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Éric Debarbieux
L’école
face à la violence
Décrire, expliquer, agir
Collection U
Ron Avi Astor, Stein-Wood Professor of School Behavioral Health, USC School of
Social Work and Rossier School of Education, University of Southern California, USA.
Rami Benbenishty, Professeur, Louis and Gabi Weisfeld School of Social Work, Bar
Ilan University, Israël.
Dewey G. Cornell, Bunker Professor of Education and Director of the Youth Violence
Project, Curry School of Education, University of Virginia, USA.
Daniel J. Losen, Directeur du Centre pour l’Amélioration des Droits Civiques Projets
sur les Droits Civiques – UCLA, USA.
4 ▲ L’école face à la violence
Éric Debarbieux
Le projet initial de ce livre était d’être un point d’étape sur le chemin des
connaissances quant à la « violence en milieu scolaire ». Une sorte de « Vingt
ans après » d’un ouvrage rassemblant les contributions d’une quinzaine
d’équipes, travail placé sous la direction de Bernard Charlot et Jean-Claude
Emin (1997). C’est alors que pour la première fois en France la question
du harcèlement entre pairs a été posée, par Jacques Pain ou Loïc Villerbu ;
ou encore que les premières enquêtes de victimation et de climat scolaire
étaient rendues disponibles, par l’équipe de Cécile Carra et de Dominique
Sicot ou par l’équipe d’Éric Debarbieux. Déjà s’annonçaient aussi les ques-
tions d’ethnicisation par le tri qui forme un des terreaux de la violence (Payet,
Debarbieux). Bien des apports de ces recherches seront réutilisés, mis à jour
ou discutés. Mais en vingt ans, la situation a évolué, sur le plan scientifique
comme sur le plan politique ; ce sont aussi ces transformations que ce livre
peut contribuer à mettre en évidence.
Qu’on ne s’y trompe pas : malgré son caractère forcément austère ce livre
est une œuvre de combat, d’intellectuels engagés contre tous les simplismes
et les manipulations interminablement présentes avec le thème de l’insé-
curité. En ce sens, son projet a évolué : il ne s’agit pas d’un simple « point
d’étape » mais d’une présentation de recherches qui entendent éclairer des
débats vifs en France, mais aussi ailleurs, dans un contexte de globalisation
des populismes et de la xénophobie.
6 ▲ L’école face à la violence
1. La conférence la plus sensiblement aidée a été celle de Paris, par le ministre Jack Lang.
Violences à l’école : la science contre les populismes ▼ 7
les capacités d’abstraction. Les enfants victimes d’ostracisme ont une opi-
nion plus négative de l’école, mettent en place des stratégies d’évitement et
sont donc plus souvent absents, et ont des résultats scolaires inférieurs à la
moyenne (Sharp et Smith, 1994). Du côté des agresseurs, les problèmes sont
aussi sérieux, avec un pourcentage important d’élèves qui sont en échec sco-
laire. Pour les parents et pour l’opinion publique ce sont les conséquences
psychologiques qui comptent le plus. Ce type de victimation induit une éro-
sion de l’estime de soi qui amène les victimes à supporter leur détresse en
silence. Elles développent des symptômes d’anxiété, de dépression et ont
des idées suicidaires, ces problèmes pouvant s’inscrire dans le long terme
(Olweus, 1993).
Pour les « sécuritaires » les Assises nationales ont simplement rappelé
qu’en ce qui concerne les violences les plus lourdes, celles auxquelles le dis-
cours commun tend souvent à réduire le phénomène de la violence à l’école,
voire celui de la délinquance et de l’insécurité, la recherche suggère forte-
ment un lien entre agressions précoces répétées et délinquance ultérieure,
voire dans les cas extrêmes violence létale. Les garçons victimes sont plus
susceptibles que les autres d’utiliser une arme, et d’adopter eux-mêmes une
conduite violente indépendamment des facteurs familiaux et sociaux. Le
harcèlement subi à l’école joue un rôle important dans les school shootings,
comme le rappelle par exemple dans ce livre le texte de Van Den Meenen.
Une bascule a donc eu lieu récemment en France, et la recherche y a joué
un grand rôle. Elle n’a pas été la seule, rappelons le rôle de diverses ONG et
personnalités. La médiatisation de cas très douloureux de jeunes personnes
victimes de harcèlement a également joué un grand rôle, mettant en lumière
l’insuffisance des politiques publiques à cet égard. Une sensibilité nouvelle est
née et elle ne s’arrêtera sans doute pas.
Les Assises nationales contre le harcèlement, qui se sont tenues pourtant
dans une période électoralement agitée où les questions de sécurité publique
restaient centrales, ont de manière intéressante entraîné un véritable consen-
sus national et transpartisan. En janvier 2012 étaient créés le premier site
internet et les premières vidéos consacrées au sujet, la première helpline et
les premières formations. Le risque était qu’après l’alternance qui fit arriver
au ministère de l’Éducation un ministre d’un autre bord politique ces ten-
tatives soient rejetées dans l’oubli, or il n’en a rien été, au contraire. Ainsi
un signe intéressant de continuité malgré les différences partisanes a été la
création par le nouveau ministre d’une délégation ministérielle en charge
de la Prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire – qui
a là encore été confiée à l’auteur de ces lignes, c’est-à-dire aussi à celui qui
avait accepté de travailler « avec l’autre camp politique ». Ma personne n’a
aucune importance, mais le symbole a été fort, d’une volonté du politique
de s’appuyer sur la recherche et le long terme, plutôt que de se laisser guider
Violences à l’école : la science contre les populismes ▼ 11
1. Cet ouvrage est prévu pour septembre 2017, chez le même éditeur. Son projet est de faire un
point sur les actions réelles, en particulier dans les salles de classe.
Première partie
Mesurer et décrire
Chapitre 1
Mesurer la violence
en milieu scolaire
au niveau national :
outils et résultats
1. À ce sujet, on consultera avec profit le numéro spécial de la revue Éducation & formations consa-
cré au bien-être et au climat scolaire, notamment l’article introductif d’Éric Debarbieux. De plus,
on trouvera dans ce numéro des exploitations des enquêtes SIVIS et victimation sur les questions
sur le climat scolaire (Beaumont, 2015 ; Hubert, 2015), ce qui explique que l’on se centre ici sur
les questions relatives aux violences subies.
2. Bien sûr d’autres acteurs du système éducatif, les enseignants par exemple, peuvent être aussi
interrogés, mais le ministère de l’Education nationale n’a pas encore pu développer des enquêtes
de ce type. Une exploitation conjointe avec l’Insee de l’enquête de victimation en population géné-
rale a cependant permis de donner quelques éléments sur les violences subies par les personnels
de l’éducation nationale (Insee, 2013).
Mesurer la violence en milieu scolaire au niveau national : outils et résultats ▼ 17
L’enquête Sivis
Mise en place à la rentrée 2007, l’enquête Sivis permet le recueil de données
sur la violence en milieu scolaire. En 2014, le label de qualité statistique et
d’intérêt général a été renouvelé par le Cnis pour l’enquête Sivis. Les données
recueillies sont ainsi protégées par le secret statistique et ne peuvent être
exploitées que dans un but statistique, ce qui exclut toute comparaison entre
des établissements identifiables.
L’enquête s’adresse aux chefs d’établissement, qui doivent la renseigner
via une application intranet dont l’accès est sécurisé. L’enquête SIVIS com-
prend deux volets. Le premier vise à caractériser le climat scolaire à l’aide de
six questions portant sur l’ambiance générale, la nature des relations entre
membres du milieu éducatif et la sécurité1.
Le second questionnaire, qui nous intéresse ici, porte sur le nombre et les
caractéristiques des incidents graves survenus en milieu scolaire. L’enquête
est centrée sur les actes les plus graves. La volonté d’homogénéiser au mieux
les données a conduit à restreindre les critères d’appréciation pour l’enregis-
trement d’un acte donné, notamment pour toutes les violences entre élèves.
Par exemple, pour certains types de faits n’impliquant que des élèves, seuls les
incidents présentant un caractère de gravité suffisant, au regard des circons-
tances et des conséquences de l’acte, sont enregistrés. En particulier, il faut
qu’une des conditions suivantes au moins soit remplie : motivation à carac-
tère discriminatoire, situation de harcèlement, usage d’un objet dangereux
ou d’une arme, acte commis dans le cadre d’une intrusion, ayant entraîné des
soins ou causé un préjudice financier important, porté à la connaissance de
la police, de la gendarmerie ou de la justice, susceptible de donner lieu à un
dépôt de plainte ou à un conseil de discipline. Par l’atteinte grave qu’ils repré-
sentent à l’institution scolaire, tous les incidents impliquant un personnel de
l’établissement sont retenus. Cette démarche permet d’assurer une meilleure
homogénéité des déclarations entre les établissements.
L’enquête a subi un certain nombre de modifications depuis sa création en
2007. Initialement, les données étaient collectées trimestriellement. L’enquête
s’adressait à un échantillon de 954 établissements du second degré2 public
tirés au sort selon un plan de sondage stratifié par type d’établissement et
taille en termes d’effectifs scolarisés. En 2010, le questionnaire recensant les
incidents graves a été mensualisé. Par ailleurs, l’échantillon a été fortement
étendu (taux de sondage de 80 %) afin d’assurer une représentativité départe-
mentale, jugée alors souhaitable. Mais la difficulté à suivre un tel échantillon
(qui atteignait d’ailleurs l’exhaustivité dans certains départements, ce qui a
PREMIÈRE PARTIE
MESURER ET DÉCRIRE
DEUXIÈME PARTIE
EXPLIQUER ET INTERPRÉTER
TROISIÈME PARTIE
PRÉVENIR ET AGIR