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J’ai jugé utile de republier ce texte en hommage aux avocates et avocats algériens

confrontés au naufrage volontaire de la justice algérienne, entrainée dans sa chute, par


un pouvoir autiste et partial. Comment peut-on faire le sourd lorsqu’on entend un
Président de la République clamer, haut et fort, qu’Ihsene El Kadi est un khabardji ,
suggérant qu’à ce titre il doit être condamné , bafouant d’une part la présomption
d’innocence et d’autre part la séparation des pouvoirs ?

La colère des avocats est toujours féconde.


Un hommage à leur combat.
Dans le tumulte nauséabond de l’Algérie nouvelle et face à tous les clowns malfaisants
qui continuent à poser, instruire ou exécuter chaque jour, de nouvelles entraves aux
libertés individuelles ou collectives des algériens , les voix et les colères des avocates
et des avocats résonnent encore plus fort et plus juste car leurs plaidoiries deviennent
ipso facto des tribunes, des cris de douleur ou de détresse face à l’innommable dérision
d’une justice aplatie, prostrée et décadente, arc-boutée, tel un soldat en déroute, sur les
dernières horreurs juridiques introduites dans le Code Pénal.
Les avocats savent, mieux que nous, combien, comment et pourquoi leurs clients,
malmenés et méprisés par tout l’appareil répressif, ne sont que des alibis et des faire-
valoir pour un régime sans imagination, sans panache, tout fier de laisser dépérir en
prison des militants-citoyens, des journalistes sourcilleux, des blogueurs téméraires ,
des mères-courage, des poètes ravissants d’audace et de maturité.
Aurait-on déjà oublié que ces mêmes juges qui harcèlent des milliers de compatriotes
ont froidement laissé mourir en prison le Dr Kamel Eddine Fekhar et Mohamed
Talmat ?
Le système judiciaire a beau déployer toute sa laideur, répéter son mépris à l’endroit
de détenus qui n’ont plus d’autre solution que la grève de la faim, les avocats
maintiennent leur combat , rappellent le droit et les procédures, vont jusqu’à se
demander à voix haute si leur présence dans ces mascarades honteuses ne sert pas ,
tout compte fait, à légitimer le mécanisme dans son ensemble.
Il y a tellement de zones d’ombre, tellement d’étranges tireurs de ficelles que Me
Nabila Smail n’a pas hésité à dire aux juges « Nous refusons l’instrumentalisation de
la justice par des officines occultes », accusation particulièrement grave qui dénote
d’une part la fougue de juristes enhardis et d’autre part le naufrage de juges hors-sol.
Tel celui qui demande à Me Heboul de lui traduire du chaoui la chanson de Djamel
Sabri ou encore celui à qui on a rappelé que jamais l’on avait poursuivi qui que ce soit
sur les milliards du Sendouq Ettadamoun ou le Trésor du FLN alors que l’on multiplie
les humiliations, les emprisonnements de celles et ceux qu’il faut bien appeler les «
militants de la solidarité ».
C’est bien parce que les juges ont perdu toute boussole pouvant les relier au droit ou à
la morale qu’ils n’éprouvent aucun scrupule à rejuger des personnes à propos de faits
pour lesquels ils ont été innocentés par le même tribunal ou encore à éloigner
illégalement des détenus vers des prisons lointaines sans se soucier des difficultés des
familles pour s’y rendre. Aucune gêne non plus à assigner un militant devant le
Tribunal de Sidi M’hamed alors que le Tribunal de Dar El Beida était compétent sur la
base du lieu de son arrestation. Ceci nous rappelant le fameux Hadj Bettou, déféré
devant le Tribunal Militaire de Blida alors que, civil, il avait été arrêté dans la
circonscription judiciaire de Tamanrasset.
Devant un tel dysfonctionnement systémique, une jeune avocate dégaine l’arme fatale
et lance à des juges médusés qu’il ne s’agit pas d’affaires judiciaires mais bien d’une
affaire politique puisque ce qui est reproché aux prévenus c’est bien d’avoir visé les
carences de la gouvernance, sans cibler des personnes en particulier.
Ses confrères tentent laborieusement d’expliquer aux juges et au Procureur que le
premier devoir d’un intellectuel est de poser son analyse et ses solutions lorsque les
intérêts du peuple et de la nation sont en péril.
Me Mostefa Bouchachi s’interroge sur la pertinence de sa présence dans ce qu’il
qualifie de mise en scène théâtrale. La juge, bien instruite par ses commanditaires,
l’interrompt.
- Quelles sont vos demandes ? lui dit-elle
- « Je n’en ai aucune » a répondu l’avocat, renonçant définitivement à considérer la
justice capable d’apprécier des considérations juridiques ou de reconnaître ses
nombreuses transgressions de la procédure pénale ou de la règlementation
pénitentiaire.
Malgré leur profonde réprobation d’un système judiciaire en voie de déchéance, les
avocates et les avocats algériens écrivent chaque jour de glorieuses pages pour nos
libertés, pour toutes nos libertés.
Dans une décennie ou deux, les noms de Me Abdelghani Badi, Me Mostefa Bouchachi
Me Nabila Smail, Me Zoubida Assoul , Me Fetta Sadate, Me Madjid Hachour, Me
Said Zahi (et tant d’autres) seront évoqués avec le même respect et la même gratitude
que Me Jacques Vergès, Me Abderrahmane Bouzida, Me Mourad Oussedik ou Me Ali
Boumendjel.
Après la disparition avérée ou en cours de journaux, après la dissolution d’associations
majeures, le discours combattif des avocats fait figure d’îlot démocratique dans un
océan de conformisme béat ou de suivisme sénile.
Bachir Dahak
Ancien avocat au Barreau d’Alger

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