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Thèse 1886 Open Access

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Du louage de services en droit romain dans l'ancien droit français et dans


le droit moderne

Lubenoff, Grégoire-P.

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LUBENOFF, Grégoire-P. Du louage de services en droit romain dans l’ancien droit français et dans le
droit moderne. 1886. doi: 10.13097/archive-ouverte/unige:26566

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UNIVERSITÉ DE GENÈVE
~

DU

LOUA.GE DE SERVICES
EN DROIT ROMAIN
Dl< e
L'ANCIEN DROIT FRANÇAIS
ET DANS

LE DROIT MODERNE
PAR

G.-P. L"1:...J"l3E::N"OF'F

GENÈVE
IMPRIMERIE JULES CAREY~ RUE DU VIEUX -COLLÈGE, 3
'1886

1
0 1'lO ~<
... ~....... .J\4-A
. '•
APERÇU HISTORIQUE
~~~

CHAPITRE PREMIER

L'Esclave.

L'esclavage est une condition civile de l'humanité,


résultant de «l'établissement d'un droit, qui rend un
homme tellement propre à un autre homme, qu'il est
le maUre absolu de sa vie et de ses biens » (1). Cette
définition de l'illustre auteur de l'Esprit des tais indi-
que parfaitement ce qui caractérise l'esclavage et fait
ressortir ce qu'il a d'odieux. En effet, l'esclavage atteint
l'homme dans sa personna1ité; l'esclave ne s'appartient
plus, il est la propriété d'autrui; Aristote dit qu'il n'est
qu'un instrument vivant, une propriété animée, abso-
lument comme une bête de somme. Ces traits nous suf-
Jisent pour expliquer combien l'institution de l'escla-
vage est anti-sociale. Là où l'esclavage existe, il n'y a
pas une nation, il y en a deux, celle qui possède et
e) Montesquieu. L'Es~n"t des Lois, liv. XV, chap. L
-'•-
celle qui est possédée, celle qui peut tout et celle qui
(~Dit tout souffrir, celle des hommes faits à l'image de
Dieu et celle des hommes abaissés à la condition de
la brute.
Certains sophistes ont cherché à justifiee l'institution
de l'esclavage, comme une fâcheuse nécessité, en invo-
,quant soit des différences de climat, soit des inégalités,
mais les faits sont partout venus donner le démenti à
ces théories de l'égoïsme et de la cupidité. Ces mêmes
faits ont prouvé, d'une manière formelle, qu'il n'est
aucune contrée où le travail ne puisse être libre, et
nulle variété de l'espèct: humaine qui ne puisse être
amenée à exploiter le sol en lib,erté.
On dit que l'esclavage est aussi ancien que la
soeiété. Rien de plus juste. En fait, au moment où les
premières sociétés commencent à se montrer, au
milieu des té1~èbre.s qui enveloppent le monde pri-
mitif, l'esclavage paraît. La raison de ce fait est facile
à donner. Le travail est une nécessité de toute société~
mais comme tout travail est pénible, exige un effort,
.les hommes les plus forts et les plus intelligents ont
voulu, à l'origine des sociétés, s'en affranchit' en l'im-
posant aux plus faibles. De là L'esclavage, qui apparaît
avec l'établissement des sociétés; car, là où toute
organisation sociale fait défaut et où le travail n'est
pas devenu une fonCtion sociale imposée par la néces-
sité, l'esclavage n'existe pas. Ainsi le sauvage ne fait
pas d'esclaves, mais il tue ses prisonniers de guerre.
Plusieurs écrivains ont émis l'opinion que l'aboli-
tion de l'esclavage était due au christianisme; mais
-~-

c'est là, nous derons le dire, une affirmation qui peut


être justement contestée. C'est seulement après le ren-
versement de toutes les serritudes, après t789, que le
clergé, honteux de son silence et de son inaction,
honteux surtout de s'être laissé devancer dans cette
question de justice et d'humanité par les philosophes,.
par la Révolution française, par l'agitation anglaise, a
élevé la voix pour revendiquer le bénéfice de l'éman-
cipation. Nous reviendrons plus tard sur ce point.
Ainsi, à l'origine, l'obligation du travail, qui s'im-
posait à tout homme, commence à se limiter. De
bonne heure, les forts firent travailler les faibles. La
femme, le Hls de famille purent, à ce titre, servir les
premiers dans la vie domestique. La pui~sance pater-
nelle alla en croissant. La femme tomba sous la domi-
nation absolue de son mal'i; ainsi la servitude s'établit
au foyer, et jusqu'aux sources mêmes de la famille.
((On trouve, elit la Genèse (1), dès les premiers âges
du monde, tout à Ja fois l'asservissement de la famille
et l'esclavage de l'étranger. ) D'ailleurs, l'histoire des
patriarches est pleine d'exemples; Abraham compte
dans sa famille des esclaves par naissance et des
esclaves achetés (2). Il peut armer sans danger plus
de 300 jeunes et robustes serviteurs nés sous ses
tentes (3 ).
C'était le droit de la. force qui avait imposé l'escla-
vage, et c'était Ja guerre qui continuait surtout à
(1) Genèse, XXXI, i5.
e) Genèse, XVI, 2:1.
(!) Genèse, XIV, H-.
-6-
l'entretenir. Tout vaincu, s'il n'est pas anéanti, est
l'esclave de son vainqueur; telle était l'inflr,xible loi
du droit des gens parmi les anciens. Autant de pri-
sonniers, autant d'esclaves, disait un proverbe (1).
Malheur à l'armée vaincue! Malheur surtout à la cité
prise d'assaut! « Partout, s'écrie Eschyle (2), la mort,
Jes flammes, resclarage s'y présente ... partout, dans
ses murs déserts, retentissent les cris confus des cap-
tives désolées. --Soldats, femmes, enfants, vieillards,
J)

tous étaient traités en esclaves. Après la victoire, en


général, on faisait la vente des prisonniers qui sou-
vent étaient vendus sans compter. ( Après la prise
d'Aduaticum, dit César, on vendit tout ce qui se
trouva dans la vi lie; les acheteurs dirent que le nom-
bee des captifs s'élevait à cinquante-trois mille (3). »
Chacun vendait de son côté les prisonniers qu'il avaH
faits à la guerre. La possession valait titre, et pour le
guerrier, et pour le voleur, et pour tous ses ayants-
droit. Le droit de l'occupant, 8-i l'on peut s'exprimer
ainsi, était si universellement reconnu, que celui qui
tornbait en servitude, dans un pays étranger, était
considéré, même dans sa patrie. comme ayant perdu
sa qualité d'homme libre. Ce n'était que par une fic-
tion de la loi qu'il recouvrait, en rentrant dans son
pays, ses droits sn 1· sa famille et ses biens. A Rome,
par exemple, il devait rentrer dans sa maison sans
C) Quot hostes capti, tot servi Erasmi, Adagio l', 1. 2:H.
(2) Les Sept à Thèbes, 332 et 3:33.
(3) Ab his qui emerant numerus capitum relatus est mitlùtJn,
Lill, Caes., B. G. II, 3:t
-7-
être vu, par le toit ou pat· la porte secrète de l'implu-
viu1n. On le t1·aitait alors en vertu de ce qu'on appelait
le droit de rentrée secrète, comme s'il n'avait été
qu'absent.
En résumé, l'apparition de l'esclavage se lie à l'éta-
blissement des sociétés, dont il est un des effets.
Nous allons maintenant étudier l'esclavage dans
les soeiétés qui se sont succédées jusqu'à nous.

SECTION 1

L'ESCLAVAGE CHEZ LES PEUPLES ORIENTAUX

L'Inde. - Nous ne pouvons rien dire sur l'état


primitif des peuples, car les peuples sauvages n'ont
pas d'annales; la tradition est :incertaine, et il n'est
venu jusqu'à nous que des renseignements peu précis.
Toutefois la nation indienne possède une tradition qui
otfre quelque certitude, puisqu'elle est fixée par des
monuments et par des livres (1). Ainsi les Vedas nous
disent que l'esclavage était défendu. Diodore et Pline
.en témoignent. Mais après quelques siècles remplis de
guerres et de révolutions, Manou (2) nous met err
présence des castes immobilisées, dont la dernière est
Ja caste Soudt·a, qui n'a d'autre état que celui de
.servir les autres. Personne ne pouvait changer de
caste, car tout indou était tatoué sur le front, par la
C) Les Vedas ont servi de point de départ à toutes les my-
thologies occidentales (voir Dezobry, Littératu1·e indienne).
2
( ) Nouveau commentaire des Védas.
-8-
marque de sa caste. Tout est au maître~ le Soudra ne·
possède rien; et de plus~ il est considéré comme un
être impur~ qui a un corps~ mais qui n'a pas d'âme.
Aucun secours ne lui est dû; on peut le traiter comme
on veut.
Mais J'état d'un Soudra est enviable, comparé à
l'état du Paria et de l' étrctnge1··~ car les gens de ces
deux catégories ne peuvent communiquer avec per-
sonne ni rendre aucun service; leur vue seule est une
souillure.
A côté de ces différentes castes, on trouve l'esclave,.
qui a une meilleure position que le Soudra, car, dit
Manou, ((l'esclave peut être affranchi, mais non le
Sou dra, parce que cet état lui est naturel; personne
ne peut L'en exempter ) . On devenait esclave, surtout
par suite d'une guerre ou par la naissance.
Par l'institution des castes, le peuple indou fut
condamné, durant plusieurs siècles, à l'abrutissement
et à l'immobilité. Enfin apparut le Boudhisme, qui
supprima les castes et proclama l'égalité, mais seule-
ment pour les adeptes de cette religion; les gens
étrangers à la loi de Boudha pouvaient devenir
esclaves. ·
Chine. - La simplicité des besoins paraît avoir
retar1lé en Chine le développement de l'esclavage; car
le mot même qui sert à qualifier cette dernière condi-
tion n'apparaît dans la langue que douze siècles avant
notre ère. - C'est par suite de l'invasion mongole
que le peuple fut divisé en castes, et par suite de
guerres civiles que l'esclavage prit des racines.
-9-
Ce sont des esclaves de l'Etat qui apparaissent les
premiers et qui sont les seuls esclaves de la Chine;
mais, à la suite des grandes famines_, une loi permit
au peuple· de vendre les enfants qu'il ne pouvait
nourrir. Dès lors on distingua deux sortes d'esclaves:
cèux de l'Etat et ceux des particuliers.
Le droit Ju maître était absolu: iJ pouvait vendre
comme il avait acheté, vendre même les enfants de
ses esclaves. Ce droit était héréditaire et perpétuel.
Cependant l'esclavage paraît avoir été peu sûr en
Chine; la loi, Ja coutume et les mœurs contribuaient
à en adoucir les conditions. Ici l'esclavage se rap-
proche beaucoup dR la domesticité. Les rapports du
maître et de l'esclave sont très doux; ce sont des
rapports si faciles que, pendant longtemps, ils ont fait
croire à l'étranger que l'esclave n'était qu'un domes-
tique, un serviteur gagé, tant il était libre dans son
travail, dans ses loisirs et dans ses allq res.
• Ce qui contribue beaucoup, a dit M. Wallon dans
son Histoire de l' Esclava,qe, à tempérer la condition
des esclaves, c'est qu'ils étaient relativement peu nom-
breux; et Ja raison de ce petit nombre est la prépon-
dérance du travail libre. L'esclavage et le travail libre
n'ont jamais pu marcher ne front. Le plus sou vent
l'esclavage l'emporta; mais un heureux .concours de
circonstances mit obstacle, en Chine, à ce funeste
ascendant. En aucun pays, en effet, le travail ne fut
plus généralement répandu, plus anciennement orga-
nisé. Excepté les lettrés, les mandarins et les princes,
tout, dans cette vaste contrée, était peuple, c'est-à-dire
-'lü-
~homm.e de travail. Il en résultait qu'on y éprouvait,
moins que partout ailleurs, dans les familles, le besoin
d'esclaves, et, chez les pauvres, les nécessités de ser-
·vir. L'esclavage était moins souvent imposé, comme
dernière ressource, aux pauvres, car l'exercice des
métiers et la petite culture, ménagés par l'opinion
publique et protégés par la loi, leur offraient des
moyens de vivre, sans leur ôter l'indépendance. )
Egypte. - CètLe contrée ayant été envahie par des
peuples venus de l'Inde, le régime des castes y fut
appliqué. Deux castes dominent: celle des prêtres et
celle des guerriers. Les castes inférieures n'avaient
aucun droit politique, ni aucune part dans les fonc-
tions publiques et les honneurs, elles étaient obligées
de servir les deux premières. La plus misérable des
·castes inférieures était celle· que la guerre on les
condamnations publiques avait faite aux esclaves.
Elle était chargée d'exécuter les travaux les plus mal-
sains et d'édifier ces immenses constructions du
désert, que réclamaient .les magnificences des Pha-
raons. C'est sur ces monuments qu'on voit encore
·.aujourd'hui J'inscription : Ici, le. bras d' aHcun ~gyp­
dien n'a fati,qtté. ..
Outre ces esclaves, il y avait des esclaYes domesti-
ques. La Bible parle des eunuques attachés aux
palais du roi. Il y avait des esclaves, chez les prêtres
et les gumriers, qui se faisaient porter en litière, etc.,
etc. L'esclavage, donc, existait en Egypte dans toute
.son extension et avec toutes ses conséquences.
Les Hébreux. - D'après la Genèse, rinstitution de
-tt-
l'esclavage était complète dans la période légendaiee.
Moïse, quoiqu'il ait une tendance à l'atténuer, la main-
.tient dans la loi qu'il donne au peuple, et il ne pouvait
mieux faire, car chez tous les peuples qui l'entouraient,
c'était une institution légitime. Il ne pouvait que subir
!eur influence, et suivre leur exemple (1). Mais pour ne
pas condamner des esclaves aux traitr,ments les plus
.rudes et les plus despotiques de leurs maîtres, Moïse
pensa qu'il était nécessaire de fixer les droits et le sort
de ces malheureux, par des règlements obligatoires :
ainsi, pour les étrangers, l'esclavage était· temporaire et
ne pouvait se prolonger au delà du jubilé. Pour les
Hébreux, il était de six années seulement. Le Sabbat
:fut institué surtout pour leur faire obtenir du repos.
Aucun sujet ne pouvait aliéner sa 1iberté~ à moins qu'il
ne se trouvât sans aucun moyen d'existence (2). Il était
.défendu au maître de maltraiter son esclave, sans motif
suffisant; si le maître contrevenait à cette défense, il
était puni et l'esclave pouvait obtenir l'affranchisse-
ment, s'ille réclamait.
Les esclaves chez les Hébreux paissaient les trou-
peaux et cultivaient les terres. Quelquefois on les pré-
posait aussi à la garde et à l'éducation des enfants (3).
Mais le plus souvent, il étaient attachés à la personne
·du maître, l'accompagnaient au bain en litière, le ser-

C) L'Exode, XXI, 2, 7, 20; Lev. XXV, 44, 46; Lev. XXV,


,;39. - P1·ov. XXII, 7.
2
( ) Lev. XXV, 39 .
.(1) Chr. XXVII, 32.
- H~-

vaient à table, .etc., etc. Ils exécutaient, pour ainsi dire~


tous les services domestiques (1).
Telle était en peu de mots la condition des esclaves
chez .Jes Hébreux.

SECTION Il

L'ESCLAVE CHEZ LES GRECS ET LES ROMA lNS

Grèce. - Nulle part, peut-être, dit Wallon, d'nEe


manière plus éclatante que dans la Grèce, au sein de
la civilisation la plus avancée, l'esclave n'apparut avec
son influrnce dégradante et meurtrière. Il y abaisse
les races les plus illustres, il engloutit des générations
de peuples et de héros (2 ).
Les Grecs ongi11a1res d'Orient, oü l'abus du plus fort
se pratiquait d'une manière universelle, durent néces-
sairement en importer l'institution de J'esclavage, qui
formait le fond même des sociétés. Ainsi Aristote nous.
dit, que l'esclavage y est considéré comme un des élé--
ments essentiels d'une maison complète et bien orga--
nisée (3). Suivant leur sexe, leur rang ou leurs aptitu-
des, les esclaves étaient divisés en esclaves domesti-
ques et en esclaves ruraux. Les premiers, attachés aux
soins de Ja maison et de la personne du maître, se
livraient souvent à divers métiers, et les autres à t'-)US
les travaux des champs. ( Dans les Etats aristocrali--
(1) Ex. XXV. -Lev. XXV, 39.
(2) H. Wallon. Histoire de l'esclavage. T. I, P. I, Chap. II.
C1) Aristote. --Politique i, :3.)
-13-
ques, nous dit 'Vallon, tous les travaux sans distinc-
tion étaient abandonnés à des races asservies, parce
que tout s'y rapportait à la guerre, et les exercices mili-
taires demandaient du loisir. Dans les républiques
commerçantes, les travaux de la campagne devaient
être à peu près dans les mêmes conditions, parce que
touL s'y tournait naturellement au commerce et à l'in-
dustrie.)) (1) Comme tous les travaux pouvaient être
exécutés par des esclaves, personne ne travailla plus.
Les fahricants, les commerçants quittèrent leurs éta-
blissements, pour en coufier la direction à des escla-
ves. Les médecins enx-mêmes avaient des esclaves qui
allaient, en leur nom, pratiquer la médecine chez des
citoyens (2). Enfin, c'était par des esclaves que l'on
tendit à développer les ressources publiques. L'escla-
vage donc s'était répandu clans tous les usages de la
vie, et même jusqu'aux degrés inférieurs du service de
t'Etat. L'esclave prenait partout la place du citoyen; il
n·était pas seulement l'instrnment, mais, pour ainsi
dire, la force motrice du travail antique. Ce que font
aujourd'hui nos chevaux, nos machines se faisait dans
ce temps-là par les bras des r,scla ves ; ils étalent une
cause productive de la richesse; et le cléveloppemen t
du commerce et de rindustrie d'une ville se pouvait
mesurer, en quelque sorte, sur le nombre et la puis-
sance de ces bras. ·
e) Wallon Histoire de l'esclavage. P. J, P. 1, Chap. VI.
e) Bœkh, 1, 2i, t. I, p. 204, cite les lois de Platon. -J_,a loi
athénienne avait pourtant défendu aux esclaves l'exercice de la
médecine.
-14-
Par ce 4ue nous 'Tenons de dire, on voit combien
l'usage des esclaves était général à Athènes. Il n'y
avait pas de c1toyen assez pauvre pour ne pas avoir-
au moins un esclave occupé du soin de son ménage (1) ..
Dans les maisons un peu aisées, on rencontrait plu-
sieurs esclaves, ayant chacun leurs occupations spé-
ciales. Platon nous dit que, chez certains citoyens, on
rencontrait jusqu'à cinquantes esclaves et même plus~
Mais jamais le nombre des esclaves possédés par des
particuliers ne fnt aussi grand que chez Jes Romains
aux derniers temps de 1a république et sous l'empire.
Demandons-nous maintenant à quelle source s'ali-
mentait l'esclavage? Il s'alimentait en gTande partie
parmi lrs classes libres. Ainsi, un citoyen pouvait
vendre son enfant (2) ; le défaut de paiement d'une
dette mettait le citdyen débiteur au pouvoir de son
créancier et le rendait esclave. La guerre civile faisait
aussi des esclaves. Mais la source la plus abondante
était toujours la source primitive, la guerre et la pira-
terie; la première, à de certains intervalles, ravivait
l'esclavage; la seconde y subvenait par une action
plus· continue. Cette dernière industrie ·se pratiquait
à la fois sur lamer, sur la terre ferme et jusqu'au sein
des villes, où des audacieux enlevaient les femmes et
les enfants.
Le commerce était une source dérivée où toutes les.
autres venaient généralement aboutir; il s'alimentait
(1) Aristophane, Plutus.
e) Excepté en Attique, où une loi de Solon réduisit cette vente
aux filles qui se seraient laissé séduire. Plut. Sol. 23.
-15-
par la guerre, la piraterie, la vente de toutes les caté-·
gories d'esclaves, par exemple, ceux fournis par l'abus
de la puissance paterneJle, l'abus de l'autorité des.
princes, etc., etc. Chaque ville avait son ·marché aux..
esclaves; Athènes était un des principaux lieux où se
fais::i.it ce commerce. Elle n'avait pas de rivale en ce·
genre, sauf toutefo~s certains marchés asiatiques plus
rapprochés des sources ordinaires de l'esclavage.
Pianu de, dans la Vie d' Esope, Lucien, dans les Vies.
aux enchè1~es, nous donnent la description des ventes
dans ces marchés. Les esclaves sont placés sur de-
longues files; un acquéreur se présentait-il, et faisait--
il un choix clans le nombre, le sujet sortait des rangs
et des pieds à la tête était examiné avec le plus grand.
soin, comme un animal domestique. Puis il devait
marcher, trotter, courir, soulever des fardeaux, mon-
trer son adresse et produire tous ses talents, sous l'œil
brillant elu maître, armé de son fouet. Le marché
conclu, l'esr.Jave suivait son nouveau maître sans
qu'on s'inquiétât un instant de sa femme et des
enfants qu'il laissait derrière lui et dont il elevait à
jamais ignorer le sort. - Souvent les esclaves étaient.
vendus aux enchères: ils étaient placés alors sur une
pierre appelée rrpar"/P Àtroç; le même usage se trou-
vait aussi à Rome, d'où la locution: homo de lapide
emptus. Le marché des esclaves semble avoir été tenu,
à Athènes, à certains joHrs fixes, ordinairement le
dernier jour elu mois (1).

(1) Aristophan, Chevaliers, V, 43.


- H)-

Le prix d'un esclave, cela va sans dier., variait selon


l'âge: la vigueur, l'usage qu'on en pouvait faire et le
produit qu'on en pouvait tirer (1). L'offre et la demande
établissaient son véritable prix. Mais, en général) les
ouvriers d'industries valaient à peu près le double des
autres esclaves. Un lettré, au temps de Démosthènes,
valait le prix d'un cheval.
Suivant Démétrius de Phalère le nombre des es-
claves, à Athènes, au temps de sa splendeur, était
de 400,000; mais les auteurs modernes les plus auto-
risés veulent le réduire à la moitié de ce chiffre. Telle
est l'opinion de M. 'Vallon. On aurait ainsi une
moyenne de trois esclaves pour chaque tête de citoyen,
c'est-à-dire de douze à quinze pour chaque famille.
Sparte avait un chiffre d'esclaves supérieur à celui
d'Athènes; la population servile y était sept fois plus
nombreuse que la race conquérante.
L'esclave en Grèce, comme d'ailleurs partout, est un
bâton dans la main de son maître; il n'est rien et n'a
rien. Dans l'âge de la force, il est voué au travail ou au
vice, suivant le caprice de son maître. Dans la vieil-
lesse, il est abandonné à ses infirmités et à sa misère.
Son entretien était limité au strict nécessaire, aux cho-
ses indispensables à la vie. Pour nourriture, une me-
su re de farine par semaine, et de plus quelques fruits,
suivant le pays; pour vêtement, une pièce de toile, une
tunique et un bonnet. Quant au logement, Caton et
Varron le placent à côté de l'écurie des bœufs, et Co-
lumelle dans des souterrains.
(1) Xénophon, Mémoù·es, II, V, 2.
- '17-
Comme nous l'avons dit plus haut, le maître pouvait
fail'e travailler 1'esclave suivant son plaisir: soit à son
champ, soit à un métier quelconque, à une jndustrie.
On avait pris l'habitude même de les louer; et il pa-
raît que beaucoup de citoyens avaient un certain nom-
bre d'esclaves, uniquement pour les louer; cela consti-
tuait un excellent emploi des capitaux. Beaucoup de
Jermiers de mines, faute de capitaux pour acheter des
esclaves, s'en procuraient en les louant. Xénophon
nous c.ite, entre autres, un certain Nicias, propriétaire
d'un millier d'esclaves, qu'il louait à un entrepreneur
de travaux de mines, moyennant une obole par tête
,et par jour. (1) Ce genre de spéculation se pratiquait
sur une très grande échelle. I1 y avait des gens qui
pouvaient louer six cents, huit cents, jusqu'à rnille
esclaves. Ce louage était comme une sorte de cheptel,
.qui garantissait le maître de toute perte résultant des
maladies ou même de la fuite des esclaves, en impo-
sant à l'entrepreneur Pobliga~ion de Jes représenter,
en nombre égal, à l'expiration du contrat. (2)
Nous ferons remarquer, que la cJndition des esclaves
.en Grèce était bien meilleure qu'à Rome, sauf toute-
fois à Sparte, qui, selon Plutarque, était la ville la
meilleure pour un homme libre, et la plus mauvaise
pour les classes serviles. A Athènes, par exemple, les
esclaves étaient traités avec douceur; ils jouissaient,
nous dit Xénophon, d'un certain degré Je liberté. Ils

(1) Xénophon: Des Revenus de l'Attique_, ch. IV.


e) Xénophon: De vectig., IV, U •.
2
- 18-
avaient leurs fêtes, leurs sacerdoces; à Epidaure, dans-
le ten1ple de Minerve, le grand-prêtre devait être un
es ela ve fugitif.
Les esclaves se distinguaient des autres personnes
par leurs noms en deux syllabes et leur courte cheve-
lure. Le maitre pouvait punir son esclave à son gré,
toutefois la vie d'un esclave était protégée par la loi;
il fallait une sentence légale pour le mettre à mort.
Quelquefois, l'esclave se réfugiait dans le temple de
Thésée pour échapper au mauvais traitement de son
maître
Rome. - L'usage d'avoir des esclaves, qui existait
partout dans l'antiquité, se trouve nécessairement chez
les Romains ; mais il:::; ne faisaient point la guerre pour
se procurer des esclaves, comme cela se pratiquait chez
les autres peuples. Nous savons que ce ne fut pas pour
faire des esclaves qu'ils firent, à l'origine, la guerre
à leurs voisins, mais plutôt, pour les incorporer à la
cité, comme citoyens et comme auxiliaires. Ces nou-
veaux venus constituèrent la classe des plébéïens, en
attendant qu'ils devinssent les clients des patriciens de
Rome. Ainsi, pendant une période de temps assez longue,
les esclaves furent peu nombreux à Rome. Les arts
mécaniques, les métiers étaient exercés par des citoyens;
le travail libre était préféré au travail de l'esclave. Mais
cet état de choses ne dura pas. A la suite des guerres
qui donnèrent aux Romains de funestes exemples et
des habitudes de luxe et de loisir, le nombre des esclaves
augmenta de plus en plus. La conquête de fltalie et
surtout la conquête des contrées en dehors de l'Italie
-19-
firent amener à Rome un nombre considérable d'es-
claves. Ainsi on rapporte que Fabius Cunctator en en-
voya trente mille de la seule ville de Tarente, Paul
Emile cent cinquante mi11e de l'Epire. Et ce fut bien
pis, plus tard; ainsi César, si l'on en croyait Plutarque
et Appien, aurait fait un million de captifs dans la Gau! e
transalpine. (1)
A Rome, comme en Grèce, l'esclavage avait les mêmes
causes et les mêmes etiets. On était esclave par la nais-
sance ou par suite d'une événement postérieur à la
naissance: ((servi atttem autnascltnttw, atttjiu.nt )) (2).
·on nait esclave, lorsqu'on a pour mère une femme
esclave. PHu importe que la femme ait eu des relations
avec un homme libre. L'enfant suit la condition de sa
mère tant qu'il n'y a pas mariage légitime. Mais par
faveur pour la liberté, l'on avait fini par décider que
pour qu'un enfant naquît ingénu, il suffisait qu'il pût
prouver que sa mère était libre, sinon à l'époque de
l'accouchement, du moins au moment de la conc~ption,
ou à un instant quelconque de la grossesse. (3)
L'évènement postérieur à la naissance produisait
l'esclavage, tantôt d'après le droit des gens, tantôt
d'après le droit civil. Ainsi on était esclave: quand on
tomhait en captivité; quand, étant majeur de vingt
ans, l'on s'était laissé vendre frauduleusement; lors-
qu'on s'était soustrait à l'ilncription sur les tables du
(l) Plut. Gœs. 15; App. De reb. Gall. 2.
2
( ) Inst. § 4, liv. I, tit. III.

e) Inst. liv. I, tit. 4, De ingen .. princip. ; Ducaurroy, n° 7t.


et suiv.
-20
·-cens; lorsqu'on avait commis un vol manifeste; lors-
1qu'on était condamné aux mines à perpétuité, etc. (1).
La loi qui pesait sur l'esclave, avait à Rome la même
dureté que dans la Grèce. L'esclave était regardé par
.Je maître comme un animal domestique; moins encore,
comme un outiL Il était sa propriété, sa chose, et
.comme tel, il n'était rien dans la société; il ne pou va.it
.avoir ni famille, ni propriété, ni revendiquer aucun
droit. soit pour sa personne, soit pour Jes choses qu'il
.avait pu acquérir. Ce ne fut qu'assez tard, sous les
empereurs que l'esclave commença à être, juridique-
ment, une sorte de personne, d\1ne espèce particu-
hère (2). Mais pendant toute la durée de la République,
l'esclave n'était vraiment qu'une chose. Caton nous
dit que ( les instruments de travail sont de deux sor-
tes : les uns muets, la charrue, le hoyau; les autres
ayant une voix, le bœuf, le cheval, l'esclave. » - (( Il
·faut, écrivait-il encore, que le bon père de famille ainw
(1) Inst. l. I, tit. :L De fur. persan. § !~; Etienne, Inst Just. L
ter, p. 69 et suiv.;- L. 5, quibus ad libertatern (40, 13).
2
( ) Au début de l'empire, sous Auguste ou sous Néron, nous
:rencontrons la loi Pet1·onia, qui défendit aux maîtres de livrer·
leurs esclaves pour combattre avec les bêtes féroces. Plus tard.
Antonin-le-Pieux décréta que celui qui tuerait son esclave sans
motif serait puni comme s'tl avait tué l'esclave d'autrui, c'est-ù-
dire qu'il encourrait la peine de mort. Cet empereur prit encore
·d'autres mesures : ainsi, il ordonna que l'esclave qui se serait
réfugié près des statutes des dieux et des empereurs, pour échap-
per à la fureur de son maitre, serait vendu à un autre maitre à
de bonnes conditions, c'est-à-dire à des conditions favorables au
maitre et à l'esclave. Constantin et Justinien conservèrent cette
,législation. (Instit. Just., li v. I, tit. 8, § 1 et sui v.)
-- 2'1 _._
à vendre, non à acheter;- qu'il vende les vieux bœufs,
la vieille ferraille, les vieux esclaves, les esclaves mala-
des. )) (1) Et s'il ne peut trouver preneur, il les aban-
donnera en disant avec le poète comique : « C'est ren-
dre un mauvais service au mendiant, que de lui don--.
ner à manger; on perd ce qu'on Jui donne et on pro-
longe ainsi sa vie, pour la misère. Si l'esclave se
l)

rendait coupable d'un délit envers son maître, celui-ci,


investi par la puissance dominicale d'une juridictiori
sans appel, n'avait pas besoin de recourir aux tribu-
naux; il était à la fois juge et accusateur, et ayant snr
son esclave le pouvoir le plus absolu, il ne saurait
être coupable d'un délit envers luL Il avait droit de-
vie et de mort sur son esclave : nam apud o·mne8
peraeqHè ,qentes animadvertere poss~unus, domini8
in se1~vos vitœ necisque potestate1n .fuisse (2). En un
mot, les esclaves, à Rome, étaient dans le fait, malgré
quelques dispositions protectrices pour la vie, à la
merci entière de leurs maîtres, sans que la puissance
publique, peu soucieuse des droits de l'humanité, vînt
s'immiscer dans l'exercice d'une autorité sans contrôle.
Les châtiments qu'on leur i~1fligeait, souvent pour la
faute la plus légère, font horreur. On les battait de
verges jusqu'à la mort, on les livrait aux bêtes féroces,
on les faisait mourir de faim. Juvénal parle d'une
femme qui veut, var Cél.price, qu'on crucifie un des
esclaves, et comme son époux lui demande- quel est le

(1) Caton. -De Re rusticâ.


e) L. 1, § L Institutionmn (i, 5).
~ 22-
cri me de cet homme, elle se récrie en disant: Ita se1·vus
h01no est? (1) (Un esclave est-il un homme~) Horace
nous parle d'esclaves mis en croix, pour simple fait de
gourmandise (2). Nous trouvons dans Pline l'Ancien
4JUe Vedius Pollio, pour la plus légère faute, faisait
jeter un esclave en pâture à ses murènes (3).
A l'origine, quand les esclaves étaient peu nom-
breux, la puissance du maître ne donnait pas lieu à
de tels abus; mais la corruption des mœurs eut pour
résultat de rendre l'esclavage de plus en plus rigou-
reux. A la suite de guerres continuelles, le nombre des
esclaves augmenta à l'infini, si bien que le Sénat avait
repoussé une proposition tendant à leur donner un
babit particulier, pour ne pas montrer combien peu il
y avait d'hommes libres. Cet accroissement eut pour
eonséquence de rompre tous les bons rapports qui
existaient auparavant entre le maître et l'esclave; aussi
les cruautés du maître augmentent-elles de jour en
jour. « La prudence nous conseille d'user d'humanité
,envers nos inférieurs. Leur dévouement nous fera
défaut, et ils nous traiteront en ennemis si nous les
privons de cette bienveiilance, à laquelle tout homme,
qui nons sert, a de justes droits (1). ,, Ces conseils de
Diadore de Sicile, que les Athéniens suivirent, ne
furent pas entendus par les Romains ; ils ne rom-
pirent jamais avec lenrs habitudes de dureté et de
(1) Juvénal. Sat. VI.
e) Horace. Sat., l. 4, Sat. :1.
e) Pline l'Ancien IX, 39.
(') Diadore, {1·ag. XXXIV.
-23-
mépris. Aussi,· 1a haine des esclaves ne cessa-t-elle de
s'amasser lentement et d'éclater chaque fois qu'une
{)Ccasion favorable se présenta. Ainsi, en 499 avant
notre ère, une première conjuration se forma; une
seconde eut lieu '100 ans avant J.-C., et une troisième
71 ans avant J.-C. A partir de cette dernière époque,
.les esclaves eurent leur place dans l'armée à côté des
hommes libres, chaque fois que la guerre civile
s'alluma et chaque fois aussi que les empereurs eurent
à repousser les invasions des barbares (1).
Disons encore quelques mots de l'incapacité de
l'esclave d'ester en justice, et de ses rapports avec la
famille.
L'accès de la justice était_ interdit à l'esclave.
Cette règle était entendue avec une telle rigueur,
qu'elle ne fléchissait même pas dans les procès
relatifs à la liberté. Dans ce dernier cas, l'esclave
devait être représenté par un asse1·tor libertatis qui
prenait le procès pour son compte et qui pouvait
agir, même maJgré celui pour qui il réclamait la
liberté (2). - - Cette nécessité d'un assertor fut abolie,
plus tard, par Justinien (3). La partie intéressée figure
dès lors elle-même au procès. - Outre ce cas où
l'esclave pouvait exceptionnellement figurer en justice,
nous trouvons, dans la loi 53 de fudiciis (5-1), qu'il
1pouvait agir contre son maître: si celui-ci ne lui con-
iérait pas la liberté laissée par fidei-co·mmis; si l'es-
(1) Suétone, Auguste, 16.
(2) Jousserandot, L'Edit Perpet, t. II, p. 227_.
(3) Just. Liv., i, § 2, C. de assertione tollendâ (7, i7).
-24-
clave s'étai_t fait acheter avec ses écus, et que rache-
teur ne voulût pas les recevoir, auquel cas il deman-
dait la nomination d'un arbitre pour le règlement de
ses comptes; si, après avoir convenu avec un tiers,
qu'il affranchirait l'esclave, müyennant un certain
prix, le maître ne voulait pas recevoir le prix convenu.
Mais, en principe: dans ces différentes hypothèses, il
n'y avait pas un véritable procès, car Ja cause n'était
pas instruite dans la forme ordinaire, le préteur sta-
tuait lui-même, par un simple décret ext-ra ordinern,
et ne renvoyait pas devant le juge.
Il n'y avait pas entre esclaves des liens de parenté.
Co,qnationes serviles ad le,qes non pertinent (1), union
connue sous le nom de contt~bernh~m, est une union
de fait, comme celle ·des ·animaux; elle ne saurait
engendrer ni puissance paternelle, ni puissance mari-
tale. L'esclave est un obstacle si puissant à tous
rapports de parenté, que l'affranchissement ne sau-
rait les faire naître. C'est ce que dit Paul, dans ses
sentences: neque servi, neque liberti cwilem mc~trem
habere intelli,quntur (2). Bien plus, celui qui devient
esclave perd sa parenté et ne la recouvre pas, alors
même qu'il renaîtrait plus tard à la liberté (3). Mais
cette règle est loin d'être sans exceptions (V. L. H.,.
De in jus vocando (2-4); Instit. de Justin, 4, III,._
titre 6, ~ 30; Novelle, 78, chap. 3).
(1) Loi 10, § 5, De g1·adibus (28, 'lÜ).
(2) Sentence de Paul, I, IV, t. 10.
e) L. 7, Unde Cognati (38, 8); lois 1, § 4, 2, § i, ad Sen ..
Cons. Fertilianum (38, ! 7).
-25-
Nous avons dit plus haut qu'à Rome le nombre des-
esclaves était considérable. Athénée nous cite des incli-
vidus qui en avaient jusqu'à 20,000. Nous trouvons
dans les écrivains de curieux renseignements sur les.
fonctions diverses que remplissaient les esclaves dans
les familles. 11 y avait les esclaves ordinarii (1), vulga-
res (2), Janitor (portier) (3), Silentiarius (4), ostiarius,
atriensis,cubicularus(5), Scoparius (balayeur), focarius

(1) Nom donné, en général, aux esclaves, qui occupaient la


position de ceux que nous appellerions principaux domestiques.
On comprenait sous cette désigl'lation l'atriensis ou portier de-
la maison, le cellarius ou sommelier, le dispensator ou économe,
dépensier, le p1·omuscondus. le procurator, etc., etc. Ils sur-
veillaient et dirigeaient l'exécution de tous les travaux domes-
tiques, de tous les gros ouvrages; mais ils ne les exécutaient pas
eux-mêmes, car ils avaient des esclaves à eux (vicarii), achetés de
leur deniers, qui les servaient (Suet. Galb. 12; L. 5, § 1, De tri-
butoria actione (14, 4); L. 15, De inf. et. fam. libel. (47, 10).
(2) Esclaves qui, dans une maison, venaient immédiatement
après les ordinarii. Ce nQm désignait tous ceux qui avaient
quelque service spécial dans l'intérieur ou au dehors de la mai-
son, ainsi que la catégorie tout entière des esclaves, qui exer-
çaient pour leur maitre quelque métier ou quelque art~ et cul-
tivaient quelque science ; ainsi par exemple, le portier (ostia1·ius),
le domestique chargé de faire les appartements (cubicula1·ius),
le valet et la femme de chambre (cosmetœ, ontat1·ices), les por-
teurs de litière (lecticarii), le cuisinier (coquus), le pâtissier·
(dulriw·ius), le barbier (tonso1'), etc. (Cie. Rose. Am. 46) ; L. 15,
De inj. et fam. libel. (47, 10).
(3) Cie. Ver1·. II, 3, 2 ; Plaut. Men. IV, ~' 115.
( ) Salvian. Gub. Dei, IV, 3 ; Inscript. ap. Fabrett~ p. 206,
4

n. 54; cf., Senec. Ep. 47.


5
( ) Il se tenait dans l'antichambre et annonçait les personnes qui

venaient visiter son maître, etc. (Cie. Verr. II~ 3, 4; ad AÙ. VI, ~L
-26-
·(aide cuisinier), prœgttstator) lectisternatm" (1),- str·uc-
tor, carptor et scissor (découpeurs des mets), pocilator)
nomenclator, etc. Les riches maisons. romaines, si vastes
~qu'elles fussent, étaient trop étroites pour ces multitudes
d'esclaves: il y avait ceux dela ville et ceux de la cam
.pagne, et pour mieux les reconnaître) on les divisait
·en décuries, ou compagnies de dix têtes, répondant à
un corps de métier.
Les effets de l'esclavage ne tardèrent pas à se faire
sentir : le travail servile finit par Luer le travail libre.
Cela apparaît parfaitement pour les travaux agricoles.
·Quand les patriciens eurent accaparé les terres de
l'Etat, ils eurent besoin, pour faire culti ver ces terres,
d'un grand nombre d'esclaves. Quant aux hommes
;'libres, ils servaient dans les armées. Cependant) peu à
peu par le travail lui-même, le sort des esclaves s'amé-
liora. On leur accordait de faibles salaires ; on leur
permit d'amasser ainsi un petit pécule (2), et quelques-
uns, intelligents, dociles, ayant su gagner la bienveil-
lance et la faveur du maître, obtinrent de lui la liberté
et furent affranchis; les uns restent toujours)es servi-
teurs dévoués de leurs maîtres ; les autres exercent
séparément le métier qu'ils ont appris dans la famitia;
.quelques-uns sont gouverneurs d'enfants, copistes,
grammairiens, médecins, musiciens. Ceux qui, au temps

(1) L'esclave qui étendait et disposait les lits, sur lesquels


les anciens étaient couchés pour prendre leur repas. (Plaut.
Ps. 1, 2, 30.)
(2) L. 4, § 1, De peculio (15, 1) . .Jousserandot L'Edit Perp.
t. 1, p. 300.
-27-
de leur servitude, avaient été instruits par leur maître
à l'aider dans ses travaux littéraires. devenaient gens
de lettres pour leur compte. Piron, l'esclave de Cicéron,
était en même temps son intendant, son secrétaire et
collaborateur. Voici ce que Cicéron lui écrivait un jour:
• Ma littérature, ou plutôt la nôtre, languit de ton ab-
sence; reviens au plus vite ranimer nos muses. ) Et
une autre fois : cc Tu m'a rendu des services innom-
brables, chez moi, au forum, à Rome, dans ma province,
dans mes affaires publiques et privées, dans mes études
et pour mes lettres. (1) Ainsi, l'esclavage était déjà bi eu
avancé, à la fin de la République et au commencement
de l'Empire, surtout dans la société polie des lettres.
Atticus, Sénèque, Pline le Jeune, ont pour les esclaves
Jes mêmes sentiments, les mêmes procédés que Cicé- ·
ron, et pratiquent comme lui cette vertu, qui jusqu'à-
lors n'avait pas eu de nom, et pour laquelle il créa celui
d'humanité.
On a revendiqué pour le christianisme la gloire
d'avoir amené l'adoucissement de la conditfon servile
et l'abolition de l'esclavage. ll est vrai, Jésus enseignait
que tous les hommes sont frères, et que toute la loi
consiste à aimer Dieu par dessus tout et son prochain
eomme soi-même; par conséquent, il condamnait im-
plicitement l'esclavage. Mais cette conclusion de sa
doctrine a-t-elle été exprimée. d'une manière formelle?
Ces beaux principes ont-ils été appliq11és dans· les
faits~ Nullement. Les docteurs de l'Eglise ont soigneu-

(1) Cicéron, Epistol. ad {amaia.1·es.


-28-
sement distingué entre la liberté morale et la liberté·
physique. Ils ont admis seulement la première, sans
proclamer ni réclamer la seconde. D'ailleurs passons
aux faits.
Nous avons vu, en parlant des Hébreux, que la loi
de Moïse justifiait l'institution de l'esclavage. Le Con-
eUe de Trente, dans sa quatrième session, proclame
que: « Moïse est J'inspiré de Dieu et agit "en son nom.
Tous les livres de l'Ancien Testament ét du Nouveau
ont le même Dieu pour auteur et sont également sa-
crés et canoniques. » Donc, entre la doctrine de Moïse
et celle de Jésus, il y a solidarité. La pratique de l'es-
clavage est également approuvée par l'une et l'autre.
Si nous ouvrons l'Evangile, nous trouvons que Jésus..
n'a jamais condamné formellement l'esclavage. On
pourrait même soutenir qu'il lui a plutôt été favo-
rable, au moins indirectement, dans une de ~es para-
boles, où il dit, sans aucune expression de blâme, que
( l'esclave qui ct conn~t la volonté de son 1naît1~e et q~û
·ne s'y est pas c01~j'ormé recevra force coups))' tandis
que celui qui n'a pas connu cette volonté, ne recevra
qu'un petit nombre de coups. (1) Rendez à César ce
qui est èt César ..... c'est-à-dire, conformez-vous à la loi
civile. Telles sont les prescriptions de Jésus concer-
nant l'esclavage; d'où il résulte qu'il ne le condamne
pas formellement.
Ce que Jésus ne fit pas, ses disciples ne le firent pas
non plus, et dans les diverses communautés chrétien-

(1) Luc, ch. XII, v. 4.7 et 4.8.


-29-
nes qu'ils établirent, l'esclavage n'était pas défendu.
Dans l'épître aux Ephésiens, saint Paul recommande
.aux esclaves ({ d'obéir à leurs n~aîtres avec m~ainte ft
tt·entblement, comme au Cfu~ist. ) (1) Dans sa 1re épître
à Timothée, i\ veut que les esclaves regardent leurs
maîtres comme dignes de tout honnettr. » ( 2) Enfin,
Œ

dans l'épître à Tite, il recommande encore aux escla- ·


ves de ( plaire en tmttes choses à lettrs maîtres, afin
d'orner la doctrine dtt Sattveur. 3) Saint Pierre
li (

recommande également aux esclaves « d'être sounûs


.œvec crainte c~ leu1~s rnaît1~es. ) (4 )
A la suite des apôtres et à leur exemple, les Pères de
·l'Eglise ont tout d'abord autorisé, approuvé l'esclavage .
.Ainsi, saint Augustin dit que Dieu a introduit l'escla-
vage dans le monde, comme peine du péçhé. Ce serait
-donc s'élever contre la volonté de Dieu, que de tenter
ete le faire disparaître. - Il conseille aux esclaves , de
-s'attacher à leurs rnctîtres, moins par nécessité que
pa1~ esprit de devoù~. 5
J)) Saint Isidore va plus loin : il
(

veut que la servitude soit préférable à la liberté, et il


défend aux abbés de donner la liberté aux esclaves,
,qu'il appelle la chose des monastères (6). Nous pouvons

(1) Chap.·III, v. 22.


2
( ) Ch. VI. V. 1er.
~a) Ch. II, v. 9 et 10.
C') Jre Epître, ch. II, v. 18.
5
( ) Saint Aug. De Civit. Dei, liv. XIX, Hi.
6
( ) Re9ula monarchorium, cap. 19. De familiari vitâ. Cologne
i6i7. '
-- 30 -
citer, dans le même sens, saint Cyprien (1), saint Am-
broise (2), saint Bernard (3), Bossuet (4), etc.
La doctrine collective des Saints-Pères, c'est-à-dire
leur doctrine en Concile, ne diffère pas de la préeé-
dente. Un grand nombre de Conciles .se sont pronon-
cés pour ]a légitimité de l'esclavage; entre autres ce-
lui de Carthage, en 4-19, le Concile d'Orange (44'1). le
ConcHe d'Arles (452), celui cl'Epaone (5'17), d'Orléans
(5:38), etc., etc.
Ainsi, l'Eglise n'a point donné un exemple toujours
eonforme à son principe fondamental « la fraternité ».
Dire à l'esclave de servir av~c zèle en vue de la gloire
<<

de Dieu, et de ne point désirer la liberté, de peur de·


devenir esclave de sa passion ' 5), c'est prend re I.e
1 (

parti du maître et se désintéresser trop aisément des


iniquités de ce monde. L'Eglise avait plutôt le souci de
ses intérêts que des droits de la justice et de la vérité.
Ses préoccupations sont principalement dirigées vers
la conservation de ses richesses. Voici ce que M. Fou 1'-
nier dit, en parlant des affranchissements : « L'Eglise
ne fut point favorable aux affranchissements, ni aux
affranchis ..... Elle voyait d'un œil- sévère les affran-
chissements, qui tendaient à restreindre son patri-
e) Testimonorium lib., III, cap. 72. Paris 1726.
e) De Jacob et vitâ beata, lib. II, cap. 3, tome i er. Paris 1642.
(3) Epistola 80, ad Guidonem, abbatem Molismensem, tome IV.
Paris i642.
( ) Avertissements aux P1·otestants, 5me avert., art. 50, t. IV.
4

Paris i 743.
( ) Saint-Ignace, évêque d'Antiocl:e, Polycarp et lgnatii ep-ist.,
5

p. 139. Oxoniœ, 1644.


- 3'1-
moine. Ces raisons prennent une importance capitale!"
lorsqu:on se rappelle la situation territoriale de l'Eglise_,.
et le grand nombre de bras dont elle avait besoin pour
mettre ses terres en culture. » (1) Ces mêmes raisons
tendront au maintien du colonat et du servage, qui
sont aussi en opposition avec les principes du chris-
tianisme. On dira peut-être, avec Edouard Biot, cc que
le christianisme ne pouvait pas inscrire l'abolition de
l'esclavage au nombre des lois et troubler ainsi l'ordre
social, » (2) et qu'il supporta ces institutions comme
une nécessité des temps. Mais il fallait alors au moins
interdire aux prélats de faire cause commune avec les
maîtres, pour perpétuer l'esclavage; il fallait leur inter-
dire l'entrée dans la hiérarchie féodale et leur défendre
d'y jouer· le rôle de seigneurs à l'égard des vassaux,
de maîtres à l'égard de serfs. La doctrine chrétienne
n'est pa~ une doctrine humaine, elle émane directe-
ment de Dieu. Or, un législateur religieux peut-il tenir
pour respectables des désordres sociaux qu'il a précisé-
ment pour but de faire cesser, et ne faut-il pas qu'il
définisse le bien et le mal, et qu'il prescrive de faire
l'un et d'éviter l'autre? Peut-il admettre, à cet égard,
des ménagements, des accommodements, comme le·
législateur humain est obligé de le faire ?
Le christianisme n'a donc pas aboli l'esclavage, et il
aurait dû l'abo1ir; c'était la mission d'une religion de
(1) Revue histor·ique, :1.883, p. :1. et suiv. : Les affranchissements
du Ve au XIJJe siècle.
(2) De l'abolition de l'esclavage ancien en Occident, ne partie,..
3e section; et ye partie, Considérations préliminaires.
-32-
paix et de fraternité. C'est la philosophie païenne qui,
au nom de l'égalité humaine, s'éleva la première contre
l'esclavage. Quand est-ce que cette institution effroyable
a été seulement blâmée par l'Eglise aussi explicitement
que par Sénèque"? Ce furent des empereurs païens qui
les premiers apportèrent quelques adoucissements à la
·condition des esclaves: Domitien défendit qu'on les
mutilât; Adrien qu'on les vendît à des maisons de
débauche (1); Septime Sévère qu'on les contraignît à
se prostituer. - Concluons en disant que les amélio-
rations accessoires du sort des esclaves sont dues au
développement graduel de la civilisation, et qu'il faut
faire honneur de l'abolition de resclavage à la doctrine
philosophique plutôt qu'au christianisme.
(1) Cet empereur a exilé, pour cinq ans, une dame nommée
Umbricia qui avait traité ses esclaves avec cruauté pour des sujets
légers. (L. 2, de his qui alieni,jU?·is sunt (:l, 6).
CHAPITRE II

Le Serf.

Avant l'invasion des barbares, aux derniers temps


de l'empire romain, les campagnes se dépeuplaient
avec une rapidité effrayante. Pour remédier à cet état
de choses, le fisc favorisa une organisation du travail
agricole, qui offre quelque analogie avec le servage:
c'était le colonat. En général, les colons étaient recru-
tés parmi les vétérans. On leur donnait des terrains à
cultiver, et, en même temps, on les obligeait à garder
les frontières. Les colons avaient les droits de citoyens
et restaient membres de l'Etat. Ils cultivaient le sol
pour le propriétaire, mais ils recevaient en échange
une jouissance partielle et déterminée. On considérait
les colons comme formant une dépendance de la terre
qu'ils cultivaient; at!SSi il était d'usage de les vendre
avec le fond et les instruments de culture. (( Si quel-
qu'un a légué des colons sans le fonds de terre aux-
quels ils adhè_rent; le legs est nul, dit Marcianus (1). »
Il résulte de ce texte du Digeste que du temps de Mar-
cianus, au nme siècle, la jurisprudence avait déjà régle-
(1) L. H2, § 1. de legatis (30. i).
3
-- 34-
menté le colonat. Les mœurs et la législation de l'Ita--
lie se répandirent dans Jes Gaules; et nous voyons
que le colonat romain faisait par;tie des institutions
adoptées par les Gaulois.
L'invasion des Germains changea la condition des
colons. Suivant le droit barbare, la souveraineté et la
propriéte étant identifiées, les colons devinrent serfs
des familles germaines, qui s'étaient partagé le sol,
et perdirent tous les droits personnels. La vie rude
et sans luxe des Germains rendait les services domes-
tiques à peu près inutiles; ainsi nous voyons les escla-
ves domestiques disparaître peu à peu. Les Germains
abhorraient le séjour des villes; ils se fixaient dans les
campagnes, avec leurs esclaves, qu'ils employaient aux
travaux des champs. Augustin Thierry, dans son His-
toire du tiers état, en parJant du riche barbare, dit :
« Le penchant de ses mœurs nationales, contraire à

celui des mœurs romaines, le portait à reléguer l'es-


clave hors de la maison et à l'établir comme labou-
reur ou comme artisan sur une portion de terre à hl-
quelle il se trouvait fixé ..... L'imitation des mœurs
germaines par les nobles Gallo-Romains fit passer
beaucoup d'esclaves domestiques de la ville à la cam-
pagne, et du service de la maison au travail des
champs. • Les esclaves ainsi casés, comme dit Du-
cange (1) avaient une condition analogue à celle des
colons romains, avec cette différence cependant que
ces derniers avaient une redevance fixe, reconnue par

(1) Casati, t. II, V.


-35-
la loi, tandis que les autres n'avaient que celle accor-
dée par le bon plaisir du maître.
Il y avait deux espèces de serfs: Les serfs proprement
dits, qui appartenaient corps et biens à leur maître et
qui pouvaient être vendus par lui, comme des bêtes
de somme et lea serfs de la glèbe, libres de leur per-
sonne, mais attachés à la terre dont ils suivaient le
sort. S'ils ne peuvent la quitter, en revanche, ils ne
peuvent en être séparés; ils n'ont presque rien à eux
en fait de biens; mais ils ont une patrie, une famille.
Au-dessus de ces deux catégories de serfs, on voyait
les tenanciers ou tributaires qui, plus tard, seront les
vilains, libres de leurs personnes, ayant la faculté
d'acquérir et de tester, mais tenus envers le seigneur
des obligations les plus variées. On disait d'eux qu'ils
étaient taillables et corvéables à merci.
Cette distinction entre les diverses catégories de
serfs et de tenanciers ou tributaires disparut complé-
tement pendant la période féodale. Il n'y eût plus di-
vers degrés de servitude; il n'y eût que des serfs de la
glèbe. Le servage répondait à tous les besoins. L'es-
clavage, ne se recrutant plus par la guerre, dut décroî-
tre avec rapidité. Les famines et les épidémies qui
sévirent pendant le xme et le XJme siècles firent dispa-
raître plus de la moitié de la population. La mortalité
des esclaves qu'on refusait de nourrir atteignait des
proportions considérables, et leur valeur descendit si
bas qu'on échangeait trois esclaves contre un cheval.
Ainsi les anciens esclaves avaient à peu près disparu~
ceux qui restaient étaient devenus serfs.
-36-
Le sed remplaçait l'esclave. Seulement l'esclave,
comme nous venons de le voir, n'était qu'un instru-
ment de travail ou une bête de somme; tandis que le
serf au Moyen-Age devient une demi-personne. Grâce
.au progrès du temps, le serf n'est p1us une chose,
,comme l'esclave. C'est un homme libre dans ses rap- .
ports avec sa famille, avec ses semblables, libre en
([Uelque sorte dans son travail et dans son repos, mais
il ·ne peut disposer de lui, il est vendu, transmis avec
ia terre; il fait partie de la propriété du seigneur; il se
confond avec le champ qu'il laboure. Il a le mariage
légal, à de tristes conditions, il est vrai; mais enfin, les
profits, sinon les honneurs du mariage, lui sont acquis.
Il est, si l'on peut ainsi parler, demi-homme, demi-
terre. Cela se rattache à Ja eonfusion de la propriété
et de la souveraineté, confusion sur laquelle repose
tout le régime politique et social du moyen-âge. Le
principe des jurisconsultes romains était, qu'il n'y a
d'autres choses, en droit, que celles qui procurent une
utilité à l'homme : Bona ex eo dicuntttr, quod feant,
hoc est beatos faci·unt (1). C'est-à-dire on va de l'homme
à la terre; tandis qu'au moyen-âge, il faut aller de la
tene à l'homme (2).
Jusqu'au XIJlme siècle, les serfs ne faisaient pas le
service du corps seulement, ils étaient obligés d'accJm-
pagner leur maître à ]a guerre en qualité de serviteurs
ou valets. Mais, après cette époque, à la suite des affran-
C) L. 49. De ve·rb. signif. (50, 16)
e) Voir M. H. Baune. Introduction à l'étude historique du droit
,coul1.unie1· français. - La condition des personnes.
- ;}7-
chissements, les tenanciers furent convoqués, pour la
défense du fief qu'ils cultivaient (1). De plus, en tcrut
temps, ils avaient à remplir certains services civils ou
domestiques, auprès de la personne ou dans la maison
du chef. Les maître8·, de leur côté, avaient le devoir de
les protéger, de leur rendre justice et d'adoucir leur
sort; mais il n'y étaient pas obligés par une loi for-
melle; la coutume seule pouvait être invoquée, et la
coutume, c'est le bon plaisir, puisqu'elle n'a pas de
sanction. Ainsi, tout seigneur exerçait, sur son domaine,
les pouvoirs judiciaire et législatif. Il publiait des lois~
imposait des charges, battait monnaie, en un mot, il
était souverain. ' Le seigneur lui-même, dit M. Tour-
magne, dans son Histoire dL~ servage, en parlant des
serfs du xnme au xvme siècle, était juge, et il avait inté-
rêt à multiplier les amendes et les confiscations. Bien
plus, si le serf avait à se plaindre de son seigneur,
c'était devant son seigneur lui-même, comme juge, ou
tout au moins devant les juges nommés et salariés par
son seigneur, ·qu'il devait porter sa cause. Quelle~
garanties ltti étaient offertes, par celui qui était juge et
partie? La justice, dans les mains du seigneur, n'était
qu'une arme pour défendre ses privilèges et ses inté-
rêts, diamétralement opposés à ceux du serf. Adminis-
trée par un maître brutal et cupide, la justice ne pou-
vait être qu'un instrument d'oppression et de tyrannie.
A qui le serf pouvait-il se plaindre d'une injustice"?
Comment pouvait-il en obtenir la réparation? Le sei-

(1) Tourmagne. L'Histoù·e du servage, p. 265.


-38-
goeur, par exemple, lui imposait arbitrairement une
redevance uouvelle ..... A qui portait-il sa plainte? Qui
devait le juger? Son seigneur lui-même, ou les officiers
qu'il payait et pouvait destituer (1).
Telle était la condition sociale des serfs du moyen
âge; mais tout en constatant et en déplorant leur sort
malheureux, il fant observer que le passé doit être
jugé avec les idées du passé, sous peine de fausser te
sens historique des institutions. Evidemment, les con-
temporains du servage ne jugeaient pas cette insti-
tution comme nous le faisons aujourd'hui. Us n'y
voyaient pas une injustice, une dérogation aux droits
des gens; car, au moy-an âge, tout homme, même libre,
appartenait plus ou moins à un autre homme, du bas
au haut de la hiérarchie féodale. Le serf, voyant par-
tout. obéissance et subordination entre les maîtres,
trouvait naturel d'obéir à son tour. Il n:apercevait pas .
le· côté dégradant de sa position, il n'y avait à cet
égard aucune qes susceptibilités morales qui sont
l'honneur des peuples modernes.
C) Tourmagne. L'Histoù·e du servage, p. 265.
CHAPITRE III

Les domestiques et ouvriers.

Depuis le XIIIe siècle, chacune des classes infé-


rieures, lentement, mais sans interruption, montait
vers les degrés supérieurs; de sorte que les rangs
d'en bas s'éclaircissaient peu à peu pour disparaître
entièrement en t 789. L'esclave, le serf, le colon, le
vilain viennent d'aboutir à une nouvelle vie, et le
bourgeois se trouve à la fin seul en face de la noblesse
et du clergé. Mais à qui attribuer cette transforma-
tion ? Il faut J'attribuer à l'intérêt des seigneurs, aux
mœurs, aux nécessités économiques, et surtout à l'af-
franchissement des commune~. Voici, en peu de mots,
les causes du résultat obtenu en 1789.
Après l'esclavage, le servage disparaît à son tour;
mais il était impossible que Jes serfs ne se trouvas$ent
pas remplacés par des hommes libres, destinés, les
uns à cultiver la terre, exercer des métiers; les autres
à faire un service personnel près des riches, auxquels.
ee service n'est pas moins indispensable aujourd'hui
qu'autrefois. Les uns formèrent la classe des serviteurs
domestiques, les autres les corporations industrielles,
es ou vrie.rs. Il est facile de votr que, dans le premiei;
-40-
cas, ceux qui louent leurs services ont une indépen--
dance beaucoup plus grande; mais d'autre part ils
sont isolés, par conséquent faibles et misérables. Ils
sont parfois les victimes de déplorables abus, qui font
d'eux la proie des violents et des forts. Parfois aussi
ils profitent des circonstances et des anomalies du
régime politique, pour obtenir sur autrui des privi-
lèges abusifs. Tandis que les premiers, c'est-à-dire les
domestiques, semblent avoir une meilleure position
dans la maison de leur maître.
L'ouvrier et le domestique contractent librement;
ils contractent avec leur maître comme un vendeur·
avec son acheteur, comme un échangiste avec son
coéchangiste. Ils ne reçoivent aucune loi de leur
maitre qu'ils n'acceptent eux-mêmes; ils s'engagent
à faire un certain service, de même que leur maître
ou patron s'engage à leur remettre un salaire. Il n'y a
rien là de servil, rien qui rappelle, même de loin, l'es-
clavage, rien enfin, dans le fond, qui puisse légitimer
le langage de certains utopistes qui accusent les riches
d'abuser de la situation précaire des ouvriers et domes-
tiques. ~
Comme nous l'avons elit plus haut, la révolution de
'1789 changea l'ancien état de choses, elle proclama
les droits de l'homme et donna le dernier coup à cette
exploitation tyrannique de l'homme par l'homme.
EIJe proclama l'égalité devant la loi pour tous les
membres de la société, sans distinction des classes;
elle a donné à chacun la liberté pleine et entière d'user·
de son corps selon son bon plaisir, dans les limites,
-41-
toutefois, des droits des autres. Quelle différence alors··
dans le sort des ouvriers et des domestiques ? Ils se
mettent au service de céux qui leur conviennent, et
cela d'après certaines conditions qu'ils imposent eux-
mêmes; ils rompent cette espèce de traité quand il
leur plaît; justice leur est rendue par les tribunaux
contre leurs maitres, quand ces derniers ont tort ; car;·
devant la loi, il n'y a ni maîtres ni serviteurs ;. mais
bien des citoyens. Ils se marient selon leur gré et avec
qui ils veulent. Ils deviennent propriétaires. Ils quit-
tent librement leur condition pour entrer dans une·
classe plus élevée.
j

j
DROIT ROMAIN
~

Du louage de Services.

Gaius, Jnst. Comm .. III,§ 146-147. lnst. lib., IIL tit. 24, § 1-6.
- Digeste, Locati Conducti, liv. XIX, tit. 2. - Code : DR
Locato ~t Conducto, liv. IV, tit. 6.

GÉNÉRALITÉS

Comme nous l'avons vu dans notre partie historique,


autrefois les esclaves et les serfs remplissaient le rôle
de ceux que nous appelons aujourd'hui gens de service.
Cependant, par exception, on trouve dans les premiers
temps de la République et surtout sous l'empire dans
les années de décadence, des hommes libres, des
affranchis et des étrangers qui louaient leurs services;
mais il faut dire que jusqu'à la fin de l'empire romain
c'était un contrat de médiocre importance. Aussi nous
trouvons peu de renseignements dans la jurisprudence
romaine concernant le louage -de services (tocatio con-
dMctio operarum), tandis que les autres contrats appli-
eables aux actes de la vie civile sont presque tous Jon-
-44-
guement décrits et commentés. Le Digeste ne traite ce
sujet qu'en un petit nombre de textes. Il est facile d'en
donner la raison. Les citoyens romains se livraient
plus spécialement au métier des armes, et abandon-
naient aux esclaves tous les travaux manuels. L'esclave
presque seul travaillait pour autrui ; et entre lui et
celui qui l'employait il ne saurait être question de
convention. L'esclave peut faire l'objet d'un contrat,
mais il ne peut y être partie. Dans un pareil état de
ehoses, le louage de service ne pouvait atteindre cet
immense développement auquel il est parvenu de nos
jours, car il a préeisément pour objet les serviees
volontairement eonsentis. - Ceei nous explique pour-
quoi le louage de serviee n'a eu en droit romain qu'une
r.harte incomplète et de rares commentateurs. Cepen-
dant il ne faut pas croire que ce contrat fut déshérité
de toute application et ne tint qu'une place purement
nominale dans la société romaine. Il existait surtout
avant les guerres puniques, quand l'esclavage peu
étendu obligeait de recourir au travail des hommes
libres, et vers la fin de l'empire romain, quand le ser-
vice servile commença à être déprécié. Mais à Rome le
travail ne fut jamais complètement libre. Pour être
ouvrier ou artisan; il fallait entrer dans une des nom-
breuses corporations qui absorbaient la classe des
travailleurs libres.
Disons quelques mots d'abord sur Je sens et l'origine
de ces corporations. On entend par là un système
d'organisation où tous les ouvriers qui se livrent aux
mêmes travaux se trouvent forcément réunis en-
-45
semble, soumis à certaines règles et à une certaine
hiérarchie.
Si nous en croyons Plutarque, ces corporations,
nommées Colle,qia, remontent au règne de Numa (1).
Denys d'Halicarnasse nous dit que, du temps de Tar-
quin le Superbe, elles avaient leurs chefs, leurs assem-
blées, leurs règlements et subvenaient à leurs dépenses
par des contributions (2). Elles furent plusieurs fois
supprimées et rétablies. Vers le JIIe siècle, Alexandre
Sévère, en présence du besoin qu'avaient les uns de
vendre leur travail, leurs services, et les autres de les
acheter, organisa divers métiers en corporations ou
collèges et les soumit à une législation et à une juri-
diction spéciales.
M. Levasseur, dans son Histoire des classesoum~ières:
dit, en parlant du co11ège: « Le collège est une personne
légale~ ayant ses droits et ses devoirs et agissant libre-
ment avec l'autorisation de l'empereur: c'est une cité
particulière qui a son mode particulier de gouverne-
ment et à laquelle l'ouvrier s'intéresse plus volontiers
qu'à la grande cité politique, parce qu'eJle est le vrai
~entre de ses habitudes et de seg intérêts. »
Pour avoir le droit d'exercer certaines profes~ions, il
falJait appartenir à une corporation où on entrait par
l'apprentissage et d'où on ne pouvait plus sortir. Le
taux des salaires était fixé. Le maximum et le minimum
du prix était réglé pour chaque produit. Ces explica-

1
( ) Plutarque, Vie de Numa.
(1) Levasseur, Histoire des classes ouvriè1·es.
-46-
tions nous donnent une idée sommaire de la condition
des classes ouvrières, les seules qui, en droit romain,
aient eu l'occasion de recourir au louage de services.
En dehors des corporations ainsi organisées, il y avait
sans nul doute des artisans ou ouvriers qui louaient
leur travail, seulement le travail indépendant et réfrac-
taire aux corporations ne fut jamais qu'à l'état excep-
tionnel et précaire.
Ainsi Platon nous dit qu'il y avait des hommes libres
qui, n'ayant pas d'autres moyens d'existence, mettaient
leurs forces à la disposition d'autrui, moyennant un
salaire (1 ). Quand un citoyen avait perdu sa for-
tune, il lui restait toujours cette dernière ressource (2).
Si la situation offrait beaucoup de traits de simi-
litude avec celle que les domestiques et les jour-
naliers occupent dans notre civilisation, nous ne le
savons pas.
On distingue) en droit romain, comme du reste dans
notre droit français, deux espèces de louages: le louage
des choses et le louage d'ouvrage ou d'industrie. Nous
ne. parlerons pas du louage des choses ; et nous nous
bornerons à étudier le louage d'ouvrage ou d'industrie
qui lui-même renferme deux modalités différentes. On
peut Jouer ses services pour un certain temps ou bien
on peut louer son travail pour une entreprise, l'accom-
plissement d'une tâche. Dans le premier cas, il y a
locaüo condru,ctio operarum, dans le second locatio

(1) Platon, _Civitas, II~ Didot, p. 32.


e) Iséè, De Dicœogenis hereditate, § 39, D. 3t0.
-47-
conductio operis. Nous nous sommes proposés d'étu-
dier le premier cas, c'est-à-dire loccttio conductio ope-
rarum, mais ces deux contrats, ayant un même objet,
le travail, sont quelquefois tellement ressemblants l'un
à l'autre qu'il serait impardonnable d'étudier l'nn et
de passer l'antre sous silence~
CHAPITRE PREMIER

Règles communes à la locati~ conductio


operis et operarum.

Le louage d'ouvrage ou d'industrie est un contrat


par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque
chose pour l'autre, moyennant un prix convenu (1). Le
contrat est parfait par le seul consentement des par-
ties (2 ) ; ainsi pour sa formation iJ n'a pas besoin d'un
fait matériel, d'un datio, c'est-à-dire de la remise
d'un objet, d'un verb,um, c'est-à-dire d'une parole so-
lenne1le (3); d'une SC't'iptura ou solennité de l' écri-
ture.
Mais à partir de Justinien, le louage est soumis à
de nouveUe5 règles. Si les parties conviennent qu'elles
(1) L. i, Locati conducti (i 9, 2).- Institutes, li v. III, tit. XXII,
De consensu obligatione.
C~) L. i4, Locati conducti (19, 2).
( ) Cependant M. Ortolan (Explication hist. des Instituts, t. Il,
3

p. 413, note 6, infine) pense que, dans l'origine du droit quiri-


taire le contrat était entouré, comme les autres, des rite mysté-
rieux et formules solennelles Mais ce formalisme ne dura pas
longtemps, car tous les jurisconsultes romains disent que les con-
trats consensuels ont échappé de bonne heure au formalisme ri-
goureux du droit civil.
4
-50-
rédigeront un écrit~ le contrat n'est parfait qu'autant-
que l'écrit a été rédigé avec toutes les formes pres--
crites (1). Dès que le contrat corn menee à être rédigé
par écrit, les arrhes prennent le caractère d'une peine
pour celui qui refuserait de signer le contrat. Si c'est
celui qui les a données, il les perdra; si c'est celui qui
les a reçues, il les rendra au double. Ces règles ne se
trouvent pas au contrat du louage, on n'en parle qu'au
sujet de la vente et de l'échange; mais la jurisprudence
romaine paraît avoir été unanime à les appliquer à
tous les contrats, qui se forment solo consenstt (2).
La première condition essentielle pour la formation
du contrat de louage est donc le consentement de&
parties.
La seconde est la capacité de contracter, mais cette·
condition ne peut nous fournir un trait vraiment ca-
ractéristique du louage d'ouvrage et de services. Il n'y
a là rien qui le distingue des autres engagements. Il
n'y a qu'à appliquer, en cette matière, les principes
généraux du droit. S'il s'agit d'un fils de famille, il ne
peut pas s'engager dans un contrat de louage d'ou-
vrage, ni louer ses services. Le pater fmnilias seul
peut promettre les services de son fils et stipuler un
salaire; car celui-ci ne pouvait pas disposer de lui-
même. Le fils de famille pubère peut engager ses ser-
vices, mais il ne peut pas intenter l'action pour récla-
mer son salaire. D'ailleurs ce salaire ne lui appartenait
(1) Justinien au Code, loi i 7. De fide instrumento1·um. Insti-
t-utes, Iiv. III, tit. XXIII. De emptione et vend-itione, pr. ·2.
(2) Locati conducti (i9, 2).
- 5t-
pas, il entrait dans les biens du père'; mais par suite
de l'établissem(-mt du pecttle adventice, le fils corn-
mença par garder pour lui le salaire. Les pupilles peu-
vent faire un contrat de louage pourvu qu'ils soient
dûment autorisés.
S'agit-il d'un soldat? Il n'est pas capable de louer
ses services ou de s'engager à exécuter un travail; sa
profession ne le permet pas. Il est obligé de se trouver
sous les drapeaux chaque fois que la République a
besoin de lui. Tels furent également, sous Justinien,
les clercs et les prêtres, qui ne pouvaient pas être dé-
tournés de leurs fonctions ecclésiastiques.
La troisième condition, c'est que l'objet du contrat
de louage soit licite et ne soit pas contraire aux bonnes
mœurs; mais il n'y a rien de plus vague que la signi-
fication de cette expression : bonnes 1nœurs. Est-ce
faire un acte contraire aux bonnes mœurs que d'enga-
ger son travail pour la vie? LEs anciens jurisconsultes
avaient admis, sur ce point, une règle très célèbre,
dont ils faisaient remonter l'origine à Ja loi 71, ~ 2.
JJe conditionib·us et demonstrationibus (XXXV, 1).
au Digeste. Cette règle était ainsi conçue : J.Yemo potest
locare opus in perpetuurn. Dans la première partie de
cet ouvrage, nous avons dit que la pauvreté et le be-
soin pouvaient forcer un citoyen romain d'aliéner sa
liberté et de devenir le nextts ou l' addictus d'un autre
citoyen. Il semble donc que, contrairement à la règle
précitée, l'homme libre pouvait louer ses servjces pour
un temps illimité. Telle était, comme nous le verrons
plus loin,.l'opin ion du jurisconsulte PauL
-52-
Mais tout sen·ice peut-il être l'objet du contrat dont
nous :parlons? Les médecins, les peintres, les avocats:
les pédagogues, les grammairiens, les géomètres, les
.agrimensores, les notaires, les secrétaires peuvent-ils
·être considérés comme louant leur services? Cicéron
nous d'it que l'on ne peut regarder comme un louage
le fait du médecin qui n1et son savoir, son art au
service de ses malades. D'après lui, le contrat serait
.le mandat salarié. A peu près tous les jurisconsultes
romains sont de cet avis. Voici l'opinion d'Ulpien :
Mandatu'ln nisi gratuiturn nttllum est... inte1·veniente
enirn peeunièt) ;~es ad locationem potius et conductio-
nen~ respicit... Et plus loin il ajoute: Si remunerandi
{IJ"atia honor inteJ"venit, erit mandati ac#o (1). Mais
.,comment établir la différence entre le contrat de
louage d'ouvrage et de services et le mandat salarié(,?
Dans les deux cas, il y a des services rendus. Les
Ho mains disent: Si le service est d'une nature rulgaire,
:ii y a contrat de louage; ainsi du travail d'un domes-
tique ou d'un ouvrier. Si le service est d'une nature
plus relevée, il y a mandat salarié. Ainsi, pour le plai-
doyer d'un avocat, qui par son talent et son éloquence
rnet son client dans la possession des biens dont il
était dépouillé; pour la consultation du médecin, qui
par son art guérit son malade. Dans les deux cas, il y
a un service d'une nature plus relevée, donc il y a
1nandat salarié.
Le salaire d'un mandataire salarié était appelé non

(f) L. 1, § 4, Mandatz vel contrà (17, 1). L., 6, ~ 1 (17, 1).


-·53-
pas pecttnict, comme pour les domestiques et ouvrjers".
mais honorraritwn; on le poursui vait par le co,qnitio
extraordinarùt. - Les professeurs de droit et de phi-
losophie étaient récompensés aussi par un honorct-
rittJn, mais ils ne pouvaient rien exiger; ils elevaient
se contenter de ce qu'on leur offrait: QuœdamJ enirn
honesti accipianütrJ inhoneste tctmen pehtnttw (1).
Antonin le Pieux, il est vrai, réforma cette législation
pour les professeurs de droit : Divus Antoninus Pi,uB
J~escJ"ipsit, j uris stttdiosos, qtâ salaria petebantJ hœc
exigere passe (2).
La quatrième coüdition est la canse. Il ne suffit pas:
qu'li y ait promesse d\u1 certain travail ou service, il
faut en retour un prix promis, stipulé, qnl est la cause
déterminante du contrat (3). Autrement il y aurait une
espèce de donation (4).
Le prix (1nerces), doit être sérieux, certain et déter-·
miné en argent monnayé.
Il est sérieux quand il a pu être regardé par le&
parties contractantes comme équivalent approximatif
Ju travail on service promis. Faute de cette condi-
tion, le contrat est ou un mandat ou une donation ( )~ 5

Ainsi, si je conviens du prix, et que plus tard nou&


décidions que ce prix ne sera pas exigé, il y a dona-
tion. Il en serait de même si le prix n'était pas en
e) L. 1, § 5, De ext1·aord. cognit (50, :13).
2
( ) Dig. Loi 4 ibid.·
e) L. 2 pr., 20, § 1, Locati conducti, (:19, 2).
('') Ibid.
e) L. 46, locati Conducti (:19, 2).
-54.-
rapport avec la valeur du travail; par exemple~ je
m'engage à bâtir votre villa nu-mmo uno.
Le prix doit être certain, déterminé d'avance, ou du
moins le mode d'évaluation doit être fixé; ainsi, si je
donne des renseignements exacts qui peuvent nous
permettre de l'établir. Si, par exemple, je conviens de
donner le prix que j'ai donné l'année dernière à mon
ouvrier ou à mon domestique. Ou même s'il existe des
11sages à l'égard du genre de service promis, on est
censé, dit la Novelle de Justinien, s'être conformé taci-
tement à l'usage ; le prix est suffisamment déterminé,
et le contrat n'en sera pas moins valable (1). Mais, si
on est convenu de payer corn me prix: qttanti v elis)
qManti œstimaveris) quanti œqu~wn putave1~is l'opéra-
tion est nulle (2).
Que doit-on décider) si la fixation elu prix est aban-
donnée à l'arbitrage d'un tiers? Si ce tiers n'est pas
désigné d'avance, le mode d'évaluation n'est pas suffi-
samment déterminé; il n'y a pas contrat de louage.
H en est de même si le tiers n'a pas vouJu, ou n'a pas
pu exécuter son mandat (3). Si le tiers est désigné
d'avance, voiei ce que Gains dit: Si n~erces promissa
sit generalite1~ ctlieno arbitrio, locatio et conductio
conf1~ahi non ·videtur. Sin autmn quanti Titius œsti-
n~ave1·it, S~(;b hac conditione stare locationen't; ttt si
{pûdem ipse qui non~inattts est, 1nercedem definierit,
omninwclo secttnd,wm ejus œstùnatione1n et mercedern
1
( ) Novelle, i22. Voët. lib. XIX, tit. II, n° 611.

(2) L. 3, § i, De cont. ernpt. (i8, i).


(l) Justin L. III, tit. XXIV, § i. - L. III, tit. XXIII, § i.
-55-
persolvi oporteat et conductionem ad a.ffectum pe7~­
venire: sin autem ille v el noluer·it, v el non potuerit
mm~cedem definire) tune pro nihilo esse conductionmn
quasi nulla mercede statuta e).
Le prix doit consister en une somme d'argent mon-
·nayé. Avec toute autre dation, nous serons en pré-
.sence d'une convention innommée, qui rentre sous la
formule générale do ut facias (2), mais nous n'aurons
pas un contrat de louage. Si au lieu d'une dation, nous
trouvions l'accomplissement d'un fait, ce serait une
·espèce d'échange de service. Par exemple, j'ai un bœuf;
je vous le remets, pour que vous l'atteliez avec le vôtre,
que vous puissiez ainsi travailler votre champ; puis
demain, ce sera moi qui me servirai de la paire de
bœufs (3). Nous ne nous faisons pas un louage, puisqu'il
.n'y a pas de prix convenu. Les Sabiniens disaient qu'il
y avait vente. Les Proculiens, un contrat réel innommé
sanctionné par l'action prœscriptis verbis. Cette der-
nière opinion est adoptée par Justinien.
Notre étude ne serait pas complète si nous ne jetions
:un coup d'œil sur les différences qui existent entre le
louage et la vente.
Les contrats de louage et de vente se ressemblent
.beaucoup. D'ailleurs les Instituts (4) nous disent que
.le louage a les plus grandes analogies avec la vente .
.Les deux contrats ont pour objet, d'une part, une
C) L. 25, locati cond. (19, 2).
2
( ) Inst. de Just. Loc. Gond.
C) Inst. de Just. lib. HI, tit XXIV, § 2.
e) Livre III, tit. XIV.
-56-
somme d'argent déterminée, mais, d'autre part, ils ont
deux objets différents : pour la vente, la mise en pos-
session paisible d'une chose, et pour le louage d'ou-
vrage l'accomplissement d'un certain travail. Mais
passons aux exemples. Là nous verrons que les deux
contrats paraissaient se confondre. Titius charge un
joaillier de lui faire des anneaux d'une certaine
forme (1). Si l'or est fourni par Titius, pas de difficulté,
il y a louage. Mais que décider si l'or est fourni par
le joaillierG? Cassius voulait qu'il y eût à la fois vente
et louage : Vente quant à la matière, et louage quant
au travail. Cependant il fut décidé qu'il y avait, dans
ce cas, une vente conditionnelle; je vous achète l'or, à
condition qu'il soit transformé en anneaux.
Autre exemple. Si je conviens avec un entrepreneur
qu'il me bâtira une maison_, il y a louage si je Jui donne
le terrain, vente si l'entrepreneur me fournit le terrain.
Cette distinction est importante pour savoir qui sup-
portera les risques qui peuvent survenir.
Enfin Gaïus au ~ 146, Com. III, examine l'hypothèse
des gladiateurs. Je loue des gladiateurs, et je vous paie
20 deniers pour ceux qui sortiront sains et saufs du
combat, et 1000 pour ceux qui seront tué~ ou mis hors
de service. Dans le premier cas, il y a louage, dans le
second vente.
Jusqu'ici nous avons précisé les caractères constitu-
tifs de louage d'ouvrage et de services. Il nous faut

e) Inst. de Gaïus, com. 3, § 147. - Inst. de Justin., liv. III,


tit. XXIV. De Locatione et Conductionei.
-57~

chercher la sanction. Il ne suffit pas de proclamer


l'existence d'un droit, il faut garantir son efficacité,
pour qu'il puisse se produire et s'imposer dans la vie
pratique. A cet égard, on sait qu'il y a eu dans le droit
romain trois grandes phases : la première celle des
actions de la loi, la seconde celle de la procédure
formulaire et Ja troisième celle de la procédure extra01·-·
dinaire. Nous ne parlerons que de Ja procédure forum-
laire, afin de ne pas entrer dans des détails qui seraient
étrangers à notre matière.
Nous savons que sous le système formulaire, l'action
est une formule, que le préteur délivre aux parties et
par laquelle il détermine la question que le juge doit
décider. Si la formule est conçue in jus, c'est-à-dire si
elle pose une question de droit, le juge doit se renfer-
mer strictement dans ses termes, sans que les circons--
tances accessoires de la cause puissent modifier la
rigueur de la sentence (1). Mais dans certains cas,
après avoir posé la question de droit civil, le préteur
ajoute ces trojs moLs: ex fide bona, ou d'autres analo-
gues. Dans ce dernier cas, le juge est investi d'un pou-
voir plus large; il est en me:-;ure de prendre pour guide
l'équité et les prétentions des parties n'ont que la
bonne foi pour règle. C'est ce qui arrive pour le con-

C) Cependant un texte d'Ulpien nous dit que le juge, en pré-


sence d'une stipulation, par conséquent dans une action de droit
strict, pourra tenir compte de l'intention des parties, et si l'inten-
tion n'est pas claire, se guider d'après les usages du lieu. Donc
il ne peut pas se soucier du bon sens et de l'équité. (L. 34, De·
reg. fur. L, 17). - (L. 2·1, De reb. dub. XXXIV, 5.)
-58-
'trat que nous étudions (1). De ce caractère du contrat
découlent des conséquences importantes, que nous
·. allons étudier :
to Rien n'est plus opposé à la bonne foi que le
dol (2), le juge doit en tenir compte sans qu'il soit
besoin d'insérer dans la formule t'exception doli rnali .
..Iudicium fidei bonœ continet in se doli 1nali exceptio-
nem (3). Ce principe a pour conséquence que les actions
locati et conducti, qui sont attachées au contrat de
louage sanctionneront tes pactes joints, pacta adjecta,
comme le contrat principal. Pacta enim conventa
bonœ fidei judiciis insunt (4). Mais il faut que le
pacte soit fait en même temps que le contrat, in
continenti, ou s'il est ajouté ex ,intervallo, qu'il inter-
vienne quand l'exécution du contrat n'est paD encore
. commencée.
2° A défaut de conventions expresses, l'usage et la
-coutume règlent les droits des parties, nous dit
Ulpien (5). Les jurisconsultes romains avaient bien
raison de soumettre à l'usage le louage d'ouvrage et
d'industrie; car ce contrat donne naissance à des obli-
..gations trop complexes et trop multiples, pour qu'on
puisse le réglementer avec précision. Voici ce que Cice-
.ron dit à ce propos: Scœvola pontifex maximtts ..... fidei
.bonœ nmnen œs#mabat 1nanare latissùne, idque ver·-
(1) Gaïus, Comm. IV, § 62. - Inst. 1, l. IV, tit. VI, § 28 ..
e) L. 3, § 3, P1·o socio (17, 2.)
( ) L. 8~, ~ 5, De legati et fideicommissis (30).
3

('•) L. 5~ et L. 7, § 5, De pactio (2, 1~).


( ) L. 3:1, § 20, De œdilitio edicta (21, 1).
5
-59-
sari in ..... conductis) locatis) quibus vitœ societas con-
tine1~etur (1).
3° S'il y a lieu, le juge peut prononcer une compen-
sation, même en l'absence d'une exception de dol.
Judici..... cmnpensationis · 1··ationem habm"e formulae
verbis pr·œcipit'ur; sed quia id bonœ fidei judicio
conveniens videtur id officio ejus contineri credi-
üw (2).
4° Enfin, au capital de la dette sont ajoutés les inté-
rêts de la chose due, mais seulement a partir de la
mise en demeure. In bonœ fidei contraci'ib1ts e.x rnorâ
1-lBUrœ debetur (3).
(i)Cicéron, Deofficûs, III, :17.
e) Gaïus, Comm. IV,§ 63. - Inst.l. IV, tit. VI,§ 30.
C) L. 32, § 2. De usu1·is (22, 1)
CHAPITRE II

De la locatio operarum.

SECTION 1

DÉFINITION DE LA LOCATIO OPERARUM

C'est un contrat par lequel une personne promet à


une autre, moyennant un prix convenu, de fournir ses
·services pendant un certain temps.
Aux yeux des Romains, le louage type, celui duquel
dérivent· tous les autres, c'est le louage des choses
(locatio ~rei). Ce qui frappe surtout dans la locatio rei
e'est l'objet du louage, la chose donnée en location.
L'un des contractants, qui place sa chose aux mains
de l'autre, est nommé locator, son fait est une tocatio,
et son action est dite locati. L'autre contractant qui
acquiert la détention est un r:onductor, son fait est
une conductio, et on lui donne l'action conducti. Plus
·1ard, les Romains organisent le salariat; ils règlent ce
contrat sur la locatio rei, ils lui donnent aussi le nom
de louage, cherchent à généraliser les règles et à
pousser l'assimilation aussi loin que possible, du
moins lorsqu'il s'agit d'un travail portant sur un objet
matériel, celui qui fournit son travail reçoit du maître
-62-
la tradition d'une chose déterminée sur laquelle pré-
cisément son travail doit s'exécuter, comme dans le
.louage des choses, telle est l'analogie qui les frappe.
C'est ainsi que je confie à un pâtre mon troupeau
pour le faire paitre, à un tailleur mon habit pour le
raccommoder, à un orfèvre une pierre précieuse pour
la monter (1). Dans tous ces cas, le propriétaire de la
chose donnée est nommé locator oper·is, car il se des-
~aisit matériellement, comme le locator rei, et la partie-
qui reçoit la chose est appelée condt~ctor operis. Mais
l'analogie dont les R(lmains tiennent compte n'est
qu'à la surface et n'a que la valeur d'un accident. La
terminologie est vicieuse; car, dans la loc~tio conductio
operis, ce qui fait l'objet du contrat, ce n'est point la
cho"e matérielle sur laquelle s'exerce l'industrie du
conductor operis, c'est cette industrie elle-même, le
travail de l'artisan, qui devient ici un capital produi-
sant des revenus successifs. Ce qui montre bien l'er-
reur des Romains, c'est que, lorsqu'ils ont voulu
qualifier le louage de service, ne trou va nt pas ici la
même assimilation avec le louage des choses, ne
voyant pas un ob.jet matériel fourni par l'une des
parties, reçu par l'autre, ils ont dû comparer le maître
non pas an locator rei, mais au conductor rei, parce
qu'à l'exemple de ce dernier il donne de l'argent et
reçoit un service d'une nature toute différente. Ainsi,
ils ont adopté la terminologie que nous indiquons
plus haut: un manœuvre qui fournit son travail pour

(1) L. 9, 3 o; L. 13, § :3, 6, Locati conducti (19, 2).


-63-
la culture d'un fond est appelé locator operar·um, et
celui qui le reçoit condructor opm·arum.
Voyons quelles sont les obligations réciproques du
locato~· operm·u1n et du conductor operar~tm.

SECTION Il

OBLIGATION DU LOCATOR OPERARUM

L'obligation principale du locator operarttm, suivant.


la définition même du contrat, consiste à fournir à son
maître les services promis pendant le temps convenu.
Il manquerait à son obligation si, séduit par un prix
plus élevé, il engageait ses services à un autre conduc-
tor. Le premier cond·uctot· aurait un droit préférable à
celui du second. ln operis duob~ts simul locatis; con-
venit priori conductori ante satisjie1·i. (1) Il est évident
que le conductor qui ne reçoit pas les services promis,
peut réclamer une indemnité au moyen de l'action
conduc#. Donc, l'inexécution du contrat pour l'un ainsi
que pour l'autre se résout nécessairement en domma-
ges-intérêts d'après le principe bien connu : nemo po-
test eogi ad factum. Il n'est pas question de contrainte
par la force pour l'exécution d'un travail promis. Ce-
pendant Cujas dit, qu'on conti aignait par des suppli-
ees les ouvriers qui refusaient de terminer leur tra-
vail. (2) C'est un texte isolé, sur lequel on ne saurait
fonder une règle générale; il s'agit d'un cas spécial de
(1) L. 26, Locati cond. (:19, 2).
e) Code, L. :12, § 8: De edificiù privatis, VIII, 10.
-64-
construction d'une maison. On n'employait les mesu-
res de coercition qu'envers les ouvriers employés aux
professions nécessaires à la. nourriture du peuple, et
envers les ouvriers de l'Etat travaillant aux mines, aux
carrières, aux salines, fabriquant les armes, le~ mon-
naies, construisant des édifices publics. Et d'ailleurs
ces ouvriers, ainsi traités, n'étaient plus considérés
comme des citoyens: car on les exemptait de la milice,
on les exelnait des honneurs publics. (1)
Une deuxième obligation du locator operarun~ con-
siste à exécuter le travail conformément aux conven-
tions expresses ou tacites : expresses, cela va de soi;
tacites, cela découle du contrat. Nous avons dit, plus
haut qu'il est de bonne foi, donc il faut rechercher la.
commune intention des parties contractantes et tenir
compte des usages. (2) Cependant le locator operar-urn
ne répond pas des résultats de son travail. L'ouvrage
doit être accepté tel qu'il a pu le faire~ car il ne dirige
rien, tout est entre les mains de son maître. Toutefois,
il est possible qu'une personne s'engage à accomplit·
un travail à tant par jour et promette un résultat pré-
fixe. Dans ce cas, elle est obligée de livrer un travail
bien fait, et son engagement rentre plutôt dans la lo-
·catio operis que dans la locatio operm~um. (3)
Les jurisconsultes modernes, pour sauvegarder le
principe de la liberté individuelle, ont donné des limi-

(') Jules Simon : Le Travail.


e) L. Di, 19 § 2: De locatio cond. (19, 2).
C) L. 5i,, § 1 : Locati conducti (19, 2).
-65-
tes au temps pour lequel on peut engager ses services.
En était-il de même dans la législation romaine? Il
paraît que non. car Paul, dans ses sentences, en par-
lant des conditions du louage de travail, dit: Homo
liber, qui statru;m suum 1:n potestate habet, et pejorare
ewm et meUorem facere potest, atque ideo operas suas
diurnas nocturnasque locat. (1) Il est vrai qu'un texte
de Papinien émet une op]nion contraire: « Potest dici
non esse locum cautioni, perquam jus libertatis in-
jringintur ) , (2) c'est-à-dire: on ne peut pas faire un
engagement contraire à la liberté. Mais ce texte ne
concerne que les test~Jments et Jes legs; on a voulu à
tort en étendre la portée au louage de se~·vices. Quoi-
qu'il en soit, l'engagement perpétuel ne serait nul que
d'une nullité relative: ii serait assimilé à un contrat
fait sous une condition potestative de la part du con-
d1!Jctor opera?"um.

SECTION Ill

OBLIGATION DU CONDUCTOR OPERARUM

L'obligation ,principale du conductor ope:rarum


consiste à payer le prix convenu. Et le locatm" opm"a-
rum obtient J'exécution de cette obligation par l'action
!ocati, qui appartient habituellement à celui qui reçoit
les merces (3 ).
(1) Paul sentent. L. Il, t. XVIII.
e) L. ·7!_. § 2: de conditionibus et demonstrationibus (35, i).
C) Pothier, Pandectes, l. XIX, t. II, lect. 2, art. 1, § L
5
-66-
Que décider si le locator opera1"Um ne peut exécuter
son engagement? Si l'inexécution arrive par Ja faute
de J'une des partiel', cette dernière doit à l'autre tout
le dommage qui peut en résulter. Mais si le fait a eu
lieu par une circonstance indépendante de leur
volonté? c'est-à-dire si l'inexécution du contrat pro-
vient d'un ca~ fortuit, alors l'inexécution du contrat
laisse-t-elle subsister l'action locati pour Je payement
intégral du salaire? N'est-il dû qu'en partie? En
observant les caractères dn contrat, deux choses nous
frappent: d'une part, le contrat étant consensuel, doit
produire tous ses effets; donc, payement intégral du
prix convenu; d'autre part, le contrat étant de bonne
foi, l'une des parties ne peut pas forcer l'autre à exé-
cuter ses engagements, quand elle-même ne l'a pas
fait, ou n'a pas espérance de le faire.
Nos anciens auteurs se sont occupés de cette ques-
tion, et surtout Voët. C'est lui qui a proposé, pour la
résolution des conséquences qui peuvent survenir de
l'inexécution du contrat par suite de force majeure, de
faire trois distinctions : la force majeure est arrivée
par le fait du maître, elle est arrivée par le fait du
domestique ou ouvrier, et enfin, elle est arrivée par un
fait qui ne tient ni à l'un ni à l'autre.
Nous avons un texte de Paul qui paraît admettre
une règle absolue: Qui operas suas locavit, totius
tem.poris mecedem accipere debat, si per eum non
stetit qaominus operas prastaret (1). Mais la portée

(1) Loi 38. Loc. Gond. (t9, 2).


-67-
. de ceLte règle doit être restreinte, nous dit Voët, au
premier cas, c'est-à-dire en cas où la force majeure
arrive par le fait du maître; et cette solution me
semble être la plus exacte.
Supposons maintenant que nous sommes dans le
premier cas, et prenons pour cela un exemple. Ticius,
homme de lettres, engagea à son service pour une
année un secrétaire-copiste, Clodius. Deux mois après
la formation du contrat, Ticius meurt; il est juste que
Clodius soit payé comme s:il avait servi pendant une
année; car pm·· ettne non stetit qu01ninMs operas
prestet. Clodius a fait tout ce qu'il dépendait de lui
pour mériter son entier payement; il est équitable
qu'il soit payé comme s'il avait fourni ses services.
Toutefois, Antonin apporta un changement à cette
règle, dans le cas où Claudius a pu trouver à employer
ses services ailleurs; on retranchera du salaire dû par
le premier maître tout ce que le serviteur aura gagné
ailleurs, sous-louant en quelque sorte son travaiL Non
œqu~tm est ~tt a duobus ope1"artt1n suarum 1nercedem
tocator exi,qat, qui eas dMobus neqtte prœsi'itit, neque
prestare potuisset (1). Il faut ajouter que la résiliation
du contrat par la mort du maître peut avoir lieu seu-
lement quand sa personne est spécialement en jeu
dans le contrat. Dans les autres cas, leE héritier·s du
maître peuvent exiger que Clodius exécute son enga-
gement. Ex conducto actionem etiam ad heredem
transire patam est (2).
(') L. 19, § 9, Loc. Cond. (19, 2).
e) L. i 9, § 8, Loc. Gond. (19, 2),
-68-
Supposons au contraire que le cas fortuit se ren-
contre dans Ja personne du domestique ou ouvrier.
C'est-à-diL·e, en prenant la même hypothèse que pré-
cédemment, le secrétaire-copiste Clodius meurt, deux
mois après son engagement. Les héritiers ne pourront
réclamer le salaire de l'année entière. Une solution
contraire serait opposée à la bonne foi, qui est l'âme
du contrat de louage de services. D'autre part, le
maître Ticius ne pourra pas non plus refuser toute
rétribution, puisqu'il a reçu une partie des services;
le plus juste sera donc que Clodius soit payé au pro-
rata du temps pendant lequel il a fourni ses services.
On applique la même solution lorsque la force
majeure ne tient au fait ni du maître, ni du domes-
tique ou ouvrier. Ainsi, si l'on suppose que le mauvais
temps empêche l'accomplissement du travail promis,
l'ouvrier recevra une part de son salaire proportionnée
à la durée de ses efforts.
Si le travail est suspendu par la maladie du locatm·
operarum, et si cette maladie a duré pendant un temps
peu considérable, certains auteurs, en se basant sur
un t~xte de la loi 4, ~ 5, de statu liberis, ainsi conçu :
Servire enim rwbis intelliguntu~~ etia hi quos crttrann·us
œgros, qui cupientes servù"e, propte~" advesam va letu-
dinem impediuntur, disent que le maître ne doit. pas
tenir compte dans le payement de cette interruption.
Mais nous ne pou vons invoquer ce texte en matière de
louage, même par analogie; car, là, il ne s'agit pas du
louage, mais de la liberté d'un esclave, qui est, comme
nous savons, favorisée par les Romains. Cependant~
-69-
les anciens auteurs admettent, par un sentiment d'hu-
manité, et nullement en vertu d'une règle de droit,
que le maître ne devait pas tenir compte d'une telle
interruption; mais ils reconnaissent, en même temps,
que si la maladie avait été de longue durée, le maître
avait droit à une diminution de salaire proportion-
nelle au te rn ps de la maladie (1).
La sécurité de la personne de l'ouvrier ou domes-
tique est aussi à la charge du maître, qui peut être
poursuivi quand le locator jrnperarttn~ est victime
d'un accident en exécutant ses engagements. Le maître
est donc censé veiller à ce que le domestique ou
l'ouvrier ne soit pas exposé à des dangers contre les-
quels il ne pourrait ou ne saurait se protéger.

SECTION IV

EXTINCTION DE LA LOCATIO OPERARUM

La locatio operaru'ln finit:


to Par l'expiration du temps convenu;
2° Par l'impossibilité d'exécution, la maladie par
exemple;
3° La mort du locator OfJerar,um;
4° La mort du maître: si le domestique s'était
engagé au service du maître instuitt~; pe1';sonœ.
Le temps convenu peut être fixé; par exemple,
j'attache une domestique à ma personne ou un artisan

(1) Voët, Loc. Gond., n° 27,


-70-
à la culture de mon champ, pour six mois, ou à rai-
son d'un prix fixe, par jour ou par semaine. Dans ce
dernier cas, le louage dure tant qu'aucune des parties
ne manifeste une volonté contraire. Dans le premier
cas, avant les six mois, le contrat ne peut être r~solu,
si ce n'est par un cas fortuit ou· le mutuel accord des
parties. A l'expiration du délai, les deux parties sont
libres: l'ouvrier d'engager ailleurs ses services, et le
maître de renvoyer son domestique. Toutefois, sans
qu'une nouvelle convention expresse intervienne, le
contrat éteint peut se reformer, par l'effet d'une taeite
reconduction, seulement il faut qu'à l'arrivée du terme
les deux contractants soient encore capables de con-
tracter. Ces décisions sont ti rées par analogie du
louage de choses.
Le contrat ainsi formé, tacitement, doit être pré-
sumé conclu sous les mêmes conditions que le précé-
dent, toutefois il n'a pas de durée fixe; chaque partie
reste maîtresse de le faire cesser à son gré.
Nous avons dit que l'impossibilité d'exécution faisait
cesser le contrat; il faut que l'inexécution ne soit pas
le résultat d'une faute de l'une des parties; car, dans
ce derilier cas, la partie coupable est condamnée à des
dommages-intérêts.
Le mode d'extinction du contrat, par la mort du
locator operaru1n, · n'est indiqué dans aucun texte;
mais cette conséquence dérive de la nature· des choses
et des principes genéraux, car il y a impossibilité
d'exécution par force majeure. Cependapt, il peut
arriver que les parties aient écarté ce mode d'extinc·
-7'1-
ti on du contrat; alors le décès du locatm~ operarum
laisse subsister le louage.
Avant de finir la matière du louage de services en
droit romain, mentionnons quelques différences entre
la locatio operarum et la locatio operis :
'1° Nous avons vu que, dans la locatio operarum, le
conductor est celui qui paie les nMrces, et le locator
celui qui fait le travail. Là_, le maître ne se dessaisit
d'aucun objet, et ne fait aucune tradition.
Dans la locatio operis les Romains changèrent cet
ordre de choses. Ils partaient de cette idée que la
locatio rei est le louage par excellence. Là, 1e locator
est celui qui paie la merces, et le conductor celui qui
fait le travail. La première nomenclature est meilleure,
car elle est tirée du fond même des choses, et non
d'une analogie accidentelle comme dans le second cas.
2° Le louage de services est personnel, les obliga-
tions du locatm~ ne passent pas à ses héritiers.
Tandis que le louage d'ouvrage n'est pas personnel.
La mort du locatm~ laisse subsister le contrat vis-à-vis
de ses héritiers.
3° Les parties, dans la locatio ope1~a1~·um, ne peuvent
pas substituer quelqu'un. Elles doivent elles-mêmes
exécuter leurs promesses.
Tandis que dans la locatio operis, le cond,uctor peut,
s'il n'y a pas de stipulation contraire, faire exécuter son
travail par un autre, pourvu que le travail ne lui ait pas
été donné en raison de ses qualités personnelles (1).

(1) L. 48, Loc. Cond. (19, 2).


-72-
4° Nous avons vu plus haut à la charge de qui sont
les risques dans Ja locatio operarum ; il est inutile de
le répéter.
Il en est différemment dans la locatio operis. Pre-
nons un exemple. Ticius me bâtit une maison. Arrivée
au deuxième étage, la maison s'écroule par cas for-
tuit ; à la charge de qui sont les risques ? Si le travail
a été mesuré ou vérifié, Ticius doit être payé de son
travail; dans le cas contraire, il est douteux qu'il
puisse obtenir quelque chose.
DROIT CIVIL FRANÇAIS

---------
Du louage de services dans l'ancien
droit français

Le louage de services de l'ancien droit ne doit pas


nous arrêter t1·op longtemps. Ce droit ayant emprunté
aux Romains toute leur théorie des contrats, a, pour
ainsi dire, copié tout ce qui concernait le louage.
Pendant treize siècles qui se sont écoulés depuis la
chute de l'empire romain jusqu'à rélaboration de nos
codes, tout se transforme, la religion, la politique, les
arts, les mœurs ; seul le droit romain persiste. Ceci est
vrai surtout pour la théorie des contrats. Les contrats,
étant destinés à régler les rapports nécessaires des
hom.mes entre eux, ne subissent pas le contre-coup
des révolutions politiques.
Nous devons dire d'ailleurs que la théorie des
contrats a toujours été considérée, et avec raison,
comm,e la partie la plus parfaite et la plus scientifique
du droit romain, si bien que même de nos jours elle
6
-74-
est universellement adoptée. Ainsi le droit romain
persiste. Mais cependant il ne faut pas en faire une-
règle absolue: l'ensemble du système domine tou-
jours, mais les détails subissent des modifications.
Dans l'étude restreinte que nous faisons du louage
de services dans l'ancien droit français, nous ne pou-
vons examiner en détail toutes les dispositions
contenues dans les coutumes et les édits ou ordon-
nances. Nous dirons simplement ce que l'ancien droit
contenait de vraiment original et cat~actéristique et en
quoi H dérogeait aux règles du droit romain.
Nous allons étudier les règles relatives :
'i. Aux droits et obligations des parties;
2. A la durée du contrat;
3. A la preuve;
4. A la prescription;
5. A la résolution du contrat.

SECTION 1

DROITS ET OBLIGATIONS DES PARTIES

· Quant aux maîtres, on ne peut pas précisément


dire qu'ils ont à remplir des obligations autres
que celles que leur impose le droit commun.
Même s'ils en ont, elles diffèrent de coutume à cou-
tume, de ville à ville, de profession à profession. Le
trait le plus caractéristique est qu'à mesure que la
civilisation se développe, les maîtres sont astreints à
traiter leurs gens de service avec une humanité tou-·
-75-
jours croissante. Ainsi, nous avons du XIIe siècle une
charte du consulat d'Arles,_ qui s'exprime ainsi: (( Si
tamen domini servientes vel fanzitiam sua eo quod
circa res eorum male versentur vel turpiter eis respon-
deant,fla_qelladverint, v el aliquem vûissimum, homine1n
turpiter respondentem percttsserint illorurn consules
qtterimoniu1n non recipiant, nisitmn atrox injurùt
fu.erit quœ nec familiœ, ne alicui liberœ personœ inj'e-
renda sit(l) » Au temps de Po thier tout est changé;
les gens de service finissent par traiter avec leur
maitre presque sur le pied d'égalité. Voici ce que
Pothier nous dit, en parlant du Jonage de services :
« Lorsque c'est par le fait du maître que le serviteur

a quitté son service avant le temps, putà, par rapport


aux services du maître, ou par ce qu'il lui refusait les
choses nécessaires à la vie; ou, si c'est une servante,
parce qu'il a attenté à son honneur, le serviteur peut
être admis à Ja preuve de ces faits, et sjil les justifie,
non seulement il ne doit pas de dommages-intérêts à
son maître, mais son maitre n'est pas déchargé envers
lui des gages qui restent à courir pour le restant du
temps de ses services, puisque c'est par le fait du
maître, qui est le conducteur de ses services, qu'iJ ne
les lui r-end pas; c'est pourq noi le maitre doit, en ce
cas, payer au serviteur l'année entière de ses services,
et il peut même être condamné aux dommages-intérêts

(1) Charta consulatus arelatensis, à la date de H42-HM>


(M. Giraud, Tome II).
.
-76-
du domestiqueC). ».Quoiqu'il en soit, H est inexact de
dire, que, même au temps de Pothier, les gens de ser-
vice traitaient d'égal à égal avec leurs maîtres. Ainsi
les domestiques qui louent leurs services, à raison de
tant par an, peuvent toujours être renvoyés, quand tei
est le bon plaisir de leur maître; il les garde tant qu'il
a besoin d'eux et les renvoie se!on son caprice; H
n'est tenu de leur payer leurs services que jusqu'au
du renvoi. Cependant, certains usages locaux
donnent aux ouvriers bonnetiers le droit d'être avertis
huit jours à l'avance et par écrit.
Les obligations des locateurs de services sont plus
détaillées. Ils ne peuvent pas quitter leur maître, dit
Pothier, sans l'avertir et obtenir un congé. S'ils ne le
font pas, " ils doivent être condamnés à retourner
chez leurs maîtres et y rester jusqu'au jour du pro-
ehain terme auquel il est d'usage dans le lieu de louer
les serviteurs, on seulement jusqu'à ce que le maître
eüt le temps de se pourvoir d'un autre serviteur,
lequel temps est limité par le juge » (2). An XVJUme siè-
cle, les compagnons teinturie1·s devaient avertir letu
maître un mois d'avance et par écrit (3).
Deux ordonnances de Charles IX, l'une du 2'1 fé-
vrier '1565, et l'autre du 25 mars '1567, obligent les
C) Potbier, Du lmwge, 3me partie.
2
( Pothier. même cit.- Voir· encore: L'Ordon. de Charles lX.
)

l4 févr. H567, renouvelée par la déclm·a.tion de Henri III, 21 no~


vr-mb. 1577; L'Otdon. du lieut. de police de Paris~ 1.6 octob. 1720;
J.. "A1Têt du Parlement de Rouen, 27 juin i 729.
C1) Charta. Consu.ltatus ArPfatcnsis (M. Giraud, t. III, p. 300).
-77-
domestiques à se munir d'une permission écrite de
leur maître pour pouvoir le quitter (1). Plus tard, au
xvume siècle, il y a des ordonnances qui appliquent
la même disposition aux ouvriers. Une ordonnance du
ijeutenant général de poJice de Paris, en date du
H-; octobre 1720, renouvelle et confirme ces prescrip-
tions (2). Les dér.rets impél'iaux des 3 octobre 18'10 et
't25 septembre '1813 ont établi des règlements à peu
près analogues, mais plus en harmonie avec no:-;
mœurs.
Toutes les fois, nous dit uné ordonnance du
30 mars 1700 (3), qu'un serviteur quittera son maître
pour aller offrir son travail ailletus, sans avoir reçu un
congé écrit, il sera passible d'une amende de 100 à
300 livres; même disposition pour le nouveau maître
qui l'aura reçu.
Ces règlements, comme nous le voyons, sont très
sévères pour les locateurs de service, et les lois pénales
de l'époque allaient encore bien plus loin dans leur
sévérité. Ainsi lVI. Duvergier (4) nous cite un arrêt du
9 septembre 1722, par lequel on condamnait le ser-
viteur Pierre Cressel au bannissement pour s'être
rendu coupable d'insolence envers son maître.
Quelles sont les garanties que les gens de service
ont pour le paiement de leurs salaires? L'ordonnance

(1) Ceci est peut-être l'origine de notre livret d'ouvrier.


2
( ) M. Duvergier, Loua,ge, t. II, 3f3.

( ) Recueil de.<; Rè.glernents, t. H, p. :1:n.


3

4
( ) Du vergier, Louage, n° 276.
-78-
de Philippe-Auguste de mars 1188 assl?-rait un privi-
lège aux mercenaires pour ce qni leur était dû. Loysel
y fait allusion en ces termes : « Dettes privilégiées sont
celles qui sont adjugées par sentences pour services
de mercenaires, etc..... » (1). Il n'est pas douteux que
ce privilège elevait s'appliquer aux ouvriers qui avaient,
en outre, sur l'objet de leur travail, un droit de reten-
tion tant qu'ils détenaient la chose (2). Mais quant aux
domestiques,. il semble que cette catégorie de gens de
travail n'est pas comprise sous le nom de merce-
naires. Pothier (3) nous dit que, par l'acte de notoriété
cl u Châtelet de Paris du 4 août '1692, « on accorde à
Paris aux domestiques de ville un privilège pour une
année de leurs gages; ce privilège èst très favorable et
paraîtrait devoir être suivi ailleurs; cependant je n'ai
pas vu ce privilège emplo~ré dans les ordres· et distri-
butions. )

SECTION Il

DURÉE DU CONTRAT

En parlant des éléments nécessaires pour la validité


du contrat de louage de services, en droit romain,
nous avons dit que, malgré le texte de Papinien :
(( Potest dici non esse locum cat~;tioni per quan~ jus
(1) Loysel, .lnstit. coutum., liv. IV, tit. VI; du paiement, XII.
2
( ) Pothier, TTaité de la p1·océdure civile, 4me partie, chap. II,
art. 7, § 2.
(3) Même cit. § 2 in fine.
-79-
libm,·tatis infringiutur » (1), le locateur pouvait en-
gager ses services in pe1'·petuum. Nos anciens juris-
consultes sont de l'avis contraire; ils invoquent à
l'appui de leur opinion le texte de Papinien. Nous
croyons qu'il est plus vrai de dire que cette règle s'est
.formée, au moyen âge, sous l'influence des idées d'af-
franchissement et d'inaliénabilité de la liberté. Peut-
être l'autorité du dogme chrétien a-t·elle contribué à
faire prohiber l'engagement perpétuel, en apprenant
.aux hommes de quelle valeur était la personnalité hu-
~maine. Saint Paul dit, en effet, en s'adressant aux
Corinthiens : cc Vous avez été rachetés par le sang, ne
-devenez pas serfs des hommes. » Mais la pratique était
loin d'être conforme à cette fière doctrine. Nous savons
que les serfs étaient plus nombreux dans les couvents
,qu'ailleurs; de plus, on permettait l'engagement in
.perpetttum pour le cas où le louage avait été contracté
.en faveur d'une cause pieuse, par exemple servir per-
pétuellement un hôpital, car: « Servire deo libertas
est. »

Le Parlement de Grenoble, par un arrêt du 8 avril


'1607, déclara que la nullité d'une lo~ation de services
in r;erpetuum serait relative, et ne pourrait être invo-
quée que par celui qui locav~t opm~as.

e) L. 71, § 2, De cond. et dem.


··-- 80-

SECTION Ill

PREUVE DU CONTRAT

La preuve de l'existence du contrat est régie par le


droit commun; mais, quand il s'agit des conditions~
du paiement dQs gages ou des avances qui ont pu être
faites, à défaut d'écrit, on s'en rapporte au serment du
maître. Les arrêts (1) qui ont établi cette jurisprudence
ne parlent que des maîtres et domestiques, mais on
doit les étendre aux ouvriers. Avant d'être abrogé,.
l'art. J78l de notre code n'était que la reproduction
de cette jurisprudence.
Quand il y a des contestations entre les maîtres et
serviteurs (2) concernant l'accomplissement du contrat,
Pothier nous dit : « Que la décision doit être laissée
à l'arbitrage _du juge, qui doit se déterminer par les
circonstances et par la dignité du maître « ( 3).

(') Arrêt du Parlement d'Aix du 1er avril 1667; Grand


Conseil du 1er avril 1704 ; arrêts du Parlement de Paris du
8 avril 1708 et 4 décembre 1764 ; voir encore Merlin (au
mot Domestique); Ferrière (Cont. de Paris, art. CXXVII, 16).
2
( ) Dans l'ancien droit, on dit serviteur au lieu de domestique;
car le sens du mot serviteur était beaucoup plus large; il com-
prenait même des professions qui n'étaient point l'objet du louage
de services. Sous le nom de serviteurs on comprenait « tant ceux
qui servent autour de la personne du père de famille, que ceux
qui servent pour l'agriculture, et ceux qui travaillent dans les
manufactures. >> (Po thier, Traité des obligations, n ° 70 9.)
(") Pothier, Louage, :J.re partie, chap. I, ~ f 75.
-81 -'

SECTION IV

PRESCRIPTION

Les coutumes ne s'accordent pas sur les disposi-


tions relatives à la prescription du salaire des servi-
teurs, elles varient avec les diverses contrées; ainsi les.
coutumes de Touraine et de Châteauneuf tlxent la
durée de l'action en paiement de salaires à six mois;
celles de Bourgogne, de Normandie, de Calais à un an;.
celles de Chartres et de Dreux deux ans. Ley sel dit.
que » toutes actions ..... de louages de serviteurs .... sont
tollues par an et jmw » (1).
Ces délais sont très courts; comment justifier cette
eourte prescription, surtout pour les gens de travail,_
qui n'ont le plus souvent, pour· tout moyen d'exis-
tence, que leurs salaires? L'ordonnance de Louis XII,.
à la date de '1510, répond à la question et fait bien
ressortir les motifs de cette rigueur : rr Pour ce que·
souvent plusieurs de nos sujets prennent serviteurs.
sans faire aucun marché ni convenance avec eux de
lerirs loyers et salaires, et durant leurs services bail-
lent argent à leurs dits serviteurs pout· leurs dits
loyers, sans en prendre quittance, lesquels serviteurs,.
après le décès de leurs maîtres, demandent aux héri-·
tiers leurs dits loyers et salaires par fraude et malice,
sçachant les dits hér.itiers n'être informez des paye-
C) Loysel, lnst. Couturn., Hv. IV, tit. VI, Du pa~ernent, XII.
-82-
·ments qui ceux serviteurs ont reçus durant la vie de
leurs dits maîtres et des convenances qui pourraient
avoir été faites arec eux; et aussi il y en a plusieurs qui,
longtemps après leur service, demandent leurs loyers
par fraude et malice, sçachant que les autres servi-
teurs, par lesquels se pourraient prouver les paye-
ments ou convenances qu'ils auraient avec leurs dits
maîtres, sont morts ou se sont absentez et molestez,
·et plusieurs plaintes, procès et querelles en sortent.
Nous, pour y obeir, ordonnons que les serviteurs, de-
·dans un an, à compter du jour qu'ils seront sortis
hors de leurs services, demanderont, si bon leur sem-
ble, leurs dits loyers, salaires ou gages, et, le dit temps
passé, n'y seront plus reçu, ainsi en seront déboutez
-par fin de non recevoir; et si ne pourront dans le dit
temps demander que les loyers qu'ils auront servi, si
.ce n'est qu'il y eut ·convenance ou obligation par écrit
des annés qu'ils auront servi, si ce n'est qu'il y eut
convenance ou obligation par écrit des années précé-
dentes; interpellation ou sommation suffisante. »
L'ordonnance royale assigne un délai d'un an à
-l'action des serviteurs après leur sortie; et, de plus,
limitr à trois années les loyers qu'ils peuvent récla-
mer; mais ce dernier chef, nous dit M. Ferrière, n'est
.applicable qu'en cas où l'action est intentée contre les
-héritiers, parce qu'alors ils ne sont pas admis à dé-
~nier par leur serment l'existence de la dette (1).
Sont exeeptés de cette règle les journaliet·s. Les

.(1) Ferrière, Coutume de Pm·is, art. CXXVII, i6.


-83-
hommes loués à la journéP-, disent les coutumes d'Or-
léans et de Montargis. ne peuvent réclamer leur salaire
après quarante jours, excepté s'ils prouvent qu'on leur
a promis de les payer depuis la fin des travaux.
A propos de la prescription de J'action, la coutume
de Paris contenait des dispositions détaillées et bien
intéressantes. Ainsi, pour les vendeurs de marchan-
dises et denrées en détail, elle disait : « Qu'ils ne peu-
vent faire action après les six mois passés du jour de
la première délivrance de leurs dites marchandises ou
denrées, sinon qu'il y eùt arrêté de compte, somma-
tion ou interpellation faite, cédule ou obligation » (1).
Pour les vendeurs en gros, y compris les serviteurs,
laboureurs et autres mercenaires, « ne peuvent faire
action, ni demande de leurs marchandises, salaires et
services, après un an passé, à compter du jour de la
délivrance de leur marchandise, vocation, s'il n'y a
cédule, obligation arrêté de compte, par écrit ou inter-
pellation judiciaire » (2).

SECTION V

RÉSOLUTLON DU CONTRAT

Le contrat est résolu :


~1 o Par toutes les causes ordinaires d'extinction des
contrats;

(i) Coutume de Paris, art. LXXVI.


2
( ) Même cit., art. LXXVI.
-84-
2° Par l'expiration du temps convenu;
3° Par la volonté du maître, sans qu'il y ait récipro~
cité à l"égard du serviteur. Voici re que Pothier nous
dit sur ce troisième cas de résolution: « Les serviteul's
qui louent leurs services aux bourgeois de villes, ou
même à la campagne, aux gentilshommes, pour le
service de la personne du maître, quoiqu'Us les loue-mt
à raison de tant par an, Us sont néanmoins censés ne-
les louer que pour le temps qu'il plaira au maître de
les avoir à son service. C'est pourquoi le maître peut.
les renvoyer quand bon lui semble et sans en dire la
raison, en leur payant leur service jusqu'au jour qu'il
lr.s renvoie. Mais il ne leur est pas permis de quitter le·
service de leur maître sans congé.... » (1). Pour les do-
mestiques des offieiers, il nous dit : cc Il est défendu
aux domestiques qui se louent at!X officiers, pour les
servir à l'armée, de quitter leur service avant la fin de
La ·Campagne, à peine d'être punis comme déset·--
teurs » (2).
4° Le contrat est résolu, ou peut l'être, quand l'en--
gagement a été contracté in perpetrttun~; la nullité
n'est pas absolue. Comme nous avons dit en parlant
de la du1··ée du contrat, elle ne peut être invoquée que
par celui qui locavit operas. Seulement, en principe, la
location de services à perpétuité devrait être considérée
comme une véritable aliénation de la liberté, et la

(1) Pothier, Traité du louage, n° i 76. - Voir encore Guyot au


mot domestique; Denisart: mème mot.
e) Potier, T1·aite d4t louage, no 177.
-85-
1ibe"rté ne s'aliène pas. Ce principe est affirmé plus
tal'd par la Constitution du 27 juin '1793 et par celle
du 5 fructidor an Ill, et définitivement consacré par
.J'art. 1780 du Code Napoléon.
5° La mort du locator operctrtMn est encore un cas
·de résolution du contrat.
G0 Le contrat est résolu par s'tâte de .force 1najeu1~e.
Nous avons vu qu'en droit romain la question était
·eontroversée. Les uns soutenaient qu'au cas de force
majeure, suspendant ou interrompant la prestation
des services, le contrat subsistait, et que Je salaire
était dû pour tout le temps convenu. Les autres di-
saient que le salaire était dû intégralement seulement
~lans le cas où la force majeure était contingente au
maître. L'ancien droit français distinguait si la force
majeure était contingente à l'ouvrier, si elle était con-
tingente au maître, si enfin elle n'était contingente ni
à l'un ni à l'autrè. Si Jes services étaient interrompus
par l'absence du maître, le salaire était dû en entier,
{~t proportiannellement au travail s'il y avait eu ma-
·fadie du serviteur ou intempérie de la saison. Si aux
ouvriers ou serviteurs est survenue une maladie qui
.l,~s ait empêchés, dit Pothier (1), de les rendre pendant
nne partie un peu considérable de temps pour lequel
ils se sont loués, le maître est bien fondé à leur dimi-
nner une partie du prix de leurs services au prorata
·du temps que la maladie les a empêchés de les rendre.

1
{ ) Potllier, Traitâ du loua/Je, partie :lme, cllap. 1, ~ 168.
-86-
Mais dans le cas d'une légère indisposition, il refuse la
diminution du salaire.
Pothier loue la générosité du maître qui n'use pas
de ses droits. cc C'est) dit-il, une générosité de leur
part, qui, à la vérité, est de bienséance à l'égard des
personnes riches et d'une profession noble. Cepen- Jl

dant J'opinion de Pothier n'était pas universellement


admise. Ainsi Charondas nous rapporte une décision
émanée du ParlemeQt de Paris, en date du 26 mars
'1556 C)) qui alloue à l'ouvrier son salaire pour le temps
pendant lequel il a été malade, bien que ce temps ait
été fort long. Une citation de Ferrière sur la coutume
de Paris nous rapporte la même chose (2). Mainard
rapporte des arrêts du Parlement de Toulouse, con-
formes à cette doctrine, et, en l'approuvant, il dit que
c'est une sainte philosophie, qu'on peut choisir pour
séparer le licite de l'illicite, l'humanité et équité des
suites fâcheuses de l'avarice et de l'iniquité (3).
7° Résiliation du contrat par le mariage du locateur
de services.
Ce mode de dissolution du contrat, tout à fait parti-
culier au droit coutumier, existait du temps de LoyseJ.
« Mort et mariage rompent tout louage » ( ). Pothier
4

n'admet pas cette doctrine;. il repousse aussi la résilia-

(1) Citée par M. TropJong, Louage, n° 874, ùt fine, note 4.


( ) Ferrière, Sur la coutume de Pans, art. CXXVII, 20.
2

e) Maynaud, Arfêts, liv. III, chap. XIII.


( ) Loysel, Institut., Coutum., li v. III, t. VI.
4
- 8i-
ti on du contrat pour cause d'enrôlement volontaire (1) ..
.Mais le maître est toujours libre de résilier le contrat
s'ille veut, et ceci en vertu d'un édit de Charles IX du
'15 février '1557, qui dit que, si le mariage du serviteur
a été conclu sans la permission du maître, ce dernier·
peut résilier le contrat.

(1) Pothier. Traité de louage, § i 70, 171.


• - 1, :~:.'":"'·'~ ..

Du louage de services dans le droit


moderne.

SECTION 1

'CE QU'IL FAUT ENTENDRE PAR DOMESTIQUES ET OUVRIERS

L'art. t 710 définit ainsi le louage d'ouvrage : ~ Le


louage d'ou-rrage est un contrat par lequel rune des
.parties s'engage à faire quelque chose pour l'antre,
moyennant un prix convenu entre elies. » Cette défi·
·ni ti on peut être critiquée comme étant· trop générale.
L'expression (( faire quelque chose » manque de pré-
~ision; elle pourrait s'appliquer à d'autres contrats.
Ainsi, si l'une des parties s'oblige à faire une œuvre
d'intelligence; si encore on s'oblige à faire la livraison
d'une chose vendue. Dans ces deux cas, il n'y a pas
1ouage d'ouvrage ou d'industrie, quoiqu'il y ait des
faits à exécn ter.
En Suisse, le Code fédéral des obligations définit
avec une plus grande exactitude le louage des services.
L'article 338 de ce Code dit : « Le louage de services
.est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige en-
vers l'autre à certains services personnels, moyennant
une rémunération . .l

7
-00-
D'après l'art. 1779 du Code civil, il y a trois espèces.
-principales de louage d'ouvrage et d-'indusLrie :
'l 0 Le louage des gens de travail qui s'engagent aœ
service de quelqu'un ;
2° Celui des voituriers, tant ;par terre que par eau~
qui se chargent du transport des personnes ou des
marchandises;
3° Celui des entrepreneurs d'ouvrage, par suite de
devis ou marchés.
Dans cette étude, nous nous occuperons seuJement
du louage des gens de travail et, d'une manière spé-
ciatle, du louage de services.
L'expression gens de travail, qu'emploie l'art.l779,.
n'est pas synonyme de celle de domesliques; elle est.
plus générale; elle comprend aussi les ou vri ers. Les.
gens de travail, c'est le genre; les dornestiques, c'est.
l'espèce.
Autrefois, le mot domestique n'avait pas la même·
signification qu'aujourd'hui. A l'origine, il ne se don-
nait qu'à des personnes de haute distindion, attachées.
au service des empereurs romains et des rois francs_
Ammien Marcellin nous dit, que, lorsque Jovien fut élu
empereur, il était dmnesticorum ordinis prim·us (1). S'il
faut en croire le poëte Fortunat, la digniLé de domes--
tique était supérieure à celle de comte (2).
C'est ainsi qu'en effet on entendait, autrefois, le mot.
"-domestique. Et cet usage a dû persister longtemps;.

(1) Lib. 25.


2
( ) Lib. 7, Carmin., :l6.
- 9'1-
car encore, en '17 48, on voit que Voltaire écrivait à la
reine de France : « Daignez considérer, Madame) que
je suis domestique du roi et, par conséquent, le vôtre. »
Dans notre société moderne le mot « domestique »
a perdu cette acception relevée; il ne sert plus qu'à
désigner les individus spécialement attachés au ser-
vice de la personne du maître, de sa maison, ou de sa
famille et pour une période assez longue. Henrion de
Pausey dit: u Qu'on appelle de nos jours domestiques
tous ceux qui font partie d'une maison et qui, subor-
donnés à la volonté du maître, en reçoivent des
gages. »
• Les domestiques sont de deux sortes: ceux dont
les fonctions n'ont rien d'avilissant, et même sont hono-
rables) et ceux dont les services supposent une dépen-
dance plus absolue! A la première classe appartiennent
les bibliothécaires, les précepteurs, les secrétaires) les
intendants de maison. Dans la seconde classe, sont
compris tous ceux que l'on nomme va1ets, serviteurs,
servantes, et désignés dans les lois sous la dénomina-
tion de serviteurs, domestiques (1). )1

On peut dire, que les domestiques occupent le der-


niRr rang de l"échelle sociale; les ouvriers de fabrique
ont une meilleure position, quelque rude que soit leur
tâche; ils conservent indépendance) ils ne servent pas
de maître et ne dépendent pas de ses caprices.
Les mœurs ayant modifié le sens du mot « domes-
tique •, cette transformation du langage a néces-saire-
(i) Compétence des juges de paix, Chap. 30, N° 2.
-92-
ment influé sur le langage des lois. Ainsi, déjà la loi
du 19-20 avril1790, art. 7 et le décret du 3 octobre 18'10
avaient retranché de la domesticité les intendants, les
régisseurs, les secrétaires et les maîtres-valets de lapour.
La jurisprudence a maintes fois décidé qu'il ne faut
pas appliquer les règles édictées pour les domestiques
aux précepteurs, secrétaires, bibliothécaires. Ces per-
sonnes, quoique subordonnées et fournisssanL leurs
services à un maître, ne sont pas dans le même état
de dépendance que les domestiques, dans le sens
vulgaire et habituel que le mot a pris depuis le
commencement de ce siècle. ·
La section première du chapitre III du louage
d'ouvrage et d'industrie s'occupe des domestiques et
des ouvriers. Quelle différence y a-t-il enLre un domes-
tique et un ouvrier? La nuance qui distingue les uns des
autres quant à la nature du contrat est presque nulle;
en réalité: les domestiques sont des ouvriers engagés
pour un temps indéterminé et attachés a un ouvrage
spécial dans la maison; ainsi la jurisprudence les
confond souvent (1). L'ouvrier, dans le sens le plus
large, est tout individu exerçant une profession ma-
nuelle. M. Garnier dans son Econom,ie politique définit
l'ouvrier: «Celui qui apporte à la production le concours
de son travail moral ou intellectuel et plus ou moins
matériel et qui reçoit jour par jour, semaine par
semaine, quinzaine par quinzaine, mois par mois ou

(1) Cass. 18 avril 1.831., Dalloz, Repe1·t., Enquêtes no 497;


Cass. 30 Déc. :1.828, Dalloz Repert., Louage d'industrie, no 43.
-93-
autrement encore, le produit de ses labeurs et de ses
peines».
Les domestiques sont attachés au service du maître;
soit au service de la maison ou de la ferme ; tandis
que les ouvriers he sont pas attachés à un service
permanent ; ils exercent une profession, un art méca-
nique, c'est pour les ouvrages de leur profession qu'ils
traitent avec celui qui les emploie; et, pour chaque
ouvrage dont ils se chargent, il y a une convention
particulière.
Les domestiques sont des gens qui se louent, pour
les services réputés humbles ; tandis que les ouvriers
sont dans une classe plus relevée. Ce sont eux qui
s'.occupent des arts mécaniques. Cependant le sens du
mot cc ouvriers)> dans les articles '1788 à 1799, et dans
l'article 2271 est beaucoup trop restreint; il ne s'ap-
plique qu'à des professions mécaniques, tandis que,
dans la section tre du chapitre III, le mot ouvriers
prend un sens plus large, et comprend tous les gens
de travail, non seulement ceux qui se livrent aux arts
mécaniques, mais encore ceux qui se livrent aux
travaux agricoles.
Il y a deux classes d'ouvriers: si au lieu d~ se louer
au jour, au mois ou à l'année, l'ouvrier stipule un prix
proportionné à la quantité de travail qu'il exécute;
c'est-à-dire s'il convient de faire un travail, moyennant
un prix fait, le contrat n'est plus un louage d'indus-
trie (1), appelé marché, et réglé par les articles 1787 et
(t) Arrêt de Bordeaux du 2~ novembre 1829; arrêt de Cassa-
tion, du i 2 mars 183~.

'.;
- 9&-
suivants. La seconde classe est celle que nous étudions,
c'est-à dire cene des ouvriers qui louent leurs services
à tant par jour, connus sous le nom de journaliers,
comme les ouvriers de fabrique, les maçons, les char-
pentiers, les moissonneurs, les vendangeurs, etc., etc.
Leur condition est inférieure à celle des premiers.
Toujours en face du besoin, toujours sans certitude du
lendemain, « ils sont, dit de Sismondi, sans intérêt
dans l'art auquel ils travaillent. Le bon ou le mauvais
sort des récoltes ne leur importe point, et leur avantage
est diamètralement opposé à celui des hommes qui les
emploient, car ils désirent le haut prix de la main-
d'œuvre et le bas prix des denrées » (1).
Les rédacteurs du Code civil, reconnaissant l'infério-
rité de cette dernière classe, voulaient introduire dans
la loi une disposition d'après laquelle l'homme de
journée ne devait pas être responsable de ses malfa-
çons (2). Ce projet fut abandonné, non sans raison;
car tout homme libre doit être responsable de ses
actes.
Ces deux catégories d'ouvriers, les uns louant leur
temps, sans se préoccuper si, à l'arrivée du terme, ils
auront achevé l'ouvrage commencé, et quelquefois,
sans savoir à quoi ils seront occupés; les autres se
louant à la tâche, à la pièce, ou pour une entreprise
déterminée. sont quelquefois tellement semblables,
qu'il n'est pas toujours facile .de reconnaître si l'on se

( 1) de Sismondi, Etude sur l'économie politique, t. i, p. 2-i3.


(2) Fenet, t. 2, p. 366, 367.
-95-
·~rouve en présence d'un ouvrier à temps ou d'un ouvrier
.à façon, pour appliquer les règl~s qui sont propres à.
(Ûhacun d'eux.
L'ouvrier ~xerce une profession manuelle. En cela,
.il se distingue des gens qui louent leur temps, mais
~pour l'exécution de travaux d'un ordre plus élevé, de
travaux intellectuels. Par exemple, un rédacteur de
journal qui éef'it un article ne fait pas un travail ma·
nuel, mais nn travail intellectuel; car il peut ne pas
écrire, et seulement dicter l'article. Un professeur: un
bibliothécaire ne sont pas non plus des ouvriers. Le
~ommis aussi n'est pas un ouvrier; car il ne fait rien
.manuel1ement. Le contre-maître, au contraire, est un
·Ouvrier, senlement un ouvrier d'un degré plus élevé
peut-être. L'entrepreneur est-il un ouvrier? Oui, s'il
n'entreprend que pour des patrons.
L'ouvrier t1·availle pour un maître. En cela, il se dis-
tingue de l'artisan, qui travaille pour son propre
compte. Ainsi l'artisan, qui débite sa marchandise,
fait acte de rente et non de louage, le commerçant qui
.revend ce qu ïl a acheté travaille pour lui-même et non
[pOUr un rn aître.
Dans le louage d'industrie, le contrat qu'un ouvrier
fait avec son patron est civil et en même temps ali-
mentaire; car l'ouvriér en traitant a en vue un salaire
~quotidien qn i lui permettra de vivre, lui et sa famille.
Ce contrat est, au contraire, commercial vis-à-vis du
patron; car et~ dernier a en vue de spéculer sur le tra-
vail de J'ouvrier et de réaliser des bénéfices. Cepen-
dant le louage d'industrie n'est pas toujours un contrat,
-96-
civil à l'égard de l'ouvrier: en effet un travailleur peut.
être ouvrier vis-à-vis d'un individu et patron vis-à-vis
d'un autre.
Nous avons indiqué les différences qui existent entre·
les ( domestiques et les « ouvriers ». Nous ferons.
li

remarquer qu'il y a encore plusieurs catégories de


personnes qui ne peuvent être rangées ni parmi les
domestiques, ni parmi les ouvriers, mais qui cepen-
dant sont soumises aux mêmes règles que ceux dont.
les services peuvent faire l'objet d'un louage, à raison
de l'analogie qui existe entre leur situation et celle
des gens de travail. Ces personnes sont : le con-
cierge (1), le facteur d'un établissement pour le compte
d'autrui (2), l'employé de commerce ou commis, le·
jardinier (3), le précepteur (4) et l'artiste dramatique (5).
Quant aux matelots et aux employés de chemins de-
fer, nous les laissons de côté, car cette matière appar-
tient plutôt au droit commercial qu'au droit civiL

(1) Trib. de paix de Paris, 2me arrond, 25 décembre 1870,.


Dalloz, 70, III, t20 .
.( ) Rouen, 1.0 juillet 18~3, Sirey, ~~' II, 3~.
2

3
( ) Gouget, Merger et Ruben de Couder, Dictionnaire de dr.
comm., ye Commis., nos H-20.
( ) Aubry et Rau, IV, ~ 372, p. 515.
4

( ) Gouget, Merger et Ruben de Couder, Dictionnaire de dr~


5

!Commun., ye Théâtre, nos 1:18-182.


-97-

SECTION Il

CONDITIONS NÉCESSAIRES A LA VALIDITÉ DU CONTRAT

Le louage, corn me tous les contrats, doit réunir des


conditions néce8saires à sa validité, qui, d'après l'ar-
ticle 1108 du Code civil, sont au nombre de quatre:
« Le consentement de la partie qui s'oblige;
Sa capacité de contracter;
Un objet certain qui forme la matière de l'engage-
ment;
Une cause licite dans l'obligation. »
La doctrine généralement reçue distingue, parmi
ces quatre conditions énumérées, celles sans lesquelles
le contrat n'existerait point; ce sont le consentement,
l'objet et la cause. Si l'une de ces conditions fait dé-
faut, le contrat n'a aucune existence aux yeux de la
loi, et partant il ne peut avoir aucun effet (art. '113'1).
II n'en est pas de même de la capacité civile des par-
ties contractantes; elle est exigée seulement pour la
validité des contrats, car, si elle manque, ]a conven-
tion ne cesse pas d'exister et de produire ses effets
jusqu'à ce que la nullité en ait été prononcée par le
juge. Les mineurs, les femmes mariées, les interdits
sont incapables de contracter. S'ils contractent, le
contrat ne sera pas inexistant, c'est-à-dire nul de plein
droit, mais annulable. Si la loi déclare ces personnes
incapables de contracter, c'est. uniquement dans leur
intérêt; or, c'est à elles ou à leurs représentants de
-98-
voir s'ils sont intéressés à provoquer la nullité; la loi
aurait manqué son but, qui est de les protéger, si elle
avait. déclaré nulle de plein droit une convention qui
peut leur être profitable. Voilà pourquoi l'art. f f25
dispose que les conventions consenties par les incapa-
bles sont simplement nulles, et que « les personnes
capables de s'engager ne peuvent opposer l'incapacité
du mineur, de l'interdit ou de la femme mariée, avec
qui elles ont contracté. » La distinction des contrats
inexistants et des contrats annulables est fondée sur
les principes et sur le texte du Code. On ne conçoit
pas qu'une conYention existe sans consentement, puis-
que la convention n'est autre chose que le concours
des volontés du créancier et du débiteur. Là où il n'y
a pas de consentement, il n'y a rien, et le néant ne
saurait engendrer ni droit ni obligation. L'art. '146
applique cette doctrine au mariage en disant qu'il n'y
a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consente-
tuent; et l'article f'l'l7 exprime la même chose. « La
convention, dit cet articJe, contractée par erreur, vio-
lence ou dol, n'est point nulle de plein droit, etc., etc.;»
oe qui veut dire qu'il y a un cas où le contrat est nul de
plein droit, c'est celui où il n'y a pas de consentement.
La seconde condition nécessaire pour l'existence
d'un contrat c'est l'objet. Ce deuxième élément, comme
le premier, est, par la force même des choses, indis-
pensable pour l'existence de la convention; car l'esprit
ne saurait concevoir une obligation sans objet; quand
on s'oblige, on s'oblige nécessairement à quelque
chose.
-99-
Ce que nous venons de dire de l'objet s'applique à
la cause. Il est de l'essence des conventions que les
parties aient un motif juridique de contracter, sinon
leurs conventions n'ont pas de raison d'être, et par
suite le législateur ne peut leur reconnaître aucun
effet. C'est ee que dit l'art. 1131. Il ajoute qu'il en est
de même des conventions sur fausse cause ou sur
cause illicite.

~ 1. Consentement des parties.


La loi demande d'abord le consentement de la partie
qui s'oblige, c'est-à dire son assentiment à la volonté
préeédemment manifestée par l'autre partie; l'étymo-
logie du mot consentement suppose une volonté pre-
mière avec laquelle vient s'accorder la volonté de celui
qui consent; autrement dit deux personnes veulent
une même chose: l'une d'elles fait une offre, déclare
vouloir cette chose, et l'autre déclare vouloir ce qu'on
lui propose. Toutefois, la rédaction de la loi est ici peu
exacte. Car, d'un côté, l'article semblerait dire qu'une
seule partie s'obligera, tandis qu'il fallait prévoir éga-
lement le cas tout aussi fréquent d'obligations réci-
proques, de contrats synallagmatiques, comme le con-
trat que nous étudions. Et puis, dans le cas même de
contrat unilatéral, ce n'est pas toujours la partie
qui s'obligera seule qui. consentira à la proposition de
l'autre: cette proposition pourra bien être faite par la
partie qui doit s'obliger; et ce sera l'autre alors qui
donnera son consentement. La loi devrait donc deman-
- '100-
der, d'une manière plus générale, le consente·ment des-
parties.
D'ordinaire l'offre et l'acceptation se font entre per-
sonnes présentes, et l'une suit immédiatement l'autre;
Je contrat se forme à ce moment même. Il se peut aussi
que l'acceptation se fasse après un délai plus ou moins
long. La proposition de celui qui offre de s'obliger,
tant qu'elle n'est pas acceptée par l'autre partie se
nomme ordinairement pollicitation (de polliceri). Cette
pollicitation, tant que l'acceptation de l'autre partie ne
vient pas s'y joindre, ne produit aucun effet et peut
toujours être révoquée (art. '1212 al. 3, et 1261). Au
contraire dès que J'assentiment de la seconde partie
se manifeste et vient s'unir, à .':Juelque époque que ce
soit, à l'offre faite par la première, pourvu que ce soit
à un moment où celle-ci est encore vivante et en état
de consentir, le contrat se forme, l'obligation existe, et
la pollicitation ne peut plus être retirée. Jusqu'à quel
moment le pollicitant peut-il rétracter son offre? Le
pollicitant n'étant pas obligé, il peut retirer son offre
de suite; toutefois il peut fixer un délai pendant lequel
l'autre partie pourra accepter; dans ce cas il ne peut
rétracter son offre pendant le délai, et l'offre sera
censée retirée par cela seul qu'elle n'aura pas été ac..
ceptée dans le délai.
Il n'est pas nécessaire que la volonté soit déclarée
par paroles; elle peut être manifestée par des s~gnes.
ou par des faits. Dans ce dernier cas, le consentement
est tacite, et il a la même force r:·.:::; s'il était exprès.
C'est la volonté qui est l'essence du consentement; peu
- 1.01-
importe comment elle est exprimée. A plus forte raison
le consentement ne doit-il pas être constaté par écrit;
l'écrit ne sert que de preuve, sauf dans les contrats so-
lennels. Mais le consentement ne se présume jamais; il
faut notre volonté positive pour nous obliger, et il la
faut pour acquérir un droit.

L'ERREUR

Le consentement de ceux qui sont naturellement


capables de vouloir doit, pour les obliger efficacement,
être exempt de/ vices. On entend par vices du consente-
ment certains faits qui ne détruisent pas entière-
ment la volonté, mais qui la rendent imparfaite : tels
sont, suivant J'article J109, l'm"re·ur) la violence et le
dol. Il y a des cas où l'erreur a pour effet de rendre le
contrat inexistant. Si l'erreur porte sur la nature de la
convention, il n'y a pas de consentement, partant) pas
de contrat: « Vous voulez vendre, j'entends louer, il
n'y a ni vente ni louage, parce que nos volontés ne
concordent sur aucun des deux contrats) et l'on ne
conçoit pas de contrats sans concours de volontés. Il en
est de même si l'erreur porte sur l'objet de la conven-
tion. - Cette erreur se· rencontre lorsque l'une des
parties a en vue tel objet et l'autre partie tel autre ob-
jet : par exemple, lorsque je crois engager les services
de mon fils à Jean, qui croit louer mes services à moi.
Il n'y a point dans cette hypothèse, concours de volon-
tés. J'aperçois d'un côté, une offre qui n'a pas été
- '102-
acceptée ; de l'autre, l'acceptation d'une offre qui n'a
pas été faite : le consentement manque absolument,.
dès lors le contrat est nul. Ces deux premiers cas ne
sont pas prévus par la loi : l'art. t t'lü ne s'occupe que
des vices de consentement. Voici en quels termes cet
article pose le principe concernant l'erreur sur la chose:
« L'erreur n'est une cause de nullité de la convention

que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la


chose qui en est l'objet. » La substance d'une chose
est, en droit, ce sur quoi est intervenue la convention~
la qualité principale que les parties ont eue en vue en
contractant, en l'absence de laquelle l'une d'elles n'eût.
point contracté; en d'autres termes, le rapport principal
sous lequel la chose a été envisagée dans le contrat.
La difficulté est donc une question d'intention; les
parties n'auraient-elles pas contracté si elles avaient su
que la chose n'avait pas telles qualités qu'elles lui sup-
posaient, l'erreur sera substantielle et viciera le con-
sentement. Si au contraire les parties avaient contracté,.
alors même qu'elles auraient su que la chose n'avait.
point telle qualité, l'erreur ne viciera pas le consente-.
ment et n'annulera pas le contrat.
Quant à l'erreur sur la personne avec laquelle on a
contracté, le second alinéa de J'art. 'l'HO déclare qu'elle
ne sera la cause d'annulation que quand la con. .
vention aura été faite principalement en considération
de la personne avec laquelle on a cru contracter. « Si,
croyant traiter avec Pierre, qui est un domestique bien
distingué, sachant plüsieurs langues, je me trouve, par
un concours de circonstances qui m'ont induit en er--
- f03-
reur, avoir traité avec un autre domestique de même
nom que celui que j'avais en vue, je puis, si je Je veux,
faire annuler le marché, car c'est en considération de
la personne avec laquelle j'ai cru contracter que je l'ai
conclu. »
Quant à l'erreur sur le motif qui engage les parties à
contracter, Pothier s'exprime en ce sens : « L'erreur
dans les motifs d'une convention n'est une cause de
nullité que dans le cas où la vérité de ces motifs peut
être regardée comme une condition dont il soit clair
que. les parties ont voulu faire dépendre leur engage~
nient. »
Ainsi on m'a rapporté faussement que mes domes-
tiques étaient morts, et, surcefauxavis,j'enaiengagé
d'autres, auxquels j'ai fait part du motif pour lequel je
les engageais ; l'erreur où j'étais en contractant n'af-
fecte le contrat d'aucun vice . .Mais supposons que j'eusse
dit que je n'.engageais de nouveaux domestiques que
pour le cas où les miens seraient morts : alors la solu-
tion change du tout au tout, et, si mes domestiques
ne sont pas morts, le contrat est nul.

DE LA VIOLENCE

Il n'y a point de consentement valable, dit l'arti-


cle 'H09, si Je consenteme:1t a été extorqué par vio-
lence. La violence est donc une cause de nullité du
contrat, parce qu'elle détruit la liberté et qu'elle em-
pêche la réflexion en inspirant la crainte. il ne fautee-
--104-
pendant pas perdre de vue que la crainte n'anéantit
point absolument la volonté. Sans doute cette volonté
est imparfaite, vicieuse, mais enfin c'est une volonté
quelconque; car celui qui choisit entre deux choses
.qui lui répugnent veut et consent : coacta voluntas sed
voluntas. La violence exercée contre une personne
pour la forcer à contracter n'exclut donc point, à pro-
prement parler, le consentement, mais elle est une
cause d'annulation de la convention consentie par elle
sous une telle influence. De quelque part que vienne la
violence, comme elle enlève la liberté nécessaire au
consentement, eUe est une cause de nullité. C'est sur
ce principe que repose l'art. -1 '1 'H, qui a tranché une
question autrefois controversée (1). La violence, telle que
la loi la définit, est une cause de nullité, non-seule-
ment lorsqu'elle est exerc.ée sur la personne de celui
qui a contracté, mais encore si elle l'est sur l'époux ou
l'épouse, les descendants ou ascendants (art. H 13). La
loi présume que la crainte d'un mal dont on menace
ces personnes n'est pas moindre que celle qui concer-
nerait le contractant lui-même. C'est le lien du sang
qui fonde cette présomption; ainsi, elle existe à l'égard
de la paternité et Je la filiation naturelle, comme poue
la parenté légitime; mais il ne paraît pas qu'elle doive
embrasser les alliés ni les adoptants et adoptés (2). Peu
importe aussi que la violence ait été exercée par une
seule personne ou par une corporatîon ou compagnie.
(V. au JJi,q. le tit. 2 du liv. 4, Quod met. causâ.)
(1) Pothier .• no 23.
2
( ) Delvincourt, t. 2, p. 406, notes; Duranton, t. tO, n° !52.
-105-
Il y a violence lorsqu'elle est de nature à faire irn ..
pression, c'est-à-dire à inspirer de la crainte à une per..
sonne raisonnable. Il faut que cette crainte soit celle
d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal, que ce
mal soit considérahle (art. '11 '12, ~ 1). La loi ajoute :
qu'H soit présent. Je pense avec Zachariée (1) que ·cette
dernière expression doit être retranchée. n n'est pas
nécessaire que les menaces se réalisent à l'instant
même pour vicier le consentement, il suffit qu'elle ins ..
pire actuellement des craintes assez graves pour dé ..
termin.er à contracter. Ainsi, une menace d'incendie
vicie le consentement, bien qu'~lle ne doive pas s'exé-
cuter de· suite. La seule crainte révérentieile envers Je
père, la mère ou autre ascendant, sans qu'il y ait eu
de violence exercée, ne suffit pas pour annuler le con ..
trat (art. 1'1'14). La crainte révérentielle que la loi pré-
sume la plus forte est celle des descendants envers Jes
ascendants; et si elle ne suffit pas pour annuler le
consentement, il devra en être de même entre tout au ..
tres personnes; telle serait, par exemple, la crainte ré ..
vérentielle de la femme envers son mari, de J'inférieur
ou domestique envers son supérieur ou son maître.
Toutefois, si l'espèce de dépendance qui existe da1.1.s
ce cas ne suffit point pour vicier le consentement, elle
peut devenir l'un des éléments qui décideront les ju ..
ges à déclarer qu'il y a eu violence.
Avant la loi du 25 mai '1864, concernant les arti ..
cles 4'14, 415, 4'16 du Code pénal, tout contrat passé

(1) Droit civil théorique français, t. 2, p. 469.


8
_:_ '106 -
entre maître et ouvrier, sous la pression d'une coali-c
tion, était déclaré annulable comme entaché de vio-
lence. Mais depuis cette loi, les coalitions sont permi-
ses, et l'entrave à la liberté du travail, à J'aide de ma-
nœuvres illicites, est seule prohibée.
Si un ouvrier, en proie à une extrême misère, s'en-
gage à faire un travail pour un prix dérjsotre, pour-
ra-t-on dire qu'il a fait un contrat valable?
La Cour de Cassation s'est prononcée pour l'affir-
mative. (C. Cass., 20 déc. '1852. Dalloz, '1853, 1_,95. -
C. Cass., '12 déc. '1853. Dalloz, 1854, '1,20.)
Malgré ces décisions de la Cour suprême, nous n:hé-
sitons pas à dire que le consentement donné sous.
l'empire d'une extrême misère ne peut être considéré-
comme donné librement, et il nous paraît immoral
d'admettre, dans cette hypothèse, la validité de la con-
vention.

DU DOL

Aux termes de l'art. 1109, le consentement n'est pas


valable s'il a été surpris par dol. On définit le dol une-
manœuvre frauduleuse employée pour tromper autrui.
Ainsi, tout dol ne vicie point le consentement; le dol
n'est un vicè que lorsqu'il est évident que la partie-
trompée n'aurait pas contracté sans les manœuvres qui
l'ont induite en erreur. (1) Il n'y a dol, dans le sens de
C) C'est ce que les commentateurs appellent généralement dolus
dans causam cont1·actui par opposition au dolus incideus celui:
- 107-
la loi, que lorsque les faits ont été assez graves pour _
faire impression sur un homme prudent et jouissant
de la plénitude de ses facultés intellectuelles ; la loi ne
vient point au secours de l'imprévoyance ou de l'étour-
derie.
Pour que le dol soit une cause de nullité, il faut en-
core qu'il ait été pratiqué par la personne même avec
laquelle on a contracté (art. '1'116 C. C.). S'il a été pra-
tiqué par un tiers et à l'insu de la partie qui en a pro-
fité, le contrat tient et produit ses effets entre les par-
ties contractantes, sauf à celle qui a été trompée à re-
courir en dommages et intérêts contre l'auteur du dol.
En résumé un consentement obtenu par erreur,
extorqué par la violence ou surpris par le dol, n'est
pas un consentement valable.
L'obligation qui naît du contrat ne s'étend qu'à ce
qui a été convenu, Ainsi, le domestique, l'ouvrier ne
pe~t pas être tenu de servir, de travailler pl us longtemps
qu'il n'est convenu de le faire, ni le maître à faire
plus qu'il n'a promis. Un acte de l'autorité, un arrêté
de police ne pourrait pas légitimement déroger à cette
règle, et s'il avait pour conséquence de forcer un
patron à conserver un ou vri er plus longtemps qu'il
n'en a pris l'engagement, il devrait être non-seulement
déclaré inexécutoire par les tribunaux) mais flétri
qui n'auraît pas empêché les parties de contracter et donnant lieu
seulement à des dommages-inté1·êts contre celui qui s'eu est
rendu coupable. (V. Pothier, Oblig., n° 31 ; !!LVI. Tvullier, t. ü.
n° 8 90, 91; Duranton, t. 10, n( s 169, 170; Chardon, Traité du.
Dol, t. 1, page 17; Delvincourt, t. 2, p. 4(;(j,).
- '108-
comme attentatoire à la liberté et à la dignité de l'un
et de J'autre. C'est dans ce sens que la Cour de Cassa-
tion a déclaré nul l'arrêté du 27 décembre 1729, qui
défend, sous peine d'amende, aux ouvriers des mines
métallurgiques (1), de quitter les ateliers pendant que
les fourneaux sont en feu (2).
Cet arrêté, au surplus doit être considéré comme
abrogé soit par la constitution de '1790 et 1793, soit par
la loi du 'i!f. mai 1851, qui règle la durée des engage~
ments.

~· 2. La capacité de contracter.

Le louage de services n'a point, à ce sujet, des


règles spéciales. Les questions de la capacité civile
n'ont de l'importance, dans la matière qui nous occupe,
que s'il s'agit d'engagement à longs termes; en dehors
de là, le maître mineur ou incapable n'a pas d'intérêt
à exciper de sa minorité, de son incapacité, pour ne
pas payer un travail qui est exécuté, un service qui est
rendu; car il en profite, et, en vertu du principe que
nul ne doit s'enrichir aux dépens d'autrui, il n'évitera
pas une condamnation. Cependant nous devons re,~
connaître que le mineur, l'interdit, l'incapable ne
peuvent louer leurs services, sans l'autorisation des
1
( ) Les mineurs avaient toujours fait une triste exception à
l'aisance relative des autres ouvriers. Jusqu'à la fin du siècle
dernier, c'étaient de véritables serfs, qui, en Ecosse, par exemple,
ne pouvaient quitter la mine à laqu~lle ils étaient attachés.
(2) Cass. 21 juill. 1860, Dalloz. - t860, I, 37L
-,109-
personnes sous l'autorité desquelles ils sont placés;
car l'engagement qu'ils contractent peut entraîner
pour eux an préjudice qu'ils sont incapables d'ap-
précier.
Quant à la femme mariée, il y a contreverse sur la
question de savoir si la justice peut l'autoriser, au refus
de son mari, à louer ses services.
Le tribunal de la Seine a décidé que les juges peu-
vent accorder à la femme mariée cette autorisation. Je
suis de ravis contraire; je soutiens l'opinion de Guil-
louard, qui dans son Traité du contrat de louage
s'exprime ainsi: L'opinion qui nous paraît la plus ju-
ridique enseigne que la femme mariée ne peut, en
principe, Jouer ses services qu'avec .l'autorisation de
son mari, et que la justice ne peut l'autoriser au refus
de celui-ci. En effet, ce ne sont pas les intérêts pécu:..
niers de la femme qui sont en jeu dans un pareil
contrat, ce sont aussi ses intérêts moraux, son honneur,
celui de son mari et de ses enfants : cette idée est
vraie pour tout contrat de louages de services, elle l'est
surtout lorsqu'il s'agit d'un engagement théâtral. Or,
si les tribunaux peuvent apprécier les conséquences
d'un contrat pécunier, aussi bien et quelquefois mieux
que le mari lui-même, ils ne peuvent se faire juges du
caractère de la fern rn e, de la dignité de sa vie, des
soupçons que fera naître telle ou telle situation : il y a
là une appréciation tout intime, qui ne relève que du
mari, seul gardien de l'honneur et de la réputation Je
sa famille, et les articles 2'17 et 2~18, qui permettent
aux juges d'autoriser la femme à « ester en justice »
-110-
ou ( a passér un acte » ne leur donnent pas le droit
d'autoriser la femme à louer ses services (1).
Mais à· ce principe, dit M. Guillouard, il convient.
d'apporter une exception, lorsque le mari abandonne
sa femme et ses enfants: il faut bien alors que la fern me
subvienne à ses besoins et à ceux de ses enfants, et,
pourvu qu'elle le fasse honorablement, le mari ne peut
s'y opposer. Nous ne dirons pas alors que la femme
peut demander à la justice l'autorisation que son mari
Jui refuse, nous dirons que le mari, en l'abandonnant,
lui a donné l'autorisation tacite de subvenir à ses be-
soins, et les juges n'auront qu'à constater l'abandon,
et à rechercher si la nature du contrat de louage de
services passé par la femme est compatible avec sa di-
.gnité. Il serait odieux_, en effet, que le mari qui a aban-
donné sa femme, pût encore, par un refus arbitraire,
la mettre dans J'impossibilité de gagner sa vie ou celle
des siens (2).
Mais le contrat de louage de services étant essentiel-
lement alimentaire et urgent et le domestique, l'ouvrier
ayant besoin de travailler chaque jour pour vivre et
nourrir une famille, on se montre moins rigoureux en
ce qui concerne les autorisations nécessaires aux inca-
pables pour pouvoir contracter; ainsi il est dans l'usage
que toutes les fois qu'un mineur ou une femme mariée
(1) Constant, Code de théât1·es, p. 262; Lacan et Paulmier,
TTaité de la législation et de la juTispTudence des théât1·es. n° 2~0;
Gouget, Merget et Ruben de Couder, Diction. de droit com~
meTCial, V. théâtre, nos i 25-1.30.
e) Tome second, p. 223.
- '11'1-
loue son travail) l'autorisation du père ou du mari
·sera présumée, s'il n ·y a pas eu d'opposition de leur
part.

~ 3. Un objet ou m~;m~age à faire.


Tout contrat de louage de services doit avoir un
·'Ouvrage à faire et, comme en droit à l'impossible nul
n'est tenu) il n'y aurait pas de contrat si l'ouvrage
:promis était impossible à faire. La loi déclare nulle la
convention faite sous des conditions impossibles
(art. '1'172 du Code civil). Tel serait le cas où un do-
mestique, d'une cunstitution faible, s'engagerait à
·élever par ses mains un malade d'une grande pesan-
teur; tel serait le cas où unjournaJier maçon s'engage-
rait à élever par ses mains chatJue jour plus de
80 metres de maçonnerie. Mais, si l'exécution de l'ou-
vrage n'était que difficile ou onP.reuse pour le domes-
tique ou l'ouvrier qui l'aurait imprudemment entre-
prise, la convention de louage vaudrait, parce qu'il
aurait voulu encourir le risque. Il n'y a, non plus,
d'impossibilité légale lorsqu'il est convenu ou entendu
.entre les parties que le domestique ou l'ouvrier pourra
se faire aider par d'autres domestiques ou ouvriers
dans l'exécution de l'ouvrage.
L'ouvrage est regardé comme impossible: s'il est
ùéfendu par la loi (art. t '133, '1 172 Cod. ci v.) comme Ja
·confection d'armes dangereuses et prohibées) la fabri-
cation de poisons, etc., s'il est contraire aux bonnes
mœurs; par exemple, s'il s'agit d'imprimer des gra-
'vures obscènes. Il n'y a qu'une exception à cette règle,
c'est lorsque l'une des parties, connaissant la loi qui
condamnait l'ouvrage, a contracté avec un autre qui
l'ignorait, dans l'intention de rompre le traité, dès
qu'il lui serait onéreux, en invoquant l'impossibilité
légale; car il y a dans ce fait un véritable dol, qui doit
entraîner, contre celui qui l'a pratiqué, une condam-
nation à restituer tous les avantages qu'il a retirés du
contrat (1).

~ 4. Une cause licite.

Elle consiste dans le prix moyennant lequel le do-


mestique ou l'ouvrier fournit son travail.
Une prestation de services sans prix stipulé devrait
être considérée comme un contrat de bienfaisance.
Ordinairement le prix est convenu entre les parties;
à défaut de convention, lorsqu'un ouvrier fait un tra-
vail sans stipuler un salaire, on doit présumer qu'il y
a accord tacite entre les parties, et le salaire devra être
le même que celui donné aux ouvriers qui font le
même travail : c'est pour cela qu'un règlement inté-
rieur, réglant le prix du travail, est affiché dans quel-
ques établissements, mais en principe de droit strict,
nous ne pensons pas que de tels règlements puissent
être réputés, d'une manière absolue, former la loi des
parties sur les contestations qui viennent à naître
entre elles; car il serait quelquefois injuste de décider
(1) Pothier, Louage, VII, Chap. 1, art. 2, § L
- 1·13 -
que les ouvriers (dont quelques-uns ne savent pas
lire) ont dû connaître et surtout apprécier les disposi-
tions d'un pareil programme, si simples et si clairs
qu'en soient les termes. Comment, d'ailleurs, appli-
quer, sur la lettre d'un règlement, des amendes qui
peuvent se renouvelEr fréquemment et sont toujours
lourdes pour l'ouvrier? Mais nous dirons qu'aux yeux
du juge, ces règlements sont un document important
et précieux à consulter, comme l'élément de décision;
alors surtout que l'ouvrier a travaillé quelque temps
dans la fabrique et doit être présumé en avoir connu
les usages.
Cependant il existe des règlements qui prennent un
caracLère de généralité et constituent l'usage constant
de la place; tel est à Lyon le règlement des établisse-
ments pour la soierie; à Nancy, celui pour la broderie.
Ceux-ci font loi, incontestablement, pour Lous les maî-
tres et ouvriers de la fabrique.
Il est d'usage que le prix ou le salaire soit payé en-
argent : mais un tel usage n'a rien d'obligatoire, sou-
vent dans les campagnes, les ouvriers et serviteurs re-
çoivent leur salaire partie en nourriture et partie en
argent, d'autre en blé ou en autres grains. On s'est
demandé, quand le salaire est ainsi stipulé, c'est-à-dire
payable en nature, s'il y avait lieu d'appliquer la loi
du 27 Mars '185,1, relative à la tromperie, sur la qualité
et la quantité, dans le cas où une fraude aurait été
commise lors de la livraison de la marchandise pro-
mise ; les avis se sont trouvés divisés. Les uns ont sou-
tenu que la loi du 27 Mars '1851 ne s'appliquait qu'au
cas de vente, et comme elle est pénale, elle doit être
interprètée dans le sens restrictif (1). D'autres, au con-
traire, pensent que toute dation équivaut à une vente
et que, par exemple, le propriétaire qui a payé des
ouvriers en se servant d'une fausse mesure tombe sous
le coup de la loi dn 27 Mars 185'1 (2).
Il est rare qu~ les parties s'en remettent pour la fixa-
tion du prix sur l'estimation d'une tierce personne.
Rien ne s'y oppose cependant, pourvu qu'il en existe
une convention formelle.
Dans quelques pays, le prix de la journée n'est dé-
battu et fixé qu'après une huitaine dite d'essai (3) En
cas de difficultP, sur le prix du travail pendant la hui-
taine, le juge doit statuer.
Notre paragraphe ne sera pas complet si nous ne
disons pas quelques mots rle ce qu'on entend par le
nom d'arrhes et denier à Dien, stipulations expresses
ou sous entendus, qui peu~ent se rattacher au contrat
que nous étudions.
L'usage du denier à Dieu n'est reçu que pour les
domestiques (4). On appelle denie1" à Dieu une modique
(1) M. Ch. Million, Traité des fraudes, p. 134; Paris 14 Janvier
1859. Dalloz, 1860, V, 4:12 ; Cass. 5 Fév. 1869, Dalloz 1869 I,
387.
2
( ) Nancy 26 Déc. 1859, Dalloz 1.860, V. 412.

(3) Cet usage est reçu à Rouen pour les ouvriers construc-
teurs mécaniciens, les forgerons, les serruriers, les menuisiers,
etc., etc.
4
( ) Autrefois indépendamment de plusieurs cas spéciaux qu'il

serait sans intérêt de faire connaître ici, il était d'usage général


que le denier â Dieu fût donné par l'acheteur au vendeur dans les
- 1'15-
somme que l'un des contractants donne à l'autre comme
signe de l'engagement. C'est une pure gracieuseté,
une libéralité, non obligatoire dès lors, mais dont
l'usage, il faut le reconnaître, est presque universelle-
ment adopté.
On entend par le nom d'arrhes ce qu'on donne pour
assurer la conclusion ou l'exécution d'un contrat.
D'après la définition de ces deux noms, on est tenté
facilementdeles confondre_, cependant ils ont des diffé-
rences sensibles que nous allons noter.
Les arrhes ne sont pas le signe du contrat, elles con-
stituent une sorte de clause pénale (prévue par l'art.
'123'1 C. Ci v.) en vertu de laquelle celui qui les a données
les perd, s'il se dédit ; et celui qut les a reçues les rend
en double, s'il se dédit. Le denier à Dieu, au contraire,
est la formule symbolique du contrat.
Nous croyons cependant qu'on ne doit pas donner à
la remise d'arrhes dans le contrat de louages de ser-
vices le caractère qùe lui assigne l'article 1590, et
permettre dans tous les cas aux parties;. de se désister
du contrat. Cette faculté est donnée aux parties du
contrat de la vente, on ne peut l'étendre à tous les
contrats qui offrent avec la vente une analogie quel-
conque. Il est vrai que les juges pourront décider, en
fait, soit à raison des usages locaux, soit à raison des
circonstances de la promesse, que la remise d'arrhes

ventes verbales, par le locataire au propriétaire, etc. etc. Guyot,


Rep. v. denier à Dieu; Enciclop. méthod. (Jurisprud.), v. denie1·
à Dieu.
- 116-
emporte la faculté de se départir de la promesse: mais
en dehors de ces circonstances de fait, nous croyons
que la remise d'arrhes n'a pas par elle seule cette
signification, et on doit considérer les arrhes plutôt
comme un paiement.
Les arrhes données et acceptées, les contractants
peuvent se départir réciproquement soit en reprenant
les arrhes, soit en les doublant. Rien de semblable
pour le denier à Dieu.
Le denier à Dieu étant Je signe de rengagement
mutuellement contracté, en principe, il n'est pas per-
mis aux parties de se dédire. Toutefois, l'usage s'est
introduit, qui accorde un délai de vingt-quatre heures,
pendant lequel la con·vention reste en suspens; pendant
ce temps maîtres et domestiques ont la faculté de
rompre Je contrat en reprenant ou en remettant le de-
nier à Dieu.
Les arrhes doivent être imputées sur le prix des
gages ; le denier à Dieu échappe à cette imputabilité.

SECTION Ill

DE LA PREUVE DU LOUAGE DE SERVICES

La preuve du louage de services est aujüurd'hui


soumise au droit commun. Jusqu'à 150 fr., la preuve
testimoniale est admise, et au-delà de cette somme, il
faut un commencement de preuve par écrit. Pour déci-
der si l'objet du contrat est d'une valeur iuférieure ou
supérieure à 150 fr., on doit réunir les annuités qui
- '1'17-
seraient dues pendant la durée du contrat, et si elles
surpassent la somme de '150 fr., la preuve testimoniale
n'est pas admise (1). Prenons nn exemple: j'engage un
valet de chambre pour un an, en lui promettant !JO {1\
par mois; à la fin de l'année la preuve testimoniale ne
sera pas admise parce que la somme totale portée au
contrat est de 600 fr. De même, il n'y aura pas lieu à
cette preuve, si j'engage le valet pour trois mois, en lui
promettant 60 fr. par mois; car la somme totale est de
180 fr.
Cet état de chose existe, depuis la loi du 2 août 1868"
qui a abrogé l'art. 178'1 du Code civil. Avant cette loi,
l'article ·1781 édictait des règles spéciales sur la jpreuve
dans Je louage de services. Cet article était ainsi conçu:
« Le maître est cru sur son affirmation, pour la quotité
des gages, pour le payement du salaire de l'année
échue et pour les à-comptes donnés pour l'année cou-
rante. »
La proposition d'abroger l'article 1781 fut présentée
pour la première fois sous la Constituante de '1848, par
le Comité de législation. Renouvelée le 26 novembre
1849 par MM. Nadaud, Gilland et Faure (2), elle fut
prise en considération par l'Assemblée législatiVf~, dans
la séance du 12 avril 1850 (3), mais rejetée à la suite
d'une discussion assez vive, le 9 mai 1851 (4). Enfin le
projet du gouvernement, du 27 ·juin 1868, fut adopté
(1) Troplong, Louage, 85:1.
(l) V.. Moniteur de :1849, p. 3766.
3
( ) V. Id. de 1850, p. H98.
4
( ) V. Id. de :185:1, p. 1325.
- 118-
à l'unanimité par la Chambre des députés et par 66
voix contre trois par le Sénat (1).
L'article 178'1 du code civil a été aboli surtout parce
qu'il était directement contraire au principe de l'éga·
lité des citoyens devant la loi. Il est certain, en effet, que
plus la condition du locateur de services est socia"'
lement inférieure à celle du maître, plus il est dési-
rable d'établir entre eux une égalité 'judiciaire; mais
cette égalité est bien difficile à obtenir, dansJ'état de
nos habitudes sociales. Les rédacteurs de l'article '1 78 1 1

ont considéré que les domestiques et ouvriers sont


pris dans les classes inférieures et sont souvent illet-
trés, qu'ils ne peuvent faire un contrat par écrit; de
plut-- il était superflu d'exiger d'eux qu'ils allassent
chez le notaire, chaque fois qu'ils contractaient un
nouvel engagement dépassant la somme de ~150
francs. Dans la pratique donc on aurait été forcé d'avoir
recours à J'aveu ou au serment. Voilà pourquoi l'arti~
cle '178'1 avait cru devoir s'en rapporter à l'affirmation
du maître; car en matière de louage de services les
règles ordinaires sur la preuve des contrats et sur celle
du payement peuvent être considérées comm@ insuffi~
santes. Aujourd'hui encore, lorsqu'il s'agit d'une
somme supérieure à t50 francs le même état de
choses existe. Ainsi l'article 178'1 n'avait fait, cancer~
1

nant l'affirmation du maître, que sanctionner le mode


de preuve qui est en usage.
Sous l'empire de l'article 1781, s'il s'agissait d'une
1

(1) Duvergier, Collect1·on des lois, !868. p. 346 et suiv.


- 119-
somme inférieure à 150 francs, il y avait dérogation
au droit commun, le domestique ne pouvait pas se
servir de la preuve testimoniale; il devait s'en rappor-
ter à l'affirmation du maître. Admettre la preuve testi-
moniale, dit Treilhard, c'est ouvrir la porte aux frau-
des; admettra-t-on les ouvriers et domestiques à se
servir de témoins entre eux? Le maître se trouvant
dans une situation plus aisée, il est moins à craindre
qu'il fasse un faut serment, pour faire tort à l'ouvrier
d'une somme, qui pour lui, est relativement faible. On
peut dire que l'article '1781 était utile au domestique
lui-même.jLe maitre, pour éviter les inconvénients qui
peuvent lui survenir d'un domestique illettré, préférait
prendre un serviteur un peu plus lettré, afin de pou-
voir constater par écrit la qualité des gages et leur
payement.
L'article 178'1 contenait d'autres dérogations au
droit commun. D'après l'article '1366, le juge peut déférer
Je serment à rune des parties ; ici le juge n'avait plus
le choix, c'était au maître seul que le serment pouvait
être déféré. «Il fallait, disait M. Treilhard, déférer l'affir-
mation à l'une ou à l'autre: or, le maître mérite plus
de confiance. » (1)
La loi du 2 août '1868 a été vivement critiquée par
certains jurisconsultes. On a dit qu'en matière de
louage de services, on ne devait pas appliquer le droit
commun aux domestiques et aux ouvriers, parce qu'ils
n'avaient pas une instruction satisfaisante. Laurant, le

C) Fenet, XIV, p. 255; (Séance du H~ nivose au XII No 440)

tt
- 1}20-
célèbre commentateur, se demande pourquoi on a
abrogé l'article 1781, et s'exprime en ces termes: Est-
ce parce que la condition intellectuelle et morale des
classes inférieures a changé, depuis la publicalion du
code civil? En France, on n'a pas osé le dire, on a dit
plutôt le contraire. Le seul motif que l'on ait donné,
pour justifier l'abrogation de l'article '178'1, c'est que
cette disposition blesse l'égalité, et l'égalité, dit le rap-
porteur de la commission, est la passion dominante
sinon exclusive de la France. Elle y passe avant l'a-
mour de la liberté même, et nul gouvernement ne sè-
rait assez insensé ou assez fort pour y porter atteinte.
Or, comprend-on que dans un pays où tous les citoyens ·
sont déclarés égaux devant la loi, où tous sont élec-
teurs et éligibles, maîtres et serviteurs, comprend-on
que si une contestation les divise, la loi proclame la
supériorité du maître, en abandonnant la décision du
débat à son affirmation? (1)
Laurent répond a\nsi à cette argumentation tirée de
l'égalité de tous les citoyens: « C'est une mauvajse
passion que celle de l'égalité, quand on y a sacrifié la
liberté et même la morale. On avoue que le maître est
instruit et que la moralité ac~ompagne d'ordinaire
l'instruction; tandis que cenx qui servent croupissent
toujours dans l'ignorance, dont on peut dire qu'elle est
Ià source de tous les vir.es. Et cependant on accorde
l'exercice des droits politiques à des classes igno-

(:1) Rapport de la Commission (Dalloz, 1868, ~' 1 ~0); Laurent.


Principes du droit civil français. T. 25 § ~99.
- 121-
rantes et immorales! Et parce qu'on a proclamé l'éga...
1ité politique du maître et du domestique, on les veut
aussi proclamer égaux sons le rapport intellectuel et
moral, malgré l'ignorance qui persiste et malgré l'im-
moralité qui régulièrement en est la suite t Est-ce que·
par hasard il suffit de proclamer égaux ceux qui sont
inégaux par leur culture intellectuelle et morale pour
faire cesser cette profonde inégalité (1)? Nous ne sau-
rions admettre sans réserve l'opinion formuiée par le
célèbre professeur. Si l'instruction peut augmenter ]a
moralité des hommes, il nous semble inexact de dire
que l'ignoranr.e engendre fatalèment et régulièrement
l'immoralité.
Citons encore quelques auteurs qui sont en faveur
de la disposition exceptionnelle de l'article 178L Voici
en qnels termes Toullier la justifie : ( Il est rare qu'il
y ait des· conventions écrites entre les maîtres et les
serviteur6. S'ils ne sont pas d'accord à la fin de l'an-
née, faudra-t-il fatiguer les tribunaux par une muJti..
tude infinie de procès sans cesse renaissants? Leur
nombre et leur fréquence troublerait la société. c'est
donc le cas de recourir à ce grand moyen de prévenir
et de terminer les procès, la religion du serment :
maximum remedi~um expediendarum litium jurisju-
randi religio (2). La paix de la soeiété paraJt done
exiger que cette foule de procès soit prévenue par le
moyen court et simple de la délation du serment.

(1) Laurent, Principes du droit civil français. T. 25 § ~99.


2
( ) L. 1, De jureJur (:12, 2).

9
- 122-
« Ce point accordé, il ne reste pJus qu)à examiner à
qui, du maître ou du serviteur, il doit être déféré. La
raison et les lois de tous les peuples civilisés disent
qu'il faut peser Jes qualités respectives des parties,.
afin de prendre le serment de celle qui) selon les ap-
parences, est plus digne de foi. Or, dans les contesta-
tions qui s'élèvent entre un maître et son serviteur, la
supériorité du premier sur le second est trop marquée
pour balancer. Il serait contraire à nos Inœurs) aux.
mœurs même de toutes les nations, de déférer le ser-
ment au serviteur contre le maître » (1).
L'abrogation de l'article '178'1, nous dit M. Calmet de
Santerre, a été obtenue par des considérations politi-
ques : cc Il semble) dit-il, .que les élus aient redouté·
jusqu'à l'apparence d'une opposition à une loi qni
prétendait restituer à un grand nombre d'électeurs
leur dignité personnelle. » Dans la Collection des lois
de Du vergier, nous trouvons une ct·itiqne judicieuse,"
faiLe par l'un des membres de la Commission du Corps
législatif, de la loi du 3 août '1868 : Un des honora-
l)

bles membres de la commission a regretté la présen-


tation du projet de loi. Dans son appréciation, il est
toujours fâcheux de modifier, sans nécessité grave,
une législation ancienne acceptée de tous, ayant pris
place dans les mœurs comme dans les codes, et contre
laquelle il ne s'est pas produit de réclamations.
u L'exposé des motifs n'énonce, il est vrai, que des.

Vœux favorables à l'abrogation de l'article 1781 drJ

(1) Toullier, r: XVII, NO :t36.


- '123-
Code Napoléon et ces vœux ont été formulés dans
l'enquête agricole; mais, vérification faite, le gouver-
neme'nt a reconnu lui-même qu'une seule voix dans
les 89 départements de l'Empire s'était élevée pour la
demander. Il n'a d'ailleurs remis à la commission
aucun document relatant des faits de nature à justifier
cette abrogation, ou établissant que la nécessité en
avait été signalée soit par la magistrature, soit par les
organes légtux du pay5, de l'agriculture et de l'indus-
trie, tels que les Cùnseils généraux, les chambres
d'agriculture et de commerce, les conseils de pru-
d'hommes, etc.... Elle n'a donc été réclamée que par
les délégations ouvrières de l'exposition universelle,
celles qui avaient provoqué la loi sur les coalitions.
Mais le sort de notre législation peut-il dépendre de
délégations sans mandat régulier, élue~ à Pélris par
quelques centaines d'ouvriers, eL n'ayant à aucun titre
le droit de parler au nom des ouvriers de l'agriculture
et de l'industrie de la France entière?
({ Reste donc cette seule considération théorique que
rart. 1781 était contraire au principe de l'égalité devant
la loi et blessait la dignité morale chez l'ouvrier ou le
gerviteur. Or, à quels symptômes le gouvernement a-t-il
pu croire que nos ouvriers et nos domestiques se trou-
vaient atteints dans leur dignité morale, ou abaissés
par les conditions judiciaires que la loi leur faisait,
alors qu'ils avaient de tout temps accepté pleinement
l'art. '178'1, et qu'ils l'acceptaient encore depnis vingt
ans que le suffrage universel était devenu la base de
nos institutions ? Après 1848, d'ailleurs, les premières
- 124-
assemblées législatives issues du suffrage n'avaient-
elles pas repoussé la proposition de modifier une légis·
lation maintenue également par les assemblées qui
avaient eu la mission, à une autre époque, d'appliquer
les principes de t 789, et par la Convention elle-même,
qui proclamait si hautement la dignité de l'ouvrier et
du serviteur ?
Ainsi une pétition au Sénat, écartée par l'ordre du
jour, une demande des délégations ouvrières et une
voix isolée dans l'enquête agricole, seraient les seules
manifestations qui auraient i\écidé l'abrogation de
l'article 178'1, mesure regrettable, au point de vue so-
cial comme au point de vue de la stabilité des lois, liée
si essentiellement à la stabilité de nos institutions.
Elle sera, en effet, un nouveau coup porté au lien qui
doit unir: et qui unissait presque toujours le patron à
l' ou\rier, le maître au serviteur. A ce lien qui partici-
pait du lien de famille, et qui reposait d'une part, sur
une déférence et un dévouement respectueux ; de
l'autre, sur une autorité affectueuse et protectrice, on
substituera, au nom d'une prétendue égalité qui n'exis·
tera jamais, l'antagonisme des droits et des intérêts.
On ouvrira, enfin, la porte aux contestations judiciaires,
au préjudice des bons rapports entre patrons et ouvriers,
et au péril des établissements industriels qui ·occupent
un grand nombre de bras. » (1)
Ces observations, que l'honorable membre de la
commission expose si bien, nous montrent combien la
(1) Du vergier, Collection des lois 1868, p. 3~8-349.
- 125-
loi du 2 Août '1868 est féconde en inconvénients, même
pour ceux que l'on se propose de protéger. Ne vaut-il
pas mieux que chacun, dans la société, ait sa véritable
place et sa responsabilité? Au domestique dévouement
et respect envers son maître ; au maître protection et
affectueux égards envers le domestique.
Il est de principe que, quand une loi déroge au droit
commun, cette loi doit être strictement interprétée et
limitée à ses termes. Il en est ainsi pour l'article '1780.
Bien que notre section soit intitulée : ( Du louage
de domestiques et ouvriers JJ, il semble bien que l'art.
1781 avant son abrogation n'avait trait qu'au domes-
tique. Et d'ailleurs M. Merlin (1), dans son Répm~toire,
nous dit qn,avant le code il existait une pareille dispo-
sition, qui n'était applicable qu'aux domestiques. Lau-
rent est aussi de cet avis : <<.Nous croyons, dit-il, que
les ouvriers ne sont compris dans l'article '1781 que
lorsqu'ils sont considérés comme domestiques, c'est-à-
dire lorsqu'ils sont dans la dépendance du maître,
comme les domestiques ) (2). Cette même opinion a
été émise, au Conseil d'Etat, dans une discussion,
entre MM. Defermon, Miot et Treilhard.
Mais n'y a-t-il pas des ouvriers pour lesquels la
nature de leurs services implique, en quelque sorte,
des relations de domesticité? Quant aux ouvriers à
façon, c'esL à dire ceux qui font un certain ouvrage
pour un prix déterminé d'avance, les relations de

(1) Répe1·toire, v. Domestique, N. IV.


(2) Principes de dr. Civil français. T. 25, § 500.
- 128-
domesticité n'existent pas, c'est reconnu; pour les
ouvriers qui travaillent à temps, pour les ouvriers de
fabrique, la question est douteuse. M. Laurent admet
plutôt la négative. La jurisprudence tend aussi à
interpréter l'article restrictement (1).
Donc, avant la loi du 2 Août 1868, lorsque la contes-
tation entre le maître et son domestique ou ouvrier
portait, soit sur le chiffre des gages ou salaire coc ve-
nus, soit sur le payement d'une année échue, soit sur
les à-comptes de l'année courante, on devait, d'après
l'article '1781, s'écarter du droit commun. Mais, si la
contestation portait sur l'existence même du contrat(2),
sur l'époque à laquelle avait commencé le contrat de
louage (3), sur sa durée, sur des stipulations particu-
lières autres que le prix, sur un apport d'effets affirmé
par le dome3tique et nié par le maître, dans tous ces
cas, on rentrait dans le droit commun. Il est vrai, que
pour ce dernier cas, c'est à dire pour ce qui touche les
effets du domestique, M. Troplong C') est d'un avis
contraire : ((Est-ce qu'un maître de foi équivoque,
nous dit l'auteur, ne sera pas plus enclin à frauder sur
les gages que sur les pauvres nippes du serviteur ou
de l"ouvrier~ » Mais un raisonnement a fortiori
comme celui-là ne peut être admis dans une matière
d'exception. Les auteurs sont presque tous d'un avis

1
( )C. cass. 4, juillet 1826; Dalloz, v. louage d'ouvrage, n° ~2.
2
( )C. cass. 25 août 1862; Dalloz, 62, t, 34,5.
3
( ) Tr. de la Seine, 5 oct.; Dalloz, 67, 3, 1.03.

e) Louage, § 888.
- J27-
econtraire à celui de M. Troplong (1). La jurisprudenca
aussi suit cette même interprétation restrictive, que
l'article '178'1 n'est applicable qu'autant qu'il s'agit de
_gages de l'année échue ou des à-comptes donnés pour
l'année courante. Voici un exemple: Un maître engage
un domestique pour sept ans; les gages sont annuels
,et seront payables, la première moitié à l'expiration
de chaque année; les autres moitiés formeront un
.·capital qui pourra être exigé à l'expiration du temps
de service, c'est à dire dans sept ans. Le domestique
est renvoyé avant le temps convenu. Il a été décidé
que, dans ce cas, l'article '1781 n'était pas applicable,
relativement à la prenve des gages capitalisés et exigi-
bles seulement à la fin du contrat (2).
Avant la loi de 1868, toutes les fois que la somme en
litige entre le maître et son domestique était de
moins de 150 francs, ce dernier ne pouvait pas invo-
quer, à l'encontre du maître, la preuve testimoniale.
.Aujourd'hui, ille peut. Dans ce cas, il faut reconnaître
que l'innovation de la loi de '1868 est radicale, et a
,même, jusqu'à un certain point, pour résultat de
-mettre le maître à la merci du domestique. En effet,
n'est-il pas facile à un domestique· de prouver, par
témoins, que la somme qu'il réclame lui est due?
Et le maître, de son côté, que peut-il invoquer en sa

1
( ) Laurent, Principes de d1·. civil français, t. 25, § 501;
.Duranton. t. f 7, § 236; Marcade, t. 6, p. 5~7; Duvergier, T. 2,
j)o 348.
2
'\ ) Cour de cass., 7 nov. :1.866; Dalloz, 67, :l, 60.
-- 128 -
·faveur, outre sa simple assertion? On me répondra :
la quittance du domestique. Mais il n'est pas d'usage
chez nous de demander une quittance à un serviteur
auquel on paye ses gages.
Les con.séquences de l'article 1781 deviennent, au
point de vue que nous étudions, singulièrement moins
préjudiciables pour les maîtres si l'on considère que,
dans l'état actuel, il est très rare (lUe les gages d'un
domestique soient inférieurs à 150 francs.
Mais si la somme contestée est supérieure à '150,
quelles sont les conséquences qu'entraîne l'abroga-
tion de l'article '1781? Les auteurs ne sont pas d'ac-
cord; pour certains, cette abrogation crée une situation
très favorable, même trop favorable à l'ouvrier; car il
a un grand avantage sur le maître. Le domestique ré-
clame les gages qu'il prétend lui être dûs pour les
services fournjs; ces services constituent un fait évi-
dent, palpable pour tous, qui ne pourra absolument
pas être nié par le maître. Il est donc obligé de recon-
naître la prestation des services de la part du dornes-
que, il reconnaîtra bien aussi la quotité des gages, il
pourra cependant prétendre l'avoir payé. Mais com-
ment le prouvet:? La somme est supérieure à 150
francs, il ne peut pas donc recourir à la preuve testi-
moniale. Invoquer le témoignage de ses livres? Mais
l'article 1331. du Code civil dit que « les registres et
papiers domestiques ne forment point un titre pour
celui qui les a écrits. Sa réputation de probité et
l)

d'honorabilité ne pourra pas entrer en ligne de


~ompte, car les juges ne peuvent fonder leurs décisions
- '129-
sur de simples présomptions que dans le cas où la
preuve testimoniale pourrait être admise. Il devra donc
forcément être condamné, lors même qu'il sera infini-
ment probable qu'il a déjà payé. Une seule et unique
chose qu'Il pourra faire c'est ùe déférer le serment
décisoire à son domestique, mais c'est une ressource
dérisoire. Le serviteur qui n'aura pas hésité à intenter
une demande injuste, se servira de faux témoignages,
reculera-t-il devant le faux serment? Le maître est
donc absolument sacrifié s'il a affaire à des serviteurs
déshonnêtes.
Un député, M. de Grouchy, avait présenté à la com-
mission du Corps législatif (1868) un amendement
autorisant la preuve tirée des livres du maître, et la
délation du ser:nent supplétoire à l'une ou l'autre des
parties, au choix du juge, et en dehors des conditions
prescrites par les articles '1367 et 1369 du Code civiL
Mais cet amendement ne fut pas adopté.
En résumé, depuis la loi de '1868, l'article 1781, bien
qu'abrogé en droit, subsiste en fait.
Le domestique sera presque toujours obligé de s'en
rapporter au serment de son maître; car il ne peut
invoquer la preuve testimoniale au-dessus de '150 francs,
et d'habitude il n'a à sa disposition aucune preuve
écrite; car le louage de services a toujours lieu verba-
lement. Ainsi dans la plupart des cas l'ancien état de
choses subsiste.
n était nécessaire, après l'abolition de l'article 178'1_,
de faire une loi spéciale réglant les questions relatives
au louage de services. C'est ce qui n'a pas encore été fait·
- 130-
1

SECTION IV

DROITS ET OBLIGATIONS DES CONTRACTANTS

Le contrat de louage de services étant presque tou-


jours verbal, il importe de préciser d'autant mieux les
droits et obligations qui appartiennent au domestique,
à J'ouvrier vis-à-vis de celui qui les emploie, et réci-
proquement; mais la responsabilité que peut encourir
le maître à raison des accidents dont son -domestique
ou son ouvrier peut être victime pendant qu'il est à
son service est une matière qui rentre dans la théorie
générale de la responsabilit8, et ne peut faire l'objet
d'un examen spécial à propos du contrat que nous
étudions. Ainsi sur ce dernier point nous serons bref.
Nous ne dirons pas non plus grand chose du louage
de services entre patrons et ouvriers dans les fabriques,
par le motif que cette matière forme l'objet d'une lé-
gislation spéciale (1) et non du titre: Du louage de ser-
vice du code civil, dont nous nous sommes proposé
d'étudier exclusivement les dispositions.
Les principes qui régissent cette partie de notre
contrat diffèrent de ville en ville, de profession à pro-
fession; c'est l'usage qui dicte les droits et les obliga-
tions des parties.
(1)_ Voir: Loi du 22 germinal an XI; arrêté du 9 frimaire an
XII; Loi da 22 janvier, 3 et février 1851; Loi du 2~ juin 1854;
Décret du 30 avril 1855; Loi du 25 mai 1864.; Loi du 19 mai
1874.
- '13'1 -
La principale obligation de l'ouvrier ou domestique
est celle-ci: en consentant à travailler pour le maître,
ils ont promis d'exécutel', avec une juste déférence, ses
instructions et ses ordres; ils doivent exécuter le tra~
vail tel qu'il leur a été commandé.
L'ouvrier à façon peut ordinairement se faire rempla-
cer par un ouvrier ou un sous-traitant, pour tout ou
partie de son travail; pour l'ouvrier à temps ceci est
exception ; il ne peut pas se faire remplacer poue au-
tant qu'il n'en a pas été ainsi convenu. Mais dans ce
dm·niee cas l'ouvrier devient un entrepreneur de tra-
vail, et, maître à son tour, il répond du fait des per-
sonnes qu'il emploie ou qu)il s'est substitué (C. C. art.
1797). Pothier (1), a soutenu une opinion diamétrale-
ment opposée; il fait toutefois une exception pour les
ouvrages de génie, pour lesquels <;'est la considération
de la personne de l'ouvrier qui a déterminé le maître
à contracter.
L'ouvrier est obligé de bien faire son ouvrage sui-
vant les règles de son métier. S'il s'est présenté comme
ayant des capacités suffisantes pour tel ou tel travail, et
qu'une fois mis à l'œuvre, on s'aperçoit que l'ouvrage
. ne répond pas à ses affirmations, le maître a droit
non seuJement à la réduction du salaire, mais encore
à la résiliation de l'engagement. L'ouvrier peut être
même condamné à payer à son maître des dommages
intérêts. ·
L'ouvrier est obligé de consacrer consciencieuse . .
(1) Pothier, louage, Nos 4~0 et 42L
- '132 -
ment son temps à son maitre. On ne peut demander
de lui que l'espèce de travail pour lequel il s'est engagé.
Même s'il n'y a pas clans le contrat d'engagement
un délai stipulé dans lequel l'ouvrier est obligé de
livrer son travail, il y en a toujours de sous entendu et
c'est celui qu'ont pu avoir raisonnablement en vue le
maître et l'ouvrier, lorsqu'ils ont contracté. Cependant
si l'ouvrier travaille sous l'œil de son maître, quel que
soit le retard qu'il mette à l'exécution du travail, il ne
sera pas responsable, parce qu'il est censé avoir
exécuté sur l'ordre même de son maître d'autres ou-
vrages plus pressés.
L'ouvrier doit apporter à la conservation des ma-
tières, des outils à lui remis, les soins d'un bon père
de famille; si malgré ces soins les matières ou les
outils périssent, sa responsabilité est dégagée. L'ou-
vrier n'est responsable que de sa faute (C. Civ. art.
'1783); mais l'impéritie, la négligence sont des fautes,
dont il répond. (1)
Si la pièce travaillée par l'ouvrier à temps périt, il
sera libéré; car il a rempli son obligation, qui con-
siste dans un certain travail à fournir. Il peut en être
autrement de l'ouvrier à .façon qui fournit une pièce.
Voyons maintenant quelles sont les obligations du
maître.
En premier lieu il est obligé de payer le salaire, le
prix stipulé. Pas de difficultés s'il y a une convention
expresse sur ce point, elle doit être suivie. Mais ordi-
1
( ) Trib. de Rouen, 6 juill. 1.876, Annales, i877 p. 34.
- '133-
nairement le prix n'est payé qu'à un certain terme, à
la journée, à la semaine, au mois, à l'année. Et suivant
l'article 124·7 du Code civil Je payr.ment doit être fa1t
au domicile du débiteur et après que l'ouvrage a été
livré et reçu ou que le maître a été mis en demeure de
le recevoir.
En ce qui concerne la faculté de recevoir le paye..
ment du salaire, il faut se rappeler que le contrat de
louage de services est un contrat essentiellement ali·
mentaire et urgent, surtout du côté de l'ouvrier, d'où
il résulte que le payement du salaire doit se faire régu·
lièrement à chaque terme directement à l'ouvrier ou à
son mandataire, même à la femme mariée ou à l'en-
fant, à moins qu'avant la paye le mari, Je père ou le
tuteur n'intervienne pour y mettre obstacle.
Les maîtres ayant le choix de leurs domestiques, et
les patrons celui de leurs ouvriers, il est juste qu'ils
soient responsables du fait, de la faute, de la négli·
gence de leurs domestiques et ouvriers dans l'exercice
des fonctions qui leur sont confiées. Ce principe de la
responsabilité résulte· de l'autorité qu'ils ont sur leurs
domestiques et ouvriers, de la surveillance qu'ils ont
le droit et le devoir d'exercer sur eux.
Mais pour que la responsabilité du maitre soit
encourue du fait de ses ouvriers et domestiques, il
faut trois conditions: '1° Que l'ouvrier, le domestique
soit lié au maître par un contrat d'engagement; 2° Que
l'ouvrier, Je domestique, ait commis une faute; 3° Que
cette faute soit commise dans l'exercice des fonctions
qui Jui sont confiées. Ainsi, mon valet de ferme, en
- 134-
labourant, empiète sur le champ voisin, et détruit une
partie de récolte. Je suis civilement responsable de
cette anticipation, car on y voit les trois conditions ci-
dessus énumérées.
Idem dans l'exemple suivant:
Mon cocher, en conduisant mes chevaux dans les
rues d'une ville, blesse ou tue un passant par mala-
dresse ou imprudence. Je suis civilement responsable
de ce fait. Peu importe que je fusse ou non dans la voi-
ture, que j'eusse ou non donné l'ordre au cocher de
mener avec précaution.
Les actes ont été commis par mes domestiques en se
livrant à une occupation que je leur avais commandée,
ou que je suis sensé leur avoir commandée. C'est moi
qui agissais par leur intermédiaire.
Le maître répond de la faute de .ses domestiques,.
alors même que le tiers qui en a souffert aurait à se
reprocher de la négligence ou de l'imprudence. Ainsi,
il a été jugé que l'hôtelier est responsable du vol des
objets de prix commis chez lui par ses domestiques au
préjudice d'un voyageur, bien qu'il y ait eu impru-
dence ou négligence de la part de ce dernier, en ce que,
par exemple, il aurait laissé ces objets dans un habit
qu'il remettait au domestique pour le nettoyer, et qu'il
aurait négligé de se conformer à l'avis, donné aux
voyageurs et affiché dans les chambres d'hôtel, de re-
mettre au maître de la maison les objets précieux ap-
portés en voyage (1).
( 1) Cass., H mai 1846, Annales. pe série, t. IV, p. 346;
~ouen, 27 août :1858, A1tnales :1860, p. 1rH.
-1::J5-
Il a même été jugé, que la responsabilité touche le
maître qui met son domestique à la rlisposition d'un
tiers, en l'autorisant à user de ses services, et qui ne
le prévient pas des habitudes d'intempérance et de la
faiblesse d'esprit de ce servit_eur e).
L'arrêt de cassation du 29 avril'l843 a décidé que Je
domestique qui fait à l'octroi une déclaration incom-
plète des choses soumises aux droits. d'entrée engage
la responsabilité de son maître.
Cependant il y a des cas où, si la responsabilité du
maître n'est pas dégagée, au moins l'indemnité est
modérée et inférieure au préjudice causé; c'est le cas
lorsque la victime est un ouvrier qui a concouru, par
sa plus ou moins grande faute, à faire arriver l'acci-
dent ou à en agraver les conséquences (2). Mais dans
tous les cas J'indemnité ne doit représenter que le
dommage direct et non les dommages indirects(3).
Point de responsabilité du maître si les actes coupa-
bles ne sont pas la conséquence des fonctions auxquel-
les se livraient les domestiques ou les ouvriers. Ainsi
que mon domestique soit coupable d'un délit d'injure
je ne suis pas responsable; que dans la rue, en se pro-
menant il brise un carreau, cause tel autre accident,
je ne suis pas non plus responsable( 4). De même s'il

(1) La Cour de Paris 19 mai 1874.


2
( ) Paris, 16 nov. 1871, Dalloz 1871, II. 208; Paris 21 déc.
!876, Dalloz 1~76, H, 72; Cass. req. 8 fev. 1875, Dalloz,
.1875, I, 320; Aix, 10 janv., 1877, Dalloz, i877, II, 20~.
3
( ) Cass. req., 26 mars 1877, Dalloz, f878, I, H8.
4
• ( ) Rouen, -18 janvier 1837, Dalloz !845, II, 58.
- '136-
blesse ou tue quelqu'un hors de mon service. Ce der-
nier principe a été confirmé par arrêt de la cour de
Paris, du 19 mai '1874, à l'occasion d'un drame qui eut
quelque retentissement :
Le 20 janvier !870, Lathauwers, domestique des
époux Lombard, assassinait sa maîtressè, la dame
Lombard, et blessait grièvement la demoiselle Fiol,
femme de chambre. Celle-ci forma une instance en
dommages-intérêts contre les héritiers de la dame
Lombard. La demande fut rejetée par ces motifs :
' que les dispositions de l'article '1384 du code civil ne
peuvent donner lieu à la responsabilité qu'autant qu'il
est prouvé que le fait dommageable s'est produit dans
les fonctions auxquelles le domestique était employé ;
qu'en d'autres termes, il y a lieu de rechercher unique-
ment, en pareille circonstance, si le domestique qui a
commis le fait dommageable remplissait à ce moment
une fonction que le maître aurait remplie s'il n'avait
pas eu de domestique. »
Si le domestique ou l'ouvrier qui a commis un acte
préjudiciable est un mineur, il est certain que le maître
est responsable si le dit acte a été commis par le mi-
neur dans les fonctions auxquelles il était employé.
Mais s'il a commis un pareil acte hors de ses fonctions,
par exemple, en jouant, s'il a brisé dans la rue une
glace à la boutique d'un commerçant, le maître sera-t-il
encore responsable~ Il me semble que oui; car l'en-
fant ne réside pas chez ses parents mais chez son
maître dont la survejllance doit remplacer la sur-
-137-
veillance paternelle. C'est ce que dit l'art. '1384 du code
dvil (1).
Souvent les domestiques, pour faire les achats au
marché par exemple, sont payés par leur maître, mais
ils retiennent l'argent donné et au nom de leur maitre
prennent les choses à crédit; les maîtres sont-ils res-
ponsables pour de pareilles dettes? Pour répondre à cette
question, nous citerons l'arrêt du tribunal de Paris de
8 Août '1874 qui a répondu négativement par ces mo·
tifs :
« Attendu que les domestiques ou préposés ne sont

considérés comme mandataires de 'leurs maîtres que


pour les accru isitions fÇtites au comptant, et que le
maître ne peut être tenu envers les fournisseurs du
payement des marchandises qu'il a payées à son pré·
posé;
« Que le commerçant qui, sur la demande d'un ~o­
mestique, consent à livrer à crédit, sans s'assurer au pa..
ravant si c·est le maître lui-même qui sollicite ce crédit,
fait confiance au domestique et non à 60n maître, et
qu'il ne peut dès lors qu'accuser sa propre imprudence
.si le maître, qui a régulièrement payé son préposé, re·
fuse de solder une seconde fois et de reconnaître un
crédit qu'il n'a pas demandé. )
Dans l'usage le plus commun, dans les campagnes
.surtout, l'ouvrier qui ne travaille pas en atelier apporte
les outils dont il se sert. Mais si c'est le maître qui pro ..

(1) Cass. 25 nov. f8t6; H juin 1836; li mai 1.846; 3()


août 1860.
1.0
- '138-
cure les outils à ses, ouvriers et que ces outils soient
d'une mauvaise qualité, d'abord il ne peut pas se plain-
dre de la perte de temps ou des malfaçons qui en se-
raient résultées; et puis, si par suite des défectuosités
de ces outils, l'ouvrier éprouve un accident, une bles-
sure, le maître doit l'indemniser, à moins cèpendant
qu'il n'ait accepté les outils ou instruments dont il
connaissait le vice, ou qu'il n'ait été chargé de veiller
à leur bon état d'entretien.
Le maître qui emploie des ouvriers à des travaux dan-
gereux doit prendre toutes les précautions qui sont de
nature, à protéger leur vie ou leur éviter des blessures
graves ; car l'ouvrier, victime d'un accident, en obéis-
sant à son maître, en accomplissant ses devoirs pro-
fessionnel::;, aura alors action contre son maître (l'art.
1382 et suivants du Code civil). Il n'y aura pas lieu à
une indemnité si l'accident est la conséquence d'un cas
fortuit ou de l'imprudence, par conséquent, de la faute
de l'ouvrier.
Une autre obligation du maître envers son ouvrier
c'est de faire tout ce qui dépend de lui pour faciliter
celui-ci à exécuter son engagement. Si par la faute du
maître l'on vri er e_st anêté dans son travail, il pourra
réclamer son salaire jusqu'à l'expiration de l'engage-
ment.
Le plus souvent le maitre s'engage envers ses ouvriers
et dom-estiques à les loger et nourrir, ceci doit se faire
d'une manière convenable et suivant l'usage des lieux
où on se trouve. Ici, c'est le cas d'appliquer le principe
de l'article 1246 du Code civil.
- 139-

SECTiO:'~ V

DE LA DURÉE DU LOUAGE DE SERVICES.

La liberté est de sa nature inaliénable; or, s'engager


au service d'autrui., pour sa vie entière, c'est aliéner sa
liberté. Une pareil convention ne saurait donc être
permise. C'est une restriction à la règle générale sur
la ( liberté des conventions».
Ce principe d'inaliénabilité de la liberté existait déjà
avant le code civil. Nous le voyons inscrit dans la con-
stitution de '179'1, dans celle de l'an III (1). Le code a cons-
sacré ce principe, dans son article 1780, qui est ainsi
conçu: ( On ne peut engager ses services qu'à temps
ou pour une entreprise déterminée. ~
Nous avons vu que, dans l'ancienne jurisprudence,
on pensait, en général, que la nullité de l'engagement
.était purement relative; certains jurisconsultes croyaient
aussi que celui qui demandait cette nu1lité devait in-
demniser la partie adverse. La cour d'appel de Lyon
était tellement imbue de ces idées, que, dans ses
observations sur le projet du Code, elle disait: « Un
individu libre, quelque engagement de travail qu'il ait
contracté, ne peut jamais être contraint personnelle-
ment à son exécution. Tout se réduit à une indemnité,
s'il n'exécute pas son engagement (2).
(1) Art. 15 de la Déclaration des droits.
2
( ) Fenet, T. 4, p. 209
-140-
L'article 178ll est d'ordre public et quoiqu'il soit
inscrit sous une rubrique spéciale relative au louage
des domestiques et ouvriers, il doit recevoir son appli-
cation quelle que soit la profession des contractants,
car il a pour but de sauvegarder la liberté individuelle
des citoyens qui est d'ordre public, et « on ne peut dé-
roger, nous dit l'article 6 du Code civil, par des con-
ventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre
public et les bonnes mœurs ) . L'article '1133 exprime
la même idée. Cependant_, nous citerons un cas où il
semble que la Cour de cassation ait tranché la question
dans le sens contraire. Il s'agissait d'une convention
par laquelle un médecin promettait de donner pendant
toute sa vie les soins de son art à une personne et aux
membres de sa famille. La cour a décidé que l'engage-
ment du médecin était valable (1). En effet, il est vala-
ble, mais non parce que le médecin n'entre pas dans
la catégorie des gens que l'article '1780 énumère) mais
parce qu'il n'y a là aucune aliénation de liberté pour ,
la vie; et on n'y voit rien de contraire à l'ordre public
et aux bonnes mœurs. Si un fonctionnaire s'engage à
servir l'Etat pendant sa vie, cela ne veut pas dire qu'il
engage sa liberté pour la vie. On n'y voit pas dépen-
dance absolue, comme pour les domestiques et ouvriers.
Et outre cela un fonctionnaire a toujours des moyens
de donner sa démission.
L'article 1780 nous dit qu'on ne peut engager ses
services qu'à temps. Cette prohibition comprend les
1
( ) Cass. it août 1839.
-- '14'1 -
engagements, qui, quoique non perpétuels, seraient
faits pour un temps tellement long, qu'ils devraient
évidemment lier jusqu'à leur mort ceux qui les auraient
contractés. Tel serait, par exemple, le contrat par
lequel un domestique âgé de cinquante ans engagerait
ses services pour une durée de trente ou quarante
années. Si on s'attachait à la lettre de l'article, un
pareil contrat ne devrait pas être prohibé, mais ce
serait aller directement à 1'encontre du but que ce
texte se propose d'atteindre.
Cependant quelquefois on s'est trop écarté de la
lettre de l'article '1780. Ainsi dans un cas, un ouvrier
s'était engagé pour trente ans, la Cour de Paris a jugé
que cet engagement était nul, qu'il fallait entendre la
vie de l'ouvrier, non pas comme durée de son exis-
tence, mais en tant que vie active, vie pendant laquelle
il est capable de travailler, pendant laquelle il peut
avoir intérêt à changer cle patron. D'après ce sys-
tème, un jeune homme de 25 ans ne pourra pas s'en-
gager pour 8 ans si le médecin dit que dans quatre
ans il ne pourra plus exécuter son travail.
D'après la deuxième partie de l'article 1.780, il fau-
drait également annuler la convention par laquelle
l'ouvrier se serait engagé à travailler jusqu'à la fin
d'une entreprise indéterminée. Mais que faut-il enten-
dre par les mots entreprise indéter·minée? Pour
répondre à cette question il ne faut pas s'attacher au
sens littéral des mots. Celui qui loue ses services, pour
servir comme valet de chambre, comme cuisinier; pour
conduire une voiture, ne se loue pas pour une entre-
- i4i-
prise indéterminée; les services sont sans doute déter-
minés quant à leur objet, mais ils ne sont pas une
entreprise. Une entreprise c'est un travail manuel
d'ouvrier à exécuter, comme, par exemple, creuser tant
de mètres de fossés, extraire d'une carrière tant de
mètres de pierres, casser tant de rochers, etc., etc·
Donc, pour être déterminé, il ne suffit pas que le tra-
vail soit défini quant à son objet, il faut qu'il ait un
terme fixe résultant, sinon de la convention, au moins
de la nature des choses. Ainsi, je m'engage à faire un
terrassement de tant de mètres de longueur et de hau-
teur; ou je m'engage à extraire de votre carrière tant
de charretées de pierres. Ce sont des ouvrages déter-
minés. Dans le premier cas, le terme se trouve dans
l'étendue du travail, et, dans le second cas, le nombre
de charretées convenu dans la durée du contrat.
Si l'entreprise est déterminée, mais que son exécu-
tion soit tellement longue qu'elle dépasse la durée de
la vie humaine, alors on doit ranger cette entreprise
dans la classe des ouvrages indéterminés. Peu impor-
terait, d'ailleurs, qu'un cas fortuit vînt diminuer, au
cours du travail, la durée de l'entreprise; la convention
était nulle dès le début et elle restera telle.
Les tribunaux auront à apprécier, d'après la nature
de. l'entreprise et les autres circonstances, si l'engage-
ment: quoique fait seulement pour un certain temps
ou pour une entreprise déterminée, n'enchaîne pas
réellement celui qui l'a contracté pour toute sa vie. Si
oui, le contrat sera déclaré nul (1).
(') Cassation, f9 décembre i860, Sirey, 6J, I, 504:; Lyon,
- 143-
Si un ouvrier ou domestique s'engage au service-
d'un maître pendant la vie de ce dernier qui est plus
âgé que lui, le contrat sera nul, si, selon toutes les
probabilités, le maître doit survivre à J'ouvrier. Mais,
si le maître a ~oixante-dix ans et le domestique trente
ans, par exemple~ nous pensons que le louage ne doit
pas être considéré comme ayant été fait pour la durée
de la vie du domestique; car il n'y a rien de perpétuel
dans un tel engagement, par rapport au domestique
qui le contracte, et c'est la seule chose que la loi ait
voulu éviter (1). Cependant on a soutenu aussi le con-
traire, en se basant sur ce que l'article ne distingue
pas s'il s'agit pour la durée de la vie du maître ou de
celle du domestique; il nous dit seulement que quand
le contrat est fait à vie il est nul (2).
Si le maître ·seul s'engage à garder le domestique ou
l'ouvrier pendant toute sa vie, sans qu'il y ait récipro-
cité, t'article '1780 n'est pas violé et le contrat est vala-
ble; car le maître prend un engagement perpétuel très
valable, en considération d'un engagement temporaire
de l'ouvrier ou domestique, non moins valable.
Si nous sommes en présence d'un contrat où les
i9 décembre 1867, Sirey, 68, II, 258; Delvincourt, III, p. 2!0;
Zacharire, Ill, p. 34; Durantoo, XVI, n° 226; Duvergier, II,
n° 284; Troplong, II, n° 852; Toullier, t. 9, p, 264; Aubry et
Rau, IV, § 372, texte et notes 3, p. 5t3; Laurent, XXV, n° 496.
(1) Douai, 2 février J 850, Dalloz, aL II, t33, et Sirey, 51., II,
!82; Caen, 30 janvier !852, Recueil de Caen, 52, p. 78; Lau-
rent, t. XXV, n° 496.
2
( ) Paris, 20 juin !828, Sirey, C. N. VIII, II, 244; Lyon.

4 mai. t86o, Dalloz, 66, II, 1.65, et Sirey, 66, II, i91.
- ·144-
·parties ont stipulé pour la durée de la vie de celui qui
.s'engage, nous savons que ce contrat est nul; mais la
nullité est-elle absolue ou relative? Si la loi n'a prohibé
un pareil engagement que par bienveillance envers le
domestique ou l'ouvrier, la nullité est relative; mais~
si elle a prohibé cet engagement parce qu'elle se trou-
vait contraire à l'ordre public, la nullité est absolue. Il
y a deux opinions sur cette question. Les uns soutien-
nent que la nullité est relative et ne peut être invoquée
que par le domestique ou l'ouvrier. M. Troplong, qui
est partisan de ce système, dit que I.e domestique
pourrait répondre à son maître qui voudrait invoquer
la nullité de l'engagement : <r Mais de quoi vous plai-
gnez-vous, quand je ne me plains pas? Vous dites que
je ne suis pas libre; la preuve que je le suis, c'est que
je n'aurais qu'un mot à dire pour voùs échapper, si
vous vouliez me retenir » (1).
La plupart des auteurs (2) se sont prononcés en fa-
veur de la seconde opinion, qui dit que la nullité est
absolue; et ceci est beaucoup plus juridique, car nous
savons que d'après l'article 1108 du Code civil une
convention n'est pas valable, si elle n'a pas une cause
licite. Et, aux termes de l'article 1131, le contrat sans
cause ou sur cause illicite ne peut avoir aucun effet.

(1) Troplong, Louage, § 856; voir encore Larombière, Des


obligations, art. H33, n° 30.
(2) Duranton, t. XVII, p. 204., no 226; Laurent, t. 25, no 4.93 ~
Duvergier, II, n° 286; Aubry et Rau, IV, § 372, texte et note i t
p. 5!3; voir encore Bordeaux, 27 janvier !827 (Dalloz, au mot
Louage d'ouvrage, n° '}3).
- '145-
Or, l'engagement dans le (',as précité est illicite; donc
la nul1ité est absolue et peut être demandée par les
deux parties. Il faut remarquer aussi que dans notre·
droit la nullité relative est exceptionnellement admise;
il faut que la loi l'indique expressément, ce qu'elle ne
fait pas pour l'article '1780. Au surplus, la question de·
nullité n'a d'intérêt, ne demande surtout à être exa-
minée que pour baser l'appréciation des dommages-
intérêts: car, de la part du maître comme de celle de·
l'ouvrier, tout engagement de cette nature crée des.
obligations de faire qui, aux termes de l'art. 1142, se·
résolvent en dommages-intérêts, en cas d'inexécution& .
Ainsi, quoiqu'il arrive, en supposant le contrat parfai-
tement valable, le maître ne pourrait pas plus forcer,.
manu militari, l'ouvrier à travailler pour lui, s'il s'y
refusait, que l'ouvrier ne pourrait contraindre son
maître à lui donner de l'ouvrage; ils ne pourraient,
l'un et l'autre, que faire prononcer contre leur adver-·
saire récalcitrant une condamnation à des dommages.
intérêts.
Si l'une des parties demande la résiliation du contrat,.
y a-t-il lieu de prononcer contre elle des dommages-
intérêts? Pour avoir droit de réclamer des dommages-·
intérêts à raison de l'inexécution d'une obligation, iL
faut avant tout avoir droit de demander en justice
. l'exécution d~ cette obligation; il faut donc que l'obli-
gation soit valable. Si non, les tribunaux ne peuvent
pas ordonner qu'elle soit exécutée, et par conséquent
accorder une indemnité pour le défaut d'exécution. Un
- '146-
·arrêt de la Cour de Paris (1) semble avoir donné une
-décision contraire. Un homme âgé de soixante-quinze
ans veut reprendre à SQn service deux domestiques
mariés qui l'avaient servi pendant quatorze ans, et,
pour les déterminer il leur propose de les garder
jusqu'à sa mort, en leur payant une rente de 300 fr .
.Au bout de quatorze ans, le maître se fixe à Paris et
abandonne ses domestiques, sans moyens de subsis-
tance, Ceux-ci demandèrent la résolution du contrat et
20,000 fr. de dom mages-intérêts. Un jugement par dé-
faut accueillit cette demande. Sur l'appel, le maître pré-
tendait que le contrat était nul, d'une nullité d'ordre
public violant l'article 1780 du Code civil et soutenait
que sa liberté individuelle était engagée. La Cour, en
-se basant sur l'art t 780, admit que le maître ne pouvait
pas non plus se lier à l'égard du domestique par un
engagement ir résoluble, durant toute sa vie, mais n'en
-condamna pas moins le maître à payer des dommages-
intérêts. La décision, telle qu'elle est, est contraire aux
principes; car si le contrat était nul, il ne pouvait pas
produire des effets comme celui de donner lieu à des
dommages-intérêts. Elle est juste à un autre point de
vue; parce que l'engagement n'était pas, dans l'espèce,
contraire à l'art. 1780, ni au r~gard du maître ni au
regard des domestiques. Nous avons déjà dit plu~
haut qu'un homme de cet âge pouvait engager pour
sa vie un plus jeune domestique sans se mettre sous le
·coup de l'art. '1780, sans qu'on puisse lui .dire, qu'il
1
( ) Paris, 20 juin 1816 Dalloz au mot Louage d,ouvrage, n° 26~

- '147-
engage sa liberté. C'est d'après ces motifs) qu'on devait
condamner le maître à payer des dommages-intérêts (1).
Si la convention, qui était nulle, a néanmoins été exé-
cutée pendant un certain temps, il est évident que le
maître doit payer les services qu'il a reçus (2). Mais quel
est le prix de ces services? Doit-on appliquer celui
porté au contrat? Non, puisque le contrat infecté d'une
nullité radicale ne peut pas plus lier les contractants
pour le passé que pour l'avenir. Et d'ailJeurs, le prix
dans ce contrat perpétuel ne peut être le même que
pour un contrat temporaire. Ainsi j'engage un ouvrier
à perpétuité à un prix bien élevé; car je sais que pour
de longues années j'aurai un ouvrier habile et bon
· travai1leur. Il se peut aussi qu'un ouvrier s'engage à
perpétuité, à un prix minime, en prenant en consi-
dération qu'i1 aura toujours de quoi vivre. Il serait
injuste de s'en tenir au prix stipulé dans Je contrat.
Les juges du fait seront absolument libres de fixer
l'indemnité due à l'ouvrier. Ils pourront donc allouer
à l'ouvrier ou domestique une indemnité beaucoup
plus élevée ou moindre que les gages convenus. Ils
. devront prendre en considération la nature des ser-
vices, lé taux, les usages du pays) le déplacement de
l'ouvrier, la situation qu'il a laissée, pour venir donner
ses services à son nouveau maître (8).
(f) Laurent, T. 25, no 495.
e) Zacharie, T. 3., p. 35.
3
( ) Arrêt de Bordeaux du ~3 janvier 1827, et de Lyon, du
4 mai f865; Dalloz 66, 2e p., p. 65; Troplong, II, n° 854;
· Toullier T. IX,. n° 256; Duranton, t. XVII, n° 286.
t48-
Si les parties, dans le louage de services, ont stipulé
un terme à la durée du contrat, et que le contrat soit
résilié avant ce terme, il y aura à payer des dommages-
intérêts à la partie lésée. Les parties peu vent, en fixant
un terme à la durée du contrat, convenir que chacune
d'elles ou l'une d'elles pourra résilier la convention à
sa volonté. Cette clause n'est pas une condition pro-
testative qui vicierait le contrat, dans les termes de
l'art. 1'174, elle a pour but d'empêcher toute demande
de dommages-intérêts; car nous savons que toute
obligation de faire, peut être rompue en payant les
dommages-intérêts. La clause donc à ce titre est par-
faitement licite (1).
Nous avons dit plus haut que l'article 1780 ne per-
met pas le louage de services à perpétuité, un pareil
contrat ne produit pas d'effet. Cependant une brusque
cessation de services peut faire tort à l'une des parties;
alors il y aura lieu à des dommages-intérêts; seule-
ment ces dommages-intêrêts ne seront pas motivés sur
l'inexécution du contrat, mais ils pourront l'être pour
divers motifs: par exemple, si l'une des parties a, de
mauvaise foi, déterminé un étranger qui ne connaît
pas les lois à contracter avec elle pour la vie; ou bien
il pourra arriver que les deux parties connaissent la
nullité de la convention, aient, d'un commun accord,
continué leurs relations de maître à domestique; il y
aura bien encore lieu à dommages intérêts; car il y a
violation d'un nouveau contrat, formé par suite d'une
(1) Lyon, 6 févr., Sirey, o7, II, :>60, et Dalloz, :>7, II, 22.Q.
-1.49-
entente tacite; seulement les dommages-intérêts ne
devront pas représenter les bénéfices qu'aurait pro-
curés l'exécution complète du contrat originaire, fait
en violation de l'article 1780, mais simplement le tort
causé à l'une des parties par la cessation brusque de
l'autre.

SECTION Vi

COMMENT LE CONTRAT DE LOUAGE DE SERVICES PREND FIN

Le contrat de louage de services finit par l'expiration


du temps fixé entre les parties, expressément ou taci-
tement, pour la durée de l'engagement (art. 1.134
Code civil). Ainsi je loue les· services de quelqu'un
pour vendanger mes vignes, une fois les vendanges
finies, le contrat n'existe plus. Si le louage a été fait
pour un terme indéterminé,_ c'est-à-dire si aucun
terme n'a été stipulé, chaque partie peut faire cesser
le contrat à son gré~ à la condition de prévenir l'autre
partie quelque temps à l'avance de son intention, par
uu avertissement qui se nomme con,gé (1). Le délai
dans lequel on doit prévenir l'autre partie de son in-
tention varie suivant la forme du contrat. Dans quel-
ques cas il pourra être de quelques heures; dans
d'autres, il sera souvent de plusieurs semaines. Ainsi,
(1) Cass. o août 1.873, Dalloz 187 ~' 1, 6o; Cass. 28 avril
187~; Dalloz 187~, 1, 30~; Cass. 1.0 mai 1.876, Dalloz :l87o, I,
198; Cass. :lü mai 1.876, Dalloz 1.876, 1, ~2~; Rennes, 2~ juill.
187~: Dalloz 1.87o, V, 278.
- '150-
dans les engagements formés à tant par semaine, il
sera évidemment plus court que dans ceux qui sont
faits à tant par trimestre ou à tant par année. Il fau-
dra encore toutefois que le délai de congé ne soit pas
donné à contre-temps, c'est-à-dire à une époque telle
que la cessation des relations puisse amener un pré-
judice considérable pour la partie à qui le congé est
signifié. Le maître est passible de dommages-intérêts
s'il renvoie sans motif et brusquement son ouvrier ou
son domestique (1).
Nous avons vu que sous l'ancien régime le maître
ou le patron avait beaucoup d'autorité sur les gens
qu'il avait à son service. Un maître pouvait congédier
son domestique quand il le voulait, la réciprocité
n'existait pas. Si le domestique voulait donner son
congé, il devait attendre pour quitter le maître soit
que celui-ci eût trouvé un autre domestique, soit jus-
qu'au terme où l'habitude était de louer des servi-
ces (2). Les déceet'' du 8 octobre '18'10 et du 25 novem-
bre '18'13 traitent encore comme gens 8uspects les
domestiques. Aujourd'hui ces mœurs ont bien changé,
On reconnaît que le droit de donner congé appartient
au domestique comme au maître. Une véritable éga-
lité se trouve établie entre les parties et on n'a qu'à
applaudir à ce changement (3).
(1) Cour de Paris, 2 aoùt 1871.,; Dalloz 1874, V, 3~2; Cass.
5 févr. :1.872, Dalloz :1.872, V, 3:1.; Cass. 8 févr. :1.859, Dalioz
1859: I, 57.
( 2 ) Pothier, du Louage, n° 176.
( 3 ) Henriode Pansey, Compet., chap. 30; Aubry et Rau, IV",

~ 372, texte et notes, 5, p. 514; Troplong, n° 864.


- '151-
Le délai pour donner congé est fixé par l'usage) qui,.
de son côté, est fondé sur la facilité plus ou moins,
grande qu'ont Jes maîtres de trouver quelqu'un d'autre
à leur service) et l'ouvrier de Lrouver un autre em-
ploi (1). Ce délai varie sui va nt la nature des services.
qui sont l'objet de la convention. Ainsi, s'il s'agit d'un
domestique attaché à la personne, l'usage presque
général est que le contrat soit à Lemps indéterminé,.
résiliable au gré de chaque partie en donnant congé
huit jours d'avance (2). Voici l'usage confirmé parJa
Cour de cassation (3) concernant les engagements dra-
matiques. Un chanteur, engagé en '1849 à l'Opéra de
Paris pour une durée indéterminée, se vit renvoyé en
~t856 sans que ce fut une conséquence d'une résolution
judiciaire. Le directeur alléguait qu'il n'avait pas,
rempli ses engagements. La Cour de Paris décida que
le directeur n'avait pu congédier l'artiste qu'en lui
donnant, suivant l'usage reçu en matière d'engage--
ment dramatique, un congé d'une année.
S'il s'agit d'un ouvrier agricole attaché à une exploi-
tation, l'usage général est que l'engagement se fait
aussi pour un an, sauf à être renouvelé d'année en
année, par ce qu'on appelle en droit la tacite recon-
duction. En cas de tacite reconduction l'ouvrage est
présumé continuer aux conditions et moyennant le.
(1) Besançon. 27 mai 1.872, Annales 1.877, p. !07.
1
(' ) C'est l'usage à Paris, à Lyon et dans beaucoup d'autres.

villes en France.
(3) 8 févr. 1859, Dalloz 18:59, I, ·57. Aubry et Rau, t. IV"
p. 51.4, note 5.
-152-
prix précédemment arrêté, et c'est à celui qui allègue
une dérogation qu'il incombe de la prouver par les
voies ordinaires du droit.
Du principe que la tacite reconduction se forme par
le consentement présumé de J'ouvrier et du maître, il
résulte que si, au moment de l'expiration du premier
,terme d'engagement l'un ou l'autre se trouve dans
l'incapacité de donner un consentement valable, la
reconduction est impossible (1).
Pour donnér le délai de congé il n'y a pas de forme
:sacramentelle; une simple déclaration verbale même
suffit, si elle n'est pas déniée. Mais, dans quelques cas,
il est prudent de le constater par écrit.
Le contrat de louage de services finit encore par le
!consentement mutuel des deux parties. Dans ce cas il
~est évident que la résolution a lieu, même avant l'ex-
piration du temps stipulé, avec ou sans dommages
intérêts, selon que les parties en conviennent.
Le contrat de louage de services étant fait en consi-
dération des qualités personnelles ·de celui qui lone les
.services, intuitu personœ, prendra fin à la mort de
l'ouvrier ou du domestique. Donc la mort de l'ouvrier
ou domestique est un cas formel de résiliation du
=eontrat. La résiliation est prononcée autant dans l'in-
térêt du maître que de l'ouvrier et (lu domestique, et
,peut être invoquée tant par l'un que par l'autre; les
-héritiers du domestique ne pourraient donc pas, si

(1) Pothier, no 345; Troplong, no 453; Duranton, t. 17,


no :1.7i; Duvergier, no 24.
-153-
cela leur paraissait avantageux, continuer l'exécution
du contrat malgré le maître. (1)
Si le maitre meurt, le contrat continue à subsister
avec les héritiers qui doivent l'exécuter. Il me semble
cependant que cette règle ne doit pas être généralisée_,
car il y a des cas où le contrat pourra prendre fin par
la mort du maître. Ainsi si on engage un domestique
pour faire la lecture au maître aveugle et que Je maître
meurt. Ici c'est en ·considération de la personne du
maître que les services du domestique ont été loués.
C'est ce qui a été prévu par l'art. 347 du Code fédéral
des obligations suisse. Cet article est ainsi conçu: " Le
louage de service finit par la mort de celui qui a en-
gagé ses services ; il ne finit par la mort du maître que
si le cont1 at avait été conclu essentiellement en consi-
dération de sa personne. »
Une autre cause d'extinction du contrat est la force
majeure ou un cas fortuit, qui rendrait impossible la
continuation de l'ouvrage (Argument de l'art. '1'147 du
C. C.) Ainsi l'appel de l'ouvrier ou du domestique au
service militaire ou tout autre évènement, sur lequel la
volonté des parties ne peut rien, vient rendre impossi-
ble l'exécution de l'engagement; le contrat cesse·
d'exister. Mais tout ce qui est fait avant l'arrivée de la
force majeure doit se régler comme si le contrat avait
été réellement exécuté jusqu'au bout. Si la force ma-
jeure cesse, le contrat reprend vigueur, et l'engagement

( 3) Duran ton, X VII p. 258, Duvergier, IV 377, Zacharïœ,


III ~7.
u
- '154 ~

continue à condition que les parties ne se soient pas


pourvues aillrurs. Pour savoir si, lors du réglement on
doit tenir compte de cette suspension du travail causée
par la force majeure, on doit la comparer à la durée de
l'engagement. Ainsi, par exemple, un domestique à
l'année, tombe malade; si la durée de la maladie est
comparativement longue, le prix de l'engagement doit
subir une réduction proportionnelle à la suspension
du travail; si la durée de la maladie est comparative-
ment faible, il n'en sera tenu aucun compte, et le
maître n'a droit a aucune réduction du prix de l'enga-
gement, car il est eensé avoir prévu ces petites inter-
ruptions causée par des maladies.
Le mariage du domestique ne peut être considéré
comme évènement de force majeure car, c'est la Yolonté
du domestique qui est ici en jeu. (1)
La violation des engagements réciproques des parties
est aussi une cause d'extinction du contrat de louage
de services. Ainsi mau vaise conduite de la part du do-
mestique ou l'ouvrier, mauvais traitement de la part
du maître. Sous le régime de l'art. t 781, la question se
posait de savoir, si Je maître doit être cru sur son
affirmation, à l'égard des sujets de plainte qu'il allègue
contre son domestique, ou si l'on doit s'en rapporter
à la preuve ordinaire. M. Troplong (2) soutient plutôt
le premier système. C'est là une erreur évidente; rien
n'autorise à étendre ainsi arbitrairement et indéfini-

e) Troplong louage N° 876.


(2) Troplong louage N° 867.
- 155-
ment J'art.· 178'1. La preuve reste abandonnée au
droit commun: aucune différence donc entre les deux
parties.
Enfin, le contrat peut finir même avant l'achève-
ment de l'ouvrage, par la seule volonté du maitre, mais
à condition de dédommager l'ouvrier ou le domesti-
que. Ces derniers n'ont droit qu'aux bénéfices
certains et non aux bénéfices éventuels qu'ils pou-
vaient espérer. Ainsi il faut déduire du béné-
fice toutes les dépenses qu'ils auraient été obligés
de faire pour le réaliser. Cependant comme nul ne •
saurait être contraint par force à faire ce qu'il ne veut
pas faire, l'ouvrier ou domestique pourrait se refuser
à exécuter le contrat par le seul effet de son caprice,
mais alors il est obligé de dédommager son maitre.
Nous ne pouvons pas terminer notre section sans
énoncer que la législation française présente ici une
lacune considérable à laquelle il faudrait remédier au
plus vite.

Privilèges.

Le Code civil français n'accorde, nominativement


du moins, aucun privilège aux ouvriers à te rn ps, soit
sur le mobilier du maître, soit sur le prix de leur
ouvrage. 11 existe un privilège sur les meubles créé, par
l'art. 2101, 4°, pour les salaires de l'année échue et ce
qui est dû sur l'année couraute, mais il ne s'applique
qu'anx salaires des gens de serrice attach~s àla per-
- '156-
sonne qu'on nomme domestiques, et non aux salaires
de tous les ouvriers (1). Les motifs de ce privilège sont:
1° si les domestiques n'étaient pas privilégiés, le maî-
tre, qu'un malheur eût frappé dans ses biens, eût alors
été abandonné et privé de soins qu'une longue habi-
tude avait presque rendus nécessaires; 2° la créance
des domestiques formant souvent toute leur fortune,
l'humanité recommandait qu'on les protégeât contre
l'insolvabilité de leur maître. La faveur qu'on leur
accorde ne cause d'ailleurs qu'un très faible préjudice
aux autres créanciers, car les salaires qui leur sont
dûs ne sont jamais bien considérables (2 ).
La loi belge accorde le même privilège aux commis
et aux ouvriers. Pour les premiers, le privilège est
limité à six mois, pour Jes seconds à un mois; les
commis et ouvriers ont besoin de leur salaire pour
vivre; cette nécessité existe surtout pour les ouvriers.
Elle n'est pas la même pour les domestiques qui sont
nourris aux frais du maître.
Le .privilège des domestiques appartient aussi aux
serviteues attachés à une exploitation rurale lorsqu'ils
se livrent aux travaux de champs dans les conditions
qui caractérisent la domestieité CS). Ce privilège se
porte non seulement sur le salaire proprement dit,

( ) Cass. 1.0 février 1.829; Dalloz, Répert., Privilège, no 201., 3;


1

Pari8, 20 juillet 1828.


( ) Mourlon, III~ D 1268.
2 9

e) Cass. 26 juin 1878, Dalloz~ 1878, I, 243; Juge de paix


de Macin, 15 avril 1880, Bulletin des Dé ·isions, 1.880, 373.
- 157-
mais encore sur les indemnités accessoires au salaire,
ainsi les frais de déplacement d'un ouvrier.
Pour avoir droit à un privilège sur les meubles du
maître, il faut que l'objet qui est affecté au privilège
soit dans sa possession du débiteur; du moment que
ces objets passent sans fraude entre les mains d'un
tiers de bonne foi, le privilège disparaît. C'est ainsi
qu'il a été jugé que les ouvriers n'ont de privilège sur
la récolte qu'ils ont faite que tant que cette récolte
n'est pas sortie de la possession de celui qui les a fait
travailler pour passer entre les mains d'un tiers, tel
que le nouveau fermier qui a remplacé le débiteur
après la résiliation de bail (1).

De la Prescription.

Les actions résultant d'une convention, quelle qu'elle


soit, doivent être exercées dans un délai déterminé;
sinon, elles périssent d'elles-mêmes, et cette déchéance
est la prescription. La prescription donc s'applique
aussi au contrat que nous étudions.
L'article 227'1 du Code civil porte que «L'action des
ouvriers et gens de travail, pour le payement de leurs
journées, fournitures et salaires, se prescrit par six
mois.» Et J'artir.le 2272, dit que « L'aGtion des domes-
tiques qui se louent à l'année, pour le payement de
leurs salaires, se prescrit par un an.- •
Ces deux prescriptions reposent sur une présomp-
(1) Bourges, 3 mars 1877, Annales 1878, p. 2(1.0.
- '158-
tion du payement, et elles ont pour but d'éteindre des
actions qui ne sont fondées sur aucun titre écrit (1).
Le législateur supposait que l'ouvrier ne reste pas six
mois sans réclamer ses journées, ou le domestique un
an sans réclamer ses gages, et s'il garde le silence
pendant ce temps, il suppose qu'il a été payé. Les
salaires, les gages sont dûs à des gens qui ont besoin
du prix de leur travail; pour cela ils sont payés à de
courtes échéances. D'un autre côté, les prix de ces
engagements, sont Je plus souvent des sommes modi~
ques, et laisser écouler un grand espace de temps
avant de les réclamer serait souvent mettre le maître
dans l'impossibilité de pouvoir justifier de sa libé~
ration.
La prescription, dit l'article 2274 du Code civil,
court, bien qu'il y ait continuation de service; elle ne
cesse de courir que lorsqu'il y a eu compte arrêté,
cédule, obligation ou citation en justice non périmée.
La dette, une fois reconnue, il faut trente ans pour
prescrire.
La prescription ne peut pas être invoquée, si elle
résulte des explications de ceux qui l'invoquent, ou des
circonstances de la cause que le payement n'a pas été
effectué. Ainsi, lorsqu'un débiteur, après avoir allégué
qu'il s'est libéré, mais qu'il a égaré les quittances,
invoque la prescription de six mois établie par l'ar-
ticle 227'1, si le créancier produit une lettre dont la
date se rapporte à l'époque du prétendu payement et

(1) Bourjon, t. 2, p. 577; Troplong, nos 9~3 et suivants.


-159-
dans laquelle le débiteur déclare que, trouvant exhor-
bitant le prix des salaires qu'on lui réclame, il ne
payera que la somme qui sera arbitrée par le juge, il
n'y a pas lieu, dans ce cas, d'accueillir le moyen tiré
de la prescription (1).
Les domestiques qui se Jouent, non à l'année, mais
à la journée, à la semaine ou au mois, devraient être
considérés comme gens de travail, et la prescription
de six mois leur serait applicable (2).

Compétence

La compétence du juge de paix, en matière de louage


de services, est fixée par l'article 5 de la loi du 25 mai
1838, lequel article est ainsi conçu :
( Les juges de paix connaissent, sans appel,jusqu'à
la valeur de cent francs, et, à charge d'appel, à quelque
valeur que la demande puisse s: élever..... , des conteRta-
tions relatives aux engagements respectifs des gens de
travail au jour, au mois et à l'année, et de ceux qui les
emploient, des maîtres et domestiques on gens de ser-
vices à gages, des· maîtres et de leurs ouvriers ou ap-
prentis, sans toutefois qu'il ~oit dérogé aux lois et rè-
glements relatifs à la juridiction des prud'hommes. »
C'est le Conseil des prud'hommes qui est chargé de
concilier et de juger les différends entre les fabricants.
et ouvriers.
(') Bruxelles, 22 octobre i817.
(li) Marcadé, sur l'art. 2272, n° 2.
- 160-
1

Le juge des référés peut être appelé à statuer sur les


difficultés nées du louage de services. Ainsi, par exem-
ple, un domestique congédié par son maître, refuse de
vider les lieux, sous le prétexte qu'il n'est pas payé de
ses gages. En pareil cas, le juge des référés est corn pé-
tent, parce qu"il peut y avoir urgence à ordonner l'ex-
pulsion du domestique. (Article 806 do Code de procé-
dure civile.)

Différence entre le louage de service et le


mandat salarié.

De l'étude que nous avons faite jusquJici sur te


louage de services, il ressort que ce contrat, sur beau-
coup de points se rattache à l'échange, au louage de
choses, à la vente et au mandat; il pouvait être utile de
mieux expliquer ce lien, mais ces détails nous entraî-
neraient trop loin, car à eux seuls, ils pourraient faire
l'objet de plusieurs études de l'étendue de la nôtre.
Disons cependant très brièvement la différence qui
existe entre le contrat que nous étudions et Je mandat,
car cette question soulève quelques difficultés.
Quel est le signe caractéristique par lequel le louage
de services se distingue du mandat lorsque ce dernier
est salarié ? Une fois la nature du contrat reconnue,
les conséquences juridiques varient. Et, d'un autre
côté, la question a un intérêt pratique; notons tout de
suite que cet intérêt se manifeste principalement en ce
qui concerne: t o la solidarité (art.2000) non applicable
- '16'1-
au contrat de louage); 2° la renonciation (art. 2007).
C'est surtout au point de vue de la solidarité que s'agi-
tent de graves intérêts. Mais laissons ça de côté et
répondons à notre question posée. Plusieurs auteurs (1)
adoptant la théorie du droit romain estiment que
lorsque le travail salarié est purement mécanique
ou matériel, celui qui fournit ce travail n'est qu'un
locateur d'ouvrage qui reçoit un prix, tandis que lors-
qu'il s'agit de services rendus par une personne qui
offre un travail plutôt intellectuel que matériel, tel
qu'un médecin, un avocat, etc., etc., cette personne est
un mandataire salarié qui reçoit des honoraires et non
pas un prix.
Nous allons démontrer qu'il n'y a pas lieu de faire
une distinction entre les services d'ordre inférieur
qui sont payés et les services librement rendus qui
sont rétribués par les honoraires. Point de distinction
entre les diverses professions qui exercent l'activité de
l'homme; elles sont toutes égales, parce que toutes sont
également utiles, et que de leur concours résultent
l'ordre et le bien-être dans la société.
L'obligation de louage de services c'est l'obligation
de faire quelque chose moyennant un prix. Dans le
mandat salarié, nous trouvons la même chose (articles
'1984 et 1886 C. Civil) seulement, dans Je premier con-
trat on fait quelque chose en agissant en son nom ;

(1) Pothier, Mandat n° 26 et suiv., no i25; Troplong, Louage,


t. 3, nos 79i et -suiv.; Merlin, Rep. v. Notaire, § 6. no ~; Duran-
ton, XVIII, :196; Marcadé, art. :1779.
tandis que dans le second on reçoit un pouvoir d'un
mandataire au nom de qui on agit, c'est-à-dire qu'il
faut la transmission d'une capacité du mandant au
mandataire pour pouvoir agir. Un avoué est un man-
dataire, car il pose des conclusions au nom de son
client; un avocat ne l'est point, car il ne peut que dé-
velopper et défendrè ses conclusions. Le médecin que
je charge de soigner mon enfant malade n'a fait avec
moi qu'un louage d'ouvrage, et non pas un mandat,
parce ·que le médecin ne me représente pas, tandisque
si je charge quelqu'un de m'acheter une propriété, il
est mon mandataire, parce qu'il me représente et agit
pour moi, il acquiert pour mon compte. - Un profes-
seur qui m'a promis moyennant une certain prix de
s'occuper assidu ment de mon instruction, n'est pas
l.J.n mandataire; car je ne lui ai pas confié un pouvoir
qu'il n'avait pas;. il ne représente pas ma personne et
il n'agit pas en mon nom; donc le contrat n'est pas
un mandat mais un contrat de louage.
On s'est beaucoup attaché à présenter comme trait
distinctif de ces deux contrats l'existence du prix dans
le louage et l'absance du prix dans le mandat. Dans le
premier cas dit-il nous avons un véritable prix ~merces,
tandis que dans le second nous avons des honoraires.
On a considéré les œuvres des profe~sions, dites
libérales, émanant de l'intelligence et du cœur,
comme trop nobles et trop elevées pour qu·on
puisse les apprécier en argent, par oppositions aux
œuvres émanant de la force physique seulement
qui sont susceptibles d'un véritable prix. Mais nous
-1.63-
savons qu'aupoint de vue du jurisconsulte, toutes les
professions sont égales, du moment qu'elles sont toutes
également utiles. L'honneur n'est pas dans la profes-
ion elle-mêsme mais dans la manière dont on l'exerce.
Ainsi il y a des humbles serviteurs plus nobles que
tels autres qui se croient des mandataires. L'équité, la
réciprocité, voilà le principe véritable de toutes les
professions. Mais n'allons pas trop loin, demandons-
nous si, surtout dans l'époque actuelle, vu le dévelop-
pement des professions mécaniques, qui exigent des
·connaissances toutes spéciales et un degré très élevé
d'intelligence, on peut distinguer la pl'ofession libé-
rale de ce qui ne l'est pas? Nous répondons négative-
:p1ent : n'y a-t-il pas, en effet, des ouvriers, des
domestiques qui mettent plus d'intelligenèe dans leur
ouvrage que tel auteur dramatique dans sa pièce? Et,
d'un autre côté, les travaux qui paraissent les plus
intellectuels ne supposent-ils toujours une certaine
action purement physique? Ainsi la différence sera
une différence de plus ou moins, et non une différence
absoJue; dès lors il y aura une transition bien embar-
rassante, et des cas où l'on se demandera (tu elle peut
être au juste la part de l'intelligence et celle du travail
'physique dans telle ou telle profession. A mon avis la
limite entre l'œuvre de l'esprit et celle de la main est
très difficile à poser.
C'est une erreur absolue de dire encore que les tra-
vaux qui font l'objet des professions libérales ne peu-
vent s'estimer pécuniairement; la valeur est une chose
absolument relative. En quoi la nature du prix répu..
-164-
gne-t-elle à la nature des travaux de l'intelligence? Le
prix n'est autre chose que le résultat de la grande loi
économique de l'offre et de la demande; plus un ser~
vice est recherché, plus il est cher; plus il est offert,
plus il est à bon marché. Le service de l'avocat, du mé-
decin, vaudra telle ou telle somme, suivant les usages,
suivant le talent de l'individu, suivant le besoin qu'on
a de lui. Donc, rien n'empêche que l'on ne puisse esti-
mer et payer les soins de l'un ou de l'autre à leur juste
valeur. Il est vrai que l'équivalent pour les services ren-
dus par des gens de professions libérales est impossi-
ble à trouver; mais il en est de même pour le labou-
reur dont le travail vous permet de vivre, pour le do-
mestique dont les veilles se passent à vous soigner, la
nourrice qui allaite votre enfant, etc., etc. Et puis le
résultat du service n'entre pas d'une manière directe
dans l'estimation; ce que l'on considère, c'est la plus
ou moins grande difficulté d'obtenir le service rendu.
La juste valeur ne doit pas se chercher dans le résultat
auquel l'avocat ou le médecin aboutit, car, lorsque le
procès est perdu ou que le malade succombe, l'avocat
ou le médecin n'en a pas moins droit à des honorai-
res. Il est clair alors qu'il n'y a plus de prétexte pour
dire que le service, considéré dans ses effets, est au-
dessus de la_récompense.
En résumé, on ne doit pas admettre de distinction
entre les professions libérales et celles dites illibérales.
CONCLUSION

Au· commencement de cette étude sur le louage de


services, nous avons cru nécessairè de faire en quel-
ques pages l'histoire de l'esclavage dans l'antiquité.
C'est en effet dès l'esclavage qu'il faut voir le commen-
cement des louages de services. Il est vrai que chez la
plupart des peuples de J'antiquité, les serviteurs étaient
simplement les vaincus, obligés de s'incliner devant la
loi du plus fort, et qu'il n'y avait entre l'esclave et son
maître aucune espèce de convention; mais les humbles
fonctions que remplissent aujourd'hui les domestiques
ou serviteurs ont été nécessairement remplies dans
l'antiquité par ceux que le droit de la guerre mettait
à la discrétion des vainqueurs, c'est-à-dire par les plus
misérables.
Cet état de choses a duré tant qu'a duré l'esclavage.
On peut même dire que l'histoire des domestiques et
serviteurs n'est autre que l'hi~toire même des change-
ments opérés dans l'organisation sociale par le temps
et les révolutions.
A 1' origine, le domestique est donc l'esclave. Plus
tard, sa situation s'améliore avec le colonat et le ser-
vage. Le moyen âge connut les serviteurs mercenaires.
Un tarif royal de 1.350 réglait avec soin les gages des
- 166-
gens de maison : u Les chambrières qui servent aux
gens de Paris, dit ce tarif, seront payés trente sols l'an,
le plus fort et non plus) et les autres à leur value, avec
leur chaussement en sus. » (1) Mais jusqu'à la Révolu-
tion, la classe des serviteurs fut soumise à des règle-
ments sévères, tenue dans une certaine dépendance,
bien que le louage de services nous apparaisse dans
l'ancien droit comme un véritable contrat, émanant de
personnes libres. Les domestiques étaient réputés exer-
cer une profession sordide.
Aussi) en '1793, la Convention nationale, pour affir-
mer de nouveau l'abolition de toute servitude, disait
dans sa Constitution : u La loi ne reconnaît pas de do-
mesticité; il ne peut exister qu'un engagement de soins
et de reconnaissance entre l'homme qui travaille et ce-
lui qui l'emploie. »
Il y avait dans cette formule une protestation contre
un régime qui rappelait encore les anciennes tradi-
tions de la servitude.
Ainsi, il n'a fallu rien moins qu'une révolution for-
midable, qui a bouleversé de fond en comble l'organi-
sation sociale et a fait table rase des titres, d-istinctions
et privilèges, pour que le domestique pût être et fût
proclamé l'égal de son maître devant la loi. L'inégalité
permanente de conditions disparaît pour faire place à
une égalité qui supprime toute distinction en classes
·tranchées et ne met plus en face les uns des autres
que des citoyens dont aucnn n'est inférieur ou supé-

(1) Voir l'Economie Française, du 5 février et 4 mars 1.876.


- '167-
rieur à un autre. Il y a bien encore, sans doute, des
maîtres et des serviteurs; mais les rapports entre ces
deux parties sont profondément modifiés. Il n'y a plus
ici, comme autrefois, un être inférieur, socialement
parlant, qui en sert un autre. Il y a en présence deux
êtres égaux traitant pour un travail donné, d'après les
rapports naturels entre l'offre et la demande, qu'un ac-
cord momentané et libre de deux volontés a rappro-
chés en vue d'un service quelconque, et dont, de par
l'exécution d'un contrat de bonne foi, l'un doit com-
mander et l'autre obéir. Seulement, disons en passant
qu'il faut se garder de l'excès du principe de l'égalité,
car il peut amener souvent une rupture d'équilibre
dans les forces sociales de la nation et causer les plus
grands désordres.
A partir de la Révolution, le domestique se trouve
sous l'empire du droit commun; les règles générales
des conventions sont applicables au louage de services.
C'est ce qui nous explique pourquoi le Code civil, qui
a tracé avec soin les règles de tous les contrats, ne s'est
point occupé d'une manière spéciale du louage de ser-
vices; au contraire, l'article !1781 du Code ci vil a pu
être, jusqu'à son abrogation par la loi de 1868, consi-
déré comme une résurrection de l'ancienne prédomi-
nance du maître sur son serviteur.
C'est là, il faut le dire, une lacune regrettable dans
le Code français. En effet, le droit commun ne peut suf-
fire pour régler tous les rapports des hommes entre
eux; il y a des situations particulières, qui doivent
être soumises à une législation spéciale. Telle est la si-·
-168-
tua ti on des maîtres et des serviteurs. Il n'était point
suffisant d'établir l'égalité civile du maître et du do-
mestique; il aurait fallu réglementer en détail leur si-
tuation respective, et ne pas abandonner à l'usage et à
la coutume la solution des difficultés qui naissent du
louage de services, au sujet de la preuve et de la durée
du contrat, du congé, des gages, de la tacite reconduc-
tion.
C'est ce qui a été fait en Suisse, quoique, à notre
avis, d'une manière incomplète.
Le Code fédéral des obligations s'occupe du louage
de services dans les articles 338 à 349; mais il contient
peu de règles spéciales sur ce contrat. Il s'en rapporte
le plus souvent à l'usage des lieux, à la coutume.
Nous citerons toutefois la disposition spéciale de
l'article 343, d'après laquelle, à défaut de la Joi ou de
l'usage, le contrat peut être résilié, pour la fin de cha-
cun des trimestres de l'année, moyennant un congé
donné au moins six semaines à l'avance.
Les codes de la Hongrie, du Brésil (1), de l' Allema-
gne (2), renferment égédement des dispositions plus ou
moins développées sur 1e louage de services.
Le Code hongrois contient une loi très remarquable
sur le règlement des relations entre les domestiques et
leurs maîtres ( donnettrs de services),et sur les ouvriers
et journaliers de la campagne. (3)

(1) Voir Annuaire de la législation étra-ngère, i879, p. 932.


(2) Lehr, Eléments de drolt civil germanique, JJ. 2:1.0.
3
( ) Voir Annuaire de la législation étrangère, i876, p. 370.
- '169-
Les articles 26 à 34 de cette loi traitent des obliga-
tions du maître. Elles sont, dans le silence du contrat,
déterminées par l'usage de la localité, en ce qui con-
cerne les gages, le logement, la nourriture, l'habille-
ment, etc.
Le maître est obligé de veiller à ce que les enfants
et jeunes gens à son service, qui sont tenus de fré-
quenter l'école, s'y rendent régulièrement, conformé-
ment à la loi hongroise de '1868 sur l'instruction po-
pulaire.
Le maître doit en outre veiller à ce que le domesti-
que mène une vie sobre, économe et morale, et ne soit
pas employé à des travaux dépassant ses forces phy-
siques, ou nuisibles à sa santé. S'il s'agit d'enfants as-
treints à fréquenter l'école, le maître doit veiller en ou-
tre et spécialement à ce qu'ils ne soient pas employés,
pendant un temps, à des travaux capables de les re-
tarder ou de mettre en péril leur développement phy-
sique ou leur croissance.
Dans le cas où le domestique tomberait malade pen-
dant la durée de son service, sans sa faute ou celle de
son maître, celui-ci doit faire soigner son domestique,
soit dans la maison, soit au dehors. Si la maladie a été
causée par la faute du maître,_ l'obligation de celui-ci
persiste, même au delà du mois, jusqu'à la guérison,
et les gages continuent à courir pendant tout le
temps.
Par contre, l'obligation du maître ne prend même
pas naissance: si la maladie a été causée par le genre
de vie léger ou immoraJ du domestique) ou générale-
- 12
- 170-
ment par ga faute. En ce c.as, l'obligation de supporter
les frais de maladie inr;ombe au malade lui-même ou
à ses parents solvables.
Les obligations du domestique sont énumérées dans
les art. 35 à 47 de la loi.
En général, le domestique est tenu d'exécuter avec
fidélité, ponctualité et de son mieux tous les travaux
pour lesquels il s'est engagé, s'il ne s'agit de les faire
que pendant peu de temps, et si le domestique chargé ,
d'y vaquer ordinairement est malade, absent ou em-
pêché d'une autre manière. En cas de refus du domes-
tique de satisfaire aux obligations ci-dessus, l'autorité
peut, sur la demande du maître, emp-Ioyer des mesures
de contrainte pour l'y forcer, et il sera en outre res-
ponsable du dommage.
Le domestique doit donner, sans retard, connais-
sance à son maître des actes déshonnêtes ~ommis par
les autres domestiques; s'il néglige de le faire, il répond
du dommage qui aurait pu être évité par sa révélation,
dans le cas où ce dommage ne peut être réparé par
l'auteur même de l'acte.
Il est interdit au domestique de sortir pour ses pro-
P'res affaires, ou pour son propre plaisir, à l'insu et
san5 le consentement de son maître. Il ne doit pas non
plus recevoir de visites, si le maître le lui a défendu, et
spécialement il ne peut recevoir quelqu'un pour la
nuit, sans autorisation expresse du maître.
Il doit, si le maître le demande, garder dans la mai-
son de celui-ci sa malle, ses habits et tous ses efl'ets
mobiliers. En cas de soupçon fondé, le maître peut.
- 171-
examiner les effets du domestique, en présence de ce-
lui-ci: toutefois, si le domestique s'y oppose, l'examen
ne peut avoir lieu qu'en présence du maire de la com-
mune, d'un agent de l'autorité ou agent de po liee.
L'extinction du contrat et ses suites font l'objet des
articles 48 à 58.
En principe, l'engagement ne peut être résilié, par la
volonté de l'une des parties, avant l'arrivée du temps
fixé pour sa durée. Une fois la durée du terme près
d'expirer, la partie qui ne veut pas continuer l'engage-
ment au delà de ee terme, doit, s'H n'y a pas stipula-
tion contraire dans le contrat, donner congé à l'avan'ce.
Le congé doit être donné deux mois avant l'expiration,
s'i~ s'agit de domestiques employés hors de la maison,
et six semaines (quinze jours dans certaines villes)
avant cette expiration, s'il s'agit de domestiques ser-
vant dans la maison.
Ainsi qu'on le voit par les citations que nous venons
de faire, la législation hongroise ne considère pas le
louage de services comme un contrat des ti né à régler
simplement des intérêts pécu11iaires entre le maitre et
son serviteur. La question morale n'est pas oubliée. Le
maître n'a pas seulement des droits vis-à-vis de son
serviteur, il a des obligations morales à remplir; de
son côté, le serviteur doit veiller à ce qu'il ne soit pas
porté préjudice à son maître.
Ces sages prescriptions du Code hongrois sur le
louage de services méritent d'être inscrites dans toutes
les législations. Voilà pourquoi nous avons tenu à les
mentionner dans notre conclusion. Nous dirons, toute-
- 172-
fois, que nous ne saurions admettre la contrainte pour
obliger le domestique à remplir son engagement. En
drolt français, toute obligation de faire ou de ne pas
faire se résout en dommages-intérêts, en cas d'inexé-
cution de la part du débiteur (art. 1'142 C. civil).
Dans le cours de cette étude, nous en avons assez
dit sur la nature dn louage des services, les 1 droits et
les devoirs des maîtres et des serviteurs, pour faire
sentir combien il est nécessaire que le législateur
comble la lacune, qui existe dans le Code civil sur
cette importante matière.
Cette question préoccupe, d'ailleurs, tous nos juris-
consultes. Elle a donné lieu récemment à une discus-
sion intéressante à l'Académie des sciences morales et
politiques (dans les séances des 27 février, 7, '13, 20 et
27 mars 1886).
M. Glasson, l'éminent professeur de la Faculté de
droit de Paris, a présenté à l'Académie un mémoire
remarquable sur le Code civil et la qt~estion ouvrière.
Il a dit, dans son mémoire, que le contrat de travail
est le seul qui ne soit pas réglementé par la loi, qu'ainsi
les contractants sont obligés ou de tout prévoir ou de
s'en rapporter à des usages trop souvent douteux on
inapplicables. Il voudrait donc que le contrat de travail
fût l'objet d'une série de dispositions, qui, en s'inspi-
rant des usages établis, fussent de nature à les préciser
et à déterminer les effets du contrat. Ces lois, d'ailleurs,
étant d'intérêt privé, il pourrai.t y être dérogé par des
stipulations contraires. Dans 1' état actuel, les disposi-
tions du Code civil relatives au louage de services sont
-173-
absolument insuffisantes, et n'ons ne croyons pas que
les décisions de la jurisprudence puissent suppléer au
silence de la loi.
Les adversaires de toutes réformes mêmes légitimes,
ceux qui considèrent le Code civil comme une œuvre
parfaite, qui ne saurait être améliorée, ont prétendu
que toute réglementation nouvelle du louage de ser-
vices n'était ni dé si rab le, ni nécessaire; et que d'ail-
leurs il était à peu près impossible de faire une loi
spéciale sur ce contrat, parce que ses applications sont
trop nombreuses et trop diverses.
Pour répondre d'une manière péremptoire à ces
critiques, U suffit de dire que la plupart des législa-
tions étrangères contiennent des dispositions spéciales
et détaillées sur le louage de services. La nécessité
d'une loi nouvelle ne saurait donc faire quesiion ;
mais quelles sont les réformes qu'il conviendrait de
faire? Sans entrer dans tous les détails que comporte
.. une loi spéciale, voici, à notre avis, les modifications
principales qu'il serait utile d'introduire dans la loi
française :
1° Le louage de services n'étant établi que rarement
par écrit, la preuve par témoins devrait pouvoir être
admise, même au-dessus de· '150 francs, pour prouver
l'engagement_, ses conditions et sa durée, par déroga-
tion à -l'article '134'1 du Code civil.
Cette dérogation existe, en matière commerciale
(article 109 du Code de commerce).
2° Le délai du congé devrait être étendu et fixé, par
exemple, à deux ou trDis mois. Le délai de huit jours,
- 174-
qui est aujourd'hui consacré par l'usage, nous semble
vraiment dérisoire.
3° Une limite devrait être fixée à la durée de l'enga-
gement du domestique, sauf toutefois le droit de reloca-
tion. La durée pourrait être fixée à 10 ans, au maxi-
mum; car, tout engagement de trop longue durée de
la part du domestique nous paraît être une atteinte à
la liberté individuelle. Les raisons qui ont fait inter-
dire l'engagement perpétuel nous semblent militer en
faveur de cette solution. D'après la législation brési-
.lienne, l'engagement du domestique ne pent dépasser
une durée de 6 ans, d'après la législation russe 5 ans.
4° En matière de louage de services, la corn pétence
des juges de paix devrait être étendue jusqu'à la va-
leur de 600 francs sans appel, par dérogation à l'arti-
cle 5 de la loi du 25 mai 1838.
Les réformes que nous venons d'énumérer auraient
pour résultat de prévenir souvent les difficultés et les
contestations qui naissent de la légi~lation actuelle.
Quant à l'amélioration des rapports des maîtres et
des domestiques, il faut la demander à l'éducation et
au progrès des mœurs. Si les domestiques doivent être
fidèles et dévoués à leurs maîtres, ces derniers, de leur
côté, doivent se faire honneur d'être humains et bien-
veillants envers leurs domestiques. Ce n'es.t pas sans
raison que l'on dit vulgairement : « Tel maître, tel
valet! »

G.-P. LuBENOFF, licencié en drmt.


TABLE DES MATIÈRES

ApeFçu histoFique
Pages
CHAPITRE Ier - L'ES CLAV.AGE • 3
Section i. L'esclavage chez les peuples orientaux . . 7
Section 2. L'esclavage chez les Grecs et les Romains . 1.2
CHAP. II. - LE SERF. • • • • • • 33
CHAP. III. - LES DOMESTIQUES ET OUVRIERS • . • 39

Du louag.~ de services en droit romain

GÉNÉRALITÉS . • • • • 43
CHAP. Ier - RÈGLES COMMUNES A LA LOCA TIO CONDUCTIO

OPERIS ET OPERARUM . • 49
CHAP. II - DE LA LOCATIO OPERARUM • • • 6{
Section 1. Définition de la locatio operarum. 61.
Section 2. Obligation du locator operarum . . 63
Section 3. Obligation du conductor operarum 65
Section 4. Extinction de la locatio operarum . . 69

Du louage de services dans l'ancien


droit francais

Section 1. Droits et obligations des parties. . 73


Section 2. Durée du contrat . 78
Pages.
Section 3. Preuve du contrat . 80
Section ~- Prescription .' 81
Section 5. Résolution du contrat 83

Du louage de services dans le droit


Dloderne

Section 1. Ce qu'il faut entendre par domestiques et


ouvriers. 89
Section 2. Conditions nécessaires à la validité du con-
trat . 97
§ 1. Consentement des parties. 99
L'Erreur. 1.0i
De la violence . 103
Du dol . 106
§ 2. La capacité de contracter. 108
§ 3. Un objet ou ouvrage à faire . H1
§ ~- Une cause licite. H2
Section 3. De ]a preuve du louage de services . H6
Section ~- Droits et obligations des contractants 130
Section 5. De la durée du louage de services 139
Section 6. Comment le contrat de louage de services
prend fin 1~9
PRIVILÈGES • . 155
DE LA PRESCRIPTION 15 7
COMPÉTENCE 159
DIFFÉRENCE ENTRE LE LOUAGE DE SERVICES ET LE MANDAT
SALARIÉ • 160
CONCLUSION • 165

1,
i'

Il
.L(t ~FcteLûté de Droit aL~;torise t'impression de la
présente dissertation, sc~;ns entendre par là exprirner
tl) opinion SUit' les propositions qui y sont énoncées.

GENÈVB, le 16 juin 18813.


1
Le no!Je'l~~.• LOUIS JOUSSERANDOT. f- .._1

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