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Laboratoire italien

Politique et société
7 | 2007
Philologie et politique

John Dickie, Cosa nostra. Storia della mafia siciliana


Laura Fournier-Finocchiaro

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/laboratoireitalien/156
DOI : 10.4000/laboratoireitalien.156
ISSN : 2117-4970

Éditeur
ENS Éditions

Édition imprimée
Date de publication : 1 novembre 2007
Pagination : 238-240
ISBN : 978-2-84788-124-0
ISSN : 1627-9204

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Référence électronique
Laura Fournier-Finocchiaro, « John Dickie, Cosa nostra. Storia della mafia siciliana », Laboratoire italien
[En ligne], 7 | 2007, mis en ligne le 07 juillet 2011, consulté le 24 août 2021. URL : http://
journals.openedition.org/laboratoireitalien/156 ; DOI : https://doi.org/10.4000/laboratoireitalien.156

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John Dickie, Cosa nostra. Storia della mafia siciliana 1

John Dickie, Cosa nostra. Storia della


mafia siciliana
Laura Fournier-Finocchiaro

RÉFÉRENCE
John Dickie, Cosa nostra. Storia della mafia siciliana, Rome-Bari, Laterza, 2005, XLIII-506
pages, ill., 20 euros.

1 L’essai de John Dickie, voulu par la maison d’édition anglaise Hodder & Stoughton et
pensé pour le public d’outre-manche, en est déjà à la quatrième réimpression dans sa
traduction italienne. L’originalité de cette nouvelle histoire de la mafia tient sans aucun
doute à la fluidité de la narration, qui s’apparente à celle d’un roman policier
particulièrement captivant. L’auteur, qui a accumulé une masse d’informations
bibliographiques impressionnante et des interviews particulièrement bien choisies, a
en effet privilégié la légèreté dans son écriture. Le lecteur dévore ainsi les presque cinq
cent pages de texte comme un thriller haletant, tout en bénéficiant des informations de
premier plan sur la mafia, son origine et son organisation, découvertes ces toutes
dernières années par les plus grands historiens italiens et étrangers (l’auteur ne cache
pas ce qu’il doit particulièrement à Salvatore Lupo, Diego Gambetta, Umberto Santino,
etc.). Contrairement aux essais « scientifiques» et souvent jargonnants, Dickie emploie
un vocabulaire journalistique-romanesque, simple et direct, et nous fait entrer dans la
peau de ses personnages (mafieux, victimes ou simples observateurs) mis en scène dans
des histoires poignantes et toujours tragiques.
2 Ses récits sont tous passionnants, aussi bien ceux qui concernent la mafia des origines
et ses premières victimes que les épisodes les plus récents (« l’Affaire Andreotti», les
interrogations concernant les relations entre le parti de Silvio Berlusconi et Cosa
Nostra, le rôle de Bernardo Provenzano – que l’auteur avait parfaitement saisi avant
même de pouvoir assister à son arrestation et en rendre compte…). À titre d’exemple,
l’analyse de l’homicide du marquis Emanuele Notarbartolo (assassiné en 1893) constitue

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un petit bijou narratif digne d’un récit d’Agatha Christie. Tous les ingrédients y sont
réunis : un cadavre mystérieusement retrouvé dans un train, un personnage étrange se
livrant à des expériences fouriéristes dans la campagne sicilienne, un fils décidé à faire
éclater la vérité coûte que coûte, un chef mafieux habile et bon acteur qui réussit à se
faire passer pour une victime, plusieurs sentences contradictoires et finalement le
maintien du statu quo pour la plus grande organisation implantée sur la terre
sicilienne. Le fil directeur de tous les récits est accablant pour l’histoire de la lutte anti-
mafia : en effet, Dickie insiste sur toutes les occasions perdues et les erreurs, de la part
de la classe politique italienne, de la magistrature, mais aussi des intellectuels
(notamment, à l’époque, l’ethnologue Giuseppe Pitré et, plus récemment, Leonardo
Sciascia lui-même), qui par ignorance, négligence, mauvaise foi ou intérêt personnel
ont sous-évalué le danger de la mafia et de son système d’intimidation, de corruption et
avant tout de violence physique et psychologique. Malgré le sacrifice de tant d’hommes
valeureux (auxquels Dickie rend hommage tout au fil du récit), il apparaît en filigrane
du texte que si la mafia n’a jamais pu être éradiquée, c’est parce que l’État italien
jusqu’à présent n’a jamais vraiment voulu s’en défaire. Dickie affirme en effet à
plusieurs reprises, par le biais de ses reconstructions minutieuses jusque dans les
moindres détails, que toutes les informations susceptibles d’éclairer les enquêteurs sur
la nature de l’organisation, ses membres et ses agissements ont souvent été sous les
yeux de la justice, des forces de l’ordre et des représentants de la classe politique Or, la
réalité même de l’existence de la mafia a continué à être niée pendant des décennies et
jusqu’à très récemment. Dickie revient à plusieurs reprises sur les arguments éculés de
tous ceux qui, en évoquant la « sicilitude» et ses caractères, noient le concept de mafia
comme « organisation criminelle» dans des considérations anthropologiques sur la
« nature» des Siciliens (leur sens de l’honneur, de la famille, leur tempérament
passionnel…). Sans rien laisser transparaître dans le ton qu’il emploie (toujours mesuré
et « scientifique»), on perçoit son indignation entre les lignes face aux discours
récurrents qui concluent que tout Sicilien est « naturellement» mafieux. Preuves à
l’appui, il montre au contraire comment est née cette association de malfaiteurs (dans
les zones les plus riches de la Sicile, les « jardins de citrons» de Palerme), sa nature
sectaire et son mode opératoire (« l’industrie de la violence»).
3 Des passages intéressants concernent les différences entre la mafia sicilienne
« traditionnelle» et ses dérivés, notamment américains. Dickie raconte une scène
particulièrement cinématographique et hautement symbolique où un mafieux sicilien,
convié à une réunion outre-Atlantique, assiste avec horreur à un banquet décontracté,
où chacun décline naturellement son identité et expose ses connaissances et ses
agissements sans arrière-pensées. De nombreux éléments portent en effet à penser que
la branche sicilienne de la mafia, Cosa Nostra, a conservé pendant toute son histoire ses
particularités sectaires (rites d’initiation, culte du secret et du silence, respect des
traditions, choix attentif de ses membres suivant des critères rigides et quasiment
immuables…), qui, loin de constituer une faiblesse, lui ont assuré un prestige certain et
une longévité extraordinaire.
4 Dans la seconde moitié du volume, qui couvre la période de l’après-guerre à nos jours,
l’histoire de la mafia est intimement mêlée à l’expérience des repentis et notamment
aux confessions de Tommaso Buscetta et Giovanni Brusca (chargé d’appuyer sur le
détonateur de la bombe de Capaci qui tua le juge Falcone en 1992). Dickie analyse avec
une grande finesse critique les informations recueillies par la justice, qui donnent lieu à
plusieurs niveaux de lecture. En effet, il montre bien que les mafieux repentis ont

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souvent une vision partielle et très personnelle des événements, et que, malgré l’aide
fondamentale qu’ils ont apportée à la reconstruction de l’histoire de Cosa Nostra, leurs
paroles sont toujours sujettes à caution et nécessitent d’être exploitées avec toutes les
précautions préalables. C’est pourquoi le lecteur se sent de plus en plus mal à l’aise en
découvrant les traitements de faveurs accordés régulièrement aux « collaborateurs de
justice», les permissions-récompenses distribuées aux meurtriers d’enfants et aux
vengeurs sanguinaires ainsi que toutes les sortes de ménagements dont bénéficient les
« monstres» qui se livrent à la justice simplement pour essayer d’éviter la mort atroce
qu’ils ont eux-mêmes infligée à toutes leurs victimes. Le cas de Giovanni Brusca,
surnommé « lo scannacristiani» (le massacreur) est particulièrement révoltant :
véritable machine à tuer, qui ne s’est pas embarrassé d’éliminer le petit Giuseppe Di
Matteo en dissolvant son corps dans l’acide ni de faire exploser Giovanni Falcone et
toute son escorte, il a pu bénéficier de la meilleure des protections et d’avantages
aberrants dans sa situation (sorties, égards).
5 En somme, le point de vue d’un étranger sur les atermoiements, les absurdités et les
ratées de la justice italienne face au phénomène mafieux sicilien éclaire mieux que tout
autre le nœud du problème italien : la mafia, née en même temps que le nouvel État
italien et au sein de son système, comme l’une de ses composantes intrinsèques,
n’arrive pas à être combattue de l’intérieur du système, tout comme le cancer n’arrive
pas à être rejeté par les cellules malades qu’il a infectées. Dickie, loin d’essayer de
suggérer des solutions au problème ou des remèdes efficaces à la maladie qui touche la
Sicile et l’Italie, termine sur les déclarations pessimistes de Buscetta lui-même,
convaincu que la mafia ne sera jamais vaincue, et il semble résigné à attendre une
nouvelle phase de son histoire cruelle. Sa condamnation est en effet sans appel :
« Jamais l’État italien en tant que tel n’a donné l’assaut à Cosa Nostra. Le tournant n’eut
jamais lieu. Pour combattre la bataille contre la mafia, il n’y eut qu’une minorité
héroïque de magistrats et de policiers, appuyés par une minorité d’hommes politiques,
d’administrateurs et de citoyens ordinaires.» (p. 408)

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