Vous êtes sur la page 1sur 19

CORPUS DE TEXTES SUR LA LIBERTE

Texte 1 : Valéry

« Liberté c’est un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens ; qui chantent plus
qu’ils ne parlent ; (...) de ces mots qui ont fait tous les métiers, et desquels la mémoire est barbouillée
de Théologie, de Métaphysique, de Morale et de Politique ; mots très bons pour la controverse, la
dialectique, l’éloquence ; aussi propres aux analyses illusoires et aux subtilités infinies qu’aux fins de
phrases qui déchaînent le tonnerre. »

Paul Valéry, « Fluctuations sur la liberté »,


in Regards sur le monde actuel et autres essais, 1945).

Texte 2 : Chénier

"La victoire en chantant


Nous ouvre la barrière.
La Liberté guide nos pas.
Et du Nord au Midi
La trompette guerrière
A sonné l'heure des combats.
Tremblez ennemis de la France
Rois ivres de sang et d'orgueil.
Le Peuple souverain s'avance,
Tyrans descendez au cercueil.

(...)

(4è couplet)

De Barra, de Viala* le sort nous fait envie ;


Ils sont morts, mais ils ont vaincu.
Le lâche accablé d'ans n'a point connu la vie :
Qui meurt pour le peuple a vécu.
Vous êtes vaillants, nous le sommes :
Guidez-nous contre les tyrans ;
Les républicains sont des hommes,
Les esclaves sont des enfants

*célèbre pour ses derniers mots : "Je meurs, mais c'est pour la Liberté !"

(...)

(6è et 7è couplets) :

Et nous, sœurs des héros, nous qui de l'hyménée


Ignorons les aimables nœuds ;
Si, pour s'unir un jour à notre destinée,
Les citoyens forment des vœux,
Qu'ils reviennent dans nos murailles
Beaux de gloire et de liberté,
Et que leur sang, dans les batailles,
Ait coulé pour l'égalité.

Sur le fer devant Dieu, nous jurons à nos pères,


À nos épouses, à nos sœurs,
À nos représentants, à nos fils, à nos mères,
D'anéantir les oppresseurs :
En tous lieux, dans la nuit profonde,
Plongeant l'infâme royauté,
Les Français donneront au monde
Et la paix et la liberté."

Marie-Joseph Chénier, "Le chant du départ"


(chant révolutionnaire), 1794.

Texte 3 : Lord Of War

Often, the most barbaric atrocities occur when both combatants proclaim themselves « freedom
fighters ».

« Souvent, les atrocités les plus barbares se produisent quand les combattants des deux camps
s'autoproclament "combattants de la liberté ».

Extrait du film Lord of War, (2005), réal et scénario : Andrew Niccol

Texte 4 : Coelho

"La liberté n'est pas l'absence d'engagement, mais la capacité de choisir ".

Paolo Coelho (source ?)

Texte 5 : Corneille

Rodrigue : [Je suis] « réduit au triste choix ou de trahir ma flamme / Ou de vivre en infâme »

« J'attire en me vengeant sa haine et sa colère ; / J'attire ses mépris en ne me vengeant pas »

Pierre Corneille, Le Cid, 1637.


(acte 1, scène 6 : la délibération, v. 305-306, puis v. 323-324)

Texte 6 : Game of Thrones


Joffrey Baratheon : “Tell me, which do you favor, your fingers or your tongue ?”

Game of Thrones s. 1, ép. 10.

Texte 7 : Descartes

« L'indifférence me semble signifier proprement l'état dans lequel se trouve la volonté lorsqu'elle n'est
pas poussée d'un côté plutôt que de l'autre par la perception du vrai ou du bien ; et c'est en ce sens
que je l'ai prise lorsque j'ai écrit que le plus bas degré de la liberté est celui où nous nous déterminons
aux choses pour lesquelles nous sommes indifférents. »

Descartes, Lettre au père Mesland, 9 février 1645.

Texte 8 : The Good Place

Chidi : I am absolutely paralyzed by decision making and it is destroying my life.


Simone : Yeah, I sort of got that when you couldn't choose a chair to sit on.
Chidi : Well, I didn't want to offend you in case you had a favorite.

Chidi : Je suis absolument paralysé par le fait de devoir prendre des décisions, et cela détruit ma vie.
Simone : Ouais, je m’en suis plus ou moins rendue compte en voyant que tu n’arrivais pas à choisir sur
quelle chaise tu allais t’asseoir.
Chidi : C’est que je ne voulais pas t’offenser au cas où tu aurais une chaise préférée.

Michael : Okay, we have so many big choices to make. Let's... let's start small. Do you want to use a
dry erase board or the regular pen and paper ? Just pick. Chidi, just pick!
Chidi : (later) Yeah, it would be easier to sort out the issue of dry erase versus paper if I could write
down the pros and cons for each, but, of course, I would have to use one of them to write down the
pros and cons for them, which is... problematic."

Michael : Bien, nous avons tant de grands choix à faire. Commençons… commençons petit. Est-ce que
tu veux utiliser un tableau effaçable à sec, ou bien un feutre classique et du papier ? Tu n’as qu’à
choisir, Chidi, tu n’as qu’à choisir !
Chidi : (un bon moment plus tard) Ouais, ce serait plus facile de régler la question du choix entre
l’effaçage à sec et le papier si je pouvais mettre par écrit les arguments pour et contre chaque option,
sauf que bien entendu, pour mettre par écrit les arguments pour et contre chaque option, il faudrait déjà
que j’utilise l’un ou l’autre, ce qui est… problématique.

Uzo : Come on, Chidi, pick someone.


Chidi : Don't pressure me, Uzo. I have to consider all the factors. Athletic strategies, the fragile
egos of my classmates, and gender politics. Should I pick a girl as a gesture towards women's
equality, or... or is that pandering ? Or do I think it's pandering because of my limited male point of
view ? I'm vexed, Uzo, vexed."

Uzo : Allez, Chidi, choisis quelqu’un.


Chidi : Ne me mets pas la pression, Uzo, il faut que je prenne en considération tous les facteurs. Les
stratégies athlétiques, les egos fragiles de mes camarades de classe, et les questions politiques liés au
genre. Est-ce que je devrais choisir une fille, pour faire un geste vers l’égalité entre hommes et femmes,
ou bien… ou bien est-ce que ce serait de la flagornerie ? Ou bien est-ce que je pense que ce serait de la
flagornerie à cause des limites de mon point de vue masculin ? Je ne sais pas quoi faire, Uzo, je ne sais
pas quoi faire !”

Extraits de la série : The Good Place s. 3, ép. 1 : “Everything Is Bonzer !”

Texte 9 : Montaigne

« [Q]ui nous logerait [= si on nous plaçait] entre la bouteille et le jambon, avec égal appétit de boire
et de manger, il n'y aurait sans doute [pas d'autre] remède que de mourir de soif et de faim ».

Montaigne, Essais, II, 14

Texte 10 : Ford

"Mes clients sont libres de choisir la couleur de leur voiture à condition qu'ils la veuillent noire".

(variante : "Tout le monde peut avoir une Ford T de la couleur qu'il souhaite, à condition que ce soit le
noir")

phrase attribuée à Henry Ford,


en fait ce modèle a été disponible dans d'autres couleurs de 1908 à 1914, puis en 1926-27

Texte 11 : Aristote

[P]our les actes accomplis par crainte de plus grands maux ou pour quelque noble motif (par
exemple, si un tyran nous ordonne d’accomplir une action honteuse, alors qu’il tient en son pouvoir
nos parents et nos enfants, et qu’en accomplissant cette action nous assurerions leur salut, et en
refusant de la faire, leur mort), pour de telles actions la question est débattue de savoir si elles sont
volontaires ou involontaires.
C’est là encore ce qui se produit dans le cas d’une cargaison que l’on jette par-dessus bord au
cours d’une tempête : dans l’absolu, personne ne se débarrasse ainsi de son bien volontairement,
mais quand il s’agit de son propre salut et de celui de ses compagnons un homme de sens agit toujours
ainsi.

Aristote, Ethique à Nicomaque, 1110 a, 4-11.

Texte 12 : Descartes

« [L]orsque j'imagine un triangle, je ne le conçois pas seulement comme une figure composée et
comprise de trois lignes, mais outre cela je considère ces trois lignes comme présentes par la force et
l'application intérieure de mon esprit ; et c'est proprement ce que j'appelle imaginer. Que si je veux
penser à un chiliogone, je conçois bien à la vérité que c'est une figure composée de mille côtés, aussi
facilement que je conçois qu'un triangle est une figure composée de trois côtés seulement, mais je ne
puis pas imaginer les mille côtés d'un chiliogone, comme je fais les trois d'un triangle, ni pour
ainsi dire, les regarder comme présents avec les yeux de mon esprit. Et quoique suivant la coutume
que j'ai de me servir toujours de mon imagination, lorsque je pense aux choses corporelles, il arrive
qu'en concevant un chiliogone, je me représente confusément quelque figure, toutefois il est très
évident que cette figure n'est point un chiliogone, puisqu'elle ne diffère nullement de celle que je
me représenterais, si je pensais à un myriagone*, ou à quelque autre figure de beaucoup de
côtés »

*polygone à dix-mille côtés.


Descartes, Méditations métaphysiques, VI.

Texte 13 : Epicure

« [N]ous ne choisissons pas tout plaisir, mais il y a des cas où nous [évitons] de nombreux plaisirs,
lorsqu'il en découle[rait] pour nous un désagrément plus grand ; et nous [considérons] beaucoup de
douleurs comme valant mieux que des plaisirs quand, pour nous, un plaisir plus grand [vient ensuite],
[du fait que nous avons] souffert longtemps. Tout plaisir donc, du fait qu'il a une nature appropriée à la
nôtre, est un bien : tout plaisir, cependant, ne doit pas être choisi ; de même aussi toute douleur est un
mal, mais toute douleur n'est pas telle qu'elle doive toujours être évitée. Cependant, c'est par la
comparaison et l'examen des avantages et des désavantages qu'il convient de juger de tout cela. [Ainsi]
nous [traitons], en certaines circonstances, le bien comme s'il était un mal, et le mal, inversement,
comme s'il était un bien. »

Epicure, Lettre à Ménécée, traduction M. Conche, modifiée.

Texte 14 : Châtelet

« [I]l est sûr que si nous ne détruisions pas notre tempérament [= notre santé] par la gourmandise,
par les veilles, par les excès enfin, nous vivrions tous à peu près ce qu’on appelle âge d’homme : j’en
excepte les morts violentes, qu’on ne peut prévoir, et dont par conséquent il est inutile de s’occuper.
Mais, me répondra-t-on, si votre passion est la gourmandise, vous serez donc bien malheureux ;
car si vous voulez vous bien porter, il faudra perpétuellement vous contraindre ? A cela je réponds que
le #bonheur étant votre but en satisfaisant vos passions, rien ne doit vous écarter de ce but ; et si le
mal d’estomac ou la goutte, que vous donnent les excès que vous faites à table, vous causent des
douleurs plus vives que n’est le plaisir que vous trouvez à satisfaire votre gourmandise, vous
calculez mal si vous préférez la jouissance de l’un à la privation de l’autre ; vous vous écartez de
votre but et vous êtes malheureux par votre faute. Ne vous plaignez donc pas d’être gourmand ; car
c’est une source de plaisirs continuels ; mais sachez la faire servir à votre #bonheur. Cela vous sera
aisé en restant chez vous, et en ne vous faisant servir que ce que vous voulez manger : ayez des temps
de diète ; (...) pour vous en préparer une jouissance plus délicieuse. »

Emilie du Châtelet, Discours sur le bonheur (1744-46).

Texte 15 : Leibniz
« Le mot de liberté est fort ambigu. Il y a liberté de droit et de fait. Suivant celle de droit, un
esclave n'est point libre, un sujet n'est pas entièrement libre, mais un pauvre est aussi libre qu'un
riche ».

Gottfried Wilhelm Leibniz, Nouveaux essais sur l'entendement humain, (rédigés en 1704), livre
II, chapitre XXI.

Texte 16 : L'Abbé Pierre

« la liberté des droits n'est qu'une perfidie et une moquerie quand les ventres sont vides ».

L'Abbé Pierre, Faim et soif, n°27, décembre 1958.

Texte 17 : Locke

« La #justice et le respect des contrats semblent faire l'accord du plus grand nombre ; c'est un
principe qui, pense-t-on, pénètre jusque dans les repaires de brigands, et dans les bandes des plus
grands malfaiteurs ; et ceux qui sont allés le plus loin dans l'abandon de leur humanité respectent la
fidélité et la justice entre eux. Je reconnais que les hors-la-loi eux-mêmes les respectent entre eux ;
mais ces règles ne sont pas respectées comme des Lois de #Nature innées : elles sont appliquées
comme des règles utiles dans leur communauté ; et on ne peut concevoir que celui qui agit
correctement avec ses complices mais pille et assassine en même temps le premier honnête homme
venu, embrasse la #justice comme un principe pratique. La #Justice et la #Vérité sont les liens
élémentaires de toute société : même les hors-la-loi et les voleurs, qui ont par ailleurs rompu avec le
monde, doivent donc garder entre eux la fidélité et les règles de l'équité, sans quoi ils ne pourraient
rester ensemble. Mais qui soutiendrait que ceux qui vivent de fraude et de rapine ont des principes
innés de #vérité et de #justice, qu'ils acceptent et reconnaissent ? »

John Locke, Enquête sur l’entendement humain.

Texte 18 : Hobbes

« Liberté (liberty) ou franchise (freedom), signifie (proprement) l'absence d'opposition (par


opposition, j'entends les obstacles extérieurs au mouvement) »

Thomas Hobbes, Leviathan, ch. 21.


Texte 19 : Locke

« Supposons qu'on porte un homme, pendant qu'il est dans un profond sommeil, dans une chambre où
il y ait une personne qu'il lui tarde fort de voir et d'entretenir, et que l'on ferme à clef la porte sur lui,
de sorte qu'il ne soit pas en son pouvoir de sortir. Cet homme s'éveille, et est charmé de se trouver
avec une personne dont il souhaitait si fort la compagnie, et avec qui il demeure avec plaisir, aimant
mieux être là avec elle dans cette chambre que d'en sortir pour aller ailleurs : je demande s'il ne
reste pas volontairement dans ce lieu-là ? Je ne pense pas que personne s'avise d'en douter.
Cependant, comme cet homme est enfermé à clef, il est évident qu'il n'est pas en liberté de ne pas
demeurer dans cette chambre, et d'en sortir s'il veut ».

John Locke, Essai sur l'entendement humain, II, XXI, §10.

Texte 20 : Weil

On peut entendre par liberté autre chose que la possibilité d'obtenir sans effort ce qui plaît. Il existe
une conception bien différente de la liberté, une conception héroïque qui est celle de la sagesse
commune. La liberté véritable ne se définit pas par un rapport entre le désir et la satisfaction, mais
par un rapport entre la pensée et l'action ; serait tout à fait libre l'homme dont toutes les actions
procéderaient d'un jugement préalable concernant la fin qu'il se propose et l'enchaînement des
moyens propres à amener cette fin. Peu importe que les actions en elles-mêmes soient aisées ou
douloureuses, et peu importe même qu'elles soient couronnées de succès ; la douleur et l'échec
peuvent rendre l'homme malheureux, mais ne peuvent pas l'humilier aussi longtemps que c'est lui-
même qui dispose de sa propre faculté d'agir. Et disposer de ses propres actions ne signifie nullement
agir arbitrairement ; les actions arbitraires ne procèdent d'aucun jugement, et ne peuvent à proprement
parler être appelées libres. Tout jugement porte sur une situation objective, et par suite sur un tissu de
nécessités. L'homme vivant ne peut en aucun cas cesser d'être enserré de toutes parts par une nécessité
absolument inflexible ; mais comme il pense, il a le choix entre céder aveuglément à l'aiguillon par
lequel elle le pousse de l'extérieur, ou bien se conformer à la représentation intérieure qu'il s'en forge ;
et c'est en quoi consiste l'opposition entre servitude et liberté.

Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale (1934), p. 315-316

Textes 21 : Epictète

Veux-tu vaincre aux Jeux Olympiques ? Moi aussi, par tous les dieux ! car c’est une belle
chose. Mais examine bien les tenants et les aboutissants et alors seulement mets-toi à l’œuvre. Il faut
t’astreindre à une discipline, à un régime, t’abstenir de friandises, te soumettre à des exercices, à heure
fixe, par la chaleur et par le froid, ne pas boire d’eau froide, ni de vin à ta fantaisie, bref, t’abandonner à
ton entraîneur comme à un médecin. Au moment des épreuves il faudra te frotter de poussière ; il peut
aussi t’arriver d’avoir le bras démis, le pied tordu, d’avaler beaucoup de poussière, parfois même de
recevoir le fouet, et après tout cela, d’être vaincu.
Après avoir tout envisagé, si tu es encore décidé, travaille à devenir athlète. Sinon tu feras
comme les enfants qui changent constamment, jouent tantôt au lutteur, tantôt au gladiateur, puis
sonnent de la trompette, puis jouent la tragédie. Et toi aussi, tour à tour athlète, gladiateur, orateur,
philosophe, tu ne mets ton âme en rien. Comme un singe, tu imites tout ce que tu vois et chaque chose
successivement te plaît. C’est que tu t’es engagé sans réfléchir, tu n’as pas fait le tour de la question,
mais tu vas au hasard, sans ardeur dans ton choix.

Arrien, Manuel d’Epictète, IIè s ap. J. C.

Texte 22 : Jouvenel

"Identifiée au pouvoir de faire ce que je veux, ma liberté prend l'allure d'un rapport entre ce que je
puis (numérateur) et ce que je veux (dénominateur), lequel sera affecté par toutes les causes
diverses susceptibles d'agir sur le numérateur ou sur le dénominateur. Tous les obstacles à mon
pouvoir venant des hommes individuellement ou collectivement, de la nature, de la faiblesse de mes
forces et moyens, tendant tous à faire tomber mon pouvoir fort en deçà des limites de mon vouloir,
apparaîtront comme contraires à ma liberté : laquelle au contraire prendra de l'accroissement par le
recul ou l'affaiblissement des obstacles humains, le recul ou l'affaiblissement des obstacles naturels,
par l'accroissement de mes forces ou moyens propres, enfin par la mise au service de mon vouloir de
forces ou moyens étrangers. Mais aussi entrent en ligne de compte les causes agissant sur le
dénominateur : à pouvoir de faire égal, je serai plus libre en restreignant mes désirs (stoïcisme), et au
contraire, avec un pouvoir de faire croissant (si l'on veut liberté "objective" plus grande) je serai,
d'après la définition, moins libre si mon vouloir se développe plus vite que mon pouvoir (si l'on veut
liberté "subjective" s'affaiblissant)."

Bertrand de Jouvenel, De la souveraineté, 1955.

Texte 23 : Descartes

« [C]onnaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres
corps qui nous environnent, (…) nous les pourrions employer en même façon à tous les usages
auxquels ils sont propres ».

Descartes, Discours de la méthode.

Texte 24 : Leibniz

« Généralement, celui qui a plus de moyens est plus libre de faire ce qu'il veut »

Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, II, 21

Texte 25 : Descartes

« (…) la liberté de notre volonté se connaît sans preuve, par la seule expérience que nous en avons.
(…) il est si évident que nous avons une volonté libre, qui peut donner son consentement ou ne le pas
donner quand bon lui semble, que cela peut être compté pour une de nos plus communes notions. »
Descartes, Principes de la philosophie, (1644), partie I, §39.

Texte 26 : Laplace

« Nous devons envisager l'état présent de l'univers comme l'effet de son état antérieur et comme la
cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les
forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle
était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les
mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain
pour elle, et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. »

Pierre-Simon Laplace, Essai philosophique sur les probabilités, (1814).

Textes 27 : Spinoza

a/
« Il n'y a dans l'âme aucune volonté absolue ou libre ; mais l'âme est déterminée à vouloir ceci ou
cela par une cause qui est aussi déterminée par une autre, et cette autre l'est à son tour par une autre,
et ainsi à l'infini. »

Spinoza, Ethique
(rédigée entre 1661 et 1675, publiée en 1677),
livre III, proposition XLVIII.

b/
« Les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres ; et cette opinion consiste en cela seul qu’ils
ont #conscience de leurs actions, et n'ont pas conscience des causes qui les déterminent ».

Spinoza, Ethique (1677).


livre II, proposition XXXV, scolie.

c/
« Une pierre (…) reçoit d'une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvement et,
l'impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. (...)
Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir, pense et
sache qu'elle fait effort, autant qu'elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu'elle a
#conscience de son effort seulement (...), croira qu'elle est très libre et qu'elle ne persévère dans son
mouvement que parce qu'elle le veut.
Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les
hommes ont #conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent.

Spinoza, Lettre à Schuller, (1674).

Texte 28 : Voltaire
« Il n’y a rien sans cause. Un effet sans cause n’est qu’une parole absurde. Toutes les fois que je veux,
ce ne peut être qu’en vertu de mon jugement bon ou mauvais; ce jugement est nécessaire, donc ma
volonté l’est aussi. En effet, il serait bien singulier que toute la nature, tous les astres obéissent à
des lois éternelles, et qu’il y eût un petit animal haut de cinq pieds qui, au mépris de ces lois, pût
agir toujours comme il lui plairait au seul gré de son caprice. (...) Être véritablement libre, c’est
pouvoir. Quand je peux faire ce que je veux, voilà ma liberté; mais je veux nécessairement ce que je
veux; autrement je voudrais sans raison, sans cause, ce qui est impossible. (...) Nous pouvons réprimer
nos passions, comme je l’ai déjà annoncé nombre xi, mais alors nous ne sommes pas plus libres en
réprimant nos désirs qu’en nous laissant entraîner à nos penchants: car, dans l’un et l’autre cas, nous
suivons irrésistiblement notre dernière idée, et cette dernière idée est nécessaire; donc je fais
nécessairement ce qu’elle me dicte. Il est étrange que les hommes ne soient pas contents de cette
mesure de liberté, c’est-à-dire du pouvoir qu’ils ont reçu de la nature de faire en plusieurs cas ce qu’ils
veulent; les astres ne l’ont pas: nous la possédons, et notre orgueil nous fait croire quelquefois que
nous en possédons encore plus. Nous nous figurons que nous avons le don incompréhensible et absurde
de vouloir, sans autre raison, sans autre motif que celui de vouloir. »

Voltaire, Le philosophe ignorant, XIII, "Suis-je libre ?", (1766).

Texte 29 : Bergson

« Notre conscience# nous avertit […] que nous sommes des êtres libres. Avant d'accomplir une action,
quelle qu'elle soit, nous nous disons que nous pourrions nous en abstenir. Nous concevons […] divers
motifs et par conséquent diverses actions possibles, et après avoir agi, nous nous disons encore que, si
nous avions voulu, nous aurions pu autrement faire. – Sinon, comment s'expliquerait le regret d'une
action accomplie ? Regrette-t-on ce qui ne pouvait pas être autrement qu'il n'a été ? Ne nous disons-
nous pas quelquefois : « Si j'avais su, j'aurais autrement agi ; j'ai eu tort. » On ne s'attaque ainsi
rétrospectivement qu'à des actes contingents ou qui paraissent l'être. Le remords ne s'expliquerait pas
plus que le regret si nous n'étions pas libres ; car comment éprouver de la douleur pour une action
accomplie et qui ne pouvait pas ne pas s'accomplir ? – Donc, un fait est indiscutable, c'est que
notre conscience témoigne de notre liberté. »

Henri Bergson, Leçons clermontoises, (prononcées entre 1883 et 1888).

Texte 30 : Thomas d'Aquin

« L'homme possède le libre-arbitre, ou alors les conseils, les exhortations, les préceptes, les
interdictions, les récompenses et les châtiments seraient vains ».

Thomas d'Aquin, Somme de théologie, (1266-1274).

Texte 31 : Nietzsche

« Si l'on a conçu les hommes « libres », c'est à seule fin qu'ils puissent être jugés et condamnés ».
Friedrich Nietzsche, Crépuscule des idoles, (1888).

Textes 32 : Hobbes

a/
« [Les hommes] aiment naturellement la liberté et avoir de l'autorité sur les autres » (ch. 17)

b/
« [O]n trouve dans la nature humaine trois causes principales de conflit : premièrement, la
compétition ; deuxièmement, la défiance ; troisièmement, la gloire.
La première pousse les hommes à attaquer pour le profit, la seconde pour la sécurité et la
troisième pour la réputation. (...)
Par cela il est manifeste que pendant ce temps où les humains vivent sans qu'une puissance
commune ne leur impose à tous un respect mêlé d'effroi, leur condition est ce qu'on appelle la guerre ;
et celle-ci est telle qu'elle est une guerre de chacun contre chacun. (...)
Dans une telle situation, il n'y a de place pour aucune entreprise parce que le bénéfice est
incertain, et, par conséquent, il n'y a pas d'agriculture, pas de navigation, on n'utilise pas les
marchandises importées par mer, il n'y a ni vastes bâtiments, ni engins servant à déplacer et déménager
ce qui nécessite beaucoup de force ; il n'y a aucune connaissance de la surface terrestre, aucune
mesure du temps, ni arts ni lettres, pas de société ; et, ce qui est pire que tout, il règne une peur
permanente, un danger de mort violente. La vie humaine est solitaire, misérable, dangereuse,
animale et brève.
Leviathan, (1651) chapitre 13.

c/
« Le seul moyen d'établir [une] puissance (...) capable de défendre les humains contre les invasions des
étrangers et les préjudices commis aux uns par les autres (...) est de rassembler toute leur puissance
et toute leur force sur un homme ou sur une assemblée d'hommes qui peut, à la majorité des voix,
ramener toutes leurs volontés à une seule volonté » (ch. 17)

d/
« C'est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j'autorise cet homme ou cette assemblée
d'hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui
abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière » (ch. 17).

e/
« [L’État [peut] utiliser la force et les moyens de tous comme il l'estimera convenir à leur paix et à
leur défense commune ». (ch. 17).

f/
« La condition du genre humain n'est jamais sans désagrément et […] le plus grand, celui dont il est
possible qu'un peuple en général ait à souffrir sous quelque forme de gouvernement que ce soit, est
peu de chose en comparaison des misères et des calamités horribles qui sont le lot d'une guerre
civile » (ch. 19).

g/
« Vu qu'il n'existe pas un Etat au monde où il y ait assez de lois établies pour régler toutes les actions
et les mots des humains (puisque c'est une chose impossible), il s'ensuit nécessairement qu'en ce qui
concerne toutes les actions dont les lois ne s'occupent pas, les humains ont la liberté de faire ce que
leur raison leur montre en vue de ce qui leur est le plus profitable. » (ch. 21).

h/
« La liberté des sujets réside donc uniquement en ces choses que, dans le règlement de leurs actions, le
souverain s'est abstenu de prendre en compte. Par exemple, il s'agit de la liberté d'acheter et de vendre,
ou de passer des contrats les uns avec les autres, de choisir leur domicile, leur alimentation, leur métier,
l'instruction de leurs enfants comme ils le jugent bon, et ainsi de suite ». (ch. 21)

Thomas Hobbes, Léviathan, (1651).

Texte 33 : Epictète

a/
"Il y a des choses qui dépendent de nous et d'autres qui ne dépendent pas de nous. Ce qui dépend de
nous, c'est la pensée, la volonté, le désir, le refus, bref tout ce sur quoi nous pouvons avoir une action.
Ce qui ne dépend pas de nous, c'est la santé, la richesse, l'opinion des autres, les honneurs, bref tout
ce qui ne vient pas de notre action.
Ce qui dépend de nous est, par sa nature même, soumis à notre libre volonté ; nul ne peut nous
empêcher de le faire ni nous entraver dans notre action. (...)
Souviens-toi (...) de ceci : si tu crois soumis à ta volonté ce qui est, par nature, esclave d'autrui, si tu
crois que dépende de toi ce qui dépend d'un autre, tu te sentiras entravé, tu gémiras, tu auras l'âme
inquiète (...). Mais si tu penses que seul dépend de toi ce qui dépend de toi (...) tu ne te sentiras jamais
contraint à agir, jamais entravé dans ton action, tu ne t'en prendras à personne, tu n'accuseras personne,
tu ne feras aucun acte qui ne soit volontaire ; nul ne pourra te léser, nul ne sera ton ennemi, car aucun
malheur ne pourra t'atteindre. (...)
Chaque fois qu'il t'arrive un coup du sort, souviens-toi de rentrer en toi-même et de chercher
quel pouvoir tu as en toi pour y faire face. Si un travail épuisant t'accable, tu trouveras en toi
l'endurance ; si l'on t'insulte, tu trouveras en toi la patience. Et ainsi tu t'habitueras à ne pas te laisser
surprendre par les idées que tu te fais des choses. (...)
Le maître d'un homme, c'est celui qui a le pouvoir de lui accorder ce qu'il désire, de lui enlever ce qu'il
refuse ; celui donc qui veut être un homme libre, qu'il ne désire rien, qu'il ne repousse rien de ce qui
dépend d'un autre ; sinon il est esclave, c'est inévitable."

Arrien, Manuel d’Epictète, (IIè s. ap JC).

b/
« La liberté consiste à vouloir que les choses arrivent, non comme il te plaît, mais comme elles
arrivent ».
Arrien, Entretiens d’Epictète.

Texte 34 : Descartes

« [A]fin que je sois libre, il n’est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l’un ou l’autre des deux
contraires ; mais plutôt, d’autant plus que je penche vers l’un, soit que je #connaisse évidemment
que le bien et le #vrai s’y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l’intérieur de ma pensée, d’autant
plus librement j’en fais choix et je l’embrasse. (…)
[S]i je connaissais toujours clairement ce qui est #vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine
de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire ; et ainsi je serais entièrement libre ».

René Descartes, Méditation métaphysique, (Quatrième méditation), 1641.

Texte 35 : La Boétie

« Le grand Turc s’est bien avisé [= rendu compte] de cela, que les livres et la doctrine [=
l'enseignement] donnent, plus que toute autre chose, aux hommes le sens et l’entendement [= la
capacité intellectuelle] de se reconnaître et d’haïr la tyrannie ; j’entends [= je veux dire] qu’il n’a en
ses terres guère de gens savants ni n’en demande. Or, communément, le bon zéle et affection de ceux
qui ont gardé malgré le temps la dévotion à la franchise [= la liberté], pour si grand nombre qu’il y en
ait, demeure sans effet pour ne s’entreconnaître point : la liberté leur est toute ôtée, sous le tyran,
de faire, de parler et quasi de penser ; ils deviennent tous singuliers en leurs fantaisies. »

La Boétie, Discours de la servitude volontaire, 1576.

Texte 36 : Kant

« On dit, il est vrai, que la liberté de parler ou d'écrire peut nous être ôtée par une puissance supérieure,
mais non pas la liberté de penser. Mais penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous
ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d'autres, qui nous font part de leurs pensées et
auxquels nous communiquons les nôtres ? Aussi bien, l'on peut dire que cette puissance extérieure
qui enlève aux hommes la liberté de communiquer publiquement leurs pensées, leur ôte également la
liberté de penser — l'unique trésor qui nous reste encore en dépit de toutes les charges civiles et qui
peut seul apporter un remède à tous les maux qui s'attachent à cette condition. »

Kant, Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée ?, (1786).

référence complémentaire :
vidéo de Monsieur Phi : LA NOVLANGUE dans 1984 de George Orwell - Grain de philo #4
.
Textes 37 : Rousseau

a/
« Je ne vois dans tout animal qu'une machine ingénieuse, à qui la #nature a donné des sens pour se
remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu'à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à
la déranger. J'aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette différence
que la #nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l'homme concourt aux
siennes, en qualité d'agent libre. L'un choisit ou rejette par instinct, et l'autre par un acte de liberté ;
ce qui fait que la bête ne peut s'écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui serait
avantageux de le faire, et que l'homme s'en écarte souvent à son préjudice. C'est ainsi qu'un pigeon
mourrait de faim près d'un bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur des tas de fruits, ou de
grain, quoique l'un et l'autre pût très bien se nourrir de l'aliment qu'il dédaigne, s'il s'était avisé d'en
essayer ; c'est ainsi que les hommes dissolus se livrent à des excès, qui leur causent la fièvre et la mort ;
parce que l'esprit déprave les sens, et que la volonté parle encore quand la nature se tait.
Tout animal a des idées puisqu'il a des sens, il combine même ces idées jusqu'à un certain point, et
l'homme ne diffère de la bête que du plus au moins. Quelques philosophes ont même avancé qu'il y a
plus de différence de tel à tel homme que de tel homme à telle bête ; ce n'est donc pas tant
l'entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l'homme que sa qualité
d'agent libre. La #nature commande à tout animal et la bête obéit. L'homme éprouve la même
impression, mais il se reconnaît libre d'acquiescer, ou de résister ; et c'est surtout dans la #conscience
de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme : car la physique explique en quelque manière
le mécanisme des sens et la formation des idées ; mais dans la puissance de vouloir ou plutôt de choisir,
et dans le sentiment de cette puissance on ne trouve que des actes purement spirituels, dont on
n'explique rien par les lois de la mécanique. »

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes,
1754.
b/
« L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. Tel* se croit le maître des autres qui ne laisse
pas d’être* plus esclave qu’eux ».

*tel : celui qui


* ne laisse pas d’être : est cependant

Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, (1762), I, 1.

c/
« L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite* est liberté ».

*prescrite : donnée, fixée


Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, (1762), I, 8.

d/
« Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas : il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux Lois,
mais il n'obéit qu'aux Lois et c'est par la force des Lois qu'il n'obéit pas aux hommes (…) Un
Peuple est libre (…) quand, dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de
la Loi ».

Jean-Jacques Rousseau, Lettres écrites de la montagne, (1763).


e/ « [Q]uiconque refusera d’obéir à la volonté générale, y sera contraint par tout le corps : ce qui ne
signifie autre chose sinon qu’on le forcera d’être libre ».

Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, (1762), I, 7

Texte 38 : Constant

« Je me propose de Vous soumettre quelques distinctions, (…) entre deux genres de liberté, dont les
différences sont restées jusqu'à ce jour (…) trop peu remarquées. L'une est la liberté dont l'exercice
était si cher aux peuples anciens ; l'autre celle dont la jouissance est particulièrement précieuse aux
nations modernes. (…)
[A]ppelés par notre heureuse révolution (…) à jouir des bienfaits d'un gouvernement représentatif, il
est curieux et utile de rechercher pourquoi ce gouvernement, le seul a l'abri duquel nous puissions
aujourd'hui trouver quelque liberté et quelque repos, a été presque entièrement inconnu aux nations
libres de l'antiquité. (…)
Demandez-vous d'abord, Messieurs, ce que, de nos jours, un Anglais, un Français, un habitant des
États-Unis de l'Amérique, entendent par le mot de liberté.
C'est pour chacun le droit de n'être soumis qu'aux lois, de ne pouvoir être ni arrêté, ni détenu, ni mis à
mort, ni maltraité d'aucune manière, par l'effet de la volonté arbitraire d'un ou de plusieurs individus:
C'est pour chacun le droit de dire son opinion, de choisir son industrie, et de l'exercer, de disposer
de sa propriété, d'en abuser même; d'aller, de venir sans en obtenir la permission, et sans rendre
compte de ses motifs ou de ses démarches. C'est, pour chacun, le droit de se réunir à d'autres
individus, soit pour conférer sur ses intérêts, soit pour professer le culte que lui et ses associés
préfèrent, soit simplement pour remplir ses jours ou ses heures d'une manière plus conforme à ses
inclinations, à ses fantaisies. Enfin, c'est le droit, pour chacun, d'influer sur l'administration du
Gouvernement, soit par la nomination de tous ou de certains fonctionnaires, soit par des
représentations, des pétitions, des demandes, que l'autorité est plus ou moins obligée de prendre en
considération. Comparez maintenant à cette liberté celle des anciens.
Celle-ci consistait à exercer collectivement, mais directement, plusieurs parties de la souveraineté
toute entière, à délibérer, sur la place publique, de la guerre et de la paix, à conclure avec les
étrangers des traités d'alliance, à voter les lois, à prononcer les jugements, à examiner les comptes, les
actes, la gestion des magistrats, à les faire comparaître devant tout le peuple, à les mettre en accusation,
à les condamner ou à les absoudre ; mais en même temps que c'était là ce que les anciens nommaient
liberté, ils admettaient comme compatible avec cette liberté collective l'assujettissement complet
de l'individu à l'autorité de l'ensemble. Vous ne trouvez chez eux presque aucune des jouissances que
nous venons de voir faisant partie de la liberté chez les modernes. Toutes les actions privées sont
soumise à une surveillance sévère. Rien n'est accordé à l'indépendance individuelle, ni sous le rapport
des opinions, ni sous celui de l'industrie, ni surtout sous le rapport de la religion. »

Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, (1819).
Texte 39 : Tocqueville

Les affaires générales d'un pays n'occupent que les principaux citoyens. Ceux-là ne se
rassemblent que de loin en loin dans les mêmes lieux ; et, comme il arrive souvent qu'ensuite ils se
perdent de vue, il ne s'établit pas entre eux de liens durables. Mais quand il s'agit de faire régler les
affaires particulières d'un canton par les hommes qui l'habitent, les mêmes individus sont toujours en
contact, et ils sont en quelque sorte forcés de se connaître et de se complaire.
On tire difficilement un homme de lui-même pour l'intéresser à la destinée de tout l'État, parce
qu'il comprend mal l'influence que la destinée de l'État peut exercer sur son sort. Mais faut-il faire
passer un chemin au bout de son domaine, il verra d'un premier coup d'œil qu'il se rencontre un rapport
entre cette petite affaire publique et ses plus grandes affaires privées, et il découvrira, sans qu'on le lui
montre, le lien étroit qui unit ici l'intérêt particulier à l'intérêt général.
C'est donc en chargeant les citoyens de l'administration des petites affaires, bien plus qu'en leur
livrant le gouvernement des grandes, qu'on les intéresse au bien public et qu'on leur fait voir le besoin
qu'ils ont sans cesse les uns des autres pour le produire. (...)
Les libertés locales, qui font qu'un grand nombre de citoyens mettent du prix à l'affection de
leurs voisins et de leurs proches, ramènent donc sans cesse les hommes les uns vers les autres, en dépit
des instincts qui les séparent, et les forcent à s'entraider.

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835.

Texte 40 : Kant

« Un des plus grands problèmes de l’éducation est de concilier sous une contrainte légitime la
soumission avec la faculté de se servir de sa liberté. Car la contrainte est nécessaire ! Mais comment
cultiver la liberté par la contrainte ? Il faut que j’accoutume mon élève à souffrir* que sa liberté soit
soumise à une contrainte, et qu’en même temps je l’instruise à faire bon usage de sa liberté. Sans cela il
n’y aurait en lui que pur mécanisme ; l’homme privé d’éducation ne sait pas se servir de sa liberté. Il
est nécessaire qu’il sente de bonne heure la résistance inévitable de la société, afin d’apprendre à
connaître combien il est difficile de se suffire à soi-même, de supporter les privations et d’acquérir de
quoi se rendre indépendant. On doit observer ici les règles suivantes : 1°) Il faut laisser l’enfant libre
dès sa première enfance et dans tous les moments (excepté dans les circonstances où il peut se nuire à
lui-même, comme par exemple s’il vient à saisir un instrument tranchant), mais à la condition qu’il ne
fasse pas lui-même obstacle à la liberté d’autrui, comme par exemple quand il crie, ou que sa gaieté
se manifeste d’une manière trop bruyante et qu’il incommode les autres. 2°) On doit lui montrer qu'il
ne peut arriver à ses fins qu'à la condition de laisser les autres arriver aussi aux leurs, par
exemple qu'on ne fera rien d'agréable pour lui s'il ne fait pas lui-même ce que l'on désire, qu'il faut qu'il
s'instruise, etc. 3°) Il faut lui prouver que la contrainte qu’on lui impose a pour but de lui
apprendre à faire usage de sa propre liberté, qu’on le cultive afin qu’il puisse un jour être libre,
c’est-à-dire se passer du secours d’autrui. Ce dernier point est le plus tardif à frapper l'esprit des
enfants : ils ne font que très tard cette réflexion qu'ils auront par exemple un jour à s'occuper eux-
mêmes de leur entretien. Ils pensent qu'il en sera toujours comme dans la maison de leurs parents, où
on leur donne à manger et à boire sans qu'ils aient à s'en occuper. Or, - sans cette idée, les enfants,
surtout ceux des riches et les fils des princes, restent toute leur vie des enfants (…). L'éducation
publique a ici évidemment les plus grands avantages : on y apprend à connaître la mesure de ses
forces et les limites que nous impose le droit d'autrui. On n'y jouit d'aucun privilège, car on y sent
partout la résistance, et l'on ne s'y fait remarquer que par son mérite. Cette éducation est la meilleure
image de la vie du citoyen. »
*souffrir : supporter

Immanuel Kant, Traité de Pédagogie, (1803).

Textes annexes non utilisés :

Sartre
"La délibération * volontaire est toujours truquée. Comment, en effet, apprécier des motifs * et des
mobiles * auxquels précisément je confère leur valeur avant toute délibération et par le choix que je
fais de moi-même ? L'illusion ici vient de ce qu'on s'efforce de prendre les motifs et les mobiles pour
des choses entièrement transcendantes * , que je soupèserais comme des poids et qui posséderaient un
poids comme une propriété permanente. Cependant que, d'autre part, on veut y voir des contenus de
conscience ; ce qui est contradictoire. En fait, motifs et mobiles n'ont que le poids que mon projet, c'est-
à-dire la libre production de la fin et de l'acte connu à réaliser, leur confère. Quand je délibère, les jeux
sont faits. Et si je dois en venir à délibérer, c'est simplement parce qu'il entre dans mon projet originel
de me rendre compte des mobiles par la délibération plutôt que par telle ou telle autre forme de
découverte (par la passion, par exemple, ou tout simplement par l'action, qui révèle l'ensemble organisé
des motifs et des fins comme mon langage m'apprend ma pensée). Il y a donc un choix de la
délibération comme procédé qui m'annoncera ce que je projette, et par suite ce que je suis. Et le choix
de la délibération est organisé avec l'ensemble mobiles-motifs et fin par la spontanéité libre. Quand la
volonté intervient, la décision est prise et elle n'a d'autre valeur que celle d'une annonciatrice."
SARTRE, L'Etre et le Néant, collection Tel, éd. Gallimard, pp. 505-506

"La liberté de fait consiste (...) dans la puissance de faire ce que l'on veut."
Leibniz

« Généralement, celui qui a plus de moyens est plus libre de faire ce qu'il veut ». (Leibniz)

"Identifiée au pouvoir de faire ce que je veux, ma liberté prend l'allure d'un rapport entre ce que je puis
(numérateur) et ce que je veux (dénominateur), lequel sera affecté par toutes les causes diverses
susceptibles d'agir sur le numérateur ou sur le dénominateur. Tous les obstacles à mon pouvoir venant
des hommes individuellement ou collectivement, de la nature, de la faiblesse de mes forces et moyens,
tendant tous à faire tomber mon pouvoir fort en deçà des limites de mon vouloir, apparaîtront comme
contraires à ma liberté : laquelle au contraire prendra de l'accroissement par le recul ou l'affaiblissement
des obstacles humains, le recul ou l'affaiblissement des obstacles naturels, par l'accroissement de mes
forces ou moyens propres, enfin par la mise au service de mon vouloir de forces ou moyens étrangers.
Mais aussi entrent en ligne de compte les causes agissant sur le dénominateur : à pouvoir de faire égal,
je serai plus libre en restreignant mes désirs (stoïcisme), et au contraire, avec un pouvoir de faire
croissant (si l'on veut liberté "objective" plus grande) je serai, d'après la définition, moins libre si mon
vouloir se développe plus vite que mon pouvoir (si l'on veut liberté "subjective" s'affaiblissant)."

Bertrand de Jouvenel, De la souveraineté, 1955.

Alain :

"Tout choix est fait. Ici la nature nous devance, et jusque dans les moindres choses ; car, lorsque
j’écris, je ne choisis point les mots, mais plutôt je continue ce qui est commencé, attentif à délivrer le
mouvement de nature, ce qui est plutôt sauver que changer. Ainsi je ne m’use point à choisir ; ce serait
vouloir hors de moi ; mais par fidélité je fais que le choix, quel qu’il soit, soit bon. De même je ne
choisis pas de penser ceci ou cela ; le métier y pourvoit, ou le livre, ou l’objet, et en même temps
l’humeur, réplique du petit monde au grand. Mais aussi il n’est point de pensée qui ne grandisse par la
fidélité, comme il n’est point de pensée qui ne sèche pas le regret d’une autre. Ce sont des exemples
d’écrivain. Revenons au commun métier d’homme. Nul ne choisit d’aimer, ni qui il aimera ; la nature
fait le choix. Mais il n’y a point d’amour au monde qui grandisse sans fidélité ; il n’y a point
d’amour qui ne périsse par l’idée funeste que le choix n’était point le meilleur. Je dis bien plus ;
l’idée que le choix était le meilleur peut tromper encore, si l’on ne se jette tout à soutenir le choix. Il
n’y a pas de bonheur# au monde si l’on attend au lieu de faire, et ce qui plaît sans peine ne plaît pas
longtemps. Faire ce qu’on veut, ce n’est qu’une ombre. Être ce qu’on veut, ombre encore. Mais il
faut vouloir ce qu’on fait. Il n’est pas un métier qui ne fasse regretter de l’avoir choisi, car lorsqu’on
le choisissait on le voyait autre ; aussi le monde humain est rempli de plaintes. N’employez point la
volonté à bien choisir, mais à faire que tout choix soit bon."

« l'homme ne cesse jamais d'agir (…) Agir, c'est continuer, c'est réparer, c'est imprimer une flexion à
cette ligne sinueuse d'action que nous laissons dans le monde. » (Alain)

Gide, Les caves du Vatican, 1914 (extrait)

« Le train longeait alors un talus, qu’on voyait à travers la vitre, éclairé par cette lumière de chaque
compartiment projetée; cela formant une suite de carrés clairs qui dansaient le long de la voie et se
déformaient tour à tour selon chaque accident du terrain. On apercevait au milieu de l’un d’eux, danser
l’ombre falote de Fleurissoire; les autres carrés étaient vides.
« Qui le verrait ? pensait Lafcadio. Là, tout près de ma main, sous ma main, cette double fermeture,
que je peux faire jouer aisément; cette porte qui, cédant tout à coup, le laisserait crouler en avant; une
petite poussée suffirait; il tomberait dans la nuit comme une masse; même on n’entendrait pas un cri…
Et demain, en route pour les îles !… Qui le saurait ? »
La cravate était mise, un petit nœud marin tout fait; à présent Fleurissoire avait repris une manchette
et l’assujettissait au poignet droit; et, ce faisant, il examinait, au-dessus de la place où il était assis tout
à l’heure, la photographie (une des quatre qui décoraient le compartiment) de quelque palais près de la
mer.
« Un crime immotivé, continuait Lafcadio : quel embarras pour la police ! Au demeurant, sur ce
sacré talus, n’importe qui peut, d’un compartiment voisin, remarquer qu’une portière s’ouvre, et voir
l’ombre du chinois cabrioler. Du moins les rideaux du couloir sont tirés… Ce n’est pas tant des
événements que j’ai curiosité, que de soi-même. Tel se croit capable de tout, qui, devant que d’agir,
recule… Qu’il y a loin, entre l’imagination et le fait !… Et pas plus le droit de reprendre son coup
qu’aux échecs. Bah ! qui prévoirait tous les risques, le jeu perdrait tout intérêt !… Entre l’imagination
d’un fait et… Tiens ! le talus cesse. Nous sommes sur un pont, je crois; une rivière…»
Sur le fond de la vitre, à présent noire, les reflets apparaissaient plus clairement. Fleurissoire se pencha
pour rectifier la position de sa cravate. « Là, sous ma main, cette double fermeture — tandis qu’il est
distrait et regarde au loin devant lui — joue, ma foi ! plus aisément encore qu’on eût cru. Si je puis
compter jusqu’à douze, sans me presser, avant de voir dans la campagne quelque feu, le tapir est
sauvé. Je commence : Une; deux, trois; quatre; (lentement ! lentement !) cinq; six; sept; huit; neuf…
Dix, un feu !…
Fleurissoire ne poussa pas un cri.»

Vous aimerez peut-être aussi