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UNIVERSITÉ JEAN MOULIN LYON 3

Année universitaire 2023/2024


Licence LLCER ANGLAIS
3° année
Semestre 5

TD Thème littéraire

1
Texte 1 – Fatou Diome, Le Ventre de l’Atlantique (2003)

La passion de mon frère pour le football est née assez tôt. Enfant, notre mère lui avait
offert une petite balle en caoutchouc qu’elle avait achetée en ville. Il apprit à marcher et à
taper du pied en même temps. Lorsqu’il tombait, il rampait jusqu’au ballon, se remettait
debout et tapait dessus avant de retomber. Notre mère l’encourageait en l’applaudissant :
- Bravo, mon fils, tu es un champion !
Il recommençait, en y mettant encore plus de cœur. Avec les années, ses pas s’étaient
affermis, ses tirs avaient gagné en précision, et ça commençait à manquer d’intérêt de taper
seul sur le ballon rond. A l’école coranique, il attendait impatiemment la récréation pour jouer
avec ses camarades. Malgré les prêches du maître d’école, qui réprouvait le football, le jeu se
prolongeait à la sortie des cours. Un vrai ballon, il n’y en avait pas souvent. Débrouillards,
comme tous les enfants du tiers-monde, les garçons ramassaient des chiffons ou des éponges
et les mettaient en boule dans un sac en plastique pour satisfaire leur passion. La nature du
ballon pouvait varier d’une semaine à l’autre, les règles du jeu être écorchées de temps en
temps – il arrivait que des techniques de lutte traditionnelle fassent irruption sur le terrain –,
mais la pratique de leur sport favori relevait du sacerdoce et ils ne laissaient rien l’entraver
longtemps. Personne ne pouvait les empêcher de se rendre sur ces terrains vagues d’où ils
revenaient exténués, couverts de poussière, les pieds truffés d’épines.
Longtemps, leurs aînés, qui fréquentaient l’école primaire française, furent leurs seuls
modèles. Ces derniers, organisés en équipes et entraînés, par l’instituteur, se faisaient appeler
sur le terrain du nom de leurs idoles françaises. Les quelques noms à consonance africaine
qu’on entendait étaient ceux des rares enfants du pays jouant à l’étranger, en France pour la
plupart.

Texte 2 – Françoise Sagan, Bonjour Tristesse (1954)

Et puis un jour, ce fut la fin. Un matin, mon père décida que nous irions passer la soirée à
Cannes, jouer et danser. Je me rappelle la joie d’Elsa. Dans le climat familier des casinos, elle
pensait retrouver sa personnalité de femme fatale un peu atténuée par les coups de soleil et
la demi-solitude où nous vivions. Contrairement à mes prévisions, Anne ne s’opposa pas à ces
mondanités ; elle en sembla même assez contente. Ce fut donc sans inquiétude que, sitôt le
dîner fini, je montai dans ma chambre mettre une robe du soir, la seule d’ailleurs que je
possédasse. C’était mon père qui l’avait choisie ; elle était dans un tissu exotique, un peu trop
exotique pour moi sans doute car mon père, soit par goût, soit par habitude, m’habillait
volontiers en femme fatale. Je le retrouvai en bas, étincelant dans un smoking neuf, et lui mis
un bras autour du cou.
« Tu es le plus bel homme que je connaisse.
– A part Cyril, dit-il sans le croire. Et toi, tu es la plus jolie fille que je connaisse.
– Après Elsa et Anne, dis-je sans y croire moi-même.
– Puisqu’elles ne sont pas là et qu’elles se permettent de nous faire attendre, viens
danser avec ton vieux père et ses rhumatismes. »

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Je retrouvai l’euphorie qui précédait nos sorties. Il n’avait vraiment rien d’un vieux père.
En dansant, je respirai son parfum familier d’eau de Cologne, de chaleur, de tabac. Il dansait
en mesure, les yeux mi-clos, un petit sourire heureux, irrépressible comme le mien, au coin
des lèvres.
« Il faudrait que tu m’apprennes le be-bop », dit-il, oubliant ses rhumatismes.
Il s’arrêta de danser pour accueillir d’un murmure machinal et flatteur l’arrivée d’Elsa. Elle
descendait l’escalier lentement dans sa robe verte, un sourire désabusé de mondaine à la
bouche, son sourire de casino. Elle avait tiré le maximum de ses cheveux desséchés et de sa
peau brûlée par le soleil, mais c’était plus méritoire que brillant. Elle ne semblait pas
heureusement s’en rendre compte.

Texte 3 – Gilles Leroy, Alabama Song (2007)

Soudain, notre ville endormie fut envahie de milliers de jeunes gens, des pauvres gars
pour la plupart, arrachés à leur ferme, leur plantation, leur échoppe, venus de tous nos Etats
du Sud tandis que leurs officiers frais émoulus de l’école militaire descendaient du Nord, des
Grands Lacs et des Prairies (jamais depuis la guerre civile on n’avait vu autant de yankees en
ville, me dit maman).
Si jeunes, si vigoureux, les guerriers rieurs fondaient sur nous avec beaucoup de bruit
et se déversaient par nos rues telles des nuées d’oiseaux en livrée bleue ou grise ou verte,
certains huppés d’or ou d’argent, ocellés d’étoiles valeureuses et de barrettes multicolores –
mais tous, les oiseaux du mess comme les oiseaux du rang, les sécessionnistes comme les
abolitionnistes, unis enfin, sinon réconciliés, tous reprendraient la route bientôt pour une
longue traversée de l’Océan vers la vieille Europe qui n’était pas encore celle de nos rêves
mais le continent d’une angoisse inconnue, cet inconnu qui consisterait à mourir dans une
guerre étrangère.
S’ils avaient peur, ils ne le montraient pas. Les bals se multipliaient dans les rues, sur
les terrains d’aviation qui entouraient la ville et dans les camps d’entraînement. […]
Je les entends encore bruire avec fureur : ce fier vacarme de pas qui claquent, de voix
braillardes et de verres entrechoqués, comme si vingt mille gars formaient un seul grand
corps, un titan au pouls fiévreux où l’on pouvait entendre bouillonner l’adrénaline et une
irrépressible montée de sève. C’était comme si l’imminence du danger et l’assurance d’autres
chocs, mortels ceux-là, rendaient ces hommes encore plus chahuteurs, enfantins et
curieusement euphoriques.
Et nous, les Belles du Sud, je ne sais pas trop comment ces garçons nous voyaient : un
essaim bourdonnant, peut-être, une volière d’oiseaux-mouches et de perruches affolées,
aussi. La seule raison de se lever et de vivre, c’était d’attendre la nouvelle parade en ville.

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