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C’est pourquoi, France, je t’en supplie, reviens à toi, retrouve-toi, sans attendre davantage.

La vérité, on ne
peut te la dire, puisque la justice est régulièrement saisie et qu’il faut bien croire qu’elle est décidée à la faire. Les
juges seuls ont la parole, le devoir de parler ne s’imposerait que s’ils ne faisaient pas la vérité tout entière. Mais,
cette vérité, qui est si simple, une erreur d’abord, puis toutes les fautes pour la cacher, ne la
soupçonnes-tu donc pas ? Les faits ont parlé si clairement, chaque phase de l’enquête a été un aveu : [le
commandant Esterhazy [1] couvert d’inexplicables protections, le colonel Picquart [2] traité en coupable, 
abreuvé d’outrages, les ministres jouant sur les mots, les journaux officieux [3] mentant avec violence,
l’instruction première menée comme à tâtons, d’une désespérante lenteur.] Ne trouves-tu pas que cela  sent
mauvais, que cela sent le cadavre, et qu’il faut vraiment qu’on ait bien des choses à cacher, pour qu’on se
laisse ainsi défendre ouvertement  par toute la fripouille de Paris, lorsque ce sont des honnêtes gens qui
demandent la lumière au prix de leur tranquillité ?
France, réveille-toi, songe à ta gloire. Comment est-il possible que ta bourgeoisie libérale, que ton peuple
émancipé, ne voient pas, dans cette crise, à quelle aberration on les jette ? Je ne puis les croire complices, ils
sont dupes alors, puisqu’ils ne se rendent pas compte de ce qu’il y a derrière : d’une part la dictature militaire, de
l’autre la réaction cléricale. Est-ce cela que tu veux, France, la mise en péril de tout ce que tu as si
chèrement payé, la tolérance religieuse, la justice égale pour tous, la solidarité fraternelle de tous les
citoyens ? Il suffit qu’il y ait des doutes sur la culpabilité de Dreyfus, et que tu le laisses à sa torture, pour que ta
glorieuse conquête du droit et de la liberté soit à jamais compromise. Quoi ! nous resterons à peine une
poignée  à dire ces choses, tous tes enfants honnêtes ne se lèveront pas pour être avec nous, tous les libres
esprits,  tous les cœurs larges qui ont fondé la République et qui devraient trembler de la voir en péril !

[1] Véritable coupable de la trahison imputée au capitaine Dreyfus, il a été découvert et dénoncé par le colonel
Picquart, nouveau chef du Service des Renseignements, mais il vient d’être acquitté.[2] Celui-ci avait été éloigné
par ses supérieurs qui refusaient d’écouter sa dénonciation.[3] Qui se mettent au service de quelqu’un ou d’une
cause.
QUESTION 1 QUESTION 3
E. Zola, "Lettre à la France", in Le Figaro,
QUESTION 2
7 janvier 1898.
QUESTION 1

Dans le premier paragraphe, l’argument repose sur l’idée de vérité,


«  cette vérité, qui est si simple, une erreur d’abord, puis toutes les
fautes pour la cacher ». Zola montre comment, dans l’affaire Dreyfus,
la vérité a été délibérément cachée, et tente de la placer sous les
yeux de ses lecteurs.
Dans le second paragraphe, l’argument est le rappel du passé de la
France, de ce qui a fait, historiquement, sa grandeur, et que
l’affaire Dreyfus vient détruire : « la mise en péril de tout ce que tu as
si chèrement payé, la tolérance religieuse, la justice égale pour tous,
la solidarité fraternelle de tous les citoyens  ».
QUESTION 2
Les trois modalités expressives sont présentes dans ce texte :
 Chaque paragraphe commence par la modalité
impérative/injonctive. Elle soutient l’apostrophe de Zola à la
France, qui devient ainsi un appel pressant, urgent.
 À la fin du texte, on note la modalité exclamative, introduite par
l’interjection « Quoi ! » Elle révèle la colère de Zola face au trop petit
nombre, à ses yeux, des partisans de Dreyfus.
 Enfin, dans chaque paragraphe Zola emploie la modalité
interrogative :
• Dans le 1er, elle est négative (« ne la soupçonnes-tu donc pas », « ne
trouves-tu pas »), ce qui sous-entend une réponse affirmative des lecteurs.
Pour Zola, le lecteur est capable, seul, de découvrir la vérité qui lui a été
cachée.
• Dans le 2nd, elle est affirmative, « Comment est-il possible », « Est-ce
cela que tu veux », pour amener le lecteur à réfléchir sur ses choix.
Dans les deux cas, il s’agit de questions oratoires/rhétoriques,
posées pour impliquer davantage le lecteur.
QUESTION 3
La force de persuasion de cette argumentation vient d’abord du double
choix d’énonciation.
- Zola, en choisissant le pronom « je », s’implique avec force dans cette « lettre
ouverte » : il ne cache pas son indignation, soulignée d’ailleurs par l’exclamation finale.
- Par l’apostrophe à la « France », qu’il tutoie familièrement, Zola à la fois implique
chacun de ses lecteurs, citoyens de ce pays, et rend plus solennel son appel, dont
l’urgence est marqué par le choix du mode impératif.
À cela s’ajoutent les autres procédés de style propres à la modalisation.
- Zola oppose nettement le lexique péjoratif, réservé à ses adversaires, qualifiés, par
exemple, de « fripouille », et le lexique mélioratif pour les « honnêtes gens », les
partisans de Dreyfus, terme d’ailleurs répété, et amplifié à la fin du texte. De même, le
terme « gloire », élogieux pour la France, est repris plus loin par « glorieuse conquête ».
- Le rythme des phrases est également élaboré, par exemple pour mettre en valeur le
terme « vérité », antéposé à deux reprises au début du texte. À la fin de chaque
paragraphe, on observe aussi le rythme ternaire, qui correspond aux élans oratoires de
Zola.
- Outre la personnification, que représente l’apostrophe à la France, on relève une
image frappante quand Zola, pour qualifier les abus, déclare « cela sent mauvais »,
ensuite repris par « cela sent le cadavre ». On note aussi un chiasme entre « les libres
esprits » et « les cœurs larges », dont le centre montre que Zola veut toucher aussi bien
la raison que le cœur de ses lecteurs, à la fois con vaincre et persuader.
QUESTION 1 QUESTION 3

QUESTION 2
« Permettez-moi, Messieurs, de vous adresser quelques mots. Je suis une fille malheureuse et
pauvre, je n’ai pas le moyen de payer des avocats pour prendre ma défense, et je ne vous
retiendrai pas longtemps. Je ne me flatte pas que dans la sentence que vous allez prononcer vous
vous écartiez de la loi ; ce que j’ose espérer, c’est que vous daignerez implorer pour moi les
bontés du gouvernement et obtenir qu’il me dispense de l’amende. Voilà la cinquième fois que je
parais devant vous pour le même sujet ; deux fois j’ai payé des amendes onéreuses, deux fois j’ai
subi une punition publique et honteuse parce que je n’ai pas été en état de payer. Cela peut être
conforme à la loi, je ne le conteste point ; mais il y a quelquefois des lois injustes, et on les
abroge[1] ; il y en a aussi de trop sévères, et la puissance législatrice peut dispenser de leur
exécution. J’ose dire que celle qui me condamne est à la fois injuste en elle-même et trop
sévère envers moi. Je n’ai jamais offensé personne dans le lieu où je vis, et je défie mes ennemis,
si j’en ai quelques-uns, de pouvoir prouver que j’aie fait le moindre tort à un homme, à une
femme, à un enfant. Permettez-moi d’oublier un moment que la loi existe, alors je ne conçois pas
quel peut être mon crime. »

QUESTION 1

Diderot choisit un porte-parole, Polly Baker, de sa thèse, qui est une remise en
cause, typique de l’esprit des Lumières au XVIII° siècle, de la loi. D’une part,
Diderot la dénonce comme « injuste », dans son contenu même, ici envers les
mères célibataires ; d’autre part, il critique son application, « trop sévère », c’est-à-
dire ne tenant pas suffisamment compte des cas particuliers.
QUESTION 2
Au centre de l’argumentation de l’héroïne, on reconnaît le
raisonnement par concession, employé à deux reprises :
 « Je ne me flatte pas que dans la sentence que vous allez prononcer vous vous
écartiez de la loi ; ce que j’ose espérer, c’est que vous daignerez implorer pour moi
les bontés du gouvernement et obtenir qu’il me dispense de l’amende. »: La
ponctuation des deux points marque une opposition implicite entre le premier verbe,
négatif, et le second, affirmatif. Ainsi, dans un premier temps, Polly ne rejette par « la
loi », elle accepte par avance le jugement. Mais, par la suite, elle pose clairement sa
demande, qui revient, en réalité, à demander que la loi ne soit pas appliquée à son
égard.
 « Cela peut être conforme à la loi, je ne le conteste point ; mais il y a quelquefois
des lois injustes, et on les abroge ; il y en a aussi de trop sévères, et la puissance
législatrice peut dispenser de leur exécution. »: Ici, l’opposition est explicitée par le
connecteur « mais », qui sépare, ici aussi, un premier verbe négatif et un second
affirmatif. Elle admet d’abord la légalité de la « punition » deux fois reçue, mais
proteste ensuite contre les lois elles-mêmes et leur application.
Cette stratégie traduit, bien sûr, la modestie de l’héroïne, bien
consciente de son infériorité sociale face à ses « juges » si haut placés.
Mais elle marque aussi la prudence de Diderot, qui n’attaque pas de
front les lois, mais parvient tout de même à les remettre en cause.
QUESTION 3
Le choix d’énonciation accentue la force persuasive du discours. Céder la
parole à un personnage permet à Diderot de concrétiser sa critique et de
la rendre plus pathétique, vu la fragilité de cette héroïne. Celle-ci s’implique
alors, évoque son existence (« Je suis une fille malheureuse et pauvre. »),
en interpellant directement ses juges, « Messieurs », derrière lesquels se
cachent, bien sûr, les lecteurs.
À cela s’ajoutent des procédés d’écriture.
- La modalité impérative/injonctive ouvre et ferme le texte, avec la reprise en
anaphore du même verbe : « Permettez-moi… » Elle révèle à la fois l’audace du
propos dans la bouche d’une accusée, tout en essayant de l’atténuer.
- Le lexique est simple, en accord avec l’origine sociale de l’héroïne, en relation
avec le contexte judiciaire : « avocat », « sentence », « loi », « amende », « crime ».
Mais le passage posant la thèse (cf. Qu°1) adopte, lui, à un lexique plus
complexe, « puissance législative », « abroge », car c’est ici Diderot qui s’exprime.
- Enfin,, on note un travail sur le rythme, d’abord avec le présentatif « Voilà cinq
fois », qui permet une mise en valeur, tout comme l’anaphore : « deux fois ». Le
rythme binaire domine dans ce texte, par exemple avec « malheureuse et pauvre »,
« implorer… et obtenir », « publique et honteuse », « injuste… et trop sévère ». Mais
à la fin, on voit le rythme ternaire : « à un homme, à une femme, à un enfant  ».

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