Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
OE U V R E S
PET
ÉDITION ELZÉVIRIENNE DE
OEU VR ES
DE
Leconte de Lisle
OE U V R E S
DE
Leconte de Lisle
POÈzMES PP^LGIQUES
Edition revue et augmentée
PARIS
L’Apothéose de Mouça-al-Kébyr
Tout s’éveille, l’air frais vibre de chants et d’ailes, Et la chaude lumière inonde la nuée,
L’étalon syrien se cabre en hennissant, La cendre du soleil nage dans l’air épais ;
Et du haut des toits plats les cigognes fidèles L’oiseau dort sous la feuille à peine remuée,
Regardent le soleil jaillir d’un bond puissant. Et toute rumeur cesse, et raidi brûle en paix.
Au-dessus des mûriers et des verts sycomores, C’est l’heure où le Khalyfe, avant la molle sieste,
Au rebord dentelé des minarets, voilà Au sortir du harem embaumé de jasmin,
Les Mouazzin criant en syllabes sonores: Entend et juge, tue ou pardonne d’un geste,
A la prière ! à la prière I Allah ! Allah ! Ayant l’honneur, la vie et la mort dans sa main.
Aniers et chameliers amènent par les rues Voici. Le Dyouân s’ouvre. De place en place,
Onagres et chameaux chargés de fardeaux lourds; Chaque verset du Livre, aux parois incrusté,
Les appels; les rumeurs confusément accrues En lettres de cristal et d’argent s’entrelace
Circulent à travers bazars et carrefours. Du sol jusqu’à la voûte et sans fin répété.
Juifs avec l’écritoire aux reins et les balances, Sous le manteau de laine et la cotte de mailles
Marchands d’ambre, de fruits, d’étoffes et de fleurs, Et le cimier d’où sort le fer d’épieu carré,
Cavaliers du désert armés de hautes lances Les Ëmyrs d’Orient dressent leurs hautes tailles
Qui courent çà et là parmi les chiens hurleurs ; Autour de Soulymân, l’Ommyade sacré.
Batteurs de tambourins, joueurs de flûtes aigres, Les Imâmsde la Mekke, immobiles et graves,
Ëmyrs et mendiants, et captifs étrangers, Sont là, l’écharpe verte enroulée au front ras,
Et femmes en litière aux épaules des nègres, Et les chefs de tribus chasseresses d’esclaves
Dardant leurs yeux aigus sous leurs voiles légers. Dont le soleil d’Égypte a corrodé les bras.
La multitude va, vient, s’agite et se mêle Au fond, vêtus d’acier, debout contre les portes,
Par flots bariolés entre les longs murs blancs, De noirs Éthiopiens semblent, silencieux,
Comme une mer mouvante et murmurant comme elle, Des spectres de guerriers dont les âmes sont mortes.
Tandis que le jour monte aux cieux étincelants. Sauf qu’un éclair rapide illumine leurs yeux.
POÈMES TRAGIQUES. L’APOTHÉOSF. DE MOUÇA-Al-KÉBYR. 5
4
Croisant ses pieds chaussés de cuir teint de cinabre, Œil du Glorifié, Khalyfe du Prophète,
Le Khalyfe, appuyé du coude à ses coussins, Qui règles l’univers du Levant au Couchant
La main au pommeau d’or emperlé de son sabre, Par la force invincible et l’équité parfaite!
Songe, l’esprit en proie à de sombres desseins. Délices du fidèle et terreur du méchant I
Car les temps ne sont plus de la grandeur austère. Ainsi qu’il est écrit aux Sourates du Livre,
Le Chamelier divin et le bon Corroyeur, Puisqu’il faut rendre compte et payer ce qu’on doit,
Aly, le saint d’Allah, ont déserté la terre, L’homme est prêt : il attend de mourir ou de vivre.
Ayant fait de leur âme un ciel intérieur. J’ai parlé. -— Soulymân écoute et lève un doigt.
Cléments pour les vaincus de la lutte guerrière, Les tentures de soie, aussitôt repliées,
Ils méditaient parmi les humbles à genoux ; S’ouvrent. Un grand vieillard, sous des haillons de deuil,
Le poil de leurs chameaux, tissé dans la prière, La tête et les pieds nus et les deux mains liées,
Non la pourpre, ceignait leurs fronts mâles et doux. Maigre comme un vieil aigle, apparaît sur le seuil.
Hélas ! ils sont allés par delà les étoiles, Sa barbe, en lourds flocons, sur sa large poitrine,
Et, livrant leur puissance à de vils héritiers, Plus blanche que l’écume errante de la mer,
S’ils vivent dans la gloire éternelle et sans voiles, Tombe et pend. Le dédain lui gonfle la narine
Pour le monde orphelin ils sont morts tout entiers. Et dans l’orbite cave allume son œil fier.
L’Ommyade est rongé de soupçons et d’envie. Un sillon rouge encore, une âpre cicatrice,
Ses lourds coffres d’ivoire et de cèdre embaumé Du crâne au sourcil droit traverse tout le front
Débordent, mais qui sait la soif inassouvie Qui se dresse, bravant l’envie accusatrice,
D’un cœur que l’avarice impure a consumé? Indigné sous l’outrage et hautain sous l’affront.
Le Hadjeb de l’Empire, huissier du seuil auguste, Ceux d’Yémen, d’Hedjaz, de Syrie et d’Afrique,
Qui tient le sceau, l’épée et le sceptre, trois fois Pour le laisser passer s’écartent un moment,
Prosterné, dit : —Très grand, très sévère et très juste! Et lui, sans incliner sa stature héroïque,
Bouclier de l’Islam, Protecteur des trois Loisl Devant le Maître assis s’arrête lentement.
l’apothéose de mouça-al-kébyr. 7
POÈMES TRAGIQUES.
Gloire au Très-Haut! Lui seul est éternel. Le monde Mais, pour le vil chacal qui vient mordre et déchire
Est périssable et vole au suprême moment ; Le vieux lion sanglant au bord de son tombeau,
Mais Lui, roulant les cieux dans sa droite profonde, Le souille de sa bave, et, devant qu’il expire,
Enflera le clairon du dernier Jugement. Le dévore dans l’ombre et lambeau par lambeau ;
Les cœurs seront à nu devant son œil sublime, Pour le lâche, qu’il soit Émyr, Hadjeb, Khalyfe,
Et sur le pont Syrath, plus tranchant qu’un rasoir, Qui blêmit de la gloire éclatante d’autrui,
Le Juste passera sans tomber dans l’abîme, Yblis le Lapidé le prendra dans sa griffe
Tel qu’un éclair qui fend l’ombre épaisse du soir. Et crachera d’horreur et de dégoût sur lui.
De musc t de benjoin et de nard parfumées, Qu ai-je à dire, sinon rien? Car ma tâche est faite.
Ses blessures luiront mieux que l’aurore au ciel. J’ai vécu de longs jours et je meurs, c’est la loi.
Allah fera jaillir pour ses lèvres charmées Mon sang, ma vie, Allah, les Anges, le Prophète,
Quatre fleuves de lait, de vin pur et de miel. Plus haut que le tonnerre ont répondu pour moi.
Les Vierges, au front ceint de roses éternelles, Traître! n’atteste pas le saint Nom que tu souilles,
Dont les yeux sont plus clairs que nos soleils d’été Dit Soulymân. Réponds, confesse ton forfait.
Et si doux, qu’un regard tombé de leurs prunelles Les vingt couronnes d’or des Goths et les dépouilles
Enivrerait Yblis soumis et racheté ; Des royales cités, voleur ! qu’en as-tu fait ?
Les célestes Hûris, que rien d’impur ne fane, Plus d insolent silence ou de ruse subtile !
Blanches comme le lys, pures comme l’encens, Les Ëmyrs d’Occident t’accusent de concert.
Entre leurs bras légers, sur leur sein diaphane, Rends ces trésors pour prix de ta vie inutile
Multiplieront l’ardeur sans déclin de ses sens. Et va cacher ta honte aux sables du désert.
Puis, par delà les jours, les siècles et l’espace, - Fais plutôt rendre gorge à ce troupeau d’esclaves
Dans le bonheur sans fin au Croyant réservé, Qu’engraisse la rançon des peuples et des rois,
Il verra le Très-Haut, l’Unique, face à face, Dit Mouça. J’ai parlé. Les sages et les braves,
Et saura ce que nul n’a conçu, ni rêvé 1 O Khalyfe ! apprends-le, ne parlent pas deux fois.__
2
10 POÈMES TRAGIQUES.
l’apothéose de mou ça-al-kéb YR. II
Tout pâle, Soulymân se lève de son siège : Où, farouche, enivré de jeunesse et de force,
— Liez, tête et pieds nus, ce traître, et le traînez Il criait vers le ciel, ainsi qu’un lionceau
Sur un âne, à rebours, et qu’il ait pour cortège Qui s’essaie à rugir et déchire l’écorce
La fange et les cailloux et les cris forcenés 1 Des durs dattiers dont l’ombre abrita son berceau.
Qu’un eunuque le tienne au cou par une corde; Il revoit ses combats de Syrie et de Perse,
Que dans sa chair, saignant de l’épaule à l’orteil, Et l’Égypte et Carthage et le désert ardent,
A chaque carrefour le fouet qui siffle morde, Et les rudes tribus qu’il pourchasse et disperse
Et tranchez-lui la tête au coucher du soleil ! Des gorges de l’Atlas à la mer d’Occident;
Allez, et sachez tous qu’il n’est point de refuge Puis, le détroit franchi par les barques Berbères,
Devant mon infaillible et sévère équité. Et son noble étalon qui, hérissant ses crins,
— Soit! dit Mouça. L’arrêt, par Allah 1 vaut le juge. Pour fouler le premier le sol des vieux Ibères,
Khalyfe ! songe à moi dans ton éternité. — Saute parmi l’écume et les embruns marins ;
A travers la huée et les coups, par la ville, Les assauts furieux des hautes citadelles,
Sur un âne poussif bon pour d’abjects fardeaux, La mêlée où, debout sur le large étrier,
Le vieux guerrier, vêtu de quelque loque vile, Le sabre au poing, trouant les hordes infidèles,
Impassible, s’en va, les poings liés au dos. Il buvait à longs traits l’ivresse du guerrier;
La multitude hurle et le poursuit. Les pierres Et les bandes de Goths aux lourdes tresses rousses
Volent, heurtant sa face et meurtrissant ses bras. Fuyant, la lance aux reins, par les vais et les monts,
Le fouet coupe ses reins saignants. Mais ses paupières Et les noirs cavaliers du Maghreb à leurs trousses
Sont closes. Il ne voit, n’entend rien, ne sent pas. Bondissant et hurlant comme un vol de démons 1
Son âme s’en retourne aux splendides années Allah! jours de triomphe, heures illuminées
Qui semblaient ne jamais décroître ni s’enfuir, Par 1 héroïque orgueil hérité des aïeux!
Où, méditant déjà ses hautes destinées, Quand, du mont de Tharyq jusques aux Pyrénées,
Il quittait l’Yémen et sa tente de cuir; L étendard de l’Islam flottait victorieux ;
l’apothéose de mouça-al-kébyr. 15
12 POÈMES TRAGIQUES.
Quand les Chrétiens, traqués aux rocs des Asturies, C’est l’heure de la mort. Le supplice .est au terme.
Sur les sommets neigeux, au fond des antres sourds, Voici le carrefour funèbre et le pavé.
Un sombre Éthiopien dégaine d’un poing ferme
Loin des belles cités et des plaines fleuries
Vivaient avec les loups, les aigles et les ours! Le sabre grêle et long tant de fois éprouvé.
Mouça, dans ses liens, hausse toute sa taille, La foule, alors, dont l’œil multiple se dilate,
Et sous ses sourcils blancs darde des yeux en feu : Voit se transfigurer l’homme aux membres sanglants.
__O Croyants ! balayez de bataille en bataille Ses haillons sont d’azur, d’argent et d’écarlate ;
Ces chiens blasphémateurs du Prophète de Dieu ! La cotte d’acier clair luit et sonne à ses flancs.
Semblables aux torrents tombés des cimes blanches, Il n’est plus garrotté sur le morne squelette
Sur le pays d’Afrank ruez-vous, mes lions ! Qu’un eunuque abruti traîne par le licou,
A vous les fruits dorés qui font ployer les branches, Et qui geint de fatigue, et qui bute, et halette,
La beauté de la vierge et le grain des sillons ! Et tend son maigre col d’un air sinistre et fou.
Enseignez la Loi sainte à l’idolâtre immonde! Eunuque, Éthiopien, âne poussif et gauche,
Ni trêve ni repos à ces buveurs de vin ! Tout s’efface. Lui seul surgit, l’épée en main.
Portez le nom d’Allah jusqu’aux confins du monde Sa barbe et ses cheveux rayonnent. Il chevauche
Et ne vous reposez qu’au Paradis divin! — La Créature auguste aux lèvres de carmin,
Ainsi parle le vieux héros dans son délire. Aux serres d’aigle, avec dix blanches paires d’ailes,
Et la boue et la pierre,et l’injure et les coups, Al-Boraq, dont la croupe est comme un bloc vermeil,
Et la clameur féroce et l’exécrable rire Et qui, telle qu’un paon constellé de prunelles,
Le submergent comme un assaut de mille loups. Élargit la splendeur de sa queue au soleil.
Mais, au Liban lointain, la flamme occidentale, Agitant ses crins d’or, la céleste Cavale,
Par flots rouges, s’enflant de parois en parois, Dans la sérénité de l’air silencieux,
Inonde les rochers qu’elle allume, et s’étale D’une odeur ineffable embaume l’intervalle
Sur les cèdres anciens, immobiles et droits. Qu’elle a franchi d’un bond en s’envolant aux cieux.
14 POEMES TRAGIQUES.
Comme une torche immense ardemment secouée, CHANT DE MORT GALLOIS DU VIo SIÈCLE
Devant ton souffle, Allah, poussière que nous sommes! Devant le Paradis promis aux nobles morts,
Vingt mille cavaliers et vingt mille étalons Sans peur des hurlements de ces chacals voraces,
Se sont abattus là par épais tourbillons ; Qui d’entre nous, honteux de languir sur tes traces,
La plaine et le coteau, le fleuve et les vallons Conduit par ta lumière, Étoile des trois races,
Ruissellent du sang noir des bêtes et des hommes. N’eût lâché pour mourir les rênes et le mors?
Le naphte, à flots huileux, par lugubres éclats, Torrent d’hommes qui gronde, écroule d’un haut faîte,
Allume l’horizon des campagnes désertes, Mer qui bat flot sur flot le roc dur et têtu,
Monte, fait tournoyer ses longues flammes vertes Sur l’idolâtre impur, mille fois combattu,
Et brûle, face au ciel et paupières ouvertes, Tu nous as déchaînés, ivres de ta vertu,
Les cadavres couchés sur les hauts bûchers plats. Glorieux fils d’Amer, ô Souffle du Prophète !
Allah! dans la rumeur d’une foudre aux nuées, Le choc terrible, plein de formidables sons,
A travers le buisson, le roc et le ravin, A fait choir les vautours des roches ébranlées,
Contre ces vils mangeurs de porc, gorgés de vin, Et les aigles crier et s’enfuir par volées,
Nos vaillantes tribus, dix fois, toujours en vain. Et plus loin que les monts, les cites, les vallées,
Coup sur coup, et le rire aux dents, se sont ruees. Sans fin, s’est engouffré vers les quatre horizons.
■ Et toi, vêtu de pourpre et de mailles d’acier, Hélas ! les étalons, ployant leurs jarrets grêles,.
Coiffé du cimier d’or hérissé d’étincelles, De l’aube au soir, dans un âpre fourmillement,
Tel qu’un aigle, le vent de la victoire aux ailes, Ont bondi, les crins droits et le frein écumant,
La lame torse en main, tu volais devant elles, Leur naseau rose en feu, par masse, éperdument,
Mohammed-al-Mançour, bon, brave et justicier! Comme un essaim strident d’actives sauterelles.
22 POÈMES TRAGIQUES. LE SUAIRE Df MOHAMMED. 23
Ah! vrais fils d’Al-Boraq la Vierge et de l’éclair, Pâle et grave, percé de coups, haché d’entailles,
Sûrs amis, compagnons des batailles épiques, Le Hadjeb immortel, comme il était écrit,
Joyeux du bruit des coups et des cris frénétiques, Pour monter au Djennet qui rayonne et fleurit,
Vous hennissiez, cabrés à la pointe des piques, Rend aux Anges d’Allah son héroïque esprit
Vous enfonçant la mort au ventre, ô buveurs d’air ! Ceint des palmes et des éclairs de cent batailles.
Vous mordiez les tridents, les fourches et les sabres L’âme est partie avec la pourpre du soleil.
Et l’épieu des chasseurs de loup, d’ours et d’isard, Sous la peau d’un lion fauve à noire crinière,
Muraille rude et sombre où flottaient au hasard Dans le coffre de cèdre où croissait la poussière
Les Lions de Castille et le jaune Lézard Recueillie en vingt ans sur l’armure guerrière,
De Compostelle et les Mains rouges des Cantabres. Mohammed-al-Mançour dort son dernier sommeil.
L’Astre rouge
Pour ton beau col, ô mon amour, Rayon de l’aube, astre du soir,
Pour ta peau ferme, lisse et brune! Dans mon cœur ta lumière éclate!
Sur le pont du blême Giaour Le Giaour s’enfonce au flot noir!
Des yeux morts regardent la lune. Voici des perles de Mascate.
Mais est-il rien que tu n’effaces? Dors, les mains derrière le cou,
Tes longs yeux sont un double éclair. La mousseline autour des hanches.
La lune reluit sur leurs faces, Du haut des tiges de bambou
L’odeur du sang parfume l’air. Le soleil filtre en larmes blanches.
32 POÈMES TRAGIQUES. PANTOUNS MALAIS.
Dans l’herbe couleur d’émeraude Tes chevilles d’ambre ont des grelots d’or,
Qui te voit ne peut t’oublier I Ta bouche a le goût du miel vert des ruches.
Un vol de guêpes vibre et rôde Le Seigneur rayé, le Roi de Timor,
Du santal au géroflier. Le voilà qui rôde et tend ses embûches.
Qui te voit ne peut t’oublier; Ta bouche a le goût du miel vert des ruches,
Il t’aimera jusqu’à la tombe. Ton rire joyeux est un chant d’oiseau.
Du santal au géroflier Le voilà qui rôde et tend, ses embûches :
L’épervier poursuit la colombe. C’est l’heure où le daim va boire au cours d’eau.
O femme, n’aime qu’une fois ! Tu cours et bondis mieux que les gazelles,
Le Praho sombre approche et tangue. Mais ton cœur est traître et ta bouche ment !
Elle rend l’âme au fond des bois Il a vu jaillir deux jaunes prunelles;
Sous l’arbre où pend la rouge mangue. Un frisson de mort l’étreint brusquement.
5
POÈMES TRAGIQUES. PANTOUNS MALAIS. 35
34
Mais ton cœur est traître et ta bouche ment ! Voici sa belle tête morte !
Ma lame de cuivre à mon poing flamboie. Je l’ai coupée avec mon kriss.
Un frisson de mort l’étreint brusquement : Le Praho rapide m’emporte
Le royal Chasseur a saisi sa proie. En bondissant comme l’axis.
V^uand l’homme approche enfin des sommets où la vie Aux pentes des pitons, parmi les cannes grêles
Va plonger dans votre ombre inerte, ô mornes cieuxl Dont la peau d’ambre mûr s’ouvre au jus attiédi,
Debout sur la hauteur aveuglément gravie, Le vol vif et strident des roses sauterelles
Les premiers jours vécus éblouissent ses yeux. Qui s’enivrent de la lumière de midi;
Tandis que la nuit monte et déborde les grèves, Les cascades, en un brouillard de pierreries,
Il revoit, au delà de l’horizon lointain, Versant du haut des rocs leur neige en éventail;
Tourbillonner le vol des désirs et des rêves Et la brise embaumée autour des sucreries,
Dans la rose clarté de son heureux matin. Et le fourmillement des Hindous au travail ;
Monde lugubre, où nul ne voudrait redescendre Le café rouge, par monceaux, sur l’aire sèche;
Par le même chemin solitaire, âpre et lent, Dans les mortiers massifs le son des calaous ;
Vous, stériles soleils, qui n’êtes plus que cendre, Les grands-parents assis sous la varangue fraîche
Et vous, ô pleurs muets, tombés d’un cœur sanglant! Et les rires d’enfants à l’ombre des bambous ;
POÈMES TRAGIQUES. l’illusion suprême. 39
Le ciel vaste où le mont dentelé se profile, O chère Vision, toi qui répands encore,
Lorsque ta pourpre, ô soir, le revêt tout entier ! De la plage lointaine où tu dors à jamais,
Et le chant triste et doux des Bandes à la file Comme un mélancolique et doux reflet d’aurore
Qui s’en viennent des hauts et s’en vont au quartier. Au fond d’un cœur obscur et glacé désormais l
Voici les bassins clairs entre les blocs de lave; Les ans n’ont pas pesé sur ta grâce immortelle,
Par les sentiers de la savane, vers l’enclos, La tombe bienheureuse a sauvé ta beauté :
Le beuglement des bœufs bossus de Tamatave Il te revoit, avec tes yeux divins, et telle
Mêlé dans l’air sonore au murmure des flots, Que tu lui souriais en un inonde enchanté 1
Et sur la côte, au pied des dunes de Saint-Gilles, Mais quand il s’en ira dans le muet mystère
Le long de son corail merveilleux et changeant, Où tout ce qui vécut demeure enseveli,
Comme un essami d’oiseaux les pirogues agiles Qui saura que ton âme a fleuri sur la terre,
Trempant leur aile aiguë aux écumes d’argent. O doux rêve, promis à l’infaillible oubli r
Villanelle
Tels, sans doute, autrefois, Y’hezqel le Voyant, O Princes ! c’est pourquoi vous ne dormirez point
Le poil tout hérissé du souffle prophétique, Au tombeau des aïeux, immobiles et graves,
Les vit tourbillonner en se multipliant Sous le suaire où l’or à la pourpre se joint,
Hors du sombre Schéol, dans le Val effrayant Votre couronne au front et votre épée au poing,
Où gît la Race antique. Comme dorment les braves.
46 POÈMES TRAGIQUES.
LE TALION. 47
7
l’holocauste. 51
Et ce fut tout. Le feu le dévora vivant, Un instant immobile, il plane, épie et flaire.
Et sa chair et ses os furent vannés au vent. Là-bas, au flanc du roc crevassé, ses aiglons
Erigent, affamés, leurs cous au bord de l’aire.
L’un d’eux, parfois, hennit vers l’aube; l’autre rue; Quand il jette un appel vers les cieux éclatants,
Ou quelque autre, tordant la queue, allègrement, La harde, qui tressaille à sa voix fière et brève,
Pris de vertige, court dans l’herbe jaune et drue. Accourt, l’oreille droite et les longs crins flottants.
I.a lumière, en un frais et vif pétillement, L’aigle tombe sur lui comme un sinistre rêve,
Croît, s’élance par jet, s’échappe par fusée, S’attache au col troué par ses ongles de fer
Et l’orbe du soleil émerge au firmament. Et plonge son bec courbe au fond des yeux qu’il crève.
A l’horizon subtil où bleuit la rosée, Cabré, de ses deux pieds, convulsifs battant l’air,
Morne dans l’air brillant, l’aigle darde, anxieux, Et comme empanaché de la bête vorace,
Sa prunelle infaillible et de faim aiguisée. L’étalon fuit dans l’ombre ardente de l’enfer.
Mais il n’aperçoit rien qui vole par les cieux, Le ventre contre l’herbe, il fuit, et, sur sa trace,
Rien qui surgisse au loin dans la steppe aurorale, Ruisselle de l’orbite excave un flux sanglant ;
Cerf ni daim, ni gazelle aux bonds capricieux. Il fuit, et son bourreau le mange et le harasse.
Il fait claquer son bec avec un âpre râle; L’agonie en sueur fait haleter son flanc ;
D’un coup d’aile irrité, pour mieux voir de plus haut, Il renâcle, et secoue, enivré de démence,
Il s’enlève, descend et remonte en spirale. Cette grande aile ouverte et ce bec aveuglant.
L’heure passe, l’air brûle. Il a faim. A défaut Il franchit, furieux, la solitude immense,
De gazelle ou de daim, sa proie accoutumée, S’arrête brusquement, sur ses jarrets ployé,
C’est de la chair, vivante ou morte, qu’il lui faut. S’abat et se relève et toujours recommence.
Or, dans sa robe blanche et rase, une fumée Puis, rompu de l’effort en vain multiplié,
Autour de ses naseaux roses et palpitants, L’écume aux dents, tirant sa langue blême et rêche,
Un étalon conduit la hennissante armée. Par la steppe natale il tombe foudroyé.
$6 POÈMES TRAGIQUES.'
La Résurrection d’Adônis
8
POÈMES TRAGIQUES.
5§
L’Incantation du Loup Lui, le chef du haut Hartz, tous l’ont trahi, le Nain
Et le Géant, le Bouc, l’Orfraie et la Sorcière,
Accroupis près du feu de tourbe et de bruyère
Où l’eau sinistre bout dans le chaudron d’airain.
Le s lourds rameaux neigeux du mélèze et de l’aune. Sa langue fume et pend de la gueule profonde.
Sans lécher le sang noir qui s’égoutte du flanc,
Un grand silence. Un ciel étincelant d’hiver.
Il érige sa tête aiguë en grommelant,
Le Roi du Hartz, assis sur ses jarrets de fer,
Et la haine, dans ses entrailles, brûle et gronde.
Regarde resplendir la lune large et jaune.
L’Homme, le massacreur antique des aïeux,
Les gorges, les vallons, les forêts et les rocs
De ses enfants et de la royale femelle
Dorment inertement sous leur blême suaire,
Qui leur versait le lait ardent de sa mamelle,
Et la face terrestre est comme un ossuaire
Hante immuablement son rêve furieux.
Immense, cave ou plat, ou bossué par blocs.
Une braise rougit sa prunelle énergique ;
Tandis qu’éblouissant les horizons funèbres,
Et, redressant ses poils roides comme des clous,
La lune, œil d’or glacé, luit dans le morne azur,
Il évoque, en hurlant, l’âme des anciens loups
L’angoisse du vieux Loup étreint son cœur obscur,
Qui dorment dans la lune éclatante et magique.
Un âpre frisson court le long de ses vertèbres.
LE PARFUM IMPÉRISSABLE. 71
Le Parfum impérissable
L’immense mer sommeille. Elle hausse et balance Tout est vide et muet. Rien qui nage ou qui flotte,
Ses houles où le ciel met ¿’éclatants îlots. Qui soit vivant ou mort,qu’il puisse entendre ou voir.
Une nuit d’or emplit d’un magique silence Il reste inerte, aveugle, et son grêle pilote
La merveilleuse horreur de l’espace et des flots. Se pose pour dormir sur son aileron noir.
Les deux gouffres ne font qu’un abîme sans borne Va, monstre! tu n’es pas autre que nous ne sommes,
De tristesse, de paix et d’éblouissement, Plus hideux, plus féroce, ou plus désespéré.
Sanctuaire et tombeau, désert splendide et morne Console-toi! demain tu mangeras des hommes,
Où des millions d’yeux regardent fixement. Demain par l’homme aussi tu seras dévoré.
Tels, le ciel magnifique et les eaux vénérables La Faim sacrée est un long meurtre légitime
Dorment dans la lumière et dans la majesté, Des profondeurs de l’ombre aux cieux resplendissants,
Comme si la rumeur des vivants misérables Et l’homme et le requin, égorgeur ou victime,
N'avait troublé jamais leur rêve illimité. Devant ta face, ô Mort, sont tous deux innocents.
** 10
L’ALBATROS. 75
L’Albatros
I
L’âpre vent qui franchit la colline et la plaine
Vient, chargé d’exécrations,
De suprêmes fureurs, de vengeance et de haine,
Heurter les sombres bastions.
O Paris ! c’est la cent deuxième nuit du Siège, Il flagelle les lourds canons, meutè géante
Une des nuits du grand Hiver. Qui veille allongée aux affûts,
Des murs à l’horizon l’écume de la neige Et souffle par instants dans leur gueule béante
S’enfle et roule comme une mer. Qu’il emplit d’un râle confus.
Mâts sinistres dressés hors de ce flot livide, Il gronde sur l’amas des toits, neigeux décombre,
Par endroits, du creux des vallons, Sépulcre immense et déjà clos,
Quelques grêles clochers, tout noirs sur le ciel vide, Mais d’où montent encor, lamentables, sans nombre
S’enlèvent, rigides et longs. Des murmures faits de sanglots ;
78 POÈMES TRAGIQUES. LE SACRE DE PARIS. 79
Où l’enfant glacé meurt aux bras des pâles mères Nourrice des grands morts et des vivants célèbres,
Où, près de son foyer sans pain, Vénérable aux siècles jaloux,
Le père, plein d’horreur et de larmes amères, Est-ce toi qui gémis ainsi dans les ténèbres
Étreint une arme dans sa main. Et la face sur les genoux?
Ville auguste, cerveau du monde, orgueil de l’homme, Tous les loups d’outre-Rhiu ont mêlé leurs espèces:
Ruche immortelle des esprits, Vandale, Germain et Teuton,
Phare allumé dans l’ombre où sont Athène et Rome, Ils sont tous là, hurlant de leurs gueules épaisses
Astre des nations, Paris ! Sous la lanière et le bâton.
O nef inébranlable aux flots comme aux rafales, Us brûlent la forêt, rasent la citadelle,
Qui, sous le ciel noir ou clément, Changent les villes en charnier ;
Joyeuse, et déployant tes voiles triomphales, Et l’essaim des corbeaux retourne à tire d’aile,
Voguais victorieusement! Pour être venu le dernier.
Toi qui courais, pieds nus, irrésistible, agile, O Paris, qu’attends-tu? la famine ou la honte?
Par le vieux monde rajeuni 1 Furieuse et cheveux épars,
Qui, secouant les rois sur leur tréteau fragile, Sous l’aiguillon du sang qui dans ton cœur remonte
Chantais, ivre de l’infini ! Val bondis hors de tes remparts !
8o POEMES TRAGIQUES. LE SACRE DE PARIS.
Enfonce cette tourbe horrible où tu te rues, Et, saluant ton nom, adorant ton génie,
Frappe, redouble, saigne, mords ! Quand il faudra rompre des fers,
Vide sur e(ux palais, maisons, temples et rues : Offre ta libre gloire et ta grande agonie
Que les mourants vengent les morts ! Comme un exemple à l’univers.
J L
Avec ses bardeaux roux jaspés de mousses d’or
Et sa varangue basse aux stores de Manille,
A l’ombre des manguiers où grimpe la vanille
Si la maison du cher aïeul repose encor ;
Hieronymus
Ascétique, les mains jointes, le dos courbé, Qui chauffait votre gorge et troublait vos prunelles?
Hiéronymus, le vieil et révérend Abbé. Jusqu’au dégoût final êtes-vous abreuvé?
Que cherchiez-vous au monde, et qu’avez-vous trouvé ?
En face, seul, debout, sans cape ni sandales, Rien. Honteux, affamé, chargé d’ignominie,
Et du sang de ses pieds tachant les froides dalles, Vous haletez autour de notre paix bénie
Un autre moine est là, silencieux aussi. Comme un mort effrayant qui cherche son cercueil;
L’œil dardé devant soi, bien loin de ce lieu-ci, Mais l’expiation rigide est sur le seuil.
Au travers de ces murs massifs son âme plonge Désormais, dussiez-vous trépasser centenaire,
Dans le ravissement d’un mystérieux songe; Il faut payer le prix de ce qui régénère,
Un sourire furtif fait reluire ses dents; Et, face à face avec l’horreur de son péché,
Mais il reste immobile et les deux bras pendants, Vivre en sa tombe avant d’y demeurer couché.
Dédaigneux du pardon ou de la peine atroce. Ne le saviez-vous point? Qui méprise la règle
Enfin, l’Homme sacré par la mitre et la crosse, N’est qu’un oison piteux qui tente d’être un aigle.
Qui peut remettre aux mains de son proche héritier La paupière cousue, il va par monts et vaux,
Dix mille manants, serfs de glèbe ou de métier, Culbutant d’heure en heure en des pièges nouveaux,
Plein droit de pendaison sur ces engeances viles, Jusqu’à ce qu’il trébuche au bord de la Géhenne
Droit d’anathème et droit d’interdit sur deux villes, Où sont les grincements de dents, les cris de haine
Et devant qui bourgeois et séculiers jaloux Et la flamme vorace où cuisent les maudits.
Et barons cuirassés fléchissent les genoux, Mon frère, sachez-le! vraiment, je vous le dis:
Hiéronymus, levant son front strié de rides Mieux vaut le fouet qui mord, mieux vaut l’âpre cilice,
Et ses yeux desséchés par les veilles arides, Quand la Béatitude est au bout du supplice,
Se signe lentement et dit à haute voix: Que la chair satisfaite et pour le Diable à point.
Malheur à qui Jésus sanglant ne suffit point!
— Le chemin est mauvais, mon frère, où je vous vois. Malheur à qui, brisant le joug divin, oublie
Après tant de longs jours et tant d’heures damnées, Que penser est blasphème et vouloir est folie!
Cette désertion, Jésus! de deux années! Car les siècles s’en vont irréparablement,
D’où sortez-vous ainsi? Qu’avez-vous fait, perdu Et l’Éternité s’ouvre après le Jugement!
Dans la fange du siècle à qui l’Enfer est dû? Hélas! voici bientôt que l’ultime des heures
Est-ce l’horrible soif des voluptés charnelles Sonnera le dernier des glas sur nos demeures;
POÈMES TRAGIQUES. HIÉRONYMUS. 89
Nulle rémission, ni délai, ni merci. Pour qui vous encourez l’inextinguible Feu,
Le vent se lève et va nous balayer d’ici Outre le désespoir des minutes prochaines.
Comme la paille sèche aux quatre coins de l’aire, Mais vous n’endurez point le doux poids de nos chaînes;
Enfant à la mamelle et vieillard séculaire, Frère, l’humilité n’est pas votre vertu.
Serfs et maîtres, palais, chaumes, peuples et rois. Vous étiez colérique, indocile, têtu,
Le mur de Baltliazar allume ses parois! Téméraire, offensant par vos actes et gestes
Tout désir est menteur, toute joie éphémère, Notre maison pieuse et vos patrons célestes,
Toute liqueur au fond de la coupe est amère, Et vous multipliant en exemples malsains.
Toute science ment, tout espoir est déçu. Le mal était fort grand. Il est pire. Les Saints,
La sainte Église a dit ce qui doit être su ! Voyant la discipline à ce point amoindrie
Qui doute d’Elle est mort déjà durant la vie ; Et que l’agneau galeux souille la bergerie,
Qui pousse par delà son rêve et son envie, S’en irritent. Voici l’heure du châtiment.
Qui veut mordre le fruit d’où sort la vieille faim, Cette tâche est amère et lourde assurément
Sans jamais l’assouvir meurt pour le temps sans fin. Pour mon insuffisance et ma décrépitude;
Donc, le fait est sûr: croire, obéir et se taire, Mais ma force est en Dieu, si le labeur est rude,
Ramper en gémissant la face contre terre Et le salut final du pécheur fort chanceux,
Et s’en remettre à Dieu qui nous tient dans sa main, Sinon désespéré. Mon frère, étant de ceux
C’est la sagesse unique et le meilleur chemin. Qui raillent la douceur et la miséricorde,
Oui! pour l’âme en sa foi tout entière abîmée, Vous serez éprouvé par le jeûne et la corde;
Puisque aussi bien le monde est misère et fumée, D’après le monitoire et les canons anciens,
Sans Dieu que reste-t-il? Leurre et rébellion Vous vivrez du rebut des pourceaux et des chiens;
Venant du Tentateur affamé, ce lion Vous dormirez, couché sur des pierres fort dures,
Qui rôde et qui rugit, qui s’embusque et regarde, Au fond de Yln-pace, dans vos propres ordures,
Cherchant à dévorer les brebis hors de garde, Macérant votre chair et domptant votre esprit;
Vagabondes, la nuit, sans souci du danger, Et lorsque vous rendrez l’âme, à l’instant prescrit,
Loin de l’enclos solide et des chiens du berger, Du moins les Bienheureux l’attestent, ira-t-elle
Et, brusque, bondissant du fond des ombres noires S’ébattre, blanche et pure, en sa-gloire immortelle,
Pour les happer d’un coup de ses larges mâchoires ! Soustraite pour jamais au Tentateur subtil
Voyez! songez combien les choses valent peu Dont l’Archanp-e Michel nous garde ! — Ainsi soit-il 1
2
9O POÈMES TRAGIQUES. HIÉRONYMUS. 9i
La volonté de tous, mon frère, étant la même, J’ai crié jusqu’à Dieu qui n’a pas répondu!
Tel est l’arrêt du Saint-Chapitre qui vous aime. Dieu faisait bien. Les cris, les extases, les larmes?
Selon la bonne règle et le commandement, Inepte sacrifice et misérables armes!
A genoux! Confessez vos crimes hautement; Méditer, solitaire, au fond des noirs moutiers,
Ouvrez-nous votre cœur et que le Diable en sorte ! — Quand l’Agneau, dépecé par les loups, en quartiers,
Lamentablement bêle, et sans qu’on vienne à l’aide !
L’autre dressa la tête, et parla de la sorte: N’être ni chaud, ni froid, dit l’Apôtre, mais tiède
Jeûner, meurtrir sa chair, user de ses genoux
— Très révérend Abbé Hiéronymus, et vous, Les marches de l’autel où Jésus meurt pour nous !
Frères, juger en hâte est l’office des fous. Mesurer l’Agonie éternelle à notre heure!
La meilleure harangue, en tel cas, est pareille Gémir dans l’ombre enfin pendant que le Ciel pleure,
Au son vide du vent qui souffle dans l’oreille. Et que l’Enfer s’égaie, et que ruisselle en vain
Oyez! car il y va de mort ou de salut. L’intarissable Sang du supplice divin !
J’ai fait ce qu’il fallait et ce que Dieu voulut. Était-ce donc le temps des inertes prières,
Quiconque veut nier la vérité, qu’il l’ose! Quand le Démon soufflait ses rages meurtrières
Oh! que d’ardentes nuits, dans ma cellule close, Aux princes affolés autant qu’aux nations,
M’ont vu veillant, priant, le front sur le pavé, Et les engloutissait dans ses perditions,
Plein de l’âpre désir du triomphe rêvé, Sans qu’on fit rien de plus pour la cause sacrée
De l’éblouissement de l’Église éternelle, Qu’offrir le maigre prix de sa chair macérée,
Hors du monde et de l’ombre, et d’un coup de son aile Ayant cette insolence et cette vanité
Emportant ses Élus dans les cieux rayonnants! De songer que le monde est ainsi racheté?
Qne de fois j’ai meurtri mes reins nus et saignants Par les Saints tout sanglants de leurs combats, la tâche
Pour que, de chaque plaie et de chaque blessure, Serait aisée et douce et favorable au lâche,
Mon âme rejaillit d’une vigueur plus sûre Et la Béatitude à bon marché! Non, non!
Aux sources de la vie et de la vérité. Dieu met à plus haut prix la gloire de son nom.
Où l’homme aspire et dont l’homme est déshérité! Frères, je vous le dis: l’Ëquité vengeresse
Que de fois, desséché d’une abstinence austère, Nous commande d’agir et maudit la paresse.
Assumant le fardeau des péchés de la terre, Il faut laisser les morts ensevelir leurs morts,
Baigné des pleurs versés pour tous, ivre, éperdu, Et se ceindre les reins pour le combat des forts,
92 POÈMES TRAGIQUES. HIER ON YMUS. 93
— Confessez vos erreurs, frère! Ne touchez point •— Dieu met son signe auguste au front de qui lui plaît ;
Au reste. J’ai reçu mission sur ce point. Il a négligé l’aigle et choisi l’oiselet,
Or, vous êtes hardi par delà la mesure. Dit le Moine. Pourquoi? Qui le dira? Personne.
Est-ce au serf à juger, du fond de sa masure, J e suis le trait qu’on darde ou le clairon qu’on sonne,
Les princes de la terre en leurs secrets conseils? Et le clairon sonore ou le trait encoché
Dieu, sachant ce qu’il fait, les voulut-il pareils? S’en remet à qui l’enfle où qui l’a dépêché.
Est-ce à l’enfant, dans ses vanités effrénées, Mes frères, une nuit, de celles que j’ai dites,
D’avertir follement mes quatre-vingts années, Tandis que, gémissant des victoires maudites,
De gourmander la foi d’autrui de son plein chef Je veillais, prosterné devant mon crucifix,
En m’arrachant du poing la barre de la nef? J’entendis une Voix qui me disait: —Mon fils! —
Lourd de péchés, rongé de démence et de bile,
Est-ce à vous de peser dans votre main débile Elle était douce et triste et cependant immense
Les choses de ce monde et les choses d’en haut, Et semblait déborder l’universel silence.
Disant ce qu’elles sont et comment il les faut? Tremblant, je soulevai ma face pâle, et vis,
Vous sied-il d’augurer des Volontés divines? Non la pure lumière où les Saints sont ravis,
Un très risible orgueil vous enfle les narines, Hélas! mais un ciel noir tout lardé de feux blêmes
Frère! et vous délirez, en ce triste moment, Où tournoyaient, hagards, des spectres de blasphèmes,
Certes, plus que jamais et fort piteusement. Des faces de damnés, et de hideux troupeaux
Entendez la raison, n’aggravez point vos fautes; De bêtes, chats et loups, dragons, pourceaux, crapauds
Car on chute plus bas des cimes les plus hautes, Enormes, qui bavaient une écume de soufre
Car plus de honte attend le plus ambitieux, Et pleuvaient comme grêle au travers de ce gouffre.
Et le plus vieil Orgueil s’est écroulé des cieux! Et je vis un Rocher sans herbes et sans eaux
Donc, laissez là le monde et ses rudes tempêtes: Où des milliers de morts avaient laissé leurs os,
La poussière convient à ce peu que vous êtes. Et qui montait du fond de l’abime. A son faîte
Le Seigneur équitable a donné sagement Le Gibet d’où pendait la Sainteté parfaite
POÈMES TRAGIQUES. HIÉKONTMUS.
94 95
Se dressait dans la nue affreuse ; et, tout autour, S’endorment, engraissés de paresse, oublieux
Les carnassiers de l’air, aigle, corbeau, vautour, Que les heures du siècle infaillible sont proches
De la griffe et du bec, effroyables convives, Et que les porcs trop gras ne sont pasloindesbroches;
Du sacré Rédempteur déchiraient les chairs vivesl Hérétiques enfin, par le Diable excités,
Car les Onze, à ses pieds, rêvant du Paradis, Emplissant plaine et mont, les champs et les cités,
Dormaient tranquillement comme ils firent jadis. Dévorant la moisson comme des sauterelles,
Et la voix de Jésus emplissait les nuées: Furieux et cherchant d’insolentes querelles
— Monflanc saigne toujours et mes mains sont clouées ; Aux mystères sacrés accomplis au SaintLieu,
L’apôtre et le fidèle, en ce siècle de fer, A mes élus, à mes Anges, et même à Dieu !
M’abandonnent en proie aux bêtes de l’Enfer, Dis-lui que la Caverne, autrefois bien scellée,
Et d’heure en heure, hélas ! leur tourbillon pullule. Comme une éruption vomit sa tourbe ailée
Lève-toi 1 C’est assez gémir dans ta cellule ; A travers les débris du Couvercle infernal;
L’inactive douleur est risée aux Démons. Qu’abandonnée aux flots, en proie aux vents du mal,
Va, mon fils ! Fuis dans l’ombre, et traverse les monts. La Croix, phare céleste où rayonnait ma gloire,
Pour ton Dieu qu’on blasphème et pour l’âme de l’homme, Espérance enflammée au sein de la nuit noire,
Sans trêve, ni répit, marche tout droit sur Rome; Tremble et s’éteint avec mes soupirs haletants !
Va, ne crains rien. Secoue avec un poing puissant Mon fils, mon fils, debout ! Voici les derniers temps !
Le Siège apostolique où sommeille Innocent ; Va! Que le Serviteur des serviteurs se lève,
Allume sa colère aux flammes de la tienne; Qu’il brûle avec le feu, qu’il tranche avec le glaive,
Et qu’il songe à sauver la Provence chrétienne Qu’il extermine avec la foudre et l’interdit,
Des légions de loups qui lui mordent les flancs : Et que tout soit remis dans l’ordre. Va! J’ai dit. —
Princes de ruse ourdis, en leur foi chancelants,
Poussant d’un pied furtif sur la mer écumante Tel parla le Seigneur Jésus, triste et sévère.
La Barque de l’Apôtre en proie à la tourmente ; L’ombre soudainement engloutit le Calvaire;
Évêques arborant avec des airs royaux Tout le ciel éteignit sa sinistre lueur;
La crosse d’or massif et la mitre à joyaux, Un long frisson courut dans ma chair en sueur,
Tandis que sous l’injure et l’âpreté des nues Et je restai muet. Sainte épouvante ! ô joie
Les ouailles sans bergers grelottent toutes nues; Terrible de l’Élu que la Grâce foudroie!
Moines qui, n’ayant plus ni d’oreilles, ni d’yeux, O nuit noire où flamboie un immense soleil!
HIERONYMUS. 97
De ta puissance inerte et de ta foi muette. Obéissez, priez, vivez. Moi, je m’en vais,
A la main sans vigueur succède un bras qui fouette, Ma tâche faite, ayant vécu des jours mauvais,
A l’aveugle un voyant, un mâle au décrépit ; Mais rendant grâce au Ciel jusqu’à mon dernier râle.
Car l’heure nous commande et ne veut nul répit, Amen! Voici la mitre et la croix pectorale,
Car Dieu, que le salut de ce monde intéresse, Et la chape, et l’étolc, et la crosse et l’anneau.
Allume entre mes mains sa torche vengeresse; Au nom du Père, au nom de l’éternel Agneau,
Et dans mon cœur saisi de joie, ivre d’horreur, Au nom de la Colombe et de la Vierge mère,
Sa patience à bout fait place à sa fureur 1 Amen ! Heureux qui sort de la vie éphémère
C’est à moi de brandir la crosse qui t’échappe: Et rentre dans la paix de son éternité!
Par la grâce et le choix je suis Légat du Pape, Amen ! amen ! au nom de l’unique Équité !
Je tranche la courroie et romps le joug ancien. Nous le savons : le champ que Dieu même ensemence.
Prends donc. Lis, soumets-toi, va-t’en, tu n’es plus rien ! — Hors du monde,fleurit dans la lumière immense.
Puissé-je contempler sa gloire, en qui je crois!
Hieronymus lui dit : — L’éternel Adversaire, Amen! Amen! Je m’en remets au Roi des Rois.—
Non content du blasphème, est par surcroît faussaire, Et le vieillard, courbant sa tête vénérable,
Et voici le renard qui vient après le loup ! — Traversa le Chapitre et s’en alla,semblable
Au spectre monacal qui traîne son froc blanc,
Il lut, et tressaillit, et chancela du coup. Sans insignes, débile, et l’humble corde au flanc.
Puis, comme un pénitent eût fait d’une relique, Une rumeur confuse emplit la salle sombre;
Humblement il baisa le Bref apostolique, Et tous le regardaient disparaître dans l’ombre;
Le relut, et, signant trois fois son pâle front: Mais le Moine bondit dans la chaire et cria :
— Béni soit le Saint-Père, et béni soit l’affront — A l’œuvre! Dieu le veut! à l’œuvre! Alléluia i —
Qui me foudroie au bord de ma tombe prochaine !
Béni soit le Seigneur qui descelle ma chaîne !
Le poids en était lourd à mon cou faible et vieux,
Et l’ombre de la mort a passé dans mes yeux.
C’est le temps de partir, c’est le temps qu’on m’oublie.
Tout est dit, tout est bien. Frères, je vous délie.
L’ABOMA. 103
L’or fluide du jour jaillit en gerbes vives, Mais sur l’ilot moussu que la rosée imbibe,
Monte, s’épanouit, retombe, et, ruisselant Par les vagues rumeurs troublé dans son sommeil,
Comme un rose incendie au fleuve étincelant, Se déroule, haussant sa spirale au soleil,
Semble le dilater au-dessus de ses rives. Le vieux roi des pythons, l’Abonia caraïbe.
Sous les palétuviers visqueux, aux longs arceaux, La mâle torsion de ses muscles d’acier
Dans l’enchevêtrement aigu des herbes grasses, Soutient le col superbe et la tête squameuse;
Tourbillonne l’essaim des moustiques voraces Sa queue en longs frissons fouette l’onde écumeuse;
Et des mouches dont l’aile égratigne les eaux. Il se dresse du haut de son orgueil princier.
104 POÈMES TRAGIQUES.
•+
io6 POÈMES TRAGIQUES.
La Bête écarlate
Un vaste remuement.de choses séculaires, Pendait à larges plis de son râble puissant ;
Une écume de bruits, de sanglots, de colères, Ses yeux aigus plongeaient à tous les bouts du monde;
Heurtant, engloutissant par bonds prodigieux Et, dans un bâillement, chaque gueule profonde
Les vieilles nations, leur génie et leurs Dieux, Vomissait sur la terre, en épais tourbillons,
Comme, aux flots débordés par l’antique Déluge, Des hommes revêtus de pourpre ou de haillons,
La jeune humanité, moins l’Arche du refuge; Portant couronne et sceptre, ou l’épée, ou la crosse,
Puis un fourmillement convulsif, un concert Et tous ayant, gravée au front, l’image atroce
De cris rauques, qui roule aux sables du désert; Des deux poutres en croix où, liés par les mains,
Des spectres de famine accroupis dans les antres, Agonisent, pendus, les Esclaves romains.
De leurs bras décharnés serrant leurs maigres ventres,
Hâves, hagards, haineux et rongés de remords, Et les Fils de la Bête, ou rampants, ou farouches,
Épouvantés de vivre autant que d’être morts, Allaient, couraient, crevant les yeux, cousant les bouches,
Hachés de coups de fouet, et la chair haletante Tantôt pleins de fureur, comme les loups des bois
Des lubriques désirs d’une éternelle attente, Que pourchassent la soif et la faim, et parfois
Martyrs injurieux dont le rêve hébété Semblables aux renards, peste des bergeries,
Blasphème la lumière et maudit la beauté l Qui se glissent, furtifs, aux nocturnes tueries.
Et, dans les cachots sourds, les chevalets sacrés
Et l’Homme, du milieu de la Ruine immense, Membre à membre broyaient les hommes massacrés.
De ces longs hurlements de rage et de démence Vénérable au troupeau des victimes serviles,
Que traversait le rire insulteur des démons, L’Extermination fauchait têtes et villes ;
Vit croître, se dresser, grandir entre sept Monts., Et les bûchers flambaient, multipliés, dans l’air
Telle que la Chimère et l’Hydre, ses aïeules, Fétide, consumant la pensée et la chair
Une Bête écarlate, ayant dix mille gueules, De ceux qui, de l’antique Isis levant les voiles,
Qui dilatait sur les continents et la mer Emportaient l’âme humaine au delà des étoiles!
L’arsenal monstrueux de ses griffes de fer. Et tous ces tourmenteurs par la Bête vomis
Poursuivaient jusqu’aux morts dans la tombe endormis ;
Un triple diadème enserrait chaque tête Gorgés, mais non repus, de vivante pâture,
De cette somptueuse et formidable Bête. Ils se ruaient, hideux, sur cette pourriture,
Une robe couleur de feu mêlé de sang Et s’entre-déchiraient enfin, faute de mieux !
Il
Et la Bête rugit de triomphe, et les cieux Et ce Monstre écarlate, et ces démons sortis
S’emplirent lentement de ténèbres épaisses. Des gueules dont chacune en rugissant le nomme,
Tout astre s’éteignit, et toutes les espèces Et cette éternité de tortures! Et l’Homme,
Moururent, et la terre, en cendre, s’en alla S’abattant contre terre avec un grand soupir,
Dans le vide, et plus rien ne fut de tout cela. Désespéra du monde, et désira mourir.
Et l’Homme, hors du temps et hors de l’étendue, Et, non loin, hors des murs de Tsiôn haute et sombre,
De l’œil intérieur de son âme éperdue La torche de Judas étincela dans l’ombre!
Vit s’élargir un gouffre où, sur des grils ardents,
Avec des bonds, des cris, des grincements de dents,
Les générations se tordaient, enflammées,
Toujours vives, cuisant et jamais consumées,
Races de tout pays et de tout siècle, vieux
Et jeunes, et petits enfants, frais et joyeux,
A peine ayant déclos leurs naïves paupières,
Et qui, dans les bouillons torrides des chaudières,
Montaient et descendaient épouvantablement,
Parce qu’ils étaient morts avant le Sacrement 1
Son front chauve est haché de rides, son œil vague Enfin, ivres déjà de sang et de rapines,
Regarde sans rien voir. Sur un des doigts osseux Vers le Sépulcre saint, sans plus tourner le dos,
Une opale larmoie au chaton d’une bague. Ils se sont enfoncés aux terres Sarrasines.
**
*5
II4 POÈMES TRAGIQUES. LE LÉVRIER DE MAGNUS.
Et fièvre, soif, bataille et marches sans repos Mais, une nuit, des serfs, du fond de leurs taudis,
Ont si bien travaillé par l’Orient vorace, Derrière la muraille hier déserte encore
Qu’ils sont tous morts, semant les chemins de leurs os. Ont vu luire des feux de leurs yeux interdits.
Mais lui, dur et robuste et fort têtu de race, Quand, comment et par où revint-il? On l’ignore.
L’armée en désarroi, demeura, seul des siens, C’est bien lui cependant, sur le sombre rocher
Et le sable, au désert, ensevelit sa trace. Qui le verra mourir et qui vit son aurore.
Ses proches, ses amis, ses serviteurs anciens Les moines ni les clercs n’osent plus l’approcher;
Ont vécu, sans espoir que le temps le ramène, Aux cavités de la chapelle centenaire
Le croyant trépassé chez les peuples païens. L’orfraie et le hibou, seuls, sont venus nicher.
Ils dorment au tombeau, las dune attente vaine; 11 vit là désormais, sur le haut de son aire,
Et la ronce et l’ortie ont obstrué depuis Dans le donjon moussu qu’ont noirci tour à tour
Les coteaux et les champs de 1 antique domaine. Les hivers, les étés, la pluie et le tonnerre.
Les fossés sont à sec, l’eau stagnante des puits Et derrière les murs lézardés de la tour
Décroît. Sans révéler rien de ses destinées, Il a, pour compagnons de sa vieillesse impie,
Aux monotones jours ont succédé les nuits. Trois Sarrasins muets ramenés au retour.
Il n’est point revenu, pauvre, la corde au rein, Un souffle d’épouvante, un air chargé de deuil
Avec l’humble bourdon et les blancs coquillages, Plane autour du Croisé qui ne prie et ne chasse,
Par les routes, pieds nus, tel qu’un vieux pèlerin. Et qui s’est clos, vivant, dans ce morne cercueil.
On n’a point vu passer de somptueux bagages Les voyageurs qui vont de Thuringe en Alsace
Escortés de captifs faits aux peuples maudits, Passent en hâte, par les sentiers détournés,
Cheminant et ployant sous le poids des pillages. Et se signent trois fois, et parlent à voix basse.
POÈMES TRAGIQUES. LE LÉVRIER DE MAGNUS. II7
Il6
Les Chevaliers-bandits, ces pilleurs forcenés L’arc vertébral tendu, noeuds par nœuds étagé,
Qui rôdent, infestant les deux bords du grand fleuve, Il a posé sa tête aiguë entre ses pattes,
Slécartent, eux aussi, des hauts murs ruinés. Tel qu’un magicien l’eût en pierre changé.
Soit qu’ils jugent la proie assez piètre et peu neuve, L’ardeur du vaste feu brûle les dalles plates,
Soit respect du vieux Duc blanchi sous d’autres cieux, Mais il n’en ressent rien, et, quoiqu’il soit tout noir,
Ils se sont abstenus de tenter cette épreuve. Il se revêt parfois de lueurs écarlates.
Donc, Magnus, lentement, comme un spectre anxieux, Au dehors, une nuit funèbre. On entend choir
D’un bout à l’autre de la salle à voûte épaisse La pierre des nierions, et tressauter la herse,
Marche, les bras au dos, le rêve dans les yeux. Et la tuile des toits dévaler et pleuvoir.
Lames torses, carquois, engins de toute espèce, Par masses, et tantôt par furieuse averse,
Trompes, bois de cerfs, peaux d’aurochs, de loups et d’ours, Sans relâche et sans fin, lugubre effondrement,
Pendent aux murs moisis et que le temps dépèce. La neige croule, pleut, tournoie et se disperse.
Pleines d’éclats soudains et de craquements sourds, D’un suaire rigide elle étreint rudement
Au fond de l’âtre creux flamboyent quatre souches Le sol, les rocs, les bois, et le fleuve qui râle
Sur leurs doubles landiers de fer massifs et lourds. Sous les glaçons qu’il rompt de moment en moment.
; Aux pieds d’une escabelle à brancards et dossier D’un rauque hurlement de cris aigus mêlé
1 Gît un grand lévrier d’Égypte ou de Syrie Il emplit la crevasse ouverte à la muraille,
Que l’âge et que la faim semblent émacier. Et fouette le battant sur le gond descellé.
Devant l’âtre embrasé qui ronfle, siffle et crie, Il secoue aux piliers les grappes de ferraille,
Il feint de sommeiller, immobile, allongé Ou, parfois, accroupi dans les angles profonds,
Sur le ventre, étirant son échine amaigrie. Il pousse un rire amer comme un démon qui raille.
118 POÈMES TRAGIQUES. LE LÉVRIER DE MAGNUS. II9
Le duc Magnus n’entend ni les cris ni les bonds Tels, maître, esclaves, chien, par le fracas affreux
Du vent qui s’évertue à travers les décombres De la tempête qui se déchaîne et qui pleure,
Et culbute en courant les hiboux aux yeux ronds. Veillent, cette nuit-là, sans se parler entre eux.
Le rude seigneur songe à des choses plus sombres: Qu’attendent-ils au fond de l’antique demeure?
Ses vieilles actions le hantent chaque nuit Serait-ce point quelque jugement sans merci
De plus vivants sanglots et de plus mornes ombres. Qui se doit accomplir quand arrivera l’heure?
Tandis qu’il va le long du mur rugueux qui luit, A quoi songe le vieux duc Magnus? A ceci:
Assailli par le flux de son passé tenace,
L’œil mi-clos du Chien noir l’espionne et le suit.
Puis, le Chien souffle et fait vibrer ses reins noueux. Un chevalier Croisé, vers l’orient de Tarse,
Et les trois Sarrasins, roides, comme en extase, Pousse un cheval plaqué de bardes de métal,
Sont là debout. Qui sait si la vie est en eux? Qui souffle en s’éventant avec sa queue éparse.
Un immuable rire aux dents, la tête rase, Sans guide ou compagnon, loin du pays natal,
Ils rêvent, flagellés par les rouges reflets L’aventurier, tenace et résolu dans l’âme,
De l’âtre crépitant où la souche s’embrase. S’en va par le désert à tous les siens fatal.
Sur la grêle cheville et les bras violets Le ciel en fusion verse sa morne flamme
Qui pendent aux deux bords de leur veste grossière, Sur les longs sables roux qu’il inonde et qu’il mord,
Etincelle l’argent de triples bracelets. Mer stérile, sans fin, sans murmure et sans lame.
Ils gardent fixement ouverte la paupière, L’immobile soleil emplit l’espace mort,
Où luisent deux trous blancs sous le front ténébreux. Et fait se dilater, telle qu’une buée,
On dirait un seul homme en trois spectres de pierre. L’impalpable poussière où l’horizon s'endort.
120 POÈMES TRAGIQUES.
Nulle forme, nul bruit. Toute ombre refluée Il pousse aveuglément sa course vagabonde,
S’est enfuie au delà de l’orbe illimité : Sans vergogne, sans peur de plus rudes combats.
La solitude est vide, et vide la nuée. Si Dieu ne l’aide point, que Satan le seconde !
Ce Chevalier de la Croix rouge est seul resté Qu’il jouisse de tout ce qu’on rêve ici-bas,
Des guerriers qu’abritait sous sa large bannière Richesse en plein soleil et volupté dans l’ombre,
L’Empereur qui dompta le Lombard révolté. Et que Mahom l’accueille en ses joyeux sabbats!
Or, César a donné sa bataille dernière ; Il est brave, il est jeune et fort. Qui sait le nombre
Le grand Germain, faucheur des générations, De ses jours triomphants? Son désir satisfait,
Un soir, a disparu dans l’antique rivière. Il se repentira quand viendra l’âge sombre.
Sa gloire, sa puissance et ses ambitions N’est-il plus clerc rapace ou vil moine, en effet,
Gisent lugubrement sous cette eau' glaciale Qui, pour quelques sous d’or, ne puisse, sans scandale,
Qui recèle à jamais le Roi des nations. Absoudre du péché non moins que du forfait?
On n’a point retrouvé sa chair impériale; Il vouera, s’il le faut, sa terre féodale
Et ses margraves, loin du sinistre Orient, Au Saint-Siège, et le noir donjon vermiculé
Pleins de hâte, ont mené leur fuite déloyale. Où les os dos aïeux blanchissent sous la dalle.
■
Quelques-uns, d’un rang moindre et d’un cœur plus croyant. Une châsse d’argent massif et constellé
Devant Ptolémaïs, qu’ils nomment Saint-Jean d’Acre, D’émeraudes, avec dix chandeliers d’or vierge,
Ont joint Plantagenet, l’Angevin effrayant. Le rendront net et tel qu’un Ange immaculé.
Le Roi fauve a pris Chypre au vol de sa polacre, Par Dieu ! maint Empereur, que l’eau bénite asperge,
Et, frayant son chemin vers les Murs bienheureux, A fait pis, et mourut en paix, qui, sur l’autel,
Traque, là-bas, les Turks qu’il assiège et massacre. Le nimbe aux tempes, siège à la lueur du cierge.
Pour Magnus, dédaignant le retour désastreux Qu’il soit ou non vendu, le Mot sacramentel
Ou le Saint Temple, il va conquérir, par le monde, Suffit, lie et délie; et l’unique blasphème
Quelque royaume, ainsi qu’ont fait les anciens preux. Est de nier qu’un mot lave un péché mortel.
122 POÈMES TRAGIQUES.
LE LÉVRIER DE MAGNUS. 12?
Qu’on les garde un peu mieux, ou qu’en somme on les venge i Amen! Car un démon rôde autour du saint lieu.
Ainsi, de jour en jour, au cœur de l’Apostat N’ayant aucun souci de la Vierge ou des Anges,
L’oubli des vains remords amoncelle sa fange. Il aiguise son fer, il attise son feu.
Or, le Diable l’entraîne au suprême attentat. Donc, cent Nonnes, chantant les pieuses louanges,
Vivent là, sous la règle austère du Carmel,
Aussi pures que les nouveau-nés dans leurs langes.
Le moutier dresse là ses murailles,pareilles L’aube du Jour sans fin dont son âme est baignée
A de blanches parois de tombe, d’où le chœur Nimbe son front tranquille, et ses pieds radieux
Des vierges chante et monte aux divines Oreilles. Semblent avoir quitté notre ombre dédaignée.
Salah-Ed-Din, le grand Soudan au noble cœur, Mais le courage et la fierté de ses aïeux
Respecta ce retrait des humbles infidèles, Couvent au fond du cœur de la Recluse austère ;
Et, vivant, l’abrita de son sabre vainqueur. Ils luisent par instants dans la paix de ses yeux.
Mais il est mort, et nul ne s’inquiète d’elles, Ainsi, bien au-dessus des vains bruits de la terre,
Hors la Mère céleste et les Esprits de Dieu Dans l’adoration, la prière et l’espoir,
Qui, sans doute, d’en haut, les couvrent de leurs ailes. S’élève sur le roc le moutier solitaire.
«7
no POÈMES TRAGIQUES. LE LÉVRIER DE MAGNUS.
Or, en ce temps, voici que, par un ciel fort noir Le vieux moine égorgé saigne sur les carreaux.
Qui verse le silence à la maison sacrée, L’un saisit l’ostensoir, l’autre le Christ d’ivoire
L’Abbesse Alix préside à l’office du soir. Et la nappe, et ceux-ci descellent les flambeaux ;
Un vieux moine, front ras et face macérée, Cet autre boit le vin consacré du ciboire ;
Se prosterne à l’autel et baise les pieds blancs Et cent autres, avec des cris luxurieux,.
De la très sainte Vierge auguste et vénérée. Emportent leur butin vivant dans la nuit noire.
Lampes, cierges, flambeaux, jettent leurs feux tremblants Puis, en longs tourbillons qui rougissent les cieux,
Sur les murs où, d’après les mœurs orientales, Desquatre coinsdusaint moutier, d’horribles flammes
Les Martyrs, sur fond d’or, s’alignent tout sanglants. Grondent, l’enveloppant d’un linceul furieux.
Pour l’Abbesse et ses sœurs, assises dans leurs stalles, Pour les Nonnes, en proie aux outrages infâmes,
Elles déroulent un murmure lent et doux Les unes, se lavant des souillures du corps,
Que le signe de Croix coupe par intervalles; Ont dans ce feu sauveur purifié leurs âmes ;
Puis toutes à la fois se courbent à genoux D’autres, tordant leurs cous avec de vains efforts,
Sur le pavé luisant que les lueurs bénies, Entre les bras de fer qui les ont enchaînées,
Du Sanctuaire au seuil, rayent de reflets roux. S’en vont pour un destin pire que mille morts •
Elles chantent en chœur ¡es saintes litanies Elles vivront, traînant de sinistres années,
A la Dame du ciel debout sur le Croissant Oublieuses du Ciel à tout jamais perdu,
De la lune, au plus haut des voûtes infinies. Et dans l’ardente nuit s’engloutiront damnées.
Brusquement, dans la nuit calme, un cri rugissant Alix ! Alix ! à qui cet honneur était' dû
Eclate, et se prolonge autour du moutier sombre, De monter vers ton Dieu par la voie éclatante
Et l’écho du Carmel le roule en l’accroissant. Du martyre, hélas! Dieu n’a-t-il rien entendu?
Les bandits du désert, qui pullulent dans l’ombre, Tes cris d’horreur, ni ta prière haletante?
Escaladent les murs, rompent les lourds barreaux, Non! Les cieux étaient sourds, ô vierge, à ton appel,
Bondissent dans la crypte, et leur foule l’encombre. Et la mort glorieuse a trompé ton attente.
IJ2 POÈMES TRAGIQUES. LE LÉVRIER DE MAGNUS. 133
Te voilà désormais indigne de l’autel, - Mais, à l’heure où chacun doit payer ce qu’il doit,
Innocente et pourtant maculée, ô victime, Tu sentiras couler l’Opale vengeresse,
Fille des Preux, gardiens du Sépulcre immortel ! Et mon spectre à Satan t’emportera tout droit.
Mais ton cœur s’est gonflé de leur sang magnanime ; Moi, j’ai vécu. La mort devant mes yeux se dresse.
Tu te dresses, Alix, dans l’antre où le bandit, Que tout mon sang te marque à la face, assassin !
Où le sombre Apostat a consommé son crime. Et que Dieu, s’il se peut, pardonne à ma détresse! —
Il te contemple, admire et se tait, interdit Alix, alors, avant qu’il rompe son dessein,
Devant l’ardent éclair qui sort de ta prunelle; Saisissant une dague aux parois arrachée,
Ton geste le soufflette et ta bouche lui dit : Se l’enfonce d’un coup rapide dans le sein.
Et voici que le Ciel m’est ravi sans retour! C’est en vain que le temps, de son épais brouillard,
La honte imméritée a vaincu la foi vaine : Voile de tes forfaits l’infamie et le nombre :
Le jour de ton forfait sera mon dernier jour. Alix, sanglante et morte, habite ton regard !
Sois voué, misérable, à l’angoisse, à la haine, Et, par surcroît, dès l’heure inexpiable et sombre
A la luxure, à la soif de l’or et du sang, Où, se frappant soi-même, elle a perdu le Ciel,
A la peur, avant-goût de l’ardente Géhenne ! Quatre autres visions accompagnent ton ombre.
Va! traîne de longs jours encor. Vis, amassant Nuit et jour, accroupi, silencieux, et tel
Crime sur crime, en proie aux soudaines alarmes Que le voilà, le noir Lévrier te regarde.
Des nuits, épouvanté, furieux, impuissant! Rien ne t’a délivré de ce Chien immortel !
Souviens-toi que la plus amère de mes larmes Que de fois ton poignard, plongé jusqu’à la garde,
Comme un funèbre anneau s’est rivée à ton doigt. Vainement a troué cette insensible chair,
Rien ne le brisera, ta force ni tes armes. Vapeur mystérieuse et commise à ta garde !
154 POÈMES TRAGIQUES. LE LÉVRIER DE MAGNUS. 135
Cet œil féroce où flambe un reflet de l’Enfer, Enfin, las, assouvi des torrides déserts,
Où que tu sois, que tu veilles ou que tu dormes. Un suprême désir s’éveillé dans ton âme
Te traverse le cœur d’un immuable éclair. De voir couler le Rhin entre ses coteaux verts.
Et trois Ombres encor, trois Sarrasins difformes, L’ancien pays longtemps oublié te réclame;
Debout, devant ta face, avec le rire aux dents, Tu voudrais enfouir au donjon des aïeux
Te dardent fixement leurs prunelles énormes ! Les trésors amassés durant ta vie infâme.
Ce Lévrier, ces trois spectres, ces yeux ardents, Tous les hommes étant, quoique fort envieux,
Hors toi, nul ne les voit, nul ne sait le supplice Lâches et vils devant quiconque a la richesse,
Qui te laisse impassible et te ronge au dedans. Ton or taché de sang éblouira leurs yeux !
Çà et là, pour leurrer le Diable et sa malice, Mais comment échapper à ta horde? Sans cesse
Tu vas et viens, pillant, tuant ; sur ton chemin Tu songes à cela, sombre et vieux prisonnier
Toujours la Vision implacable se glisse. De la bande de loups que tu mènes en laisse.
Tune peux arracher ni l’anneau de ta main Ces Dieux-là, tu ne peux du moins les renier ;
Ni la sourde terreur de ton âme, et tu rêves: Une chaîne infernale à ton destin les lie.
Que va-t-il m’arriver cette nuit, ou demain î Oh! les exterminer d’un coup, jusqu’au dernier!
Et, semblables aux flots qui vont battant les grèves, Fuir cette terre horrible et de terreurs emplie,
Du temps inépuisable écumes d’un moment, Et, feignant le retour pieux au sol natal,
S’accumulent sur toi, Magnus, les heures brèves. Jouir de tant de biens dont la source s’oublie !
Ta puissance, ton or, l’horrible enivrement Or, une nuit, tandis que le spectre fatal,
De tes forfaits, n’ont pu combler ton cœur, abîme Le Chien muet, hantait ta paupière fermée,
De songes effrénés, ta joie et ton tourment. Tu t’éveilles bien loin du monde oriental.
Comme un homme debout sur quelque haute cime, Qu’est-ce donc ? Ce n’est plus la tente accoutumée.
Et qui chancelle au bord de gouffres entr’ouverts, Dors-tu, Magnus? Es-tu couché dans ton linceul?
Le vertige t’étreint, et son horreur t’opprime. Quels sont ces murs massifs et hauts, noirs de fumée ?
136 POÈMES TRAGIQUES. LE LÉVRIER DE MAGNUS.
Vois ! c’est la salle antique où mourut ton aïeul 1 Puisse Satan griller ces ladres -dans son four
Écoute ! c’est le vent dans la tour écroulée Septante fois chauffé de soufre et de bitume,
Où le hibou hulule, et qu’il habite seul ; Dusses-tu, s’il le faut, les y rejoindre un jour!
C’est ie Rhin qui murmure et fuit dans la vallée, Plein d’anciens souvenirs, de haine et d’amertume,
Sous le roc d’où, jadis, vers la tombe d’un Dieu, Ainsi le duc Magnus, devant l’âtre enflammé,
Comme l’aigle au matin, tu pris ton envolée. Songe, allant et venant, comme il en a coutume,
Par où, comment, Vieillard, revins-tu dans ce lieu? Dans son rêve sinistre à jamais enfermé.
Tu ne sais, si ce n’est que ta chair est vivante.
Tes démons familiers ont accompli ton vœu I
Oh ! s’arracher les yeux pour ne plus les revoir ! Au travers de la nuit qu’un reflet blême éclaire,
S’engloutir dans la nuit solitaire et profonde, La tempête, qui pousse un hurlement plus fort,
Dans l’oubli de la vie et de son désespoir 1 Semble déraciner le donjon séculaire.
Pareil à Laquedem qui marche et vagabonde, Un fracas à troubler dans le sépulcre un mort!
Sans but et sans repos, et toujours haletant, Le duc Magnus s’assied sur l’escabelle, à l’angle
Faut-il attendre autant que durera le monde ? Du foyer, clôt les yeux, et rêve qu’il s’endort.
Où sont-ils, pour bénir l’irrémissible instant, Quel sommeil ! Plus heureux sur son grabat de sangle,
Tous ces moines, ces vils mâcheurs de patenôtres, Le misérable serf, harassé, maigre et nu,
Gorgés par tes aïeux de tant de biens pourtant? Meurtri par le collier de cuivre qui l’étrangle !
Te voyant misérable et seul, les bons apôtres Lui, du moins, peut rêver qu’en un monde inconnu,
Ne donnent rien pour rien, et savent, tour à tour, En un Ciel ignorant l’opprobre et l’esclavage,
Damner les uns pour mieux vendre le Ciel aux autres. Un jour, il montera, libre et le bienvenu !
18
POÈMES TRAGIQUES.
Et plus heureux aussi le mendiant sauvage Devant sa face froide et de sueur trempée,
Qui dort, repu parfois, et sans penser à rien, Le Chien mystérieux, se redressant soudain,
Sous quelque porche, ou sur le fumier du village! Lui darde au cœur des yeux aigus comme une épée.
Des fantômes hideux, d’un vol aérien, La Bête se transforme en un visage humain,
Enveloppent Magnus, comme les sauterelles En un corps revêtu d’une robe de bure,
Que l’été multiplie au désert Syrien. Blanche et noire, selon le rituel romain.
Tous ceux qu’il a connus, reniés et trahis, C’est Elle ! c’est l’Abbcsse Alix ! Ciel ! Il y a
Dépouillés, égorgés, les voici ! C’est la foule Bien des jours, bien des ans, un siècle, qu’elle est morte.
De ses mauvais désirs soixante ans obéis. Que veut-elle à celui qui jamais n’oublia ?
Leur tourbillon s’accroît, se presse, se déroule, Pourquoi le fer sanglant, la dague qu’elle porte
Et chacun d’eux l’asperge, avec un souffle chaud, Au cœur ? et ce stigmate à son front triste et beau ?
Du sang infect et noir qui de leurs lèvres coule. Or, le spectre d’Alix lui parle de la sorte :
Leurs cris, parmi le vent furieux, et plus haut, -— Magnus! ma chair mortelle et tombée en lambeau,
L’assourdissent, pareils aux clameurs enragées Cette chair que ton crime a faite ta complice,
De soudards écumants qui montent à l’assaut. Ne gît plus insensible au fond de son tombeau.
Il voit le flamboiement des villes saccagées, Afin que le Décret éternel s’accomplisse,
Et se tordre, pendant l’inoubliable nuit, Afin que, pure encore, elle en puisse sortir,
Les Nonnes du Carmel lâchement outragées. Elle se purifie au feu d’un long supplice.
Puis cela se confond, passe, et s’évanouit ; Et mon âme, qui souffre avec mon corps martyr,
Mais, cette vision à peine dissipée, A reçu mission d’éveiller dans la tienne
Quelque chose de plus effroyable la suit. L’incessante terreur qui mène au repentir.
POÈMES TRAGIQUES. LE LÉVRIER DE MAGNUS. tqi
¡40
Car tes crimes n’ont point tué ta foi chrétienne, —Ma haine est sans merci pour tous, ma rage écume,
Et, pour braver le Dieu terrible que tu crois, Et mon cœur monstrueux fait sa félicité
Tu n’as que ton orgueil têtu qui te soutienne. Des membres que je tranche ou que le feu consume.
O malheureux ! l’Enfer entr’ouvre ses parois ! J’aime l’horrible cri mille fois répété
Donne à Jésus trahi ta minute suprême, Du païen torturé, du Juif qu’on écartelle.
Pousse un cri de détresse au Rédempteur en croix! Reconnais-moi, Magnus!Je suis ta Cruauté! —
Sinon, meurs, renégat, qui te mens à toi-même, Le troisième Démon, spectre d’une horreur telle
Que ma pitié veilla tant de nuits et de jours, Q.ue Gomorrhe en a seule entrevu d’approchant,
Mettant une épouvante après chaque blasphème ! Se révèle dans son infamie immortelle.
Mais, avant de tomber au Gouffre, et pour toujours, Larve, chacal, crapaud, vil, immonde et méchant,
Vois ces noirs Sarrasins, ces compagnons funèbres, Suant l’obscénité sans honte et sans mesure,
Debout contre ton mur, roides, muets et sourds. Tl se dresse, se tord, et bave en se couchant.
Ce sont les trois Démons qui hantent tes ténèbres. — Chacun de ses regards est une flétrissure,
Et Magnus obéit, et les regarde, et sent Son aspect souillerait la splendeur du ciel bleu :
Comme un frisson d’horreur le long de ses vertèbres. — Reconnais-moi, Magnus! Vois! je suis ta Luxure !—
Un d’eux rampe vers lui, sordide et grimaçant, Le vieux Duc gronde et dit : — Par Satan, ou par Dieu !
L’œil chassieux, ayant dix griffes qu’il hérisse, La vision de ces trois monstres est fort laide ;
Et se rongeant la chair des bras en gémissant : Mais suis-je donc un pleutre à trembler pour si peu ?
— Reconnais-moi, Magnus ! Je suis ton Avarice! Est-ce à moi de blêmir et de crier à l’aide
Si l’eau de l’océan était de l’or fondu, Quand un spectre de nonne une nuit m’apparaît? I
Je boirais l’océan jusqu’à ce qu’il tarisse ! Le réveil va chasser le songe qui m’obsède.
Viens ! nous boirons cet or bouillant qui nous est dû !— — Magnus! Magnus! le Feu dévorateur est prêt:
L’autre Démon, armé d’un fer visqueux qui fume, L’Opale coule autour de ton doigt qu’elle enflamme.
Y lèche un sang humain fraîchement répandu ; Oh! Repens-toi! Préviens l’irrévocable Arrêt.
142 POÈMES TKAGIQÜES.
Transperçant çà et là les hautes nefs massives, Ses guerriers dispersés errent dans les prairies,
Dans l’air empli d’arome immobile et de paix, Par delà le grand Fleuve où boivent les bisons.
L’invisible soleil darde l’or de ses rais, Loin du pays natal aux riches floraisons,
Qui sillonnent d’un vol grêle de flèches vives Comme le vent d’hiver fait des feuilles flétries,
La sombre majesté des feuillages épais. L’exil les a chassés vers tous les horizons.
Écureuils, perroquets, ramiers à gorge bleue Des confins du couchant et des espaces mornes
Dorment. Les singes noirs, du haut des sassafras, Il a su retrouver, avec l’œil et le flair,
Sans remuer leur tète et leurs reins au poil ras, Sans halte, par la nuit profonde ou le ciel clair,
A la branche qui ploie appendus par la queue, Les vestiges épars dans les plaines sans bornes
Laissent inertement aller leurs maigres bras. Et recueillir au vol les effluves de l’air.
Les crotales, lovés sous quelque roche chaude, Sa hache et son couteau, les armes du vrai brave,
Attendent une proie errante, et, par moment, Gisent sur ses genoux. Le Chef a dénoué
De l’ombre où leurs fronts plats s’allongent lentement, Sa ceinture, et, dressant son torse tatoué
Le feu subtil de leurs prunelles d’émeraude D’ocre et de vermillon, il fume d’un air grave
Luit, livide, et jaillit dans un pétillement. Sans qu’un pli de sa face austère ait remué.
Assis contre le tronc géant d’un sycomore, Il sait qu’au lourd silence épandu des ramées
Le cou roide, les yeux clos comme s’il dormait, Les sinistres rumeurs des nuits succéderont,
Une plume d’ara, jaune et pourpre, au sommet Qu’à l’odeur de sa chair, bossuant leur dos rond,
Du crâne, le Sachent, le dernier Sagamore Vont ramper jusqu’à lui les bêtes affamées ;
Des Florides, est là, fumant son calumet. Mais le vieux Chef se rit des dents qui le mordront.
L’ardente vision qui hante ses prunelles
Lui dérobe la terre et l’emporte au delà,
Dans les bois où l’esprit des Sacliems s’envola
Et dans la volupté des chasses éternelles.
Viennent panthères, loups et couguars, le voilai
Les Iles d’autrefois hérissaient de leurs cimes Mais le front n’avait plus ses roses de lumière,
Le gouffre monstrueux des océans taris, Mais rien 11e battait plus dans le sein adoré
Où s’étaient desséchés la fange et les débris Qui versait sur le monde à son matin sacré
Des siècles engloutis au fond des vieux abîmes. Tes flots brûlants et doux, ô Volupté première!
Et j’errais en esprit, Ombre qui rôde et passe, Et je connus, glacé sur la terre inféconde,
Sans regrets, sans désirs, au hasard emporté, Que c’était là, rigide, endormi sans retour,
Reste de l’éphémère et vaine humanité Le dernier, le plus cher des Dieux, l’antique Amour,
Dont un souffle a vanné la cendre dans l’espace. Par qui tout vit, sans qui tout meurt, l’Homme et le monde.
Don Simuel Lévi, trésorier des Castilles, Que résoudre? Avouer que,la Caisse étant vide,
Détient, tous comptes faits, dans les coffres royaux, Il faut, sans nul retard, enrayer les apprêts
Trois mille doubles d’or, avec quelques broutilles : De guerre? A coup sûr, non! Il en est tout livide,
Ëcus, chaînes, colliers et de rares joyaux. Et tremble, se disant : Qu’adviendrait-il après ?
Rien ne rentre, le coût ni la taxe régale Rançonner les couvents, traire les juiveries ?
Sur les métiers et sur les marchands, ni le prix Du rocher de Tliaryq au roc Asturien,
Des charges. On dirait, par une entente égale, Malgré les oremus et les piailleries,
Que bons vouloirs autant que bourses sont taris. Le Roi l’a déjà fait, et sans y laisser rien.
Or, les Aragonais et le Comte et ses reitres S’enfuir? Passer au Comte avec joyaux et doubles?
Brûlent châteaux et bourgs aux confins castillans; Les moyens sont chanceux et les chemins ardus ;
Et, pour frais réguliers et pour achat des traîtres, Et, d’ailleurs, en ces temps de voltes et de troubles,
Trois mille doubles d’or ne sont pas très brillants. Les transfuges sont tous échangés ou vendus.
LES INQUIÉTUDES DE DON SIMUEL. 157
I$6 POÈMES TRAGIQUES.
Don Simuel Lévi se ronge l’âme, et sue Le Roi dit : — C’est au mieux. Nous agréons tes offres,
De peur. Ses biens saisis, sa maison mise à sac, Émyr ! Nous te rendrons ton trône sans délais.
Et lui sous le couteau, voilât Donc, point d’issue. J’en jure Dieu ! Donc, toi, tes compagnons, tes coffres,
Il n’a plus de recours qu’en toi, Dieu d’Isaacl Entrez. Ma ville est vôtre, et vôtre mon palais. —
Entre temps, échappé des sanglantes tueries, Don Simuel Lévi, sachant l’âme du Maître,
L’émyr Abou-Sayd, à travers la sierra, Est tout rasséréné de connaître ceci.
Suivi de mulets lourds d’or et de pierreries, Pour le rapace Roi de Castille, promettre
Vaincu, détrôné, fuit Grenade et le Hammrâ. N’est pas tenir. Le Juif, très humble, parle ainsi:
Si don Pedro l’accueille, et consent, et s’oblige —C’est tout un monceau d’or que Votre Grâce hébergel
A lui rendre ce peu de l’Empire ancien, Tuez l’homme et prenez le trésor en entier,
Abou-Sayd sera, par un hommage lige, Sire!—Le Roi sourit:—Par Saint Jacque et la Vierge 1
Le dévoué vassal de Castille et le sien. Maître Juif, le conseil est d’un bon argentier.
Dix mille cavaliers des tribus Almohades Au fait, tenir parole à de tels païens, qu’est-ce,
Passeront le détroit à son commandement, Sinon trahir l’Ëglise et les Saints mes patrons?
Sobres, braves, rompus aux promptes algarades, Donc, Simuel, s’il est quelque coin dans ma caisse
Et serviront le Roi chrétien fidèlement. Qui soit vide, n’en prends souci : nous l’emplirons!
De plus, puisque le fer et la flamme font rage Au lever du soleil, Séville, haut perchée
Aux frontières, en foi de sa haute amitié, Sur les murailles, sur les arbres, sur les toits,
Que sa Grâce des biens arrachés au naufrage Contemple la grand’lice où font leur chevauchée
Comme un don de respect reçoive la moitié. De joutes et de jeux les chevaliers courtois.
Abou-Sayd en prend à témoin le Prophète. Contre autant de poteaux plantés de place en place,
Se fiant par surcroît au sauf-conduit royal, Abou-Sayd et ses compagnons, bras et flancs
Il est venu, devant que la chose soit faite, Liés de chanvre, aux cris vils de la populace,
Se mettre entre les mains d’un chevalier loyal. Immobiles, sont là, nus et déjà sanglants.
158 POÈMES TRAGIQUES.
S’il est vrai, tout est bien. Mais voici, d’autre part, Au treizième midi, dans l’air chaud de parfums,
Que son dogue, très doux et très joyeux naguère, Apparaissent les tours, la cathédrale neuve,
A mordu les naseaux de son cheval de guerre, Les mâts banderolés hérissant le grand fleuve
Et hurlé de façon lamentable au départ. Et le vieil Alcazar des Khalyfes défunts.
Le présage est mauvais, sans conteste, et mérite Sous la poterne basse à voussure de brique,
Qu’on y songe. De plus, au gué du fleuve, un soir, Un clerc tonsuré sort de l’ombre brusquement,
En se courbant sur l’eau sombre, il a laissé choir Saisit la mule au mors d’un geste véhément,
Hors la gaine et perdu sa dague favorite. Et dit : •—Par tous les Saints, retournez,Don Fadrique !
En sus, le Roi son frère est dangereux aux siens : Sire Maître, pour Dieu ! n’allez pas plus avant !
Sa merci n’est pas franche et sa haine est tenace; Mieux vaudrait traquer, nu, le loup dans son repaire.
Rarement il oublie et jamais ne menace, — Qu’est-ce à dire ? Quittez le mors, quittez, bon Père.
D’autant plus rancunier que les torts sont anciens. — Si Votre Grâce y va, n’en sortirez vivant!
Lui, Fadrique, pourtant, n’a-t-il point, pour son compte, —Ce serait chose lâche et guet-apens insigne;
Depuis lors, et fidèle au pardon octroyé, Le Roi mon frère est juste, et non point si mauvais.
Suivi de l’Ordre entier, bravement guerroyé Il m’aime, il me convie en sa ville, et j’y vais. —
Contre le Grenadin, l’Aragon et le Comte? Cela dit, le chien hurle et le prêtre se signe.
Sa conscience est nette, et, Saint Jacques aidant, Don Fadrique descend dans la grand’cour d’honneur.
Qu’est-ce que le danger? Rien, pour qui le méprise. On verrouille la porte afin que nul n’en sorte;
Sans doute Don Pedro le requiert sans traîtrise. Et le chef des massiers vient, et dit de la sorte :
Le Maître songe ainsi, soucieux cependant. — Notre Sire le Roi vous mande seul, Seigneut
De la plaine au coteau, durant douze journées, •—Pero Lopez, laissez entrer mes Riches-hommes;
Sous les chênes touffus, par les sentiers pierreux, Ce sont bons chevaliers fidèles et prudents.
Avec ses chevaliers qui devisent entre eux, — Ils logeront dehors, et vous, Maître, au dedans.
Il fait sa route, allant où vont ses destinées. Le mieux est d’obéir au Roi, tant que nous sommes.
44
2 I
IÔ2 POÈMES TRAGIQUES. LE ROMANCE DE DON FADRIQUE. 163
Or, Don Pedro s’avance au balcon, et d’en haut Une tête sanglante aux dents, d’un bond nerveux,
S’écrie : — A la male heure êtes venu vous mettre Un chien saute parmi les mets royaux qu’il souille,
Entre mes mains, Bâtard! Lopez, tuez le Maître! -— En y laissant tomber la hideuse dépouille
L’autre lève sa masse et frappe comme il faut. Où s’entr’ouvre un œil terne à travers les cheveux.
Fadrique, chancelant, veut dégainer sa lame; Doua Maria tremble, et, blanche comme cire,
Mais la masse de fer est brandie à nouveau, Se renverse au dossier de son riche escabeau,
Retombe, rompt la nuque, écrase le cerveau, Voile de ses deux mains son visage si beau,
Et le sang noir écume et fait ruisseler l’âme. Et soupire : — Ah ! l’horreur ! C’est le Démon, cher Sire!
— Lopez ! Coupez la tête, et laissez le tout là, —Vrai Dieu ! Tout, dit le Roi,vient à point de concert.
Dit Don Pedro. Justice est faite, et félonie Foin de Mahom, du Diable et de la Synagogue!
De ce Bâtard, du moins, bien et dûment punie. — C’est la tête de Don Fadrique, et c’est son dogue,
Puis le Roi va dîner avec la Padilla. Maria, qui vous l’offre, en guise de dessert 1 —
Quand mes frères bâtards, m’assaillant à l’envi, —Sire, j’ai bouche close et vous baise les mains.
Saccageaient mes châteaux et me vidaient mes coffres, __C’est bien. —Hinestrosa gravement le salue,
Quasi seul, entre tous, au mépris de leurs offres, Et s’en va. Néanmoins, la chose est résolue.
Ceux que hait Don Pedro n’ont point de lendemains.
Vous me fûtes fidèle, et m’avez bien servi.
11 appelle un massier de la garde, qu’on nomme,
Donc, je vous sais sans peur, sans feintise ni trame,
Etant Aragonais, Rebolledo Perez :
Aimant l’homme non moins que le roi, soucieux
__Va-t’en tuer la Reine au donjon de Xerez.
De faire ainsi, tant que vivrez, et pour le mieux.
Ortiz, le châtelain du lieu, n’est pas mon homme.
Et c’est pourquoi, Don Juan, je me fie en votre âme.
i66 POÈMES TRAGIQUES. T.E ROMANCE DE DONA BLANCA. 167
Voici l’ordre. Tu prends sa place. Agis, sois prompt. — Jésus! Ne puis-je au moins confesser mes péchés?
Tu diras qu’elle était malade, et qu’elle est morte. Faites venir un clerc tonsuré qui m’envoie
Sinon, je te fais mettre en quatre, à chaque porte Au Paradis, après ma douloureuse voie.
De la ville, où corbeaux et chiens te mangeront. — Confessez-vous à Dieu, Madame, et dépêchez !
Ecoute. D’une part, or, fief, chevalerie — O douce France ! ô cher pays où je suis née! .
Et ma faveur ; de l’autre, une hache, un billot, Jamais plus, ô beau ciel, ne te verront mes yeux !
Et la mise en quartiers. Choisis. Quel est ton lot ? O royale Maison des princes mes aïeux,
Songe pourtant qu’il faut celer cette tuerie. Dès mon aube pourquoi t’avoir abandonnée ?
Ni lutte, ni cris. Point de vestige sanglant Que t’ai-je fait, Castille? et d’où vient mon malheur
Qui puisse après la mort apparaître sur elle. Que.mes seize ans n’ont pu t’attendrir et te plaire?
Qu’elle semble finir de façon naturelle, Mais, hélas ! par un vent de haine et de colère
En proie à quelque mal sans remède et très lent ! Ma rapide jeunesse est fauchée en sa fleur !
As-tu compris? Réponds.—Cem’est un jour defête, Poürtant, je n’ai failli d’acte ni de pensée
Sire ! J’obéirai, dit le rude massier. — Envers ce Roi cruel qui me veut tant de mal.
Certe, à voir ce poil fauve et cet œil carnassier, Épouse, et vierge encor, comme au jour baptismal,
Le Roi ne doute pas que ce soit chose faite. O Jésus ! je descends dans la terre glacée.
Pendant que le Perez chevauche allègrement Et vous, Rayons vivants de l’éternel Flambeau,
Vers son crime, au grand trot du genet qu’il active, Anges du Paradis, qui brûlez de saints zèles,
De châteaux en donjons depuis dix ans captive, Dans la paix et l’amour emportez sur vos ailes
La jeune Reine pleure et plaint son long tourment. Mon âme immaculée au sortir du tombeau !
Ortiz, qui la gardait, noble de race et d'âme, Maintenant, Dieu m’assiste ! Achève ma misère,
L’a quittée. Un grand mal lentement la détruit, Ami! Je te pardonne, ainsi que je le dois. —
Dit-on. Perez, un soir, dans son retrait, sans bruit. Alors le meurtrier féroce, des dix doigts,
Entre : — Le Roi le veut, il faut mourir, Madame. Prend ie col délicat, frêle et doux, et le serre.
i68 POÈMES TRAGIQUES.
♦♦ 22
TE^SO^^^GES
TALTHYBIOS.
EURYBATÈS. EURYBATÈS.
Tant de braves, ô Dieux d’Hellas! et tant de nefs! Silence ! taisons-nous, impuissants que nous sommes!
La femme qui commande avec un cœur de fer
TALTHYBIOS.
N’attend plus le héros qu’a pris la sombre mer,
Que de bouches mordant la terre où le sang fume, Ou que le Priamide a dompté de sa lance.
Que d’étalons mâchant une suprême écume, Pour nous, ayons un bœuf sur la langue. Silence !
Que de lances rompant l’orbe des boucliers,
Que de chars fracassés vides de cavaliers, TALTHYBIOS.
Et d’âpres hurlements mêlés au choc des armés! Et le jeune héritier de ce palais ancien!
LES ÊRINNYES. 177
Cette honte est sa part, cet opprobre est le sien, Que, sous la pluie et sous les astres éclatants,
De vivre misérable et sous le fouet servile, Mes yeux ont tant de fois cherchée, et si longtemps!
Et de ne plus revoir son peuple ni sa ville, Patrie ! ils ont mordu, les mâles de ta race,
Hélas! La gorge Phrygienne avec l’airain vorace;
Ils ont déraciné la muraille et la tour !
EÜRYBATÈS.
Et voici resplendir l’aurore du retour !
Hélas I
TALTHYBIOS.
TALTHYBIOS.
O Zeus ! assis sur les sommets Insensé, qu’as-tu dit, et quel songe t’égare?
Vénérables, dont l’œil ne se ferme jamais, Va! la cendre du Chef gît sur le sol barbare;
De qui l’épais sourcil courbe nos pâles têtes Aucun ne reviendra, de ceux que nous aimons.
Sous la convulsion tonnante des tempêtes, EÜRYBATÈS.
O Daimôn très auguste et toujours triomphant,
C’est un feu de berger au faite noir des monts,
Entends-nous ! Souviens-toi du père et de l’enfant»
Ou quelque rouge éclair du Kronide.
LE VEILLEUR.
Non, certes!
il J’étais debout, veillant, les paupières ouvertes.
Non ! Le dernier bûcher, le plus haut, pousse encor
Les Précédents, LE VEILLEUR. A travers la nuée un long tourbillon d’or;
C’est le signal jailli d’Ilios enflammée.
Je l’atteste! Ilios est aux mains de l’armée,
le veilleur, entrant précipitamment.
Et le Maître, le Roi des hommes, est vainqueur !
C’est lui! Mes yeux l’ont vu. Le feu sacré flamboie,
C’est lui ! Le Danaen s’est rué sur sa proie,
Et la grande Ilios s’écroule sous les Dieux !
O sanglante splendeur d’un jour victorieux,
Qui roules de montagne en montagne dans l’ombre,
Salut, flamme! salut, gloire de la nuit sombre,
i78 POÈMES TRAGIQUES.
LES ÉRINNYES. ’79
TALTHYBIOS’.
EURYBATÉS.
klytaîmnestra. —Elle entre, suivie de ses femmes.
— Elle fait un geste. —Le Veilleur sort. L’ineffable avenir est dans la main des Dieux.
Souvent l’essaim léger des visions joyeuses
Il a dit vrai. Vieillards, la joie est dans mon cœur.
Illumine la paix des nuits silencieuses.
Comme un torrent d’hiver qui déborde les plaines,
Crains l’aube inévitable, ô Reine, et le réveil!
Les Dieux ont déchaîné la fureur des Hellènes.
La lance au poing, la haine aux yeux, l’injure aux dents, KLYTAIMNESTRA.
Sur les temples massifs, sur les palais ardents Suis-je un enfant qui pleure ou rit dans le sommeil î
Que l’incendie avec mille langues hérisse, Soit! Il suffit: j’ai vu pour vos vieilles prunelles.
J’entends tourbillonner Pallas dévastatrice, Chantez aux Bienheureux les hymnes solennelles,
Et la foule mugir et choir par grands monceaux, Car la flamme infaillible a parlé hautement,
Et les mères hurler d’horreur, quand les berceaux, Et les nefs ont fendu Poséidon écumant,
Du haut des toits fumants écrasés sur les pierres, Et l’éperon d’airain s’enfonce dans le sable.
Trempent d’un sang plus frais les sandales guerrières. Il approche, le Chef sacré, l’irréprochable
Ah ! la victoire est douce, et la vengeance aussi ! Porte-sceptre, à qui Zeus accorde le retour,
Rendez grâces aux Dieux, vieillards, de tout ceci. Mais non pas, ô vieillards, de voir, vivante au jour,
Que de fois ils m’ont prise au filet des vains rêves ! Cette jeune victime aisément égorgée
Mais il faut bien payer nos prospérités brèves, Dont le sang pur coula pour qu’Hellas fût vengée,
Et c’est peu que dix ans d’attente et de désir, Cette première fleur éclose sous mes yeux
Quand le prix en est proche, et qu’on va le saisir. Comme un gage adoré de la bonté des Dieux,
Oui ! Le Maître, l’Ëpoux, le Roi des nefs solides, Et que, dans le transport de ma joie infinie,
Revient au noir palais des héros Tantalides, Mes lèvres et mon cœur nommaient Iphigénie 1
Et, comme il sied sans doute, il m’y rencontrera I Ce qui dut être fait est fait. C’est bien. L’oubli
i8o LES ÈRINNYES. i8r
POÈMES TRAGIQUES.
Louez les Dieux ! L’armée a pris la grande Troie. Images des vieux Chefs, Ombres échevelées,
Je vais à toute Argos annoncer cette joie, Qui portez à pas lents sur l’épaule et le dos
Et, sous le vaste ciel, faire, de l’aube au soir, Les forfaits accomplis, comme de lourds fardeaux,
De cent taureaux beuglants ruisseler le sang noir. Pourquoi m’envelopper d’un murmure de haine?
Elle sort. Faces des morts couchés par milliers sur la plaine,
Et dans la nuit sinistre en proie aux chiens hurleurs,
Que me demandez-vous, ô Spectres, ô douleurs 1
EURYBATÈS.
AGAMEMNÔN.
Cette pourpre qui mène au palais des aïeux !
Écoute,
Les femmes de Klytaimnestra étendent des tapis
Femme! Garde en ton cœur ma parole: obéis!
de pourpre devant Agamemnon.
L’âpre terre, le sol bien aimé du pays
M’est un chemin plus sûr, plus somptueux, plus large.
AGAMEMNON.
J’ai, sans ployer le dos, porté la lourde charge
Je te salue, Argos, de lumière fleurie!
Des jours et des travaux que les Dieux m’ont commis,
Salut, temples, foyers, peuple de la patrie !
Et n’attends au retour rien que des cœurs amis.
Et vous qui de l’opprobre et de l’iniquité
Ni flatteuses clameurs, ni faces prosternées !
Avez gardé mon toit depuis longtemps quitté,
Zeus! Hermès! Apollon, Prince aux flèches rapides! Montrant Kasandra.
Je vous salue, amis divins des Atréides, Regarde celle-ci. Les promptes Destinées
Qui dans l’épais filet patiemment tendu Sous les pas triomphants creusent un gouffre noir,
Avez amoncelé tout un peuple éperdu, Et qui hausse la tête est déjà près de choir.
Et qui faites encore, au milieu des nuits sombres, Donc, fille de Lèda, sois douce à l’Étrangère,
La tempête du feu gronder sur ses décombres ! Rends moins rude son mal et sa chaîne légère;
Pour toi, femme ! ta bouche a parlé sans raison : Car les Dieux sont contents quand le maître est meilleur,
J’entrerai simplement dans la haute maison ; Et le sang des héros a nourri cette fleur
Jeveux être honoré, non comme un Dieu, non comme Sur un arbre royal dépouillé feuille à feuille.
Un Roi barbare enflé d’orgueil, mais tel qu’un homme; J’entre. Que la maison me sourie et m’accueille,
Sachant trop que l’Envie aux regards irrités Sorti vivant des mains d’Arès, le dur Guerrier!
Rôde dans l’ombre autour de nos félicités. Et vous, recevez-moi, Daimones du foyer!
Il convient d’être sage et maître de soi, femme! Il entre dans le palais, suivi des guerriers, des
matelots, des captifs et des captives.
KLYTAIMNESTRA.
TA LT H Y BI O S.
vit
Femme, entends-tu?
EURYBATÈS.
TALTHYBIOS, EURYBATÈS,
Le Chœur des Vi-eillards, KASANDRA.
La Reine, ô femme, t’a nommée.
TALTHYBIOS.
KLYTAIMNESTRA.
Le langage d’Hellas ne t’est-il point connu?
Elle reste muette et comme inanimée.
Je n’ai pas le loisir d’attendre, Esclave! Viens 1 KASANDRA.
Les brebis, près du feu, bêlent dans leurs liens ;
Dieux! Dieux! La coupe estpleine,et mon jour est venu !
LES ÉRINNYBS. 189
KASANDRA.
KASANDRA.
TALTHYBIOS.
On dirait qu’elle sent l’odeur d’un meurtre ancien, L’Archer divin qui m’aime!
Ou qu’un souffle augurai offense ses narines.
TALTHYBIOS.
Mon regard plonge en vain dans les choses futures: Voici le jour, et l’heure, et la hache, et le lieu,
Jamais ils ne m’ont crue! et tous riaient entre eux, Et mon âme va fuir, toute chaude d’un Dieu !
Ou me chassaient, troublés par mes cris douloureux.
EURYBATES.
V
Et moi, dans la nuit sombre errant, désespérée,
J’entendais croître au loin l’invincible marée, C’est la vérité, femme! et je ne puis m’en taire,
Le sûr débordement d’une mer de malheurs; Car ce bruit lamentable a couru sur la terre.
Et le Dieu sans pitié, se jouant de mes pleurs, Il est vrai que ces murs malheureux, autrefois,
De mille visions épouvantant mes veilles, Ont vu couler le sang et les larmes des Rois ;
Aveuglait tout mon peuple et fermait ses oreilles ; Mais ces calamités ne doivent plus renaître.
Et je prophétisais vainement, et toujours !
Citadelles des Rois antiques, palais, tours ! TÀLTHYBIOS.
Cheveux blancs de mon père auguste et de ma mère,
Repose-toi sans peur aux sûrs foyers du Maître.
Sables des bords natals où chantait l’onde amère,
Ton père est mort, ta ville est en cendres, les Dieux
Fleuves, Dieux fraternels, qui dans vos frais courants
Ont ployé ton cou libre au joug injurieux;
Apaisiez, vers midi, la soif des bœufs errants,
Car il nous faut subir la sombre destinée,
Et qui, le soir, d’un flot amoureux qui soupire
Et c’est pour la douleur que notre race est née.
Berciez le rose essaim des vierges au beau rire!
Les Dieux seulssont heureux toujours. Maissachebien
O vous qui, maintenant, emportez à pleins bords
Que ta vie est sacrée, ô femme! et ne crains rien.
Chars, casques, boucliers, avec les guerriers morts,
Echevelés, souillés de fange et les yeux vides!
KASANDRA.
Skamandros, Simoïs, aimés des Priamides!
O patrie, Ilios, montagnes et vallons, Insensés! vous aussi vous ne m’aurez point crue!
Je n’ai pu vous sauver, vous, ni moi-même! Allons! Ecoutez ! La clameur lointaine s’est accrue.
Puisqu’un souffle fatal m’entraîne et me dévoré, Ohl les longs aboiements! Je les vois accourir,
J’irai prophétiser dans la Nuit sans aurore; Les Chiennes, à l’odeur de ceux qui vont mourir,
A défaut des vivants, les Ombres m’en croiront ! Les Monstres à qui plaît le cri des agonies,
Pâle, ton sceptre en main, ta bandelette au front, Les Vieilles aux yeux creux, les blêmes Érinnyes,
J’irai, cher Apollon, ô toi qui m’as aimée ! Qui flairaient dans la nuit la route où nous passions !
J’annoncerai ta gloire à leur foule charmée. Viens, lugubre troupeau des Exécrations,
I92 POÈMES TRAGIQUES. LES ÊRINNYES. 193
■V
J Meute qui vas, hurlant sans relâche, et qui lèches
Des antiques forfaits les traces toujours fraîches!
Viens! viens! Il va tomber sous la hache, et crier
Son dernier cri, le Roi des hommes, le guerrier
Et dans l’Hadès fleuri de pâles asphodèles
Les Ombres des aïeux vont m’accueillir près d’elles !
Mais, un jour, je serai vengée. Il reviendra,
Celui qui but ton lait fatal, Klytaimnestra !
Brave et victorieux, sous qui s’est écroulée Le Vagabond nourri d’inexpiables haines,
I Ta muraille, Ilios, hautement crénelée! Le monstrueux Enfant des races inhumaines,
N
O mon peuple, ô mon père, ô mes frères, voyez Le Tueur de sa mère, à lui-même odieux,
/ Et réjouissez-vous : vos maux sont expiés. Et toujours flagellé par la fureur des Dieux !
Ah ! ah ! Le Chef divin, le destructeur des villes, Maintenant, qu’on me lie, et qu’un seul coup m’achève!
Il s’est pris au riant visage, aux ruses viles, Et que je dorme enfin !
A la bouche qui flatte, à l’œil faux, à la main Elle veut entrer dans le palais, et recule.
Qui caresse et l’assomme inerte au fond du bain!
’I Oh ! le lugubre rêve !
> EURYBATÈS. Sentir l’airain me mordre à la gorge, et mon sang
J
Ruisseler tout entier de mon corps frémissant !
Malheureuse ! tais-toi ! ta parole est terrible.
Je n’ose pas, vieillards! j’ai peur! un noir nuage
TALTHYBIOS.
M’aveugle, et la sueur inonde mon visage.
EURYBATÉS.
EURYBATÊS.
KLYTAIMNESTRA.
KALLIRHOÉ, ISMÉNA,
le Chœur des Khoèphores.
KALLIRIIOÉ.
Posons ces tristes fleurs auprès des coupes pleines. De voir enfin surgir la vengeance embusquée;
L’offrande funéraire est douce à qui n’est plus. Car les divinateurs ont révélé ceci,
Qui le châtiment veille, et n’est pas loin d ici.
Elles posent les coupes et les guirlandes.
Ils savent le secret des songes et des charmes.
Il convient, selon l’ordre et le rite voulus,
Que l’illustre Élektra, la tempe deux fois ceinte, KALLIRHOÊ.
Verse au mort bien aimé la libation sainte, Pour nous, à qui les Dieux ont tout pris, sauf les larmes,
Et l’appelle du fond de l’Hadès souterrain.
Soumises au destin de maîtres malheureux,
Ainsi le veut la Femme impie, au cœur d’airain.
Laissons notre misère et gémissons sur eux.
De sombres visions brusquement l’ont hantée:
On dit que de l’Époux la face ensanglantée, ISMÈNA.
Quand vient la nuit divine, habite dans ses yeux,
Et qu’on entend parfois des cris mystérieux Va! sur la noble proie, inerte et chaude encore,
Et d’horribles sanglots à travers la demeure 1 La meute aux yeux ardents hurle et s’entre-dévore !
Nos temples, nos foyers, nos pères d ans chargés,
Nos frères, nos époux, nos enfants sont vengés :
ISMÈNA.
Troie est morte! qu’Hellas meure de sa victoire 1
Puisse l’Hadès aussi l’entendre! et qu’elle meure 1
KALLIRHOÊ.
KALLIRHOÊ.
O femmes, laissons faire au Sort expiatoire:
Assurément, son âme est en proie aux remords. Gardons-nous d’ajouter à ces calamités
La mâchoire du Feu mange la chair des morts; Par le contentement de nos cœurs irrités.
Mais l’invincible esprit jaillit de leur poussière. , La bienveillance sied à l’esclave lui-même.
ISMÈN A. ISMÈNA.
Quand le meurtre a rougi la terre nourricière, Nous aimons la divine Élektra qui nous aime.
Quel fleuve, ou quelle mer, a jamais effacé Innocente des maux que nous avons soufferts,
La souillure du sang aux mains qui l’ont versé? Toujours ses belles mains ont allégé nos fers.
Elle tremble aujourd’hui, cette louve traquée, La voici. Que pour elle un jour meilleur renaisse!
2OÔ POÈMES TRAGIQUES. LES ÊRINNYES. 207
KALLIRHOÉ.
Les Précédentes, ÉLEKTRA.
Pour tous ceux qu’il aima dans la vie éphémère,
ÉLEKTRA. Prie, ô noble Elektra, ton père vénéré;
Et les Dieux entendront ton appel éploré.
Femmes de la maison, douces à ma jeunesse,
Conseillez mon cher cœur amèrement troublé.
élektra prend une coupe cl s’approche du tombeau.
Sur ce tertre où mes pleurs ont tant de fois coulé,
Où gît sans gloire, hélas 1 celui que je révère, Hermès! prompt Messager qui montes d’un coup d’aile
Que faut-il que je dise à son Ombre sévère? De la pâle Prairie où germe l’asphodèle
Que l’Epouse m’envoie à l’Époux î Ah ! grands Dieux! Jusques au pavé d’or des Princes de l’Aithèr,
Ou faut-il que, muette et détournant les yeux, A toi d’abord, Hermès, le vin pur du Kratèr!
Ayant versé trois fois la libation due, Elle verse la libation.
De ce funèbre lieu je m’enfuie éperdue?
Daimones très puissants, Rois de la terre antique,
Ne m’abandonnez pas en cet ennui mortel.
Qui siégez côte à côte en son ombre mystique,
KALLIRHOÉ.
Toi, Dieu terrible, et toi qui fais germer les fleurs,
O Déesse ! écoutez le cri de mes douleurs :
Approche du tombeau comme d’un saint autel, Faites que l’Atréide, errant dans l’Hadès blême,
Et prie, en répandant la coupe funéraire, Exauce le désir de son enfant qui l’aime !
L’Ombre auguste du Chef pour Orestès, ton frère.
Elle verse la seconde libation.
ISMÈNA. Maintenant, ô mon père, entends aussi ma voix,
Elektra! que mon cœur chérit pour ta bonté, Et, du fond de la Nuit irrévocable, vois!
Vers celui que la haine et la ruse ont dompté Je gémis, opprimée, et ton fils est esclave !
Hausse tes blanches mains de vierge, et le supplie, Ta demeure est aux mains d’un lâche qui te brave,
208 POÈMES TRAGIQUES. LES ÉRINNYES. 209
Qui tient ton lit, ton sceptre, et dévore tes biens. Il vengera d’un coup son père avec sa sœur.
O Vénérable, entends mes prières! Oh! viens,
ÉLEKTRA.
Viens ! Se glorifiant du meurtre qui la souille,
Celle qui t’égorgea nous hait et nous dépouille. O parole sacrée et pleine de douceur !
Chère Ombre ! sois terrible à ce couple pervers, Orestès est vivant ?
Et dresse le Vengeur promis à nos revers!
ORESTÈS.
Elle verse la troisième libation. — Orestès sort du
milieu des rochers. Femme, il vit. Je l’atteste.
ÉLEKTRA.
Oui,c’est toi,douce tête! Oui,tout mon cœur te nomme! J’ai vécu dans l’opprobre et l’asservissement,
O rêve de mes nuits, cher désir de mes jours, Ployant mon cou rebelle au joug d’un maître rude;
Que je n’attendais plus, que j’espérais toujours! Mais d’anciens souvenirs hantaient ma solitude,
Oui, je te reconnais, ô mon unique envie! Mille images : un homme aux yeux fiers, calme et grand
Mon âme en te voyant se reprend à la vie, Comme un Dieu; puis, sans cesse, un peuple murmurant
Ami longtemps pleuré! Tu dis vrai, je te crois: De serviteurs joyeux empressés à me plaire;
Tous mes maux sont finis. Tu seras à la fois Des femmes, un autel, la maison séculaire,
Mon père qui n’est plus, ma sœur des Dieux trahie, Et les jeux de l’enfance, et l’aurore, et la nuit ;
Et cette mère, hélas! de qui je suis haïe. Puis, dans l’ombre, un grand char qui m’emporte et s’enfuit
Viens, et, me consolant de tous ceux que j’aimais, Et l’injure, et les coups, et le haillon servile,
O mon frère, sois-moi fidèle pour jamais! L’eau de la pluie après la nourriture vile;
Et toujours ce long rêve en mon cœur indompté,
ORESTÈS. Que je sortais d’un sang fait pour la liberté!
Et j’ai grandi, j’ai su les actions célèbres:
Rien ne brisera plus cet amour qui nous lie :
Ilios enflammée au milieu des ténèbres,
Que l’Hadès m’engloutisse avant que je t’oublie!
La gloire du retour, le meurtre forcené,
Et le nom de mon père, et de qui j’étais né!
ÉLEKTRA.
Oh! quel torrent de joie a coulé dans mes veines!
Mais du fond de l’exil, ami, dis-moi, quel Dieu, Comme j’ai secoué mon joug, brisé mes chaînes,
Quel oracle te pousse en ce sinistre lieu? Et, poussant des clameurs d’ivresse auxcieux profonds,
Le sais-tu? C’est ici qu’un homme lâche et sombre Vers la divine Argos précipité mes bonds!
Se repait de nos pleurs et de nos biens sans nombre, ÉLEKTRA.
De l’Épouse perfide et d’un peuple opprimé!
O fils d’un héros mort, crains ta mère inhumaine!
i
Pour ses enfants, hélas! elle est chaude de haine. Père, père! Entends-moi dans l’argile trempée
Malgré mes pleurs, mes cris, l’étreinte de mes bras, De larmes. Tu n’as point, par la lance et 1 épée,
A peine reconnu, mon frère, tu mourras! Rendu l’âme au milieu des hommes, ô guerrier !
Comme il sied, le front haut et le cœur tout entier.
■I
ORESTÈS. Un bûcher glorieux de grands pins et d’érables
Rassure ton cher cœur. Va! le Dieu qui m’envoie N’a point brûlé ta chair et tes os vénérables ;
Saura bien aveugler ces deux bêtes de proie. Et ta cendre héroïque, aux longs bruits de la mer,
Je l’envelopperai sûrement du filet Nedortpointsous un tertre immense et noir dans 1 air.
De la ruse, tout lâche et défiant qu’il est ; Non ! Comme un bœuf inerte et lié par les cornes,
Et, si Zeus Justicier m’approuve et me seconde, Et qui saigne du mufle en roulant des yeux mornes,
Je le tuerai comme on égorge un porc immonde ! Le Porte-sceptre est mort lâchement égorgé!
Pour ma mère, les Dieux justes m’inspireront. Père, console-toi: tu vas être vengé!
Puisque l’heure est venue, il convient d’être prompt ; Il verse la libation.
l
■ La soif du sang me brûle, et le Destin m’entraîne.
¡J
Femmes, qu’une de vous se hâte vers la Reine, KALLIRHOÉ.
Et dise: « Un voyageur qui nous est inconnu,
La clémence est semblable à la neige des cimes :
« O fille de Léda, dans Argos est venu. Immortellement pure en ses blancheurs sublimes,
« Il annonce — que Zeus fasse mentir sa bouche ! —
Elle rayonne au cœur des sages, ses élus;
« Qu’Orestès est couché sur la funèbre couche. » Mais quand le sang la touche,il n’en disparait plus:
Elle viendra joyeuse! La souillure grandit sans cesse, ronge, creuse,
J Élektra. Et la neige s’écroule en une fange affreuse.
Et toi, ma sœur, gémis;
O jeune homme irrité, laisse aux Dieux de punir !
Accuse hautement les Destins ennemis ;
Sur le père et le fils, sur notre race éteinte, IS M È N A.
Répands toute ton âme en une ardente plainte;
Non! C’est dans le passé que germe l’avenir;
Lamente-toi, ma sœur ! leve les bras aux Cieux !
C’est la loi qui commande à la race perverse
Pleure ma mort enfin, et laisse agir les Dieux.
Qu’un sang nouveau, toujours, paye le sang qu’on verse ;
Une des femmes rentre dans le palais. Orestes
L’inévitable mal revient à qui 1 a fait,
prend une coupe et s'approche du tombeau.
214 POÈMES TRAGIQUES. LES ÉRINN YES. 215
Hi /
U
1
I ORESTÉS.
ORESTÉS.
I 1 <
J
2IÔ POÈMES TRAGIQUES. LES ÉRINNYES. 217
KALLIRHOÉ.
v
Fille d’Aganiemnôn, toi qui parles ainsi,
Dans la sainte Ilios qu’avions-nous fait aussi,
ÉLEKTRA, KALLIRHOÉ, ISMÈNA,
Quand, sur les flots battus par l’aviron rapide,
Le Chœur des Khoéphores.
La fatale Héléna suivit le Priamide ?
Hélas! l'enfant, la.mère, et le père et l’aïeul,
KALLIRHOÉ. Tout un peuple a payé pour le crime d’un seul 1
Cette femme n’a point reconnu son enfant !
ÉLEKTRA.
KALLIRHOÈ. ISMÈNA.
5 ÉLEKTRA.
il VI
KALLIRHOÈ.
ÉLEKTRA, KALLIRHOÈ, ISMÈNA,
Et ta mère, enfant?
Le Chœur des Khoèehores.
KALLIRHOÈ.
Dieux ! Eh bien ! que dis-tu d’elle ? Ton frère irréprochable a frappé l’homme!
I
I fl.
LES ÉRINNYES. 225
222 POÈMES TRAGIQUES.
ÉLEKTRA.
ISMÈNA.
Grands Dieux !
Bien!
Ma mère !
Que le jeune héros frappe, et n’épargne rien !
KALLIRHOÉ.
ISMÈNA.
ORESTÈS.
Reste là ! KLYTAIMNESTRA.
Pas un cri, pas un souffle ! Ah ! ah ! je te tiens, femme !
Dirais-tu vrai, grands Dieux !
L’heure est venue : il faut que je te parle.
ORESTÈS.
KLYTAIMNESTRA.
N’approche pas, sinon
Infâme Je te tuerai, sans plus parler ni plus attendre.
Vagabond, que veux-tu? Je ne te connais point.
Écoute ton fils, mère irréprochable et tendre !
Lâche ! que t’ai-je fait ?
Sans respect pour le sang des héros dont je sors, ■
**
29
LES ÊRINNYES. 227
226 POÈMES TRAGIQUES.
Tu m’as tout pris, mon nom, mon peuple, mes trésors, Mais, avant de tomber sanglante sous ma main,
La liberté qui fait la moitié de notre âme ! Parle, apaise l’époux égorgé dans le bain ;
Oui, pour mieux accomplir l’abominable trame, Car, sur le sable blême où roule le noir Fleuve,
Tu m’as vendu, tu m’as, loin du royal berceau, Il attend à l’affût son odieuse veuve !
Dans la fange, ô fureur ! jeté comme un pourceau 1
KLYTAIMNESTRA.
J’ai ployé sous les coups, j’ai sué sous l’outrage,
J’ai troublé l’air du ciel de mes longs cris de rage, Respecte, mon enfant, le sein qui t’a nourri !
J’ai maudit la lumière, et l’ombre, et les Dieux sourds,
ORESTÈS.
Et j’ai cent ans, n’ayant vécu que peu de jours !
Mais qu’importe ! Ceci n’est rien .Mes pleurs, ma honte, Ne parle pas au fils, femme! parle au mari.
Et ta liaine, et mes maux dont j’ignore le compte, Moi je te frapperai, mais lui t’a condamnée.
Et l’endurcissement à ton cœur familier,
Je te pardonne tout, et veux tout oublier. KLYTAIMNESTRA.
Ta tête m’est sacrée en ma propre querelle ; C’est l’Êrinnys, enfant, sur ta race acharnée,
Mais l’expiation d’un grand crime est sur elle ! C’est elle, le Daimôn ineffable et sans frein,
Tu mourras pour cela. Les temps sont révolus. Par qui ton père est mort sous la hache d’airain.
Elle a troublé mon cœur, hélas ! longtemps austère,
klytaimnesTra. Et m’a précipitée aux bras de l’adultère.
On ne peut pas tuer sa mère I Ce 11’est pas moi, c’est elle ! Enfant, qu’ai-je gagné
Au meurtre? Nuit et jour n’en ai-je pas saigné ?
Répondez, murs témoins de mes veilles affreuses!
ORESTÈS.
Et toi, toujours debout dans mes yeux que tu creuses,
Tu n’es plus Fantôme du héros, image de l’Epoux,
Ma mcre. C’est un Spectre effrayant qui t’accuse Réponds! — O mon enfant, j’embrasse tes genoux!
Et qui te juge. Toi, tu te nommes la ruse, Ne verse pas mon sang !
La trahison, le meurtre et l’adultère. Il faut
Que tu meures! Un Dieu méfait signe d’en haut, ORESTÈS.
Et mon père, du fond de l’Hadès, me regarde As-tu tout dit ?
Fixement, irrité que la vengeance tarde.
LES ÉRINNYES. 229
228 POÈMES TRAGIQUES.
KLYTAIMNESTRA.
Horrible ! Je le vois, rien ne le peut toucher,
Ce cœur inexorable et dur comme un rocher.
Arrière 1
Mes supplications, sois content, sont finies...
Prends garde à toi, si tu n’écoutes ma prière. Malheureux ! je te voue aux blêmes Érinnyes,
Crains d’entendre aboyer le troupeau haletant
Aux Chiennes de ta mère ! à l’éternel tourment
Des Spectres de l’Hadès! Mon cher fils, un instantl
De boire, dans tes nuits d’horreur, mon sang fumant
Non ! non! tu ne veux pas sans doute que je meure...
Partout, de l’aube au soir, d’entendre sans relâche
Oh ! je voudrais vieillir dans l’antique demeure !
Le râle de ta mère, et de fuir comme un lâche,
Farouche, pourchassé, misérable et maudit !
OKESTÉS.
Arrête ! attends encor. J’aurai bientôt tout dit.
Toi! tu vivrais ici, toi! Qu’en diraient les Dieux, Enfin, oui, sache-le. Que cela t’épouvante
Les hommes, la maison, nos enfants, nos aïeux? Et redouble ta rage... Oui, monstre ! je m’en vante :
Il faut mourir, il faut que le sort s’accomplisse. Le héros qui git là dans son sang m’était cher 1
Viens! je vais te coucher auprès de ton complice J’ai tué l’Atréide, et j’ai coupé sa chair
Qui git là, dans son sang immonde, tel qu’un chien. Par morceaux ! Seulement ceci me désespère,
Désormais, comme hier, son lit sera le tien. D’avoir manqué le fils en égorgeant le père!
Puisque tu l’as aimé, rejoins qui te réclame,
Et rentre dans ses bras, afin d’y rendre l’âme ! orestès se jette sur elle et la tue.
Hàte-toi, hâte-toi, femme ! si tu ne veux Tiens! Tiens! Meursdonc! Assez de hideusesclameurs
Que je te traîne par les pieds ou les cheveux !
klytaimnestra recule en chancelant.
KLYTAIMNESTRA.
C’est fait... Tu m’as tuée... Ah!
Dieux ! Élektra, ma fille ! Encore une fois, grâce, Elle tombe. — Se relevant à demi :
Mon fils !
Sois maudit!
ORESTÈS.
Elle retombe morte.
Je suis aveugle et sourd.
ORESTÈS.
KLYTAIMNESTRA. Va! meurs!
O monstre! ôrac Tu souillais l’air sacre que tout homme respire.
230 POÈMES TRAGIQUES. LES ÉRINNYES. 231
ORESTÈS, Le Klytaimnestra,
cadavre de
ÉLEKTRA.
ORESTÈS, Le cadavre de Klytaimnestra,
ÉLEKTRA. puis LES ÉRINNYES.
Mon frère, qu’as-tu fait? Horreur ! ton crime est pire
Que tous les siens... C’était ta mère ! ORESTÈS.
ORESTÈS.
Eh bien! qu’importe?
J’ai racheté mon sang, et la vipère est morte.
Grands Dieux! quoi?
Elle empoisonnait tout de sa morsure. Elle a
Tu pleures cette femme?
Tué l’homme et vendu l’enfant... Mais la voilà
Tranquille maintenant, et pour jamais, je pense.
ÉLEKTRA.
Des équitables Dieux j’attends ma récompense !
Hélas! malheur à toi,
Qui m’es horrible et cher! Quel Dieu te l’a livrée, Il regarde le cadavre.
Cette tête effrayante, odieuse et sacrée? Qu’elle est grande ! On dirait qu’elle m écoute... Non !
O meurtre inexpiable ! ô lamentables coups! Je l’ai frappée au cœur, sûrement. L’acte est bon.
Que ne pardonnais-tu, frère? Malheur à nous! Justice est faite. Il faut que tout forfait s expie.
Malheur à toi, c’était ta mère ! Us siégeaient, triomphants, dans leur puissance impie,
Les mains chaudes du meurtre; ils se disaient, contents:
Élektra se couvre la tète et s’enfuit.
« Nous avons tout, le trône et le sceptre éclatant»,
« Et la vieille maison du roi Pélops ! nous sommes
« Les Dynastes d’Argos et les pasteurs des hommes ;
« Commandons, aimons-nous, et vivons sans remords, a
LES ÉRINNYES. 233
Et moi, je viens, je frappe ; et les tyrans sont morts! L’action qu’il a faite est droite et légitime !
Maintenant, de ceci j’effacerai les traces : Deux Erinnyes se dressent de chaque côté du tom
L’uneau bûcher funèbre, etl’autre aux chiens voraces. beau.
Que le peuple s’empresse à l’Agora ! Demain,
Le sceptre paternel brillera dans ma main; Ah! qu’est-ce que cela? D’où viennent celles-ci?
Parmi les Chefs vaillants je m’assoirai, semblable Vieilles femmes, parlez : que faites-vous ici ?
Aux Dieux ; avec le bruit de la mer sur le sable, Trois Érinnyes apparaissent autour du cadavre.
Hellas acclamera mon nom, disant : « C’est bien.
« Il a vengé son père et reconquis son bien 1 » Encore ! Par les Dieux ! ces faces de squelettes
Pour mordre ont retroussé leurs lèvres violettes.
Il regarde le cadavre. Ah! Monstres, vous grincez des dents affreusement!
Arrière !
Pourquoi ne pas fermer ta sanglante paupière, Les Érinnyes apparaissent de tous côtés.
Cadavre? Que veux-tu ? Va ! mon cœur est de pierre :
En vérité, c’est un fourmillement
Je ne crains rien, j’ai fait pour le mieux. C’est assez 1
De spectres ! et je suis traqué comme une proie !
Ne me regarde pas de tes yeux convulsés!
L’épouvante me prend à la gorge, et la broie !
Je t’ensevelirai, toi, mes maux, et le reste,
Non, ce n’est point un songe, et je suis là, debout,
Dans l’oubli, comme il sied d’un souvenir funeste. Eveillé! Malheureux! c’est cela, je sais tout :
A quoi bon épier mes gestes et mes pas ?
Ce sont Elles, ce sont les Chiennes furieuses
Regarde dans l’Hadès, ne me regarde pas ! De ma mère!... Pourquoi rester silencieuses?
A qui me montrez-vous de vos doigts décharnés,
Il lui ramène sur la face un pan du péplos. —
Tendant les bras vers le tombeau. O Louves de l’Hadès? Je vous attends, venez!
Vous ne vous trompez pas. C’est moi ! je l’ai frappée!
Voyez ce sang. La terre en est toute trempée.
Et toi qu’ils ont couché sous ce tertre sans gloire,
Il m’inonde les pieds, il me brûle les mains.
Père! monte à travers la nuit immense et noire,
Mais, quoi ! vous le savez, ô Monstres inhumains,
Apparais à ton fils qui te venge aujourd’hui !
Elle a tué mon père. Eh bien ! j’ai fait justice:
Il t’appelle, ô chère Ombre! Entends-le, viens, dis-lui
La voici morte. Que l'abîme l’engloutisse,
Q_ue devant tous les Dieux du ciel et de l’abîme
M*
3°
PO1ÏMES TRAGIQUES.
234
Pages
L’Apothéose de Mouça-al-Kébyr............................... i
La Tête de Kenwarc’h.............................................. i>
Dans le ciel clair........................................................ 17
Le Suaire de Mohammed ben-Amer-al-Mançour. . . 19
L’Astre rouge................................................................ 24
La Lampe du Ciel........................................................ 26
Pantouns Malais........................................................ 28
L’Illusion suprême........................................................ 36
Villanelle.................... 4°
Sous l’épais Sycomore................................................... 42
Le Talion....................................................................... 44
Les Roses d’Ispahan................................................... 4$
2}8 TABLE.
Pages
L’Holocauste.............................................................. $o
La Chasse de l’Aigle.................................................... $3
La Résurrection d’Adônis.............................................. 57
Les Siècles maudits.................................................... 59
L’Orbe d’or.......................... • 61
Le Chapelet des Mavromikhalis..................................... 63
Épiphanie........................................................................ 66
L’Incantation du Loup............................................... 68
Le Parfum impérissable............................................... 70
Sacra famés.................................................................... 72
L’Albatros................................................................... 74
Le Sacre de Paris......................................................... 76
Si l’Aurore................................................................... 82 . A. Lemerre, 6, rue des Bergers, Paris.
Hiéronymus................................................................... 8$
L’Aboma.............................................................................. 102
A un Poète mort........................................... • . . . 105
La Bête écarlate............................................................... 107
Le Lévrier de Magnus.......................................................... 112
Le frais matin dorait..........................................................143
Le Calumet du Sachem.....................................................145
Le dernier Dieu................................................................... 149
Le Secret de la vie............................................................... 152
Les inquiétudes de don Simuel.....................................154
Le Romance de Don Fadrique...........................................159
Le Romance de Doua Blanca. ........ 164
La Maya................................................................................ 169
Les Érinnyes . .................................... .... 171
Biblioteca de
Russell P., sebold: