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D’ là-bas !

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Tu es d’ là-bas ? Oui ! Et de quelle
ville ? BENI-SAF.
Là-bas, terme employé par les
pieds noirs pour désigner l’Algérie.
Nous n’osions même pas
prononcer le mot Algérie tant la
douleur de l’avoir quittée était
grande.
Une Terre sublime, des paysages
à couper le souffle, un mélange de
cultures, de coutumes qui avaient
fait de nous ce que nous sommes.

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Nos ancêtres : des Alsaciens, des
espagnols, des maltais, des
italiens, des parisiens des juifs,
des catholiques, des protestants,
vivant en paix avec les arabes
descendants d’ottomans et de
diverses tribus aux noms difficiles
à prononcer. Un peuple de
nomades ou peu s’était
sédentarisé car cette terre qui ne
portait pas encore le nom d’Algérie
était une terre de conquêtes. Une
communauté vivant en paix de
1830 à 1930 (date de la création
de l’insignifiant parti populaire
algérien). Je passe les
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soulèvements d’une minorité
d’arabes vite éradiqués des
années 1945-1949 puis vint 1954,
le point de non retour.
Je ne retiendrai que le positif,
CENT années à vivre ensemble et
en paix.
Un pays que je n’oublierai pas,
tout un art de vivre entre
communautés si différentes.
Et puis ces odeurs, celles
entêtantes des fleurs du jardin de
la mairie que nous traversions
pour nous rendre au collège. Ces
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senteurs d’épices étalés dans
leurs sacs béants au souk. Ces
effluves de couscous que nous
mitonnait maman.
Les saveurs douces des Makrouds
enrobés de miel qui nous collait
aux doigts, les Msemen que j’aurai
mangé sur la « tête d’un
teigneux »
Tout cela me ramène là-bas.

--oOo--
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« Plage du Puits », c’était le
nom donné à cette charmante
plage de sable fin qui s’étendait du
port minéralier jusqu’aux falaises
de calcaire qui abritait l’aquarium
et l’énigmatique villa « le Rêve
bleu ».le village s’appelait BENI-
SAF petite ville côtière d’Algérie ou
nous vivions ma famille et moi,
dernière d’une fratrie de 4 filles.
Une famille bien ordinaire de
pieds-noirs, mot qui désigne de
manière familière des Français
installés jusqu'à l'indépendance en
Algérie.
Le chef de famille : papa,
« colon », issu d’une lignée de
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paysans. Mon grand-père avait
quitté sa Corrèze natale vers les
années 1880, plus précisément le
hameau du bas de Mansac, pour
s’installer comme agriculteur.
Pour la lignée de maman, des
arrières parents originaires de
l’Ariège.
Mon père Charles ou
« Charlot » pour les copains, des
yeux gris malicieux bordés de
pattes d’oie qui en disait long sur
son goût pour la rigolade.
Papa, un physique à la Clint
Eastwood sans le jean mais avec
un bleu qui ne tenait pas à la taille,
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un pan de chemise pendouillant
en permanence et un chapeau de
brousse aux rebords raidis par
l’eau de mer, vissé au sommet du
crâne.
Papa était aussi un amoureux
de la pêche et le poisson ne
manquait pas dans ces années là.
Papa se fichait complètement de
sa mise, et, maman, trop occupée
par ses 4 filles n’était pas
disponible pour le conseiller;
D’ailleurs, l’aurait-il écouté ?
Papa, autodidacte, il
impressionnait amis et relations
par son intelligence, son esprit
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logique et son goût pour les
mathématiques. Il se disait dans la
famille qu’à l’aide de 2 assiettes il
avait trouvé la relation « pi ».
A tous ces dons se rajoutait un
coup de crayon précis, ses
silhouettes de femme façon
MUCHA nous émerveillaient.
Le soir après souper, il sortait
son petit carnet de chants illustrés
et réunissait ses 4 filles.
Maman, elle, s’affairait en
cuisine.
Et c’est autour de la table
débarrassée par maman qu’il
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entonnait « la p’tite femme de
Paris….. » « A la corrida…….. »
et « Le raccommodeur de faïence
et de porcelaine …… » Qui nous
tirait des larmes.
Sacré papa, je me souviens
aussi des matchs de foot
retransmis à la radio, je revois
papa près du poste, lunettes
chaussées sur le nez, il ramenait
de sa main droite le pavillon de
son oreille droite pour ne pas
perdre une miette des
commentaires.
Il ne fallait le déranger sous
aucun prétexte, seul Maman était
autorisée à le faire.
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Maman, Violette, « Lilette »
pour la famille, un tablier toujours
noué autour de la taille. Je n’ai pas
le souvenir de coup de gueule
entre mes parents et quand elle
élevait la voix c’était seulement
pour entonner du « Froufrou…. »
Douce et reposante maman.
Elle s’occupait essentiellement
de nous quatre, nous habillait et
nous concoctait de bons petits
plats. L’entretien de la maison était
fait par nos deux « bonnes » Fatija
pour le ménage journalier et
« Lamia » pour la lessive
Maman nous habillait chez
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"Bensousan", le must de la
confection.
Tissus et accessoires de
couture étaient achetés chez
« Charbit ».
Ah ! Il fallait le voir mesurer le
tissu tout en discutant avec papa.
Le mètre étalon n’avait
certainement pas traversé la
méditerranée car le mètre de
Monsieur Charbit commençait à la
pointe de son nez et se terminait
au bout de son pouce-index
réunis, le bras plus ou moins
tendu.
Pour les chaussures c’était
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chez « Bata », Mr Bata pour nous.
Et c’est papa qui s’y collait ; il
prenait bien soin d’appuyer son
doigt sur le bout de la chaussure, il
ne fallait surtout pas ressentir le
pouce. C’était donc avec une
pointure de plus que nous
ressortions du magasin,
heureuses d’arborer nos
chaussures de cuir qui devaient
nous durer un bon bout de temps.
Puis comme il fallait rentabiliser
nos sorties en ville, c’était séance
coiffure pour toutes.
« Siliento », coiffeur pour
hommes nous appliquait une
coupe unique et un tarif unique. Il
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essayait de discipliner nos
cheveux raides, rebelles et blondis
par une surdose d’eau de mer, en
nous faisant une coupe au carré.
Il se permettait une originalité :
la raie.
Tantôt à droite, tantôt à gauche
suivant le sens de notre « rose des
vents », nom que donnait maman
à nos épis.
Maman rajoutait la touche
finale, elle agrémentait notre
coupe austère d’un ruban noué sur
le côté mais pour Arlette, c’était 2
nœuds de chaque côté qui
doublait le volume de son visage
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déjà joufflu.
Arlette, 2 années de plus que
moi la plus coquette, la plus
dégourdie, qui, lasse de supporter
la traditionnelle coupe au carré,
voulant quelques frisures, entra
un jour chez le coiffeur et
demanda « Monsieur ! Faitez moi
les crans ».
J’ai oublié de demander à
Maman ce qu’elle pensait de nos
coupes et pourquoi elle laissait
papa s’en occuper. Hélas maman
n’est plus de ce monde, elle nous
a quitté en 1994 d’une embolie
pulmonaire. Elle a rejoint papa,
assassiné par les fellaghas le 5
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janvier 1957.
Malgré l’insouciance de mes
propos, n’oubliez pas chers
lecteurs que l’Algérie était en
guerre, guerre que l’état français
avait nommé « évènements
d’Algérie » et qui fût enfin reconnu
en tant que guerre en 1999 sous
la présidence de J.Chirac.
Maman, un torchon à la main,
qu’elle agitait de la fenêtre de la
cuisine afin de rameuter sa couvée
qui s’éparpillait dans l’eau.
C’était l’heure du déjeuner et
déjà, depuis le rez-de chaussée,
nous humions les bonnes odeurs
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d’artichauts à la barigoule, de
blanquette de veau, de salade
juive, de couscous et de plein
d’autres plats du pays.
Comme beaucoup de mères
pieds-noirs » maman était une
excellente cuisinière.
Après le déjeuner c’était l’heure
de la sieste, obligatoire sous les
chaleurs d’été.
Pour les plus jeunes, pas
question de dormir. Assises sur le
carrelage noir et blanc de la
véranda, restituant la fraîcheur
d’un sol lessivée à grandes eaux,
nous dévorions nos B.D., Kit
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Carson, ou « François le
Champi » pour Josette la cadette,
amoureuse des écrits de Georges
Sand.
Nous profitions aussi de ces
moments de sieste pour
confectionner des cerfs volants
que nos petits copains d’origine
espagnols appelaient
« Bilotchas ».

L’été, après le souper, papa nous


réunissait sur la plage et à nous 4 se
joignaient petits copains et copines.
Alors, nous repoussions de nos
mains le sable rafraichi par ce début
de soirée pour retrouver la tiédeur
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d’un sable chauffé à blanc par une
journée caniculaire.
Et allongées sur le ventre nous
l’écoutions nous raconter en chanson
l’histoire du raccommodeur de
faïence et de porcelaine.

LES FIGURES LOCALES :


Lucien de La Bassure,
l’éboueur(en espagnol : basurero).
Le Borego et son âne. Paralysé
des membres inférieurs il se
hissait sur l’arrière train de la bête
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qui nous faisait dire : « il enc… son
âne »
« Robert Duranton » surnom
donné au fils de l’épicière de
nature chétive, qui s’adonnait à la
musculation.
(Robert Duranton, catcheur à la
musculature impressionnante
avait été élu Mr Europe en 1953).
Le Gendarme et sa mobylette
neuve qu’il n’arrivait pas à arrêter.
Il fit plusieurs fois le tour de la
plage jusqu’à ce qu’il n’ait plus
d’essence et à chaque passage
criait à sa femme « Mireille ! j’peux
plus m’arrêter »
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Le maître nageur, la
quarantaine, grand, maigre et
musclé qui prenait son rôle au
sérieux et nous engueulait quand
on se baignait alors qu’il avait
hissé avec un peu trop de zèle le
drapeau noir.
Trottinette et Agoustine 2
S.D.F. à qui nous offrions des
bières, leur point faible.
L’abbé SOCCOYA, notre curé,
qui ne voyait jamais l’offrande que
nous donnaient nos parents car
après la messe elle nous servait à
nous goinfrer de bonbons.
Le cours complémentaire
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« Paul Langevin » et ses profs :
TUBE : le professeur de
Physique Chimie. Ces phrases
commençant souvent par « Je
prends un tube » nous amusaient
beaucoup, il n’en fallait pas plus
pour lui donner le surnom.
Le prof de français d’origine
espagnol, qui nous apostrophait
par un « dit ! Chica ».
Un dimanche qu’il était parti
pêcher sur l’île de « Rachgoun »,
rebaptisé après l’indépendance
« Leïla », une tempête s’était levée
et l’avait empêché de rejoindre le
port. Nous avions donc quartier
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libre le lendemain, le plus doué en
dessin l’avait représenté, sur le
tableau noir, en Robinson Crusoé.

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NOS JEUX ET
OCCUPATIONS FAVORITES
Bilotchas (cerfs volants en
espagnol)
Chicha la fava (un saute
moutons à plusieurs).
« Fumé » : un ballon prisonnier
avec des balles de tennis.
Marelle
Osselets : avec des osselets
récupérés chez le boucher. Ils
avaient encore l’odeur de la bête.
Certains matins, dès que les
filets, étendus d’un bout à l’autre
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de la plage, étaient relevés par les
pêcheurs, nous nous précipitions à
la recherche d’hypothétiques
pièces de monnaie tombées de
leurs poches. Puis nous
déambulions pieds nus sur le
sable mouillé du bord de mer que
nous creusions pour récolter
quelques vers qui serviraient
d’appât pour la pêche à la
palomine.
Palomines que maman
rejetaient car peu gustatives.
Après la pêche nous nous
juchions sur une énorme chambre
de pneu de tracteur et ramions de
nos mains vers le large.
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Pas question de se baigner, il
fallait faire « la digestion ».

Nous avions aussi le liège


venant des forêts de chênes de la
région de Tlemcen. Le liège, plus
grand, plus large nous permettait
de nous approcher au plus près
des bateaux de guerre.
Quand notre barque « les 4
sœurs » était libre (papa la prêtait
à qui la lui demandait) nous
partions toute une bande vers les
rochers pour y plonger.
Une barque qui nous servait
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pour les promenades mais aussi
de cachettes.
Quand elle était retournée sur
le sable, nous creusions au
niveau des tolets et passions à
plat ventre pour retrouver un oasis
de fraicheur providentiel. C’était
aussi une bonne planque pour nos
premiers flirts.
L’après-midi, nous empruntions
un petit escalier creusé dans la
falaise de calcaire, falaise de
« cif » pour nous qui ramassions
les résidus pour en faire de la
poudre à récurer. Ces marches
abruptes s’ouvraient sur un sentier
de muletiers du haut duquel les
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ados d’origine arabe plongeaient
en criant pour se donner du
courage. C’était nos « plongeurs
de Rio »bien avant l’heure.
Le chemin était si étroit que
nous marchions en file indienne en
nous accrochant à la paroi
rocheuse. Puis nous dévalions
comme des chèvres sauvages la
falaise pour nous retrouver sur
« La pierre plate ». Immense
rocher plat qui servait de base à
nos plongeons, nos amusements
et nos premiers flirts.
Nous plongions de cette pierre
plate et attendions la vague qui
nous aidait à remonter sur le
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rocher.
Les Cigarettes fumées en
cachette
Faire fumer un crapaud.
Nos après midi dans la belle
résidence des Lazarevitch que
nous squattions car inhabitée en
dehors de la saison estivale.
Aujourd’hui la maison a été rasée
et à sa place l’hôtel SIGA domine
la baie..
On chipait des fruits dans son
jardin, le garde-jardinier nous
bombardait de petites pierres à
l’aide d’une lance pierres que nous
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appelions « Staque » sans doute
par le bruit que faisait le lancer.
Nos rushs en vélo devant la
caserne ou les soldats attendaient
avec impatience un cessez le feu,
ils nous rendaient responsables de
cette situation et à chaque
passage nous criaient « Vive les
fermes qui brûlent ». Nous
répliquions par « Sales Patos »
canard en espagnol, car peu
habitués au sable chaud ils
traversaient la plage avec des
allures de canard pris au piège
après une marée noire.

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NOS COMMERCES:
« Chez Garez » pour l’achat de
la bouteille de gaz
Le « Hanout » surnom que
nous donnions au commerce
rurale, surtout celui de « Coco bel
œil » affublé d’un strabisme
important, commerces ou
s’étalaient sur des sacs de jute
béants, épices, café grillé, pois
chiches, haricots, fèves etc.
Chez Charbit -Magasin de
tissus et mercerie.
Chez Garcia : libraire
Chez Bensoussan : boutique
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« de luxe ».

Chez Siliento : le coiffeur.

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JUILLET 1962- Aéroport de LA
SENIA (Oran)
-un Breguet 2 ponts.
- Gare de Marseille.
-Train bondé.
- Montpellier.
-Hôtel Terminus.
Une autre vie, un autre roman ? Pas
sûr, car je n’ai plus ces merveilleux
souvenirs qu’on ne peut effacer.

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LA CORRIDA
À la corrida
Tout Barcelone est en fête
Ce soir Chiquito
Abat le taureau
Pour ce grand combat
Le toréador s'apprête
Mais il vient de voir
De jolis yeux noirs
Des yeux qui rendent fou
Fasciné tout à coup
Par la belle señora
Suppliant il s'écria
Barcelona !
Barcelona!

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Ah! Belle brune de Barcelone
Tes beaux yeux me donnent
Des frissons d'amour
Ah! Je veux jurer sur la madone
Que je t'abandonne
Ma vie pour toujours.

Ça C'est Paris:

(Refrain)
Paris... reine du monde
Paris... c'est une blonde
Le nez retroussé, l'air moqueur
Les yeux toujours rieurs
Tous ceux qui te connaissent
Grisés par tes caresses
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S'en vont mais reviennent toujours
Paris... à tes amours !

La p'tit' femme de Paris


Malgré ce qu'on en dit
A les mêmes attraits
Que les autres oui, mais
Elle possède à ravir
La manière d' s'en servir
Elle a perfectionné
La façon de s' donner
Ça, c'est Paris!
Ça, c'est Paris!

Le raccommodeur de faïence :

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Dans un des plus beaux quartiers
de Paris
Aux Champs-Élysées, près de
l'avenue
Un bonhomme hirsute aux longs
cheveux gris
Va, déambulant à travers les rues
Machinalement tout en inspectant
À chaque fenêtre, anxieux il
s'arrête
Bougonne ou sourit et part
simplement
Faisant résonner bien haut sa
trompette
Il joue ses airs les plus jolis
Et chante ce refrain de Paris:
Refrain
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Je suis le raccommodeur
De faïence et de porcelaine
Raccommode objets de valeur
Choses modernes, choses
anciennes
Je répare bien des malheurs
Ainsi j'évite bien des peines
Je suis le raccommodeur
De faïence et de porcelaine…

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