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David descendit de
cheval et prit dans la sienne cette main, si belle, si lourde, si dorée, qui se
tendait vers lui. Ainsi débute la dérive perverse qui entraîne un jeune
écrivain dans le sillage de sculpteurs fous.
KÂÂ
CRIANT DE VÉRITÉ
FLEUVENOIR
Sommaire
Couverture
Présentation
Page de titre
FRAYEUR
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII
CHAPITRE VIII
CHAPITRE IX
CHAPITRE X
CHAPITRE XI
RE-COMMENCEMENT
À propos de l’auteur
Copyright d’origine
Achevé de numériser
FRAYEUR
David estima que cette sculpture de main, le mieux était de dire que
c’était un excellent presse-papiers. Il la posa donc sur une pile de feuilles,
sur son bureau, l’admirant encore.
Puis il alla se confectionner des œufs au plat.
Vers onze heures, il descendit au village à pied, songeant de façon
imprécise à la main et au cavalier. Il faisait doux, il y avait un beau soleil et
il sifflotait quelques bribes de la dernière partition qu’il était en train de
déchiffrer.
David comptait s’y coller une bonne partie de l’après-midi.
A mi-chemin, une vieille Estafette le doubla, stoppa et alla à reculons
vers lui.
— Alors, on se balade, monsieur Grandfons ?
Luc Remaison, fermier de son état. David lui louait les champs qu’il
avait été obligé d’acheter avec la maison.
— Faut en profiter, non ? dit David.
— Ça, c’est sûr. C’est une sacrée belle arrière-saison. Je vous laisse aller
ou bien est-ce que vous montez ? Depuis le temps que je vous dois un
verre...
— D’accord, dit David souriant.
Il monta, l’autre redémarra. Dans la camionnette était une odeur d’étable
et des bidons de lait vides tintinnabulaient à l’arrière.
David se retrouva en conséquence dans le petit bistrot silencieux.
— Dites-moi, monsieur Remaison ?
— Oui ?
— Il y a beaucoup de gens qui se baladent à cheval, dans le secteur ?
Le sourire du lourd paysan auvergnat, lourd de forme mais pas de tête,
s’élargit et une énorme main calleuse s’abattit sur l’épaule de David.
— Ha, ha ! Y a vous, sûr. Au fait, que j’y pense, le pré-bas, vous y
pouvez mettre Judas comme convenu, hein ? Comme vous voulez. Parce
qu’il doit se trouver un peu à l’étroit, là-haut, quand même.
— Oui, bien sûr. Mais le problème, c’est que quand Judas se retrouve
dans un grand pré, après il ne veut plus en ressortir et il faut se mettre à
quatre pour le coincer.
— Ah oui, c’est vrai. C’est pas à l’automne dernier, déjà que ç’avait été
toute une histoire. C’est pas ça ?
— Justement, répondit David. Et je n’ai pas envie que ça recommence.
— Oh ! Les gamins et moi, plus vous... Enfin, vous verrez bien. Vous
prenez quoi ? Ah vous, c’est toujours du whisky. Et un jaune pour moi.
Lucette !
— Il y a moi, monsieur Remaison. Mais qui d’autre ? Ce matin, je
faisais trotter un peu Judas en forêt et...
— Au fait, vous êtes au courant de la disparition des deux Vanniaux.
Jusqu’au chien qu’a disparu. Des pauv’ gens, hein ? Mais bon, quand
même, je trouve que les gendarmes pourraient un peu se bouger le cul, vous
croyez pas ? Après tout, ils sont peut-être pas riches, m’enfin, ils votent.
Non ?
— C’est vrai, répondit David qui avait oublié à quel point Luc Remaison
était un bavard incontinent.
« Je sais, fit-il. C’est dans ce coin-là, par où ils ont disparu, que j’ai vu de
loin quelqu’un à cheval. Lequel, lorsqu’il m’a vu moi a fait demi-tour à
plein galop.
— Ah bon ? Oh ! Ce sera quelqu’un comme vous, qui se balade. Vous
remettez ça ?
— D’accord. Dites-moi, il y a quoi, par là-haut ?
— Oh ! Mais rien. A part des myrtilles. Mais c’est peut-être quelqu’un
qui venait de loin ; un randonneur. Dites, monsieur Grandfons, ça a l’air de
vous préoccuper ?
— Je ne comprends pas pourquoi je l’ai fait fuir, c’est tout.
Et puis David comprit que Luc Remaison lui posait la question par pure
politesse et qu’il n’en avait vraiment rien à cirer des cavaliers entr’aperçus
au matin. Après tout, se dit David, ce doit être lui qui a raison.
La salle du petit café se remplissait, David serrait des mains lourdes et
sympathiques. Ils l’avaient adopté tout de suite : quelqu’un qui faisait le
mouvement inverse de tous les jeunes du village.
— Je viens de croiser les gendarmes, dit un type maigre que tout le
monde appelait « le polak ». Il paraît qu’un hélico va venir pour essayer de
les repérer.
— Il serait temps, dit une autre voix. Il serait temps. L’était pas riche, le
Didier Vanniaux, mais toujours prêt à donner un coup de main. Et on ne
laisse point les gens disparaître ainsi. Hein, monsieur Grandfons ?
— Évidemment, dit David.
Qui pensait : « En faisant le tour par Cayres, en voiture, je dois bien
arriver à savoir qui a des chevaux dans ce coin-là. De l’autre côté de la
montagne, certainement. »
C’était cette sculpture qui triturait le cerveau de David ; il l’admirait et la
trouvait bizarre, quand même. Elle lui procurait un sentiment qu’il ne
parvenait pas à analyser, lui qui, usuellement, passait son temps à
comprendre et décrire ce qui se passait dans la tête des autres.
— Bon, ben c’est pas tout ça, moi je vais y aller, dit Luc Remaison qui
sortait de sa poche un porte-monnaie noir de femme, archaïque et usé.
— Moi aussi, dit David.
Ils réglèrent leur tournée, pendant que derrière eux on en venait à la
question centrale : l’ouverture de la chasse.
David s’en fut vers le presbytère et, comme la vieille Ami-8 était garée
devant, cela voulait dire que l’abbé Vézilles était chez lui.
Pierre Vézilles ouvrit avant même que David n’ait sonné.
— Je t’attendais.
— En lisant quoi ?
— Rien du tout. Je priais.
— La gendarmerie expédie un hélicoptère au-dessus de la forêt dans
l’après-midi. Remonte-moi chez moi, nous déjeunerons ensemble et j’ai
quelque chose de bizarre à te montrer.
— J’ai rendez-vous à l’évêché à cinq heures, ce soir. Depuis le temps
que j’attends ce rendez-vous...
— Ce ne sera pas un festin tel que tu sois encore à table à cinq heures, rit
David.
— D’accord. Et qu’est-ce que ta chose bizarre ?
— Montons, répondit David. Arrête-moi à la boucherie, que je prenne
deux entrecôtes.
Jusque vers cinq heures du soir, David roula donc plus ou moins au
hasard par des petites routes. A quatre heures, il était tombé sur un club
équestre, un peu avant Saint-Didier-d’Allier.
Il espéra que ça venait de là, ce cheval et son cavalier, mais un homme
fort affable lui assura que personne n’avait loué de cheval si tôt le matin,
que, du reste, c’était la fin de la saison et qu’il n’y avait plus un seul
touriste.
A quatre heures et demie, nouvel espoir dans une sorte de ranch vraiment
crasseux, plus loin et plus à l’est, du côté de Vergezac. Même réponse de la
part, cette fois, d’un jeune homme qui devait boire trop de bière.
Pendant que le soleil se couchait, il se mit à pleuvoir. David but une bière
à Saint-Privat-d’ Allier, déçu mais surpris. C’était un petit café tranquille.
Deux types, au bar, assez jeunes, bavardaient. David mit un moment à
comprendre qu’ils parlaient de la disparition, la veille, d’un jeune garçon.
— L’était trop beau gosse, le Sabin. Il y aura une vieille qui l’aura
kidnappé pour se le sauter, rigola celui de droite.
— Raconte pas de conneries là-dessus, Armand. C’est pas drôle, quand
même.
— Y a qu’à faire une battue au-dessus de Rougeac, vu que c’est par là
qu’il a disparu.
David se dit qu’apparemment ceux-là n’étaient pas au courant des autres
disparitions à moins de quinze kilomètres à vol d’oiseau. Mais, pour eux, ce
devait être comme une autre planète.
David commença à ressentir une sale peur trouble. Évidemment, il
pouvait n’y avoir aucun lien entre la disparition des Vanniaux et celle-ci.
Oui, certes, on pouvait toujours se raconter ça, mais, sans aucunement
savoir pourquoi, David était persuadé du contraire. Et c’était peut-être bien
cette persuasion même qui lui faisait peur.
« Ça ne te concerne pas, ça concerne la police. Pense à autre chose, à ton
piano, par exemple. Ou à ce nouveau roman sur la déchéance que tu as
laissé tomber depuis au moins trois semaines. Voilà, pense à ça et offre-toi à
dîner dans un bon restaurant. Ensuite, retour à la maison, un scotch,
sommeil et debout à huit heures, pour préciser au brouillon la psychologie
de ton personnage central. D’accord, David ?
— « D’accord, répondit David à David. »
Les deux types ébranlèrent leur carcasse vers la sortie sur le plancher gris
et grinçant. Resta donc juste David, qui demanda une autre bière au type
maigre et jovial qui officiait derrière son bar.
— Qui est-ce qui a disparu ? Parce que, si j’ai bien compris...
— Pfouhh, fit l’autre. Un gamin. Mais c’est même pas sûr. A peut-être
fait une fugue, ou bien il en a eu marre de trimer pour son père qui est un
vrai alcoolo. Le Sabin, il a dû se dire qu’il n’allait pas toute sa vie casquer
pour les cuites de son vieux. Moi, je le comprends, hein ?
— Bien sûr, répondit David. Évidemment.
— S’pas ? Moi, je le connais bien, le Sabin. A treize ans, c’t’espèce de
fumier de père Charzel le faisait bosser et l’empêchait d’aller à l’école. Y a
les flics qui sont intervenus, bon, tout un bordel d’histoires de déchéance
paternelle, etc. On va le retrouver au Puy ou à Brioude. C’est un cinglé de
mécanique et un malin : il va bien se faire engager comme arpète dans un
garage et il finira patron, vous verrez.
Bon. David était tombé sur un bavard. Il s’agissait de fuir avant que
l’autre ne décide de le passionner avec sa vie sexuelle ou autre chose de ce
genre.
Il fut sauvé par l’entrée d’autres clients, paya, salua, se retrouva dans la
15/6, alluma et fouilla dans ses Michelin en fumant, cherchant Rougeac. Il
trouva facilement, à deux kilomètres au nord-est de Saint-Privat, en se
demandant bien ce qu’il avait à aller traîner à Rougeac.
Il fit faire demi-tour à la 15/6 qui avait causé presque un attroupement sur
la place de l’église. Fut à Rougeac, dans la nuit et la pluie, et il n’y avait
strictement rien à voir. Six heures et demie du soir et la lenteur des essuie-
glaces de la traction ; faire refaire toute l’électricité en 12 volts et avoir un
moteur d’essuie-glaces à deux vitesses. Ça faisait partie des projets, mais ce
n’était pas gratuit.
Ensuite, il roula au hasard, traversant des pays minuscules et finit par se
retrouver sur la 590 Langeac-Le Puy.
Il prit à droite, vers Le Puy, comme il aurait pu aussi bien prendre dans
l’autre sens. Mais, après tout, pourquoi ne pas dîner chez Sarda, rue
Chênebouterie ? Calme et bon.
David y entra vers sept heures et demie, après avoir traîné un peu à
regarder les boutiques.
Sylvie Nuans, célèbre sculpteur du genre féminin, était installée à une
table au fond en compagnie d’un homme chauve qui tournait le dos à la
porte. David en eut les jambes coupées, ni plus ni moins que coupées.
Ce visage-là lui sauta donc à la figure, réactivant violemment des
sentiments bizarres dans son esprit. Elle devait être à Madrid, non ? Qu’est-
ce qu’elle foutait là ? Venait le narguer chez lui, pas possible autrement.
Comme ivre, il avança entre les tables, mécaniquement attiré par ce
visage. Elle leva les yeux vers lui qui s’approchait et fronça les sourcils.
— Sylvie Nuans, n’est-ce pas ?
— Oui, dit la voix triste et morte sortant de la bouche gaie et vivante.
— Il y a trois jours, nous étions dans le même salon du boulevard Saint-
Germain.
— Oui. Vous êtes David Grandfons, l’écrivain. C’est extraordinaire,
cette rencontre.
Hallucinant était l’écart entre cette voix d’outre-tombe et les yeux qui
souriaient.
— Je suis enchanté de faire la connaissance d’une aussi célèbre
personne, dit l’homme chauve. Je me présente, parce que Sylvie, qui est une
vieille amie, ne le fera pas, sinon. Raymond Massif.
— Raymond est sculpteur, dit la même voix morte. Prenez place à notre
table, voyons.
— Je ne veux pas vous déranger, dit David qui se disait qu’il lui fallait
fuir et aussi : « Mon Dieu, qu’est-ce qu’elle est belle ! »
— Vous allez bien prendre un apéritif ? Nous n’avons même pas encore
commandé, dit Raymond Massif.
« Raymond Massif. Quel drôle de nom. »
— Comment êtes-vous au Puy ?
— Je vais prendre un scotch, dit David. Vous, vous devriez être à
Madrid, non ?
— Ah, vous savez cela.
— J’ai été paralysé, ce soir-là, par mon agent et un journaliste.
« Et quand j’ai pu me libérer, vous étiez partie. »
— Je déteste ce genre de soirée, dit la voix morte. Pas traînante,
pourtant.
— Moi aussi. Mais le gros type avec qui vous discutiez... comment,
déjà ?
— Vittorio Jacobucci. Tu vois qui c’est, Raymond ?
— Bien sûr, dit l’homme qui s’appelait Massif.
Massif devait avoir une large cinquantaine et avait le corps carré
correspondant à son patronyme. Il souriait, mais David lui trouva des yeux
effrayants derrière des lunettes carrées à monture d’argent.
— Et Jacobucci vous a dit quoi ?
— Il m’a parlé de votre exposition. J’y suis allé le lendemain matin et un
camion était en train de la déménager, votre exposition. C’est là qu’on m’a
dit que vous alliez à Madrid la réceptionner.
— Oui. En effet. Mais j’en ai eu marre à l’idée de me taper les salons
madrilènes après les salons parisiens. J’irai peut-être quand même dans une
semaine. Je suis venue me cacher quelques jours chez Raymond.
Elle sourit vaguement.
— Et vous ? Que faites-vous au Puy ?
— C’est là que j’habite. Enfin, à une petite trentaine de kilomètres, vers
Cayres.
— Ah bon ? demanda Raymond Massif. Vers Cayres.
David jugea cette voix menaçante sans comprendre pourquoi. Il but un
peu de son scotch.
— Si je comprends bien, vous habitez également par ici ?
— Raymond est fou. Il vit dans une ruine de château du XIIIe siècle
qu’on atteint par un chemin impraticable.
— Du Xe, en ce qui regarde les fondations, rectifia Massif.
*
La pluie avait cessé. Ils sortirent tous trois du restaurant et David leur fit
un signe de la main, les vit monter dans une Volvo break de couleur sombre
et s’en alla vers sa 15/6, plutôt content, en fin de compte, d’avoir à peu près
gardé son sang-froid.
« C’est qui, ce type ? Qu’est-ce qu’il a donc de si particulier ? Ou bien, il
n’a rien de particulier. »
La traction fut boulevard Saint-Louis, puis longea la place du Breuil.
— Elle a peur du petit gros et je voudrais bien savoir pourquoi.
L’avenue Georges-Clemenceau était déserte, tout, au reste, était désert.
Vers minuit, il coupait le contact de la 15/6 et rentrait chez lui avec le
sentiment d’avoir gâché sa journée.
David s’offrit la dose de pur malt prévue, ajouta un peu d’eau plate et
recommença :
« Oui. Elle a peur du petit gros. Et qu’est-ce qu’elle fout ici ? A un
château en ruines, le petit gros. Massif. On n’a pas idée de s’appeler Massif,
c’est vraiment fou, ça. »
Tout cela était bizarre et malsain, il allait se passer quelque chose et pas
foutu de dire quoi. Il avait le sentiment qu’il disposait de tous les éléments
et ne voyait point comment ceux-ci s’agençaient. Ensuite, il se mit à avoir
une violente envie du corps de Sylvie Nuans. Avec cette envie au ventre, il
alla ensuite soigner Judas et une lune blanche chassait des nuages noirs.
Alors, il eut envie de seller Judas et d’aller ainsi avec le cheval noir dans la
nuit sombre. Qui donc aurait pu l’en empêcher, au juste ? Sauf lui-même,
certes.
Ou encore : monter dans la voiture et aller rendre visite à Sybille, à
Londres. Pas de sens, non plus. Ni Judas dans la nuit, ni Londres. Alors, il
s’adressa à la lune et dit :
— Je veux le corps de Sylvie Nuans.
La lune ne répondit rien du tout et il rentra, ferma la porte. La chatte
Esmeralda était couchée sur les partitions et, à côté d’elle, à côté
d’Esmeralda, était la main et Esmeralda flairait cette main.
David fit des mouvements avec sa tête, des bruits de bouche également et
s’en fut à la cuisine ouvrir une boîte de pâtée pour Esmeralda, chatte qui
détestait le poisson et adorait le chocolat.
Le bruit de l’ouvre-boîtes fit descendre Esmeralda et il la nourrit en
proférant les paroles grotesques usuelles en ces cas-là. (« C’est ma ’Ralda,
ça, c’est ma chérie. ») Après, il décida qu’il lui fallait encore au moins deux
scotches pour éliminer de sa tête toute une quantité de pensées ayant à voir
avec Mlle Nuans.
— Le nom est beau, indiqua-t-il au piano qui avait l’air d’accord sur la
beauté de ce nom.
— Maflans et Nansif, n’est-ce pas ?
Cette fois, David Grandfons, éminent écrivain, était réellement bourré.
— Et encore, déclama-t-il, qui donc aurait le droit de m’empêcher de me
pelotonner sur ce canapé sous une couverture écossaise et somptueuse où
serait bien mon corps parfait ? A proximité de la main.
« Ah oui ! Elle, la main. Au fond, j’ai un corps parfait. Et une tête
parfaite : l’écrivain avait un beau corps, non ? Toi, piano : tu as des
objections ? (Le piano n’avait, là encore, aucune objection à formuler.)
Puis, il s’en fut quérir un gros oreiller, la fameuse couverture écossaise et,
même, eut le courage supplémentaire d’allumer du feu. Vu son état
d’ébriété, ça mit un moment et il faillit se tromper, allumer le feu ailleurs
que dans l’âtre.
Il prononça encore le nom de Sylvie Nuans trois fois, et alla dans la
cuisine pour chercher de la bière dans le réfrigérateur.
Il porta ensuite la bière sur le piano, se souvint d’un thème de jazz qu’il
aimait énormément et en fit une mélodie angoissante.
Sylvie Nuans observait l’ensemble des choses de David d’un œil critique
et voulait bien un porto. Lui, David, admirait la silhouette d’une extrême
finesse se mouvant au sein de sa maison. Il avait envie de frotter son visage
aux cheveux blonds. Pour David, ça se réduisait environ à cela, la présence
de Sylvie Nuans. Il versa le porto et maintenant elle allait à la fenêtre et
observait le lac en contrebas. Puis elle se tourna, dit :
— C’est amusant, n’est-ce pas ? Que nous nous soyons rencontrés dans
ce restaurant. Vous avez beaucoup plu à Raymond.
— Il est très sympathique, mentit éhontément David.
— En général, dit Sylvie Nuans, je choisis, pour me faire l’amour, des
garçons très jeunes qui ont des corps superbes : oui, c’est cela qui
m’intéresse, au fond. De très beaux corps très jeunes.
David s’attendait à tout, mais pas à ça. Il posa son verre de scotch sur le
piano, répondit seulement :
— Et alors ?
— Mais rien ! Je vous exposais mes goûts, puisque vous avez envie de
me faire l’amour. C’est bien pour cela que vous souhaitiez que je vienne,
non ?
— Oui, dit David, qui avait un sentiment de malaise en train de monter
en lui.
Ce n’était pas tellement la crudité de ses propos à elle qui lui faisait cela
(ce côté-là de la chose était plutôt excitant et érotique). Mais justement, il
lui semblait que cet érotisme-là n’était que la coloration d’autre chose,
quelque chose de plus intérieur et de bizarrement effrayant, mais attirant
aussi.
— Je préférerais, continua-t-elle, que nous fassions l’amour avant
déjeuner.
Que répondre ? David sourit, unique moyen de défense, et s’approcha
d’elle.
Ils se mirent nus. Elle avait un corps à peu près parfait, blond et en même
temps gracile et dur. Jamais David n’avait envisagé qu’il ferait un jour
l’amour de façon aussi froide et il s’apercevait que cette espèce de froideur
technique l’excitait au contraire au plus haut point. Elle était brûlante en
elle-même et cela contrastait avec son visage froid et beau. Lorsqu’il eut un
orgasme, une image passa, fugace, qu’il oublia à l’instant.
Elle aussi, elle avait joui, immobile comme une statue paraissant être
ailleurs et extrêmement loin.
Passèrent cinq minutes, puis, comme si elle revenait d’un autre monde,
Sylvie Nuans demanda :
— On peut déjeuner ? Ça me donne toujours faim.
— C’est pour ça que tu préfères avant de manger ? essaya de rire David.
— Bien sûr.
— Eh bien, je m’y mets.
— David ? J’aimerais revenir demain ; pour la même chose. Tu veux
bien ? Tu es si vivant. Et moi je ne suis qu’entourée de mort, au singulier et
au pluriel.
Sylvie Nuans était partie très vite après le déjeuner, laissant David déçu
et songeur. A peine trois heures de l’après-midi.
David alla seller Judas et s’en fut paisiblement à cheval vers l’endroit où
il avait trouvé la main, en essayant de trouver un ordre dans le fatras des
événements récents. Le soleil faisait briller les couleurs d’automne.
Et puis, au carrefour où le cavalier avait tourné, une voiture était
stationnée. C’était un 4 X 4 Mercedes, modèle 280 GE, immatriculé
normalement en Haute-Loire.
262 208 F toutes taxes comprises. Jamais vu cette voiture dans le secteur,
David.
— Tu te rends compte, Judas ?
Judas avait l’air de se rendre compte, en effet.
Puis, il vint à l’esprit de David d’inspecter cette voiture, il descendit de
cheval. Judas se mit à brouter les feuilles rougissantes d’un hêtre. David vit
cela, rit, dit tout haut :
— Mais t’es cinglé, mon pauvre Judas. Ça ne doit pas être bon, ça !
Puis il conclut que Judas était un drôle de cheval, quand même.
La voiture n’était pas fermée à clé. David souleva la portière arrière
ouvrant sur le coffre. La sculpture dorée était celle d’un torse masculin.
Juste le torse, sans bras ni tête. Une sculpture de même facture que la main.
Il referma, songeur.
— C’est le type qui a perdu la main. Il doit la chercher. Je comprends de
moins en moins.
Puis le type en question fut là, sur lui presque à l’improviste, avec un
chien ; un danois vraiment effrayant. David vit le dos de Judas frissonner,
puis Judas commencer à se cabrer.
Le type était jeune et blond, extrêmement beau et insouciant.
Il sourit à David, dit :
— J’ai bien peur que Rolf ne fasse peur à votre cheval.
David fit demi-tour, attrapa les rênes de Judas avant que celui-ci ne se
prenne les antérieurs dedans. Puis Judas se calma quand le jeune homme
blond eut fait monter son chien dans la voiture.
— C’est un beau cheval, dit le jeune homme blond qui transportait des
sculptures en or dans son 4 X 4 Mercedes.
— Je l’aime bien. C’est Judas.
— Ah oui. Noir comme ça, ça ne pouvait être que Judas, c’est cela ? Je
m’appelle Dieter. Dieter Neumann.
— Allemand ?
— Non, non. Suisse. Ça s’entend quand même, non ?
— Vraiment à peine. Moi, c’est David Grandfons.
— Comme l’écrivain, ou bien l’écrivain ?
— L’écrivain.
— Félicitations. Et je n’ai pas été foutu de trouver un seul champignon.
— Quand on veut des trompettes de la mort, c’est plus bas vers la
gauche. Et il y en a sûrement encore.
— Dans le creux, alors ?
— C’est ça. Dans le creux.
— David croisa le regard du jeune homme et ce regard était terrifiant et
mort.
— Bon. Eh bien, je vais aller essayer par là. Bonne fin de journée,
monsieur Grandfons.
« Au fait ? Vous vous baladez souvent à cheval, par ici ?
— Assez souvent, oui, pourquoi ?
— Oh, mais pour rien, monsieur Grandfons. Pour rien du tout.
David trouva les mots anodins que ce Dieter prononçait extrêmement
chargés de menace voilée.
David remonta Judas, fit un signe de la main et s’en fut, au pas. Tout le
temps qu’il s’éloigna, il sentit le regard de l’autre planté au milieu de son
dos.
— C’est lui qui a perdu cette main, Judas. Et qui donc fait ces si
curieuses statues ?
David avait le sentiment, un peu plus pénible à chaque instant, que des
choses inquiétantes s’installaient comme autour de lui, sans qu’il en puisse
saisir la signification générale.
Vers sept heures du soir, David travaillait une nouvelle partition de
Chopin, avait plutôt du mal, buvait du scotch avec beaucoup d’eau et
Esmeralda voulait absolument monter sur ses genoux.
A huit heures moins le quart, des phares envahirent la cour et David dit
tout haut :
— Tiens ! Voilà l’abbé. Qu’est-ce qu’il a encore inventé, comme
discours moral ?
David se leva, alla ouvrir et tomba sur un visage ravagé de terreur, blanc
et terrorisé, surgissant de la nuit.
— Qu’est-ce qui se passe, abbé ?
— Je l’ai fait. Je voulais être sûr, je l’ai fait. C’est bien elle, ça ne peut
être qu’elle. Ça lui manque, maintenant, David. Ça lui manque !
La dernière phrase fut hurlée pendant que l’abbé Pierre Vézilles écrasait
de sa main le biceps droit de David.
David prit le poignet du prêtre si sympathique et l’entraîna vers le salon-
bureau.
— Tu mets un peu d’ordre dans tes déclarations, abbé ?
Cet abbé-là avait l’air d’un fou, ou bien encore, ce n’était pas un air : il
était subitement devenu fou.
— David, cet après-midi, je suis allé au cimetière, dans le caveau de la
famille de Bréguigeon. J’en ai les clefs. J’avais emporté de quoi ouvrir le
cercueil de Judith de Bréguigeon et je l’ai ouvert, en effet.
— Tu as fait quoi ? bafouilla David. Non. Tu n’as pas... Tu n’es pas un
prêtre profanateur. Tu (... ?)
— Je n’ai rien profané du tout. David, à Judith de Bréguigeon, il manque
la main gauche.
— Quoi ? T’es complètement cintré, Pierre.
— Sa main gauche a été coupée. Avec une scie, je pense. Tu
comprends ? Je voulais vraiment vérifier ça.
— Comme ça. En plein jour, tu visites des tombeaux pour vérifier.
— David, la nuit, j’aurais eu bien trop peur. Et puis j’avais refermé
derrière moi. De toute façon, la question n’est pas là. Cette main n’est pas
une sculpture, cette main est une main.
— Mais alors... commença David.
Inutile de terroriser Pierre, songea-t-il immédiatement, en se mettant à lui
parler du torse et d’un certain Dieter.
— Alors quoi ?
— Rien. Tu es malade, prends un scotch.
— Tu ne me crois pas, n’est-ce pas, David ?
— Écoute, abbé : je te crois, bien entendu.
— C’est sa main. Y a pas, c’est sa main, Seigneur Dieu tout-puissant.
Au fait ! Tu l’as mise où ?
— Rangée dans un placard. Tu te calmes un peu ?
David servit du scotch, dit enfin :
— Si c’est comme tu penses, qui fait cela ?
— Sais pas. Ne faut-il pas prévenir la police ? J’ai horreur de ces gens-
là, mais quand même, s’obstinait soudain Pierre, ne faut-il pas les prévenir ?
— Il faut d’abord être sûr.
— Mais enfin, je suis sûr, moi.
Il y avait cette scie à métaux dans le garage, songeait déjà David. Et le
torse, nom de Dieu. Et le torse. Et David, maintenant, se souvenant d’avoir
admiré (jalousement) le torse de Didier Vanniaux, torse nu qui maniait la
faux avec dextérité sous le soleil de juin. Didier Vanniaux, récemment
disparu, ainsi que sa femme. Le rapprochement lui fit tellement peur qu’il
versa du scotch à côté du verre de Pierre Vézilles, abbé qui profanait des
sépultures au sujet d’une main en or.
« Oui, se disait David, je crois que c’est le torse de Didier Vanniaux. Et
puis non, c’est impossible. De toute façon, je ne l’ai pas vu en détail, ce
torse. »
On se rassure comme on peut ; un soupçon de lâcheté, devant ce que
l’esprit n’admet pas, voilà qui ne peut nuire.
— Tu vas expliquer aux flics comment tu t’amuses à ouvrir des
cercueils ?
— Je ne suis pas obligé de leur dire que j’ai voulu vérifier.
— Prêtre trotskiste et menteur par omission. C’est ton évêque qui va être
content.
— Et tu trouves le moyen de rire...
David ne répondit pas que c’était un bon moyen de défense quand l’esprit
est agressé. Il voyait aussi qu’il se sentait franchement incapable de mettre
cette main en or dans un étau et de prendre la scie à métaux pour voir de
quoi était fait son contenu : de chair et d’os ?
— Si c’est cela, qui le fait ? demanda David, tout haut.
Il termina son verre et s’en resservit un autre ; un sentiment de malaise
extrêmement pénible montait et envahissait tout son corps.
— Comment veux-tu que je le sache ?
— Les prêtres se donnent usuellement comme médecins des âmes,
répondit David, emphatique et moqueur à la fois. De quelle sorte de
maladie de l’âme s’agirait-il ici ? Ça veut être beau.
Il faillit ajouter, comme contre son propre gré : « et d’ailleurs, ce l’est ;
on ne peut qu’apprécier le résultat, si on ne se demande pas comment ce
résultat est obtenu ».
Cette pensée lui fit peur.
— Écoute, David, cette monstruosité est complètement païenne. Il s’agit
de mettre en scène quoi, au juste ?
— Sais pas. Je vais téléphoner aux flics.
— Ceux d’ici ?
— Qui d’autre ?
— Bon. Si tu veux.
*
Ce ne fut pas bien long : la scie atteignit très vite quelque chose de dur et
de blanc qui était indiscutablement un os, sitôt qu’elle eut passé une mince
pellicule d’or.
— Vous voyez ? demanda Pierre.
Ils voyaient. Ils dirent qu’ils n’avaient plus qu’à emporter la « chose » et
à prévenir leurs supérieurs hiérarchiques sur un cas singulier.
David et Pierre virent les deux gendarmes monter dans leur 4 L bleue.
David pensait au torse dans la Mercedes et aux disparitions dans le secteur :
cela lui faisait une espèce de peur collante.
— Je vais rentrer, maintenant, dit Pierre au bout d’un long moment
indécis et glauque ; de la pluie fine rayait maintenant les carreaux dans la
nuit et il était temps d’aller soigner Judas et de fermer les volets.
— Reste, dit David. Faisons une partie d’échecs.
— Non, je vais rentrer, vois-tu ? Et je vais prier. Je crois vraiment que
j’ai besoin de prier.
David ne dit pas qu’il avait peur d’être soudainement ainsi, seul et
désœuvré, qu’il lui fallait une présence, que Sylvie Nuans avec sa voix
bizarre était quelqu’un de prodigieusement malsain ; que c’était ce Massif
qui faisait cela et que cette saloperie de Dieter était son complice.
Rien de tout cela ne sortit ; c’était bien enfermé dans la tête de David et
David estima qu’il ne fallait pas que cela en sortit : ce serait trop horrible, si
cette possibilité monstrueuse se mettait à sortir dans le monde et dans la
réalité extérieure.
A moins que ce n’y soit déjà.
David s’en fut soigner Judas, caressa Esmeralda, la nourrit, dit de
nombreuses fois « et merde » en pensant à diverses choses, but du scotch
jusqu’à oublier, oublier spécialement sa propre vie et alla se coucher en
titubant abominablement.
Esmeralda vint se lover contre le dormeur. Le dormeur en question fit
d’intenables cauchemars et se trouva réveillé en sursaut, trempé de sueur :
le dernier cauchemar en date était le corps dénudé de l’abbé Pierre Vézilles,
doré et crucifié.
— Ah, quelle horreur.
4 heures 12 disaient en rouge les chiffres du réveil. David se leva d’un
bond, s’habilla comme un fou. (Esmeralda, devant un tel remue-ménage à
des heures aussi indues, alla se réfugier sous la commode.)
Il fut dans la 15/6, cigarette au bec, à la fois dormant à moitié, pris dans
son cauchemar et absolument éveillé. Une pluie battante éclaboussait le
monde et d’énormes rafales de vent secouaient toutes choses. Au bout
d’une seconde, le pare-brise de la 15 n’était plus que buée. Une peur
épouvantable, cette fois, nouait les tripes de David.
La 15 s’immobilisa devant l’église, noyée elle aussi sous des trombes
d’eau dans les phares. Le presbytère était un peu plus loin à droite. Les
phares illuminèrent aussi la vieille Ami-8 de Pierre, pas rentrée au garage.
David sortit dans ce noir traversé de pluie, songeant qu’il n’avait pas
même pris un imperméable. La lampe-torche dans la boîte à gants de la
traction marchait fort bien. La petite porte de l’église, découpée dans le gros
vantail droit, s’ouvrit sans la moindre difficulté.
— Seigneur ! cria David.
Les rangées de stalles noires et vieillies de bien des prières luisaient
faiblement sous la lampe-torche. Au fond, vers l’autel, la lumière rouge
illuminait faiblement l’harmonium.
Il y avait aussi la gigantesque croix de bois, assurément d’un bois destiné
à braver les siècles, dans le déambulatoire gauche.
David ne voulait pas braquer sa lampe dans cette direction ; puis, la main
de David braqua la lampe, en somme, à la place de David lui-même.
Pierre Vézilles était fixé à cette croix par d’énormes clous qui lui
transperçaient poignets et chevilles. Il portait une couronne d’épines, son
corps était en or et brillait dans la lumière de la torche. Même la barbe était
en or. Effroyable blasphème.
Et alors David Grandfons ne hurla pas, ne fit rien, ne dit rien. Il fut pris
d’un tremblement total, complet et universel, pendant que sa main
persistait, indépendamment de sa volonté, à soutenir la torche qui balayait
ça. Puis sa vue fut brouillée par des larmes et il alluma une cigarette qu’il
trouva sans savoir comment. La continuité entre son cauchemar et la réalité
était la plus atroce chose qu’il eût jamais eu à vivre.
David fuma sa cigarette presque paisiblement et, ensuite, un grand fou
rire lui vint, lorsqu’il se prit à songer à la tête que feraient les gendarmes.
Lorsqu’il eut fini sa cigarette, il l’écrasa calmement du talon gauche,
conçut qu’il avait au moins 40 de fièvre.
— C’est véritablement comme dans le cauchemar, dit-il tout haut. Ou
bien peut-être, suis-je encore en train de dormir ?
Puis, il se mit à suer dans l’église glaciale, incapable de faire le minimum
raisonnable : toucher, pour savoir si c’était la suite du cauchemar ou bien le
froid du réel. C’était hors de question : toucher ça ? Jamais de la vie.
Au bout d’un moment, restant là comme vissé, avec ce silence autour de
lui, David perçut que la lampe-torche commençait à ne plus éclairer, et
alors, il sortit de l’église, la bouche grande ouverte et hagard.
Cette bouche happa de la pluie forcenée qui tombait du ciel et faisait
briller le noir de la traction.
« Ça lui fait un corps de géant, cela lui restitue une beauté infinie. »
Il se faisait rincer copieusement, mais n’y prenait nulle garde. Il finit
quand même par se mettre à l’abri dans la voiture, en revenant à un peu de
raison.
« Voyons ! Je dois prévenir la gendarmerie nationale, faire des choses
comme ça. Oui. Et que vont se dire les gendarmes à mon sujet ? Ne vont-ils
pas me suspecter ? Me suspecter de quoi, en fait ? Quel peut bien être le
dément... ? Ne restons pas sur les lieux. Pierre : quelle horreur... Et n’ai-je
pas su cela à un moment ? »
Ensuite, il finit par tirer sur le démarreur de la traction ; à la jauge, il
restait quarante litres : rouler jusqu’à la mer, revenir bien plus tard ou bien
même jamais ? Ou bien, rouler vers les montagnes, de plus grandes
montagnes que celles de la Haute-Loire ?
Maintenant, le deuil commençait à lui travailler la tête et l’image du
corps crucifié et doré commençait à s’affaiblir un peu.
David se retrouva chez lui sans savoir comment. Judas, sans doute
interrompu dans son sommeil, hennit un peu. Il n’était que cinq heures
vingt du matin.
« Je suis resté combien de temps à contempler ça ? Trois quarts d’heure,
au moins. Et j’ai su cela à un moment : je l’ai vu comme proie pour de
terribles prédateurs. Le torse est manifestement celui de Didier Vanniaux. »
Il se versa une dose de scotch à tuer un âne, qu’il avala pratiquement cul
sec. Et cela ne lui fit aucun bien. Cela lui eût fait du bien de pleurer, mais il
s’en avéra incapable. Il dit juste :
« Ce que c’est beau, cette nudité fine et dorée, la lumière de cet or brille à
jamais dans mon esprit. Il est bien plus vivant que vivant, en vérité. En
vérité, il est d’une vie criante. »
Cette fois, les larmes commencèrent à venir et ensuite, il se mit à vomir
son scotch qui, se restituant, lui brûla la gorge, augmentant le flot de
larmes : il comprit qu’il lui fallait à tout prix écarter de son esprit que cela
était beau.
Pas cette équation-là ; à éviter. Et surgissait doucement dans sa tête la
question abominable et qui l’attirait : M. Vanniaux, elle, qu’allait-il en
faire ? Tellement belle et fraîche sous ses habits si pauvres.
David se haït un court moment, but de l’eau et retourna au scotch. Il
s’effondra sur son lit vers les six heures du matin.
CHAPITRE V
*
David se réveilla d’une nuit pleine de cauchemars : le jour était gris et
sale et maintenant, au bout de ces cauchemars-là, il était tout aussi certain
du contraire ; que c’était Massif qui faisait cela et qu’il s’amusait à jouer
avec lui ; que lui, David, n’était qu’une marionnette pour il ne savait trop
quoi, manipulée par les lourdes mains de Massif.
— Mais non, dit-il tout seul. Ce n’est sûrement pas son écriture. Ça ne
rime à rien.
Puis, il se mit à penser à l’abbé Pierre Vézilles et à l’incroyable culot du
fou.
Il but du café, fuma un moment, caressa Esmeralda.
A onze heures, une 405 grise entrait dans sa cour. Deux types en
sortirent.
David alla ouvrir. L’un était un grand type maigre à la calvitie naissante,
à la moustache un peu grise, avec un nez fin et des yeux verts. (« Couleur
d’huîtres, se dit machinalement David. ») L’autre était beaucoup plus jeune,
avec un air de s’en foutre assez étonnant.
— Vous êtes monsieur Grandfons ? On enquête sur la mort du prêtre.
— Entrez. Je ne sais pas si je vous serai très utile. Je ne crois pas pouvoir
vous en dire beaucoup plus que ce que j’ai dit aux gendarmes hier soir.
David les précéda, leur désigna des sièges.
— Monsieur Grandfons ? C’est une histoire qui va faire un incroyable
scandale. Vous ne souhaitez pas, sans doute, y voir votre nom mêlé ?
Ça, c’était le type qui avait l’air de se foutre de tout.
David haussa les épaules, voyant très bien où l’autre voulait en venir.
— Ce n’est pas dramatique, si ça doit arriver, ça arrivera. Que voulez-
vous que je vous dise ?
— Ouais. C’est bien à vous la belle 15/6 ? Parce que, la nuit où ce
pauvre prêtre a été... bon, crucifié, elle a stationné devant l’église, votre
voiture, monsieur Grandfons.
David ne s’attendait pas à ça : le type avec l’air de s’en foutre avait
également l’air de s’y connaître en coups bas bien portés.
— Très bien. J’ai vu ça le premier, en effet, et je ne me suis pas senti le
courage d’aller prévenir. Du reste, un bon moment, j’ai cru que je rêvais.
— C’est ennuyeux, ça. Vous auriez dû prévenir, voyez-vous ? Et qu’est-
ce qui vous a pris d’aller à cette église à cinq heures du matin ?
— J’ai rêvé que ça arrivait.
— Ah bon ? (Plus sarcastique, tu meurs.)
Le grand type aux yeux verts n’avait toujours pas prononcé un mot. Il
regardait les choses de David. Puis, à un moment, il fixa David et dit :
— Qu’est-ce que vous nous cachez d’autre, encore, monsieur
Grandfons ?
— Mais rien, à la fin, s’écria David. Qu’est-ce que vous croyez ? Que
c’est moi qui m’amuse à crucifier des prêtres et à faire des sculptures avec
les corps des autres ? C’est ça ?
— Mais non, monsieur Grandfons. On ne croit rien du tout. Croire, ça ne
m’intéresse pas. Savoir, oui, parce que c’est mon travail. Il n’y a rien à
croire : simplement, ne faites pas dans la rétention de preuves : ça vous
rendrait complice.
Évidemment, il y avait le torse dans la Mercedes et le type qui s’appelait
Dieter Neumann. Mais David n’arrivait pas à comprendre pourquoi il ne
voulait pas parler de ça aux flics. Il ne se comprenait pas, mais était ferme
là-dessus : pas question de moufter à ce sujet. Et pourquoi, bon Dieu ?
Confusément, pour protéger l’auteur de ces folies ? Ou bien pour le
découvrir avant la police ? Curiosité morbide de savoir pourquoi « il »
faisait ce travail de dément ?
— Si on avait enquêté un peu plus tôt sur les disparitions signalées, on
n’en serait certainement pas là, contra voluptueusement David.
— Quelles disparitions, monsieur Grandfons ?
— Sais pas. Au fou qui a fait — ou qui continue de faire ça — , il faut
de la matière, non ?
— Vous voulez parler de la disparition de ces gens, là, comment,
Vannier ?
— Vanniaux.
— De la matière, hein ? On dirait qu’« il », comme vous dites, trouve ça
dans des cimetières.
— La mort abominable de Pierre Vézilles, ce doit être sa vengeance, on
dirait. Une vengeance spectaculaire, pour on ne sait trop quoi.
Silence entre eux trois.
Puis les deux flics se levèrent.
— Très bien, monsieur Grandfons : « il » lui faut de la matière, sans
doute. De la matière fraîche, c’est cela ? Les cadavres, c’était au début ?
Maintenant, il améliore son style. C’est ça ?
— Je ne sais pas. J’essaie d’imaginer.
David fut content lorsque la 405 disparut de sa cour. Qui donc, au village,
était allé raconter aux gendarmes qu’il avait vu sa voiture ?
— Tu en penses quoi ?
— De qui ? Du romancier ? Qu’il nous cache des trucs. De cette affaire ?
Que c’est une histoire de dingues.
Le commissaire principal Alain Vermeulen décida de s’autoriser un petit
cigare et un cognac. Il n’y avait plus que lui et Paul dans la salle de
restaurant plutôt sinistre.
Il se lissa la moustache grisonnante et chercha du feu.
— Tu veux mon avis ? Ce type-là est un esthète. Il se dit que ces trucs-là
c’est beau, et il a envie de savoir comment c’est venu à un esprit dérangé
d’imaginer de faire ça.
— Pourquoi pas ? répondit Paul. Et alors ?
— Alors, il sait des trucs, a des idées.
— Il y a ce sculpteur. Là, l’Américain. Qui fait un peu la même chose.
— Quoi, la même chose ?
— Des sculptures de femmes : des moulages en polyvinyle. Après, il
peint. Enfin, ça s’appelle un traitement pictural, c’est comme ça qu’ils
disent. Je crois qu’il s’appelle John de Andrea, ce type. Il paraît que ça fait
une espèce de présence bizarre, comme si ce corps-là allait retourner à la
vie. Tu vois ?
— Non, répondit le très calme commissaire principal qui regardait son
adjoint avec une espèce de stupéfaction.
— Mais si, dans la statuaire traditionnelle, on cherche en somme à
mettre le temps hors du temps ; là, lui, il immobilise un instant, mais dans le
temps. On se dit que ça va se réveiller ; j’ai vu l’exposition de ce type, rue
Guénéguaud, à Paris. Avec le moulage en polyvinyle, ça restitue jusqu’au
moindre duvet du corps. Ça y est ?
— Un peu plus. Dis donc, Paul, tu devrais donner des cours. Je ne savais
pas que tu fréquentais les expos.
— Tu peux toujours me vanner, hein ?
— Mais non, Paul, je t’assure. Continue, je t’en prie.
— Eh bien, notre dément a dû trouver encore mieux. Pourquoi un
moulage, si on peut avoir le corps lui-même ?
— Oui. Je commence à voir. Et tu te dis que notre écrivain voudrait
avoir une confirmation de ça, avant que les gros nigauds de flics que nous
sommes ne viennent servietter propre le dément. C’est ça ?
— Quelque chose comme ça. Sauf qu’on n’est peut-être pas forcément
des nigauds complets.
— Je vais demander tout de suite au juge d’instruction de mettre la ligne
de ce mec sur écoute. Tout de suite.
— C’est une bonne idée. On saura, au moins, s’il fréquente des
sculpteurs. On aurait pu, du reste, lui poser la question.
— Oui. Bon. Je crois qu’il pourrait en venir à partager les goûts du
dingue.
— A ce point ?
— Sais pas. On verra bien.
Silence entre eux et arrivèrent les cognacs. La fille paraissait avoir envie
qu’ils déguerpissent.
— Tu sais, commissaire ?
— Quoi ?
— Ça me fout les boules, cette histoire. Je ne peux pas dire que ça me
fasse peur, mais c’est vraiment malsain ; malade, quoi.
Alain Vermeulen, commissaire de police de son état, était bien d’accord.
— Je crois qu’elle a envie qu’on se casse, dit encore Paul.
Ils terminèrent leurs cognacs, payèrent, sortirent dans la rue triste et
détrempée, au milieu de la petite localité. S’en furent à pied jusqu’à la
gendarmerie, sans dire un mot. Alain Vermeulen songeait avec horreur aux
titres des journaux du lendemain.
— Il faut qu’on le trouve vite, dit-il encore.
— J’avais cru comprendre ça.
— Vu que, pour l’instant, il ne sort pas de chez lui, notre écrivain et qu’il
ne téléphone pas non plus, ça peut tout de même durer un moment.
Les deux flics étaient installés, plutôt avachis et le maréchal des logis-
chef Lucas les écoutait, immobile et pensif, derrière son bureau gris.
— Rien du tout sur lui aux RG, ajouta Paul. A part deux conneries dans
un groupe plus ou moins maoïste, il y a quinze ans.
Il ricana et Alain Vermeulen l’observa, dit :
— Tu sais bien, Paul, que les RG adorent collectionner ce genre de
souvenirs à la con.
— Il y a la fille, tout de même, dit le chef Lucas, de l’autre côté de son
bureau.
Il avait l’air songeur.
— Quelle fille ? demanda Paul.
— Une fille célèbre, on dirait. Je l’ai vue sur TF1. Tout à fait par hasard,
il y a deux ou trois soirs et c’est la même qui déjeunait avec lui, hier midi.
Je crois qu’il n’y a pas de doute.
— Entre célébrités, ricana encore Paul. Forcément.
— Et elle est sculpteur, dit doucement le chef Lucas.
— HEIN ? beugla Alain Vermeulen. Sculpteur ? Elle est sculpteur cette
nénette ? C’est quoi, son nom ?
— C’est le problème, dit le gendarme, vraiment désolé. Je ne suis pas
foutu de m’en souvenir ; un nom bizarre. Mais vous savez, commissaire ? Il
n’y a peut-être aucun rapport ; je n’y connais rien en sculpture, mais je ne
pense pas que le matériau habituellement employé, ce soit du corps humain.
— Oui, oui, chef, bien sûr, fit Vermeulen d’un ton sucré. Mais il y a
peut-être un rapport quand même.
Il se tourna vers son adjoint :
— Paul, appelle-moi la direction des programmes de TF1. C’était au
journal télévisé, chef ?
— Oui. A la fin du journal.
Au bout de dix minutes au téléphone, Paul raccrocha et dit :
— Elle s’appelle Sylvie Nuans et elle est actuellement à Madrid.
— Ne peut pas être à la fois ici et à Madrid, dit le commissaire
Vermeulen.
Avec l’air de dire que le chef Daniel Lucas s’égarait.
Celui-ci fixa Alain Vermeulen, ayant l’air de comprendre qu’on puisse
trouver le rapprochement vaseux :
— Ce qui me fait penser que c’est bel et bien elle, monsieur le
commissaire et qu’elle est bien ici, c’est la voix. Elle a une voix bizarre.
Très laide et... vraiment unique. Enfin, je trouve.
Paul regarda son chef, dit :
— Le mieux serait de poser directement la question à notre ami
l’écrivain. Non ?
— Paul, tu fais un saut chez lui ? Pendant ce temps-là, je vais flirter avec
les RG pour qu’ils me parlent de cette Sylvie Nuans.
— Je viens avec vous, dit Daniel Lucas à Paul. Ça ne vous ennuie pas ?
— Pas du tout, dit Paul qui trouvait ce gendarme-là sympathique.
— Au fait, demanda encore Paul, quand est-ce que le corps de ce pauvre
abbé sera restitué ?
— On a ordonné une autopsie, dit le chef Lucas. Mais ça servira à quoi ?
A apprendre comment le fou a procédé ?
— Embaumement, dit Alain Vermeulen en haussant les épaules ; mais
comme le dingue n’a évidemment enlevé ni les viscères ni les matières
cervicales, ça n’aurait pas duré longtemps.
Alain Vermeulen embrasa le bout d’un petit cigare, fit :
— Dans le cas de l’abbé, il doit s’agir d’une sorte de vengeance
délirante. En fait, il faut sûrement distinguer le cas de l’abbé de celui des
autres statues. Et on peut toujours téléphoner au juge d’instruction pour
savoir quand l’enterrement pourrait avoir lieu.
— Ce serait bien, fit Lucas. Vous savez ? Les gens du canton sont
terrifiés... Parlent du diable.
— Et alors, chef ? demanda doucement le commissaire au gendarme.
Vous ne trouvez pas, vous, que ça a à voir avec le diable ou je ne sais quoi
d’autre de ce genre ?
Une minuscule lueur clignotait, bleu pâle, au fond des brumes noyant
l’esprit de France Vanniaux. Presque mécaniquement, elle avait gardé dans
sa bouche les médicaments qu’« il » lui avait donnés et les avait recrachés
sur les dalles, sitôt qu’elle avait vaguement senti qu’elle était de nouveau
seule. Et maintenant, l’effet des prises antérieures commençait à
s’amenuiser.
Notamment, elle distinguait des choses et des bribes de mémoire se
réactivaient dans sa tête. Le coup de fusil qui avait tué son petit chien, cela
restait bien et elle voyait le jeune blond dans la Mercedes qui levait la
carabine et Didier qui assistait à ça, impuissant. Ensuite, elle avait mémoire
d’une piqûre à son bras.
Puis, la minuscule lueur bleue s’éteignit presque complètement et elle
resta de nouveau prostrée pendant près d’une heure.
Au bout de cette heure-là, la petite lueur bleue était d’un bleu plus pâle et
elle commençait à avoir le sentiment que son sang à elle coulait bien dans
ces veines qui étaient siennes. Et dans ses artères aussi. France Vanniaux
avait le sentiment qu’on en voulait à ses artères et bien incapable était-elle
de savoir pourquoi cette pensée s’immobilisait dans son esprit.
De nouveau, les brouillards occupèrent son esprit ; mais un moment bien
plus court et elle émergea avec deux idées, ou, du moins, des choses qui
commençaient à ressembler à des idées : la première était qu’elle avait soif
d’horrible façon et la seconde qu’elle pouvait peut-être avoir un peu de
motricité volontaire ; se lever et marcher, quoi.
Et elle parvint à proférer une parole molle : « Où est Didier ? Où est-il,
mon mari ? » Et elle essaya de se lever et c’était la nuit. La nuit, au-dehors.
Parce que cette fois, au-dedans d’elle-même, la lueur bleue était devenue
bien plus grande et blanche. Elle vacilla pour se lever, y parvint, vacilla
encore un peu plus lorsqu’elle fut debout et fila tout droit sur ses jambes
très molles. Elle buta sur quelque chose et son cerveau, encore, était
incapable d’analyser justement ce contre quoi elle avait buté. Elle parvint à
contourner cet obstacle et se mit à chercher un interrupteur.
Son cerveau essaya encore d’estimer que Didier — son mari à
elle — était dans la même pièce, mais n’y parvint pas. Sa main tomba enfin
sur une chose au bord d’une porte et qui était, en effet, un interrupteur.
La lumière fut atroce, abominable et la porte était ouverte.
Elle se retrouva, la porte franchie, dans une pièce blanche. Ça ressemblait
à un hôpital et son cerveau enregistra qu’il y avait de sales odeurs, là-
dedans. A gauche, était un escalier et son corps le monta. Au milieu des
marches, les vapeurs s’emparèrent de nouveau de sa tête, mais, cette fois,
elle parvint à lutter et ce fut victorieux. Ça dura seulement cinq ou six
minutes. Elle avait toujours soif de façon effrayante, la langue comme un
morceau de bois dans une bouche en liège.
Au bout de cet escalier se trouvait un couloir et, à droite, une vague lueur
signalait... Signalait quoi ? Ah si. Une porte, sans doute. Une porte d’un
vieux modèle avec du verre cathédrale et du fer forgé.
Elle alla dans cette direction, la porte était fermée à clé.
Son cerveau lui ordonna, pur instinct de vie, de chercher la clé alentour.
La main dirigée par ce cerveau passa sur des vêtements accrochés à une
patère, sur la droite.
Elle aurait bien voulu ne plus avoir autant mal à la tête. A côté des
vêtements, étaient des choses : ces choses, le même cerveau les analysa
comme un trousseau de clés. A la troisième tentative, cela s’ouvrit sans
grincer et elle fut dehors.
— Mon Dieu, dit le cerveau. De l’air.
Le cerveau ne semblait pas vraiment savoir où était le corps qu’il
commandait. Mais elle referma la porte à clé et jeta le trousseau à travers la
nuit : c’était, sans doute, le côté ironique de ce cerveau-là.
Ensuite, il y avait une allée blanchâtre dans la lumière vague de la nuit et
une grille ouverte. Puis, une route qu’elle prit à gauche, au hasard.
— Soif, dit le cerveau.
Et puis, épuisé, le corps n’obéit plus au cerveau et elle s’effondra sur la
chaussée goudronnée, dans ses pauvres habits et sur ses baskets usés.
Ça dura encore un moment et le cerveau lui disait de se cacher, comme se
cachent les petites bêtes. De se relever et d’aller au moins à l’abri de la
futaie, à deux cents mètres.
Il faisait froid et ce froid faisait du bien à France Vanniaux.
Elle parcourut les deux cents mètres, après s’être relevée, passa un
caniveau boueux qui longeait la route, fut dans les bois.
Elle s’y enfonça. Son cerveau lui disait comment enlever la couche de
feuilles humides et se couvrir des feuilles sèches, en dessous. Elle se terra
donc dans cette odeur d’humus, avec sa soif et son mal de tête.
Elle était libre ; elle dormit dans ces feuilles, la tête posée sur une racine
large, comme jamais elle n’avait dormi.
Ensuite, la pluie vint et mouilla son visage.
*
Les flics partis, David décrocha le téléphone et lui trouva une tonalité
bizarre, plus basse qu’usuellement. Il voulait appeler Massif pour le
prévenir de son arrivée avec Dieter, certain de la nuit blanche.
— Les cons écoutent ma ligne. Il n’y a aucun doute là-dessus.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Dieter.
— Rien. On se rend dans un endroit calme. Quand tu m’auras dit où est
Le Chinh.
— Dans un hôtel du Puy. Elle m’a promis qu’elle ne bougerait pas.
Monsieur Grandfons ?
— Oui ?
— Qu’est-ce qu’on va faire ?
— Clarifier la situation, répondit David. Venez, on s’en va.
— Je ne suis pas à la hauteur, c’est cela ?
— Qui y serait, au juste ?
— C’est le néant d’un jour sans fin, monsieur Grandfons.
David le trouva ridicule, mais admit que lui, David, était en train de
devenir fou.
Il poussa presque Dieter dans la 15. Téléphonerait au Puy.
Vingt-deux heures trente, avec tout ça. Et puis, des phares démarrèrent
derrière lui.
Il se souvint qu’il avait un ami qui connaissait très bien un haut
fonctionnaire du ministère de l’Intérieur.
— Ils vont bientôt me foutre la paix, dit David, tout haut.
— Pardon, demanda Dieter.
— Les flics s’amusent à nous suivre. Au fait ? Où est passé votre chien ?
— Je l’ai perdu. En venant, il n’a pas voulu me suivre.
— Et la voiture ? La Mercedes ?
— A cent mètres de... Enfin, de chez le Maître. C’est la sienne, vous
savez ?
David ne voulait pas avoir les flics au train en arrivant chez Massif.
Aussi prit-il en direction du Puy, bien certain de les semer en ville.
Dieter ne disait plus un mot, se laissait faire, remettant une nouvelle fois
sa volonté à quelqu’un d’autre. David gara la 15 devant la gare et vit que les
flics attendaient, en veilleuse, sans se gêner. Ça donna à David une idée
plaisante et Dieter dit que, oui, bien sûr, il l’attendait.
David se retrouva dans le jaune mort de la gare désertée aux odeurs sales.
Il alla droit aux cabines téléphoniques, avec un soudain sentiment
d’urgence, il ne savait pourquoi.
Et il avait froid, dans son blouson de cuir. Mais peut-être pas seulement
parce qu’il faisait froid. Du reste, dans cette gare, il ne faisait pas froid. Ça
puait, point final ; puanteur tiède.
Massif décrocha à la troisième sonnerie, dit :
— Ah ! Bonsoir, monsieur Grandfons.
— Il est un peu tard pour appeler.
— Non, non, monsieur Grandfons, je me couche toujours fort tard.
— Sylvie est partie ?
— Je l’ai mise au train à quatre heures vingt, au Puy. Cela lui permet
d’attraper le Cevenol à Saint-Georges d’Aurac à 17 h 23. Paris, onze heures
et quart et il y a un wagon-restaurant. C’est vraiment le plus confortable.
Qu’est-ce qui se passe, monsieur Grandfons ?
— Je suis au Puy, là. J’aurais voulu vous parler.
— De cette histoire ? Vous avez du nouveau ? Raymond Massif
paraissait soudainement très attentif. Attentif Massif.
— Je crois, dit prudemment, David. Je suis surtout avec quelqu’un de
très instruit de notre affaire.
— Vous m’intriguez, alors, monsieur Grandfons. J’allais manger un
morceau, mais je vous attends.
Et puis, Massif raccrocha.
— C’est bien dans ses manières, dit tout haut David en haussant les
épaules.
Ensuite, il composa le 17 et dit qu’il y avait une voiture suspecte, à
l’angle de la place de la gare, qui stationnait.
Il raccrocha, sourit et retourna à la 15/6.
France s’éveilla sous ses feuilles, transie d’un froid humide à l’odeur de
terre. Elle était à cent mètres à peine de la maison de Franklin (dont elle
ignorait le nom, du reste) et l’effroyable idée de la disparition de Didier
s’empara de son cerveau déjà bien ébranlé.
Elle se mit en marche, tenant à peine sur ses jambes. C’était une partie de
la forêt qu’elle connaissait mal, dans ce matin gris et aussi triste que le
contenu de son esprit.
A l’origine, elle était un peu sauvageonne, France Vanniaux, et puis, ça
s’était recouvert de choses plus civilisées, ou du moins, un peu plus
civilisées. Et maintenant, maintenant qu’elle se souvenait comment, en
continuant à travers bois, elle tomberait sur une petite route qui, à gauche,
la ramènerait vers Cayres, maintenant, la sauvageonne réapparaissait et des
idées de cruauté montaient dans son esprit.
Elle trouva en effet la petite route au bout d’environ vingt minutes de
marche, la tête à chaque instant un peu plus brûlante de fièvre. Et, jusqu’à
Cayres, quatre kilomètres, France eut le temps de mettre en place quelques
idées de vengeance. Elle ne savait pas exactement ce que ce type avait fait
de Didier, mais elle était sûre que ce devait être quelque chose
d’abominable.
Elle traversa Cayres à pied sans qu’on prenne garde à elle. Son plan
exigeait un minimum d’aide matérielle et elle pensait savoir très bien où se
procurer celle-ci.
Sur la route vers Le Puy, la troisième voiture s’arrêta, une 205 conduite
par une fille qu’elle ne connaissait pas.
Une fille très gentille qui lui dit qu’elle devait avoir la fièvre et qui voulut
absolument lui payer un café.
Elle lui proposa aussi une cigarette de marque américaine et France, qui
jamais n’avait songé à fumer, accepta. Elle ne s’étouffa nullement et avala
la fumée avec un grand bien-être.
La cousine de Didier habitait avenue Dupuy, juste derrière la gare. Au
Puy, avenue Dupuy. Mais ça n’amusait pas France.
— Vous êtes sûre que vous n’avez besoin de rien ? demanda la fille très
gentille.
— Si. Mais vous ne pouvez pas m’aider.
— Et pourquoi ?
— J’ai besoin de me venger. Et cela ne peut se faire que seule.
Ensuite, France trouva le moyen de faire un sourire étrange à cette fille.
— Vous savez ? dit encore la fille gentille. Vous avez l’air d’être malade.
Et vous voulez vous venger de quoi et de qui ?
— Du type qui a tué mon mari et notre petit chien. On avait une vie
simple, mademoiselle et on ne demandait pas grand’chose. Et alors, « il »
nous a pris, l’autre type — un jeune, lui, celui-là, un jeune, mademoiselle,
s’pas ? — et puis, je ne sais pas où est Didier, mais Didier, lui, il a dû être
tué par l’autre, le grand et vieux qui me donnait des médicaments. Et je ne
sais pas ce qu’il a fait de Didier, mais il n’y a plus de Didier, voyez-vous ?
Je peux avoir une autre cigarette ? Ça n’était pas du plus clair.
— Un autre café, aussi ? Vous avez dormi où ?
— Dans la forêt, sous les feuilles.
La fille dans la 205 se nommait Julie Benaïch. A la rédaction de son
journal parisien, on la nommait « Bébé » et elle était très mécontente de ce
qu’elle avait trouvé sur place, au sujet de cette invraisemblable histoire de
prêtre crucifié et peint en or. Des ragots de village, des flics muets plus
encore que d’habitude. Son papier (téléphoné) ne valait pas bien cher et il y
avait cette affaire de disparition qui n’avait pas vraiment retenu son
attention.
— Plutôt un rhum, répondit France. Oui, ça me réchauffera. Vous êtes
gentille ; je m’appelle France. France Vanniaux.
— Et moi, Julie, dit Julie.
Et puis, Julie, en son for intérieur :
« Mais ? Ce ne serait pas le nom des gens disparus ? » Merde de scoop de
Dieu. Et elle réapparaît comme ça ? »
Julie Benaïch n’avait jamais tâté du rhum à neuf heures du matin. Il était
peut-être temps de s’y mettre ?
— Ah ? demanda France. Vous en prenez un aussi ? Ça remonte le moral
un petit moment, vous savez ?
— Vous ne voulez pas me raconter ?
France la regarda, devenue méfiante.
— Je fais partie des pauvres gens, madame, dit France. Je ne suis rien
d’important ou d’intéressant. On n’est rien. On peut nous prendre, tuer le
chien. Nous prendre pendant qu’on travaille en forêt et alors, il se passe rien
du tout. Et Didier, il voulait un petit garçon, je crois bien.
France but son rhum. Julie en fit autant, en se demandant ce que le
rédacteur en chef penserait s’il apprenait que Julie « Bébé » Benaïch
s’enfilait du rhum, du côté de la gare, au Puy, vers neuf heures du matin.
— Non. Que voulez-vous que je vous raconte ?
France tremblait de fièvre et de froid.
— Qui vous a pris, France ? C’est toute la question.
— Sais pas. Ai senti une piqûre. Et puis, ils ont tué notre petit chien. Et
après, j’étais couchée dans une pièce et un homme venait. A un moment,
cette nuit, il est revenu, pour de nouveaux médicaments et, je ne sais pas
pourquoi, mais je suis arrivée à les recracher. Après, ça a été long, mais je
suis sortie de la maison et suis allée dans le bois, un peu plus loin, pour me
cacher. Sous les feuilles, je crois bien. Vous ne savez pas où peut être mon
Didier ? Oui. Et ils ont tué le petit chien. Je crois que Didier, il le voulait
pour le bébé. N’osait pas me le dire, mais ça devait être pour ça qu’il le
voulait. On l’appelait juste « Ti chien ».
— Vous savez où c’est, France ? demanda Julie doucement.
— Quoi ? La maison de ce type ? Bien sûr. Puisque je vais y retourner et
le tuer.
— Il y a la police, risqua Julie, sans vraiment y croire.
— Hein ? Les Queufs ? Didier disait toujours, pour parler d’eux, « nos
amis les bêtes » ; à chaque fois, ça me faisait rire.
— Ça vous ennuierait de m’y emmener, France ?
— Pour quoi faire ?
Et puis, la lassitude extrême s’empara de la tête et du corps de France.
— Après tout. Pourquoi pas ? Qu’est-ce que ça peut vous faire ?
— C’est mon boulot, France.
— Ah ! répondit France. Ce n’était pas aussi désintéressé que ça, hein ?
— Quand je vous ai offert un café, ce n’était pas intéressé, objecta Julie.
France la regarda, eut de nouveau ce sourire bizarre.
— D’accord, vous avez raison. Ce que je voudrais savoir c’est ce qu’il a
pu faire de Didier.
Vu ce que Julie avait quand même pu apprendre sur place, il n’y avait pas
vraiment d’illusions à se faire. Mais comment expliquer à cette jolie petite
sauvageonne que son mari, plausiblement, avait été transfiguré en statue
dorée ?
— Vous êtes journaliste, alors ?
Parce que, toute sauvageonne qu’elle fût, France Vanniaux savait quand
même de quoi il retournait.
— C’est ça.
— Et pourquoi vous êtes ici ? Parce que vous êtes parisienne, n’est-ce
pas ? La voiture est louée au Puy, mais vous êtes parisienne.
— A cause du prêtre, répondit Julie, machinale.
— Du prêtre ? Quel prêtre ?
— Mais, bien sûr. Vous ne le savez pas ! bien entendu. Mais qu’est-ce
que je suis bête !
Et maintenant, Julie voyait que le lui dire, ce qui était arrivé à l’abbé
Pierre Vézilles, ça amènerait inévitablement France à envisager ce qui avait
pu advenir au corps de son mari.
Elle en avait les jambes sciées, Julie. Elle se leva quand même :
— Vous me promettez de m’attendre cinq minutes ? Je vais chercher le
journal. Vous comprendrez aussi bien que moi. Vous me promettez ?
— Oui, répondit France. Pourquoi ? La réponse est dans le journal ?
Julie revint trois minutes plus tard avec La Montagne et tendit sans un
mot le journal à France. France lut, comprit, devint blanche et essaya de se
lever.
— Bougez pas, dit Julie, certaine que France allait s’évanouir.
— Je ne vais pas tomber dans les pommes ; ne vous inquiétez pas.
Julie réalisa que le mieux était sans doute un nouveau rhum et se mit à
plaindre beaucoup France.
— Oh non, pas Didier, tout de même, pas ça.
— J’espère bien que non, essaya Julie, absolument pas convaincue.
— Qu’est-ce que je fais ? se demandait Julie. Je vais raconter ça aux
flics, tout de même, ou bien est-ce que je me risque à... A quoi, au juste ?
Elle trouvait que les flics, c’était quand même plus rassurant et plus
simple, mais c’était une solution qui ne lui plaisait pas.
— Je vais avoir beaucoup de courage, dit France. Si vous voulez, je peux
vous montrer la maison où j’ai été enfermée. Si vous me promettez de ne
pas en parler aux flics, hein ? Il faut que je sois sûre qu’il a bien tué Didier,
tout d’abord. Et ensuite, je le tuerai. Vous promettez ?
— D’accord, répondit Julie qui se traitait intérieurement de cinglée.
Julie alla payer. Vers dix heures et demie, sa 205 de location était garée à
cent mètres de la maison, après que France lui avait montré où elle avait
dormi, sous les feuilles.
Cette maison était une horreur, construite en moëllons avec des fenêtres
et portes encadrées de briques rouges. Sinistre, assez loin de l’orée d’un
village dont elle ne savait pas le nom.
Près de deux cents mètres au-delà de la maison était garé, isolé, ce qui
sembla à Julie être un 4 × 4 Mercedes.
— Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?
— On attend qu’il sorte, dit France d’un ton ferme. Il va me chercher,
j’imagine. Forcément, il va me chercher, l’ordure.
— Il va sans doute penser que vous êtes allée directement chez les flics.
Plutôt ça, vous ne croyez pas ?
— Dans ce cas-là, il va fuir, ça revient au même.
Julie se dit que, pour une petite sauvageonne (comme elle ne pouvait
s’empêcher de l’appeler) elle ne manquait pas de capacités de
raisonnement. Et aussi, qu’un bon bain lui aurait fait le plus grand bien.
Julie ouvrit la fenêtre de la 205.
— Je sens mauvais, n’est-ce pas ? Mais vous savez, ce n’est pas dans
mes habitudes.
— Je m’en doute.
Julie commençait à bien aimer France ; peut-être parce que, dans le cadre
d’une belle salle de bains en marbre blanc, elle aurait aimé déshabiller
France Vanniaux.
« Si, par-dessus le marché, je me mets à avoir des fantasmes
homosexuels, je nous vois mal barrées. »
— C’est lui. Il sort. Y a pas, c’est lui.
— Cachez-vous, dit Julie.
— Vous aussi, tant qu’à faire.
Un type plutôt grand, avec des cheveux blancs, vêtu d’un imperméable
vert qui lui descendait presque jusqu’aux talons, franchit le portail un peu
rouillé, referma à clé derrière lui et eut l’air soulagé en voyant quelque
chose. Il jeta un regard vers la 205 et Julie se dit qu’il n’était guère facile de
planquer en rase campagne.
Le type s’en fut à la Mercedes. Il portait un attaché-case de belle taille,
presque une petite valise. Il monta dans la Mercedes.
— On va le suivre, on verra bien. Ça vous va ?
— Je veux bien, dit France. Vous savez, je pouvais demander de l’aide à
une personne de ma famille.
— Il y a quelqu’un qui nous observe du haut de cette sale ruine, dit Julie.
Ça avait été très fugace, mais il n’y avait pas de doute. A côté d’elle,
France tremblait de fièvre et de tristesse mélangées. Julie, sans savoir
pourquoi, avait le sentiment d’être soudain en danger. De toute façon, il
fallait soigner France avant qu’elle n’attrape une broncho-pneumonie.
— On s’en va, dit Julie. On ne peut pas attaquer le château à nous deux.
— Il faut trouver un moyen d’y entrer, s’obstina France.
— Il faut savoir chez qui « il » s’est réfugié. Et ensuite, aviser.
Également, il vous faut prendre des médicaments, sinon, vous allez attraper
la crève. Vous tremblez.
— C’est surtout dans ma tête qu’il fait froid. Mais vous avez sûrement
raison.
Julie fit faire demi-tour à sa 205, comme soulagée de quitter l’endroit.
Elle ne mit pas une heure pour trouver un médecin, faire prendre à France
des antibiotiques et, dans le café du petit bled sous le château en ruines,
apprendre que le propriétaire était un sculpteur parisien qui se nommait
Raymond Massif.
A midi et demie, elle forçait France à manger quelque chose dans un petit
restaurant au bord d’une Nationale et téléphonait à sa rédaction les quelques
résultats suggestifs de son enquête.
CHAPITRE IX
Détachée, Julie s’effondra dans les bras de France. Dans son regard
morne étaient les corps de Franklin, de Massif qui aurait bien voulu tuer
Franklin pour s’approprier l’argent de Winzelmann et le beau corps d’or de
Le Chinh.
Pas même étonnée d’être vivante ; trop abrutie de coups de cravache.
— Merci, dit-elle à France.
France rit. Ça, c’était inattendu.
— On revient d’où ?
— De chez le Diable, je crois bien. Avant, ça me semblait des sornettes
pour enfants...
— Je peux avoir à boire ? demanda Julie. Quelque chose de fort me
ferait du bien.
Puis elle fondit en larmes, sachant que son corps blessé ne pouvait être,
pour l’instant du moins, couvert de vêtements, fussent-ils les moins
rugueux.
— Et elle ? demanda-t-elle à France au milieu de ses larmes.
— Elle, elle s’est enfuie. Je ne suis pas parvenue à la rattraper.
— Ah, fit seulement Julie.
Elle parvint à monter dans ce qui avait été le soi-disant atelier-salon de
Massif. France trouva du scotch, en versa à Julie qui se moquait bien d’être
nue et qui se mettait à chercher un téléphone. Pas de téléphone.
— Devait être le genre à mettre son téléphone dans un placard, cette
ordure. Non. Pas une ordure. Je ne sais pas comment dire.
— Essayez de mettre vos habits, dit France.
— Oui. On revient de loin, n’est-ce pas ?
— Ils t’ont fait très mal, hein ? Pendant longtemps, j’ai cru que je ne
pourrais jamais rien faire. Et puis j’ai vu cet outil et ça m’a donné du
courage. Je les ai tués tous les deux, je suis contente.
France laissa un temps :
— Maintenant, je me sens forte.
L’esprit de Julie était aussi assommé de coups que son corps. D’avoir été
ainsi suspendue lui avait fait surgir d’horribles crampes et maintenant que la
circulation reprenait normalement, c’était presque plus insupportable
encore. L’alcool ingéré accélérait sans doute le processus.
Julie alla à un fauteuil et France redescendit dans le lieu où gisait,
parfaitement belle, une petite Asiatique qui avait voulu être belle pour
l’éternité. Elle trouva les vêtements de Julie, remonta, aida Julie à les
passer, pendant que celle-ci serrait les dents.
— Le téléphone doit être dans un placard. Les flics, ce serait bien,
maintenant.
Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien
conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment
au titre du dépôt légal. Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des
éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.
Cette édition numérique a été initialement fabriquée par la société FeniXX au format
ePub (ISBN 9782402009508) le 10 septembre 2015.
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la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la
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