre XXVII — Gouvernement de Elie Lescot 307 — 318
Chapitre XXVIII - Le Comité Exécutif Militaire
Dumarsais Estimé. La Junte de Gouvernement 319 — 328
364 Chapitre XXIX — Paul Eugène Magloire 329 — 334
Appendice : La Constitution du 25 novembre 1950 , 335 — 364
365

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