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Revue néo-scolastique de

philosophie

Eugène Dupréel, Esquisse d'une philosophie des valeurs


Nicolas Balthasar

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Balthasar Nicolas. Eugène Dupréel, Esquisse d'une philosophie des valeurs. In: Revue néo-scolastique de philosophie. 42ᵉ
année, Deuxième série, n°64, 1939. pp. 624-627;

http://www.persee.fr/doc/phlou_0776-555x_1939_num_42_64_3992_t1_0624_0000_3

Document généré le 26/05/2016


624 Comptes rendus d'ouvrages divers

Le but que les divers orateurs se proposent est double :


promouvoir une étroite collaboration entre les hommes de science,
que la multiplicité des recherches et le perfectionnement de la
technique portent à une spécialisation souvent unilatérale ; en outre
donner une vision synthétique de l'harmonie et de la vraie
solution des problèmes de la vie, qui touchent les savants comme
hommes et les rendent conscients de leur sublime vocation et de
son éternelle valeur.
Nous souhaitons qu'une si belle initiative se propage.
A. Graiff, O. S. B.

Max BENSE, Die Ahendlàndische Leidenschaft. Un vol. 20 x 13,5


de 124 pp. Munich et Berlin, Oldenbourg, 1938 ; 3.5 Mk.
Il n'est pas douteux que la philosophie existentielle comporte
de graves dangers. Parmi ceux-ci, M. Paul Landsberg signalait
récemment le « bavardage pathétique » (Revue Intern, de
philosophie, janvier 1939, p. 320). En voici un exemple on ne peut plus
caractéristique. M. Bense se sert avec abondance de tous les termes
usités dans le vocabulaire existentialiste mais de telle manière que
le lecteur en vient à se demander si le seul hasard ne régit pas leur
emploi. Quant à vouloir extraire de ce galimatias une apparence
•de doctrine, on a dû y renoncer. Regrettons qu'un mouvement
dont les débuts suscitèrent tant d'intérêt et qui, en si peu de temps,
réussit à doter la philosophie de quelques oeuvres et de quelques
hommes de tout premier plan, menace déjà de sombrer dans une
logomachie hyperromantique tout juste bonne à encourager les
objections et les sarcasmes de certains néo-positivistes
contemporains.
A. De Waelhens.

Eugène DUPRÉEL, Esquisse d'une philosophie des valeurs. Un


vol. 22 x 14 de VIH-305 pp. Paris, Alcan, 1939 ; 60 fr.
L'auteur entreprend de renouveler la philosophie des valeurs,
relatives et absolues, en écartant l'obstacle qui, selon lui, empêche
de tirer parti de l'idée féconde de valeur. Cet obstacle, c'est l'idée
de connaissance nécessaire, où l'on confond les propriétés de Y acte
et les propriétés de Tordre. La valeur est le moyen de synthétiser
ces éléments ; elle est l'instrument de l'explication spécifiquement
philosophique. Consistance et précarité en sont les caractères
inséparables. Cette philosophie intégrale des valeurs comporte plura-
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lisme et probabilisme, lesquels s'opposent triomphalement à la


hantise classique de l'unité, marque séculaire {le la philosophie
traditionnelle, que M. Dupréel condamne sans appel.
Pour faire son métier de philosophe, M. Dupréel prend
l'attitude d'un « piqueur qui jalonne » dans l'immense champ de 1
univers où se trouvent les richesses des valeurs. Ce sont des faits qu'il
faut comprendre. Or, comprendre, c'est commencer de s'expliquer
comment on réussit dans une entreprise, surtout dans la plus haute
■des entreprises qui est de s'accorder entre esprits différents sur des
valeurs absolues.
Dure et précaire est l'entreprise. Piqueur infatiguable, M.
Dupréel capte un intervalle qu'il ordonne par quelques termes :
matière, vie, connaissance, pensée, pour la mise en train de la
hiérarchie des valeurs. Dans cet intervalle, il trouve toujours de
quoi jalonner encore, explorer sans fin, reprendre sans cesse sa
course vers des valeurs absolues qui se laissent capter de moins
en moins imparfaitement : Bonté et Beauté surtout, variables et figées
pourtant, même quand leur caractère spécial est dépassé ou •démodé.
La vérité, elle, est davantage absolue, puisqu'elle est une et que
les vérités dépassées ne sont plus des vérités. L'explication vraie
est une ; elle -dit dans quelles conditions une chose devient
probable ; elle dresse le cadre des probabilités. C'est là vraiment
connaître le propre, la nature d'une valeur. Expliquer les valeurs
autrement que comme probables, c'est supprimer leur précarité, leur
spécificité, sous couleur de les comprendre. La valeur absolue de
connaissance est infuse dans l'intégralité de la science ; possession
de bonnes thèses, bonne direction des recherches, confiance dans
leur succès. C'est parce que la science peut toujours demeurer
fragmentaire, qu'elle se conçoit toujours comme une. Le sens du
vrai réduit forcément à l'unité, puisque le trésor des connaissances
comporte des revisions jamais terminées. Les conventions ont beau
changer, les chefs d'oeuvre du passé demeurent choses belles ; les
théories périmées, au contraire, ne sont plus des vérités. La vérité
noble est la vérité précaire, en marche vers la pointe d'une spirale
et toujours en marche. La solution est toujours différée. D'ailleurs
elle peut l'être sans inconvénient puisqu'on n'a pas besoin de la
vérité pour agir. Opter est autre chose que discerner la vérité ;
celle-ci est indéfectible comme l'ordre pur. C'est la connaissance
et non la vérité qui est valeur d'action, valeur de réalisation ; la
vérité est valeur d'intention et d'aspiration. Il y a opposition des
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valeurs absolues entre elles. L'unicité du vrai, accessible ou


inaccessible, est une convention préalable ; ce ne peut être qu'au nom
d'une vérité unique que l'on proclame l'irréductibilité de deux
propositions contradictoires. Le jugement vrai s'oppose à tous les
jugements faux, comme seul pourvu d'une vérité absolue.
L'idéal d'un accord des esprits ou d'un recours suprême contre
toute contradiction est impliqué dans toute discussion sincère par
le fait qu'on accepte la discussion et qu'on la soutient.
On ne démontre ni on ne réfute des valeurs ; on les apprécie
et on s'apprécie soi-même, selon ces appréciations. C'est un
sentiment spécifique qui préside à la « police des valeurs ». Tel est
le thème favori de M. Dupréel.
Pour les philosophes classiques, la sagesse consiste dans les
moyens de se rapprocher le plus du principe unique fondamental,
source de toutes les valeurs, critère de leur hiérarchie. Le risque
et la précarité ne comporteraient rien d'autre que la possibilité de
manquer ce principe ou de ne pas se rapprocher suffisamment de
ce centre, d'où rayonne tout ce qui mérite d'être désiré. Les vues
sur le « plafond logique » conçu par M. Dupréel (acte et ordonnance),
ruinent définitivement cette prétention. Expliquer les valeurs
absolues, c'est montrer quelles conditions amènent les consciences à
reconnaître des valeurs maxima, constantes, absolues, invariables.
Il n'y a pas d'explication à trouver au dedans d'elles-mêmes par
intrinsécisme. C'est un effort libre de promotion avec précarité
maximale, un détachement non obligatoire qui soutient justice et
charité, beauté artistique, progrès vers la vérité et sa propagation
féconde. C'est le choc des valeurs relatives qui fait briller dans
l'obscurité quelques étincelles de valeur absolue. Expliquer ne
signifie donc plus, comme chez les classiques, justifier et soustraire
à la liberté de nier (p. 229).
Nécessité de soi, explication causale, unité et dépendance,
valeur en soi : tout cela est « vieux jeu » pour M. Dupréel, qui
déclare que tout au contraire « il faut du jeu » pour pouvoir
comprendre, du ténébreux, du lacunaire. Convergence de circonstances
favorables, probabilité, précarité, pluralité, convention : voilà ce
que nous trouvons inscrits sur les « piquets » -de M. Dupréel.
Quant à nous, en dépit de tout cela, nous sommes dans l'être ;
nous ne pouvons ni y entrer ni en sortir ; nous y trouvons sujet
et objet qui sont être ; nous y trouvons le concret existant et
l'activité pensante qui abstrait et transcendantalise. Nous y trouvons
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toute raison d'être ; nous y trouvons le mystère de toute grande


philosophie, nous y trouvons un Absolu qui n'est pas de convention
et qui existe vraiment.
M. Dupréel, « par convention », veut sortir de l'être ; il a conçu
pour cela un plafond logique qu'il est « dangereux de crever »
sous peine de retomber dans la loi de l'explication par l'unité
nécessaire. Cette loi nous ne la quittons pas. Nous y vivons
spirituellement notre raison d'être. M. Dupréel ayant renoncé à la raison
d'être a besoin de trouver dans l'« intervalle » le complémentaire
de l'idée d'ordre. Or l'intervalle, c'est l'indétermination qui
supporte tout, qui permet tout et qui n'empêche rien. L'intervalle
supporte même nos succès, remarque, non sans un peu d'étonne-
ment, semble-t-il, M. Dupréel. C'est ainsi que jamais une difficulté
insurmontable ne s'oppose à la plantation de jalons. L'intervalle
est partout absolument disponible ; il est espace intercalaire et
univers illimité, univers intervalle. Nous suivons avec intérêt les
travaux du vaillant prophète d'une « Nouvelle philosophie des
valeurs », mais nous n'acceptons pas de vivre et de valoir sous
son « plafond logique ».
N. Balthasar.

Chanoine Jacques LECLERCQ, Dialogue de l'Homme et de Dieu.


Un vol. 19x12 de 251 pp. Paris, Desclée, De Brouwer, 1939.
16 fr.
Ce Dialogue de l'homme et de Dieu est en réalité un
monologue à propos de Dieu et du monde. En une suite de réflexions
variées, alertes, ingénieuses, d'apparence paradoxale, l'auteur
entend donner sa vision du monde et de la vie. Les thèmes traités
sont les thèmes éternels : Dieu, la créature, les valeurs spirituelles,
le problème moral, la société, le christianisme. Dieu apparaît avant
tout sous l'aspect absolu. Le monde, au contraire, est décrit comme
le royaume du relatif et des contingences. Sur le plan politique et
social, l'auteur accentue volontiers l'adage bien connu : « quid leges
sine moribus ? ». On aimerait plus d'insistance sur la vérité
complémentaire : « quid mores sine legibus ? ».
Ce livre est un stimulant pour la pensée : le lecteur nuancera
certains raccourcis ou désirera des compléments, mais le dialogue
avec l'auteur sera fécond.
L. SUENENS.

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