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L’INTERDICTION ABSOLUE DE L’EXERCICE DU MANDAT

PRESIDENTIEL PAR UN SENATEUR A VIE AYANT EXERCE


DEUX MANDATS PRESIDENTIELS.

Quelques brèves réflexions


Par
Prof. Joseph KAZADI MPIANA

Abstract
The prospect of a presidential candidacy for the senator for life has revived
a debate on the possibility for a President of the Republic having exhausted
his two constitutional mandates to run for another. This debate is linked to
the law on the status of former Presidents of the Republic, whose article 6
refers to incompatibilities with the exercise of the parliamentary mandate.
Within the framework of this article the author tend to demonstrate that the
combination of different techniques of interpretation converges to exclude the
prospect of a third mandate which cannot find its foundation neither in the
Constitution nor, even less so, in the aforementioned law.
Mots-clés : Interdiction absolue, mandat présidentiel, sénateur à vie,
Constitution, RDC

INTRODUCTION
Le fondement de la thèse réaliste dans la théorie de l’interprétation
est très simple : tout texte normatif est, de facto, interprété de
plusieurs façons, chaque énoncé normatif étant sujet à des
interprétations différentes et conflictuelles (…). Si tous les
textes normatifs sont, en effet, interprétés de plusieurs façons,
alors tous les textes normatifs sont susceptibles d’interprétations
différentes. Chaque interprétation attribue au texte interprété
une signification distincte. A une pluralité d’interprétations
correspond donc une pluralité de significations. Par conséquent,
tout texte normatif exprime potentiellement non pas une seule
signification univoque, mais au contraire une multiplicité de
significations en compétition1.

1 Guastini R., « Réalisme et anti-réalisme dans la théorie de l’interprétation », in Mélanges


Paul Amselek, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 431-443, spéc. à la p. 431.

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C’est par cette citation que nous introduisons le présent article. Ces propos
sont particulièrement significatifs en République Démocratique du Congo
(RDC) depuis que l’annonce de la perspective d’une candidature à l’élection
présidentielle à l’horizon 2023 du Président de la République honoraire
galvanise les débats opposant constitutionnalistes, intellectuels, hommes
de rue, tout le monde découvrant posséder dans sa gibecière des clés pour
mieux interpréter les différentes dispositions mobilisées par le débat. Les
arguments convoqués à cette fin sont parfois jonchés par des considérations
d’ordre politique et pathétique contribuant à en obscurcir des pans entiers
qui méritent d’être éclaircis par un travail de recul, loin des invectives et des
vacarmes politiques.
S’il est vrai que Max Weber conçoit une certaine dichotomie entre la
profession du savant et celle du politique, il y a lieu de ramener le débat
dans ses proportions juridiques en limitant les excès des considérations
politiques marquées par l’opportunisme, les rapports de forces, le jeu voilé
des acteurs. Dans cette fournaise, les juristes constitutionnalistes sont en
compétition (concurrence) avec d’autres savants et acteurs qui revendiquent,
chacun, sa part de vérité constitutionnelle et cherchant à l’imposer par des
arguments d’autorité, parfois décousus de toute logique d’herméneutique
juridique. L’interprétation de la Constitution, sans être nécessairement
l’apanage des constitutionnalistes, ne ressemble pas à l’argile aux mains du
potier. Elle requiert certaines aptitudes. Tout le monde ne peut s’improviser
constitutionnaliste. En effet, un Constitutionnaliste, d’après Guillaume
Sacriste, est d’abord « ce Professeur spécialiste de l’analyse des Constitutions
politiques mobilisant un savoir savant-le droit constitutionnel- se présentant
comme autonome vis-à-vis du monde politique, et plus largement, du monde
social »2.
Ce duel d’interprétation met en exergue l’utilité de la théorie réaliste de
l’interprétation chère à Michel Troper3. Le fondement de la thèse réaliste dans
la théorie de l’interprétation est très simple :
tout texte normatif est, de facto, interprété de plusieurs façons,
chaque énoncé normatif étant sujet à des interprétations

2 Sacriste G., La République des Constitutionnalistes. Professeurs de droit et légitimation


de l’Etat en France (1870-1914), Paris, Sciences Po Les Presses, 2011, p. 541, cité par
Aivo F.J., « Les Constitutionnalistes et le pouvoir politique en Afrique », Revue française
de droit constitutionnel, n°104, 2015, pp. 771-800, spéc. à la p. 772.
3 Hamon F., « Quelques réflexions sur la théorie réaliste de l’interprétation », in
L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de Micher Troper, Paris, Economica,
2006, pp. 487-500.

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différentes et conflictuelles (…). Si tous les textes normatifs


sont, en effet, interprétés de plusieurs façons, alors tous les textes
normatifs sont susceptibles d’interprétations différentes. Chaque
interprétation attribue au texte interprété une signification
distincte. A une pluralité d’interprétations correspond donc une
pluralité de significations. Par conséquent, tout texte normatif
exprime potentiellement non pas une seule signification
univoque, mais au contraire une multiplicité de significations
en compétition (…) : aucune question de droit n’admet une
seule réponse correcte. Toute question de droit admet plusieurs
réponses dont - par conséquent - aucune ne peut être considérée
comme correcte4.
Si toutes les interprétations sont plausibles et cela dépend de la technique
ou des techniques d’interprétation sur lesquelles chacun peut asseoir son
raisonnement quitte à en démontrer la pertinence, la seule interprétation qui
puisse s’imposer, même si elle n’est pas à l’abri de la critique, est celle d’une
juridiction constitutionnelle, car celle-ci est investie de cette compétence dans
de nombreux Etats.
Pour notre part, la question de l’éventualité d’une candidature à l’élection
présidentielle pour un sénateur à vie doit passer sous les fourches caudines
tant de l’article 70 alinéa 1er de la Constitution que par l’article 6 de la
Loi n° 18-021 du 26 juillet 2018 portant statut des anciens Présidents de
la République élus et fixant les avantages accordés aux Chefs des corps
constitués, ce dernier article étant consacré aux incompatibilités. Il s’avère
que la question principale est occultée dans le débat pour se rabattre sur une
question secondaire liée à la possibilité pour un sénateur à vie de prétendre
exercer un mandat présidentiel.
Il est vrai que le sénateur à vie est soumis aux incompatibilités tel que
l’énonce l’article 6 de la Loi du 26 juillet 2018. Faudrait-il rappeler que les
incompatibilités supposent au préalable l’éligibilité et qu’elles ne se posent
comme problème que lorsque l’intéressé, ayant été élu, doit opérer le choix
entre la fonction incompatible et la fonction parlementaire qu’il compte
exercer. Or, dans l’hypothèse de l’éventualité d’une candidature de l’ancien
Président Joseph Kabila, il nous paraît prématuré d’évoquer cette hypothèse
d’incompatibilité sans examiner au préalable les obstacles majeurs d’ordre
constitutionnel. De manière subsidiaire ou complémentaire nous pouvons

4 Troper M. cité par Guastini R., « Réalisme et anti-réalisme dans la théorie de


l’interprétation », in Mélanges Paul Amselek, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 431-443,
spéc. à la p. 431.

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également cogiter sur la possibilité d’une éventuelle renonciation du Président


de la République honoraire aux différents avantages que lui procure le statut
de sénateur à vie. Peut-il, de manière temporaire, renoncer auxdits avantages
pour exercer une fonction politique élective ?
En termes d’hypothèse, nous pouvons répondre affirmativement à cette
question, à condition que cette fonction politique ne soit pas celle du Président
de la République. Il serait aberrant, à notre avis, d’interdire à un Président de
la République honoraire ayant exercé un seul mandat de prétendre briguer
un autre conformément à la Constitution. La loi sur le statut des anciens
Présidents ne peut verrouiller la possibilité que la Constitution accorde à tout
Congolais d’exercer tout au plus deux mandats dès lors qu’il jouit de ses
droits civils et politiques. En revanche, cette possibilité serait exclue pour tout
sénateur à vie ayant exercé deux mandats présidentiels.
Les nombreuses interprétations de l’article 6 de la Loi du 26 juillet
2018 sont compréhensibles au regard de l’innovation du statut de
sénateur à vie dans la Constitution du 18 février 2006. Toutefois, celle-ci
ne peut revendiquer la paternité de cette disposition, introduite en droit
congolais, et sans lendemain, par la Constitution de Luluabourg à travers
son article 75. N’étant pas généralisé en droit constitutionnel comparé,
sauf quelques rares exceptions qui l’ont prévu, ce statut alimente toute
sorte de supputations, de conjectures sur l’interprétation appropriée qu’il
convient d’attribuer au statut de sénateur à vie. Et ce, pour déceler si
ce titre viager colle à la peau du Président de la République honoraire
en termes d’obligation dont il ne peut se délier. Une autre interprétation
privilégie ce statut de sénateur comme un titre honorifique par lequel la
Nation récompense celui qui a eu l’honneur et le devoir de servir la nation
en exerçant la magistrature suprême et de lui garantir une vie paisible aux
termes de l’exercice du pouvoir présidentiel.
Cette deuxième variante permet de comprendre la raison d’être de différents
avantages sociaux, économiques, sécuritaires et les privilèges protocolaires
dont bénéficient les anciens Présidents de la République, lesquels avantages
sont énoncés dans certaines Constitutions renvoyant à une loi ou un décret le
soin de préciser les différents avantages. Le Protocole sur la démocratie et la
bonne gouvernance de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de
l’Ouest (CEDEAO) de 2001, à travers son article 1er litera i « régionalise » la
question du statut de l’ancien Président de la République5.

5 Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole


relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien
de la paix et de la sécurité. Art. 1er, point i) : « Tout ancien Chef d’Etat bénéficie d’un

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Tel est le cadre du débat auquel nous voulons participer dans cette étude.
Cette dernière est structurée autour de deux points. Le premier analyse la
convergence des interprétations de l’article 70 alinéa 1er de la Constitution
alors que le deuxième traite de l’incompatibilité d’un mandat présidentiel pour
un sénateur à vie à la lumière de la Loi du 26 juillet 2018. Une conclusion
résume nos brèves réflexions prolongées par des considérations sur la révision
constitutionnelle.

A. CONVERGENCE DES INTERPRETATIONS DE L’ARTICLE


70 ALINEA 1er DE LA CONSTITUTION DU 18 FEVRIER 2006
RELATIF A LA LIMITATION A DEUX DU NOMBRE DES
MANDATS PRESIDENTIELS
Il importe d’abord de dégager les principales idées liées à l’interprétation,
avant de dresser une liste indicative de techniques d’interprétation dont
l’examen permet de corroborer ou d’infirmer nos analyses. Ensuite et enfin, de
mobiliser les techniques d’interprétation pour en proposer les plus appropriées
auxquelles la Cour constitutionnelle (CC) pourrait recourir dans l’éventualité
où elle serait saisie d’une requête en contestation de la candidature à l’élection
présidentielle d’un sénateur à vie.

I. Préliminaires sur l’interprétation


Pour étayer notre raisonnement tout au long de cet article, nous nous
fondons principalement sur les différentes techniques d’interprétation les plus
usitées en droit constitutionnel. L’appellation « méthode » ou « techniques »
d’interprétation est utilisée de manière invariable d’autant plus que la doctrine
n’emploie pas la même terminologie pour décrire la même notion. A titre
illustratif, selon le Vocabulaire technique et critique de la philosophie, le
substantif « technique » renvoie à un

…ensemble de procédés bien définis et transmissibles, destinés


à produire certains résultats jugés utiles (…). En un sens
plus spécial (…), le mot technique se dit particulièrement
des méthodes organisées qui reposent sur une connaissance
scientifique correspondante6.

statut spécial incluant la liberté de circulation. Il bénéficie d’une pension et d’avantages


matériels convenant à son statut d’ancien Chef d’Etat ». Notre soulignement.
6 Lalande A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 2006, p.
1106.

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En doctrine, certains auteurs considèrent les interprétations comme étant


des méthodes d’interprétation7. Dans sa communication sur les méthodes
et techniques d’interprétation de la Constitution, Babacar Kante n’explicite
pas le choix de ces deux expressions8. Il est parfois malaisé de distinguer
méthode et approche. A titre illustratif, sous le chapeau des méthodes
juridiques, Ambroise Kamukuny Mukinay y étudie des approches (sémiotique
ou exégétique, téléologique ou contextuelle, génétique, fonctionnelle,
systématique ou holistique)9. Ces approches sont conçues dans cet article
comme des techniques d’interprétation.
Selon Pierre Pescatore, dans la pratique du droit, on réunit sous le nom de
l’interprétation,
l’ensemble des procédés intellectuels qui servent à déterminer
et à préciser, dans une situation donnée, le principe applicable.
En ce sens, interpréter veut dire, bien sûr, élucider un texte
obscur ; mais interpréter veut encore dire : spécifier un texte
général (…), rectifier les imperfections des textes et adapter
ceux-ci aux exigences actuelles ; résoudre les contradictions,
étendre les textes de manière à combler les lacunes. En un mot,
l’interprétation englobe l’ensemble des opérations nécessaires
pour rendre les règles de droit susceptibles d’application dans le
concret10.

Pour François Ost, l’interprétation peut être définie comme « l’ensemble


des opérations intellectuelles nécessaires pour résoudre une question de droit
à l’aide de textes juridiques faisant autorité »11.

7 Champeil-Desplats V., Méthodologies du Droit et des sciences du Droit, Paris, Dalloz,


2016, p. 387.
8 Kante B., « Les méthodes et techniques d’interprétation de la Constitution : l’exemple
des pays d’Afrique occidentale francophone », in Melin Soucramanien F. (dir.),
L’interprétation constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2005, pp. 155-165.
9 Kamukuny Mukinay A., Contribution à l’étude de la fraude en Droit constitutionnel
congolais, Louvain-La-Neuve, Academia L’Harmattan, 2011, pp. 50-53.
10 Pescatore P., Introduction à la science du droit, Luxembourg, 1960, p. 326 cité par Ost F.,
« Retour sur l’interprétation », in Aux confins du droit. Essais en l’honneur du Professeur
Charles-Albert Morand, Bale, Genève, Munich, Helbing & Lichtenhahn, 2001, pp. 111-
133, spéc. à la p. 118.
11 Ost F., « Retour sur l’interprétation » in Aux confins du droit. Essais en l’honneur du
Professeur Charles-Albert Morand, Bale, Genève, Munich, Helbing & Lichtenhahn,
2001, pp. 111-133.

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II. Techniques d’interprétation


Etant donné que la méthode est un chemin vers un but, la technique d’in-
terprétation est aussi un chemin, car un ensemble d’opérations intellectuelles
s’inscrivant dans une certaine logique pour aboutir à un résultat12. La tech-
nique peut aussi renvoyer à un type d’arguments. L’interprétation est l’une
des techniques les plus utilisées par les juristes, aussi bien théoriciens que
praticiens. En analysant les techniques d’interprétation du point de vue des
juges, nous pouvons, avec Michel Troper, concevoir les techniques d’inter-
prétation comme des « types d’arguments employés par les interprètes pour
justifier leurs décisions »13.
Indépendamment du fait qu’elles soient qualifiées de techniques ou de
méthodes, de règles, ou d’arguments interprétatifs, les interprétations sont
ici conçues comme des arguments mobilisables par l’interprète (juriste,
constitutionnaliste, juge, politiste, etc.) pour aboutir à une conclusion ou pour
la justifier dans la recherche de la portée qu’il convient d’attribuer à telle
ou telle autre disposition ou encore à un texte dans sa globalité. Véronique
Champeil-Desplats dégage les méthodes ou techniques d’interprétation en
partant des « lieux » ou des « contextes » dans lesquels ce sens est recherché
(l’intention de leur auteur, la lecture des textes juridiques eux-mêmes et la
détermination de leur fonction ou de leur utilité, l’interprétation qu’en donnent
les autorités normatives elles-mêmes)14.
Les techniques sont nombreuses. Elles ne constituent pas l’apanage du
constitutionnaliste. Elles sont mobilisées par les juristes selon le texte et le
but poursuivi. Si les interprétations de la doctrine peuvent relever parfois de
la spéculation, elles peuvent néanmoins inspirer le juge constitutionnel dans
sa mission d’interprète de la Constitution dans certains Etats.
Pendant longtemps, il a été professé que l’interprétation ne pouvait
s’opérer que dans l’hypothèse d’un texte obscur selon l’adage in claris non
fit interpretatio. Dans ce cas, comme l’écrit Véronique Champeil-Desplats,
l’interprétation est conçue comme une opération intellectuelle supplétive qui
n’intervient que dans le cas où le texte semble à son lecteur obscur. Et, dans ce
cas, l’interprétation doit consister à rétablir le vrai sens du texte. Elle est dans
cette hypothèse conçue comme un acte de connaissance et de reconstitution

12 Nous faisons ici abstraction de la différence « académique » entre méthode et technique


(donner la différence) qui n’est pas pertinente dans le cadre de cet article.
13 Troper M., « L’interprétation constitutionnelle », in Melin-Soucramanien F. (dir.),
L’interprétation constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2005, pp. 13-25, spéc. à la p. 20.
14 Champeil-Desplats V., op.cit., pp. 387-405.

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du sens et non un acte de volonté ou de création du sens15. De nos jours,


cette conception de l’interprétation étroitement liée au texte obscur est
parfois remise en cause car si un texte est clair ou obscur, il faut au préalable
l’interpréter. Dans son arrêt R.Const. 186/193/2015 du 14 janvier 2016, la CC
refuse d’interpréter les dispositions des articles 146 et 147 de la Constitution.
En effet, elle juge que ces dispositions « sont claires et ne donnent pas lieu à
interprétation »16. Dans de nombreux arrêts, à l’instar de R.Const. 262 du 11
mai 2016, elle se démarque de cette conception.
Les techniques d’interprétation les plus couramment admises par la
doctrine sont : l’interprétation sémiologique ou sémiotique, l’interprétation
génétique, l’interprétation systémique, l’interprétation fonctionnelle et/ou
téléologique. Ces techniques sont intégrées et adaptées par les considérations
développées par Véronique Champeil-Desplats dans son ouvrage précité en
y intégrant une interprétation tirée de la reprise du sens conféré par les juges.
Nous confrontons ces différentes techniques d’interprétation pour dégager la
portée de l’article 70 alinéa 1er de la Constitution, car c’est le sens à accorder
aux dispositions prévues par cet article.
A présent, voyons plus nettement les principales techniques d’interpréta-
tion et leur incidence sur l’article 70 alinéa 1 de notre Constitution.

1. Interprétation sémiotique
Elle permet de comprendre le langage de l’écriture constitutionnelle, le
pourquoi de l’utilisation de l’indicatif, de l’impératif ou du conditionnel,
l’importance de la ponctuation dans un texte de droit, l’importance d’une
virgule, de l’énumération restrictive ou extensive, l’usage des adverbes etc.
Appelée également interprétation littérale, linguistique, sémantique ou encore
syntaxique, elle consiste à déterminer le sens d’un texte ou d’un énoncé en
considérant ses propriétés lexicales. On suppose que la « lettre » du texte
peut être reconstituée en ouvrant un dictionnaire ordinaire ou un dictionnaire
spécialisé en droit, en s’appuyant éventuellement sur l’étymologie des mots,
en faisant usage des règles grammaticales ou syntaxiques classiques, en
s’attardant sur le mode de conjugaison et le temps des verbes.

15 Champeil-Desplats V., Méthodologies du Droit et des sciences du Droit, Paris, Dalloz,


2016, p. 386.
16 CC, 14 janvier 2016, Arrêt R.Const. 186/193/2015, Requêtes de l’Assemblée nationale
et du Président de l’Assemblée nationale en interprétation des articles 146 et 147 de la
Constitution de la République démocratique du Congo du 18 février 2006, modifiée par
la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution.
Inédit. Quatrième feuillet.

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Ambroise Kamukuny qualifie cette interprétation d’exégétique17. Parfois


implicite, cette analyse est toujours nécessaire, mais rarement suffisante,
car elle seule ne permet pas de comprendre entièrement la norme juridique
analysée ou appliquée »18. Les limites de la méthode exégétique ont également
été soulignées par Léon Duguit en ces termes : « Si le droit constitutionnel
n’était que commentaire exégétique de la Constitution qui nous régit, il serait
assurément quelque peu téméraire d’en entreprendre l’étude (…) »19.
Si nous prenons les dispositions de l’article 70 de la Constitution, en son
premier alinéa : « Le Président de la République est élu au suffrage universel
direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois.»20, une lecture
littérale nous permet de comprendre que le constituant prescrit la possibilité
pour tout Congolais d’exercer un mandat de cinq ans qu’il peut renouveler
une seule fois. En d’autres termes, nul ne peut exercer plus de deux mandats.
Cette interdiction formelle est, par ailleurs, posée par certaines Constitutions
africaines.
A titre illustratif, l’article 42 de la Constitution du Bénin du 11 décembre
1990 précise que

Le Président de la République est élu au suffrage universel


direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois.
En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats
présidentiels.

Le nouvel article 42 issu de la Loi n° 2019-40 du 07 novembre 2019 portant


révision de la Loi n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la
République du Bénin renforce davantage cette interdiction d’exercer plus de
deux mandats présidentiels par tout Béninois :

Le Président de la République est élu au suffrage universel


direct, pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois.

17 Il s’agit de l’interprétation exégétique ou normative que beaucoup de chercheurs réduisent


à l’unique méthode juridique, consistant à faire une interprétation presque littérale ou
simplement grammaticale de la règle, de la norme juridique. Kamukuny Mukinay A.,
Contribution à l’étude de la fraude en Droit constitutionnel congolais, Louvain-La-
Neuve, Academia L’Harmattan, 2011, p. 50.
18 Kamukuny Mukinay A., op.cit., p. 50.
19 Duguit L., « Le Droit constitutionnel et la sociologie », Revue internationale de
l’enseignement, 1889, cité par Champeil-Desplats V., Méthodologies du Droit…op.cit.,
p. 20.
20 Notre soulignement.

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En aucun cas, nul ne peut, de sa vie, exercer plus de deux


mandats de Président de la République21.

D’autres Constitutions s’inscrivent dans ce même registre22. Certaines


Constitutions ajoutent l’adjectif « consécutif », ce qui peut prêter à confusion
si nous nous limitons à interpréter la clause y relative au moyen des lunettes
syntaxiques. A titre illustratif, l’article 35 du Décret n° 160218 portant
promulgation de la Constitution de la République centrafricaine du 30 mars
2016 dispose :
Le Président de la République est élu au suffrage universel
direct et au scrutin secret, majoritaire à deux tours. La durée
du mandat du Président de la République est de cinq (5) ans.
Le mandat est renouvelable une seule fois. En aucun cas, le
Président de la République ne peut exercer plus de deux (02)
mandats consécutifs.

Cette deuxième incise (En aucun cas…) est redondante, mais constitue une
prohibition de toute velléité d’exercer plus de deux mandats. Cette rédaction
peu heureuse gît également au sein de l’article 195 de la Constitution du
Burundi du 18 mars 2005 telle qu’elle résulte de la révision du 7 juin 2018 :
« Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un
mandat de sept ans renouvelable. Nul ne peut exercer plus de deux mandats
consécutifs ». La Loi constitutionnelle n° 2016-10 du 5 avril 2016 portant
révision de la Constitution (du Sénégal) dispose, à l’article 27 que « la durée
du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer
plus de deux mandats consécutifs ». Pour compléter, rappelons que l’article
55 in fine de la Constitution de Luluabourg énonce que « le Président de la
République n’est rééligible immédiatement qu’une fois ».
L’adverbe « immédiatement » prévu par l’article 55 de la Constitution de
Luluabourg et l’adjectif « consécutif » figurant dans les textes constitutionnels
de la République centrafricaine, du Burundi et du Sénégal peuvent être
littéralement interprétés comme autorisant plus de deux mandats présidentiels

21 Article 42 nouveau de la Loi n° 2019-40 du 07 novembre 2019 portant révision de la Loi


n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin. Notre
soulignement.
22 Article 47 (nouveau) de la Constitution du Niger : « Le Président de la République est
élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq (5) ans,
renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats
présidentiels ou proroger le mandat pour quelque motif que ce soit ». Loi n° 2017-50 du
06 juin 2017 portant révision des articles 47, 48, 53, 59, 85 et 99 de la Constitution du 25
novembre 2010.

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à condition qu’il y ait une intermittence ou mieux l’écoulement du temps


pour prétendre à un autre mandat si nous nous limitons au sens ordinaire
de « consécutif » et d’« immédiatement ». Certaines Constitutions des Etats
latino-américains comme le Chili, la Bolivie prévoyaient expressément
la possibilité d’un second mandat, mais non consécutif au premier. Elles
exigeaient l’écoulement d’un laps de temps entre le premier et le deuxième
mandat.
L’article 37 de la Constitution du Burkina Faso du 3 juin 1991 telle
que révisée par la Loi constitutionnelle n° 072-2015/CNT de 2015 portant
révision de la Constitution est rédigé de manière si limpide qu’il tranche sur
le caractère du mandat qui ne peut être exercé plus de deux fois :
Le Président du Faso est élu au suffrage universel direct, égal
et secret pour un mandat de cinq ans. Il est rééligible une seule
fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats
de Président du Faso consécutivement ou par intermittence23.

Cette rédaction rejoint l’idée de l’article 70 alinéa 1er de la Constitution de


la RDC et l’article 42 de la Constitution du Bénin. Cette lecture est corroborée
par d’autres techniques d’interprétation permettant de clarifier la portée de
cet article. La révision de la Constitution par la Loi n° 11/002 du 20 janvier
2011 ne peut influer sur le nombre de mandats étant donné que ce dernier
est dissocié de la modalité d’élection régie par l’article 71 de la Constitution
(majorité absolue dans la version originelle de 2006 ; majorité relative dans
la version révisée de 2011). Les deux dispositions sont séparées alors qu’elles
sont traitées ailleurs sous un même chapeau (Constitution de la République
centrafricaine du 30 mars 2016).
Ayant exercé un mandat de 2006 à 2011 qu’il a renouvelé en 2011, le
Président de la République honoraire Joseph Kabila ne peut prétendre
briguer un autre mandat sans énerver la Constitution. Si l’interprétation
littérale fait obstacle à ce troisième mandat, qu’en est-il des autres techniques
d’interprétation ?

2. Interprétation génétique
Elle s’intéresse au processus de création des normes, à leur formation ainsi
qu’à leur développement. Elle repose sur une connaissance de la volonté réelle
de l’auteur du texte constitutionnel. Elle accorde une attention particulière aux
travaux préparatoires, aux débats parlementaires, aux différentes réactions des

23 Notre soulignement.

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parties prenantes aux différents avant-projets ou projets de Constitution et aux


circonstances qui président à l’élaboration ou l’adoption de la Constitution.
L’exposé des motifs et même le Préambule contiennent des indications
pertinentes à ce sujet, même si ces dispositions demeurent laconiques.
Selon véronique Champeil-Desplats, l’interprétation ou méthode génétique
fait partie de la recherche du sens à partir de l’intention de l’auteur. Cette
interprétation est aussi qualifiée de « méthode originaliste ». Elle présuppose
que le vrai sens du texte est celui qu’a voulu lui conférer son auteur au
moment de sa rédaction. Le travail de l’interprète s’apparente alors à celui
d’un historien ou d’un archéologue parti à la recherche d’une pensée ancienne
dont le texte aurait gardé la trace. Le juriste s’engage dans une lecture attentive
des travaux préparatoires et des débats qui ont précédé l’adoption du texte
considéré24.
Cette technique n’est pas à l’abri de critiques pour une série d’arguments :
le sens du texte échappe à son auteur et qu’il est soumis à une reconstruction
permanente par ses interprètes ; la difficulté d’identifier l’intention de
l’auteur d’autant plus que le texte est parfois le produit de plusieurs versions
successives25. Les interprètes peuvent aussi s’appuyer sur les définitions
proposées par l’auteur du texte. En effet, il est fréquent que l’auteur du texte
ait, lui-même, dit les objectifs de son texte ou le sens à lui accorder lorsqu’il
en défendait l’adoption. Cette approche ne saurait toujours suffire notamment
quand la volonté de l’auteur est équivoque. De plus, elle paraît discutable
lorsque le texte est ancien et que l’épreuve du temps a eu raison de sa finalité
originelle26.
Pour mieux comprendre la portée de l’alinéa 1er de l’article 70, nous pouvons
nous servir de travaux préparatoires, de différentes versions antérieures des
dispositions dudit article. Rappelons que la Constitution de transition du 4
avril 2003 avait chargé le Sénat de la mission d’élaborer un avant-projet de
Constitution à soumettre à l’examen et à l’adoption de l’Assemblée nationale
avant son approbation définitive par voie référendaire. L’élaboration de la
Constitution du 18 février 2006 résulte d’un long processus tirant sa source
dans la première version proposée par la Commission constitutionnelle du
Sénat à Simi-Simi (Kisangani) en octobre 2004 enrichie par les observations

24 Champeil-Desplats V., op.cit., p. 388.


25 Champeil-Desplats V., op.cit., pp. 389-390.
26 Kamukuny Mukinay A., Contribution à l’étude de la fraude en Droit constitutionnel
congolais, Louvain-La-Neuve, Academia L’Harmattan, 2011, p. 51 et s.

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des experts et l’adoption de l’avant-projet de Constitution par le Sénat en


2005.
Dans la première version proposée par les experts en octobre 2004, trois
alinéas déterminaient le mode d’élection du Président de la République, la
durée et le nombre de mandats :
Le Président de la République est élu au suffrage universel direct
à 2 tours.
Son mandat est de 5 ans renouvelable une seule fois.
Nul ne peut exercer plus de 2 mandats présidentiels27.
Le président de la République qui interrompt son mandat
par démission avant son expiration ne peut pas se présenter à
l’élection présidentielle consécutive à sa démission28.

Les experts avaient également prévu une variante à l’élection du Président


de la République au suffrage universel indirect en s’inspirant du mode de
désignation du Président de la République prévu par la Constitution de
Luluabourg. Cette variante prévue par la Commission des experts était libellée
comme suit :
Le Président de la République est élu par un collège composé des
députés, des sénateurs, des membres des assemblées provinciales
et des conseils locaux ; à cet effet, les Assemblées provinciales et
les conseils locaux siègent au chef – lieu de leur province29.

En recourant à la technique d’interprétation génétique, nous pouvons


situer l’intention du « préconstituant » de limiter à deux le nombre de
mandats présidentiels dès la formulation initiale de l’actuel article 70. Cette
formulation initiale n’a pas été reprise dans les propositions du Collège
des experts de la Commission constitutionnelle du Sénat. Ce Collège avait
retenu la formulation suivante : « Le Président de la République est élu
au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable
une seule fois »30. L’avant-projet de Constitution adopté par la Commission

27 Notre soulignement.
28 Article X du draft de la Constitution rédigé par les experts à Simi-Simi, Kisangani,
octobre 2004.
29 Article X du draft de la Constitution rédigé par les experts à Simi-Simi, Kisangani,
octobre 2004.
30 Article 63 de la proposition de Constitution rédigée par le collège des experts attaché à
la Commission constitutionnelle du Sénat de la République Démocratique du Congo,
Kisangani, octobre 2004.

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constitutionnelle du Sénat reprend la formulation initiale : « Le Président de


la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans,
renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux
mandats présidentiels »31.
L’Avant-projet de Constitution adopté par le Sénat en mars 2005 et le projet
de Constitution adopté par l’Assemblée nationale en juin 2005 ne reprennent
pas l’alinéa (En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats
présidentiels)32. Précisons que la Commission Politique, administrative et
juridique (PAJ) de l’Assemblée nationale avait apporté des amendements à
l’article 70. L’alinéa 1er dudit article a été rédigé en ces termes : « Le Président
de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq
ans renouvelable ». Cette rédaction résulte de l’intention délibérée de ladite
Commission d’élaguer de cet alinéa l’expression « renouvelable une seule
fois ». Toutefois, les arguments soutenus par les membres de cette Commission
et la rédaction dudit alinéa ne permettent pas de saisir la pertinence de cette
suppression33. Cette expression « renouvelable une seule fois » a été reprise
par la plénière de l’Assemblée nationale.
A travers tout ce processus d’élaboration des dispositions de l’article 70,
nous pouvons relever une constance dans l’intention du préconstituant et du
constituant sur la limitation du nombre de mandats (deux). La suppression de
l’incise initiale (Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels)

31 Article 79 de l’avant-projet de Constitution élaboré par la Commission constitutionnelle


du Sénat à Kisangani, octobre 2004.
32 Article 69 de l’avant-projet de Constitution adopté par le Sénat à Kinshasa, Palais du
Peuple, mars 2005 et article 70 du projet de Constitution de la République Démocratique
du Congo adopté par l’Assemblée nationale, Kinshasa, juin 2005.
33 Rapport de la Commission PAJ de l’Assemblée nationale, Avril 2005.
Cet article a subi deux amendements:
1. les membres de votre Commission ont supprimé le bout de phrase « renouvelable une
seule fois » pour:
a. éviter les expériences malheureuses connues à travers tout notre continent, où les
chefs d’Etat modifient, à leur guise et parfois par des procédures peu orthodoxes, la
Constitution afin de se maintenir indéfiniment au pouvoir;
b. stimuler le chef de l’Etat en fonction à mieux conduire la destinée de la Nation afin de
mériter une fois de plus la confiance du peuple aux prochaines élections.
2. un deuxième alinéa a été ajouté pour que le Président de la République sortant puisse
rester en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu afin d’éviter le
vide institutionnel. Ainsi, l’article 70 se lit comme suit : « Le Président de la République
est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable.
A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation
effective du nouveau Président élu ».

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peut s’expliquer, pour notre part, par son caractère redondant, car, après avoir
affirmé que le Président exerce un mandat de cinq ans une fois renouvelable,
l’incise ainsi supprimée ne pouvait apporter aucune valeur ajoutée.
Il résulte de ce qui précède que l’interprétation génétique de l’article 70
de la Constitution ne peut servir de fondement à l’exercice d’un nouveau
mandat pour celui qui en a déjà exercé deux, car l’intention du constituant
à travers l’analyse de différents textes antérieurs confirme cette option de
limitation à deux du nombre de mandats présidentiels. Cette limitation est
encore corroborée en faisant recours à d’autres techniques d’interprétation,
notamment l’interprétation systémique.
C’est à cette intention de l’auteur ou plus précisément à cette technique
génétique qu’avait recouru la CC de la RDC dans son arrêt du 11 mai 2016 en
recherchant le sens de la disposition « Le Président en exercice demeure en
fonction jusqu’à l’installation du nouveau Président élu », dans l’intention
de l’auteur telle qu’elle émergeait du débat général du projet de Constitution
engagé à l’Assemblée nationale avant son adoption.

3. Interprétation systémique
Cette technique facilite la compréhension de la Constitution non pas
dans une lecture isolée de ses dispositions, mais en prenant en considération
d’autres articles pour en faciliter la lecture. Elle vise à éclairer un fragment
du texte par un autre, voire par d’autres textes. Elle prend en considération
d’autres articles d’un texte ou éventuellement d’autres règles de droit pour
qu’ils s’éclairent les uns les autres34. Selon Véronique Champeil-Desplats,
l’interprétation systémique procède de la recherche du sens à partir des textes
eux-mêmes. Elle consiste à rechercher le sens d’un énoncé « en le replaçant
dans le texte global auquel il appartient (une loi, un code, une Constitution, une
Convention internationale), dans un ensemble d’autres textes (considération
de plusieurs lois, de plusieurs Conventions internationales…) ou encore dans
l’ordre juridique tout entier.
Le sens de l’énoncé est alors déterminé à la lumière d’autres. Tous
sont supposés former un ensemble complet, harmonieux et cohérent-un
système-, et s’éclairer les uns les autres35. Appelée aussi approche holistique
ou systématique, elle permet de s’interroger, par exemple, sur l’esprit des
dispositions constitutionnelles tiré de la nature du régime et de comprendre

34 Cohendet M.A., Droit public. Méthodes de travail, Paris, Montchrestien, 1998, p. 31.
35 Champeil-Desplats V., op.cit., pp. 390-391.

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aisément les objectifs poursuivis par le constituant36. La Constitution


tunisienne de 2014 prévoit à l’article 146 l’interprétation systémique
en énonçant que « Les dispositions de la présente Constitution sont
comprises et interprétées les unes par rapport aux autres, comme une
unité cohérente »37. Le recours à l’interprétation systémique peut conduire à
des résultats différents en se basant, entre autres, sur l’interprétation littérale
ou sémiotique.
Analysant l’article 70 alinéa 1er de la Constitution au moyen de l’interpré-
tation systémique, nous pouvons prendre en considération d’autres disposi-
tions de la Constitution ou d’autres textes et actes permettant de comprendre
cette limitation du nombre de mandats. L’article 220 de la Constitution peut
être rappelé à cet effet dans la mesure où il interdit la révision, notamment
des dispositions relatives à la durée et au nombre de mandats présiden-
tiels. Or, ce nombre étant limité à deux, est bien déterminé par l’article 70.
L’Exposé des motifs de la Constitution du 18 février 2006 énumère, parmi
les préoccupations majeures présidant à l’organisation des institutions, celle
d’assurer « l’alternance démocratique ». Le caractère illimité du mandat peut
contrarier la réalisation de cette alternance comme cela a été constaté dans la
plupart des Etats africains dans lesquels le caractère non limité des mandats
présidentiels ne favorisait pas l’alternance démocratique. Cette préoccupation
d’assurer l’alternance démocratique est rappelée dans l’Exposé des motifs de
la Loi n° 18-021 du 26 juillet 201838.

36 Kamukuny Mukinay A., Contribution à l’étude de la fraude en Droit constitutionnel


congolais,…op.cit., p. 53.
37 Notre mise en relief.
38 Exposé des motifs : « Depuis son accession à l’indépendance le 30 juin 1960, en dépit
de son aspiration démocratique, la République démocratique du Congo n’a jamais
expérimenté l’alternance démocratique. Cette aspiration est souvent entravée
par des crises politiques et rébellions à répétition. De manière générale, ces crises
tirent leur origine dans l’insécurité éprouvée par des anciens animateurs des institutions
et de corps constitués de la République. C’est pourquoi, par la Constitution du 18
février 2006 telle que modifiée à ce jour, le peuple congolais, toujours épris de
l’idéal démocratique, s’est engagé dans un projet de société démocratique assis
notamment sur les fondements ci-après: (i) la dévolution du pouvoir par la voie des
urnes dans le respect de la Constitution; (ii) l’élection du président de la République
au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois; (iii)
la prohibition aussi bien de la conquête et de la conservation du pouvoir par la force
que du renversement de tout régime constitutionnel.
Dans la même perspective, l’article 104 alinéa 7 de la Constitution fixe le sort des anciens
présidents de la République élus. Cependant, force est de constater à ce jour que ces
mécanismes s’avèrent insuffisants pour garantir l’alternance démocratique, ainsi

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’un des volets de l’Accord global et inclusif du Centre interdiocésain de


Kinshasa du 31 décembre 2016, et dont les dispositions ont régi conjointement
avec la Constitution, le fonctionnement des institutions jusqu’à l’organisation
des élections du 30 décembre 2018, est consacré au mandat de l’ancien
Président de la République. Le point II, inscrit sous le chapitre II relatif au
« Respect de la Constitution » énonce :
II.2. En rapport avec la préoccupation sur le troisième mandat
pour le Président de la République, Joseph Kabila, les parties
prenantes actent sa déclaration solennelle faite devant le
Parlement réuni en Congrès en date du 15/11/2016 en ces
termes : A tous ceux qui semblent se préoccuper à longueur
de journée de mon avenir politique, je tiens à dire, tout en les
remerciant, que la RDC est une démocratie constitutionnelle.
Toutes les questions pertinentes relatives au sort des institutions
et de leurs animateurs sont réglées de manière satisfaisante par
la Constitution. Ainsi ayant accompli deux mandats, il ne peut
donc en briguer un troisième39.

En recourant aux dispositions de l’article 220 de la Constitution et à l’exposé


des motifs de ladite Constitution d’une part, et en nous inspirant de l’Exposé
des motifs de la Loi n° 18-021 du 26 juillet 2018 et à l’une des dispositions
de l’Accord global et inclusif du Centre interdiocésain de Kinshasa du 31
décembre 2016, nous pouvons soutenir que la voie d’un troisième mandat ne
peut prospérer au regard de l’interprétation systémique de l’article 70 de la
Constitution.

4. Interprétation fonctionnelle et/ou téléologique


L’interprétation fonctionnelle consiste à attribuer à la règle une fonction
objective qui peut être différente de celle visée par l’auteur. On s’interroge

que la stabilité et la pérennité des institutions de la République pour la consolidation


de la démocratie. Notre soulignement.
39 Accord global et inclusif du centre interdiocésain de Kinshasa du 31 décembre 2016.
Notre soulignement. Le membre de la phrase « Ainsi ayant accompli deux mandats, il
ne peut donc en briguer un troisième » est un ajout de l’accord et n’a pas été prononcé
par le Président Joseph Kabila. Le passage de son discours sur l’état de la nation
pertinent en ce qui nous concerne est prononcé en ces termes : «  Quant à tous ceux qui
semblent se préoccuper à longueur des journées de mon avenir politique, je tiens à
dire, tout en les en remerciant, que, la République Démocratique du Congo est une
démocratie constitutionnelle et que toutes les questions pertinentes relatives au sort
des Institutions et de leurs animateurs sont réglées de manière satisfaisante par la
Constitution. N’Ayant jamais été violée, la Constitution sera toujours respectée, et
ce, dans toutes ses dispositions ».

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non pas sur ce que l’auteur du texte a réellement voulu dire, mais, maintenant
que la règle doit être appliquée dans une situation historique différente, quel
sens il convient de lui donner si l’on veut obtenir le résultat recherché40. Elle
vise à donner au texte la signification qui lui permettra de remplir la fonction
qu’on lui attribue. Ambroise Kamukuny aborde dans la même optique. Dans
une situation historique différente de celle qui avait prévalu à l’élaboration
du texte, il peut arriver que la fonction à laquelle est destinée la règle de droit
devienne tout aussi différente de celle auparavant visée par l’auteur du texte.
Dans ce cas, le sens à donner à la règle en cause doit découler de la fonction
objective que dans la situation concernée pareille règle aurait pu assurer41.
L’interprétation fonctionnelle se rapproche de l’interprétation téléologique
et se confond parfois avec cette dernière. C’est pour cette raison que nous les
étudions sous une même rubrique. L’interprétation téléologique se propose de
dégager le sens du texte de la Constitution au regard de sa raison d’être. En
d’autres termes, le texte constitutionnel s’interprète en fonction de l’objectif
visé lors de la création de la règle de droit. Pour Michel Troper, l’interprétation
téléologique constitue une variété de l’interprétation fonctionnelle dans la
mesure où elle se fonde sur le but poursuivi par le constituant ou le législateur42.
Véronique Champeil-Desplats range l’interprétation téléologique (finalité
du texte) et l’interprétation fonctionnelle (fonction du texte) dans les
techniques d’interprétation procédant de la recherche du sens à partir de la
fonction et de la finalité du texte43. Pour elle, l’interprétation fonctionnelle
procède de la recherche du sens à partir de la fonction du texte. Elle se détache
des propriétés syntaxiques ou lexicales du texte lui-même pour considérer
le contexte de son application. Cette recherche de la fonction peut être
menée dans des directions très diverses : recherche des fonctions sociales,
économiques, politiques, l’effet utile du texte44.
L’interprétation téléologique préconise de prendre en considération la
finalité, le but des textes juridiques et de les intégrer dans la vie sociale45.
Au niveau constitutionnel, écrit Véronique Champeil-Desplats, la méthode
téléologique s’inscrit, à partir de la fin du XIXème siècle, dans la promotion

40 Djoli Eseng’Ekeli J., Droit constitutionnel. L’expérience congolaise (RDC), Paris,


L’Harmattan, 2013, p. 20.
41 Kamukuny Mukinay A., op.cit., p. 52.
42 Alland D. et Rials St. (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2007, p. 842
et s.
43 Champeil-Desplats V., op.cit., pp. 394-397.
44 Champeil-Desplats V., op.cit., op.cit., p. 394.
45 Champeil-Desplats V., op.cit., p. 394.

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d’un constitutionnalisme vivant. Elle invite à s’engager dans une interprétation


évolutive du texte constitutionnel afin de l’adapter au contexte dans lequel il
est invoqué46. L’interprétation téléologique peut également être qualifiée de
« finaliste »47.
En insistant aussi bien sur la fonction de la limitation du nombre de
mandats (interprétation fonctionnelle) que sur sa finalité ou sa raison d’être
(interprétation téléologique), nous pouvons développer une dissertation sur
cette double interprétation qui nous paraît la plus indiquée, en combinaison
avec d’autres, pour dégager l’utilité, la fonction ou la finalité de la limitation
du nombre de mandats présidentiels telle que prévue par l’article 70 alinéa
1er et consolidée par l’article 220 de la Constitution. Ainsi, nous pouvons
soutenir que la raison d’être de la disposition limitative à deux du nombre
de mandats présidentiels en RDC telle que sanctuarisée par l’article 220
procède de l’intention du constituant de favoriser l’alternance démocratique
au pouvoir et de conjurer le risque des mandats à vie, terrain fertile d’une
éventuelle personnalisation du pouvoir et des crises de légitimité ayant freiné
le développement du pays.
Cette limitation s’inscrit dans une tendance générale du constitutionna-
lisme africain de la « troisième vague » sur le versant de l’exercice du pou-
voir consistant dans le plafonnement du nombre de mandats présidentiels
fixé tout au plus à deux48. Il se dégage une convergence constitutionnelle
appuyée et soutenue par les organisations internationales africaines mettant
en relief la nécessité de favoriser l’alternance démocratique au sein des
Etats africains49.

46 Champeil-Desplats V., op.cit., p. 396.


47 Cohendet M.A., Droit public. Méthodes de travail, Paris, Montchrestien, 1998, p. 29.
48 La Constitution de la République du Congo (Brazzaville), adoptée par voie référendaire
le 25 octobre 2015 déroge à cette règle en instituant la règle du renouvellement du mandat
à deux ; ce qui confère la possibilité de briguer trois mandats présidentiels (article 65 al.
1er).
49 Dans le cadre de l’Union africaine, l’adoption de la Charte africaine de la démocratie, des
élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007, en vigueur depuis le 15 février 2012
et dans le cadre de la CEDEAO, le Protocole A/SP1/12/01 du 21 décembre 2001 sur la
démocratie et la bonne gouvernance. L’article 23 (point 5) de la Charte précitée, inclut,
parmi les cas typiques des changements anticonstitutionnels de gouvernement « Tout
amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte
atteinte aux principes de l’alternance démocratique ». Le Protocole de la CEDEAO A/
SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au
Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix
et de la sécurité adopté à Dakar, le 21 décembre 2001 énonce une série de principes de

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Bien que les ouvrages et contributions sur le droit constitutionnel africain


rédigés en langue française ne prennent pas suffisamment en compte
l’Afrique anglophone, il importe de signaler que la clause limitative du
nombre de mandats présidentiels est consacrée également dans ces Etats.
C’est notamment le cas du Malawi, de la Tanzanie50, du Kenya, de la Zambie.
Il en est de même des Etats africains lusophones51. Dans certains Etats, cette
clause limitative a été insérée dans les dispositions insusceptibles de révision
constitutionnelle (RDC, Tunisie, République centrafricaine, Mauritanie,
Sénégal, Niger, Algérie, etc.). Nous avons traité cette question de manière
approfondie dans un autre cadre52.
La raison d’être de cette limitation réside dans l’histoire politico-
constitutionnelle africaine d’avant la vague du processus de démocratisation
amorcé sur le continent au lendemain de la fin de la guerre froide. Le diagnostic
dressé sans complaisance par les acteurs socio-politiques renseignait, entre
autres, que le défaut de limitation du nombre de mandats présidentiels faisait
allègrement le lit des dictatures, de la personnalisation du pouvoir, de sa
confiscation, bref un mandat pérenne étouffait toute velléité d’alternance
démocratique53.
Pour Robert Dossou, cette limitation a été instituée dans le but
d’asseoir l’alternance politique et faire disparaître la personnalisation et la
patrimonialisation du pouvoir »54. L’alternance est entendue dans le sens

convergence constitutionnelle considérés comme des principes communs à tous les Etats
de la CEDEAO.
50 Concernant la Tanzanie, nous relevons que le Président Kikwete a déclaré en octobre
2015 se conformer, avec joie au prescrit constitutionnel limitant à deux le nombre de
mandats après avoir servi son Etat pendant dix ans. Un exemple qui s’inscrit dans celui
d’Alpha Omar Kondé du Mali et de peu de dirigeants africains.
51 Cas de l’Angola. L’article 113 (2) de la Constitution du 5 février 2010 ; cas du Mozambique
avec l’article 147 (4) de la Constitution du 21 décembre 2004.
52 Kazadi Mpiana J., « L’odyssée de la clause intangible du nombre de mandats présidentiels
au regard de la révision par voie référendaire dans le constitutionnalisme africain. Une
valse à trois temps ? », in Mingashang I. (dir.), La responsabilité du juriste face aux
manifestations de la crise dans la société contemporaine. Un regard croisé autour de
la pratique du droit par le Professeur Auguste Mampuya, Bruxelles, Bruylant, 2018,
pp. 577-657.
53 Foucher V., « Difficiles successions en Afrique subsaharienne : persistance et
reconstruction du pouvoir personnel », Pouvoirs, 2009/2, n°129, pp. 127-137. En d’autres
termes, c’est la permutation au pouvoir entre la majorité et l’opposition ou le changement
des rôles antérieurs.
54 Dossou R., « Flux et reflux dans le nouveau constitutionnalisme africain », Revue
du Conseil constitutionnel, N° spécial. Les actes de la Conférence africaine d’Alger.

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proposé par Jean-Louis Quermonne, comme étant « un transfert de rôle


conduisant deux partis ou deux coalitions à vocation majoritaire à exercer
tantôt le pouvoir, tantôt l’opposition55. Cette définition est reprise par le
dictionnaire de Droit constitutionnel. A travers l’expression « alternance »,
il convient de comprendre « le remplacement au pouvoir d’une majorité
par une autre. (…). Elle est normalement la conséquence d’un changement
d’orientation du corps électoral » 56. L’alternance n’est possible que « dans un
système de libre concurrence politique où existe un consensus minimal sur la
nécessité de la continuité de l’Etat »57.
En Algérie, la Constitution du 8 décembre 1996 telle que révisée par la Loi
n°16-01 du 6 mars 2016 a renoué avec la limitation du mandat présidentiel,
l’insérant dans les dispositions intangibles après sa suppression en 2008. Pour
le Conseil constitutionnel algérien, cette modification répond aux exigences
de l’alternance démocratique58 alors que le même Conseil constitutionnel
avait accordé sa caution à la non limitation du nombre de mandats en 2008 aux
fins « d’assurer à la souveraineté populaire la libre et pleine expression »59.
Dans sa décision du 19 août 2014, la Cour constitutionnelle du Bénin avait

Thème : « Les avancées en matière de droit constitutionnel en Afrique », 2014/4, pp.


327-353, spéc. à la p. 345.
55 Quermonne J.L., Les régimes politiques occidentaux, Paris, Seuil, 1986, p. 64, cité par
Lauvaux Ph. et Le Divellec A., Les grandes démocraties contemporaines, 4ème édition,
Paris, PUF, 2015, p. 95.
56 de Villiers M. et Le Divellec A., Dictionnaire du Droit constitutionnel, 10ème édition,
Paris, Sirey, 2015, p. 7.
57 Lauvaux Ph. et Le Divellec A., op.cit., p. 95.
58 « Considérant que l’amendement de l’article 74 a pour objet de consacrer le principe de
l’alternance démocratique en fixant la rééligibilité du Président de la République à une
seule fois ; traduisant ainsi le contenu de l’alinéa 12 du Préambule ; que la consécration
de ce principe, par son insertion à l’article 178, vise à lui conférer un caractère pérenne ;
- Considérant que l’alternance démocratique constitue un fondement essentiel de la
démocratie ; qu’elle est de nature à renforcer ses fondements et à dynamiser la vie
politique ;
- Considérant que ces amendements renforcent le système démocratique par la
concrétisation du principe de l’alternance démocratique qui permet au peuple d’exercer
son pouvoir à travers le libre choix de ses représentants par la voie d’élections
périodiques, libres et régulières conformément à l’article 10 de la Constitution,
- Considérant que la consécration du principe de la rééligibilité une seule fois du
Président de la République à l’article 178 garantit la pérennité et la stabilité de ce
principe (…). ». Cfr Conseil constitutionnel algérien, Avis n° 01/16 du 28 janvier
2016 relatif au Projet de loi portant révision de la Constitution. Cet avis est disponible
sur le site du Conseil constitutionnel algérien (www.conseil-constitutionnel.dz).
59 Avis n° 1/08 du 7 novembre 2008 relatif au projet de loi portant révision constitutionnelle.

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établi une corrélation entre la limitation du nombre de mandats et l’alternance


démocratique60. Toutefois, soulignons que la non limitation du nombre de
mandats présidentiels ne constitue pas en elle-même un obstacle ou un frein
à l’alternance, mais crée des conditions propices, susceptibles de l’étouffer.
Soulignant l’importance de la limitation du nombre de mandats en Afrique,
Jean-Louis Esambo Kangashe observe que
peinte dans la Constitution, la limitation du nombre et de la
durée des mandats présidentiels poursuit un objectif bien clair,
celui d’éviter l’exercice autoritaire et monarchique du pouvoir
pour se révéler au service du constitutionnalisme. Il reste que
bon nombre de Constitutions africaines peinent à domestiquer
l’exercice autoritaire du pouvoir, laissant persister le doute sur
son effectivité61.

Quoique reprise par la plupart des Etats africains, la clause limitative du


nombre de mandats présidentiels est soumise à dure épreuve car certains
Etats l’ont élaguée de la Constitution aux termes d’un processus de révision
constitutionnelle. Koffi Ahadzi- Nonou observe, à juste titre, que « la
consécration de la réélection illimitée du Chef de l’Etat fut, au début des
années 2000, le principe le mieux partagé par le politique en Afrique »62. La
tendance à la limitation s’est imposée dans plusieurs nouvelles Constitutions
ou révisions Constitutionnelles qu’ont connues les Etats africains entre
2006 et 2019 si nous faisons abstraction, notamment, de la Constitution du
Cameroun, du Gabon et de la Guinée équatoriale.
Dans d’autres Etats, par contre, les contestations populaires ont étouffé
certaines velléités ou initiatives de réviser la clause limitative du nombre de
mandats. Au regard de nombreuses contestations entourant la révision de cette
clause dans l’opinion publique africaine ainsi que la procédure unilatérale

60 Cour constitutionnelle du Bénin, DCC 14-156 du 19 août 2014 : « (… l’idée de droit


dégagée par la Conférence des Forces Vives de la Nation de février 1990, fondatrice
du Renouveau démocratique, est l’alternance démocratique… ». Souligné dans le texte
même de la décision, disponible en ligne (http://www.cour-constitutionnelle-benin.org/
doss_decisions/DCC%2014-156.pdf), (Consultée le 10 novembre 2019).
61 Esambo Kangashe J.L., « Alternance politique, une épreuve difficile pour l’Afrique ? »,
in Mingashang I. (dir.), La responsabilité du juriste face aux manifestations de la crise
dans la société contemporaine. Un regard croisé autour de la pratique du droit par le
Professeur Auguste Mampuya, Bruxelles, Bruylant, 2018, pp. 565-575, spéc. à la p. 574.
62 Ahadzi-Nonou K., « Constitution, démocratie et pouvoir en Afrique », in Aivo F.J. (dir.),
La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges
en l’honneur de Maurice Ahanhanzo-Glélé, Paris, L’Harmattan, 2014, pp. 63-73, spéc. à
la p. 72.

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souvent engagée pour atteindre cette finalité, nous pouvons soutenir qu’un
large consensus fait défaut en Afrique sur cette question et qu’une culture
d’hostilité à cette forme de révision constitutionnelle se répand en Afrique63.
En effet, comme le souligne Ismaila Madior Fall, la question du mandat
présidentiel,
que ce soit la détermination de sa durée ou du nombre de mandats
autorisé, est un enjeu considérable dans les pays africains. Elle
est souvent à l’origine de l’instabilité constitutionnelle, mais
aussi des crises politiques. En effet, la plupart des révisions
portent sur les dispositions constitutionnelles relatives au
mandat, notamment sur sa durée ou son caractère renouvelable
ou non64.

Les révisions réalisées, projetées ou avortées sur le nombre de mandats


présidentiels constituent la preuve éloquente de ce danger permanent du
constitutionnalisme en Afrique65. Certaines révisions constitutionnelles ont
été conçues intuitu personae ou ad personam66. Ces propos de Maurice Kamto

63 Sur l’incidence de la culture sur la révision de la Constitution, voy. Xenophon Contiades


& Alkmene Fotiadou, « The Determinants of Constitutional Amendability : Amendment
Models or Amendment culture?”, European Constitutional Law, 2016, pp. 192-211.
64 Madior Fall I., La réforme constitutionnelle du 20 mars 2016 au Sénégal. La révision
consolidante record, Paris, L’Harmattan Sénégal, 2017, p. 108. Notre soulignement.
65 Pour plus de détails sur cette question, voy. Mbata Mangu A., « Constitutionnalisme,
Constitutions, et limitation des pouvoirs et des mandats présidentiels en Afrique »,
in Aivo F.J. (dir.), La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour
l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de Maurice Ahanhanzo-Glélé, Paris, L’Harmattan,
2014, pp. 735-757.
66 Ce fut le cas en Namibie. L’article 29 § 3 de la Constitution du 12 mars 1990 limitait le
mandat présidentiel à deux fois. La première révision de la Constitution (First Amendment
Act 1998) du 7 décembre 1998 disposait que nonobstant l’article 29 §3 le Premier
Président de Namibie peut briguer trois mandats. Une façon peut-être de récompenser
le père de l’indépendance (Sam Mujoma). Il en est de même de la Constitution de la
République du Rwanda de 2003 révisée en 2015 qui, après avoir dégagé à l’article 101
que « Le Président de la République est élu pour un mandat de cinq (5) ans. Il peut
être réélu une seule fois », énonce des dispositions spécifiques en faveur du Président
Paul Kagame à l’article 172 : « Le Président de la République en exercice lors de
l’entrée en vigueur de la présente Constitution continue à exercer le mandat pour
lequel il a été élu. Sans préjudice des dispositions de l’article 101 de la présente
Constitution, compte tenu des pétitions présentées par le Peuple rwandais avant
l’entrée en vigueur de la présente Constitution révisée, basées sur des défis sans
précédent résultant du passé tragique qu’ a connu le Rwanda et la voie choisie pour
les surmonter, les progrès déjà réalisés et le désir de poser une fondation solide
pour le développement durable, un mandat Présidentiel de sept (7) ans est établi

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traduisent mieux la conception du Chef d’Etat en Afrique, héritage d’un passé


dont l’Afrique peine à se détacher :
Le chef a pour lui l’éternité. Cette conception de la chefferie de
l’Etat, en particulier en Afrique, est difficilement compatible avec
la démocratie constitutionnelle. Quand le chef ne piétine pas la
Constitution, il l’instrumentalise. Il ne croit pas aux élections,
mais il s’en accommode dans la mesure où il est assuré d’en
sortir toujours vainqueur, et dans cette mesure-là seulement67.

L’approche de la fin du second mandat présidentiel est de tous les enjeux


et constitue une équation : soit le spectre de la révision de la Constitution
pointe à l’horizon pour créer les conditions d’un troisième mandat soit
l’élégance politique commande d’y renoncer. J.I. Senou évoque à juste titre
« l’obsession du second mandat »68. Cette propension à faire sauter le verrou
de la limitation du nombre de mandats incite certains auteurs à réfléchir sur
« l’utilité » de cette clause69 alors que d’autres soutiennent la nécessité de
l’exercice du mandat unique pour les Présidents africains. Babacar Gueye est
d’avis que
…le mandat unique apparaît dès lors, plus que toute autre
modalité de limitation du nombre de mandats électifs, comme le
véritable antidote contre la réélection automatique du Président,
puisqu’il ne permet pas par définition au Président sortant de
briguer un nouveau mandat (…). Si le mandat unique conduit
irrésistiblement à l’alternance au pouvoir, celle-ci en exorcisant
la force brutale, contribue de façon décisive à la pacification des
mœurs et de l’espace politiques70.

et prend effet à l’expiration du mandat visé à l’alinéa premier du présent article.


Les dispositions de l’article 101 de la présente Constitution prennent effet après le
mandat de sept (7) ans visé à l’alinéa 2 du présent article », Official Gazette. n° special
of 24/12/2015. Notre soulignement.
67 Kamto M., « Le contrôle de la mise en œuvre nationale des règles et standards
internationaux de la démocratie en Afrique. Des chaînons manquants ? », in Démocratie
en questions ? Mélanges en l’honneur du Professeur Théodore HOLO, Toulouse, Presses
de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2017, pp. 95-119, spéc. à la p. 99.
68 Senou J.I., « Le nouvel avatar démocratique en Afrique : l’obsession du second mandat »,
Revue française de Droit constitutionnel, n° 107, 2016, pp. 633-652.
69 de Nantois Ch., « La limitation du nombre de mandats présidentiels : entre utilité et….
inutilité », Revue Politeia, n° 28, décembre 2015, p. 231.
70 Gueye B., « Le mandat unique : un mandat pour le Président de la République en
Afrique », in Démocratie en questions. Mélanges en l’honneur du Professeur Théodore

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Les mêmes finalités ayant présidé à la limitation du nombre de mandats


présidentiels dans plusieurs Etats africains ont également intéressé la RDC.
Parmi les préoccupations majeures qui ont présidé à l’organisation des
institutions issues de la Constitution congolaise du 18 février 2006 figure celle
d’assurer l’alternance démocratique71. La limitation du mandat présidentiel
à cinq ans renouvelable une seule fois sous l’empire de la Constitution en
vigueur s’est inspirée de l’article 55 de la Constitution du 1er août 1964 (dite
de Luluabourg) qui disposait in fine que le Président de la République n’est
rééligible immédiatement qu’une fois. L’article 55 de cette Constitution de
Luluabourg insinue le caractère intermittent du nombre de mandats et ce,
contrairement à la rédaction de l’article 70 alinéa 1er de la Constitution du 18
février 2006.
Comme nous renseigne Jean-Louis Esambo,
l’option semble avoir été dictée par le souci d’assurer
l’encadrement du pouvoir par l’alternance et le renouvellement
de la classe politique au pouvoir. Elle a été abandonnée pendant
la deuxième République qui lui a préféré le caractère illimité du
mandat du Président de la République72.

Pour sa part, analysant la limitation du nombre de mandats présidentiels


sous la Constitution du 18 février 2006, Grégoire Bakandeja se refuse d’entrer
dans le débat sur le bien-fondé du principe de la limitation du nombre de
mandats présidentiels, rappelant toutefois que
ce principe a pour corollaire la rotation des postes, autrement dit
l’obligation pour le détenteur d’un poste de le quitter après une

HOLO, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2017, pp. 211-227, spéc.
aux pp. 216-217.
71 Voy. Exposé des motifs de la Constitution du 18 février 2006 (3.7) : « C’est pour assurer
cette alternance et d’autres principes fondamentaux prévus à l’article 220 de la Constitution
que le constituant interdit toute révision portant sur ces matières ». Le même exposé des
motifs est plus explicite : « Pour préserver les principes démocratiques contenus dans la
présente Constitution contre les aléas de la vie politique et les révisions intempestives, les
dispositions relatives à la forme républicaine de l’Etat, au principe du suffrage universel,
à la forme représentative du Gouvernement, au nombre et à la durée des mandats du
Président de la République, à l’indépendance du pouvoir judiciaire, au pluralisme
politique et syndical ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle”, point
4 de l’Exposé des motifs relatif à la révision constitutionnelle.
72 Esambo Kangashe J.L., La Constitution congolaise du 18 février 2006 à l’épreuve du
constitutionnalisme. Contraintes pratiques et perspectives, Louvain-la-Neuve, Academia
Bruylant, 2010, p. 56.

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certaine période.- Il souligne- que ce principe se justifie par le


souci de limiter le pouvoir dont l’exercice a conduit par le passé
à des dérives totalitaires. Les Constituants de 2006 ont tiré ainsi
les leçons de trois décennies de présidentialisme que certains ont
qualifié de chefferie modernisée ou de royauté du Père Fondateur
d’alors73.

Si la limitation du nombre de mandats présidentiels n’avait pas


suffisamment d’importance, rien ne pouvait justifier son insertion dans le
marbre constitutionnel de l’article 220 en la soustrayant des sirènes partisanes
de la révision constitutionnelle. Cette clause de limitation de la durée et du
nombre de mandats demeure, à l’instar des autres dispositions intangibles, le
cœur du nouvel ordre constitutionnel congolais traduisant ce pacte républicain
dont la dénaturation risque de rompre le consensus qui s’est dégagé autour de
cette limitation.
C’est en vain, à notre avis, qu’Evariste Boshab tente de convaincre de
l’inutilité des clauses intangibles sans hésiter de les qualifier parfois de
« dispositions morales »74. Son ouvrage peut être résumé comme un véritable
plaidoyer ou hymne à la révision de la Constitution en vue d’y expurger
principalement la clause limitative du nombre de mandats présidentiels
qui serait selon lui anti-démocratique. Il convoque à cet effet la doctrine
française contraire à l’introduction dans la Constitution française par la loi
constitutionnelle du 23 juillet 2008 de l’interdiction d’exercer plus de deux
mandats présidentiels consécutifs75. L’auteur oublie que cette limitation
n’était pas nécessaire en France d’autant plus qu’aucun Président, sous la

73 Bakandeja wa Mpungu G., « La nouvelle Constitution de la République démocratique


du Congo : sources et innovations », Annales de la Faculté de Droit de l’Université de
Kinshasa, Edition spéciale, Kinshasa, 2007, spéc. à la p. 248 et s.
74 Boshab E., Entre la révision de la Constitution et l’inanition de la nation, Bruxelles,
Larcier, 2013.
75 Boshab E., op.cit., pp. 350-351. Voy. aussi Garcassonne G., La Constitution, dixième
édition, Paris, Editions du Seuil, 2011, p. 62. Pour cet auteur, « « (…). Rien n’est plus
exaspérant que cette manie contemporaine qui prétend, par la norme, protéger contre eux-
mêmes des adultes consentants. (…). Rien n’est plus dangereux que d’insulter l’avenir ;
on le sait susceptible. Le nombre de mandats, politique ou biologie obligent, se limite de
lui-même, mais s’il se trouvait malgré tout une situation dont un seul serait l’homme (ou
la femme), pourquoi diable empêcher qu’on l’élise ? ». Il est rejoint dans cette critique
de la limitation par S-L. Formery, La Constitution commentée. Article par article, 12è
éd., Paris, Hachette Supérieur, 2009, p. 25 : « L’inconvénient d’une telle limitation est de
priver le pays d’une personnalité qui serait appréciée des électeurs au point de pouvoir
être élue à trois reprises consécutives. C’est également celui de limiter le choix, pourtant
en principe souverain, du suffrage universel... ».

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Constitution du 4 octobre 1958 telle que révisée jusqu’à ce jour, n’avait exercé
plus de deux mandats présidentiels. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008
intègre dans la Constitution française une coutume constitutionnelle qui
s’était développée en marge de la Constitution.
Au contraire, la RDC ne pouvait vanter une telle tradition, son histoire
politico-constitutionnelle étant différente de celle de la France. Evariste
Boshab en s’inspirant de certains auteurs français sceptiques sur l’introduction
de la limitation du nombre de mandats présidentiels omet d’évoquer, à
dessein selon nous, la limitation du nombre de mandats présidentiels aux
Etats-Unis depuis l’adoption du XXIIème Amendement en 1947 et entré en
vigueur depuis 1951. Probablement les Etats-Unis n’avaient pas besoin de
cette limitation. Ils l’ont considérée nécessaire dans leur système politique. Il
n’est pas antidémocratique.
Au Sénégal, la cristallisation de la modalité d’élection, de la durée et du
nombre de mandats présidentiels dans les dispositions intangibles a été saluée
notamment par Ismaila Madior Fall en ces termes :
Ces dispositions (intangibles), désormais gravées dans le marbre
constitutionnel et insusceptibles de révision, contribuent à
stabiliser le régime politique sénégalais sur ces points les plus
névralgiques. Avec ces clauses d’éternité, la révision apporte
ainsi davantage de sécurité à notre régime politique, en le
mettant à l’abri des changements en fonction des intérêts
partisans. C’était l’une de ses principales vocations76.

Comme le soutient, par ailleurs, Guy Carcassonne, « Limiter la durée


au pouvoir est prudent lorsque le système n’est pas démocratique, mais
abusif et imprudent dans tous les autres cas »77. La RDC n’a pas de tradition
démocratique, mais de vocation ou d’aspiration démocratique ne se résumant
pas dans l’organisation des élections ou dans la mise en place des institutions
capables de soutenir l’avènement d’un Etat de droit, mais dans l’appropriation
d’une culture démocratique dont l’acquisition requiert un long processus
de « domestication du constitutionnalisme ». Dans ce long processus et
aux horizons incertains, la limitation du nombre de mandats participe de la
consolidation de cette culture tirant sa source dans les leçons de l’histoire
congolaise. L’interruption brusque de cette spirale pour des considérations
étrangères à l’intérêt général inaugurerait de mauvais présages sur la stabilité
des institutions.

76 Madior Fall I., La réforme constitutionnelle du 20 mars 2016 au Sénégal. La révision


consolidante record, Paris, L’Harmattan Sénégal, 2017, p. 189.
77 Garcassonne G., La Constitution,…op.cit., p. 62.

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Le mythe des hommes providentiels dont certains intellectuels sont des


thuriféraires pour accélérer le développement de leurs Etats respectifs est
suranné d’autant plus qu’il avait contribué à la personnalisation du pouvoir et
au culte de la personnalité. Cette époque est depassée et nous ne pensons pas
que les Congolais aient la nostalgie de revivre ou revisiter ces pages sombres
de notre histoire.
Babacar Gueye souligne que
la fréquence des présidences à vie, les dérives engendrées par
la longévité au pouvoir, la récurrence des violences électorales
ont achevé de convaincre de la nécessité d’instaurer un mandat
unique pour le Président de la République en Afrique (…). On
lui reprochera sans doute d’attenter à la souveraineté du peuple,
de limiter les choix de ce dernier, bref d’être contre la démocratie
(…). C’est au contraire, l’absence de clause limitative du nombre
de mandats qui prend en Afrique la figure d’une régression
démocratique. (…). Une telle limitation, plus que toute autre,
servirait l’intérêt général et la collectivité nationale parce qu’elle
est porteuse de virtualités favorables à la consolidation des
acquis démocratiques et à l’assainissement de la gouvernance78.

Dans certains Etats en Amérique, en l’occurrence au Mexique, la


Constitution institue le principe de non-réélection (un mandat unique de six
ans) pour les parlementaires et le Président de la République79. L’interprétation
fonctionnelle et /ou téléologique de l’article 70, alinéa 1er de la Constitution
nous incite à soutenir qu’un sénateur à vie ayant épuisé les deux mandats lui
garantis par la Constitution ne peut prétendre en exercer un autre sans violer
la Constitution.
Pour compléter les différentes techniques d’interprétation, nous recourons
à une technique consistant à reprendre le sens conféré par les juges dans
l’interprétation d’une ou de plusieurs dispositions.

78 Gueye B., « Le mandat unique : un mandat pour le Président de la République en


Afrique »,…op.cit., p. 213.
79 Voy. Zamora S. and Cossio J.R., « Mexican Constitutionalism after presidencialismo »,
International Journal of Constitutional Law, Vol. 4, n° 2, April 2006, pp. 411-437.
Concernant le Président de la République, c’est l’article 83 qui est pertinent. La
Constitution de Chili telle que révisée en 2012 institue un mandat présidentiel de quatre
ans non immédiatement renouvelable. Suivant son article 25 : « …(…). The President of
the Republic shall hold office for a term of four (4) years and may not be re-elected for
the following period.

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5. Interprétation tirée de la reprise du sens conféré par les juges


Cette interprétation découle, particulièrement, dans le domaine
constitutionnel, de l’émergence du juge constitutionnel. Elle consiste à
déterminer le sens des énoncés à partir de ce qu’en disent les autorités
normatives elles-mêmes, et en particulier les juges. Selon Véronique
Champeil-Desplats, cette interprétation présente deux variantes. La première
intègre l’existence d’un pouvoir interprétatif au moment de l’application du
droit et considère que le sens d’un texte juridique ne peut être connu qu’après
cette étape. Autrement dit, le sens du texte n’est pas dans l’intention de ses
auteurs, il ne résulte pas de sa structure lexicale ou sémantique, ni de sa seule
fonction. Il n’est déterminé que par l’intervention d’une autorité d’application.
Ainsi, pour déterminer le sens d’un texte juridique, il suffirait par conséquent
de reproduire, voire justifier ce que disent les juges soit in extenso, soit en
réalisant une synthèse de plusieurs décisions. Cette interprétation, par souci
de cohérence, peut être empruntée aussi par d’autres juges constitutionnels.
Les juridictions constitutionnelles africaines, à travers l’interprétation,
créent des normes jurisprudentielles qui participent au renouvellement des
sources du droit constitutionnel. Ces normes jurisprudentielles résultent de
l’exercice, par ces juridictions, du pouvoir normatif qui est empirique car
finalisé à combler les lacunes constitutionnelles et à réagir à des situations
exceptionnelles80. En s’inspirant des écrits de Michel Troper81, E. Delphine
définit le pouvoir normatif de la jurisprudence constitutionnelle comme
« l’ensemble des décisions de justice constitutionnelle présentant un degré de
généralité et susceptibles d’application à un nombre en principe indéterminé
de cas d’espèce »82.
L’écueil de cette démarche est que la cohérence interprétative des juges
est le plus souvent présupposée en négligeant sa part de construction. Au
fond, cette supposée cohérence du juge reste liée, à long terme, au présupposé
qu’en disant le droit, le juge reste un porte-parole d’un texte déjà signifiant et
s’imposant à lui. Il l’adapte, le perpétue mais il reste fidèle à sa signification
intrinsèque83. La seconde variante regroupe les partisans qui soutiennent que

80 Adouki E.D., « Le pouvoir normatif des juridictions constitutionnelles en Afrique »,


in Ondoa M. et Abane Engolo P.E. (dir.), Les transformations contemporaines du droit
public en Afrique, Paris, L’Harmattan, Cercaf, 2018, pp. 95-117, spéc. aux pp. 98-99.
81 Troper M., « Fonction juridictionnelle ou pouvoir judiciaire », Pouvoirs, n° 16, 1981,
pp. 5-15.
82 Edith E.D., « Le pouvoir normatif de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud », Revue
du Droit public, 2015, pp. 1583-1626, spéc. à la p. 1584.
83 Champeil-Desplats V., op.cit., p. 397.

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chaque interprétation livrée par les juges n’est pas la seule admissible. A ce
titre, les interprétations ne sont jamais préétablies, ni d’emblée cohérentes
les unes à l’égard des autres. Cette variante provient surtout des partisans des
théories réalistes de l’interprétation. Pour cette variante, le choix interprétatif
n’est jamais définitif. Chaque litige particulier est susceptible de faire surgir
de nouveaux sens et de modifier les choix des interprètes84. Dans les Etats
où les juges constitutionnels sont investis de la compétence d’interpréter la
Constitution, les arrêts ou avis en matière d’interprétation s’imposent aux
pouvoirs publics, aux autorités juridictionnelles et aux particuliers en raison
du caractère définitif desdits arrêts.
Nous pouvons, par ailleurs, faire allusion aux différentes techniques de
réserve d’interprétation auxquelles la CC recourt à l’instar de ses homologues.
L’une des caractéristiques communes aux juridictions constitutionnelles
africaines, surtout francophones, parce qu’elles nous sont plus familières,
réside dans le recours aux techniques de réserve d’interprétation85. Ces
techniques sont parfois qualifiées de « déclarations de constitutionnalité sous
réserves ». Une réserve d’interprétation peut être définie comme une technique
par laquelle le juge arrête une interprétation de la loi de manière à en préserver
explicitement la constitutionnalité. La loi ne sera constitutionnelle que si elle est
interprétée dans le sens ordonné par le juge. La réserve d’interprétation permet
d’éviter la censure de la loi pour inconstitutionnalité86. Une telle déclaration
revient à sauver un texte de la censure, à le juger conforme à la Constitution
sous la condition que les autorités d’application respectent l’interprétation
que la Cour indique87. Les décisions interprétatives constructives ont pour
objet d’enrichir le contenu normatif de la disposition par une extension de sa

84 Champeil-Desplats V., op.cit., p. 398.


85 Il s’agit notamment du Bénin, du Sénégal, de la Mauritanie, du Gabon, du Maroc, de
l’Algérie. Voy. Diagne M., « Le juge constitutionnel africain et la technique des réserves
d’interprétation », Revue Juridique et Politique, 2008, n° 3, pp. 367-400, spéc. à la p. 370.
L’auteur cite notamment la jurisprudence ci-après : la décision n° 001/DC du Conseil
constitutionnel mauritanien du 1er juin 1992 ; Conseil constitutionnel algérien, décision
n° 1, CC-89 du 20 août 1989 relative au Code électoral.
86 Voy. pour plus de détails Alcaraz H., « La motivation des arrêts du Tribunal constitutionnel
espagnol à l’épreuve de l’Etat des autonomies. Illustrations tirées de l’arrêt 31/2010 du 28
juin 2010 relatif au Statut de la Catalogne », in Hourquebie F. et Ponthoreau M.C. (dir.),
La motivation des décisions des Cours suprêmes et Cours constitutionnelles, Bruxelles,
Bruylant, 2012, pp. 209-234, spéc. à la p. 223.
87 Rousseau D., La justice constitutionnelle en Europe, Paris, Montchrestien, 1992, p. 104
et s. Voy. aussi Diagne M., « Le juge constitutionnel africain et la technique des réserves
d’interprétation », Revue juridique et politique, n°3, 2008.

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portée88. Le juge constitutionnel participe ainsi à l’écriture ou à la meilleure


compréhension des normes déférées devant lui.
La CC recourt aussi aux techniques d’interprétation sous réserve ou
des déclarations de conformité sous réserve d’observation à l’occasion du
contrôle d’appréciation de constitutionnalité des lois organiques. A titre
indicatif, dans son arrêt du 10 août 2016, elle avait jugé que l’exposé des
motifs d’une loi organique n’avait rien de contraire à la Constitution, sous
réserve de son paragraphe trois qui doit être lu à la lumière de l’article 178 de
la Constitution suivant lequel, en tant que service administratif spécialisé, la
Cour des comptes relève de l’Assemblée nationale ou encore dans le même
arrêt, la Cour enjoint au législateur la substitution du terme « administratif »
par « réglementaire »89.

III. Mobilisation des techniques d’interprétation


Les techniques d’interprétation ne sont pas mobilisées de la même manière.
Certaines peuvent être privilégiées à d’autres. Pour l’école aixoise de droit
constitutionnel privilégiant le normativisme (en situant le fondement du droit
dans une autre règle de droit) au détriment du positivisme sociologique (le
fondement du droit loge dans la réalité sociale), les techniques interprétatives
les plus appropriées seraient constituées par l’interprétation sémiotique d’une
part et l’interprétation génétique d’autre part90. Cette école recourt de manière
première et prioritaire à la jurisprudence constitutionnelle pour interpréter les
énoncés constitutionnels91. Cette méthode est formaliste.
Les Etats s’inspirant du Common Law ou d’autres Etats (à l’instar de
l’Italie) privilégient par contre l’interprétation fonctionnelle dans la mesure
où les juridictions compétentes interprètent les dispositions de la Constitution
dans une approche dynamique ou évolutive allant au-delà de la simple
intention initiale des rédacteurs de la Constitution ou de la signification initiale

88 Sy D., « Les fonctions de la justice constitutionnelle en Afrique », in Oumarou N.


(dir.), La justice constitutionnelle. Actes du Colloque international de l’ANDC, Paris,
L’Harmattan, 2016, pp. 43-64, spéc. à la p. 54.
89 CC, 10 août 2016, R.Const 309, Requête en appréciation de la constitutionnalité de
la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétences et
fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, inédit.
90 Magnon X., « Orientation théorique et choix méthodologique de l’école aixoise de
droit constitutionnel : réflexions et tentatives de reconstruction », Renouveau du droit
constitutionnel. Mélanges en l’honneur de Louis FAVOREU, Paris, Dalloz, 2007, spéc.
aux pp. 240-241.
91 Magnon X., « Orientation théorique et choix méthodologique de l’école aixoise…op.cit.,
p. 241.

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de certaines de ses dispositions. La Cour suprême du Ghana recourt à cette


technique d’interprétation92. Véronique Champeil-Desplats nous renseigne
qu’aux Etats-Unis, après une période d’hégémonie accordée à la méthode
originaliste tournée vers la recherche des intentions des Pères fondateurs de
la Constitution américaine, les juges de la Cour suprême ont progressivement
introduit, à la fin du XIXème siècle, une méthode téléologique fondée sur le
concept de Constitution vivante93. D’autres Constitutions prescrivent aux
juges des techniques d’interprétation à privilégier.
Les méthodes ou techniques d’interprétation constitutionnelle par les juges
ne sont pas nécessairement neutres. Sont souvent, et savamment mobilisées,
lorsque les juridictions constitutionnelles manifestent leur inféodation au
pouvoir en place, celles favorables aux attentes du pouvoir. Cette liberté
d’interprétation est, en plus, accentuée du fait de l’inexistence des méthodes et
règles d’interprétation dégagées par le constituant ou le législateur et destinées
à orienter le juge. En droit comparé, rares sont les Constitutions orientant le
choix des méthodes et techniques d’interprétation de la Constitution.
Nous pouvons, à titre indicatif, faire allusion, en Amérique latine, aux
Constitutions de l’Equateur et de la Bolivie94 alors qu’en Afrique, nous
pouvons évoquer les Constitutions sud-africaine de 1996, kenyane de 2010
et tunisienne de 2014. En effet, la Constitution de la Bolivie de 2009 énonce,
en son article 196.II, que le Tribunal constitutionnel plurinational appliquera
de préférence comme critère d’interprétation la volonté du constituant
conformément à ses documents, actes et résolutions, ainsi que la teneur
littérale du texte95. Il résulte de ce qui précède que le Constituant bolivien a
retenu deux méthodes, à savoir la méthode historique et la méthode littérale.
Ces deux méthodes ont été complétées par la Loi organique du 6 juillet 2010
relative à la compétence du Tribunal constitutionnel plurinational intégrant
les méthodes systématique et téléologique96.
La Constitution de l’Equateur énonce, à travers son article 427, les
méthodes d’interprétation97. Cet article est complété par la Loi organique

92 Kofi Abotsi E., « Purpose originalism in the Supreme Court: Interpretive Methodology
and Problems of Certainty », University of Ghana Law Journal, Vol. 26, 2013, pp. 173-
199.
93 Champeil-Desplats V., op.cit., p. 400.
94 Mauras A., « La consécration constitutionnelle des méthodes interprétatives en Bolivie »,
RFDC, n° 118, 2019, pp. 385-407.
95 Voy. Mauras A., op.cit., p. 386.
96 Mauras A., op.cit., pp. 398-399.
97 Article 427 de la Constitution de l’Equateur de 2008 : « Constitutional provisions
shall be interpreted by the literal meaning of its wording that is mostly closely in line

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sur les garanties juridictionnelles et le contrôle constitutionnel publiée au


Journal officiel le 22 octobre 2009. Elle établit une liste de méthodes et règles
d’interprétation destinées à la Cour constitutionnelle. Elle dégage les règles
de solution des antinomies, le principe de proportionnalité, la pondération,
l’interprétation évolutive ou dynamique, l’interprétation systémique,
l’interprétation téléologique, l’interprétation littérale, les principes généraux
de droit et l’équité.
La Constitution sud-africaine de 1996 énonce des méthodes d’interpréta-
tion qui doivent concourir à promouvoir notamment les valeurs d’une société
ouverte et démocratique, à s’inspirer du droit international et du droit étran-
ger98. La Constitution du Kenya de 2010 énonce la manière dont la Constitu-
tion doit être interprétée99. L’article 146 de la Constitution tunisienne de 2014
énonce, pour sa part, que « Les dispositions de la présente Constitution sont
comprises et interprétées les unes par rapport aux autres, comme une unité
cohérente ».

with the Constitution as a whole. In the event of any doubt, it is the most favorable
interpretation of the full and effective force of rights and that best respects the will of the
constituent, in accordance with the general principles of constitutional interpretation,
that shall prevail ». Mauras A., op.cit., p. 386, traduit cet article par ces termes : « Les
normes constitutionnelles seront interprétées par la teneur littérale qui s’adapte le plus
à la Constitution dans son intégralité. En cas de doute, elles seront interprétées dans le
sens qui favorise le plus la pleine validité des droits et respecte le mieux la volonté du
constituant, et conformément aux principes de l’interprétation constitutionnelle ».
98 Article 39 « 1. When interpreting the Bill of Rights, a court, tribunal or forum a. must
promote the values that underlie an open and democratic society based on human
dignity, equality and freedom; b. must consider international law; and c. may consider
foreign law. 2. When interpreting any legislation, and when developing the common law
or customary law, every court, tribunal or forum must promote the spirit, purport and
objects of the Bill of Rights. 3. The Bill of Rights does not deny the existence of any other
rights or freedoms that are recognised or conferred by common law, customary law or
legislation, to the extent that they are consistent with the Bill ». Pour plus d’informations
complémentaires, Xavier P., « Afrique du Sud. Juge constitutionnel et interprétation des
normes », Annuaire international de justice constitutionnelle, n° 33-2017, 2018, pp. 87-
110 ; Philippe X. « Les clauses de limitation et d’interprétation des droits fondamentaux
dans la Constitution sud-africaine de 1996 », in Liber Amicorum Jean-Claude Escarras.
La communicabilité entre les systèmes juridiques, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp.897-
926 ; Tobias van Reenen, « Tendances actuelles dans l’interprétation de la Constitution de
l’Afrique du Sud », Revue française de Droit constitutionnel, 2002/2, n° 50, pp. 355-375.
99 Article 259.(1) de la Constitution du Kenya de 2010 : This Constitution shall be
interpreted in a manner that— (a) promotes its purposes, values and principles; (b)
advances the rule of law, and the human rights and fundamental freedoms in the
Bill of Rights; (c) permits the development of the law; and (d) contributes to good
governance. Notre soulignement.

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Michel Troper souligne qu’on peut arriver à des résultats très différents
selon que l’on emploie telle ou telle méthode, mais on sait qu’il n’existe aucun
critère objectif imposant de choisir l’une ou l’autre100. Cette lapalissade se
vérifie aisément lors des débats constitutionnels selon que les uns mobilisent
telle ou telle autre technique d’interprétation.
La CC est compétente pour interpréter la Constitution à l’occasion soit
d’une requête en interprétation, soit du contrôle de constitutionnalité des
normes. Ni le constituant ni le législateur ne lui ont fixé des méthodes ou
techniques d’interprétation. Elle jouit d’une liberté qui se manifeste par un
certain pragmatisme, privilégiant des solutions au cas par cas. Elle n’hésite
pas à recourir à une combinaison de différentes techniques d’interprétation.
A titre d’exemple, dans son arrêt R.Const. 262 du 11 mai 2016 relatif à
l’interprétation de l’alinéa 2 de l’article 70 de la Constitution, la CC recourt à
la fois à l’interprétation littérale (de l’acte clair), à l’interprétation génétique
relevant de la synthèse du débat général d’avril 2005 sur l’avant-projet de la
Constitution et à l’interprétation systémique en s’inspirant du principe de la
continuité de l’Etat.
Le cœur du raisonnement de la CC réside dans ce passage :
La Cour constitutionnelle observe qu’aux termes de l’article 70
alinéa 2 de la Constitution (…). Elle relève, en outre, qu’étant
clair, l’alinéa 2 de l’article 70 ne nécessite pas, en principe,
d’interprétation ; elle note cependant que de la synthèse du
débat général d’avril 2005 sur l’avant- projet de la Constitution,
on peut lire qu’après amendements de cet article, un deuxième
alinéa a été ajouté pour que le Président de la République
sortant puisse rester en fonction jusqu’à l’installation effective
du nouveau Président élu afin d’éviter le vide constitutionnel.
Elle en infère que l’alinéa 2 de l’article 70 permet au Président
de la République arrivé fin mandat de demeurer en fonction, en
vertu du principe de la continuité de l’Etat, jusqu’à l’installation
effective du nouveau Président de la République élu….101.

100 Troper M., « L’interprétation constitutionnelle », in Melin-Sacramanien F. (dir.),


L’interprétation constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2005, pp. 13-25, spéc. à la p. 20.
101 CC, 11 mai 2016, Arrêt R.Const. 262, Requête en interprétation de l’article 70 de la
Constitution du 18 février 2006 telle que révisée par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011,
en relation avec les articles 75, 76, 103, 105 et 197 de la même Constitution, Inédit, 7ème
feuillet, Notre soulignement.

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Cet arrêt a fait l’objet de critiques d’une partie de la doctrine, notamment


sur le recours au principe de continuité de l’Etat102. Il résulte de l’analyse de
certains arrêts de la CC que celle-ci privilégie dans la protection des droits
de l’homme l’interprétation systémique, téléologique et fonctionnelle de la
Constitution103.

102 Mabanga G.M., Le principe de la continuité de l’Etat : issue de secours à la prohibition du


troisième mandat ? Analyse critique de l’arrêt de la Cour constitutionnelle congolaise du
11 mai 2016, Paris, L’Harmattan, 2016 ; Cihunda Hengelela J., « La Cour constitutionnelle
et l’interprétation de la durée des mandats politiques sous la Constitution du 18 février
2006. Une étude de l’arrêt R.Const. 262 du 11 mai 2016 », ACJC, Vol. 2-2017, pp. 421-
448.
103 CC, 26 mai 2017, Arrêt R.Const.469, Requête en inconstitutionnalité de la motion de
censure n° 001/AP/H-KAT/2017 du 18/04/2017 contre le gouvernement provincial
du Haut-Katanga, inédit. Quelques passages de cet arrêt démontrent le recours à
l’interprétation systémique, téléologique et fonctionnelle : « (…). Si la nature juridique
d’acte d’assemblée d’une motion de censure ne permet pas de classer celle-ci parmi les
actes énumérés par l’article 43 de la loi organique précitée, il sied cependant de souligner
que le constituant congolais du 18 février 2006 a fait de la République démocratique du
Congo un Etat de droit et un Etat démocratique, ainsi que l’affirme l’article 1er alinéa 1er
de la Constitution. Elle considère qu’étant un Etat de droit, la République démocratique
du Congo est appelée à garantir et à faire respecter les droits humains et les libertés
fondamentales, contre l’arbitraire susceptible de venir aussi bien des gouvernants que
des gouvernés (…). C’est pourquoi, l’article 150 de la Constitution ayant fait du pouvoir
judiciaire, dont fait partie la Cour constitutionnelle, le garant des libertés individuelles et
des droits fondamentaux des citoyens, en vue de prévenir le développement de zones de
non-droit, il importe que la Cour, gardienne de la Constitution et des valeurs que celle-ci
proclame, affirme sa compétence chaque fois qu’est en cause la violation des droits et
libertés fondamentaux auxquels est accordée une protection constitutionnelle particulière,
à l’instar des droits de recours et de la défense affirmés et garantis par les articles 19 et
61 de la Constitution (…) », Huitième et neuvième feuillet. Pour un commentaire de cet
arrêt, Kazadi Mpiana J., « Cour constitutionnelle, motion de censure et garantie des libertés
et droits fondamentaux à l’aune de l’arrêt Jean-Claude Kazembe », ACJC, Vol. 2-2017,
pp. 525-580. Voy. aussi CC. Arrêt R.Const. 356 du 10 mars 2017. En cause : Monsieur
Cyprien LOMBOTO LOMBONGE, Gouverneur de la province de la Tshuapa, demandeur
en inconstitutionnalité contre l’Assemblée provinciale de la Tshuapa, défenderesse en
inconstitutionnalité, inédit. Dans cet arrêt, après avoir souligné qu’une motion de défiance
n’est ni un acte législatif, ni un acte réglementaire, mais un acte d’assemblée qui ne relève
pas, en principe, de sa compétence, la Cour constitutionnelle « relève cependant qu’aux
termes de l’article 1er de la Constitution, la République démocratique du Congo est un
Etat de droit, que suivant les articles 149 alinéa 2 et 150 alinéa 1 de la Constitution, la
Cour constitutionnelle fait partie du pouvoir judiciaire garant des libertés et des droits
fondamentaux des citoyens. Dès lors, la Cour juge qu’à ce titre, elle est compétente
pour connaître de la présente requête en vertu des articles 19 alinéa 3, 61 point 5 de la
Constitution qui garantissent le droit de la défense et le droit de recours auxquels il ne peut

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Le choix des techniques peut évoluer au sein d’une même juridiction.


Les juges peuvent recourir à plusieurs techniques d’interprétation dans un
même arrêt ou privilégier les unes par rapport à d’autres. A titre d’exemple,
ils peuvent invoquer à la fois des principes généraux du droit (interprétation
systémique), l’intention du législateur et évoquer des considérations de
justice (interprétation téléologique)104. C’est la fin qui détermine le choix
des techniques d’interprétation. Pour Ambroise Kamukuny Mukinay, en
combinant les différentes techniques d’interprétation ou approches, le juriste
peut être sûr de comprendre avec bonheur la norme étudiée105. Les différentes
interprétations de la doctrine attestent, en dépit des réserves que suscite la

être dérogé en tant que droits et principes fondamentaux des citoyens même lorsque l’état
de siège ou l’état d’urgence aura été décrété, droits dont le demandeur allègue la violation
par l’Assemblée provinciale de la Tshuapa (…) », quatrième et cinquième feuillets. CC.
arrêt R.Const.0038 du 28 août 2015. En cause : Madame MUNGOMBE MUSENGE Olive
contre le Sénat. La Cour note, « qu’entant que gardienne de la Constitution, elle est appelée
à s’assurer du respect par les pouvoirs publics et les citoyens de ses dispositions, mais
aussi à exercer un rôle de régulation de la vie politique. Elle est de ce fait, compétente pour
connaître d’un recours introduit par un citoyen qui s’estime lésé par une décision qui viole
ses droits et libertés constitutionnellement garantis, en l’occurrence le droit d’être éligible
à un mandat politique », inédit, septième feuillet. CC. Arrêt R.Const. 0338 du 17 octobre
2016. En cause : Requête de la Commission électorale nationale indépendante, CENI,
en sigle, tendant à obtenir le report de la convocation et de l’organisation des scrutins
prévus dans la décision n° 001/CENI/BUR/15 du 12 février 2015 portant publication du
calendrier des élections provinciales, urbaines, municipales et locales 2015 et des élections
présidentielle et législatives 2016. Nous pouvons y lire ce passage: « (…). Tenant compte
de l’importance de la cause sous examen pour la vie de la nation, et faisant application du
principe Salus populi, suprema lex est, qui traduit la loi de la nécessité, elle siégera à cinq
membres afin d’éviter de consacrer, de fait, un déni de justice par des remises récurrentes
et sans issue de ses audiences, dès lors qu’il s’agit de prévenir un blocage des institutions
de la République et d’assurer la protection des droits fondamentaux des citoyens consacrés
par l’article 5 de la constitution », inédit, Vingtième feuillet. Voy. aussi CC. Arrêt R.Const.
212/216/2016 du 10 juin 2016. En cause : Requêtes de Monsieur Kabengela Ilunga Jean-
Marie, en inconstitutionnalité de la loi organique n°15/014 du 1er août 2015 modifiant et
complétant la loi organique n° 06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats :
CC. Arrêt R.Const. 0089/2015 du 8 septembre 2015. En cause : Requête en interprétation
des dispositions des articles 10 de la loi de programmation n° 15/004 du 28 février 2015
déterminant les modalités d’installation de nouvelles provinces et 168 de la loi n° 06/006 du
09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales,
urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la loi n° 11/003 du 25 juin 2011 et
celle n° 15/001 du 15 février 2015, inédit.
104 Champeil-Desplats V., op.cit., p. 401.
105 Kamukuny Mukinay A., Contribution à l’étude de la fraude en Droit constitutionnel
congolais,…op.cit., p. 53.

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théorie réaliste d’interprétation (l’interprétation est un acte de volonté et non


un acte de connaissance) nous aide à comprendre, comme le soutient Francis
Hamon, que « les manières d’interpréter un texte juridique sont au moins
aussi variées que les temps selon lesquels les chefs d’orchestre interprètent
une partition musicale »106.
L’interprétation constitutionnelle est délicate pour son interprète. Elle peut
conduire à des résultats absurdes alors qu’elle est cohérente avec la lettre de
la Constitution. Ces observations formulées par Francis Delperee mesurent la
grandeur des défis posés par l’interprétation constitutionnelle :
L’interprétation logique mais qui conduit à des résultats absurdes
n’est pas valable. L’interprétation rigoureuse mais qui débouche
sur des solutions incohérentes n’est pas valable. L’interprétation
correcte mais qui préconise des conduites inconstitutionnelles
n’est pas valable. L’interprétation appropriée mais qui ferme
la porte à l’évolution et à l’actualisation de la règle n’est pas
valable. L’interprétation fantaisiste qui fait la part trop belle à
l’interprète n’est pas légitime107.

Et l’auteur d’ajouter :
L’interprétation constitutionnelle (…) a besoin d’hommes
et de femmes qui jonglent avec les textes, qui connaissent
les jurisprudences, qui sont au courant des grandes théories
politiques et sociales de notre temps, qui sont avertis des réalités
du monde contemporain108.

Guillaume Drago rappelle que les arguments d’opportunité tiennent une


place non négligeable dans la prise des décisions par le juge constitutionnel
et figurent au nombre de contraintes externes que ce dernier subit109. Pour
éviter l’arbitraire, la motivation de la décision du juge constitutionnel devient
fondamentale et apparaît ainsi comme un instrument de légitimation du

106 Hamon F., « Quelques réflexions sur la théorie réaliste de l’interprétation », in


L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de Micher TROPER, Paris, Economica,
2006, pp. 487-500, spèc. à la p. 500.
107 Delperée F., « L’interprétation de la Constitution ou la leçon de musique », in Melin-
Soucramanien F. (dir.), L’interprétation constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2005, pp. 241-
248, spéc. à la p. 247 et s.
108 Delperée F., op.cit., p. 244.
109 Drago G., « La qualité de l’argumentation constitutionnelle », Revue française de droit
constitutionnel, 2015, pp. 335-352, spéc. à la p. 346.

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discours du juge110. La motivation est sans doute


la contrainte majeure qui pèse sur le juge et qui rend sa décision
acceptable, au-delà de l’imperium du jugement et de son autorité.
C’est dans la motivation de la décision du juge constitutionnel
que l’on peut apprécier la qualité de l’interprétation
constitutionnelle111.

Une meilleure interprétation de l’article 70 alinéa 1er de la Constitution


devrait mobiliser la combinaison de différentes techniques d’interprétation
plutôt que privilégier l’une d’elles. Il résulte de cette combinaison que le
recours aux techniques d’interprétation téléologique, génétique, fonctionnelle,
systémique permet de comprendre la portée qu’il faudrait attribuer aux
dispositions de l’article 70 alinéa 1er. L’interprétation sémiotique est, de ce
point de vue, trop limitée et a besoin d’être confirmée par l’apport des autres
techniques précitées. L’interprétation téléologique nous paraît sans conteste,
celle qui, prise isolément, se rapproche de plus de la volonté du constituant
et ce, sans sous-estimer les autres techniques. Elle nous a permis de disserter
sur la raison d’être de la limitation du nombre de mandats par le constituant
congolais à l’instar de la plupart des constituants africains.
Ces différentes techniques d’interprétation réduisent la part de la passion,
des raisonnements opportunistes surtout de la part des constitutionnalistes ou
présumés tels. Le débat autour de la possibilité de candidature présidentielle
du sénateur à vie n’a pas mis en relief le recours aux différentes techniques
d’interprétation laissant parfois libre cours aux arguments principalement
influencés par une lecture politique et « partisane » des dispositions
constitutionnelles et législatives. Certains constitutionnalistes se sont prêtés
à ce piège en se faisant promoteurs des interprétations partisanes. Or, comme
le rappelle Stéphane Bolle,
un « vrai » constitutionnaliste ne saurait divaguer, parce qu’il
a pour devoir élémentaire d’éprouver les argumentaires les
mieux ficelés, de traquer les lacunes, les approximations,
les extrapolations, les contresens, les incohérences, les
contrevérités…, bref de soumettre tout matériau à la question.
Faire le clair exige une grande rigueur et une certaine prudence

110 La motivation peut être aussi utilisée comme la légitimation du discours du juge.
Ponthoreau M.C., « L’énigme de la motivation encore et toujours. L’éclairage
comparatif », in Hourquebie F. et Ponthoreau M.C. (dir.), La motivation des décisions
des Cours suprêmes et Cours constitutionnelles, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp. 5-24,
spéc. à la p. 13.
111 Drago G., « La qualité de l’argumentation constitutionnelle »,…op.cit., pp. 335-352,
spéc. à la p.349. Souligné dans le texte.

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dans l’appréhension de la matière constitutionnelle, laquelle


procède d’abord de choix éminemment politiques »112.

A l’issue de ce premier point, le plus fécond de cet article, il a été démontré


que toutes les techniques d’interprétation convergent sur la portée de l’article 70
alinéa 1er de la Constitution limitant à deux le nombre de mandats présidentiels
en RDC. Le renouvellement du mandat équivaut à l’exercice d’un deuxième
mandat. Nous pouvons affirmer que le Président de la République honoraire
ne peut prétendre se porter candidat pour un troisième mandat.

B. INCOMPATIBILITE DU MANDAT PRESIDENTIEL AVEC


LE STATUT DE SENATEUR A VIE AYANT EXERCE DEUX
MANDATS PRESIDENTIELS
Le statut de sénateur à vie prévu par l’article 104 de la Constitution et
complété par les dispositions de la Loi du 26 juillet 2018 peut-il servir de
fondement à l’exercice d’un nouveau mandat présidentiel, notamment à
travers son article 6 ? Pour répondre à cette principale question qui constitue
la trame de ce deuxième point, il conviendrait avant tout de situer le contexte
de l’émergence d’un droit constitutionnel moderne prenant en compte le sort
de l’ancien Chef d’Etat élu. Ce contexte se justifie par la nécessité d’assurer
une protection spécifique à l’ancien Chef d’Etat, de lui assurer une retraite
apaisée et en même temps d’éviter qu’il ne soit tenté de revenir au pouvoir
par des procédés inconstitutionnels. Du débat émerge une certaine opinion
favorable à l’exercice d’un mandat présidentiel par un sénateur à vie. Notre
point de vue est distant de cette opinion.

I. Nécessité d’une protection spécifique de l’ancien Chef d’Etat


L’approche de la fin du mandat présidentiel constitue un moment de
tous les enjeux politiques aussi bien pour le Président fin mandat que pour
ses alliés tiraillés entre la nostalgie d’un régime dont ils ont tiré profit
et les incertitudes d’une nouvelle situation politique. Pour faciliter la
« retraite pacifique » de l’ancien Président de la République, certains Etats
se sont dotés de dispositions constitutionnelles spécifiques113 ou de lois

112 Bolle S.., « Sur l’interprétation de la Constitution en Afrique », in Espaces du service


public. Mélanges en l’honneur de Jean du Bois de Gaudusson, Tome I, Bordeaux, Presses
universitaires de Bordeaux, 2013, pp. 57-70, spéc. p. 63.
113 Article 79 de la Constitution du Tchad du 4 mai 2018 : « La loi fixe la liste civile et
les autres avantages alloués au Président de la République en exercice. Elle détermine
également les modalités d'octroi d'une pension et autres avantages aux anciens Présidents
jouissant de leurs droits civiques et politiques » ; Article 62 de la Constitution du Niger

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spécifiques114, ou des décrets115 finalisés à conférer de nombreuses garanties


contre d’éventuelles poursuites ou encore des avantages matériels, financiers
et sécuritaires. A titre indicatif, le protocole de la CEDEAO sur la démocratie
et la bonne gouvernance du 21 décembre 2001 énonce, en son article 1er
litera i que « tout ancien Chef d’Etat bénéficie d’un statut spécial incluant
la liberté de circulation. Il bénéficie d’une pension et d’avantages matériels
convenant à son statut d’ancien Chef d’Etat ».
Le Bénin s’est doté de la Loi n° 2009-18 du 15 juillet 2009 portant
pension et autres avantages aux anciens Présidents de la République. Cette
loi avait été, de manière indirecte, au cœur de la Décision DCC 17-046 du
07 mars 2017 de la Cour constitutionnelle du Bénin116. La Constitution du
Faso telle que révisée le 11 juin 2012 dispose, en son article 45, que la loi
fixe la liste civile servie au Président du Faso. Elle organise le service d’une

du 25 novembre 2010 : « La loi fixe les avantages accordés au Président de la République


et organise les modalités d’octroi d’une pension aux anciens Présidents de la République
jouissant de leurs droits civiques » ; Article 50 de la Constitution centrafricaine du 30
mars 2016 : « La loi fixe les avantages accordés au Président de la République et organise
les modalités d’octroi d’une pension aux anciens Présidents de la République jouissant
de leurs droits civiques » (JORDC, mars 2016). Article 45 de la Constitution du Burkina
Faso du 3 juin 1991 telle qu’elle résulte de la loi constitutionnelle n° 072-2015/CNT
portant révision de la Constitution. Cette loi constitutionnelle avait été adoptée par le
Conseil national de transition le 5 novembre 2015. Elle est disponible sur le site internet
de l’Assemblée nationale du Burkina Faso à l’adresse : https://www.assembleenationale.
bf/IMG/pdf/loi_072, (Consulté le 18 novembre 2019).
114 Loi n° 2013-001 du 04 juillet 2013 relative aux privilèges statutaires des anciens
Présidents de la République et anciens chefs d’Etat. Décision n° 03-HCC/D3 du 17
juillet 2013 de la Haute Cour constitutionnelle concernant la loi n°2013-001 relative aux
privilèges statutaires des anciens Présidents de la République et anciens Chefs d’Etat
déclare ladite loi conforme à la Constitution. Voy. aussi la Loi n°012/2002 du 28 janvier
2003, portant ratification de l’Ordonnance n° 005bis/PR/2002 du 14 août 2002 fixant le
régime de retraite des anciens Présidents de la République du Gabon.
115 Macky Sall par Décret n°2013-125 du 17 janvier 2013, attribue à tout ancien président
de la République un traitement mensuel et divers avantages et privilèges de nature socio-
économique et sécuritaire.
116 Dans cette décision, la Cour constitutionnelle est saisie d’une requête aux fins de déclarer
que la promesse qu’aurait faite le Président Patrice Talon d’accorder quinze (15) gardes
du corps à son prédécesseur Boni Yayi était contraire à la Constitution. Pour la Cour
constitutionnelle, « (…) la preuve de la promesse qu’aurait faite le Président Patrice
Talon n’étant pas rapportée, il échet pour la Cour de dire et juger qu’il n’y a pas violation
de la Constitution ».

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pension en faveur des anciens Présidents de la République117. En France, le


Décret n° 2016-1302 du 4 octobre 2016 du Président de la République est
relatif au soutien matériel et en personnel apporté aux anciens Présidents
de la République.
Les différentes dispositions constitutionnelles, législatives ou
réglementaires régissent principalement la protection économico-socio-
sécuritaire des anciens Présidents de la République en réglementant
parfois les aspects protocolaires. L’étendue des avantages accordés aux
anciens Présidents de la République élus dépend d’un Etat à un autre.
A côté de ces dispositions de « protection », certains Etats ont réglé le sort
ou le statut juridique des anciens Présidents de la République en leur
conférant une qualité spécifique.
Un bref survol dans le droit comparé nous renseigne l’émergence de
deux tendances : la première consiste à conférer aux anciens Présidents
de la République le statut de sénateur à vie de manière automatique118 ou

117 Cette tendance de prévoir des garanties particulières à l’ancien Chef d’Etat est diffuse au
sein de l’Afrique de l’ouest. Pour plus de détails, Esambo Kangashe J.L., « Alternance
politique, une épreuve difficile pour l’Afrique ? », …op.cit., pp. 565-575, spéc. à
la p. 573. L’auteur salue ces garanties en ces termes : « Indispensable à leur réinsertion
dans la vie sociale, cette protection juridique pourrait contribuer à la réduction de l’envie
de s’éterniser au pouvoir », p. 573.
118 Charte de transition du 9 août 2009 de Madagascar. Article 32 : « Un statut spécial
sera élaboré en vue de garantir aux anciens chefs d'État, y compris le chef d'État de la
transition, la considération due à leur rang passé et de préserver leur dignité, leur sécurité
et leur bien-être. Les anciens chefs d'État sont nommés sénateurs à vie ». Pour le Togo, la
Loi n° 2019 - 003 du 15/05/19 portant modification des dispositions des articles 13, 52,
54, 55, 59, 60, 65, 75, 94, 100, 101, 104, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 115, 116, 117, 120,
125, 127, 128, 141, 145,155 et 158 de la Constitution du 14 octobre 1992 (Journal officiel
de la République togolaise, 64 è année, n° spécial du 15 mai 2019) dispose à son Article
75 nouveau : « Les anciens Présidents de la République sont, de plein droit, membres à
vie du Sénat. Ils ne peuvent être ni poursuivis, ni arrêtés, ni détenus, ni jugés pour les actes
posés pendant leurs mandats présidentiels. Ils prennent immédiatement rang et préséance
après le Président de la République en exercice dans l’ordre inverse de l’ancienneté du
dernier mandat, du plus récent au plus ancien. Une loi organique détermine le statut des
anciens Présidents de la République, notamment en ce qui concerne leur rémunération et
leur sécurité » ; La Constitution italienne de 1947 telle que modifiée et complétée jusqu’à
ce jour dispose, en son article 59 : « Sauf renonciation, tout ancien Président de la
République est sénateur de droit et à vie. Le Président de la République peut nommer
sénateurs à vie cinq citoyens ayant honoré la Patrie par des mérites éminents dans le
domaine social, scientifique, artistique et littéraire ». Notre soulignement.

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encore de sénateur à la requête de l’intéressé119. La deuxième tendance


est celle qui s’inscrit dans l’influence française où l’ancien Président de
la République est de droit et à vie membre du Conseil constitutionnel. Il
peut renoncer à y siéger. Le Gabon, le Cameroun et le Burkina Faso ont
conféré le même statut à leurs anciens Présidents de la République120.
Le défaut d’alternance démocratique dans ces Etats africains ne
permet pas d’apprécier l’effectivité de cette norme statutaire. Au Mali,
une proposition de loi tendant à intégrer les anciens Présidents de la
République au sein de la composition de la Cour constitutionnelle avait
suscité des observations de la part de cette dernière soulignant le risque de
politisation de cette juridiction au regard de hautes fonctions politiques
que l’ancien Président de la République a eu à occuper121. La RDC a
emboîté le pas à d’autres Etats dans la protection des Présidents
honoraires.

119 L’Article 80 de la Constitution de la République du Rwanda de 2003 révisée en 2015 :


« (…) En plus des Sénateurs mentionnés à l’alinéa premier du présent article, les
anciens Chefs de l’Etat qui ont dûment achevé leurs mandats ou qui ont volontairement
démissionné, peuvent devenir Sénateurs après requête adressée au Président du Sénat et
approuvée par le Bureau du Sénat dans une période ne dépassant pas trente (30) jours »,
Official Gazette, n° Special of 24/12/2015.
120 Article 56 (al. 2) de la Constitution française : « En sus des neuf membres prévus ci-
dessus, font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel les anciens Présidents de la
République ». Cette rédaction est reprise presque de manière similaire par l’article 56,
al.2 de la Constitution du Cameroun de 1996 telle que révisée en 2008 : « (…) En sus
des onze (11) membres prévus ci - dessus, les anciens Présidents de la République sont,
de droit, membres à vie du Conseil Constitutionnel » ; Décret n° 126/PR du 12 janvier
2011 portant promulgation de la Loi n° 47/2010 du 12 janvier 2011 portant révision
de la Constitution du Gabon en son article 89 nouveau : Les anciens Présidents de la
République sont membres de droit de la Cour Constitutionnelle », Journal officiel de la
République gabonaise, 52è année, n° 34, 1er février 2011. Pour le Burkina Faso, l’article
1er de la Loi n° 033-2012 /AN du 11 juin 2012 : « Le Conseil constitutionnel comprend :
- Les anciens Chefs de l’Etat du Burkina Faso (…) ».
121 Cour constitutionnelle du Mali, Avis n° 12-002/CCM/Réf du 13 mars 2012 aux fins de
demande d’avis sur le Décret n° 2012-078/P-RM du 8 février 2012 portant convocation
du Collège électoral à l’occasion du Référendum constitutionnel et la Loi n° 11-056/AN-
RM du 02 août 2011 portant révision de la Constitution du 25 février 1992.

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II. Protection de l’ancien Président de la République en RDC


La Constitution de Luluabourg fut la première à conférer la qualité de
sénateur à vie aux anciens Présidents de la République122. Cette qualité a été
reprise par la Constitution du 18 février 2006. La loi initiée pour la mise
en œuvre du prescrit de l’article 104 alinéa 6 de la Constitution accordant
le statut de sénateur à vie aux anciens Présidents de la République élus a
fixé également des avantages accordés, non seulement à ces derniers, mais
aussi à l’égard d’autres chefs des corps constitués comprenant les anciens
Présidents de deux chambres parlementaires, les anciens Premiers ministres,
les anciens Présidents de hautes juridictions, les anciens procureurs généraux
et les anciens Présidents des institutions d’appui à la démocratie123. Il s’agit
d’une longue liste qui dénature le sens de la loi qui est celui d’assurer une
protection et d’accorder les avantages nécessaires aux anciens Présidents de
la République. Jacques Djoli avait même initié une proposition de loi tendant
à retreindre cette liste.
Parmi les avantages reconnus aux anciens Présidents de la République,
nous pouvons citer le droit à une pension spéciale, à l’allocation annuelle
pour services rendus, aux soins de santé, à la rente de survie et à la rente
d’orphelin, au service de sécurité, au droit à une habitation décente, à un
passeport diplomatique, à un titre de voyage business-class, à cinq véhicules,
à un personnel domestique ne dépassant pas le nombre de 10, au droit à
l’indemnité mensuelle en carburant, pour les frais de consommation d’eau,
d’électricité et de téléphone et au droit aux locaux servant d’office. Ces
avantages sont plus ou moins identiques à ceux prévus pour les anciens
Présidents dans d’autres Etats africains qui se sont dotés de lois spécifiques
ou des actes réglementaires y relatifs.
Du point de vue pénal, l’ancien Président de la République bénéficie d’une
double protection. Il jouit de l’immunité des poursuites pénales pour les actes
posés dans l’exercice de ses fonctions. Pour les actes posés en dehors de
l’exercice de ses fonctions, les poursuites sont soumises au vote à la majorité
de deux tiers des membres des deux Chambres du Parlement réunies en
Congrès. La seconde protection résulte de la priorité accordée aux juridictions

122 Article 75 al. 4 de la Constitution de Luluabourg : « En sus des sénateurs visés au


deuxième alinéa du présent article, font, de droit, partie à vie du Sénat les anciens
Présidents de la République ». C’est nous qui soulignons.
123 Loi n°18/021 du 26 juillet 2018 portant statut des anciens Présidents de la République
élus et fixant les avantages accordés aux anciens chefs de corps constitués, JORDC, 59ème
année, numéro spécial, 31 juillet 2018.

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nationales de mener les poursuites pénales à l’encontre de l’ancien Président


de la République en cas de commission des crimes internationaux124.
Il n’est pas question, dans cet article, de discuter des avantages matériels,
des privilèges accordés à l’ancien Président de la République par cette loi
du 26 juillet 2018, mais de tenter de répondre à la question de la possibilité
pour un sénateur à vie de se porter candidat à l’élection présidentielle et
ce, au regard des incompatibilités prévues par l’article 6 de ladite loi125.
Nous avons démontré, dans le cadre des techniques d’interprétation que la
question de la candidature est réglée par la Constitution complétée par la loi
électorale. Etant donné le débat sur cette question, nous entendons y apporter
notre contribution. Les différentes dispositions constitutionnelles précitées
(Charte de transition de Madagascar, la Constitution du Rwanda, la loi portant
révision de la Constitution du Togo et la Constitution italienne) confèrent le
statut de sénateur à vie, de droit, aux anciens Présidents de la République à
l’exception du Rwanda où ce statut doit faire l’objet d’une demande de la part
de l’intéressé.
De toutes ces quatre Constitutions, celle de l’Italie attire, de manière
particulière, notre attention. L’article 59 traite de sénateurs à vie :
Sauf renonciation, tout ancien Président de la République
est sénateur de droit et à vie. Le Président de la République
peut nommer sénateurs à vie cinq citoyens ayant honoré
la Patrie par des mérites éminents dans le domaine social,
scientifique, artistique et littéraire126.

Le constituant italien accorde la faculté à tout ancien Président de la


République de renoncer à cet avantage lui conféré, celui d’être revêtu de la
qualité de sénateur à vie. En RDC, l’article 104, alinéa 7 de la Constitution
est laconique tout comme la Loi précitée du 26 juillet 2018. Pouvons-nous
inférer, de ce silence, sur la faculté de renoncer au statut de sénateur à vie, une
interdiction constitutionnelle et législative ?

124 Article 9 de la loi précitée : « En matière de crimes contre la paix et la sécurité de


l’humanité commis par tout ancien Président de la République élu, les juridictions
nationales ont priorité sur toute juridiction internationale ou étrangère ».
125 Article 6 : « En sa qualité de sénateur à vie, tout ancien président de la République élu est
soumis à toutes les incompatibilités prévues par l’article 108 de la Constitution.
Toutefois, il peut exercer des fonctions rémunérées conférées par un organisme
international dont la République démocratique du Congo est membre ».
126 Notre soulignement.

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Pour répondre à cette question et ce, au regard du caractère laconique


de l’article 104 alinéa 7 et de l’article 6 de la Loi du 26 juillet 2018, les
techniques d’interprétation systémique et téléologique peuvent nous fournir
les clés de compréhension. Nous avons longuement disserté sur les techniques
d’interprétation. Nous n’entendons pas y revenir. Cependant, nous gardons à
l’esprit les interprétations de l’article 70, 220 de la Constitution, l’exposé
des motifs de ladite Constitution ainsi que celui de la Loi du 26 juillet 2018.
L’idée-force de limitation du nombre de mandats présidentiels et son corollaire
(pas nécessairement) l’alternance démocratique est au cœur du nouvel ordre
constitutionnel congolais concernant l’accès au pouvoir.
Le caractère concis des articles 104 alinéa 7 de la Constitution et 6 de la
Loi du 26 juillet précitée incite certains à développer l’opinion en faveur de
l’interdiction de l’exercice du mandat présidentiel par un sénateur à vie alors
que ce silence est exploité par d’autres comme ne constituant pas un obstacle
à l’exercice du mandat présidentiel par un sénateur à vie. S’il est vrai que
le mandat parlementaire est incompatible, entre autres, avec le mandat du
Président de la République et vice versa, l’intéressé ne pourra lever l’option
qu’en cas d’élection positive ou de nomination. L’incompatibilité est définie
par le Lexique des termes juridiques comme étant une « interdiction faite au
titulaire d’un mandat politique de cumuler celui-ci avec des fonctions qui
pourraient en compromettre l’exercice ». Il recommande, en outre, de ne
pas confondre incompatibilité et inéligibilité : l’incompatibilité ne vicie pas
l’élection, mais oblige l’élu à choisir entre le mandat qu’il a sollicité et la
fonction incompatible127.
Cette définition est reprise dans d’autres termes par le dictionnaire de
Droit constitutionnel. L’incompatibilité renvoie à « l’interdiction de cumul
se traduisant par l’obligation de choisir entre les mandats, fonctions ou
activités déclarés incompatibles. De ce fait, parce qu’elle limite la liberté,
une incompatibilité ne se présume pas ; elle doit toujours résulter d’un texte
qui, en cas de contestation, devra être interprété strictement. Elle suppose
une élection (ou nomination) préalable, et elle s’oppose ainsi à l’inéligibilité
qui, étant un obstacle à la candidature doit être constatée avant l’élection128.
La justification traditionnelle des incompatibilités est le souci de préserver
l’indépendance des élus, indépendance qui est elle-même une dimension de

127 Guinchard S. et Debard T. (dir.), Lexique des termes juridiques 2017-2018, 25ème éd.,
Paris, Dalloz, p. 1002.
128 de Villiers M. et Le Divellec A., Dictionnaire du Droit constitutionnel, 10ème éd., Paris,
Sirey, 2015, p. 192.

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la séparation des pouvoirs justement interprétée comme un principe de non-


cumul129.
Dans certains Etats, comme l’Italie, le mandat parlementaire n’est pas
incompatible avec l’exercice de la fonction gouvernementale alors qu’au
Congo, cette incompatibilité fait partie de son patrimoine constitutionnel. Cette
compatibilité entre la fonction parlementaire et la fonction gouvernementale
en droit italien peut expliquer la nomination en 2011 par le Président italien
Giorgio Napolitano de Monsieur Mario Monti, créé sénateur à vie quelques
jours auparavant par le même Président, en qualité de Président du Conseil
italien (Premier ministre).
Notons que l’article 6 de la Loi du 26 juillet 2018 comporte une disposition
contraire à la Constitution en accordant la faculté au sénateur à vie d’accepter
l’exercice des fonctions rémunérées conférées par un organisme international
dont la République Démocratique du Congo est membre alors que la
Constitution du 18 février 2006 établit une incompatibilité entre l’exercice
des fonctions précitées et la qualité de sénateur ou député. Le législateur
était-il autorisé à adopter des normes dérogatoires aux dispositions
constitutionnelles ? Une réponse négative serait appropriée. Une lecture
attentive de la raison d’être de cette dérogation peut se comprendre par le fait
qu’à l’exception du sénateur tirant son mandat parlementaire des électeurs
(députés provinciaux) et ne pouvant l’exercer qu’en toute indépendance, le
sénateur à vie est avant tout un titre honorifique et le bénéficiaire ne le tire pas
de la volonté des députés provinciaux. Cette qualité explique les avantages
exorbitants de droit commun conférés à cette catégorie de sénateurs.

III. Critique de l’opinion favorable au mandat présidentiel d’un


sénateur à vie
L’opinion tendant à accréditer la thèse selon laquelle le sénateur à
vie ne peut exercer un mandat présidentiel nous paraît excessive, car
l’incompatibilité suppose au préalable que la candidature présidentielle du
sénateur à vie ait été déclarée recevable. Cette candidature a plus de chance
de prospérer si le sénateur à vie n’avait exercé qu’un seul mandat alors qu’elle
nous paraît improbable, dans l’état actuel du droit constitutionnel congolais,

129 de Villiers M. et Le Divellec A., op.cit., p. 193. Cette définition rejoint celle proposée
par le Vocabulaire juridique. Ce dernier attribue à l’expression « Incompatibilité »,
le sens d’« impossibilité légale de cumuler, soit certaines fonctions publiques, soit
certains mandats électifs, soit une fonction publique ou un mandat électif avec certaines
occupations ou situations privées, soit même deux activités privées… ». Cornu G.,
Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2007, p. 478.

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pour un Président honoraire ayant épuisé les deux mandats. La limitation


à deux du nombre de mandats présidentiels en constitue l’obstacle majeur.
Le Président Kabila ayant épuisé ses deux mandats constitutionnels ne peut
prétendre bénéficier d’un nouveau mandat ni sur la base de l’article 70 alinéa
1er de la Constitution, ni sur celle de l’article 104 alinéa 7 et encore moins
sur le fondement de l’article 6 de la Loi du 26 juillet 2018 renvoyant aux
fonctions incompatibles avec le statut parlementaire prévues à l’article 108
de la Constitution130.
En revanche, nous sommes d’avis qu’un sénateur à vie ayant exercé un
seul mandat présidentiel peut prétendre exercer un autre dès lors qu’il jouit de
ses droits civils et politiques et n’est pas frappé par les causes d’inéligibilité.
En effet, la loi ne pourrait pas verrouiller la porte que le constituant a bien
voulu garder ouverte. Dans ce cas, le sénateur à vie qui brigue un deuxième
mandat ne renonce pas à son statut de sénateur à vie, mais plutôt aux différents
avantages (matériels et autres) attachés à cette qualité pendant toute la durée
de l’exercice de la fonction présidentielle qui est incompatible avec l’exercice
de la fonction parlementaire et non au statut « honorifique » du sénateur à vie.
Il est tenu de respecter les devoirs qui sont liés à ce statut131.

130 Article 108 : « Le mandat de député national est incompatible avec le mandat de sénateur
et vice-versa. Le mandat de député ou de sénateur est incompatible avec les fonctions ou
mandats suivants : 1. membre du Gouvernement ; 2. membre d’une institution d’appui
à la démocratie ; 3. membre des Forces armées, de la police nationale et des services
de sécurité ; 4. magistrat ; 5. agent de carrière des services publics de l’Etat ; 6. cadre
politico-administratif de la territoriale, à l’exception des chefs de collectivité-chefferie
et de groupement ; 7. mandataire public actif ; 8. membre des cabinets du Président de
la République, du Premier ministre, du Président de l’Assemblée nationale, du Président
du Sénat, des membres du Gouvernement, et généralement d’une autorité politique ou
administrative de l’Etat, employé dans une entreprise publique ou dans une société
d’économie mixte ; 9. tout autre mandat électif. Le mandat de député national ou de
sénateur est incompatible avec l’exercice des fonctions rémunérées conférées par un
Etat étranger ou un organisme international ». Notre soulignement.
131 D’après la Loi n° 18-021 du 26 juillet 2018 portant statut des anciens présidents de la
République élus et fixant les avantages accordés aux anciens chefs de Corps constitués,
les obligations sont prévues aux articles 4 et 5. Article 4 : Tout ancien président
de la République élu est soumis aux devoirs incombant à tout citoyen en vertu de la
Constitution, en particulier les articles 62 à 67, sauf ceux auxquels il est expressément
astreint ou soustrait par la loi. Aucune soustraction, ni exonération aux devoirs prévus
par la Constitution et par la loi ne peut être accordée au préjudice des intérêts de l’État
congolais, de ses institutions ou de son peuple. Article 5 : Tout ancien président de la
République élu est soumis à une obligation générale de réserve, de dignité, de patriotisme
et de loyauté envers l’État. L’obligation de réserve implique notamment l’interdiction
formelle de divulguer ou de révéler des secrets d’État ou des informations qui, en raison

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La renonciation à ses avantages matériels est compensée par les avantages


dont bénéficie le Président de la République. Il est évident qu’il ne peut pas
siéger au sein du Sénat pendant toute la durée de l’exercice de son mandat
présidentiel. A la cessation du mandat présidentiel et ayant épuisé le nombre de
mandats, il peut regagner le siège de la chambre haute. Il n’a pas l’obligation
de participer aux travaux parlementaires. Rien n’interdit qu’il renonce aux
différents avantages socio-économiques pour l’amour de la patrie en sa
qualité de sénateur à vie.
Le Doyen Raphaël Nyabirungu, pénaliste chevronné, figure parmi les
grands défenseurs de la thèse d’un éventuel retour du Président honoraire
Joseph Kabila à la magistrature suprême en 2023. Dans sa conférence de
presse tenue à Kinshasa le 11 novembre 2019, il a expliqué à l’assistance les
raisons qui, d’après lui, justifieraient un éventuel retour du Président honoraire
Kabila en 2023. Pour asseoir sa conviction, il a procédé à l’interprétation
des dispositions des articles 104 de la Constitution et 6 de la Loi du 26
juillet 2018. Les arguments à l’étai de sa conviction sont puisés dans le droit
pénal caractérisé notamment par une interprétation stricte des dispositions
pénales (Ce qui n’est pas interdit est permis). Un tel raisonnement ne peut
être intégralement transposé au Droit constitutionnel qui n’est pas un droit
sanctionnateur. Francis Delperée attirait l’attention sur le fait que
la Constitution ne s’interprète pas comme un autre texte
juridique, une loi, un règlement ou un traité et a fortiori comme
un autre texte - religieux, philosophique ou littéraire (…) En
matière d’interprétation constitutionnelle, il faut voir large. Il
faut regarder haut. Il faut scruter au loin132.

Par ailleurs, Nyabirungu analyse avec superficialité l’article 104 de la


Constitution en tirant des conclusions sur la base des prémisses erronées. En
effet, ce n’est pas l’article 104 qui donne à tout Président de la République

de leur nature et/ou de leurs conséquences, ne peuvent être connues que des seules
autorités nationales. L’obligation de dignité consiste à adopter un comportement ou des
attitudes qui ne violent pas la loi, ni ne portent atteinte à l’ordre public et aux bonnes
mœurs. L’obligation de patriotisme et de loyauté envers l’État implique une disponibilité
permanente à faire montre d’une fidélité sans faille envers la Nation, le peuple congolais
et les institutions de l’État.
132 Delperée F., « L’interprétation de la Constitution ou la leçon de musique », in Mélin-
Soucramanien F. (dir.), L’interprétation constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2005, pp. 241-
248, spéc. à la p. 246.

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honoraire le droit de se porter candidat à l’élection présidentielle. C’est la


Constitution, complétée par la loi électorale, qui détermine les conditions
pour se porter candidat à l’élection présidentielle en RDC. Pour lui, la loi sur
le statut des anciens Présidents de la République élus ne comporte aucune
interdiction, et par conséquent le Président honoraire peut se présenter en
se fondant sur le principe de l’interprétation de l’acte clair. Ce syllogisme
résulte d’une confusion où l’auteur semble ne pas saisir la finalité de la loi
qu’il s’efforce d’interpréter et à laquelle il veut donner un contenu dont elle
est foncièrement dépourvue. Cherchant à tout prix à convaincre l’assistance
de la justesse de son interprétation, il s’oriente dans le droit constitutionnel
comparé avec comme ligne de mire la Constitution française.
Citant Charles Deluermoz qui commentait une disposition française
comparable à celle de la Constitution congolaise, Nyabirungu écrit : « Après
deux mandats successifs, un Président devra donc laisser sa place pour les
5 prochaines années, mais pourra néanmoins se présenter une nouvelle fois
à l’issue de celles-ci ». Cette interprétation de l’article 6 de la Constitution
française, appuyée par Nyabirungu, est légèrement différente de la rédaction
de l’article 70, alinéa 1er de la Constitution de la RDC. En France, la limitation
du nombre de mandats résulte de la révision constitutionnelle du 23 juillet
2008. L’article 6 est libellé comme suit :
Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage
universel direct. Nul ne peut exercer plus de deux mandats
consécutifs. Les modalités d’application du présent article sont
fixées par une loi organique133.

Raphaël Nyabirungu omet de relever, à dessein, qu’en France il est interdit


d’exercer plus de deux mandats consécutifs. Cela signifie qu’un Président
français peut exercer plus de deux mandats à condition qu’ils ne soient pas
consécutifs.
Il en est de même de son interprétation relative aux incompatibilités en
soutenant que le Président de la République honoraire peut renoncer à son
statut de sénateur à vie pour se porter candidat. Cette confusion de genre
et d’espèce nuit à la compréhension de son opinion ainsi qu’à la portée de
l’incompatibilité. Nous prenons au sérieux cette considération reprise dans la
préface à l’ouvrage de Max Weber par Raymond Aron lorsqu’il écrit à juste
titre : « On ne peut pas être en même temps homme d’action et homme

133 Notre soulignement.

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d’études, sans porter atteinte à la dignité de l’un et de l’autre métier, sans


manquer à la vocation et de l’un et de l’autre »134.
A cette considération critique sont exposés de nombreux intellectuels,
professeurs et hommes politiques exerçant de manière concomitante les deux
professions, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition. Le pragmatisme
et l’opportunisme politiques dictent souvent leurs interventions sur des
questions de nature constitutionnelle renonçant ainsi aux vertus de neutralité
axiologique et d’objectivité. Adama Kpodar estime, non sans raison, que
la doctrine constitutionnelle joue un rôle important au regard des objectifs
qu’elle poursuit :
renseigner le droit constitutionnel, permettre la lisibilité du droit
par son effort de catégorisation et de systématisation, guider
l’action des décideurs ou des gouvernants ; somme toute une
fonction pédagogique et une fonction engagée135.

Les constitutionnalistes congolais et autres juristes trahissent parfois,


à travers leur engagement politique, les vertus de la science du droit
constitutionnel. Or, si le métier des constitutionnalistes est d’enseigner, de
diffuser le droit de la Constitution, ses techniques et d’en produire un discours
savant136, un constitutionnaliste politiquement engagé n’hésite pas à sacrifier
la Constitution au profit de l’instinct politique.
Les constitutionnalistes, intellectuels du gouvernement, peu importe la
saison politique, se caractérisent par leur dynamisme. Cette observation de
Thomas Mawanzi Manzenza, se rapportant aux intellectuels du gouvernement,
intéresse aussi les constitutionnalistes :
Dans tous les cas, les intellectuels de gouvernement militent pour
la sauvegarde des intérêts de la classe dirigeante, c’est-à-dire
pour le maintien du statu quo. Ils ne jouissent pas d’une grande
estime aux yeux de la population qui les rend toujours complices
de l’exploitation dont elle est victime. La population leur dénie
souvent, à tort ou à raison, la qualité d’intellectuel car elle estime
qu’un intellectuel ne peut pas devenir un porte-parole de la classe

134 Aron R., « Préface », in Weber M., Le savant et le politique (traduit de l’allemand par
Julien Freund, révisé par E. Fleischmann et E. de Dampierre), Paris, Plon, 1963, p. 10.
135 Kpodar A., « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire
francophone », in Aivo F.J. (dir.), La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 :…
op.cit., pp. 89-126, spéc. à la p. 94.
136 Aivo F.J., « Les Constitutionnalistes et le pouvoir politique en Afrique », Revue française
de Droit constitutionnel, 104, 2015, pp. 771-800, spéc. à la p. 774.

52 Pages 3-56 / Vol. 4-Pub.-2019


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dominante, c’est-à-dire, prendre la parole pour dire la vérité au


peuple au nom du gouvernement137.

Simon démontre qu’au Japon, les constitutionnalistes ont traditionnelle-


ment joué un rôle social de défense de la Constitution. Leur influence plus
diffuse et réelle dans le débat public par le biais des théories constitution-
nelles faisant de la Constitution japonaise un patrimoine civilisationnel du
Japon a rendu ainsi son contenu absolu et impossible à réviser138.

CONCLUSION
Après avoir souligné les dangers auxquels sont exposés les juristes,
constitutionnalistes faisant de la politique leur seconde profession, nous
pouvons tirer des conclusions à la suite de l’analyse aussi bien des dispositions
de l’article 70 alinéa 1er de la Constitution que de l’article 6 de la Loi du 26
juillet 2018 portant statut des anciens Présidents de la République et fixant les
avantages accordés aux Chefs de corps constitués.
Dans l’état actuel du Droit constitutionnel congolais, nous sommes d’avis
que le Président honoraire Joseph Kabila ne peut prétendre exercer un nouveau
mandat présidentiel. Il pourrait au forceps ou mieux à l’issue d’une épreuve
herculéenne passer par le rubicond de la révision constitutionnelle à double
détente. La révision à double détente ou double révision postule d’abroger
l’article contenant les dispositions intangibles. Une fois que cet obstacle est
levé, de nouvelles dispositions peuvent être insérées dans la Constitution et
ayant une incidence sur le nombre de mandats.
Persévérer sur cette voie revient à encourager la fraude à la Constitution en
affectant son esprit au profit de la lettre. La double révision n’est autre qu’un
mécanisme d’opérer la fraude à la Constitution à ciel ouvert, car l’intention
des initiateurs serait celle de procéder à la révision pour confectionner un
habit à la taille du bénéficiaire de l’effort consenti. Si les Constitutions ne sont
pas des tentes dressées pour le sommeil des peuples, pour reprendre l’illustre
citation attribuée au philosophe français du 18ème siècle Royer Collar, il
demeure vrai que la révision doit tendre à l’amélioration de la Constitution et
non à dénaturer celle-ci de ses vertus.

137 Mawanzi Manzenza Th., Les dérives de l’Etat postcolonial en République démocratique
du Congo, Paris, L’Harmattan, 2018, p. 224.
138 Simon S., « La Constitution japonaise est-elle fondée sur la légitimité charismatique ? »,
Revue du Droit public, 2014, n° 5, pp. 1311-1336, spéc. à la p. 313.

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Certaines Constitutions interdisent le principe de la double révision ou


de la révision en double détente. C’est le cas de la Constitution sénégalaise
du 22 janvier 2001 telle que révisée par la Loi constitutionnelle n° 2016-10
du 05 avril 2016 portant révision de la Constitution. En effet, l’article 103
de cette Constitution est consacré à la révision constitutionnelle et comporte
huit (8) alinéas dont deux sont pertinents aux fins de cet article. Après
avoir disposé à l’alinéa 7 que « la forme républicaine de l’Etat, le mode
d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du Président
de la République ne peuvent faire l’objet de révision, l’alinéa 8 cristallise
comme dans un marbre ces limites matérielles en précisant que « l’alinéa 7
du présent article ne peut être l’objet de révision »139. La Constitution de
la République centrafricaine du 30 mars 2016 emprunte aussi cette direction
et interdit l’application de la théorie de la double révision (article 153 in
fine)140. La Constitution de la République du Rwanda de 2003 révisée en 2015
interdit également la double révision des dispositions de l’article 175 de ladite
Constitution141.
La double révision poursuit « formellement la suppression de la disposition
contenant les interdictions en vue d’obtenir, au fond, celle et/ou la modification
des matières concernées par le verrouillage. On arrive ainsi à supprimer,
dans un premier temps, l’interdiction pour aboutir, dans un second, à la
modification proprement dite de la norme dont la révision est interdite »142.
Evariste Boshab se fait promoteur dans son ouvrage précité du principe de
la double révision. Or ce principe n’est autre qu’une forme de fraude à la
Constitution orchestrée unilatéralement par des majorités politiques pouvant

139 Notre soulignement.


140 Article 153 de la Constitution de la République centrafricaine du 30 mars 2016 : « Sont
expressément exclus de la révision :
(…)- Le nombre et la durée des mandats présidentiels (…). Les dispositions du
présent article ». Notre soulignement.
141 Article 175 : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient au Président de
la République après approbation du Conseil des Ministres, ou à chaque Chambre du
Parlement sur vote à la majorité des deux tiers (2/3) des membres. La révision n’est acquise
que par un vote à la majorité des trois quarts (3/4) des membres qui composent chaque
Chambre du Parlement. Toutefois, lorsque la révision porte sur le mandat du Président
de la République, sur la démocratie pluraliste ou sur la nature du régime constitutionnel
notamment la forme républicaine de l'Etat et l'intégrité du territoire national, elle doit
être approuvée par référendum, après son adoption par chaque Chambre du Parlement.
Aucun projet de révision du présent article ne peut être recevable », Official Gazette,
N° special of 24/12/2015. Notre soulignement.
142 Esambo Kangashe J.L., Traité de Droit constitutionnel congolais, Paris, L’Harmattan,
2017, p. 78.

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compter sur une approbation populaire du texte pour lui parer d’un vernis
démocratique143.
Une révision constitutionnelle mue par la finalité du maintien au pouvoir
s’écarte de sa raison d’être. La révision de la Constitution doit avoir pour
boussole l’intérêt général. A Madagascar, la Constitution du 11 décembre
2010 en son article 161 tend à décourager les révisions opportunistes en
exigeant qu’aucune révision de la Constitution ne puisse être initiée qu’en
cas de nécessité jugée impérieuse. L’appréciation de ladite nécessité relève
de la compétence de la Haute Cour constitutionnelle144. Il est un secret de
polichinelle que certaines révisions sont dictées par l’instinct de survie
des décideurs et de conservation du pouvoir en allant jusqu’à sacrifier le
compromis, l’équilibre qui constituent pourtant l’un des soubassements de la
Constitution.
Ndiogou Sarr note que les révisions intempestives de la Constitution sous
l’initiative de l’exécutif répondent plus au souci de régler des contingences
politiques que de procéder à la refondation des institutions pour leur
adaptation. L’instabilité constitutionnelle dans certains Etats ne découle pas
d’une remise en cause du fonctionnement normal des institutions mais plutôt
du bon vouloir du chef sur la base de réglages purement politiciens (…). Ce
dernier (chef d’Etat) est non seulement l’artisan qui déclenche l’opération
de modification mais aussi celui qui dispose de l’influence et des pouvoirs
de contrôle nécessaires sur toutes les étapes que requiert la procédure de
révision145.
Nous estimons que la contre-tendance (limitée) à la prolongation
des mandats présidentiels constitue l’une des pathologies du renouveau
constitutionnel africain créant des conditions propices pour l’émergence des
monarchies présidentielles146. Nous pouvons discuter de l’utilité de cette

143 Pour de plus amples détails sur la fraude en droit constitutionnel congolais, voy.
Kamukuny Mukinay A., Contribution à l’étude de la fraude en Droit constitutionnel
congolais,…op.cit.
144 Haute Cour constitutionnelle, Avis n°07-HCC/AV du 25 avril 2019 sur le pouvoir
du Président de la République de soumettre directement au Peuple le vote d’une loi
constitutionnelle par voie référendaire, http://www.hcc.gov.mg/avis/avis-n07-hcc-av-du-
25-avril-2019-sur-le-pouvoir, (Consulté le 17 novembre 2019).
145 Sarr N., Médiation et démocratisation. Essai sur une nouvelle technique de stabilisation
du pouvoir en Afrique noire francophone, Paris-Dakar, L’Harmattan-CREDILA, 2018,
pp. 275-276.
146 Mbata B. Mangu A., « Monarchies présidentielles et révisions constitutionnelles : le
syndrome du troisième mandat ou d’une présidence à vie dans les Etats membres de

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limitation. Elle constitue néanmoins l’un des verrous contre des présidences
à vie, personnalisées et patrimonialisées.
Les acquis de la Constitution du 18 février 2006 méritent d’être consolidés
en décourageant toute initiative tendant à remettre à zéro le compteur des
mandats présidentiels d’un ancien Président de la République. Au cas où
la Cour constitutionnelle serait saisie d’une éventuelle requête contre une
éventuelle candidature d’un sénateur à vie ayant épuisé les deux mandats
constitutionnels, elle peut s’inspirer de différentes techniques d’interprétation
en privilégiant les interprétations systémiques et téléologiques comme elle l’a
fait, dans certains de ses arrêts auxquels nous avons fait allusion pour déclarer
une telle candidature non conforme à la Constitution.

l’Union africaine », African Journal of Democracy and Governance (AJDG), Vol. 1, n°


1, 2014, pp. 47-66.

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