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© Armand Colin, 2011

ISBN : 978-2-200-27100-8
« Éléments de réponse »

Série « Libertés d’historien »dirigée par Vincent


Duclert

Parmi nos autres publications dans la collection


« Éléments de réponse »

P. Acot, Climat, un débat dévoyé ?


A. Bilheran, Tous des harcelés ?
F. Charillon, La France peut-elle encore agir sur le
monde ?
V. Duclert, L’Europe a-t-elle besoin des intellectuels
turcs ?
O. Galland, Les jeunes Français ont-ils raison d’avoir
peur ?
N. Gnesotto, L’Europe, un acteur stratégique
mondial ?
A. Gob, Le musée, une institution dépassée ?
J.-P. Gougeon, L’Allemagne du e siècle, une

nouvelle nation ?
M. Sifaoui, Pourquoi l’islamisme séduit-il ?
F. de Singly, Comment aider l’enfant à devenir lui-
même ?
Pour mon père,en souvenir du stand d’Amnesty
Internationalqu’il tenait sur un marché avec ses fils.
Introduction

1. Le « feuilleton » de l’affaire Woerth-Bettencourt

La naissance du scandale (16 juin-1er juillet 2010)

La création d’une affaire (1er-15 juillet 2010)

L’emballement de la machine (6 juillet-3 août 2010)

2. Voulait-on éviter une crise politique ? (16 juin-3 août 2010)

Enjeux politiques et mesure des opinions

Le spectre des « années 1930 »

« Cabales », « machinations » et rumeurs : les imaginaires du


scandale

3. Inégalités et tensions : le scandale comme révélateur

L’île d’Arros : un symbole de clivages sociaux

La « rupture » sarkozienne mise à l’épreuve

L’ambivalence des Français face à la corruption

4. La grande mutation de la « transparence » (1978-2009)

« L’impératif de transparence » : genèse d’une norme (1978-


1995)

Les « affaires » et les modifications de la vie politique (1988-


2002)

La force des changements culturels

Conclusion
Notes
Introduction

Ce qu’un historien peut dire du scandale


Woerth--Bettencourt
« Un autre spectre le suivait, la corruption publique, mal
naturel d’un peuple esclave lancé tout à coup dans la
liberté. Robespierre vit partout la corruption et la poursuivit
partout, spécialement chez ceux qui notaient ses
contradictions. »
Jules Micheleti

Ce livre propose une histoire de l’actualité ou, si l’on préfère,


une lecture critique d’un événement récent et encore inachevé :
« l’affaire Woerth--Bettencourt », scandale de corruption
présumée. Il s’agit ainsi de réfléchir aux questions soulevées,
aujourd’hui, par ces phénomènes en les soumettant aux
questionnements de la recherche en sciences sociales. Celle-ci a
beaucoup progressé dans la connaissance de la corruption,
comme des scandales, après avoir multiplié les études depuis
plusieurs années. Cette histoire aux prises avec l’actualité repose
sur deux « présupposés », au sens qu’Edgar Morin donnait à ce
terme en 1970, à propos de l’une de ses enquêtes de « sociologie
du présent »ii.
Le premier présupposé relève de la méthode. On pourrait
objecter que pour bien comprendre un scandale, il faut prendre de
la distance et s’armer du recul de l’Histoire. Ce besoin d’un recul
dans le temps a souvent été reproché aux historiens, ainsi par le
sociologue Pierre Bourdieu. « Il est en effet facile, quand on
connaît le mot de la fin, de transformer la fin de l’histoire en fin de
l’action historique, l’intention objective, qui ne s’est révélée qu’au
terme, après la bataille, en intention subjective des agents, en
stratégie consciente et calculée. »iii Ces dernières années, des
historiens n’ont d’ailleurs pas hésité, à l’image de Jean Garrigues,
à inclure l’étude d’événements très récents dans une histoire, de
plus longue haleine, des scandalesiv. C’est que le recul dans le
temps ne garantit pas le recul critique propre à la recherche en
sciences sociales.
On peut « écrire l’actualité en s’efforçant de la soumettre aux
exigences ordinaires de la connaissance historique », comme le
note Gérard Maugerv. Ces exigences sont doubles. Elles tiennent
d’abord à la production d’un récit vraisemblable : une « version
contrôlée des faits », en fonction des sources documentaires
disponibles – pléthoriques ; et une version qui restitue les sens, ou
les significations, assignés par les contemporains – nous-mêmes
– à cet événement à un moment donné. Cette histoire est ouverte
aux rectifications et aux débats.
Cette histoire est donc provisoire : elle est susceptible d’être
modifiée par la suite des événements. L’actualité à venir peut
fournir sur ce passé si récent des éléments d’information tels que
le récit doive en être modifié, en retour. Mais quelle histoire ne
l’est pas ? C’est le lot commun à tout récit historique. Que l’on
songe, mutatis mutandis, aux histoires de l’URSS écrites jusqu’au
début des années 1980. Entre 1989 et 1991, la fin du système
soviétique en Europe, rendant enfin accessibles les archives
soviétiques placées jusqu’alors au secret, a fourni des masses
d’informations telles que les études historiques en ont été
profondément modifiéesvi. Faut-il, dès lors, attendre l’ouverture
des archives, policières et judiciaires notamment, pour faire
l’histoire de scandales de corruption ? L’étude de l’affaire Urba, en
1991-1992 – pour prendre cet exemple –, ne pourrait être
entreprise qu’à partir de 2071, sauf dérogation. Il est très possible
que les chercheurs en sciences sociales des années 2070 ne
s’intéressent pas particulièrement à ces questions.
Cette histoire, provisoire, de l’actualité ne conduit pas en
direction de n’importe quelle version – vraisemblable et contrôlée
– des événements en cours. Les résultats de la recherche en
sciences sociales, l’état des questionnaires collectifs et des
analyses, sur la corruption politique et les scandales, « orientent
évidemment le récit proposé »vii. On trouvera également, dans ce
récit, un écho d’études personnelles déjà réalisées, sur les usages
du secret en politique et sur les pratiques de faveurs, dans la
France des années 1890 à 1940.
Cette histoire de l’actualité repose ainsi sur un deuxième
présupposé, fruit des orientations récentes de la recherche. Les
scandales de corruption ont, assez longtemps, été considérés par
les historiens comme de simples révélateurs, ne changeant, dans
le fond, que peu de chose aux pratiques corrompues ni même aux
normes, conflictuelles, régissant ces questions. L’étude de
scandales ne valait pas pour leurs « misérables péripéties »,
comme les qualifiait Jean Bouvier, en 1964, dans une étude sur le
scandale de Panamaviii. « Accident bénin », le scandale n’était un
objet d’étude acceptable que pour une seule raison : il jetait, à
contre-jour, des lueurs sur l’état d’une société, d’une économie,
d’un régime politique à un moment donné. Seules ces forces
profondes étaient, pour aller vite, dignes d’attention. Le point de
vue, selon lequel un scandale est un révélateur de l’état général
d’une société, est très présent dans la France de 2010. Cette idée
est d’ailleurs défendue par des protagonistes de premier plan de
« l’affaire Woerth-Bettencourt ». Aux yeux du journaliste (et
homme de presse) Edwy Plenel,
« L’affaire Bettencourt, devenue l’affaire Woerth et cachant
l’affaire Sarkozy, est un révélateur de l’état de la France : de ses
inégalités et de ses injustices sociales, de ses déséquilibres
institutionnels et de ses régressions démocratiques, des abus d’un
pouvoir présidentiel sans contrôle. »ix
Pourtant, un scandale de corruption n’a pas uniquement un rôle
de révélateur, ou de miroir. Il agit aussi comme un catalyseur,
mettant à jour des évolutions. Pour anodines qu’elles puissent
paraître a posteriori, lorsqu’elles sont replacées dans la durée
historique, certaines affaires montrent que des pratiques de
pouvoir, jusqu’alors tolérées officieusement, peuvent brusquement
apparaître comme scandaleuses, et être jugées comme des
pratiques corrompues par une partie de l’opinion publique. On
peut ainsi admettre, après Véronique Pujas et Martin Rhodes, que
certaines formes de financement des partis politiques, déjà
existantes quoique illicites ou à la limite de la légalité, sont
devenues « scandaleuses » de façon récente, en France, en Italie
et en Espagnex. Porté par un public dont les sensibilités évoluent,
un scandale a une force de rupture propre : il bouleverse certains
équilibres et place au cœur des débats des normes – juridiques,
institutionnelles, sociales – qui ne sont plus nécessairement
admises.
Révélateur, mais aussi catalyseur de changements dans les
pratiques de pouvoir, les normes et les perceptions de la
corruption politique, un scandale possède enfin une « force
instituante », pour suivre une analyse récente des sociologues
Damien de Blic et Cyril Lemieuxxi. Sans doute, ce que le scandale
change, ou ce qu’il contribue à instituer, n’est jamais connu à
l’avance des protagonistes, ni de l’ensemble des contemporains.
En ce sens, Damien de Blic et Cyril Lemieux ont raison de noter
que le scandale, de corruption en l’occurrence, est d’abord une
« épreuve ». Mais, à l’usage, il est rare qu’un scandale ne modifie
pas les pratiques et ne fasse pas émerger de nouvelles normes,
voire des réalités institutionnelles qui, bien que créées pour la
circonstance, dépassent souvent les calculs des acteurs. Le
scandale se conjugue avec « l’affaire » et la « forme » publique
que celle-ci recouvre, comme l’a montré un ensemble de travaux
dirigés par un autre sociologue, Luc Boltanskixii.
Souvent traitées sur le mode de la chronique scandaleuse, les
questions liées à la corruption politique renvoient, en réalité, à une
difficulté fondamentale pour les démocraties. On peut
sommairement définir la corruption comme l’abus d’une position
publique à des fins privées et intéressées. Elle fait l’objet de
débats récurrents depuis les années 1980, non seulement en
France ou en Europe, mais en réalité dans le monde entier. Cette
histoire, dans sa phase très récente, est placée sous le signe
d’une transparence, censée, en France comme dans le reste du
monde, mettre un terme à des pratiques de pouvoir jugées
corrompues. Celles-ci sont souvent assimilées à des formes de
dissimulation, de secret, voire de tromperie, sans que leurs
auteurs soient nécessairement réprouvés ou condamnés par
l’opinion.
En effet, les perceptions de la corruption politique, et les
jugements portés sur elle, sont ambivalents. D’après les résultats
d’une enquête, de grande ampleur, menée au début de l’année
2006 sous la direction de Pierre Lascoumes, trois quarts des
personnes interrogées (au nombre de 2 000) percevaient la
corruption « comme un phénomène grave, voire très grave, et un
quart seulement comme un phénomène “normal”xiii ». Pourtant,
dans la même enquête, la proportion s’inversait lorsqu’il s’agissait
de porter un jugement sur cette corruption. « Seul un quart des
répondants condamne explicitement les différentes formes
d’atteintes à la probité, les trois quarts la tolèrent […] », pour des
raisons d’ailleurs diverses. Il semble que cette ambivalence, entre
les perceptions de la corruption et les jugements qui en découlent,
ne réponde pas à une spécificité française.
Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait peut-être penser, la
question de savoir pourquoi la corruption fait scandale, dans la
France du début du e siècle, n’appelle pas de réponse simple.

La représentation aujourd’hui dominante fait de la corruption et


des pratiques de faveur un mal injustifiable, à combattre par les
armes du public. Cette vision des choses s’enracine dans la
genèse, difficile, des démocraties libérales en Europe et en
Amérique du Nord, de la fin du e à la fin du e siècle. Bien
entendu, les sociétés de l’époque moderne n’ont pas ignoré le
terme de corruption, ni renoncé à en faire des usages, politiques,
moraux et judiciaires, d’ailleurs très variés. Mais, avant le milieu
du e siècle, la critique de la corruption, souvent pensée
comme une forme d’abus, ne remet pas en cause les mécanismes
généraux qui gouvernent, dans ces sociétés politiques, les
faveurs, la vénalité et le patronagexiv. La critique « absolue » de
la corruption n’apparaît, pour suivre les travaux de Jens Ivo
Engels, qu’avec l’entrée dans la modernitéxv. Dans ce sens, la
corruption renvoie, chez les citoyens, à une forme de jugement,
civique et politique, sur des pratiques de pouvoir qui, pense-t-on,
ne respectent pas les normes, souvent contradictoires, régissant
le bien commun.
En France, la Révolution, de 1789 à 1799, modifie en
profondeur la façon dont la question de la corruption est posée, à
des sujets devenus citoyens. Les normes, juridiques et politiques,
qui président à sa définition, à sa dénonciation et à sa répression
changent. Surtout, « l’imaginaire de la corruption » se modifiexvi.
À ce changement volontariste, est resté attaché le surnom donné
à Maximilien de Robespierre par certains de ses proches – tel
Saint-Just : Robespierre « l’Incorruptible ». Placée en exergue, la
remarque de Jules Michelet signale cette obsession, chez
Robespierre, de la corruption publique. Portant les évolutions nées
au e siècle jusqu’à un point de rupture, la Révolution fait entrer
la corruption dans une ère nouvelle, celle des combats politiques
entre des gouvernants et leurs adversaires. La lutte, alors, tend à
se faire publique, par voie de presse et de libelles, en recourant, si
besoin est, à des moyens judiciairesxvii.
Ces fortes évolutions politiques et civiques indiquent, en
filigrane, l’importance des questions alors posées aux
contemporains : quels liens y a-t-il, pour suivre la formule de
Michelet, entre la corruption publique et la liberté régnant dans
une société ? La corruption est-elle un « mal naturel », soit, en
d’autres termes, une donnée inévitable de nos systèmes
politiques ? Dans cette perspective, la corruption aurait bien une
histoire, mais une histoire désespérante, obéissant à une sorte de
constante anthropologique. Les changements progressifs de
normes et de sensibilités n’influeraient pas sur la réalité des
pratiques politiques corrompues. Celles-ci se maintiendraient, par
le jeu de la dissimulation et du secret, dans toutes les sociétés.
Tel n’est pas le sens de la formule employée par Michelet à
propos de Robespierre, « l’Incorruptible ». La corruption publique
y apparaît davantage comme la rançon, inévitable à un moment
donné, de l’apprentissage de la liberté par un « peuple esclave » :
entendons une société soumise, avant la Révolution, aux
pratiques inégalitaires de patronage et de faveur. Celles-ci
formaient, pour reprendre un propos de Daniel Roche, « l’envers
du Grand Siècle », et l’ombre portée du système absolutiste
comme de la société d’Ancien Régimexviii. Quitte à relire Michelet
avec une forte dose d’anachronisme volontaire, disons que la
corruption politique serait le prix à payer pour l’entrée dans la
modernité politique et sociale ou, si l’on veut, une étape obligée
dans un long processus de développement.
Dans cette autre perspective, la corruption n’obéirait pas à une
histoire désespérante, mais à une histoire au cours lourdement
déterminé, dans un sens univoque. Cette histoire s’inscrirait dans
l’essor d’une sphère publique qui, à partir de la fin du e siècle,
permit l’institutionnalisation d’un État garant de l’intérêt général. La
corruption serait, en somme, l’un des visages revêtus par des
traditions, voire des archaïsmes doués d’une capacité de
résistance aux changements et à la modernité.
Pourtant ce schéma de pensée s’accorde mal avec les
évolutions récentes des opinions publiques face à la corruption,
ainsi qu’avec les changements de règles intervenus depuis une
vingtaine d’années à l’échelle internationale, notamment en
Europe. L’hypothèse d’une corruption politique obéissant à une
constante anthropologique n’a, sur le fond, jamais été démontrée.
De même, les théories du développement politique n’ont jamais pu
établir, de façon empirique, que les phénomènes relevant des
échanges de faveurs intéressées et de la corruption étaient
imputables à des cultures, nationales ou régionales, empreintes
d’archaïsmes. À l’inverse, certaines recherches récentes
aboutissent à la formulation d’un paradoxe. Dans le monde entier
semble-t-il, la croyance en la corruption du personnel politique,
corollaire d’un « haut degré de méfiance » serait « un indicateur
de maturité politique »xix.
Dès lors, comment comprendre les phénomènes liés à la
corruption politique dans la France du début du e siècle, en
fonction d’une histoire qui n’est – semble-t-il – ni si désespérante,
ni si déterminée par une vision linéaire du progrès, et de
l’apprentissage de la démocratie ?
Ce livre ambitionne, très simplement, de saisir ce qui, dans une
« affaire » de corruption présumée, en 2010, peut faire scandale,
et en quels sens. Pour suivre une enquête scientifique réalisée en
2006, déjà mentionnée, une grande majorité de Français
percevraient la gravité de la corruption politique et, simultanément,
seraient enclins à ne pas la condamner. Voilà quel serait, dans le
fond, l’étonnant aboutissement d’une mutation engagée depuis
une vingtaine d’années. À l’image des scandales financiers, les
affaires de corruption auraient vu leur fonction politique évoluer
profondémentxx. Tel est le constat dressé, depuis les États-Unis,
par Paul Jankowski au sujet de la France. À ses yeux, « la
corruption, loin de disparaître, s’est répandue, mais inspire
aujourd’hui la résignation plutôt que l’indignation : elle a perdu son
pouvoir de scandaliser »xxi. La lecture critique de l’actualité a pour
objectif d’aider à comprendre les changements historiques en
cours, afin d’apporter matière à réflexion pour l’avenir.
1

Le « feuilleton » de l’affaire Woerth--Bettencourt


« Il parut, dans un espace surnaturel, une sorte de comédie
de ce qui arrive dans l’Histoire. Luttes, factions, triomphes,
exécrations solennelles, exécutions, émeutes, tragédies
autour du pouvoir !... Il n’était bruit, dans cette République,
que de scandales, de fortunes foudroyantes ou foudroyées,
de complots et d’attentats. »
Paul Valéryi

Le terme « affaire » doit être entendu dans le sens restreint de


scandale politique et financier qui lui est donné en France depuis
la fin du e siècle. Scandaleuse, une affaire de corruption
suppose qu’ont lieu des révélations, suscitant une indignation, sur
fond de débats politiques et d’enquêtes. Le scandale soulève une
contradictionii. Depuis une vingtaine d’années, les affaires,
relativement bien médiatisées, s’efforcent de révéler ce qui est
présenté comme des pratiques déviantes, ou des transgressions,
au sein du personnel politique. Ces affaires contribuent à
entretenir des soupçons, et à fortifier des jugements critiques sur
les gouvernants, voire une réaction de défiance. Se situant dans
cette série, l’affaire « Woerth--Bettencourt » a défrayé la chronique
à partir de la mi-juin 2010. Récapitulant la suite d’événements
survenus, Laurent Greilsamer commentait rapidement : « Du pur
Balzac ! »iii. La métaphore du feuilleton s’est, il est vrai,
rapidement imposée dans les médias, comme dans les réactions
de plusieurs hommes politiques.
En quelques semaines, un ministre, Éric Woerth, appartenant
au gouvernement dirigé par François Fillon, s’est retrouvé
publiquement soupçonné de corruption. Cet abus de sa position
publique aurait avantagé l’héritière d’un grand groupe industriel –
Liliane Bettencourt, détentrice d’une partie du groupe l’Oréal – et
l’entourage de celle-ci. Les pratiques corrompues attribuées à Éric
Woerth auraient bénéficié à ses proches – son épouse, Florence
Woerth –, à son parti, l’UMP – parti, majoritaire au Parlement, dont
Éric Woerth était le trésorier –, sinon au chef de l’État, Nicolas
Sarkozy. Selon plusieurs médias et selon les rumeurs, du côté de
Liliane Bettencourt et de son entourage, la corruption du ministre
Éric Woerth aurait poursuivi deux objectifs. Le premier aurait été
d’obtenir des avantages fiscaux, sachant que l’héritière des
fondateurs du groupe l’Oréal serait, alors, à la tête de la troisième
fortune de Franceiv. Le second avantage escompté aurait été de
bénéficier d’un appui officieux prodigué par le pouvoir exécutif
dans une procédure judiciaire opposant Liliane Bettencourt à sa
fille, Françoise Meyers--Bettencourt.
Ainsi esquissée, cette affaire offre une matière très riche. Les
questions qu’elle soulève sont autant de fils rouges qui, dénoués,
courent au long d’une trame lentement tissée. Ce sont ces fils,
entrelacés ou emmêlés, que l’on souhaite saisir. Sur le motif de
l’affaire Woerth--Bettencourt – telle qu’elle apparaît en août 2010
–, ils permettent de réfléchir à l’importance, jugée croissante, des
phénomènes de corruption politique dans la France
contemporaine.
On peut tenter, avant toute chose, un exposé plausible des
événements, à partir des documents publics disponibles au mois
d’août 2010. Cet exposé repose sur le double pari de la
simplification, afin de rendre intelligible cet enchevêtrement, et de
l’attention aux acteurs, afin de faire entendre le « brouhaha de
paroles autour des faits », comme l’écrivait Marguerite
Yourcenarv.
Le 19 décembre 2007, un mois après le décès d’André
Bettencourt, sa fille, Françoise Meyers-Bettencourt, déposait une
plainte contre X pour « abus de faiblesse » de Liliane Bettencourt.
La fille de Liliane Bettencourt, Françoise, est mariée à Jean-Pierre
Meyers, vice-président du conseil d’administration du groupe
l’Oréal. La plainte déposée par Françoise Meyers-Bettencourt
visait, en réalité, l’un des proches amis de sa mère, François-
Marie Baniervi. À suivre une enquête publiée par deux journalistes
du quotidien Le Monde, celui-ci aurait profité de très nombreuses
libéralités de Liliane Bettencourt, pour des montants alors évalués
par sa fille à 500 millions d’euros, sinon davantagevii. Françoise
Meyers-Bettencourt était représentée par son conseil, l’avocat
Olivier Metzner, qui déposa plainte auprès du procureur de la
République du parquet de Nanterre, Philippe -Courroye. Celui-ci
diligenta une enquête préliminaire qui, semble-t-il, aurait duré
environ un an, de janvier 2008 à janvier 2009, sans réellement
aboutir.
Face à cette procédure lancée contre François-Marie Banier par
sa fille, avec l’aval – vraisemblable – de son gendre, Liliane
Bettencourt aurait cherché des soutiens auprès du pouvoir
politique, notamment auprès du chef de l’État. Accompagnée du
gestionnaire de sa fortune, Patrice de Maistre, Liliane Bettencourt
aurait été reçue, le 5 novembre 2008, par le président de la
République, assisté de l’un de ses conseillers, Patrick Ouart.
Liliane Bettencourt et ses proches auraient également cherché
l’appui d’Éric Woerth. Celui-ci avait été nommé ministre du Budget
le 18 mai 2007. Il fut nommé ministre du Travail le 22 mars 2010.
À la fin de l’année 2008, le ministre du Budget Éric Woerth
connaissait déjà Patrice de Maistre, qui était intervenu auprès de
lui pour des raisons fiscales à l’automne 2007. Comme le relève,
dans un rapport du 11 juillet 2010, l’inspection générale des
Finances, « le ministre a été saisi », probablement avant le 19
septembre 2007, « par l’intermédiaire de M. de Maistre de la
situation d’un contribuable auquel il est associé »viii. De plus,
l’épouse du ministre du Budget, Florence Woerth, travaillait
comme directrice des investissements pour la société Clymène,
société gérant la fortune de Liliane Bettencourt, depuis le 12
novembre 2007 semble-t-ilix. Elle était, par ce biais, en relation
avec Liliane Bettencourt ainsi qu’avec Patrice de Maistre.
Or, en janvier 2009, le procureur de la République Philippe -
Courroye aurait transmis à l’administration fiscale les résultats de
son enquête préliminaire, sur la plainte contre X pour « abus de
faiblesse » de Liliane Bettencourt visant François-Marie Banier.
Selon les déclarations publiques faites par le procureur Philippe -
Courroye le 25 juin 2010, « l’intégralité des éléments de la
procédure et des scellés confectionnés dans ce cadre était à la
disposition de l’administration des impôts »x. Trois mois plus tard,
le 24 mars 2009, l’administration fiscale envisageait un contrôle de
François-Marie Banier, sous forme d’examen de sa situation
fiscale personnellexi. La plainte déposée en décembre 2007 par
Françoise Meyers-Bettencourt aurait eu pour première
conséquence vraisemblable un contrôle fiscal de François-Marie
Banier, qui pouvait déboucher sur d’autres contrôles fiscaux,
visant cette fois sa mère, Liliane Bettencourt, et plusieurs de ses
proches.
Ne parvenant pas à faire aboutir la plainte déposée par sa
cliente, Françoise Meyers-Bettencourt, son avocat, Olivier
Metzner, se serait adressé, à l’été 2009, à un autre magistrat, la
présidente de la 15e chambre du tribunal correctionnel de
Nanterre, Isabelle Prévost--Desprez. L’avocat Olivier Metzner
déposa une citation directe à comparaître devant le tribunal contre
François-Marie Banier. À la première audience, le 3 septembre
2009, le tribunal décida d’aller de l’avant. Le parquet, faisant appel
de cette décision, fut débouté par la juge. En somme, le procureur
Philippe -Courroye décidait, le 3 septembre 2009, de classer sans
suite la plainte pour « abus de faiblesse » de Liliane Bettencourt,
déposée par sa fille, Françoise Meyers-Bettencourt, en décembre
2007. Dès cette audience, l’affrontement judiciaire entre les
parties se serait doublé, selon la presse, d’un antagonisme plus
personnel entre le procureur Philippe -Courroye et la juge Isabelle
Prévost--Desprez.
C’est à l’occasion de la troisième audience devant le tribunal
correctionnel, le vendredi 11 décembre, que la presse publia les
premiers articles consacrés à ce qui n’était pas encore un
scandalexii. Refusant la mise sous tutelle de Liliane Bettencourt
demandée par sa fille, le tribunal envisageait néanmoins de
procéder à une expertise psychologique de l’héritière des
fondateurs du groupe l’Oréal. L’audience sur le fond fut,
finalement, fixée au 1er juillet 2010.
Or, dans son numéro du 10 juin 2010, soit trois semaines avant
cette audience décisive, l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur
publiait un article, d’ailleurs très élogieux, consacré à l’avocat de
Françoise Meyers-Bettencourt, Olivier Metzner. Celui-ci, rendu
célèbre pour avoir assuré la défense de l’ancien Premier ministre
Dominique de Villepin dans le cadre de « l’affaire Clearstream »,
était dépeint dans cet article comme « l’avocat qu’on s’arrache ».
Un passage de cet article était consacré au dossier le plus
important dont Olivier Metzner avait alors la charge, soit la
défense de Françoise Meyers-Bettencourt dans le différend qui
l’opposait à sa mère et à François-Marie Banier. Olivier Metzner fit
une déclaration un peu sibylline à ce propos : il « promet qu’un
“document explosif” ralliera définitivement les Français à la cause
de Françoise. “Vous verrez…”. Motus, il n’en dira pas plus. La
bombe est programmée, le compte à rebours enclenché. Lui seul
connaît le jour et l’heure »xiii.

La naissance du scandale (16 juin-1er juillet 2010)

Quelques jours plus tard, le 16 juin 2010, le site Internet


d’informations Médiapart publiait des extraits d’enregistrements
effectués, entre le 25 mai 2009 et le 11 mai 2010, au domicile de
Liliane Bettencourt. Ces enregistrements avaient été réalisés, à
son insu, par son maître d’hôtel, Pascal Bonnefoy, avant que
celui-ci ne démissionne. Illégaux, ces « enregistrements secrets »
constituaient, comme on l’aura compris, le « document explosif »
promis, une semaine auparavant, par Olivier Metzner, afin de
« rallier » l’opinion publique à la cause de sa cliente. Selon la
presse, ces enregistrements « laissent apparaître des liens entre
la milliardaire » – Liliane Bettencourt – « et le ministre du Travail et
ex-ministre du Budget, Éric Woerth, ainsi que son épouse,
Florence » Woerth. « Celle-ci est employée depuis 2007 par
Clymène, société gérant la fortune de Mme Bettencourt. »xiv
Tout en dénonçant des « allégations dénuées de fondements »,
le ministre du Travail Éric Woerth annonça, le 21 juin 2010, que
son épouse était sur le point de démissionner de son poste à la
société Clymène. Liliane Bettencourt pour sa part déposa plainte,
le 18 juin 2010, pour atteinte à la vie privée, vol et faux
témoignage. François-Marie Banier, son ami, lui emboîta le pas.
Le maître d’hôtel qui s’était livré aux enregistrements clandestins
pendant un an au domicile de Liliane Bettencourt, Pascal
Bonnefoy, fut placé en garde à vue, ainsi que l’un de ses proches.
Cela dit, trois jours plus tard, le 21 juin 2010, la même Liliane
Bettencourt fit parvenir un communiqué à la presse. Elle annonçait
vouloir procéder, en collaboration avec l’administration fiscale, « à
la régularisation de l’ensemble des avoirs familiaux qui seraient
encore aujourd’hui à l’étranger ».
Durant la seconde quinzaine du mois de juin 2010, le scandale
éclata. Il est vrai que les réactions des personnes mises en cause
alimentèrent, par contrecoup, les rumeurs : l’alternance de
démentis et de dépôts de plaintes d’un côté, la reconnaissance
explicite de certains faits révélés de l’autre ne furent pas pour rien
dans la suite des événements. Le ministre du Travail, ancien
ministre du Budget, semblait reconnaître le rôle de son épouse
dans la gestion de la fortune personnelle de Liliane Bettencourt.
Celle-ci reconnaissait elle-même, à demi-mots, que sa situation
fiscale n’était pas complètement régulière. Ces déclarations
intervenaient à un moment où les débats publics, assez lourds
depuis quelques mois, traduisaient l’existence d’un climat
délétère. Selon le journaliste Gérard Courtois, le public assistait
« à un concours de petits arrangements, de prébendes et de
cynisme »xv. Dans l’affaire Bettencourt, les soupçons et les
rumeurs de corruption se concentrèrent sur deux points :
d’éventuels avantages fiscaux obtenus par Liliane Bettencourt,
grâce au couple Woerth, et l’appui qui lui aurait été donné dans le
litige judiciaire l’opposant à sa fille, via le procureur de la
République Philippe -Courroye.
En ce qui concerne les avantages fiscaux, les « enregistrements
secrets » réalisés par le maître d’hôtel de Liliane Bettencourt
laissaient entendre, selon la presse, qu’elle aurait été propriétaire,
sans en avoir fait la déclaration au fisc, d’une île dans les
Seychelles – l’île d’Arros –, et qu’elle aurait disposé de certains
comptes bancaires également non déclarés. Ceux-ci, situés en
Suisse, auraient été pour certains « repouss[és] à Singapour », à
l’initiative du gestionnaire de sa fortune personnelle, Patrice de
Maistrexvi. La propriété de l’île d’Arros attira parti-culièrement
l’attention. La polémique, entre le 16 juin et le 1er juillet 2010
approximativement, se concentra ainsi sur l’action officieuse
qu’aurait exercée Éric Woerth, alors ministre du Budget, afin que
Liliane Bettencourt ne fasse pas l’objet d’un examen et d’un
redressement fiscaux.
D’un côté, les soupçons de corruption se nourrissaient, en
dehors des « enregistrements secrets », de deux autres éléments
factuels. Le premier, rendu public les 23 et 24 juin 2010, tenait au
fait qu’Éric Woerth, alors qu’il était ministre du Budget, remit en
janvier 2008 la Légion d’honneur à Patrice de Maistre,
gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt. Cette remise
d’une distinction honorifique, établissant l’existence de liens
personnels entre les deux hommes, attisait les soupçons. Le
deuxième élément factuel fut rendu public par Médiapart le 1er
juillet 2010 : en mars 2008, l’administration des impôts aurait
remboursé à Liliane Bettencourt 30 millions d’euros, au titre d’une
mesure légale, couramment appelée le « bouclier fiscal ».
De l’autre côté, le successeur d’Éric Woerth au ministère du
Budget, François Baroin, déclara à plusieurs reprises –
notamment le 27 juin 2010 – qu’il « n’y a[vait] aucune trace à
Bercy d’une quelconque intervention d’Éric Woerth dans ce
dossier ou dans d’autres » dossiers fiscaux. Afin de mettre un
terme à ces soupçons persistants, François Baroin chargea, le 1er
juillet 2010, Jean Bassères, chef du service de l’inspection
générale des Finances, d’établir un rapport. Ce rapport devait
permettre de répondre, concrètement, à deux questions, dont celle
de savoir si l’ancien ministre du Budget, Éric Woerth, était
« intervenu pour demander, empêcher ou orienter un contrôle
fiscal », pour Liliane Bettencourt, mais aussi pour deux de ses
proches – Patrice de Maistre et François-Marie Banier –, et enfin
pour les deux sociétés gérant sa fortune personnelle – les
sociétés Téthys et Clymène. La lettre de mission donnée par
François Baroin fixait un délai extrêmement court à cette enquête :
les résultats en étaient attendus au plus tard le 12 juillet 2010.
Le choix de cette procédure est exceptionnel : l’enquête,
réalisée par le chef du service de l’inspection générale des
Finances assisté de trois inspecteurs, ne fut – contrairement aux
normes courantes – pas contradictoire. Le délai imparti ne le
permettait d’ailleurs pas. Cela témoigne, bien mieux que la plupart
des déclarations, de la fébrilité et de l’inquiétude qui régnaient
alors au gouvernement. Ce rapport, achevé le 11 juillet 2010, fut
presque aussitôt rendu public. Il constate que « M. Éric Woerth,
durant la période où il était ministre du Budget, n’est pas intervenu
auprès des services placés sous son autorité pour demander,
empêcher ou orienter une décision ou un contrôle portant sur
Mme Bettencourt, MM. Banier et de Maistre, ainsi que les sociétés
Téthys et Clymène »xvii.
La polémique, dans la seconde moitié du mois de juin 2010,
visait également l’appui que Liliane Bettencourt aurait obtenu du
pouvoir politique – en l’occurrence d’Éric Woerth comme de
l’entourage de Nicolas Sarkozy – dans la procédure judiciaire
intentée par sa fille contre François-Marie Banier. Cette polémique
visait la personne du procureur de la République de Nanterre,
Philippe -Courroye. Il est vrai que le procureur avait déjà défrayé
la chronique avant le printemps de 2010.
Par décret publié le jeudi 8 mars 2007, Philippe -Courroye fut
nommé avocat général par le ministre de la Justice, et affecté
comme procureur de la République près le tribunal de grande
instance de Nanterre. Or le conseil supérieur de la magistrature
avait rendu un avis, consultatif, défavorable à cette nomination,
arguant du manque d’expérience de Philippe -Courroye comme
magistrat au parquet. L’idée que cette nomination répondait à une
logique politique était présente, notamment dans les réactions du
syndicat de la magistrature. En 2010, cette réputation de magistrat
politisé entourant Philippe -Courroye venait également du fait que,
le 24 avril 2009, une distinction honorifique – l’ordre national du
mérite – lui fut remise par le président de la République Nicolas
Sarkozy en personne. Celui-ci déclara à cette occasion, selon la
presse : « On nous reproche de nous connaître, mais cela ne l’a
pas empêché de faire son métier ni moi le mien. »xviii Le
président de la République aurait, alors, présenté publiquement le
procureur Courroye comme son « ami ».
Or, les « enregistrements secrets » effectués par le maître
d’hôtel de Liliane Bettencourt, enregistrements rendus publics le
16 juin 2010 relancèrent ce débat. D’après ce document, Patrice
de Maistre aurait appris à Liliane Bettencourt, le 21 juillet 2009,
que le procureur Philippe -Courroye « allait annoncer le 3
septembre, normalement, que la demande de votre fille » –
Françoise Meyers-Bettencourt – « était irrecevable. Donc classer
l’affaire. Donc, voilà. Mais il ne faut le dire à personne cette fois-
ci ». Cette information aurait été fournie à Patrice de Maistre par le
« conseiller juridique » du président de la République, Patrick
Ouartxix. Le 3 septembre 2009 on l’a vu, le parquet de Nanterre
classait sans suite la plainte déposée par Françoise Meyers-
Bettencourt.
À partir de la mi-juin 2010, Philippe -Courroye fut nettement mis
en cause dans le scandale. Il fut dépeint, dans l’hebdomadaire
Marianne du 26 juin 2010, comme une « incarnation de la porosité
entre le parquet et le pouvoir »xx. En un mot, le procureur
Courroye était soupçonné d’avoir fait obstacle à la plainte
déposée, en décembre 2007, par Françoise Meyers-Bettencourt,
et ce pour complaire au président de la République. Face à cela,
Philippe -Courroye, par voie de presse, se justifia. Selon ses
propres termes, « les investigations réalisées » à sa demande
entre janvier 2008 et l’été 2009 « ne permettaient pas de
matérialiser en droit l’infraction d’abus de confiance »xxi. À partir
de la fin du mois de juin 2010, le procureur Courroye « s’insurge[a]
contre le procès médiatique qui lui [était] fait »xxii.
La création d’une affaire (1er-15 juillet 2010)

À partir des premiers jours de juillet 2010, approximativement, le


scandale prit une autre dimension, et tendit à devenir ce que
certains médias nommèrent une « affaire d’État » ou, plus
simplement, une affairexxiii. Cet approfondissement des conflits
répondait à trois séries de phénomènes cumulés : une entrée en
dysfonctionnement de l’institution judiciaire, une absence de
compromis politique autour d’une sortie régulée du scandale, enfin
une montée des tensions entourant la presse et les journalistes.
Du côté de l’institution judiciaire, l’antagonisme entre Isabelle
Prévost--Desprez, magistrat du siège, présidente de la 15e
chambre correctionnelle à Nanterre, et Philippe -Courroye,
magistrat au parquet, procureur de la République à Nanterre, prit
des proportions inattendues. L’audience du 1er juillet 2010, issue
de la citation directe à comparaître déposée par Françoise
Meyers-Bettencourt contre François-Marie Banier, s’acheva sur
une opposition flagrante entre le tribunal et le parquet. En effet, la
15e chambre correctionnelle décida de procéder à un supplément
d’information sur cette affaire. Elle commit sa présidente – Isabelle
Prévost--Desprez – pour instruire ce supplément d’information. Le
parquet, dirigé par Philippe -Courroye, fit immédiatement appel de
cette décision, ce qui laissait la cour d’appel de Versailles arbitre
de la situationxxiv. Par ailleurs, le procureur Courroye avait ouvert,
suite à la publication des « enregistrements secrets » le 16 juin
2010, une enquête préliminaire pour atteinte à la vie privée. Or, la
15e chambre correctionnelle de Nanterre, par la voix de sa
présidente Isabelle Prévost--Desprez, se déclara compétente pour
expertiser ces enregistrements, dans le cadre de la plainte dont
elle était saisie.
Ce conflit interne à l’administration judiciaire tenait, en partie, à
des rivalités entre des personnes. La presse bruissait, en effet,
des échos de ces rivalités personnelles, en fonction des images
d’eux-mêmes que les deux magistrats de l’ordre judiciaire
souhaitaient donner. On trouvait, d’un côté, les déclarations du
procureur Courroye, et, de l’autre, le récit biographique qu’Isabelle
Prévost--Desprez publia en mai 2010 avec le concours de
Jacques Follorou, journaliste au Monde. Dans sa présentation de
cet ouvrage, intitulé Une juge à abattre, Isabelle Prévost--Desprez
revendiquait un combat mené contre l’argent. « Je franchis le pas
pour dire que le pouvoir de l’argent a fini par vaincre la
justice.xxv »
Cet antagonisme personnel, très politique sur le fond, renvoyait
aussi à une question lourde concernant l’organisation judiciaire
elle-même. En effet, en décidant le 1er juillet 2010, de confier à sa
présidente Isabelle Prévost--Desprez le soin d’instruire un
supplément d’information, la 15e chambre correctionnelle de
Nanterre mettait à jour, sans discussion possible, l’absence de
tout juge d’instruction dans cette affaire. En effet, seules des
enquêtes préliminaires, déclenchées par le parquet, avaient eu
lieu : aucune information judiciaire n’avait été ouverte, ce qui, en
droit, aurait signifié que l’affaire était confiée à un juge
d’instruction.
Cette absence de tout juge d’instruction était d’ailleurs
clairement revendiquée, dans la presse, par le procureur de la
République Philippe -Courroye. Visiblement, celui-ci ne voulait pas
en entendre parler dans ce contexte. « En l’état, déclara-t-il le 13
juillet 2010, il n’y a aucune raison technique, juridique ou
procédurale pour ouvrir une information judiciaire. »xxvi La
fonction et le rôle du juge d’instruction constituaient un motif, et un
enjeu, de ce conflit. La présentation sur Internet du livre d’Isabelle
Prévost--Desprez publié en mai 2010 le montre très clairement.
Cette présentation affirme qu’« à l’heure où le pouvoir tente à
nouveau d’éliminer toute justice indépendante en supprimant,
notamment, le juge d’instruction, devenu la bête noire depuis les
années 1980, [l’auteur] raconte, avec courage, les dessous de
cette mise à mort »xxvii.
Le 16 juillet 2010, cette entrée en crise de l’administration
judiciaire atteignit un point tel que certains médias évoquèrent une
« guerre juridique » devenue « totale »xxviii. La cour d’appel de
Versailles se prononçait le 13 juillet, dans un délai bref, sur l’appel
déposé par le procureur Philippe -Courroye le 1er juillet, contre la
décision prise par la 15e chambre correctionnelle de Nanterre.
Cette décision, on l’a vu, visait à confier à Isabelle Prévost--
Desprez le soin d’instruire un supplément d’information dans
l’affaire d’abus de faiblesse, opposant Françoise Meyers-
Bettencourt à François-Marie Banier. La cour d’appel de Versailles
déboutait le parquet de Nanterre dirigé par Philippe -Courroye, et
autorisait la juge Isabelle Prévost--Desprez à poursuivre.
Or, quatre jours plus tard, des informations publiées dans la
presse laissaient entendre que le procureur Philippe -Courroye
refusait que les « enregistrements secrets », réalisés par le maître
d’hôtel de Liliane Bettencourt, publiés le 16 juin 2010, soient remis
à la 15e chambre correctionnelle de Nanterre, et en particulier à sa
présidente, Isabelle Prévost--Desprez, dans le cadre de ce
supplément d’informationxxix. Reposant sur une question de
procédure, le refus de communiquer du procureur Courroye eut
une conséquence : elle vidait de son contenu la décision de la
cour d’appel de Versailles, rendue quelques jours plus tôt.
Au même moment, la polémique publique montait d’un cran.
L’une des anciennes collègues de Philippe -Courroye, ancienne
magistrate et députée au Parlement européen, Eva Joly, déclarait,
dans le journal Le Monde publié le 16 juillet, que « M. Courroye
est un procureur aux ordres ». Commentant, Eva Joly ajoutait que
Philippe -Courroye « ne sert pas l’intérêt de la justice, il a été
placé à ce poste en raison de ses failles psychologiques, et aussi
parce que l’on a prise sur lui »xxx. L’entrée en dysfonctionnement
de l’administration judiciaire répondait d’abord à des difficultés
internes.
Ces dysfonctionnements de l’administration judiciaire se sont
également nourris d’une montée des tensions autour de la presse
et des journalistes. Le directeur du site d’informations Médiapart, –
à savoir le journaliste Edwy Plenel – faisait savoir, le 22 juin 2010,
que Liliane Bettencourt, ainsi que le gestionnaire de sa fortune
personnelle, Patrice de Maistre, venaient de porter plainte en
référé contre Médiapart pour atteinte à la vie privée. La plainte
visait la publication des « enregistrements secrets » réalisés, de
façon illégale, à leur insu. Or, par une ordonnance en référé du 1er
juillet 2010, le tribunal de grande instance de Paris faisait savoir
qu’il rejetait cette plainte. Le texte de cette ordonnance mérite que
l’on s’y arrête un instant. Au-delà de « l’affaire Woerth--
Bettencourt », il délimite, sur le fil, la frontière entre sphère
publique et sphère privée, au regard du droit à l’information et en
fonction de la nature du « débat démocratique »xxxi.
Le tribunal jugeait en effet, sur le principe, que le respect « de la
sphère normalement protégée de sa vie privée », ne justifie pas
qu’une personne s’oppose à la publication, contre sa volonté,
d’informations qui la concernent. Cela n’est vrai que si – et
seulement si – les informations ainsi publiées se trouvent « en
rapport direct » avec ce que le juge nomme des « événements
d’actualité ou sujets d’intérêt général »xxxii. Dans le cas d’espèce,
le juge relève que la teneur des enregistrements « secrets »
publiés concerne, en fait, l’intérêt général. Plusieurs passages de
ces enregistrements, renvoient, note le juge, aux « liens » que
Liliane Bettencourt « a pu entretenir avec le pouvoir politique ».
Or, selon ce jugement, ces liens peuvent, à bon droit, être portés à
la connaissance du public, pour trois raisons.
La première est que certains passages des enregistrements font
état « de différentes interventions dans une instance judiciaire »
de la part du pouvoir politiquexxxiii. La deuxième est que d’autres
passages renvoient à la gestion de son patrimoine par « la
principale actionnaire de l’une des très grandes entreprises
françaises, étant observé au surplus que les problèmes fiscaux et
l’évasion des capitaux constituent un sujet d’intérêt général ». La
troisième raison invoquée tient au fait que « la mise en cause de
l’employeur de l’épouse d’un ministre de la République ainsi que
l’évocation des sources de financement d’un parti politique sont
des informations qui, relevant du débat démocratique, peuvent
être légitimement portées à la connaissance du public ».
En un mot, l’ordonnance en référé du 1er juillet 2010 jugeait
légitime, dans les limites ainsi fixées, cette publication par la
presse d’informations concernant « l’affaire Woerth--Bettencourt »,
y compris sans le consentement des personnes concernées.
Quelques jours plus tard, le 5 juillet 2010, après avoir été
entendue par la police judiciaire, Claire Thibout, ancienne
secrétaire d’André Bettencourt, présentée dans la presse comme
« l’ex-comptable » de Liliane Bettencourt, fit des déclarations
retentissantes à des journalistes de Médiapart. Selon les propos
de Claire Thibout alors publiés sur le site Médiapart, Éric Woerth,
en sa qualité de trésorier de l’UMP, aurait reçu, en mars 2007, une
somme de 50 000 euros. Cette somme, retirée par l’ancienne
comptable à la demande de Liliane Bettencourt, aurait été remise
à Éric Woerth par Patrice de Maistre « pour financer la campagne
présidentielle de Sarkozy »xxxiv. Claire Thibout, put-on lire,
« assure que M. de Maistre se serait procuré par la suite les
100 000 euros manquants, en allant puiser dans les comptes
suisses de Mme Bettencourt ».
Ces déclarations, lues au pied de la lettre, laissaient présumer
que le scandale Woerth--Bettencourt était en train de se
transformer en une affaire beaucoup plus grave. En effet, il ne
s’agissait rien de moins que du financement occulte et illégal de
partis politiques, et de la corruption du président de la République.
Cette publication alléguait l’existence d’un financement illégal, par
Liliane Bettencourt et son époux, de l’UMP. Elle présumait de la
sorte la corruption du trésorier de l’UMP, Éric Woerth, mais aussi –
surtout – du président de la République. Dans cette version des
choses en effet, Nicolas Sarkozy, non content d’avoir illégalement
et secrètement bénéficié de 150 000 euros au moment de la
campagne présidentielle de 2007, apparaissait comme un élu
corrompu depuis des années. Selon cette publication, « encore
une fois, tout le monde savait dans la maison que Sarkozy aussi
allait voir les Bettencourt pour récupérer de l’argent. C’était un
habitué »xxxv.
Bien entendu, une vive polémique entoura immédiatement ces
propos, d’autant que les déclarations de Claire Thibout, entendue
à plusieurs reprises par les services de police, puis confrontée à
d’autres personnages-clés de l’affaire, varièrent, sur plusieurs
points, dans les jours et les semaines qui suivirent. Claire Thibout
fut visée très rapidement par des plaintes déposées par des
personnes mises en cause. Pourtant, à la différence de ce qui
s’était produit dans la seconde quinzaine du mois de juin, il ne
paraissait plus possible de porter plainte contre les organes de
presse et les médias qui publiaient ces nouvelles révélations.
L’ordonnance en référé du 1er juillet 2010 était tout à fait claire sur
ce point.
Les débats sur le rôle joué par la presse se déplacèrent ainsi du
terrain judiciaire au terrain politique. Entre le 6 et le 8 juillet 2010,
plusieurs membres du gouvernement prirent ouvertement parti
contre plusieurs organes de presse, au premier chef Médiapart. La
secrétaire d’État à la Famille, Nadine Morano, dénonça des
« méthodes fascistes de sites Internet » et, simultanément, « une
espèce de collusion médiatico-politico-trotskyste qui essaie de
jeter l’honneur d’Éric Woerth » en pâturexxxvi. Au même moment,
le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, établissait une analogie
entre le site d’information Médiapart et « une certaine presse des
années 1930 ». Les propos assimilaient, implicitement, une partie
de la presse française de 2010 à des journaux nationalistes ou
fascistes des années 1930. En effet, selon le ministre de
l’Industrie, il s’agissait de dénoncer « le populisme ambiant qui
favorise les montées de l’extrême-droite comme on l’a vu à
d’autres époques de notre pays »xxxvii.
La mise en cause d’une bonne partie de la presse par le
gouvernement dirigé par François Fillon reposait sur des
références historiques aux années 1930. Le 6 juillet 2010 à
l’Assemblée nationale, le ministre de l’Éducation nationale, Luc
Chatel, fit ouvertement référence à un discours prononcé par Léon
Blum :
« Il y a quelques décennies, un grand républicain disait : “Il n’y a
pas d’antidote contre le poison de la calomnie. […] Il pervertit
l’opinion par le goût du scandale.” Ce grand républicain, c’était
Léon Blum. Relisez-le, car vous avez trahi ses valeurs.
(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur de
nombreux bancs du groupe NC). »xxxviii
La citation faite par Luc Chatel était extraite d’un discours
prononcé par Léon Blum en novembre 1936, lors des funérailles
du ministre de l’Intérieur Roger Salengro. Roger Salengro s’était
en effet suicidé, sous le coup de la campagne de diffamation et de
calomnies dont il était l’objet depuis plusieurs mois. Cette
campagne avait été menée par deux organes de presse
d’extrême-droite, l’Action française et l’hebdomadaire Gringoire,
dont le propriétaire, Horace de Carbuccia, avait laissé l’un de ses
journalistes, Henri Béraud, ruiner la réputation de Roger
Salengroxxxix.
Dans la perspective défendue par le gouvernement et la
direction de l’UMP, la presse comme l’opposition de gauche
étaient donc coupables, dans le scandale entourant Éric Woerth
puis Nicolas Sarkozy, de jouer un rôle analogue à celui de
l’extrême-droite française durant les années 1930, en particulier
en 1936. L’affaire Woerth était-elle un nouveau péril factieux
menaçant la République, et les ministres du gouvernement en
étaient-ils les nouveaux défenseurs, contre les extrêmes, de
gauche comme de droite, coalisés ?
De la part du gouvernement de François Fillon, cette mise en
cause de plusieurs organes de presse ainsi que du parti socialiste
dans le scandale, mobilisait, les 6-8 juillet 2010, une deuxième
référence historique : l’affaire Dreyfus. L’analogie avec l’Affaire
apparut, de façon implicite, dans un propos tenu par Luc Chatel à
l’Assemblée nationale le 6 juillet au sujet des « héritiers de
Jaurès », jugés infidèlesxl.
Or, deux jours plus tard, le 8 juillet 2010, le porte-parole de
l’UMP, Frédéric Lefebvre publiait dans le journal France Soir une
tribune libre intitulée « J’accuse »xli. Ce dirigeant du parti
majoritaire au Parlement souhaitait, en somme, assumer la
position critique qui avait été celle d’Émile Zola lors de la
publication, en février 1898, dans le journal L’Aurore dirigé par
Georges Clemenceau, de la lettre au président de la République
Félix Faure, article plus connu sous le nom de « J’accuse ».
L’affaire Woerth--Bettencourt était-elle une nouvelle affaire
Dreyfus, et Frédéric Lefebvre incarnait-il un nouvel intellectuel
défenseur de la vérité contre la raison d’État ? Frédéric Lefebvre
dénonçait sur le fond une « alliance immonde », celle « d’une
opposition rageuse et sans idées et de certains médias aux
relents d’extrême-droite et de trotskisme mêlés »xlii.
Il faudra revenir sur ces références. Nombreuses chez ces élus
de droite, elles évoquent des figures classiques de la gauche –
Léon Blum, Jean Jaurès, Émile Zola. Elles montrent ainsi
l’importance dans la construction des affaires de ce que les
acteurs présentent comme des précédents historiques. Elles
signalent également, en 2010, la mutation très profonde de la
culture politique de ces dirigeants de l’UMP. Entraînée depuis
quelques années dans une sorte de renversement, ou de
subversion, de sa propre histoire et de sa propre culture, cette
droite garde un silence remarquable sur les hommes qui figurent
dans son Panthéon – de Raymond Poincaré à Charles de Gaulle
en passant par Antoine Pinay. Il s’agit surtout d’aller puiser dans
une histoire qui, au départ, était celle des gauches. Dans ce
naufrage inattendu de la culture politique de droite, seule se
dresse encore la figure, héroïque et controversée, de Napoléon
Bonapartexliii. Seul debout, et par là nécessaire, pour paraphraser
la formule de De Gaullexliv ?
Quoi qu’il en soit, l’entrée en dysfonctionnement de
l’administration judiciaire, attisée par les parties en présence, la
montée des tensions autour de la presse et des médias
débouchèrent alors sur un conflit politique devenu ambivalent. En
effet, les organes de presse qui avaient assuré les révélations,
voire les dénonciations du scandale se retrouvaient, face aux
mises en cause venues du gouvernement et de l’UMP, en position
d’accusés. Cette ambivalence, ou cette inversion des positions est
le signe d’une aggravation d’un scandale, et de sa transformation
en affaire, selon plusieurs analyses récentes en sciences
socialesxlv. Voilà, en somme, ce que signalaient nombre d’élus et
de cadres dirigeants des partis en présence dans les premiers
jours de juillet 2010. Le personnel politique n’avait pas réussi à
faire prévaloir une solution de compromis, permettant de gérer
l’enchaînement de révélations et de soupçons.
Certains éléments auraient pu mener à un tel compromis, s’ils
avaient fait l’objet de débats et de négociations. Le traitement
judiciaire passionnel et contradictoire du scandale n’avait –
comme on peut s’en douter – rien d’irrémédiable. Selon plusieurs
organes de presse, la première secrétaire du parti socialiste,
Martine Aubry, demandait, le 6 juillet 2010, à la garde des Sceaux,
Michèle Alliot-Marie, de saisir le conseil supérieur de la
magistraturexlvi. Sur le fond, la demande présentée par
l’opposition socialiste visait à « dépayser » l’affaire, c’est-à-dire à
la confier à une autre instance, ailleurs qu’à Nanterre. Même si
l’on peut douter que ce « dépaysement » avait de réelles chances
d’aboutir, un compromis politique visant à dépassionner les débats
judiciaires n’était pas impossible : les procédures, multiples,
n’auraient-elles pu faire l’objet d’une ou plusieurs informations
judiciaires, et l’enquête n’aurait-elle pu être confiée à un juge
d’instruction ? Ce type de demande se faisait également jour à
droite, comme en témoigne une « suggestion » d’un ancien
Premier ministre, Dominique de Villepin, rendue publique le 13
juillet. Ce dernier conseillait « la création d’une commission
d’enquête, un dépaysement du dossier hors des Hauts-de-Seine,
la saisine d’un juge d’instruction indépendant »xlvii.
La revendication, politique, de création d’une commission
d’enquête parlementaire fut formulée pour la première fois,
semble-t-il, par le parti socialiste le 29 juin 2010. Le 30 juin, selon
la presse, le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer,
membre de l’UMP, fit savoir que, selon lui, cette demande « ne
pose pas de problème de recevabilité sur le fond ». Sans doute, le
président de l’Assemblée nationale critiqua-t-il la manière dont
cette demande, visant nommément Éric Woerth, était présentée.
Un compromis paraissait cependant possible, compte tenu de la
position de principe défendue, le 30 juin, par Bernard Accoyer, au
nom de l’impératif de « transparence » de la vie publique.
« Tout ce qui peut converger vers la plus grande transparence de
ce qui a pu être dit, fait, pris comme décision par tel ou tel ministre
du Budget et par cet ancien ministre du Budget en particulier, je le
soutiendrai. xlviii »
Bien entendu, un éventuel accord politique, entre l’UMP, le PS
et les autres formations politiques au Parlement n’aurait pu aboutir
avant la rentrée parlementaire en octobre 2010. Il est tout sauf
assuré que ce compromis aurait pu perdurer, en particulier après
la publication, le 5 juillet 2010, des déclarations de l’ancienne
comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thibout. Quoi qu’il en
soit, ce début de compromis politique, d’après les documents
publics disponibles, ne déboucha sur rien, avant même que le
scandale ne prenne une autre ampleur.
En somme, entre le 29 juin et le 6 juillet 2010, se sont mis en
place les éléments qui ont permis au conflit de gagner en
intensité. Les forts grippages de la machine judiciaire, patents au
moment de l’audience du 1er juillet devant la 15e chambre
correctionnelle du tribunal de grande instance de Nanterre. Les
tensions autour de la presse qui, après l’ordonnance en référé du
1er juillet 2010, se déplacèrent sur le terrain politique, avec
l’annonce des « révélations » de l’ancienne comptable de Liliane
Bettencourt, le 5 juillet. Enfin, l’échec d’un compromis politique
entre partis, autour d’une résolution des conflits au sein de la
magistrature et de la création d’un espace de débats via une
commission d’enquête parlementaire. Se transformant en affaire,
le scandale Bettencourt-Woerth eut pour première conséquence
une multiplication des enquêtes, réalisées à la fois par
l’administration judiciaire et par les médias d’information.

L’emballement de la machine (6 juillet-3 août 2010)

Le développement du scandale se traduisit, à partir du début du


mois de juillet, par l’ouverture de plusieurs procédures judiciaires.
Ces dernières s’ajoutaient aux deux procédures déjà engagées.
En l’absence des documents judiciaires qui, sous forme
d’archives, ne pourront être librement consultables par le public
qu’après 2085 – dans le meilleur des cas –, il est délicat de
donner une image précise et assurée de l’ensemble de ces
procédures. En effet, les documents publics disponibles en août
2010 offrent, sur certains points, des versions divergentes des
faits. Pour le dire vite, à la fin de juillet 2010, le traitement
judiciaire de l’affaire évoquait un véritable imbroglio.
La première procédure avait débuté en septembre 2009, avec la
citation directe, demandée par Françoise Meyers-Bettencourt,
contre François-Marie Banier pour abus de faiblesse de Liliane
Bettencourt. Antérieure au scandale, cette procédure, confiée à
Isabelle Prévost--Desprez, se poursuivait, en dépit des conflits
avec le procureur Philippe -Courroye, autour des
« enregistrements secrets » publiés le 16 juin 2010. Elle tenait
également compte des déclarations faites par Claire Thibout,
ancienne comptable d’André et Liliane Bettencourt, à partir du 5
juillet 2010. Le 16 juillet 2010, Claire Thibout était entendue par la
juge Isabelle Prévost--Desprez, dans le cadre du supplément
d’information dont celle-ci avait la charge, avec l’accord de la cour
d’appel de Versaillesxlix.
La publication des « enregistrements secrets », à la mi-juin
2010, avait provoqué, par ricochet, le dépôt de plaintes par Liliane
Bettencourt et François-Marie Banier, pour atteinte à la vie privée.
Ces plaintes avaient débouché, dans un premier temps, sur
l’ouverture d’une première enquête préliminaire, par le procureur
de la République au parquet de Nanterre, Philippe -Courroye. Or
celui-ci semble, assez vite, avoir souhaité poursuivre au-delà de
ce cadre. Le quotidien Le Monde publiait, le 6 juillet 2010, des
extraits d’un rapport que le procureur Courroye aurait adressé, le
23 juin 2010, au parquet de la cour d’appel de Versailles. Selon ce
journal, le procureur Courroye souhaitait deux choses. D’une part
vérifier l’authenticité de ces enregistrements, et d’autre part « faire
vérifier les éléments révélés dans ces conversations »
enregistrées. En un mot, le procureur Courroye s’interrogeait sur
l’origine des enregistrements, ainsi que sur la réalité des
infractions et délits allégués dans ces documents. En ce sens,
cela conduisait à enquêter y compris sur « les conditions
d’embauche de Madame Florence Woerth », l’épouse du ministre
du Travaill.
Dans les premiers jours de juillet 2010, le procureur Philippe -
Courroye aurait ainsi ouvert deux nouvelles enquêtes
préliminaires. L’une portait sur l’origine des « enregistrements
secrets » publiés à la mi-juin. Il semble que cette enquête-là ait
donné des résultats assez vite. Selon des propos tenus à la
presse le 13 juillet, le procureur Philippe -Courroye estimait que
« l’authenticité des enregistrements » était « en grande partie
vérifiée ». Restait l’autre enquête préliminaire – la troisième –
déclenchée par le procureur. Selon ses propres termes, cette
troisième enquête portait sur « le contenu de ces enregistrements
et sur les éventuelles infractions qu’ils peuvent révéler, comme le
blanchiment de fraude fiscale »li. Avec les déclarations de Claire
Thibout à la police, le 5 juillet, c’est cette troisième enquête
préliminaire qui s’avérait déterminante : elle aurait englobé
également « les allégations de versement d’enveloppes d’argent à
des hommes politiques ».
Les déclarations de Claire Thibout provoquèrent, par ricochet, le
déclenchement d’une quatrième enquête préliminaire par le
procureur Philippe -Courroye. En effet, le 7 juillet 2010, le ministre
du Travail, Éric Woerth, déposait une plainte contre X pour
« dénonciation calom-nieuse ». D’après la presse, « Éric Woerth
entendait dénoncer “les accusations mensongères dont il a fait
l’objet, en particulier concernant la réception de fonds aux fins de
financement illégal d’activité politique”, selon son ministère »lii.
Cette plainte débouchait, le 21 juillet, sur une quatrième enquête
préliminaire diligentée par le procureur de la République Philippe -
Courroye.
En résumé, l’on devait compter dans ce scandale, à la fin du
mois de juillet 2010, cinq procédures judiciaires principales, dont
un supplément d’information confié à la juge Isabelle Prévost--
Desprez, et quatre enquêtes préliminaires dirigées par le parquet
de Nanterre. La vérité oblige à dire que la situation était plus
complexe encore, pour deux raisons. La première raison est que
des acteurs avaient fait appel de certaines décisions judiciaires,
notamment de l’ordonnance en référé rendue par le tribunal de
grande instance de Paris le 1er juillet 2010. La deuxième raison est
que les polémiques publiques avaient donné naissance à d’autres
procédures. Ainsi, le secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand,
avait dénoncé, le 6 juillet 2010 dans un meeting politique,
« certains médias notamment un site qui utilise des méthodes
fascistes à partir d’écoutes qui sont totalement illégales […] »liii.
Réagissant presque immédiatement, Edwy Plenel, directeur de
publication du site d’informations Médiapart, s’estimait directement
visé par ces propos. En conséquence, le 20 juillet 2010, une
« plainte pour diffamation publique » était « déposée auprès du
tribunal de Paris » par les soins de Médiapartliv.
Cette prolifération de procédures se traduisit, concrètement, par
une accumulation de perquisitions, d’auditions de témoins, mais
aussi de gardes à vue. Celles-ci, rappelons-le, avaient commencé
le 18 juin : elles se multiplièrent, elles aussi, à partir de la mi-juillet.
Le 15 juillet en effet, plusieurs membres de l’entourage de Liliane
Bettencourt étaient placés en garde à vue, dans le cadre de la
troisième enquête préliminaire diligentée par le procureur Philippe
-Courroye. Étaient concernés Patrice de Maistre, gérant de la
fortune personnelle de Liliane Bettencourt, François-Marie Banier,
son ami, Fabrice Goguel, l’un de ses anciens avocats, présenté
comme un spécialiste de droit fiscal, et enfin Carlos Verajano,
dépeint dans la presse comme le gérant de l’île d’Arros, réputée
être une propriété de Liliane Bettencourt.
Les auditions concernèrent d’autres acteurs : Liliane
Bettencourt, plusieurs de ses anciens domestiques, mais aussi
Florence et Éric Woerth. Celui-ci fut entendu au ministère du
Travail le 29 juillet, après que le Conseil des ministres ait « donné
son feu vert »lv. Reste que la première auditionnée dans ces
procédures fut Claire Thibout. L’ancienne comptable d’André et
Liliane Bettencourt fut entendue neuf fois – si l’on a bien compté –
entre le 18 juin et le 27 juillet 2010, par la police ou par un
magistrat. Elle fut entendue dix fois, si l’on ajoute son interview
réalisée par Médiapart. On peut comprendre dans ces conditions
que les déclarations faites par Claire Thibout, à la presse comme
dans le cadre des procédures judiciaires, aient nettement varié sur
plusieurs points. Les débats et les polémiques autour de ces
propos et de leurs variations, autour des confirmations, ou des
mises en cause, apportées par des proches, ou d’anciennes
connaissances de Claire Thibout, furent intenses. Cela s’explique
par l’importance des enjeux assignés – avec une belle unanimité –
à ces déclarations : elles seules, dans un premier temps,
semblaient donner chair aux soupçons de financement illégal de
l’UMP, par André puis Liliane Bettencourt, au profit du ministre du
Travail Éric Woerth et du président de la République, Nicolas
Sarkozy.
Avec le recul critique, l’idée d’établir tel fait matériel à partir de
ce seul témoignage semble bien illusoire. Une illusion fort
ancienne, il est vrai : celle de la vérité obtenue par un aveu, sûr et
définitif, au moyen de mises à l’épreuve.
Corollaire de ces débats sur les déclarations de Claire Thibout,
la polémique enfla autour de ses carnets de comptes. Il est assez
difficile de connaître, non pas l’origine de ces documents, mais la
manière dont ils furent, pour suivre la presse, d’abord
« retrouvés », puis remis aux enquêteurs par l’avocat de Liliane
Bettencourt, Georges Kiejman, et enfin largement publiés dans les
médiaslvi. À partir du 8 juillet 2010, approximativement, ces
documents furent présentés comme « des “cahiers de caisse”
remplis jour après jour, de 1995 à 2008 », par l’ancienne
comptable d’André et Liliane Bettencourtlvii.
La course aux enquêtes était donc lancée entre une
administration judiciaire divisée d’un côté, et, de l’autre côté, une
presse tout aussi divisée. Cette phase d’enquêtes succédait, si
l’on veut, à la course aux révélations qui avait eu lieu durant la
seconde quinzaine de juin. Or, selon plusieurs journalistes, celui
qui avait donné le signal de la publication de ces allégations
retentissantes, c’était Olivier Metzner, l’avocat de Françoise
Meyers-Bettencourt. Il l’avait fait selon un agenda, judiciaire, qui
n’était pas celui des médias. « Qui a décidé du moment de la
publication des écoutes ? Ce ne sont pas les médias, mais
l’avocat Olivier Metzner », remarquait ainsi Sylvie Kauffmann,
directrice de la rédaction du Mondelviii. En somme, les médias,
dépendant d’une stratégie de communication judiciaire, auraient
alors cédé aux sirènes de la révélation, et n’auraient pas fait leur
travail d’enquête. Or, au début de juillet 2010, la situation avait
évolué. Avec le grippage de la machine judiciaire, avec les
attaques du gouvernement contre les révélations faites par une
bonne partie de la presse, avec, enfin, l’incapacité du personnel
politique à trouver un compromis permettant de gérer le scandale.
À la course aux révélations succédait une course aux enquêtes,
sur fond de suspicion généralisée.
En effet, les propos de certains membres du gouvernement, et
de cadres dirigeants de l’UMP, sur des organes de presse
qualifiés, peu ou prou, de « fascistes », ou de « trotskystes »,
visaient à jeter le discrédit sur les informations relatives au
scandale. Ils alimentaient ainsi une logique de soupçon. De l’autre
côté, les médias mis en cause répliquèrent en dénonçant « l’écran
de fumée », censé dissimuler l’embarras du gouvernementlix.
Selon certains médias, il s’agissait de « la plus grande opération
d’intox, de manipulation et, pour tout dire, de propagande politique
qu’il ait été donné de voir »lx. Curieusement, dans cette vision des
choses, l’affaire Woerth--Bettencourt ne mettait aux prises que la
presse et le gouvernement. Le 8 juillet 2010, Laurent Joffrin
écrivait, dans Libération, que « l’opposition, pour l’essentiel,
regarde passer les trains ». Le lendemain 9 juillet 2010, l’éditorial
du journal Le Monde, intitulé, de façon significative, « Crise
politique, crise de confiance », abondait lui aussi dans ce sens.
Son auteur, Éric Fottorino, remarquait que « si la confiance a
déserté le pouvoir, elle n’a pas pour autant renforcé une
opposition qui se montre d’ailleurs assez molle dans ses
attaques ». De tonalités différentes, les propos des deux
journalistes exprimaient une sorte de gêne ou de malaise, face à
un scandale qui, devenu « affaire d’État », peinait, selon eux, à
trouver sa place dans les débats politiques entre majorité et
opposition, entre droite et gauche.
2

Voulait-on éviter une crise politique ? (16 juin-3


août 2010)
« Les plus vastes scandales politiques sont toujours des
escroqueries. Bien souvent, ils n’ont rien de proprement
politique, sinon par la situation des personnages
compromis, ministres, sénateurs, députés, hauts
fonctionnaires de l’État, conseillers municipaux, etc. »
Marcel Ayméi

Eu égard aux documents publiés, et disponibles en août 2010, il


est tout sauf certain que la construction du scandale Woerth--
Bettencourt ait été portée par des logiques politiques, élaborées
par les partis en présence. Au départ, c’est-à-dire à la mi-juin
2010, tout paraît indiquer le contraire. Du côté du gouvernement,
et du parti majoritaire au Parlement – l’UMP –, c’est l’évidence
même. Du côté de l’opposition, en tout cas du parti socialiste, c’est
plus que vraisemblable. Si l’on s’en tient aux interventions
publiques faites par des élus et des cadres du parti socialiste, on
doit admettre que, avant le 29 juin 2010, le scandale Bettencourt
ne constituait pas un réel enjeu des débats. Prenant appui sur des
déclarations faites par le « numéro deux » du PS, Benoît Hamon,
un journaliste du quotidien Le Monde estimait d’ailleurs, le 7 juillet
2010, que « l’enchaînement des révélations dans l’affaire Woerth--
Bettencourt paraît avoir, dans un premier temps, pris de court les
dirigeants du parti socialiste »ii.
Il est vrai que les choses commencèrent à changer à partir des
29 et 30 juin. Pourtant, même après cette date, la politisation du
scandale de corruption ne semble pas être allée de soi, pour une
bonne partie du personnel politique. Pour le comprendre, il est
indispensable, à ce stade, de prendre en compte les perceptions
des Français ainsi que les réactions de l’opinion publique.
S’agissant de l’opinion publique, il importe de ne pas perdre de
vue trois points de principe. Le premier concerne la chronologie,
assez fébrile, de l’affaire, rythmée par des retournements
successifs. Cela explique que l’opinion ait évolué rapidement au
vu des éléments fournis par les médias. Le second tient aux
limites des sources documentaires disponibles, et notamment des
enquêtes comme des sondages. On sait que les indications
chiffrées obtenues par les instituts de sondage sont, dans le
meilleur des cas, des estimations et ne fournissent que des ordres
de grandeur, quant aux tendances existant dans l’opinion. Enfin, à
de très rares exceptions près, les enquêtes d’opinion ne sont pas
faites dans un but scientifique : les questions posées aux
personnes interrogées sont dictées par les préoccupations, à court
terme, des commanditaires des sondages, gouvernement, partis
politiques, ou organes de presse. Les sondages sont des
instruments des débats politiques, et l’on ne peut attendre d’eux
qu’ils offrent une image fidèle de l’état d’esprit des Français. Il
importe donc de les confronter entre eux, afin d’obtenir quelques
éléments de réflexion. On dispose, sur les échos de cette affaire,
d’un ensemble de huit sondages réalisés entre le 1er et le 21 juillet
2010 inclusiii. Ces sondages portent sur les perceptions par les
Français de l’affaire Woerth--Bettencourt comme événement
politique. Ces perceptions ne répondaient qu’en partie aux enjeux
définis par les élus et les dirigeants de partis.
On peut prendre comme point de départ l’intervention, le mardi
29 juin 2010, sur le plateau du journal télévisé de la chaîne TF1,
de Ségolène Royal, présidente socialiste du conseil de la région
Poitou-Charentes. Elle se lança dans une critique en règle, ou
« une charge »iv contre le chef de l’État, Nicolas Sarkozy. Selon
elle en effet, « le système Sarkozy est aujourd’hui corrompu. C’est
un pouvoir qui mélange les biens privés et les biens publics [...],
c’est un pouvoir qui perd tout sens du bien commun et qui profite
d’une totale impunité [...], qui mélange la chose privée et la chose
publique »v. Le discours critique de Ségolène Royal, ancienne
rivale malheureuse du chef de l’État aux élections présidentielles
de 2007, visait à dénoncer un système de pouvoir dominé par un
homme et par un parti. Cette critique était bâtie, explicitement, au
nom d’une morale (les « valeurs ») ou, tout au moins, au nom de
règles de probité publique qui n’auraient pas été respectées.
Dans cette dimension apparente, l’affaire, greffée sur un
scandale de corruption, était bien un moment, ou un moyen, des
débats politiques entre une majorité et des oppositions, entre des
gouvernants et leurs adversaires. À la fin de juin et au début de
juillet 2010, « l’affaire Woerth--Bettencourt » semblait être un
nouvel épisode d’une lutte politique poursuivie, au-delà des
élections de 2007, en vue des élections présidentielles de 2012.
Un certain nombre de Français l’ont, semble-t-il, perçu de cette
façon, d’après deux enquêtes d’opinion réalisées le 1er juillet 2010.
La première fut réalisée par l’institut CSA pour le journal Le
Parisien, la seconde par l’institut Opinion Way pour le compte de
20 Minutes, site d’informations sur Internet.
Selon l’enquête réalisée par Opinion Way, 62 % des personnes
interrogées estimaient que cette affaire était une « polémique
politicienne », et 37 % seulement pensaient qu’il s’agissait d’une
« affaire d’État ». Mesurée par ce sondage, l’attention avec
laquelle les Français suivaient cette actualité était relativement
faible : 51 % des personnes interrogées dirent être intéressées.
Cette actualité n’était apparemment suivie que par une personne
interrogée sur deux. Selon une analyse postérieure, l’institut de
sondage Opinion Way aurait « manipul[é] grossièrement les
questions et les résultats ». Il y aurait eu, en fait, 18 % de
personnes se disant pas « intéressées du tout », 33 % « peu
intéressées », et 48 % « intéressées »vi. Si l’on doit donc rester
prudent sur cet intérêt, reste la perception de l’affaire Woerth--
Bettencourt. Celle-ci, dans l’enquête d’Opinion Way, est perçue,
majoritairement, comme un épisode dans la lutte entre partis
politiques, ce scandale faisant jouer des lignes de clivage très
politisées. Le 1er juillet 2010 selon l’institut Opinion Way, « 65 %
des sondés de gauche sont pour » la démission du ministre du
Travail, 84 % de ceux de droite sont contrevii.
En revanche, selon l’enquête réalisée par l’institut CSA, 56 %
des Français jugeaient l’affaire Woerth--Bettencourt « grave »,
dont 23 % estimant qu’elle était « très grave ». Le jugement
prononcé sur la gravité de l’affaire renvoyait, là encore, à un
clivage très politisé. « 72 % des sympathisants de gauche la
jugent grave contre 36 % des sympathisants de droite »viii. Selon
l’institut CSA, la question de savoir si Éric Woerth, mis en cause,
devait démissionner, recevait les réponses suivantes : 21 % des
personnes interrogées ne se prononcent pas, 37 % souhaitent sa
démission, et 42 % qu’il reste à son poste. « 55 % des
sympathisants de gauche souhaitent qu’il démissionne », et 68 %
des sympathisants de droite qu’il reste à son poste. Là encore, la
distribution des opinions sur le scandale et ses conséquences
souhaitées faisait apparaître un clivage gauche-droite de nature
très politique.
Avant même que, au début de juillet, le scandale ne prenne une
autre ampleur, et ne se transforme en « affaire d’État », selon
plusieurs médias, la mesure des opinions constituait un enjeu
politique majeur de l’actualité.

Enjeux politiques et mesure des opinions

Les deux enquêtes réalisées le 1er juillet donnaient des visions


divergentes, sinon contradictoires, des réactions des Français
face au scandale. On ne peut donc pas conclure de manière
assurée sur ce point : le seul élément dont on puisse être certain,
c’est que l’opinion publique évolua très vite, après le 1er juillet. Ces
changements étaient dus à la conjonction de deux éléments de
l’actualité. Le premier élément concernait les premières
déclarations dans la presse de Claire Thibout, « l’ex-comptable »
de Liliane Bettencourt, rendues publiques les 5 et 6 juillet 2010. Le
deuxième élément était un peu différent : il s’agissait de la
démission, annoncée le 4 juillet, de deux membres du
gouvernement, Christian Blanc, secrétaire d’État au
développement du grand Paris (« région capitale »), ainsi qu’Alain
Joyandet, secrétaire d’État chargé de la coopération et de la
francophonie. Pour des raisons de clarté, il faut revenir brièvement
sur ce qui était reproché, publiquement, aux deux secrétaires
d’État. Il s’agissait, somme toute, de questions mineures, eu égard
à la tournure qu’avait pris l’affaire Bettencourt-Woerth.
L’un, Christian Blanc, aurait fait régler sur fonds publics des
achats de cigares destinés à son usage privé, et n’aurait, de lui-
même, remboursé sur ses deniers personnels qu’une partie de la
somme – évaluée, pouvait-on lire, à 12 000 euros. Les
informations une fois publiées, via Le Canard enchaîné, Christian
Blanc, se déclarant « stupéfié », s’acquittait de la somme restante.
Le 4 juillet, le public apprenait sa démission du gouvernement.
Alain Joyandet pour sa part avait défrayé la chronique à deux
reprises. La première fois, en mars 2010, pour avoir loué au prix
fort un jet privé afin de se rendre à Haïti. Le Premier ministre,
François Fillon, avait alors réagi à ces questions liées aux
voyages officielsix. À la mi-juin 2010, il était reproché à Alain
Joyandet d’avoir utilisé son influence politique personnelle afin
d’obtenir un permis de construire pour agrandir sa résidence
secondaire, à Grimaud dans le Var. Alain Joyandet décidait, assez
vite, de renoncer à ces travaux afin de mettre un terme aux
soupçons.
Le 4 juillet 2010, le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel,
annonçait que le président de la République et le Premier ministre
avaient demandé à Alain Joyandet de démissionner. Le même
jour, Alain Joyandet diffusait sur Internet un communiqué
personnel, où l’on pouvait lire une explication un peu différente.
Ce texte mérite d’être mentionné, car il est un indicateur de l’état
d’esprit qui pouvait alors exister, dans les rangs du gouvernement,
face à la multiplication des révélations dans la presse, dans le
contexte de basculement de l’affaire Woerth--Bettencourt.
« Pas un euro public n’a été détourné pour mon enrichissement
personnel ou celui de mes proches. L’homme d’honneur que je suis
ne peut accepter d’être victime d’un amalgame. Après mûre
réflexion, j’ai décidé de quitter le gouvernement. »x
La conjonction, du 4 au 6 juillet 2010, des premières
déclarations publiques de Claire Thibout, dans l’affaire Woerth--
Bettencourt, et de l’annonce de ces deux démissions du
gouvernement, sur fond de rumeurs de corruption, contribua à
modifier les perceptions dans l’opinion publique. Deux enquêtes,
réalisées pour l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur par l’institut
LH2 les 9 et 10 juillet 2010, fournirent certains éléments à ce sujet.
Selon la première de ces enquêtes, l’affaire se traduisait par une
crise de confiance. 57 % du millier de personnes interrogées
déclaraient ne pas faire confiance à Éric Woerth, lorsque celui-ci
niait les soupçons dont il était l’objet. À l’inverse, 28 % des
personnes interrogées déclarèrent lui faire confiance. Enfin, 15 %
des sondés préférèrent ne pas se prononcerxi. La deuxième
enquête, réalisée au même moment – les 9 et 10 juillet 2010 –,
concernait la mesure, mensuelle, de la « cote de popularité » du
chef de l’État et du Premier ministre. Cette cote de popularité –
avec 33 % d’opinions positives parmi les 1 013 personnes
interrogées – était, selon l’institut de sondage LH2, la plus basse,
pour Nicolas Sarkozy, depuis trois ansxii. Il était, bien sûr, tentant
d’établir un lien de causalité entre la perte de crédit du ministre
Éric Woerth et la baisse de popularité du président de la
République. Force est de remarquer que l’institut de sondage LH2
n’avait pas dirigé son enquête d’opinion dans ce sens.
Dans ce contexte, l’intervention télévisée du chef de l’État, le 12
juillet 2010, était très attendue. Interrogé, par un journaliste de la
chaîne France 2, le président de la République, Nicolas Sarkozy,
fit quelques remarques sur les polémiques et les soupçons de
favoritisme et de corruption qui pesaient depuis plusieurs
semaines, y compris sur lui-même. Nicolas Sarkozy réaffirma son
soutien au ministre du Travail, Éric Woerth. En dépit des
accusations lancées contre lui, Nicolas Sarkozy estimait que le
ministre du Travail « est un homme honnête et compétent qui a
toute ma confiance ». Cependant, il lui conseilla publiquement de
démissionner de son poste de trésorier de l’UMP. Au-delà de ce
cas individuel, le chef de l’État admit qu’existaient, en France, des
« mauvaises habitudes et un laisser-aller », auxquels il
conviendrait de « mettre un terme »xiii. Le discours apologétique,
en défense, du chef de l’État, visait à conforter un ministre chargé
de mener à bien une réforme-clé : Éric Woerth, ministre du Travail,
était en effet chargé de la réforme du système de retraites.
Quel impact cette intervention télévisée, largement suivie, a-t-
elle eu auprès de l’opinion publique, en ce qui con-cerne ses
perceptions de « l’affaire Woerth--Bettencourt » ?
Paradoxalement, il est vraiment difficile d’en avoir une idée
précise. Une seule enquête, réalisée par l’institut Ipsos pour le
compte du journal Le Point, les 16 et 17 juillet 2010, auprès d’un
échantillon de 956 personnes, aurait pu apporter quelques
éléments d’information. Dans le cadre de cette enquête, deux
questions étaient posées. Ni l’une ni l’autre ne portait sur les
perceptions de l’affaire, ou sur la confiance accordée au ministre
Éric Woerth, ou au chef de l’État Nicolas Sarkozy sur ce point. Les
deux questions posées, assez complexes d’ailleurs, se
rapportaient uniquement à ce que les personnes interrogées
imaginaient être l’avenir. Selon ces personnes, quelle serait la
capacité du ministre mis en cause à continuer la réforme des
retraites (49 % de oui, 47 % de non), et du chef de l’État à
poursuivre l’ensemble des réformes (59 % de oui, 38 % de
non)xiv ? Conclure de ce sondage, comme le fit une partie de la
presse, que « Sarkozy et Woerth [étaient] à peine touchés par
l’affaire Bettencourt » fait franchement sourirexv.
S’en tenir à ces seuls sondages, axés sur la lecture politique à
court terme d’une affaire présentée en termes de clivage droite-
gauche, serait passer à côté de l’essentiel. En effet, les
perceptions de l’affaire Woerth--Bettencourt traduisaient un nouvel
accès de défiance d’une majorité de Français à l’égard du
personnel politique. Le 5 juillet 2010, le journal Libération publiait
les résultats d’une enquête réalisée par l’institut de sondage
Viavoice les 1er et 2 juilletxvi. Cette enquête, dite baromètre,
portait avant tout sur la cote de popularité d’un certain nombre de
personnalités politiques. Une question avait été ajoutée, actualité
aidant, sur la perception de l’honnêteté, ou de la corruption, des
« dirigeants politiques ». 64 % des personnes interrogées
estimaient que ceux-ci étaient plutôt corrompus, contre 29 %
pensant qu’ils étaient plu-tôt honnêtesxvii.
Cette indication chiffrée montrait – sans grande discussion
possible – que la croyance en la corruption du personnel politique
se diffusait à nouveau. Il faut rappeler – on y reviendra – que cette
opinion était minoritaire en France avant la grande mutation
amorcée dans les années 1988-1993. Selon des enquêtes alors
réalisées par l’institut de sondage Sofres, en 1977, 38 % des
personnes interrogées estimaient que les « élus » et les
« dirigeants politiques » étaient corrompus, contre 55 % en 1990.
Le seuil global de la moitié des personnes interrogées, croyant en
la corruption du personnel politique, fut franchi au début des
années 1990. On ne devait plus redescendre, durablement, en
dessous de ce seuil les années suivantes.
En effet, à partir des années 1990, c’est l’actualité – la
publication de scandales et d’affaires – qui expliquait, en bonne
part, les variations, dans les résultats des enquêtes d’opinion sur
la corruption publique, telle qu’elle était perçue. Cette opinion
pouvait être très majoritaire en période de scandales : en 1991,
65 % des personnes interrogées estimaient que le personnel
politique était corrompu. Cette opinion pouvait être moins diffuse à
d’autres moments : 58 % des personnes interrogées en 2002
croyaient en la corruption du personnel politique. La première
enquête scientifique réelle sur les représentations de la probité
publique, réalisée en janvier et février 2006 par le CEVIPOF, sous
la direction de Pierre Lascoumes, donnait une indication proche,
avec 60 % des personnes interrogéesxviii.
Au-delà de cette indication de tendance globale, certaines
données permettaient, en 2010, d’aller un peu plus loin.
Commentant les résultats du sondage publié le 5 juillet 2010, le
directeur associé de l’institut Viavoice, François Fouquet-Marty,
faisait savoir à la presse que 54 % des cadres interrogés
estimaient que les « dirigeants politiques » étaient corrompus. En
revanche, 73 % des employés, et 74 % des ouvriers interrogés
partageaient cette opinion. Comme l’on s’en doute, la distribution
des opinions, autour de l’affaire Woerth--Bettencourt, ne reposait
pas que sur des clivages politiques, entre sympathisants de
gauche et de droite. Les perceptions de l’affaire, et, au-delà, de la
corruption du personnel politique étaient socialement marquées.
Se vérifiaient, en somme, à travers l’affaire Woerth--Bettencourt,
les corrélations établies par l’équipe dirigée par Pierre Lascoumes,
dans l’enquête sur la probité publique réalisée en 2006. Les
facteurs influant le plus sur la perception de la corruption –
niveaux de diplôme et de revenu, situation professionnelle –
opposaient différentes populations : des « personnes qualifiées et
professionnellement insérées », pour qui la corruption n’est pas
« un problème majeur » ; et des membres de groupes sociaux
plus fragiles, pour qui la corruption est « un problème
important »xix.
Devenu crise, ou « affaire d’État », le scandale Woerth--
Bettencourt faisait réapparaître, dans les perceptions de l’opinion,
un phénomène déjà existant : la relation de défiance entretenue,
depuis environ vingt ans, par une majorité de Français vis-à-vis du
personnel politique, mais aussi vis-à-vis des partis comme de
nombreuses institutions. Dans cette perspective, dénoncer un
scandale de corruption revenait-il à « porter un coup à la politique,
à la République » ? Pouvait-on mener un débat sur la probité des
gouvernants et leurs pratiques de pouvoir, sans chercher à
« abattre » des adversaires ? Tel était le dilemme, défini, le 5 juillet
2010, par Simone Veil et Michel Rocard, dans une tribune publiée
sous le titre « halte au feu ! »xx. La crainte, presque explicite, était
que les mécanismes du scandale de corruption ne débouchent, de
façon incontrôlée, sur ce que Jens Ivo Engels nomme une critique
du système, voire une crise politique majeure – pensée
implicitement, en 2010, sur le modèle analogique des élections
présidentielles de 2002xxi.

Le spectre des « années 1930 »


Événement complexe, aux multiples dimensions, l’affaire
Woerth--Bettencourt vaut autant pour ses péripéties que pour les
craintes qu’elle fait surgir, ou qu’elle conforte. Ces craintes, dans
le fond, sont celles d’un ébranlement de forte intensité du système
politique républicain. Ces craintes ne sont pas apparues en 2010,
comme une sorte de conséquence des élections de 2002. On les
trouve exprimées auparavant. Consacrant, en février 2001, un
dossier à « la République des affaires : argent, corruption et
politique », la revue L’Histoire notait que « plus que jamais la une
des journaux est occupée d’affaires de corruption en tout genre
[...] »xxii.
Dans cette optique, le but assigné à la recherche historique en
2001 était de faire « la vérité sur “l’argent caché” » et de
« dégonfler les mythes qui ne sont jamais innocents, les rumeurs
qui grossissent, les accusations qui font le miel des populismes ».
Appelant à ne pas confondre « le lynchage avec la justice », la
revue notait d’ailleurs que, face aux scandales de corruption, « les
hommes politiques, aujourd’hui aussi discrédités que dans les
années 1930, apparaissent plus vulnérables ». Ce qui était, en
2001 dans cette revue, analogie sous forme de référence –
savante –, était devenu, à l’été 2010, pour plusieurs membres du
gouvernement et cadres de l’UMP, une arme polémique dans le
combat politique. Dès le 20 juillet 2010 Vincent Duclert avait noté
que ces déclarations, convoquant « les heures sombres de la
France contemporaine pour mieux innocenter le président de la
République et son ministre du Travail », ne se justifiaient pasxxiii.
En 2010 comme en 2001, les scandales de corruption, les
affaires qu’ils peuvent susciter et les craintes qu’ils charrient avec
eux ne semblent compréhensibles, pour les acteurs et les
témoins, qu’en étant insérés dans une histoire. Cette histoire
semble habitée par une analogie, récurrente, entre la France de
2001, ou de 2010, et la France des années 1930. Quitte à
décevoir, il convient de dire que les scandales des années 2001 à
2010 ne sont pas les répliques des scandales des années 1926-
1934, pas plus qu’ils ne répètent les scandales des années 1885 à
1897. Bien entendu, ces deux séquences historiques, ou ces deux
configurations, constituent des moments fondateurs dans l’histoire
de la corruption politique. Pourtant, ce qui retient l’attention, c’est
l’ampleur des changements survenus depuis. La corruption
politique existe à travers des jugements civiques portés sur les
pratiques de pouvoir et les gouvernants. Ces jugements n’ont plus
les mêmes sens ni les mêmes contenus que dans la France de
février 1934. Le visage que revêt la corruption publique dans la
France du e siècle est avant tout le produit d’une profonde
mutation qui, du milieu des années 1980 au milieu des années
2000, a produit des effets complexes dans le monde entier.
L’un des premiers chercheurs en sciences sociales à l’avoir
formulé est le politiste Philippe Garraud. Il remarquait, en 1999,
que, sous réserve d’inventaire plus précis, deux périodes, ou deux
séquences très distinctes apparaissaient, pour l’histoire des
scandales de corruption, dans la France républicaine. Les
différences portaient, dans cette optique, sur « la nature », « la
structure » et le « nombre » des affaires, ou plutôt leur
fréquencexxiv. Des années 1880 jusqu’aux années 1970, les
scandales de corruption étaient de fait moins nombreux, ou plus
ponctuels. Ils faisaient figure, si l’on peut dire, d’exceptions
ordinaires. Sans doute, y avait-il des séries de scandales à
certains moments, que Jean Garrigues a pu mettre en reliefxxv.
On songe, avant tout, à la série des années 1887 à 1898, de
l’affaire des décorations à l’affaire dite de la Dynamite, car elle
mettait en cause la société française de dynamite. Cette série
inaugurale pour la République parlementaire fut dominée par le
scandale de Panamaxxvi. C’est dans cette filiation que s’inscrit la
série des années 1928-1934, de l’affaire Marthe Hanau, dite de la
Gazette du franc, jusqu’à la célèbre affaire Stavisky, en passant
par l’affaire Oustric et le scandale de l’Aéropostalexxvii.
Intervenant dans un contexte social et politique assez différent, la
troisième série de scandales affecta la Quatrième République à
ses débuts, de 1946 – le scandale du vin – à 1952 – l’affaire du
trafic des piastres –, en passant par le scandale des bons d’Arras
en 1949. Comptons, enfin, avec la série des années 1969-1972.
Sur fond de transformations considérables de la société française,
elle marquait le passage de la République gaullienne à une
Cinquième République régulée par un présidentialisme ordinaire.
De l’affaire dite de la SEMVI, ou de la Villette, en 1969, au
scandale dit d’Aranda en 1972, cette série est dominée, en 1971,
par l’affaire liée à deux compagnies immobilières, la Garantie
foncière et le Patrimoine foncier.
Cette liste n’est pas exhaustive, car l’on pourrait mentionner
quelques « scandales parlementaires oubliés »xxviii. Il ne s’agit,
ici, que de raisonner sur les affaires les plus connues, et de
donner des estimations, quant à la fréquence changeante des
affaires publiques de corruption. Si l’on retient, pour les années
1887 à 1972, treize scandales de forte ampleur en quatre cycles, il
est clair que le phénomène change d’intensité à partir de la fin des
années 1980. Même en limitant la nouvelle série aux affaires les
plus marquantes, on arrive aisément à une douzaine de scandales
importants entre 1986 – l’affaire du carrefour du développement –
et l’orée du e siècle – l’affaire Elf, en 2000-2003. C’est donc
bien plus, en moins de vingt ans, que ce qui défraya la chronique
des républiques parlementaires, du début des années 1880 à la
fin des années 1950. D’exceptions ordinaires, les scandales de
corruption sont devenus des formes récurrentes de conflits
publics. Cette première différence rend caduques les analogies.
Ce premier changement majeur – sur la fréquence du
phénomène – va de pair avec plusieurs autres modifications
d’importance. Des années 1880 aux années 1950, sinon 1970, le
personnel politique impliqué dans les scandales fut souvent formé
de parlementaires. Tout en tenant compte de la grande diversité
des affaires, ces parlementaires apparaissaient plus souvent
comme des complices, que comme les initiateurs des pratiques
déviantes qui faisaient scandale. Pour le dire comme Philippe
Garraud, ils n’étaient pas les « initiateurs », mais les « associés »
de ces « opérations frauduleuses »xxix. Si l’on s’en tient aux
« années 1930 », régulièrement invoquées dans les débats, ce
caractère apparaît avec une grande netteté. Les premiers
coupables – Marthe Hanau, le banquier Oustric, l’escroc
Alexandre Stavisky – entraînèrent dans le scandale des élus
compromis car complices. Placés en exergue à ce chapitre, les
propos de Marcel Aymé, revenant, en 1938, sur les scandales de
corruption des années 1926-1934, montrent assez bien comment
ces affaires pouvaient être perçues dans les années 1930. « Les
plus vastes scandales politiques sont toujours des escroqueries.
Bien souvent, ils n’ont rien de proprement politique. » Au cœur
des débats et des enquêtes, se trouvaient des parlementaires
avocats, qui jouaient une position d’intermédiaires ou
d’intercesseurs entre une partie du monde des affaires et le
personnel parlementaire. Le « résistible déclin » de la République
des avocats rend compte de la disparition progressive de ce type
de scandalesxxx. Cependant, cette configuration spécifique se
retrouva jusqu’au début des années 1970. Ainsi, en 1971, les
députés Rives-Henrÿs et Roulland sont-ils surtout apparus comme
des complices, ou des associés, des malversations orchestrées
par les dirigeants de deux sociétés immobilières, la Garantie
foncière et le Patrimoine immobilier.
De ce point de vue également, la période ouverte dans les
années 1980 contraste fortement avec la précédente. Les affaires
de la fin du e et du début du e siècle touchent plus
fréquemment que par le passé des élus locaux. Les affaires les
plus médiatisées, notent Philippe Garraud, « ne doivent pas
occulter de multiples mises en cause personnelles d’hommes
politiques de moindre importance », dans le cadre de scandales à
l’impact avant tout localxxxi. De plus, le schéma le plus fréquent
des années 1880 à 1970 a changé : les pratiques réputées
corrompues ne sont plus les mêmes. La figure de l’escroc, ou des
banquiers peu regardants, s’est complètement estompée. Il s’agit
le plus souvent, depuis les années 1980, d’affaires concernant des
formes illicites – ou jugées telles – d’enrichissement personnel de
membres du personnel politique, ainsi via des délits d’initiés. Il
s’agit aussi de financement illégal d’activités politiques. La
fréquence des scandales autour de ces financements illégaux
n’est pas uniquement l’effet, mécanique, des nouvelles lois
adoptées entre 1988 et 1993. En bref, le schéma mental hérité
des années 1880 à 1970 – celui des parlementaires associés à
des escrocs – ne correspond plus guère à ce qui défraie souvent
la chronique depuis les années 1980 : des formes, jugées
scandaleuses, d’enrichissement personnel d’élus, et de
financement de partis.
Ce deuxième changement de fond contribue à expliquer que les
condamnations judiciaires des élus incriminés dans ces scandales
de corruption ne répondent plus aux mêmes logiques que dans les
années 1880 à 1950, voire les années 1970. Il est sans doute
discutable d’écrire, comme le fait Philippe Garraud, que les élus
bénéficiaient, avant les années 1980, d’une « quasi-
impunité »xxxii. Il est vrai que certains scandales, à la fin du e
siècle, confirment ce point de vue, l’affaire de Panama au premier
chef. Mais cela est devenu moins vrai entre les années 1930 et les
années 1950, entre la condamnation à deux ans de prison – avec
sursis – du député maire de Bayonne, Joseph Garat, à la suite du
scandale Stavisky de 1934, jusqu’à la condamnation – à dix ans
de travaux forcés – du député Antoine de Récy, à la suite de
l’affaire des bons d’Arras de 1949. La similitude relative des deux
affaires – celle de 1934, et celle de 1949 – semble indiquer qu’un
durcissement progressif était à l’œuvre, en matière de
condamnation des élus corrompus. Ce n’était pourtant qu’une
tendance.
Or cette sévérité dans les condamnations prononcées est
devenue depuis le milieu des années 1980 une sorte de règle
générale, y compris pour la strate supérieure du personnel
politique, formée de ministres ou d’anciens membres de
gouvernements. De ce point de vue, les années 1994 à 1997 ont
marqué une césure. Des affaires ont pu provoquer des démissions
anticipées de ministres, avant que ceux-ci, jugés, soient
condamnés – tel Alain Carignon en 1996 en appel – ou relaxés –
tel Gérard Longuet en 1997. Philippe Garraud a en ce sens raison
de remarquer que, à partir des années 1980, des condamnations
pénales pouvaient comporter explicitement des interdictions
d’exercer des mandats politiques. On songe, par exemple, à la
privation de droits civiques pendant deux ans, qui touche Henri
Emmanuelli en 1996, à la suite de l’affaire Urba Sages. Ce type de
condamnations, difficilement imaginable, voire presque
impensable dans les Républiques parlementaires, de 1879 à
1958, indique une évolution très profonde.
Ces ruptures, ou ces césures apparues dans les scandales de
corruption à partir des années 1980, concernent aussi les
réactions des Français. Il ne s’agit, pas uniquement, de la nature,
de la structure ou du rythme de ces affaires, mais des perceptions,
comme des modes d’expressions du public. Là encore, ce constat
n’est pas original. Présentant les premiers résultats de l’enquête
réalisée au début de l’année 2006 sur la probité publique, Pierre
Lascoumes notait qu’« aucun mouvement de protestation
collective ne s’est manifesté à l’occasion de ces “affaires” censées
scandaliser l’opinion. Les citoyens français seraient-ils tous
devenus cyniques ou totalement désabusés ? »xxxiii. Cette
interrogation, sur l’histoire très récente des affaires, a une tournure
rhétorique. Elle pointe néanmoins une évolution réelle. Les
scandales des années 1880 aux années 1950 ont en effet suscité
presque systématiquement des formes de mobilisation publique. Il
s’agissait notamment de réunions et, dans la rue, de cortèges et
manifestations. Le spectre des années 1930, agité au début du
mois de juillet 2010, renvoie d’ailleurs à de telles protestations
collectives, orchestrées pour l’essentiel par l’extrême-droite ou, si
l’on préfère, par « l’ultra-droite ».
En effet, les révélations, par voie de presse, du scandale
Stavisky provoquèrent, de décembre 1933 à février 1934, une
série de manifestations devant le Palais-Bourbon. Initiées par la
ligue d’Action française, relayées par des organisations proches
ou concurrentes, ces manifestations débouchèrent sur la nuit
d’émeutes du 6 février 1934. Les affrontements avec la police
firent environ 15 morts et plus de 1 400 blessésxxxiv. Ces
manifestations répondaient, en partie, à différents scénarios
politiques. Plusieurs de ces scénarios, élaborés dès les débuts de
1933, tablaient sur une crisexxxv. Celle-ci devait permettre aux
droites dites nationales, battues aux élections législatives du
printemps 1932, de revenir au gouvernement. Cette issue politique
particulièrement dramatique et violente fait du scandale Stavisky
une exception, dans la série d’affaires de corruption qu’a connues
la France, des années 1880 au début des années 1970. Il serait
donc très imprudent de raisonner à partir de ce seul exemple.
Si l’on envisage les séries de scandales successifs, plutôt que
le seul scandale Stavisky, la présence de mobilisations collectives
suscitées ou catalysées par des révélations de corruption reste
une caractéristique originale, propre à la France contemporaine
avant le grand tournant des années 1980. Après Paul Jankowski,
on peut admettre que le thème des scandales, sinon le mythe
d’une corruption politique néfaste, a pu être très présent dans la
société française, à certains moments. François Goguel, dans un
article consacré aux scandales en 1946, estimait même que cette
question était inscrite dans la vie quotidiennexxxvi. En un mot, aux
yeux de nombre de Français, il ne s’agissait pas uniquement
d’une actualité politique et financière. Cela s’explique, bien
entendu, par les contextes de récessions économiques, de crises
sociales et de disette, ou de relatif dénuement – en 1946 – dans
lesquels les scandales trouvaient leur public. Il faudra y revenir.
La question de la corruption, ou son imaginaire, était intégrée,
avant les années 1970-1980, dans les perceptions quotidiennes
que les Français avaient de leurs difficultés économiques et
sociales. On peut prendre l’exemple des scandales Stavisky de
1934 et des bons d’Arras en 1949. L’un et l’autre concernaient des
escroqueries à des crédits municipaux, celui de Bayonne dans le
scandale Stavisky. Les atteintes au crédit, comme les atteintes à
l’épargne d’ailleurs, étaient jugées comme particulièrement graves
dans une société où l’accès à la consommation par le crédit était
difficile, même en période de prospérité. Ainsi en 1930, seules
23 % des automobiles vendues en France l’étaient à créditxxxvii.
Nourri par ces difficultés sociales, l’imaginaire de la corruption
permettait à certaines organisations politiques de susciter des
protestations contre des scandales, et souvent dans la rue. En
effet, le sentiment – pas toujours injustifié – de relative impunité
des élus compromis face à la justice, attisait une indignation
publique assez diffuse. Ce terreau culturel et social rendait
possible les mobilisations protestataires. Toutes ne se traduisaient
pas par des manifestations ou des émeutes. Ces mobilisations,
politiques ou politisées, revêtaient différentes formes, en fonction
des groupes qui les encadraient.
Il est assez facile de situer l’apparition de ces formes de
protestations. Si l’on s’en tient à la Troisième République, la
manifestation du 2 décembre 1887 sur la place de la Concorde, à
Paris, peut constituer un bon point de départ. Cette manifestation,
assez composite dans le fond, visait le président de la République
Jules Grévy, éclaboussé dans une affaire de trafic de décorations.
En revanche, il est plus difficile de dire quand ces formes de
mobilisations, liées à l’indignation suscitée par les scandales, ont
disparu de la société française. Paul Jankowski note qu’en 1971,
au moment où éclatait l’affaire de la Garantie foncière et du
Patrimoine foncier, « le parti communiste organisa une petite
manifestation devant la mairie du XIXe arrondissement » de Paris,
dont « André Rives-Henrÿs, le député gaulliste compromis dans le
scandale immobilier », était l’éluxxxviii. On serait tenté de voir,
dans cette petite manifestation parisienne, le dernier écho de ces
protes-tations politiques autour des scandales, qui avaient marqué
la France depuis le e siècle. Sur ce sujet, les recherches en
cours permettront d’avancer avec plus de certitudes.
Au total, en matière de scandales de corruption et d’affaires, ce
ne sont pas les similitudes, ou les analogies avec le passé, qui
l’emportent, mais les différences, et l’ampleur des changements
qui se sont produits depuis les années 1980. La fréquence des
affaires n’est plus du tout la même ; le type de pratiques
corrompues a généralement changé ; le traitement judiciaire a
beaucoup évolué, surtout pour les élus mis en cause ; enfin les
formes de mobilisations, liées à des cultures de l’indignation
souvent politisées, semblent avoir vécu.
Dès lors, quel était le sens des analogies avec les années 1930
faites dans les débats publics, par plusieurs membres du
gouvernement dirigé par François Fillon, ainsi que par plusieurs
dirigeants de l’UMP entre le 5 et le 8 juillet 2010 ? Les éléments
de réponse à cette question conduisent à examiner la part
d’imaginaire et de mythes attachée aux scandales, aux affaires et
à la corruption publique. Or, de ce point de vue aussi, la
comparaison avec les années 1930 montre surtout que les choses
ont profondément changé.

« Cabales », « machinations » et rumeurs : les imaginaires


du scandale

De la part du gouvernement de François Fillon et des cadres de


l’UMP, les mises en accusation, politiques, des médias qui avaient
révélé le scandale Woerth-Bettencourt, de la mi-juin au début de
juillet 2010, permettaient d’offrir une interprétation fixe de ce qui
devenait une affaire. Cette interprétation politique, issue du
gouvernement, faisait du scandale une manœuvre déloyale, fruit
d’une « alliance immonde », comme l’écrivait Frédéric Lefebvre,
porte-parole de l’UMP, le 8 juillet 2010xxxix. Cette alliance
englobait l’opposition socialiste, et une partie de la presse, jugée à
la fois fasciste, dans ses méthodes, et trotskiste, dans son
inspiration. D’autres interprétations du scandale Woerth--
Bettencourt existaient à droite de l’échiquier politique. Ces
interprétations alternatives, proposant des visions des choses un
peu différentes, ne rencontrèrent que peu ou pas d’échos.
L’une de ces interprétations fut proposée par l’acteur principal
dans ce scandale, le ministre du Travail Éric Woerth. Intervenant,
le mardi 6 juillet, à la télévision sur la chaîne TF1, ce dernier s’est
dit victime d’une « cabale politique aussi orchestrée par le PS
[...] »xl. De son point de vue, « on n’a pas vu de cabale comme ça
depuis des années ». Pourtant, il n’est pas certain que le premier
auteur de cette cabale ait été, selon Éric Woerth, l’opposition
socialiste. En effet, rappelant la politique de lutte contre l’évasion
fiscale qu’il avait menée au ministère du Budget en 2007-2009,
Éric Woerth estimait qu’il s’était alors heurté à de grands intérêts
financiers en Suisse. Il déclara le 6 juillet : « Les Suisses m’en
veulent à mort. »xli Dans une interview réalisée par Philippe
Bouvier, rédacteur en chef du journal L’Oise hebdo, et publiée le
14 juillet 2010, Éric Woerth revenait sur cette idée. Il laissait
entendre que l’origine du scandale tenait, selon lui, à une
revanche. Mais cette revanche n’était pas, cette fois-ci, imputée à
l’opposition socialiste, ni à une presse inspirée tantôt par le
fascisme, tantôt par le trotskisme. Selon Éric Woerth, « il y a des
intérêts suisses auxquels j’ai fait très très mal. Des gens qui m’ont
mis au premier rang des hommes à abattre en priorité ». Faites
dans un journal local, ces déclarations passèrent à peu près
inaperçues en France, et ne furent réellement commentées qu’en
Suisse, comme l’on s’en doute. Le journal La Tribune de Genève,
notamment, s’en fit l’écho et releva le caractère très imprécis et
allusif de ces allégations. « Qui sont ces Helvètes qui veulent sa
peau ? Éric Woerth, comme dans d’autres occasions, reste
évasif. »xlii
Cette présentation du scandale par Éric Woerth faisait de cette
affaire le fruit d’une « cabale » voulue par des intérêts financiers
suisses, et que l’opposition socialiste aurait exploitée à des fins
politiques. L’origine de cette version alternative des faits est à
chercher dans une affaire de répression de la fraude fiscale, qui
défraya la chronique entre la fin du mois d’août et le mois de
décembre 2009. Le 30 août 2009, la presse se faisait l’écho de
déclarations d’Éric Woerth, alors ministre du Budget, qui annonçait
avoir obtenu une liste comprenant « les noms de 3 000
contribuables détenteurs de comptes bancaires en Suisse pour un
montant de 3 milliards d’euros »xliii. Le ministre laissait aux
intéressés un délai leur permettant de régulariser leur situation,
jusqu’à la fin de l’année 2009. « Après le 31 décembre, il sera trop
tard. Je le répète, nous passerons alors au contrôle fiscal qui
s’appliquera dans toute sa rigueur. » La presse révéla, dans les
semaines qui suivirent, que la liste aurait compris 130 000 noms
de détenteurs de comptes, dont 3 000 Français. Elle aurait été
volée par un ancien employé de la banque HSBC de Genève,
avant d’être remise au ministère du Budget. Ce procédé, jugé
déloyal, aurait scandalisé une partie de l’opinion suisse, comme
des Français concernés, « expatriés riches »xliv. L’usage de cette
liste à des fins fiscales refroidit les relations entre les
gouvernements français et suisse, selon une partie de la
pressexlv.
Cette explication par Éric Woerth du scandale le mettant en
cause était intéressante. Mais elle reste, en l’état, très allusive. On
sait que le groupe l’Oréal est détenu en particulier par Liliane
Bettencourt, première actionnaire avec 31 % du capital, ainsi que
par le groupe suisse Nestlé, deuxième actionnaire avec 29,8 % du
capital. Le scandale n’a ni influé sur le cours des actions du
groupe l’Oréal à la Bourse, ni même, semble-t-il, relancé « la
question du contrôle » du groupe, fixée par un pacte
d’actionnaires signé en 1974xlvi. Les déclarations très évasives du
ministre Éric Woerth ne permettent pas de savoir si, dans son
esprit, les « intérêts suisses » voulant « l’abattre en priorité »
seraient des banques helvétiques, ayant usé de leur influence, via
le groupe Nestlé, auprès de membres du conseil d’administration
du groupe l’Oréal. Il est en l’état impossible, et de déterminer ce
que le ministre Éric Woerth voulait dire concrètement, et de se
prononcer sur la réalité des faits, puisqu’aucun document publié
ne permet d’en juger. En revanche, il importe de réfléchir sur une
question simple.
La version du scandale selon Éric Woerth – une cabale ourdie
par des intérêts financiers suisses et exploitée par les socialistes –
n’était pas plus ou moins vraisemblable que la version
gouvernementale de l’affaire élaborée au début de juillet 2010 –
une « collusion politico-médiatico-troskiste » révélant l’usage de
« méthodes fascistes »xlvii dans la presse. L’explication des faits
esquissée par Éric Woerth ne rencontra à peu près aucun succès,
en dépit du fait qu’elle renouait avec un imaginaire des scandales
et des affaires très présent dans la France des années 1880 à
1950, voire au-delà. On peut, pour le comprendre, reprendre la
comparaison avec la France des « années 1930 » : cette
comparaison éclaire, à nouveau, l’ampleur des changements
survenus depuis la fin du e siècle, y compris dans nos
imaginaires collectifs.
Objet, en 2009 et 2010, d’accords politiques délicats entre la
France et le gouvernement helvétique, le célèbre secret bancaire
suisse est, pour partie, le résultat d’un processus
d’institutionnalisation arrêté en 1934. Cette série de mesures
prises en 1934 sont, pour suivre les travaux de Sébastien Guex, le
résultat d’une affaire importante de fraudes fiscales, révélées par
la presse française à la fin de l’année 1932xlviii. La police
française avait alors mis la main sur des listes d’avoirs et de
clients, français, de la banque commerciale de Bâle. Pourtant,
cette affaire ne fit pas scandale, notamment parce qu’une large
majorité des organes de presse, y compris de la gauche modérée,
s’indigna de ces procédés qualifiés d’inquisition fiscale. Si
campagne de presse il y eut, elle fut, en dehors de quelques
journaux socialistes et communistes, dirigée contre la saisie de
ces documents et contre leurs usages fiscaux, politiques mais
aussi judiciaires. Bien mieux, selon Sébastien Guex, cette affaire
contribua à provoquer le renversement, par la Chambre des
députés, du gouvernement, alors dirigé par le radical-socialiste
Édouard Herriot. « Il est difficile de penser, écrit Sébastien Guex,
que l’inculpation d’un nombre si élevé de personnages aussi
considérables, dans le cadre du scandale », et pour fraude fiscale,
« n’ait pas puissamment nourri la colère et les rancunes contre le
gouvernement »xlix. Le vote de défiance des députés intervint le
14 décembre 1932, un mois environ après les premières
révélations. Un an plus tard, l’affaire Stavisky éclatait, mettant en
cause notamment plusieurs acteurs de l’affaire des fraudes
fiscales de 1932, comme René Renoult, avocat, parlementaire et
ministre de la Justice dans ce gouvernement dirigé par Édouard
Herriot, ou encore Georges Pressard, procureur de la République
au parquet de Paris, qui finit d’ailleurs par se suicider.
Le détour par les années 1930, si fréquemment invoquées dans
les débats sur les affaires de corruption, permet d’éclairer les
changements intervenus depuis. Mettant en cause, en juillet 2010,
des « intérêts suisses » dans le déclenchement du scandale qui le
touchait, ainsi que Liliane Bettencourt, le ministre Éric Woerth dit
avoir été peu soutenu par la presse française en 2009, lorsqu’il
voulait en finir avec la fraude fiscale en Suisse. Dans l’entretien
publié le 14 juillet 2010 dans L’Oise hebdo, il déclarait :
« Ce que je comprends le moins, c’est que la presse me tape
dessus en permanence dès qu’il est question d’évasion fiscale.
Déjà l’an dernier quand j’ai sorti les listes d’évadés fiscaux, tout ce
qu’on a trouvé à dire, c’est que je n’avais pas le droit, que ce que je
faisais était illégal. »
Pour autant, à la différence du scandale de 1932, il n’y eut, à la
fin de l’année 2009, ni campagne de presse virulente contre le
ministre du Budget, ni attaques politiques réelles. À aucun
moment semble-t-il, le gouvernement dirigé par François Fillon ne
fut mis en péril au Parlement sur cette question. Du point de vue
politique, la question récurrente de la lutte contre l’évasion fiscale
en Suisse ne pouvait plus du tout se poser dans les mêmes
termes que dans les années 1930, et, au-delà, que dans la France
des années 1880 à 1970. Cette différence majeure indique, en
filigrane, une profonde mutation de nos imaginaires collectifs,
s’agissant des liens entre argent et politique, tels qu’ils peuvent
être révélés dans les scandales.
Dans la France des années 1930, la croyance en des cabales,
ou en des complots ourdis par des intérêts financiers situés à
l’étranger était très prégnante. Cette « mythologie politique de
l’argent-roi », comme la nomme Jean-Noël Jeanneney, était
employée par des auteurs et des groupes politiques extrêmement
différentsl. Dans la mythologie de l’extrême-droite, la finance
internationale, elle-même inspirée par les juifs, pouvait apparaître
comme le centre d’une conspiration utilisant les moyens les plus
divers pour arriver à ses fins, y compris un mouvement
communiste qu’elle était réputée contrôler de façon occulte.
Comme l’écrivait, en 1927, Urbain Degoulet, dit Urbain Gohier,
pour le compte du patron de presse François Coty, « le
communisme est une arme supérieurement perfectionnée par des
génies malfaisants et par la finance internationale, qui veulent s’en
servir pour dominer les peuples »li. Dans des milieux catholiques
traditionalistes, la « finance internationale » pouvait passer pour
responsable de crises monétaires et financières, qualifiées de
« conjurations de monopoles »lii. Du côté de l’extrême-gauche
aussi, la croyance en des manœuvres dissimulées de la finance,
dirigées contre le peuple français, a inspiré une propagande
souvent intense. Selon Augustin Hamon, militant anarchiste passé
au parti socialiste, c’était cette « haute banque », qualifiée de
« féodalité financière » dont les membres étaient, seuls, les
« maîtres de la France »liii. Publié au printemps de 1936, ce livre
trouva, selon François Prigent, un écho très favorable dans la
presse de gauche, qui « en publi[a] de larges extraits »liv. En un
mot, les affaires et les scandales s’inscrivaient dans une
mythologie politique dont les années 1930 ont constitué l’un des
apogées, comme l’ont montré plusieurs travauxlv.
Cet imaginaire politique a sans doute largement disparu sous
cette forme particulière. Cela ne veut pas dire – on y reviendra –
que la France de 2010 ne connaisse plus de propagande greffée
sur la mythologie politique de l’argent-roi : mais il s’agit d’autres
figures imaginaires, qui répondent à des attendus différents. En
tout cas, l’absence d’écho rencontrée par les propos d’Éric Woerth
en juillet 2010, autour d’une « cabale » et des « intérêts suisses »,
le laisse entendre. Aucune rumeur, aucune campagne de presse
ne s’est greffée, entre juillet et août 2010, sur ces allégations, qui
faisaient – peu ou prou – du scandale Woerth--Bettencourt le fruit
d’un complot ourdi par des intérêts financiers étrangers afin de
préserver le secret bancaire suisse, quitte, pour cela, à
déstabiliser un gouvernement de droite au profit du parti socialiste.
À l’inverse, le succès remporté par la présentation
gouvernementale du scandale, comme fruit d’une collusion, ou
d’une « alliance immonde », semble indiquer une inflexion des
imaginaires collectifs autour des « affaires ».
Comme on l’a noté, cette alliance, ou cette collusion unirait deux
acteurs collectifs : une certaine partie de la presse d’un côté, le
parti socialiste de l’autre. Pour la presse, l’analogie entre la
situation de 2010 et celle qui était censée exister dans la France
des « années 1930 » visait à ruiner le crédit entourant les
révélations intervenues en juin et juillet 2010. La comparaison
entre ces deux situations historiques laisse surtout apparaître, une
fois de plus, l’ampleur des différences en matière de traitement
journalistique de ce type d’actualité. Dans de nombreux journaux
des années 1928 à 1934, sinon au-delà, la révélation de pratiques
jugées corrompues au sein du personnel politique entraînait
l’usage d’un vocabulaire et de métaphores récurrentes,
notamment celles du cancer et de la mafia. La dénonciation de
l’affaire Oustric déboucha assez vite, à la fin de l’année 1930, sur
la mise en cause d’une « mafia financière et politicienne » dans
plusieurs journauxlvi. La révélation du scandale Stavisky, de
l’automne de 1933 au printemps de 1934, rendit cette métaphore
obsédante.
« Stavisky faisait nommer des magistrats. Il avait sa carte de la
Sûreté Générale [la police nationale]. Un de ses hommes avait son
bureau aux Finances. Ses agents avaient leurs entrées dans tous
les ministères. Il entretenait des députés et des journaux. Et, quand
on lui résistait, il avait ses tueurs. »lvii
Le scandale de corruption – une escroquerie au crédit municipal
de Bayonne – fut traité, dans bon nombre de journaux, comme la
preuve d’une mainmise, occulte, sur la politique française, par une
criminalité organisée et presque omnipotente. « Par l’argent, par
toutes les formes de la corruption et de la terreur, la mafia devient
toute-puissante. Elle a ses créatures partout [...]. »lviii Les deux
citations précédentes sont extraites de journaux d’informations
générales, et ne se rapportent pas à une presse nationaliste,
d’extrême-droite, voire fasciste. Elles indiquent assez que le
traitement des scandales de corruption dans la presse française
du début des années 1930 obéissait à des logiques spécifiques.
Ces logiques s’inscrivaient dans une culture de masse hantée par
les faits divers criminels, et quelquefois dans des stratégies
journalistiques tablant sur les goûts, réputés morbides, du public.
Une note interne à la direction du quotidien Le Journal, supposant
que crimes et scandales étaient une source de « délectation pour
le sadisme des foules », conseillait, en 1934, « d’entretenir dans
ces foules le goût des scènes homicides »lix.
En 2010, les traitements journalistiques du scandale Woerth--
Bettencourt n’ont, comme l’on s’en doute, plus rien à voir avec
ceux qui existaient en 1930 ou 1934. La transformation d’une
affaire isolée en indice d’une corruption généralisée, la métaphore
récurrente du cancer gagnant le corps de la société politique,
l’amalgame entre pratiques déviantes et criminalité organisée –
gangsters, mafia –, tout cela a disparu. Les stratégies
journalistiques visant à attiser « le sadisme » du public ont cédé le
pas à des modèles bien différents, dont les références sont à
chercher du côté du journalisme d’investigation. Le seul point
invariant concerne les mécanismes de la révélation, qui font surgir
un vocabulaire du mystère, du secret, de l’occulte. Mais cela,
justement, est constitutif du scandale, tel qu’il émergea dans les
sphères publiques des sociétés occidentales à partir de la
seconde moitié du e siècle, avant d’être institué – un siècle
plus tard – en forme de conflit politique.
La présentation gouvernementale du scandale Woerth--
Bettencourt, faisant de la presse française de 2010 une sorte de
clone de la presse des années 1930, refoulait la réalité des
évolutions historiques. S’agissant de scandales de corruption
politique, tout, ou presque, a été bouleversé. Cette présentation,
par des membres du gouvernement et de l’UMP, traduisait en fait
une inflexion très récente des imaginaires politiques. La
transformation du scandale Woerth--Bettencourt en affaire
supposait, de la part de ces acteurs, qu’aux fausses révélations de
la presse soient opposées de vraies révélations. L’inanité des
publications imputées à Médiapart reposait sur une contre-
révélation : Edwy Plenel serait, ou aurait été trotskiste. Cette
présentation politique du scandale a pu rencontrer des échos, et
certains partisans de cette version des faits ont pu écrire, sur
Internet, qu’il s’agit d’une « affaire totalement incohérente,
imaginaire. » Dans cette optique-là, ce sont les médias, voire les
nouvelles technologies de l’information et de la communication,
qui sont perçus comme une sorte de menace. Ils sont le terreau
contemporain de la rumeur malveillante.
« Une fois de plus, la rumeur est partie d’Internet. Il est
absolument nécessaire de museler ce vaste territoire de la
calomnie où les internautes irresponsables, tous coupables,
propagent des rumeurs contre le président de la République et son
gouvernement. »lx
Dans cette hypothèse – il ne s’agit que de cela –, la
présentation, par des membres du gouvernement et de l’UMP, du
scandale Woerth--Bettencourt comme une « machination d’Edwy
Plenel » et d’autres hommes de presse répondrait dans le fond à
une inquiétude, voire une angoisse, diffuselxi. Transformée par les
nouvelles technologies de l’information et de la communication, la
sphère publique du début du e siècle serait devenue
incontrôlée, sinon dangereuse. Le lieu de toutes les rumeurs,
sinon de toutes les subversions. Or, dans ce schéma imaginaire,
les rumeurs sur des affaires ne sauraient profiter en dernière
instance qu’à un ennemi politique redouté. Il semble, à bien des
égards, que ce soit moins l’adversaire politique – le parti socialiste
–, que l’ennemi politique – l’extrême-droite, donc le Front national
–, qui cristallise ces appréhensions.
En effet, face aux premières questions et interpellations
politiques de cadres et d’élus socialistes, entre le 29 juin et le 6
juillet 2010 approximativement, les membres du gouvernement
comme plusieurs élus de l’UMP ont affirmé que de telles
interpellations constituaient, en somme, une façon de nourrir le
populisme et de mettre en danger la démocratie. Ce débat a
notamment eu lieu à l’Assemblée nationale le mardi 6 juillet 2010.
Le député Alain Vidalies, estimant qu’il ne s’agissait pas
seulement d’une affaire, mais d’un « système », demanda « la
transparence ». À cela, le ministre du Budget François Baroin
répondit sur la teneur de l’interpellation en s’adressant aux
députés de gauche. « Est-ce que vous vous rendez compte que
vous êtes en train de tracer le sillon des extrêmes et de l’extrême-
droite ? (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC. –
Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) »lxii
Conjurant l’opposition de gauche de ne pas « faire le jeu de
l’extrême-droite », François Baroin provoqua, par réaction, le
départ de « la plupart » des députés concernés. Cela sonna du
même coup la fin des débats contradictoires entre majorité et
opposition. Le même jour, invité par Le Figaro, Claude Goasguen,
député UMP du XVIe arrondissement de Paris, déclarait que « le
PS se conduit comme le FN, en pire »lxiii.
Si ces débats polémiques méritent un peu d’attention, c’est
parce qu’ils conduisent en direction d’une question relativement
simple. Quelles étaient, justement, les prises de position du Front
national sur le scandale ? Allaient-elles dans le sens, indiqué,
d’une campagne populiste contre la démocratie républicaine ? Les
débats autour de l’affaire donnaient-ils, selon l’expression du
député UMP Éric Raoult, des « vitamines à Marine Le Pen »lxiv ?
Il faut remarquer que peu de communiqués ont été diffusés au
plan national par le FN sur ce sujet. Le 23 juin 2010, Bruno
Gollnisch, vice-président exécutif du parti, déclarait avoir « des
certitudes quant aux graves manquements d’éthique qui se
multiplient au sommet de l’État »lxv. Au vu des affaires de
corruption passées, il récusait le fait que les socialistes puissent
« donner des leçons de morale ». Le 6 juillet, Marine Le Pen, vice-
présidente du parti, revenait sur « les nouvelles révélations de
Médiapart ». Celles-ci, selon elle, « démontrent que l’édifice qui
constitue le pouvoir est entièrement vermoulu ». Elle appelait à la
démission « d’Éric Woerth, chef de la camorra fiscale et trésorier
de la campagne de Nicolas Sarkozy »lxvi.
À l’échelon local, certains communiqués de presse étaient
nettement plus virulents. « Des députés au Président, en passant
par les ministres et autres secrétaires d’État, l’UMPS surnage
dans les égouts de la Ripoux-blique tête basse et mains
sales. »lxvii On retrouve, dans cette vision politique de l’affaire
Woerth--Bettencourt, un écho venu des scandales des années
1880 à 1950, et en particulier des années 1930. La transformation
d’une affaire isolée en indice d’une corruption généralisée du
régime – la « Ripoux-blique » –, l’amalgame entre pratiques
déviantes et criminalité organisée – la « camorra » –, l’appel à une
morale comme fondement d’une action politique contre « la caste
au pouvoir ». Pour autant, il n’est guère possible d’affirmer, au vu
des sources disponibles, que le FN a utilisé le scandale Woerth--
Bettencourt pour en faire le centre d’une campagne d’opinion. Il
n’y eut, semble-t-il, de la part du FN ni campagne d’affiches sur ce
thème, ni mobilisations protestataires, entre juin et août 2010.
En un sens, on avait assisté à la création, par anticipation, d’une
crise politique dont, au final, la plupart des acteurs estimaient
qu’elle ne profiterait qu’à l’extrême-droite, le Front national. Au
début de juillet 2010, déclara un cadre du PS, « on a tous compris
qu’on passait d’une affaire Woerth à une crise de régime bien plus
sérieuse avec un risque qu’elle abîme l’image de l’ensemble de la
classe politique »lxviii. Cette pesée du risque concernait les
réactions estimées du Front national, en fonction d’imaginaires
politiques des scandales, comme des expériences passées des
affaires de corruption intervenues depuis les années 1980. Or le
Front national, si redouté sur ce terrain, tint effectivement le
langage qui était attendu de lui, mais pas le rôle qu’il était censé
endosser presque immédiatement. Sans doute, le Front national
était-il, au bout du compte, le seul protagoniste collectif qui pouvait
recueillir, au moins de façon rhétorique, un héritage venu de
l’époque révolue où les scandales de corruption débouchaient sur
des crises globales du système politique.
Aux yeux de tous les autres acteurs, témoins et protagonistes,
les références obsédantes aux « années 1930 » indiquaient
surtout, à leur manière polémique, que ce temps-là était terminé.
Y compris pour des mythologies politiques en pleine mue, sinon
en déshérence. Les propos du ministre Éric Woerth sur la
revanche des « intérêts suisses » sont finalement restés les
propos d’un homme seul. En fait de scandales de corruption, la
page avait été tournée depuis les années 1980. L’exprimaient, à
des titres divers, la croyance, très majoritaire dans l’opinion
publique, en la corruption du personnel politique, les accusations,
venues de l’UMP et du gouvernement, de cabales et de
machinations ourdies par la presse, l’expression sur Internet
d’inquiétudes sourdes face à une sphère publique jugée hors de
contrôle. Instituant un conflit aussitôt limité par les acteurs, par
peur qu’il ne débouche sur une crise générale, l’affaire Woerth--
Bettencourt agissait bien comme un révélateur de l’état de la
société française au début du e siècle.
3

Inégalités et tensions : le scandale comme


révélateur
« Il s’ensuit que dans les États aristocratiques, les
gouvernants sont peu accessibles à la corruption et n’ont
qu’un goût très modéré pour l’argent, tandis que le contraire
arrive chez les peuples démocratiques. »
Alexis de Tocqueville, 1835i

Au-delà des scénarios politiques autour d’une crise du système


redoutée par la quasi-totalité des acteurs, l’affaire Woerth--
Bettencourt a joué, durant la seconde quinzaine du mois de juillet
2010, le rôle d’un révélateur. Qu’est-ce que le scandale éclairait, à
contre-jour ? Réalisée dans les jours suivant l’intervention
télévisée du président de la République le 12 juillet 2010, une
enquête de Frédéric Potet donnait à voir quelques réactions de
Français d’une petite ville de province face au scandale en cours.
Résumant les propos recueillis, le journaliste écrivait que « du
supermarché au cabinet médical, indignation et fatalisme
s’entremêlent »ii. Selon un médecin généraliste, l’affaire
constituait un sujet de discussion avec ses patients. « Tout cela
les choque, mais ils en parlent en souriant, avec une certaine
impuissance, comme s’ils étaient désabusés. » Ce que le
scandale révélait, en un sens, tenait à l’expression d’un malaise
sourd, voire ambivalent, d’une majorité de Français à l’égard des
personnes nommées dans les médias. Plus largement, l’affaire
Woerth--Bettencourt désignait à la suspicion générale un groupe
aux contours mal définis. « Ces gens-là » : selon Alain Laurance,
facteur de 55 ans, ce sont ceux pour qui « avoir de l’argent veut
dire avoir le pouvoir ». C’est un « monde de happy few, de gens
qui se connaissent, qui se cooptent, et qui vivent dans des
sphères très éloignées des nôtres », selon Serge Lejeune,
enseignant retraité de 77 ans. C’est un monde de « voitures de
fonction » et de « magouilles », selon trois « jeunes adultes » sans
emploi. Beaucoup était dit sur les réactions face à l’affaire :
entendons sur les manières diverses dont le scandale avait trouvé
son public.
L’affaire Woerth--Bettencourt, si l’on suit ces quelques
indications, révélait l’existence d’une double distance – morale et
sociale à la fois – entre le public attentif au scandale et le groupe
auquel appartenaient les acteurs mentionnés dans les médias.
Quel groupe ? Selon le philosophe et historien Marcel Gauchet,
l’affaire était inscrite dans un « contentieux larvé entre le peuple et
les élites ». Sur cette toile de fond, le scandale exprimait une
« désillusion de l’opinion à l’égard de la promesse sarkozienne »iii.
Plusieurs autres acteurs des débats publics allaient dans le même
sens. Ainsi Roland Cayrol, fondateur de l’institut de sondage CSA
et chercheur associé à Sciences Po, estimait-il que les affaires,
sans être une préoccupation majeure des Français, « soulignent le
décalage entre les élites et le pays »iv. À y regarder de plus près,
le scandale semblait résulter de l’addition de plusieurs
phénomènes distincts. Il n’y avait pas, semble-t-il, de réponse
simple à apporter à la question de savoir ce qu’il révélait.
Le scandale Woerth--Bettencourt a pu apparaître comme le
dernier épisode d’une série ouverte au milieu des années 1980,
celle des « affaires ». Toutes ces affaires, de 1986 à 2006,
portaient sur des collusions, réelles ou supposées, entre le monde
de l’argent et le personnel politique. Ces affaires révélaient
l’existence d’un clivage – social et moral à la fois – entre une
majorité de Français, convaincus de la corruption du personnel
politique, et des minorités, groupant, de façon confuse,
gouvernants, membres du monde des affaires et dirigeants
d’entreprises. L’affaire Woerth--Bettencourt s’inscrivait, en ce
sens, dans un terrain déjà labouré depuis un quart de siècle. Un
terrain traversé par une ligne de failles majeures qui, loin de se
refermer, semblaient avoir encore joué pour mieux s’approfondir.
Cet approfondissement des clivages s’expliquait d’abord par
l’accroissement des inégalités sociales en France. Cette tendance
lourde creusait les distances matérielles entre les protagonistes
des affaires et le public. Mais ce durcissement des clivages venait
aussi de la force, pérenne, de l’opposition entre gauche et droite
face à l’argent. Il s’agit moins, ici, des dirigeants des partis
politiques que des Français ordinaires, si l’on peut dire. Les
rapports à l’argent, entre Français de droite et Français de
gauche, ne sont pas les mêmes : les études récentes réalisées en
sciences sociales, notamment celles de Janine Mossuz-Lavau,
sont très claires sur ce pointv.
Depuis le milieu des années 1980, le dévoilement récurrent,
dans les médias, de sommes d’argent cachées et immorales –
l’argent de la corruption supposée – suscitait l’attention d’un public
qui n’était pas neutre. Ce public était marqué – on l’a dit – à la fois
par des inégalités sociales croissantes, comme par des
différences politiques, dans la manière de considérer l’argent. Or,
en 2010, au prisme de l’affaire Woerth--Bettencourt, le public du
scandale ne semblait plus s’indigner, mais bien se distinguer en
pensée d’une minorité plus fortunée et mieux introduite
politiquement, privilégiée en un mot. « On a l’impression qu’une
caste de privilégiés s’est reconstituée », déclarait Serge Lejeune,
enseignant retraité de 77 ans au journaliste Frédéric Potetvi. Le
vocabulaire à employer pour désigner ces ensembles opposés, le
public du scandale d’un côté, les groupes soupçonnés de
corruption de l’autre, est un vocabulaire piégé. Marcel Gauchet
l’indiquait lui-même en parlant de « contentieux entre le peuple et
les élites » : le terme « élites » ne pouvait être employé que faute
de mieuxvii. Il en va de même pour l’autre terme de cette
opposition : le « pays », le « peuple ». Selon Gérard Mauger, « la
notion à extension indéterminée de “peuple” ou de “milieux
populaires” doit une partie de ses vertus mystificatrices au fait que
chacun peut, comme dans un test projectif, en manipuler
inconsciemment l’extension pour l’ajuster à ses intérêts, à ses
préjugés ou à ses fantasmes sociaux »viii. Dans le sillage des
affaires, récurrentes depuis un quart de siècle, le scandale
Woerth--Bettencourt donnait des visages à des distances sociales
et culturelles (morales) devenues, les années passant,
insupportables et pourtant tolérées.

L’île d’Arros : un symbole de clivages sociaux

Comme la plupart des affaires de corruption publique


intervenues depuis le milieu des années 1980, le scandale
Woerth--Bettencourt a offert des images présentant, de façon
symbolique, l’argent de la corruption, présumée dans ce cas. Ces
images ont une résonance sociale parti-culière. C’est le cas, dans
cette affaire de 2010, pour les représentations de l’île d’Arros,
dans les Seychelles. Des images de cette île exotique (et
photogénique) ont fait le tour des médias, à la fois sur Internet et
dans des journaux, notamment Paris-Match. En effet, la
publication des « enregistrements secrets » à la mi-juin 2010 dans
les médias laissait entendre que Liliane Bettencourt était
propriétaire de cette île, sans que cette propriété ait été déclarée
au fisc. Selon le journal Le Point, cette évasion fiscale présumée
aurait été conseillée à Liliane Bettencourt par le gestionnaire de sa
fortune personnelle, Patrice de Maistre.
« L’écoute des enregistrements », selon Hervé Gatte-gno, « ne
laisse guère de doute sur l’implication active de l’homme d’affaires
dans le dispositif conçu pour soustraire au fisc français une partie
des richesses de l’héritière de l’Oréal », dont cette îleix. Comme
on l’a vu, le procureur de la République Philippe -Courroye
estimait, dans des déclarations à la presse le 13 juillet 2010, que
« l’authen-ticité des enregistrements [était] en grande partie
vérifiée »x. Dans les logiques du scandale, les liens personnels
entre Patrice de Maistre, gestionnaire de la fortune de Liliane
Bettencourt, et Éric Woerth, alors ministre du Budget, laissaient
soupçonner une complaisance du second pour le premier,
permettant de ne pas déclarer l’île au fisc français.
Dans cette vision des choses, la dissimulation de l’île d’Arros
semblait attestée par les montages financiers assez tortueux qui
l’entouraient. Après la garde à vue du gestionnaire de cette île,
Carlos Verajano, le 15 juillet 2010, la presse apporta sur ce point
d’autres informations. Se présentant dans les médias comme
gestionnaire de l’île depuis 1975, Carlos Verajano déclarait qu’elle
aurait été cédée en 1999 par un membre de la famille du dernier
shah d’Iran aux Bettencourt, sur la suggestion – ou la demande –
de François-Marie Banier, pour un montant de 18 millions de
dollarsxi. Cependant, l’île, appartenant à une société domiciliée au
Liechtenstein, la d’Arros Land establishment, n’aurait pas changé
de propriétaire : c’est cette société qui serait devenue propriété
des Bettencourt. Symbole de l’argent de la corruption, puisqu’elle
aurait échappé au fisc, symbole de dissimulation de la richesse à
cause de ces circuits financiers tortueux, l’île d’Arros était aussi un
emblème de l’affrontement familial entre une mère, Liliane
Bettencourt, et sa fille, Françoise Meyers-Bettencourt. En effet,
selon la presse, Liliane Bettencourt, à la fois propriétaire de la
société possédant l’île, et locataire, aurait désigné comme
bénéficiaires de l’île « trois associations médicales » et François-
Marie Banierxii. Pour se disculper de cela, François-Marie Banier
aurait déclaré aux enquêteurs qui l’interrogeaient :
« Cette île, je la déteste, elle est bourrée de moustiques, elle est
minuscule, et il y fait très humide. En plus, il y a des requins.
Johnny Depp a deux îles dans le Pacifique, où il m’a invité
plusieurs fois, et je n’y vais jamais [...]. »
En dépit des inconvénients dépeints par François-Marie Banier,
l’île d’Arros a pu servir d’emblème de l’affaire Woerth--Bettencourt.
Symbole de vacances couramment qualifiées de « vacances de
rêve », l’image photographique de cette île des Seychelles était
aussi un révélateur. Cette résonance collective fut particulièrement
forte, car elle s’inscrivait au cœur des inégalités sociales
croissantes dans la France du début du e siècle. En effet, face
aux vacances, les Français ne sont pas égaux, et le sont de moins
en moins le temps passant, le tout sur un fond – récent – de
récession économique et de remontée du chômage, depuis la fin
de 2008. D’après les données disponibles, et bien que celles-ci ne
soient pas exactement comparables, le taux de départ en
vacances, après avoir légèrement augmenté de 1994 (62 %) à
2004 (65 %), aurait nettement régressé, pour atteindre 52 % de la
population en 2009xiii. Cette baisse des départs en vacances,
sensible depuis 2004, se serait fait sentir dans toutes les
catégories socioprofessionnelles. Selon l’observatoire des
inégalités, c’est le manque de ressources financières qui, dans un
cas sur deux, explique cette absence de départ en vacances.
Cette tendance générale ne doit pas masquer la très grande
variation des taux de départ en vacances selon les catégories
sociales. Même si moins de cadres étaient, vraisemblablement,
partis en vacances en 2009 que cinq ans plus tôt, ils étaient
encore 81 % à le faire, et 72 % pour les professions
intermédiaires. En revanche, moins de la moitié des ouvriers
étaient partis (43 %), et 55 % des employés. Ce sont
effectivement les familles aux revenus les plus faibles – inférieurs
à 1 500 € par mois – qui parvenaient de moins en moins à partir
en vacances. Pour elles, ce phénomène de baisse accusée du
taux de départ s’apparente à une régression sociale assez
récente. « Pour les familles modestes le taux baisse et ne remonte
pas ensuite : il a perdu 14 points entre 1998 et 2009, de 46 à
32 %. »xiv
L’image de l’île d’Arros comme symbole d’un scandale de
corruption jouait effectivement comme un révélateur, à contre-jour,
d’inégalités sociales croissantes. Celles-ci étaient doublées, en
2010, du sentiment plus général d’une difficulté accrue à partir en
vacances dans le cadre des congés payés. La réalité des clivages
sociaux, accrus au fil des ans pour les familles aux revenus les
plus modestes, n’est effectivement pas discutable. Mais le malaise
ambiant, diffus dans la société française, ne l’est pas davantage.
Ce malaise, dans le rapport aux vacances, venait de ce qu’il était
plus difficile de partir, et ce quelle que soit la catégorie
socioprofessionnelle considérée. Or, l’image de l’île d’Arros ne
renvoyait pas à n’importe quelles vacances, bien entendu, mais à
une forme réputée idéale et particulièrement chère, davantage, en
tout cas, qu’une semaine de congés à la campagne.
Dans le cas du scandale Woerth--Bettencourt, il ne s’agissait
pas de vacances ordinaires, mais de la propriété d’une île
tropicale. Cela attirait sans doute les imaginaires collectifs de
façon plus puissante encore. Une enquête publiée le 10 août sur
ce sujet faisait intervenir « l’un des rares autres marchands d’îles
de la planète, basé à Hambourg ». Celui-ci, en quarante ans de
métier, aurait vendu « près de 2000 îles »xv. C’est un indicateur
de la taille de ce marché et du nombre d’acheteurs potentiels
d’îles – au moins à l’échelle européenne. Au-delà du cas singulier
de Liliane Bettencourt, le scandale dirigeait donc les médias et le
public attentif à cette affaire en direction d’une minorité aussi
restreinte, semble-t-il, que fortunée. Dès le début de juillet 2010,
certains médias estimaient que « l’affaire Woerth--Bettencourt
met[tait] en lumière les collusions entre oligarchie et classe
politique »xvi. À la fin d’août 2010, l’hebdomadaire Marianne,
après avoir consacré un dossier à l’histoire des scandales dans
son précédent numéro, publiait un numéro titré de la façon
suivante : « Il n’y a pas que Mme Bettencourt. Les hyper riches. À
quoi servent-ils ? Ont-ils une morale ? Que font-ils de leur
argent ? »xvii En un sens, il s’agissait de donner un contour social
et économique à ce qui avait été perçu de façon confuse au début
de juillet 2010, après les révélations successives de l’affaire
Woerth--Bettencourt. La présentation d’une « oligarchie », ou celle
des « hyper riches » proposait, en écho, le portrait d’un groupe
relativement mal défini.
Il est difficile de savoir au juste quelle minorité privilégiée était
mise en scène dans le scandale Woerth--Bettencourt. Il existe
deux approches possibles pour apporter des éléments de réponse
à cette question. L’une des approches, la plus claire, est
économique : elle n’a pas été reprise dans les médias en juin et
juillet 2010. L’autre approche, sociologique, est tournée vers les
signes d’appartenance à un milieu privilégié. C’est cette seconde
approche que l’on retrouvait dans la plupart des enquêtes et
articles publiés dans les médias.
Il faut, pour mieux comprendre ce qui est en jeu dans cette
question, commencer par adopter une approche économique.
Dans la lignée des travaux de Thomas Piketty, sur la mesure des
inégalités et les hauts revenus en France au e siècle, Camille
Landais a publié, en 2007, une étude sur la période la plus
récente, de 1998 à 2006, mesurant l’évolution des revenus
primaires (avant impo-sitions fiscales). Analysant l’évolution des
plus hauts revenus, rapportée à l’évolution moyenne, il y décèle ce
qu’il nomme une « explosion des inégalités »xviii. En effet, l’en-
quête sur les sources fiscales, cohérente avec les données de la
comptabilité nationale, montre, entre 1998 et 2006, « une
croissance très faible des revenus déclarés en moyenne » par
l’ensemble des 90 % des foyers les moins riches. En termes réels,
le revenu de ces foyers a augmenté d’environ 5 % entre 1998 et
2006, soit à peine 0,6 % par an.
En revanche, au sein des foyers les plus riches, les revenus ont
augmenté très fortement : de 11 % pour les 5 % de foyers fiscaux
les plus riches, de 19 % pour les 1 % les plus riches, et de 32 %
pour les 0,1 % les plus fortunés. Sachant que l’on comptait
environ 35 millions de foyers fiscaux au milieu des années 2000,
on arrive à des ordres de grandeur tout à fait parlants : pour 90 %
des foyers fiscaux, environ 31,5 millions, le gain de revenus a été
d’à peu près 5 % entre 1998 et 2006. Pour 0,1 % des foyers, soit
les 35 000 contribuables les plus riches, le gain de revenus a été,
pendant la même période, de 32 %. En bref, pour 90 % des
foyers, les revenus primaires ont augmenté moins vite que la
masse globale des revenus en France : les inégalités sociales se
sont accrues. Sans entrer dans les détails de cette analyse très
éclairante, on peut mentionner que la hausse accélérée des plus
hauts revenus venait des revenus du patrimoine – revenus
fonciers et des capitaux mobiliers au premier chef –, mais aussi
d’une forte hausse des salaires. Celle-ci fut particulièrement
sensible pour les 1 % de foyers fiscaux les plus riches – environ
350 000. De fait, selon Camille Landais, « les salaires moyens des
revenus composant les foyers les plus riches augmentent
beaucoup plus vite que les salaires des autres foyers »xix. C’est
ce phénomène qui aurait mis fin à la hiérarchie salariale existant
en France depuis une trentaine d’années, essentiellement au
profit d’une petite minorité de foyers fiscaux, disons les 1 % les
plus fortunés.
En juin et juillet 2010, les médias ont adopté une seconde
approche, plus sociologique, pour évoquer la question. Ce choix
était en effet plus adapté au traitement de l’affaire Woerth--
Bettencourt. Les personnalités et les itinéraires des protagonistes
du scandale servaient de clé. Leurs portraits, leurs histoires
renvoyaient à leurs groupes sociaux (et politiques)
d’appartenance, et donc à des « élites » d’ailleurs assez diverses.
On peut prendre l’exemple parlant de la présentation dans la
presse de Patrice de Maistre, gérant de la fortune personnelle de
Liliane Bettencourt. Le 1er juillet 2010, il était dépeint dans les
termes suivants : « Intrigant M. de Maistre. Le moins people des
protagonistes de l’affaire Bettencourt est aussi le plus fascinant.
Car le plus mystérieux. »xx Étaient évoqués ses relations, ses
biens, ses hobbies, plus rapidement son itinéraire et son « milieu »
d’appartenance. « Il est membre depuis des années du très sélect
Jockey Club. » Aristocrate – descendant de Joseph de Maistre –,
membre du Jockey Club, Patrice de Maistre, protagoniste du
scandale, renvoie à un type d’élite finalement très traditionnelle.
Sans doute, le Jockey Club, créé en 1834, comptant 1 150
membres, a-t-il longtemps été perçu comme l’un des « clubs les
plus fermés du monde », sinon « le plus prestigieux de tous », en
France tout au moinsxxi. Au e siècle, ses membres venaient,
dans leur quasi-totalité, de l’aris-tocratie, si l’on suit les travaux de
Cyril Granges, ainsi que de Michel Pinçon et Monique Pinçon
Charlotxxii. Il serait pour le moins inexact de dire que le groupe
social pointé du doigt à travers le scandale Woerth--Bettencourt
était une certaine aristocratie se retrouvant dans des clubs, que ce
soit le Jockey Club ou le nouveau cercle de l’union. Pourtant,
l’insistance mise sur ces réseaux de sociabilités propres aux
protagonistes de l’affaire est en soi un révélateur.
Dans le scandale, l’attention du public fut attirée vers des
cultures de l’entre-soi caractéristiques de ces milieux très
restreints. Du côté des clubs et cercles réputés plus bourgeois, on
songe, notamment, à l’Automobile club de France, au cercle de
l’union interalliée, au polo de Bagatelle, au golf de Saint-Cloud, ou
au cercle du bois de Boulogne, entre autres. Dans la plupart des
cas, l’entrée dans ces cercles et clubs mondains, qui vaut
reconnaissance d’un statut social, implique un rituel d’admission
par parrainage et vote. Bien que les formes concrètes varient,
« l’admission repose presque exclusivement sur la
cooptation »xxiii.
Enserré dans l’actualité dont il émergeait, le scandale proposait
ainsi une sorte de sociographie de groupes minoritaires et
fortunés, dont des membres étaient soupçonnés de corruption.
Était-ce une sociologie ? Du point de vue de certains sociologues,
la réponse était positive. Le groupe soupçonné dans le scandale
Woerth--Bettencourt permettait de voir ce que les sociologues
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, nommaient, dans un
entretien publié le 4 juillet 2010, la « classe au pouvoir »xxiv. Le
terme de classe, employé par les deux sociologues, doit être
entendu dans son sens fort : ce groupe social est désigné comme
« la seule classe qui fonctionne véritablement de manière
collective et solidaire ». Cette classe consciente de ses intérêts
collectifs intègre, selon les deux sociologues, « des personnes qui
appartiennent aux élites politiques, économiques voire
médiatiques ». Dans cette perspective, le scandale, jouant comme
un révélateur, avait quasiment une vertu pédagogique.
« L’affaire Bettencourt est très intéressante parce qu’elle permet
de bien voir comment ça fonctionne. C’est très positif parce que ça
facilite le boulot des sociologues et des journalistes, et ça cultive
les Français sur le fonctionnement de l’oligarchie. »xxv
Cette lecture, savante et engagée, reposait sur deux postulats.
Le premier est l’homogénéité de cette « oligarchie » au pouvoir,
qui transcende les distinctions traditionnelles au sein des groupes
sociaux les plus fortunés et prestigieux, notamment la différence
entre bourgeoisie et aristocratie. On sait en effet que, dans ces
groupes sociaux, l’aristocratie est très présente. On peut prendre
l’exemple, bien étudié, des membres inscrits au Bottin Mondain,
où, là encore, l’admission se fait selon une procédure de
parrainage et de vote : de cooptation. Le Bottin Mondain, en 2004,
groupait 44 020 famillesxxvi. Selon les travaux de Cyril Granges,
les familles d’origine noble compteraient pour environ 48 % du
total en 1987xxvii. Le pourcentage, très élevé, mériterait d’être
affiné, pour distinguer les différentes noblesses, reconnues ou
revendiquées. L’essentiel est que, selon Michel Pinçon et Monique
Pinçon-Charlot, la distinction entre aristocratie et bourgeoisie a
perdu son sens. « Être noble ou pas a maintenant très peu
d’importance parce que [l]es grands noms des affaires font partie
de l’aristocratie. »xxviii
Il y a un deuxième postulat sur lequel reposait cette lecture
sociologique du scandale comme un révélateur de la « classe
dirigeante ». Selon ce deuxième postulat, ce groupe restreint se
distingue par des formes de sociabilité spécifiques. On peut, si l’on
veut aller dans ce sens, noter que la même personne, Antoine
Hébrard, dirige le Bottin Mondain ainsi que le deuxième annuaire
de ce type, le plus connu de France : le Who’s who in France.
L’admission au Who’s who est présentée, par la direction de cet
annuaire, comme « un symbole reconnu de réussite et
d’excellence professionnelle »xxix. L’édition 2010 compte 21 866
biographies, sachant, selon la direction de cette entreprise, que
« le premier critère de sélection » pour figurer dans cet annuaire
est « l’activité professionnelle ». Insister sur l’homogénéité de ce
groupe social très minoritaire est aussi de l’intérêt bien compris de
l’entreprise dirigée par Antoine Hébrard : l’appartenance à ce
groupe se définirait, peu ou prou, par une reconnaissance
collective, finalement décernée par une mention dans le Bottin
Mondain ou le Who’s who in France... voire dans les deux.
Quoi qu’il en soit, suivre cette approche, sans discuter ces deux
postulats, ne permet pas de dénombrer précisément cette
« classe dirigeante », ni d’évaluer ses niveaux de fortune. C’est
pourtant une question cruciale, si l’on admet, après Michel Pinçon
et Monique Pinçon-Charlot, que cette « classe au pouvoir » est
une « oligarchie ». Seule l’approche économique des inégalités de
revenus permet d’apporter des éléments de réponse clairs à la
question de savoir pourquoi le scandale Woerth--Bettencourt a eu,
au moins de façon brève, une vraie résonance sociale.
Cette résonance témoignait du fait que le scandale avait trouvé
un public. Elle montrait ainsi que l’affaire de corruption, présumée,
jouait un rôle de révélateur pour des tensions sociales, fortement
accrues ces dernières années, disons depuis 2002-2003. En un
sens, les acteurs de l’affaire donnaient leurs visages à des
clivages sociaux en voie d’approfondissement. De la même
manière, finalement, que la photographie de l’île d’Arros dans les
Seychelles révélait, à contre-jour, des inégalités sociales fortes et
un malaise général face aux vacances dans le cadre des congés
payés, les protagonistes du scandale – tel Patrice de Maistre –
incarnaient des groupes sociaux en voie d’enrichissement, à un
rythme six fois plus rapide que la grande masse – 90 % – des
foyers fiscaux. Ces groupes sociaux, divergeant de plus en plus
de la majorité de la société française en matière de revenus,
étaient dépeints comme des groupes fermés sur eux-mêmes. Les
cultures de l’entre-soi et les rituels de cooptation constituaient,
dans cette optique, autant d’indices d’un fonctionnement en isolat.

La « rupture » sarkozienne mise à l’épreuve

Ce fonds d’oppositions, attisées par les collusions, révélées,


entre argent et politique formait, si l’on peut dire, la basse
continue, jouant en sourdine, pour la petite musique que faisait
entendre l’affaire Woerth--Bettencourt. Celle-ci, dans le contexte
du printemps et de l’été 2010, révélait un autre phénomène, inscrit
dans la durée plus brève de la mandature du chef de l’État,
commencée en 2007. Dans cet espace de temps limité, l’affaire
Woerth--Bettencourt intervenait, par télescopage, pour souligner le
coût collectif des réformes de l’État social entreprises par le
pouvoir exécutif. Parmi ces réformes, celle des retraites avait
drainé et drainait encore les plus forts mécontentements. La
coïncidence, dans le temps, entre les débats sur la réforme des
retraites portée, au sein du gouvernement de François Fillon, par
Éric Woerth ministre du Travail, et les révélations entourant Éric
Woerth, ancien ministre du Budget, dans le cadre de « l’affaire
Bettencourt » avait catalysé le scandale. La presse en témoignait.
Que les médias hostiles à cette réforme des retraites se soient
emparés des premières révélations, à la mi-juin 2010, ne fait
aucun doute. Ce fut le cas, exemple parmi d’autres, du quotidien
Libération. Le 17 juin 2010, la rédaction affirmait, en première
page, que « l’âge légal de départ à la retraite a été porté à 62 ans.
C’est la mesure phare d’un plan jugé injuste et qui ne suffit pas à
équilibrer les comptes ». Quelques jours après, le quotidien
relayait les premières informations sur l’affaire Bettencourt. Le 8
juillet, enfin, la rédaction posait, en première page, « cinq
questions à Sarkozy », relatives au scandale. Il n’y eut aucune
conspiration de la presse, mais un télescopage entre une
procédure judiciaire divisant une famille et l’agenda d’une réforme
divisant la nation, car cette nouvelle réforme entendait donner un
autre contenu à l’État social.
Or, ces réformes de l’État social intervenaient, en 2010, après
un retournement de la conjoncture économique internationale et
de la politique budgétaire de l’État en France. Ce retournement
était le contrecoup de la crise financière mondiale, tangible dès
l’été 2007, devenue inquiétante à la fin de l’été 2008 avec la
faillite, annoncée et acceptée, de la banque d’affaires américaine
Lehman Brothers le 15 septembre 2008. Au début de l’année
2010, le gouvernement dirigé par François Fillon, tout en se
défendant de mener une politique de rigueur budgétaire,
revendiquait une austérité présentée comme nécessaire. C’est
dans ce cadre qu’intervenait le scandale Woerth--Bettencourt : le
dévoilement d’un argent caché – celui de la corruption présumée –
donnait « l’idée que la rigueur ne concern[ait] pas tout le monde »,
selon Roland Cayrolxxx.
Le coût collectif des réformes de l’État social entreprises sous la
mandature de Nicolas Sarkozy était, en somme, fortement accru
par les répercussions de la crise financière. Celle-ci, mondiale en
2007-2008, avait largement déstabilisé les finances publiques
dans l’Union européenne l’année suivante, en 2009. Les
conséquences s’étaient nettement fait sentir, en France, sur le
marché de l’emploi, à partir de la fin de l’année 2008
approximativement. Elles commençaient à peser très lourdement
sur le budget de l’État à partir de l’année 2009, si bien que la
crainte anticipée d’une hausse des impôts était diffuse dans
l’opinion française dès le début de l’année 2010. Dans la
deuxième quinzaine de juin 2010, le scandale éclatait, sur fond de
rumeurs de fraude fiscale. C’est Éric Woerth lui-même, après tout,
qui avait attiré l’attention de l’opinion sur cette question dès l’été
2009, avant que la fraude fiscale imputée à Liliane Bettencourt et
à son entourage ne l’atteigne, par un ricochet imprévisible.
Cette question était devenue très sensible, eu égard à
l’évolution de la fiscalité pendant la période récente, surtout à
partir de 2002-2003. En effet, cette fiscalité était devenue bien
plus avantageuse pour les plus hauts revenus, à cause de
plusieurs mesures. On peut rappeler la baisse du taux marginal le
plus élevé de l’impôt sur le revenu, passé de 54 % en 1998 à
40 % en 2006. De même, l’abattement de 20 % sur les revenus du
patrimoine en 2006 a-t-elle avantagé en premier lieu les foyers
fiscaux les plus fortunés. Il faudrait compter également avec la
baisse des droits de succession. Enfin, c’est la mesure qualifiée
de « bouclier fiscal », limitant à 50 % des revenus les impositions,
qui a suscité le plus de controverses. Selon Camille Landais,
« l’évolution de la fiscalité ne peut qu’avoir assez fortement
amplifié au niveau des revenus disponibles » – soit après impôts –
« la forte explosion des inégalités de revenus primaires » mise en
lumière dans ses travauxxxxi.
En un mot, la politique fiscale adoptée par les gouvernements
successifs, depuis 2002, facilitait l’enrichissement plus rapide de
cette minorité des contribuables les plus aisés, dont la situation,
en termes de revenus, divergeait de plus en plus de la très grande
majorité des contribuables français. Or, dès sa victoire aux
élections présidentielles de 2007, des événements mineurs, mais
jugés significatifs par une partie de l’opinion publique, donnaient à
penser qu’existait une collusion d’intérêts entre le nouveau chef de
l’État, Nicolas Sarkozy, et cette minorité fortunée, en voie
d’enrichissement six à sept fois plus rapide que 90 % des
Français. Ce sont ces événements d’apparence anecdotique qui
ont fourni le terreau sur lequel l’affaire Woerth--Bettencourt allait
prospérer. Perçus comme des symboles de collusion avec une
« oligarchie », selon Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot,
ces événements mineurs jetaient, dans les esprits, les fondements
d’un scandale de corruption, dans lequel le chef de l’État parut
impliqué, à partir des 5-6 juillet 2010.
Parmi ces anecdotes symboles de collusion, celle qui fut jugée
comme la plus significative dans l’opinion est peut-être le dîner
donné, le soir du deuxième tour de l’élection présidentielle de
2007, par Nicolas Sarkozy au restaurant le Fouquet’s. Il n’est pas
neutre que deux journalistes aient consacré un livre à ce
dînerxxxii. On peut y voir un témoignage, indirect, de l’attention
que ce repas suscita. Si ce dîner, célébrant la victoire électorale
aux présidentielles, défraya la chronique, c’est en raison de la liste
des invités – au nombre de 55. En mettant de côté les membres
de la famille de Nicolas Sarkozy, les personnalités politiques, au
nombre de neuf, étaient en minorité. Moins nombreuses que les
onze invités liés aux médias – hommes et femmes de presse et de
télévision – et au cinéma. La catégorie la plus importante
numériquement était celle des vingt personnalités liées aux
grandes entreprises, la plupart comme présidents de groupes :
Bernard Arnault, président du groupe LVMH, Martin Bouygues,
président du groupe Bouygues, Antoine Bernheim, président de la
compagnie d’assurances Generali, Vincent Bolloré, PDG d’Havas,
Serge Dassault, PDG du groupe Dassault, Jean-Claude Decaux,
PDG du groupe portant son nom, Patrick Kron, PDG du groupe
Alstom, Henri Proglio, PDG de Veolia, ancienne Compagnie
générale des eaux, sont quelques-uns des noms qui revenaient
avec le plus d’insistance. Cette liste, composée par Nicolas
Sarkozy et son épouse, était réputée en dire « beaucoup du
système Sarkozy »xxxiii. Cette cinquantaine d’invités était
présentée comme « le noyau dur du sarkozysme », révélant en
somme sa vérité profonde : celle d’une entente, voire d’une
collusion, entre un petit nombre de dirigeants économiques et un
cercle restreint de personnalités politiques autour du président de
la République.
L’extrême-gauche a pu dénoncer, dès la fin de l’année 2007 et
le début de l’année 2008, la mainmise opérée par « la bande du
Fouquet’s » sur le pays. Le 10 janvier 2008, la dirigeante
communiste Marie-Georges Buffet, ancienne ministre, déclarait :
« Notre combat politique, notre combat contre la “bande du
Fouquet’s”, cette alliance de la finance et du populisme, ce n’est
pas seulement un combat revendicatif, c’est aussi un combat
éthique, c’est un combat de société. »xxxiv
L’expression « bande du Fouquet’s » s’est rapidement diffusée
au sein des gauches. Elle faisait bien plus que désigner les
participants à ce dîner : elle prétendait présenter la vérité d’un
système de pouvoir reposant sur une alliance d’intérêts entre une
partie du grand patronat et les proches du président de la
République.
Au printemps 2009, l’hebdomadaire Marianne a pu consacrer un
numéro au « réseau qui tient la France », avec, en page de
couverture, une question toute rhétorique : « Faut-il dissoudre la
bande du Fouquet’s ? »xxxv L’expression, à forte charge
polémique, était à double sens : elle renvoyait bien entendu à
l’idée d’une entente entre des groupes, d’un côté des dirigeants de
grandes entreprises et de l’autre côté des dirigeants de l’UMP.
Mais cette expression évoquait aussi des liens plus personnels,
noués entre le chef de l’État et certains patrons. Ainsi, lorsqu’Henri
Proglio, PDG de Veolia, fut nommé à la tête d’EDF, certains y
virent la confirmation de l’existence de la « bande du Fouquet’s ».
Comme l’écrivit, alors, le député socialiste Jean-Louis Bianco,
« on assiste une fois de plus à l’installation d’un proche du
président de la République dans les postes de responsabilités de
la société française »xxxvi. Dans le même ordre d’idées, chaque
distinction honorifique remise, par la suite, à l’un des invités au
dîner de mai 2007, a pu être lue a posteriori comme la preuve que
les amis personnels, soutiens du Président, se voyaient
récompenser, notamment par la légion d’honneurxxxvii.
Dans ce contexte, l’expression « bande du Fouquet’s » faisait
ressurgir, à gauche, un imaginaire de la collusion d’intérêts entre
gouvernants et patronat. Mutatis mutandis, on n’était pas très
éloignés, dans le fond, de certains mythes politiques existant dans
la France de la première moitié du e siècle, et en particulier du
mythe des « deux cents familles » associées, on l’a vu, par la
gauche des années 1930 à la « féodalité financière » dominant le
pays. Il faut ici s’entendre sur le sens des termes employés. Un
mythe politique, partie d’un imaginaire collectif, est une version
simplificatrice, et affabulatrice, de réalités plus complexes et
ambivalentes. Dans ce cas, les réalités sont multiples : la
croissance des inégalités et la remontée du chômage, dès la fin
de 2008, conjuguaient leurs effets avec une série de mesures
fiscales très avantageuses pour les plus fortunés. Culminant avec
la réforme du système de retraite entreprise en 2010, les
différentes réformes de l’État social engagées depuis 2007 avaient
suscité de nombreuses protestations. Enfin, les conséquences de
la crise bancaire et financière de 2007 et 2008, notamment la
déstabilisation des finances publiques européennes en 2009,
avaient pesé très lourdement sur le budget de l’État, dans le sens
d’une rigoureuse austérité. Tout cela n’est évidemment pas un
mythe. En revanche, imaginer que le gouvernement du pays était
entre les mains de la « bande du Fouquet’s » ; penser que la
politique suivie depuis le printemps 2007 visait, systématiquement,
à privilégier une « oligarchie », c’était donner une version
simplifiée, et mystificatrice, d’une réalité plus complexe.
La diffusion de cet imaginaire s’expliquait aussi par l’attitude
nouvelle de Nicolas Sarkozy vis-à-vis des dirigeants économiques
qui le soutenaient, eu égard aux attitudes de ses prédécesseurs,
sans doute plus discrets sur ces liens. Il ne s’agissait pas tant de
la réalité de ces relations, que de leur affichage, ou, pour
reprendre les approches proposées par John Thompson, de leur
« visibilité médiatisée »xxxviii. Cette visibilité des gouvernants,
propre à l’ère contemporaine, est effectivement une source assez
puissante de légitimation du pouvoir politique. Mais elle peut, tout
aussi bien, s’avérer être une source de fragilité. Dans ce cas,
l’affichage public de ses amitiés personnelles par le chef de l’État,
à l’égard de dirigeants de grandes entreprises, d’acteurs ou de
hauts fonctionnaires – comme le procureur de la République
Philippe -Courroye, on l’a vu – pouvait servir le prestige du
président de la République. De même, après les fortes ruptures
intervenues dans les années 1980, Nicolas Sarkozy a-t-il souhaité,
selon la plupart des journalistes, adopter une « attitude
décomplexée vis-à-vis de l’argent »xxxix. Cependant, la visibilité
médiatisée de ses amitiés personnelles a nourri, dans le contexte
du scandale Woerth--Bettencourt, un imaginaire de la collusion. La
« transgression du tabou » censé entourer l’argent a, quant à elle,
alimenté les soupçons de corruption.
En effet, les soupçons de versement d’argent à Éric Woerth
ainsi qu’à Nicolas Sarkozy par André puis Liliane Bettencourt
dirigeaient les médias et le public, à partir des 6-7 juillet 2010, vers
les financements de l’UMP, mais aussi d’un certain nombre de
membres du gouvernement dirigé par François Fillon. Dans cette
perspective, les médias mirent l’accent sur deux types de
structures. La première était un groupe de donateurs importants
de l’UMP : le premier cercle. Après la démission d’Éric Woerth du
poste de trésorier de l’UMP, démission conseillée publiquement
par Nicolas Sarkozy le 12 juillet 2010, l’attention se porta sur une
structure qu’Éric Woerth avait créée en 2004, en prenant pour
modèle les pratiques existant aux États-Unis. « Après le
Fouquet’s », pouvait-on lire dans Le Monde, « le premier cercle
des donateurs de l’UMP est devenu un nouveau symbole des
liens de Nicolas Sarkozy avec le monde de l’argent »xl. Composé,
semble-t-il, de 4 à 500 personnes, groupant celles et ceux qui
faisaient à l’UMP un don compris entre 3 000 euros annuels et le
plafond légal, fixé à 7 500 euros, ce groupe était convié, à
intervalles variables, à des réunions suivies de cocktails, avec des
dirigeants de l’UMP, voire des membres du gouvernement.
Le deuxième type de structures qui fit débat, dans le cadre de
l’affaire Woerth--Bettencourt, était les associations de soutien à
des personnalités politiques, qui, existant en parallèle aux partis
politiques stricto sensu, permettaient elles aussi de récolter des
fonds. Ainsi, la presse releva-t-elle que Liliane Bettencourt avait
versé 7 500 euros – le plafond légal – à l’association de soutien à
l’action d’Éric Woerth. Un donateur (ou une donatrice) pouvait
donc effectuer des dons à l’UMP, à des candidats en campagne –
pour un montant maximal de 4 600 euros –, et, pour finir, à des
structures plus petites, destinées à un homme politique en
particulier. Surnommées « micro partis » dans la presse, qualifiées
de « partis satellites » par la commission nationale des comptes
de campagne et des financements politiques, ces structures de
soutien à des élus et à des personnalités politiques se seraient
diffusées massivement.
Cela expliquerait en partie la multiplication, assez sidérante, du
nombre de partis politiques en France. « En 1990 », la
commission nationale en charge des financements politiques
« dénombrait seulement 28 partis politiques. Au 30 juin 2009, elle
en dénombrait 283. Depuis le 1er janvier 2009, pas moins d’une
quarantaine de petits partis ont été créés »xli. Selon François
Logerot, président de cette commission, « le phénomène s’est
développé au cours des dix dernières années »xlii. En un mot, en
un peu plus de dix ans, le nombre de partis politiques en France a
été multiplié par dix, sans que le plus grand nombre des Français
s’en aperçoivent vraiment.
Le scandale Woerth--Bettencourt était donc bien un révélateur,
y compris pour ces modifications lourdes de la vie politique
française. Cette multiplication du nombre de partis politiques était
la conséquence, inattendue, des lois de 1988, 1990 et 1993
organisant le financement des activités politiques et la
« transparence » de la vie publique. Il faudra y revenir. Mais cette
évolution allait au-delà : ces « micro partis », ou plutôt ces
pseudo-partis, n’étaient en fait que des structures de soutien à des
personnalités, et non des partis politiques au sens courant du
terme. Sous réserve d’inventaire et de recherches à venir, il ne
s’agissait pas d’organiser des familles de pensée autour de
programmes avec l’appui de militants, mais plutôt de récolter des
fonds. En ce sens, il existait un risque : celui de voir se substituer
aux partis politiques, lieux de formation de la volonté générale,
des structures politiques personnalisées, attentives aux intérêts
privés de leurs donateurs. N’était-ce pas, en résumé, ce qui
attisait les soupçons et les accusations dans l’affaire Woerth--
Bettencourt ?
Contingent, le scandale servit donc de lieu d’expression pour un
désenchantement ou un refus de la « promesse sarkozienne »,
selon Marcel Gauchet. Il est vrai que Nicolas Sarkozy avait,
pendant la campagne électorale de 2007, déclaré publiquement
qu’il souhaitait une « République irréprochable ». Il avait précisé
cette formule en ajoutant que « le président de la République,
c’est l’homme de la nation. Ce n’est pas l’homme d’un parti, ce
n’est pas l’homme d’un clan »xliii. Intervenant après une série
d’incidents mineurs qui se concluait par la démission de deux
secrétaires d’État le 4 juillet 2010, l’affaire Woerth--Bettencourt
faisait scandale, semble-t-il, parce qu’elle mettait à nu une
contradiction, entre ce qu’alléguaient les révélations et ce à quoi
s’était engagé le chef de l’État trois ans plus tôt. Voilà quelle était,
non pas la basse sourde et continue qui donnait sa résonance
sociale au scandale, mais son argument mélodique, son leitmotiv
politique, dans le cadre plus bref de la mandature de Nicolas
Sarkozy.

L’ambivalence des Français face à la corruption

Cependant, le scandale Woerth--Bettencourt ne provoquait pas


que des réactions d’indignation dans le public attentif à cette
actualité. Selon Frédéric Potet, dans son enquête publiée le 15
juillet, le « fatalisme » s’y mêlait, ainsi que le sentiment d’une
« impuissance »xliv. On retrouve là le premier constat dressé, en
2006, par Pierre Lascoumes, au terme d’une enquête de grande
ampleur sur les perceptions des atteintes à la probité publique.
Les jugements portés sur la corruption semblaient ambivalents. En
effet, si trois quarts des personnes interrogées estimaient que la
corruption était un phénomène grave, seul un quart « y réagi[ssait]
de façon fortement réprobatrice »xlv. En un mot, une personne
interrogée sur deux était traversée, selon Pierre Lascoumes, par
« un conflit normatif ». Cer-tains considéraient que la corruption
est « un phénomène important mais qu’ils tolèrent (réaliste
inquiet) ». D’autres minoraient « l’importance du phénomène tout
en le réprouvant fortement (réaliste fataliste) ». Les « réalistes
inquiets » constituaient 35 % des personnes interrogées en 2006
dans l’enquête dirigée par Pierre Lascoumes, et les « réalistes
fatalistes » près de 15 %.
Les éléments d’information sur l’état de l’opinion face à l’affaire
Woerth--Bettencourt, entre juin et août 2010, laissent entendre
que les réactions du public étaient à nouveau ambivalentes. On
peut présumer que, chez une majorité de Français, l’affaire
Woerth--Bettencourt était considérée comme grave, sans que cela
débouche pourtant sur une forte indignation, ou sur une
réprobation indiscutable. Certains de ces Français pouvaient,
semble-t-il, croire en la réalité de ces nouvelles allégations de
corruption, se déclarer choqués, et les tolérer par « fatalisme ».
D’autres Français, tout en condamnant vivement la corruption
politique, pouvaient, au vu des affaires passées, douter de la
réalité des accusations visant Éric Woerth et le chef de l’État, ou
de leur importance.
On bute là sur une question centrale pour les sciences sociales.
Si l’on se focalise sur les phénomènes propres au début du e
siècle, on doit constater, après Pierre Lascoumes, l’ambivalence
des jugements actuels sur la corruption politique. Si l’on prête
attention à l’évolution historique des affaires de corruption à
l’époque contemporaine, on peut penser que, après avoir
longtemps indigné, la corruption « a perdu son pouvoir de
scandaliser », pour le dire comme Paul Jankowskixlvi. Cette
question-là ne fut guère évoquée dans les débats publics, il est
vrai. Pourtant, l’affaire Woerth--Bettencourt révélait aussi un grand
changement, par rapport aux réactions des années 1880 à 1970 :
il faut bien essayer d’en rendre raison.
On doit pour cela se tourner, non vers les élus et les cadres de
partis politiques, mais vers les Français ordinaires. Les travaux,
très nombreux, menés – essentiellement dans les pays anglo-
saxons – sur la corruption conduisaient à penser que les réactions
des citoyens, face aux « affaires », dépendaient en partie de leurs
propres pratiques. Les personnes qui avaient l’habitude de
demander des services, d’intérêt privé, à des élus pouvaient faire
preuve d’une plus grande tolérance. Pour le dire autrement, la
diffusion de pratiques clientélistes chez des citoyens ordinaires
devait contribuer à expliquer la faiblesse des indignations devant
des scandalesxlvii. Qui plus est, les jugements portés sur ces
pratiques clientélistes, quand elles émanaient de citoyens
ordinaires, étaient souvent nettement moins rigoureux que les
jugements portés sur les élus. Selon plusieurs travaux anglo-
saxons, il y avait bien sûr des clivages, selon les personnes
interrogées, montrant « la diversité des attitudes vis-à-vis du
clientélisme : beaucoup le justifient comme une activité obligée
des élus, là où d’autres réprouvent par principe les inégalités de
traitement qu’il engendre »xlviii.
Compte tenu de ces orientations des recherches en sciences
sociales, l’enquête, réalisée en 2006 par le CEVIPOF, sur la
perception des atteintes à la probité publique, chez les Français,
incluait cette variable clientéliste. Présentant les premiers résultats
de cette enquête, Pierre Lascoumes notait que « seules 16,5 %
des personnes interrogées déclarent s’être adressées dans les
cinq dernières années à un élu pour résoudre un problème
personnel de type accès à un logement, emploi et conflits de
voisinage »xlix. D’un point de vue d’historien, la difficulté réside
dans le fait que ce pourcentage paraît considérable. Une enquête
réalisée sur les demandes de services d’intérêt privé, ou local,
présentées à l’un des principaux gouvernants de la France des
années 1920 et 1930, le radical Édouard Daladier, a conduit à une
estimation nettement plus basse. Les personnes s’étant
adressées, dans le département de Vaucluse, au député et
ministre, ou ancien ministre Édouard Daladier pendant une
période de 16 ans, de 1924 à la Seconde Guerre mondiale en
1939, ne représentaient pas plus de 5 % du corps électorall.
Bien entendu, cette estimation, fruit d’une analyse historique sur
la France de l’entre-deux-guerres, n’est pas comparable aux
résultats d’une enquête scientifique sur l’opinion en 2006, saisie
via un échantillon. Pour l’entre-deux-guerres, l’ordre de grandeur
de 5 % est un minimum, s’agissant des habitants du plus petit
département métropolitain. Il faudrait compter également avec les
demandes privées qui n’avaient pas transité par le secrétariat
particulier d’Édouard Daladier, ainsi qu’avec les demandes faites
verbalement, et qui n’avaient pas laissé de traces écrites dans les
archives. Cependant, même en faisant droit à ces différentes
objections, il paraît extrêmement improbable que ce type de
pratiques privées auprès d’un homme politique ait atteint le
dixième de la population concernée, pendant quinze ans. En effet,
d’autres travaux d’histoire, déjà publiés, donnent des résultats plus
faibles que ceux auxquels on est parvenu dans le cas du Vaucluse
de Daladier. Ainsi le député du Rhône Laurent Bonnevay a
semble-t-il reçu 142 courriers, traitant de demandes privées, par
an, en moyenne, durant les années 1930, soit moins que Daladier,
qui en recevait en moyenne un par jourli.
Les recherches historiques, en cours ou à venir, sur les archives
personnelles, ou fonctionnelles d’autres élus, dans d’autres
régions de France, devraient permettre d’avancer avec moins
d’incertitudes sur ce terrain encore mal connulii. L’essentiel est la
forte variation d’intensité, dans le recours officieux à des élus,
pour des raisons d’intérêt personnel. Apparemment, il y a un vrai
hiatus, entre une estimation de 5 à 10 % de la population d’un
département, pendant quinze ans entre les deux guerres
mondiales, et 16,5 % d’un échantillon de 2 000 personnes, pour
les années 2001-2005, donc pendant cinq ans.
On peut, à titre d’hypothèse scientifique probable, estimer que,
en matière de plaintes privées et de demandes de faveurs aux
élus, la situation de la France du début du e siècle est
réellement très différente de celle qui a sans doute existé sous les
Républiques parlementaires, au moins jusqu’en 1958. Cette
hypothèse, si elle venait à se confirmer, soulèverait des problèmes
scientifiques ardus, qui dépassent l’objectif plus limité de ce livre.
En revanche, elle aurait l’avantage immédiat de contribuer à
expliquer l’ambivalence actuelle des jugements portés sur la
corruption, et le déclin de l’indignation publique face à ce type de
scandales. En effet, cette différence entre la France des années
2000 et celle des années 1930, pour aller vite, joue sur d’autres
registres. Dans la France du premier e siècle, les scandales de
corruption, plus rares, pouvaient nourrir des discours critiques à
portée morale, ou moralisatrice, dans lesquels la République
parlementaire était, implicitement ou explicitement, accusée d’être
un régime corrupteur.
Le scandale Stavisky, pour s’en tenir à un exemple déjà évoqué,
a conduit certains conservateurs à tenir un discours critique
beaucoup plus général, vitupérant une République radicale
associée aux classes moyennes, et à des pratiques d’influence de
type clientéliste. Ainsi, en 1934, Daniel Halévy, dans un essai
célèbre, intitulé La République des comités, dénonçait-il une
République radicale « distributrice d’emplois publics », épousant
une doctrine qualifiée de secrète : « la trame serrée des menus
intérêts » que les élus radicaux étaient censés satisfaire,
contribuant ainsi au « pillage » de l’Étatliii. Deux ans plus tard, en
1936, André Tardieu, ancien chef de gouvernement, homme de
droite, dénonçait l’absence d’égalité dans le pays : « Tout le
monde en France, vous le savez bien, se fait recommander. […]
Cela signifie que, ne croyant plus au droit, on ne compte que sur
le passe-droit ou, comme on dit, sur le piston. […] Le régime de la
faveur, négation de l’égalité, a corrompu les citoyens, après avoir
pourri les fonctionnaires »liv. Sans chercher à établir de parallèles
hâtifs, on peut penser que ce type de discours critiques, pointant,
sur fond de scandales de corruption, des pratiques de « piston »
jugées dangereuses pour le pays, n’a plus cours dans la France
de 2010. En tout cas, on n’en a pas trouvé de traces aussi
vigoureuses chez des acteurs équivalents, gouvernants ou
intellectuels.
À suivre les premiers résultats de l’enquête de 2006, les
personnes interrogées réprouvaient fort peu la plupart des
pratiques de favoritisme, via des demandes d’intérêt privé
envoyées à des élus. Cette tolérance allait bien au-delà du groupe
minoritaire – 16,5 % de l’échantillon – qui déclarait s’être ainsi
adressé à un élu durant les cinq dernières années. Selon Pierre
Lascoumes, « demander une lettre de recommandation à un élu
pour obtenir une place en crèche » était jugé comme pas grave ou
peu grave par 72,3 % des personnes interrogéeslv. Dans le même
ordre d’idées, s’adresser à un élu déjà connu pour intercéder en
faveur d’un ami cherchant du travail « est considéré comme peu
grave par 70,2 % des personnes interrogées ». En revanche, « le
fait pour un élu de suggérer à un chômeur d’adhérer à son parti
pour obtenir un poste d’employé municipal est réprouvé
fortement » : si l’élu est de gauche, à 68 %, s’il est de droite, à
70,5 %. S’agissant d’échanges privés et intéressés entre électeurs
et élus, la limite entre tolérance et réprobation était tracée assez
facilement par les personnes interrogées. C’est la dimension
clientéliste de ces échanges qui était condamnée, alors qu’en
pratique, les interventions des élus en faveur de personnes
privées semblaient largement tolérées, voire considérées comme
normales.
De ce point de vue aussi, la situation de la France des années
2000 paraît très éloignée de celle qui existait avant 1940, et sans
doute avant 1958. Au vu d’un certain nombre de courriers
échangés entre particuliers – pas tous citoyens – et élus dans la
France des années 1890 à 1940, les demandes de services
d’intérêt privé comportaient le plus souvent une dimension
politique apparente. Cela a, sans doute, été presque systématique
en France jusqu’à la Grande Guerre : la règle implicite était, en
quelque sorte, de demander un service parce que l’on était un
« bon républicain » ou un « fidèle électeur ». Ce n’est qu’après la
Grande Guerre que ce schéma clientéliste, répondant à une
persistance des patronages démocratiques, s’est peu à peu défait,
sous le coup de plusieurs phénomènes : les évolutions du
système électoral, les séquelles de la Première Guerre mondiale,
et les contrecoups de la récession économique des années
1930lvi. En revanche, la mention des affiliations, voire des amitiés,
politiques dans les demandes adressées aux élus, sous des
formes d’ailleurs diverses, n’a pas disparu du jour au lendemain,
entre le début des années 1920 et la fin des années 1930. En un
mot, les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête de
2006 paraissaient opérer une séparation très nette entre une
fonction officieuse reconnue aux élus – rendre des services privés
– et la nature clientéliste de ces échanges – la contrepartie
politique des services rendus. Telle quelle, cette forte séparation
aurait été presque impensable avant la Grande Guerre, et
difficilement avouable, sinon compréhensible, jusqu’en 1940, voire
1958.
En résumé, il est difficile d’apprécier les réactions de l’opinion
publique face à un scandale mettant en scène une corruption
présumée : l’affaire Woerth--Bettencourt, sans prendre en compte
les perceptions plus générales des pratiques de faveur en
politique. De ce point de vue, les évolutions historiques paraissent
avoir été très fortes. Les pratiques informelles de demandes de
services d’intérêt privé aux élus semblent s’être largement
diffusées dans la société française, par rapport à la situation qui
existait – vraisemblablement – durant le premier e siècle. Les
perceptions de ces échanges, dans leur dimension clientéliste ou
politique, sont sans doute bien différentes de ce qu’elles étaient
auparavant, même si les patronages démocratiques, entrés en
crise pendant les années 1930, n’étaient pas d’une solidité à toute
épreuve. Le corollaire de ces évolutions est la quasi-disparition
des discours critiques, tenus par des gouvernants comme par des
intellectuels, sur une République accusée de favoriser le
« piston » ordinaire et, partant, de corrompre les citoyens.
Quelle que soit la perspective adoptée, on a le sentiment que,
lorsque l’on parle de scandale de corruption politique, il n’est plus
vraiment question, en 2010, du même phénomène que dans la
France des années 1880 à 1950, ou 1970. C’est donc à la fin du
e siècle que l’essentiel des changements se serait produit :
l’affaire Woerth--Bettencourt, telle qu’elle émergea de l’actualité en
juin et juillet 2010, semble être le résultat d’un processus
historique amorcé dans les années 1980.
4

La grande mutation de la « transparence »


(1978-2009)
« C’est ainsi que les relations entre les hommes se
départagent sur la question du savoir réciproque : tout ce
qui n’est pas dissimulé peut être connu, et tout ce qui n’est
pas révélé ne doit pas non plus être connu. »
Georg Simmeli

Comprendre ce qui, dans une affaire de corruption politique


présumée, a attiré l’attention dans la France de 2010, saisir en
quel sens – limité – cette affaire a pu provoquer le scandale, tout
cela implique de revenir sur des changements qui, après une
période de vingt-cinq à trente ans, semblent devenus en 2010 de
l’ordre de l’évidence. Pourtant, à relire cette actualité avec un peu
de distance, il s’agit bien d’une forte mutation de nos sensibilités.
L’un des points les plus remarquables de ces évolutions concerne
les attitudes individuelles et collectives face à la « transparence »
et au secret. Dans son point de départ, ce qui n’était pas encore le
scandale Woerth--Bettencourt relevait, comme on l’a dit, d’un
conflit familial, entre d’un côté une mère, Liliane Bettencourt, et de
l’autre sa fille, Françoise Meyers-Bettencourt, sans négliger le
poids de leurs entourages respectifs. La stratégie de
communication de l’un des avocats a consisté, en juin 2010, à
rendre publics des enregistrements, certes illégaux, mais qui
étaient surtout des enregistrements de conversations privées,
voire intimes, tenues entre Liliane Bettencourt et les membres de
son entourage proche, à son domicile. La construction du
scandale a d’abord répondu à la rupture d’une intimité familiale.
Pour le dire comme la rédaction du journal Le Monde, il y avait
« des secrets de famille au cœur du scandale public »ii. Cela n’est
pas en soi un phénomène nouveau : dans son étude sur les
scandales en Allemagne et en Grande-Bretagne entre 1880 et
1914, Frank Bösch a bien montré que la construction de « secrets
publics » se trouvait au cœur de ces phénomènesiii.
Ce qui, en revanche, a changé, ce sont les normes qui
président à la protection des « secrets de famille ». Il s’agit peut-
être autant, d’ailleurs, des normes juridiques et légales, que des
règles sociales et culturelles, souvent informelles, selon lesquelles
s’opère le partage entre privé et public. Comme on le sait, « la
frontière » est « mouvante selon le temps et le lieu entre le dit et le
non-dit »iv. Les deux scandales auxquels la famille Bettencourt fut
confrontée entre 1990 et 2010 témoignent de cette évolution. On
pouvait lire en 1995 dans la presse, que « de rémissions en
rebondissements, l’affaire l’Oréal n’en finit pas de s’éterniser »v.
Cette autre « affaire l’Oréal », ou scandale autour d’André
Bettencourt, portait sur une question bien différente de celle que
l’affaire Woerth--Bettencourt souleva en 2010vi. La comparaison
entre les deux « affaires » éclaire ce qui a peu à peu changé. Des
lendemains de la Libération, après 1944-1945, jusqu’à la fin des
années 1980, les liens entre « non-dits de la famille »vii Schueller-
Bettencourt d’une part, et les amitiés politiques de ses membres,
de l’autre, n’ont pas fait l’objet de révélations. C’est à partir du
début des années 1990 que ces liens entre « secrets de famille »
et réseaux politiques ont été peu à peu constitués en objets de
scandales publics. Amorcé entre 1991 et 1995, ce phénomène
culminait en 2010.
L’histoire du groupe l’Oréal est relativement bien connueviii. Le
fondateur du groupe, le chimiste Eugène Schueller, père de Liliane
Bettencourt, a fondé sa première entreprise en 1909 – la société
française de teintures inoffensives pour cheveux, devenue
l’Auréale, puis l’Oréal –, avant de faire fortune entre les deux
guerres mondiales, en rachetant – notamment – la marque
Monsavon en 1928. Industriel et homme de la droite nationaliste, il
fut proche, après 1934, de l’ingénieur-conseil Eugène Deloncle,
fondateur de petits groupes d’une extrême-droite radicale et très
activiste, plus connus sous le sobriquet de la « Cagoule ». Liées
aux services secrets de l’Italie fasciste et aux nationalistes
espagnols, ces organisations, responsables de plusieurs
assassinats et d’au moins un attentat terroriste en 1936-1937ix,
échouèrent à prendre le pouvoir en France par un putsch à
l’automne de 1937x.
Après la défaite et la création du régime de Vichy, une majorité
d’anciens « cagoulards » se retrouva engagée dans la
collaboration, souvent au sein du Mouvement Social
révolutionnaire – le MSR – créé par Eugène Deloncle à l’automne
1940. Ce groupuscule, un temps intégré au Rassemblement
national populaire de Marcel Déat, cessa à peu près d’exister en
1942. C’est à ces groupes que « l’on doit sans doute, entre autres
méfaits, les attentats contre les synagogues de Paris et
l’assassinat de l’ancien ministre socialiste Marx Dormoy »xi.
Certains, parmi les plus activistes, partirent se battre aux côtés de
l’armée allemande contre l’URSS. Ce fut le cas de l’un des
lieutenants de Deloncle, Jacques Corrèze, qui s’engagea dans la
LVF – la légion des volontaires français contre le bolchevisme – et
intégra la division Charlemagne à l’été 1944.
Un faisceau de présomptions incite à penser que le fondateur
du groupe l’Oréal, Eugène Schueller, fut l’un des industriels
français qui soutinrent et financèrent, en 1935-1937, la
« Cagoule ». Il semble également qu’Eugène Schueller fut l’un des
bailleurs de fonds du MSR en 1940-1941. Les traces de cette
affiliation et de ce soutien dans les archives judiciaires ne sont pas
« absolument manifestes », pour le dire comme Philippe
Bourdrelxii. Les traces du « fugace et à peine collaborationniste »
Eugène Schueller semblent plus nettes dans les archives
policières, selon Annie Lacroix-Rizxiii.
À la Libération, Eugène Schueller fut inquiété pour son soutien à
la politique de collaboration, notamment des subventions
apportées au journal La Terre française, de 1940 à 1942. À la fin
de 1946, le comité régional interprofessionnel d’épuration dans les
entreprises envisagea de lui interdire tout poste à responsabilité
dans le secteur des industries chimiques. Un certain nombre de
ses connaissances et amis contribuèrent à ce que ces mesures
soient abandonnées. Parmi ces relations, figuraient notamment
Pierre Guillain de Bénouville, André Bettencourt et François
Mitterrand. Ce dernier était lié d’amitié avec certains membres de
l’ancienne « Cagoule ». En 1945, François Mitterrand fut, assez
brièvement, dirigeant des éditions du Rond Point. Faisant partie
du groupe l’Oréal, cette entreprise publiait le journal Votre beauté.
Il abandonna ce poste pour commencer sa carrière politique et
devint sous-secrétaire d’État en 1948. La même année, Jacques
Corrèze fut condamné deux fois : pour intelligence avec l’ennemi
en temps de guerre, mais aussi pour son rôle dans la conspiration
de la « Cagoule ». En dépit de ces deux condamnations à dix ans
de prison, confondues en une, il sortit de détention en 1949, avant
d’être amnistié en 1959. En 1949, il fut embauché par Eugène
Schueller, et mena l’essentiel de sa carrière à l’étranger, comme
responsable du développement du groupe l’Oréal en Amérique
latine puis aux États-Unis, jusqu’à son décès, en 1991. En 1950,
André Bettencourt épousait Liliane Schueller. L’un et l’autre prirent
les rênes du groupe l’Oréal après le décès d’Eugène Schueller en
1957.
Tout cela n’était pas ignoré, quoique non connu dans le détail.
Des informations étaient disponibles, tant sur les accointances
d’Eugène Schueller et d’Eugène Deloncle, que sur l’entrée brève
de François Mitterrand dans le groupe l’Oréal, ou sur la place
importante qu’y occupait Jacques Corrèze. Pourtant, même si cela
peut surprendre un lecteur de 2011, cela ne fit pas non plus
scandale, une fois passées les premières années de la Libération
et de l’après-guerre. On pourrait l’expliquer par des raisons d’ordre
politique : André Bettencourt fut un parlementaire important, élu
pour la première fois député de Seine-Inférieure en 1951, et réélu
jusqu’en 1977. Il acheva sa carrière politique comme sénateur, de
1977 à 1995. Surtout, André Bettencourt fut ministre, brièvement
comme sous-secrétaire d’État dans le gouvernement dirigé par
Mendès France puis, beaucoup plus longuement, de 1966 à 1973.
Ce rôle de gouvernant s’est doublé d’amitiés avec plusieurs
présidents de la République, Georges Pompidou et François
Mitterrand au premier chef. Mais l’on conviendra que, au regard
de l’expérience des scandales des vingt-cinq dernières années,
cette stature politique de l’homme d’affaires André Bettencourt
avait tout pour l’exposer davantage aux risques d’une révélation
publique. Cela ne fut pas le cas avant la charnière des années
1980 et 1990, lorsque éclata ce qu’il est convenu d’appeler
« l’affaire Dalle Frydman ».

« L’impératif de transparence » : genèse d’une norme (1978-


1995)

L’une des raisons profondes pour lesquelles il n’y eut pas de


scandale autour de la famille Schueller-Bettencourt avant 1991-
1993 est sans doute que les normes culturelles et sociales
départageant le dit et le non-dit étaient différentes de ce qu’elles
sont devenues au début du e siècle. On peut s’en faire une idée
assez juste en partant d’une remarque formulée en 1908 par
Georg Simmel, sur « ce qu’on appelle aujourd’hui, dans les
couches supérieures cultivées, “faire connaissance”, tout
simplement »xiv. Selon le sociologue allemand, cette
connaissance « est le véritable siège de la “discrétion” » : il ne
s’agit pas de respecter le « secret de l’autre », mais, par
convenance sociale, de « s’abstenir de connaître tout ce que
l’autre ne révèle pas positivement ». On peut admettre, à titre
d’hypothèse, que cette norme culturelle de discrétion, dont Simmel
notait en 1908 qu’elle était relativement nouvelle sous cette forme,
s’est à peu près maintenue, en dépit de tensions, jusque dans les
années 1980 en France.
Les affaires entourant la famille Schueller-Bettencourt semblent
témoigner que ces normes culturelles ont profondément évolué à
partir de la fin du e siècle. La première « affaire l’Oréal » éclatait,
en 1991, sur fond de remontée du passé, en particulier celui
d’André Bettencourt. Encore ne s’agissait-il pas de révélations,
quelquefois intimes, venant d’un conflit interne à cette famille, et
exposant des relations jugées corrompues avec des hommes
politiques. C’est cela qui fit scandale en 2010. Dissemblables, ces
deux affaires indiquaient néanmoins qu’un même processus
général était en cours : la remise en cause, par à-coups, de la
norme héritée de discrétion. Celle-ci avait jusqu’alors favorisé, par
abstention, le « secret de l’autre ». Cette remise en cause avait
pour corollaire la genèse d’une norme largement contradictoire,
celle de la « transparence ».
Le terme de transparence, employé comme synonyme de
public, et comme antonyme d’opacité, était présent dans la langue
française probablement dès les années 1960. Pourtant, il ne
commença vraiment à se répandre que durant les années 1980.
Un certain nombre de contemporains ont imputé aux gauches,
arrivées au pouvoir en 1981, ce projet d’instaurer, dans la vie
publique, une transparence, comme principe général. À regarder
les choses de plus près, il semble que cette exigence était
présente à droite dès la fin des années 1970, notamment autour
du président de la République Valéry Giscard d’Estaing. D’où
provenait, sous cette forme, cette norme visant à la transparence
de la vie politique ? Comme l’on s’en doute, cette idée n’était pas
absolument nouvelle : elle s’inscrivait dans une histoire de plus
longue durée, et renvoyait à une exigence structurante dans la
pensée républicaine.
Si l’exigence de publicité ressort d’une histoire longue, il ne faut
pourtant pas sous-estimer la portée des ruptures qui se sont
manifestées, dans la société française, à partir de la fin des
années 1970. Ce sont ces mutations qui ont pesé d’un poids
déterminant dans la façon, neuve, dont la question de la
corruption s’est trouvée poséexv. À partir de la fin des années
1970 environ, la « transparence » a déplacé la frontière entre
sphère publique, sphère privée et domaine du secret en politique.
Dès la fin des années 1970, un processus de remodelage du
secret légal était amorcé. Il eut de multiples conséquences et
traductions. La première fut, sans doute, la création en juillet 1978
de la commission d’accès aux documents administratifs, inspirée
par l’idée d’une liberté d’accès aux informations publiques, comme
aux documents produits par l’administrationxvi. Le rôle de cette
commission, instituée comme une autorité indépendante, était, il
est vrai, d’ordre consultatif. Mais il s’agissait alors du début d’un
processus. L’étape suivante vit la création d’un nouveau statut des
archives publiques : la loi de janvier 1979, libérale en esprit,
prévoyait des délais de communication des documents, variables
selon le type d’informations, en clair de secrets, qui étaient censés
s’y trouverxvii. Une autre de ces conséquences fut, en 1979-1980,
la création d’une nouvelle classification des secrets intéressant la
défense nationale. Avec l’arrivée au pouvoir de la gauche, en
1981, on assista à l’abrogation de certaines juridictions spéciales,
où le secret jouait un rôle important. On songe à la disparition de
la cour de sûreté de l’État, compétente en matière de complots et
d’attentats, en 1981xviii.
Ce travail profond et ample de redéfinition s’appuya sur une
expertise juridique et universitaire. On peut penser en particulier à
l’enquête demandée par le ministère de la Justice, dont les
résultats furent publiés en 1981 en deux volumes, le premier
intitulé Figures du secretxix, le second La justice et les fonctions
sociales du secretxx. Les réformes des années 1978-1981, les
interrogations des juristes sur les fonctions du secret dans la vie
publique allaient finalement dans le même sens : celui d’un souci
proclamé de « transparence administrative »xxi. Celle-ci reposait
sur la notion de droit à l’information des citoyens : dès le milieu
des années 1980, il était clair, aux yeux d’un certain nombre de
juristes et d’hommes politiques, que ce droit remettait « le secret
en question »xxii. Cela est parfaitement exact : on en a vu
l’importance dans les débuts de l’affaire Woerth--Bettencourt.
C’est ce droit à l’information qui rendait légitime, dans
l’ordonnance en référé rendue, le 1er juillet 2010, par le tribunal de
grande instance de Paris, la publication des « enregistrements
secrets ». Ces modifications profondes des règles légales
témoignaient, en 1978-1985, des changements lourds dans les
normes, culturelles et sociales, qui opéraient le partage entre la
sphère du public et « l’à-part-soi et le privé »xxiii.
La première « affaire Bettencourt », surnommée en 1991
« affaire Dalle Frydman » dans les médias, en est l’illustration.
L’homme d’affaires Jean Frydman, juif et ancien résistant, connu
pour avoir été l’un des dirigeants de la radio Europe 1, aurait été
évincé ou démissionné en 1989 du conseil d’administration de la
société Paravision, filiale du groupe l’Oréal, sur pression du
bureau de la Ligue arabexxiv. En novembre 1991, le président
directeur général du groupe l’Oréal, François Dalle, fut inculpé de
« complicité de faux et usage de faux, et discrimination raciale
rendant plus difficile l’exercice d’une activité économique ». En
décembre 1991, la confrontation, dans le bureau du juge
d’instruction, entre Jean Frydman et François Dalle, ne permit pas,
selon les médias, de résoudre le conflitxxv. Révolté par l’attitude
de la direction du groupe l’Oréal, niant les appels de la Ligue
arabe à un boycott antisémite, Jean Frydman mit en avant le
passé d’Eugène Schueller, ainsi que celui d’André Bettencourt. Ce
dernier avait publié en 1941 plusieurs articles dans le journal La
Terre française, dont des textes nettement antisémitesxxvi. Ces
révélations coïncidèrent avec l’ouverture d’une enquête, aux
États-Unis, sur le passé de Jacques Corrèze, qui mourut à Paris
en juin 1991.
En un mot, cette affaire « Dalle-Frydman » transformait en objet
de scandale ce qui avait été, jusque-là, couvert assez largement
par une norme sociale de discrétion. Celle-ci n’était, semble-t-il,
plus admise désormais. À la fin de 1994, André Bettencourt
démissionnait du conseil d’administration du groupe l’Oréal,
officiellement pour raison d’âge. Il avait plaidé, un peu en vain,
pour que l’on ne tienne pas compte de ces textes de 1941,
autrement que comme des erreurs de jeunesse. « “J’ai toujours dit
que je regrettais ces écrits”, avait-il déclaré en 1995. »xxvii Ce
scandale intervenait à un moment où François Mitterrand, alors
président de la République, défrayait la chronique, en raison de
révélations autour de son passéxxviii. En effet, en 1994, le
journaliste Pierre Péan, devenu biographe du chef de l’État avec
l’assentiment de celui-ci, publia un ouvrage qui fit scandale.
Intitulé Une jeunesse française, ce livre, portant sur la jeunesse de
François Mitterrand, de 1934 à 1947, revenait sur des points qui
étaient déjà connus des historiens et de certains contemporains,
notamment les liens d’amitié de François Mitterrand avec des
membres de la « Cagoule », ou le fait qu’il avait été décoré de
l’ordre de la francisque par le maréchal Pétain en 1943, avant de
s’engager dans la résistancexxix. Cette remontée à la surface des
années noires, sous forme de révélations scandaleuses, obéissait
à des phénomènes complexes, qui ne s’apparentaient pas
uniquement à un retour mémoriel du refoulé. Il s’agissait aussi,
plus simplement, d’un déplacement de la frontière entre dit et non-
dit, sous le coup de ce qui devenait « l’impératif de
transparence ».
Aux yeux de certains observateurs, la transparence, devenant
un impératif culturel, présentait des risques. On songe, exemple
parmi d’autres, à un volume de la célèbre collection « Que sais-
je ? », qui comptait depuis 1952 un titre sur les sociétés
secrètesxxx. Cette collection s’enrichit d’un volume consacré au
secret en 1998xxxi. Ce texte s’achevait par une critique,
argumentée et en règle, de la transparence et des acteurs qui,
peu ou prou, s’étaient lancés « dans cette croisade », selon les
termes de l’auteur, Yves-Henri Bonello, avocat à la cour d’appel.
L’une des critiques les plus fortes consistait à montrer que la
transparence ne se limitait pas à la vie publique, mais qu’elle
transgressait les frontières de la sphère privée. « Entre les grippes
de Georges Pompidou et le cancer de l’un de ses successeurs » –
François Mitterrand donc –, « la tyrannie de la transparence s’est
propagée, n’épargnant personne : des personnages totémiques
aux plus humbles des sujets. »xxxii
Dans le cas de la famille Bettencourt, le travail de la
transparence – entendue comme une norme culturelle nouvelle –
semble, rétrospectivement, avoir produit de fortes ruptures entre
1989 et 1995. C’est le scandale suivant, donc l’affaire Woerth--
Bettencourt en 2010, qui a mis au jour les fractures apparues plus
de quinze ans auparavant. Selon un article publié à la fin du mois
d’août 2010, au terme d’un entretien avec Jean-Pierre Meyers et
Françoise Meyers-Bettencourt, celle-ci « ne connaissait pas
précisément le passé de son père », avant que n’éclate l’affaire
Dalle – Frydman en 1989-1991xxxiii. Françoise Bettencourt a
épousé en 1984 Jean-Pierre Meyers, de confession juive. « Son
arrière-grand-père était le rabbin Jules Bauer. Son grand-père, le
rabbin Robert Meyers, et son épouse, sont morts à Auschwitz. »
Apprenant, par le biais du scandale Dalle-Frydman, quel était le
passé de Jacques Corrèze, Jean-Pierre Meyers aurait obtenu son
départ de la direction de l’Oréal. Les deux enfants de Jean-Pierre
Meyers et Françoise Meyers-Bettencourt sont élevés dans la
religion juive. On devine quels échos durent avoir les déclarations
d’André Bettencourt sur les regrets que lui donnaient ses erreurs
de jeunesse.
Entre 1989 et 1995, le travail de la transparence, par le biais
d’un scandale, contribua probablement à faire éclater des
« secrets de famille », au sein des familles Bettencourt et Meyers.
La mort de François Mitterrand en janvier 1996 mettait fin,
également, à une amitié personnelle de longue durée entre
l’ancien chef de l’État et André Bettencourt, ancien parlementaire
et ancien ministre. Selon la presse, en 2010, Françoise Meyers-
Bettencourt et Jean-Pierre Meyers sont « inconnu[s] des réseaux
politiques ». En revanche, il paraît tout à fait vraisemblable que
Liliane Bettencourt ait conservé, de cette histoire longue et très
mouvementée, une habitude ou une culture de l’entre-soi avec
des hommes politiques, reposant sur des relations privées avec
des gouvernants. Or cette forme de sociabilité particulière n’était
plus perçue du tout de la même manière dans la société française.
La multiplication des affaires de corruption à partir de 1986,
environ, avait engendré de nouvelles règles sur la « transparence
financière de la vie politique ». Les normes légales avaient changé
et, avec elles, les perceptions de ce qui constituait la corruption
politique.

Les « affaires » et les modifications de la vie politique


(1988-2002)
Certaines règles légales créées dans les années 1988 à 1993
montrent bien comment s’est alors opéré le passage de la norme
de transparence à la lutte contre la corruption. La loi du 11 mars
1988 porte sur la transparence financière de la vie politique. Elle
fut complétée, le 15 janvier 1990, par la loi relative à la limitation
des dépenses électorales et à la clarification du financement des
activités politiques. Ce texte a prévu d’instaurer des aides
publiques directes aux candidats comme aux partis politiques. La
contrepartie, importante, était que les dépenses de campagnes
électorales étaient plafonnées, les dons de personnes privées
étaient réglementés – avec des plafonds de versements, et les
dons de personnes morales, comme des associations ou des
syndicats, interdits, en dehors des partis politiques bien entendu.
Enfin, les élus étaient tenus de remplir une déclaration sur leur
situation patrimoniale. Une commission nationale des comptes de
campagne et des financements politiques était instituée, afin de
procéder à la vérification des comptes, des élus comme des partis
politiques. Trois ans plus tard, en 1993, était adopté le premier
instrument législatif explicitement destiné, dans cette période
récente, à la lutte contre la corruption. Il s’agit de la loi du 29
janvier 1993 « relative à la prévention de la corruption et à la
transparence de la vie économique et des procédures
publiques »xxxiv. Ce texte créait un service central de prévention
de la corruption qui, fonctionnant comme un organe
interministériel, était placé auprès du ministre de la Justice. Ce
service, entre autres réalisations, devait publier chaque année un
rapport, dont aucun n’a d’ailleurs été explicitement consacré à la
corruption politiquexxxv. Cet organe destiné à la lutte contre la
corruption, né de façon ambivalente, fut emporté dès le début par
de fortes controverses juridiques et politiques. Celles-ci ont miné
son champ de compétences, et l’ont cantonné « dans un rôle
d’expertise technique » assez secondairexxxvi.
Ces nouvelles normes légales, fruits de la demande sociale et
culturelle de transparence, étaient aussi le produit d’un deuxième
phénomène : la récurrence des « affaires » de corruption politique
concernant, notamment, le financement de certains partisxxxvii. Il
ne s’agit pas, ici, de faire l’histoire de ces affaires de corruption,
déjà écrite d’ailleurs. Après Jean Garrigues, on doit constater que,
du milieu des années 1980 aux années 2000, « c’est un feu
d’artifice de scandales qui jaillissent simultanément, mêlant
corruption passive, financements occultes, emplois fictifs,
commissions exorbitantes et abus de pouvoir, à un rythme si
rapide que l’opinion en est blasée »xxxviii. Le terme générique de
corruption renvoyait, en réalité, à des pratiques et à des délits très
variés, dont les acteurs comme les bénéficiaires n’étaient pas les
mêmes : élus, fonctionnaires, partis politiques notamment.
Il est apparu assez vite que cette multiplication d’affaires de
corruption entraînait des modifications de la vie politique, voire
traduisait un changement des conditions d’exercice du pouvoir.
Cela était lié au rôle nouveau joué par l’administration judiciaire et
par des médias. Au-delà du cas des magistrats et des journalistes,
cette modification des conditions d’exercice du pouvoir témoignait
d’un phénomène complexe, à dimension européenne : la montée
en force « d’entrepreneurs critiques de la politique », pour le dire
comme Jean-Louis Briquet et Philippe Garraudxxxix. Les
recherches récentes, très nourries, permettent de donner une
vision d’ensemble de ces processus, notamment les travaux de
Violaine Roussel sur les magistrats, et ceux de Cyril Lemieux sur
les journalistesxl.
Il convient d’insister sur les évolutions qui ont touché les
magistrats. Pour aller vite, le moteur des changements a été
l’école nationale de la magistrature, dont la mise en place
s’échelonna entre 1958 et 1970. « L’institutionnalisation du
nouveau mode de recrutement par concours unique et la nouvelle
formation à l’ENM engendrent une nouvelle génération de
magistrats »xli. Cette génération, dans les années 1970, s’est
avérée porteuse d’un modèle professionnel neuf, ou, selon le
terme de Violaine Roussel, d’un « ethos » particulier : celui-ci était
une créationxlii. En d’autres termes, l’institution progressive d’un
corps régi par des règles communes et une vision unifiée du
métier, ainsi que de ses obligations, aurait été le soubassement
permettant aux magistrats de se poser en juges des délits commis
par des membres du personnel politique. Corollaire de la norme
nouvelle de transparence, l’impératif d’indépendance des
magistrats fut érigé, de façon tendancielle, dans les années 1970,
en règle de conduite, à l’égard du pouvoir politique comme des
acteurs de la société civile. Il faudrait compter également, quoique
dans une moindre mesure, avec l’émergence dans le courant des
années 1970 d’un syndicalisme propre à la profession, porté
notamment par le syndicat de la magistrature. Cela explique, en
partie, les premières poursuites judiciaires touchant des élus, pour
des questions de corruption, à l’extrême fin des années 1970.
L’affaire Robert Boulin, par exemple, avait défrayé la chronique à
l’annonce de la mort de cet ancien ministre, député-maire (RPR)
de Libourne, en octobre 1979. Cette mort avait paru suspecte, car
elle semblait liée à des opérations de promotion immobilière
douteuses sur la Côte d’Azur : l’enquête avait été confiée à un
magistrat alors jeune, Renaud van Ruymbeckexliii.
Pourtant, il ne s’agissait que d’amorces d’un changement plus
profond. Les recherches menées depuis une dizaine d’années
s’accordent pour situer, dans le temps, cette prise de conscience
collective des magistrats : c’est à partir de 1990 que les hommes
politiques seraient devenus des justiciables comme les autres.
Paradoxalement, c’est la deuxième mesure législative prise en
accord avec l’exigence de transparence de la vie politique qui en
fut la cause. En effet, face aux premières affaires et aux scandales
mettant en cause un financement occulte des activités politiques,
la réaction du Parlement fut de légiférer. Comme on l’a vu, la loi du
15 janvier 1990, limitant les dépenses électorales, constituait une
avancée, mais elle comportait aussi une disposition valant
amnistie des infractions commises, en ce domaine, avant le 15
juin 1989. Pour suivre Philippe Garraud, cela contribua à faire
passer cette réforme importante pour une loi d’amnistie, alors que
cette dimension était, somme toute, secondexliv. En avril 1990, la
commission d’instruction de la Haute Cour accordait au ministre
Christian Nucci un non-lieu partiel en raison de cette loi. Les
membres de cette commission faisaient savoir publiquement qu’il
y avait matière à condamner Christian Nucci. Au même moment,
certains magistrats décidaient de remettre en liberté de petits
délinquants : à leurs yeux, la notion juridique d’atteinte à l’ordre
public venait d’être infléchie, voire bafouée. Parmi ces magistrats,
on trouvait notamment un groupe de juges du Mans parmi
lesquels le juge Jean-Pierre.
Le début des années 1990 a donc vu croître le nombre des
poursuites judiciaires pour des faits relevant de la corruption.
Pourtant des acteurs, au premier chef des magistrats, exprimaient
des craintes. En effet, selon Violaine Roussel, « tous les
protagonistes des scandales » partageaient « la même vision de
l’avenir probable : les juges vont être stoppés, sanctionnés, et les
scandales ne vont pas se développer, au moins sur la scène
judiciaire »xlv. Si cette crainte fut souvent infondée, c’est que la
situation était, généralement, favorable aux magistrats. Il y a deux
raisons probables à cela : la première tient aux alliances
contractées, autour de ces objectifs, entre magistrature judiciaire,
journalistes et un certain nombre de policiers, sans même parler
des collectifs spécialisés. On y reviendra. La deuxième a trait au
contexte politique, marqué, à partir de 1981, par des votes
d’alternance entre gauche et droite, des périodes dites de
cohabitation, et enfin par un essor de votes d’extrême-droite, en
faveur du Front national. La fragilité plus grande du personnel
politique, et en particulier des partis au pouvoir, s’est conjuguée
avec la force plus grande d’acteurs coalisés autour des scandales.
Ce mécanisme, peu à peu mis au point durant les années 1990,
a contribué, à l’orée du e siècle, à nourrir les conflits et les
tensions entre magistrats et pouvoir politique. L’année charnière,
de ce point de vue, est sans doute 2001, lorsque le juge Éric
Halphen n’a pu poursuivre comme il le souhaitait dans l’affaire des
HLM de la ville de Paris. Après Jean Garrigues, « rappelons que
les juges Riberolles, Brisset-Foucault et van Ruymbecke ont été
contraints le 17 juillet 2001 de renoncer à entendre Jacques
Chirac à propos du financement suspect de ses voyages à
l’étranger »xlvi. Ces tensions entre pouvoir politique et magistrats
de l’ordre judiciaire, autour des affaires de corruption politique,
sont alors devenues récurrentes, et se sont doublées de tensions
internes à la magistrature, entre juges du siège d’un côté, et
parquet de l’autre. Dans un essai autobiographique publié en
2002, la juge Anne-Marie Fulguéras dénonçait « la toute-
puissance du parquet, courroie de transmission du pouvoir
exécutif »xlvii. De l’autre côté, un certain nombre d’hommes
politiques protestaient contre ce qu’Alain Juppé nommait, en mai
2001, les « excès de judiciarisation » de la vie politiquexlviii. La
formule, un peu vague, de judiciarisation renvoyait à un sentiment
d’intrusion des magistrats.
Cette autonomie revendiquée par des magistrats a conduit un
petit nombre d’entre eux, rendus célèbres par leur rôle dans des
affaires de corruption, à entrer en politique. Dans ce contexte très
particulier, le premier fut sans doute le juge Thierry Jean-Pierre
qui, rendu célèbre par son rôle dans l’affaire Urba, fut élu en 1994
au parlement de Strasbourg sur une liste de droite conduite par
Philippe de Villiersxlix. Auteur, l’année suivante, d’une Lettre
ouverte à ceux que les petits juges rendent nerveux, il fut réélu
eurodéputé en 1999 sur la liste conduite par Nicolas Sarkozy,
avant de décéder en 2005.
Le scandale Woerth--Bettencourt, tel qu’il se développa en juin
et juillet 2010, répondait à cette configuration générale. On y
trouvait de fortes tensions internes à la magistrature, entre la juge
Isabelle Prévost--Desprez et le procureur Philippe -Courroye. On y
observait une vive polémique entre d’un côté les acteurs coalisés
autour du scandale – une majorité de journalistes, ainsi que des
magistrats – et de l’autre côté le pouvoir exécutif, soutenu par le
parti majoritaire au Parlement. Enfin, une ancienne juge, prenant
position dans le scandale en cours, le faisait comme femme
politique. Rendue célèbre pour son rôle dans un scandale de
corruption – l’affaire Elf –, Eva Joly est, en un sens, un franc-tireur
de l’institution judiciaire, comme le fut, différemment, le juge
Thierry Jean-Pierre. Elle fut élue en 2009 députée européenne,
sur la liste Europe écologiel. Ces rapports de force entre les
différents acteurs des scandales de corruption étaient bien le fruit
d’une évolution très récente. À tous égards, la situation existant
dans la France du début du e siècle aurait été impensable dans
la France des années 1930, où les conflits obéissaient à des
logiques différentes.
On peut, en revanche, se demander si, à ce stade, cette
évolution peut être remise en cause. En effet, la tentation peut être
grande, pour une partie du personnel politique, d’aller plus loin
que la dénonciation de la judiciarisation, et d’user de deux moyens
pour limiter le nombre, et la portée, des procédures judiciaires
dans des affaires de corruption. Le premier de ces moyens serait,
effectivement, la réforme de l’institution judiciaire, notamment la
suppression de la fonction de juge d’instruction. Cette suppression
fut annoncée par le président de la République, Nicolas Sarkozy,
en janvier 2009, lors de l’audience solennelle de rentrée de la
Cour de cassationli. Cette annonce cristallisa les conflits, y
compris entre magistrats. C’est, on l’a vu, une des clés de
l’affrontement entre la juge Isabelle Prévost--Desprez et le
procureur Philippe -Courroye dans l’affaire Woerth--Bettencourt.
Le deuxième de ces moyens serait le retour, via des pratiques de
patronage démocratique, à la « dépendance politique familière »
des magistrats, selon la formule d’Alain Bancaudlii. Comme on l’a
vu, c’est ce qui a fourni, dans l’affaire Woerth--Bettencourt, le fond
des soupçons accumulés contre le procureur Philippe -Courroye.

La force des changements culturels

Au-delà de ces craintes réciproques, et de ces accusations


croisées, on peut apporter quelques éléments de réponse à la
question de savoir quelle solidité, ou quelle consistance, ont ces
évolutions, intervenues depuis la fin des années 1970 : genèse
d’une norme de transparence d’une part, et modification des
conditions d’exercice du pouvoir, au prisme des « affaires »,
d’autre part. On pourrait – métaphoriquement – qualifier ces
mutations de révolution. Si l’on adopte cette perspective, très
française en un sens, c’est pour réfléchir à toutes les tentations,
avouées ou implicites, qui viseraient à terminer cette révolution, y
compris en usant d’autorité. La tentation de 1804, en somme : la
fin de la Révolution par la victoire de l’homme providentiel.
Chercher à en finir avec « la pestilence des affaires », pour suivre
la belle formule de Jean-Jacques Becker, ne saurait conduire à
opérer un retour en arrière : une telle idée serait illusoire.
Il importe, pour le comprendre, de chercher à évaluer ce qui,
dans ces mutations, paraît en 2010 relever d’évolutions
structurelles. Des raisons impérieuses montrent en effet que le
processus enclenché en 1978, avec la genèse de la norme de la
« transparence », ne peut être refermé comme une simple
parenthèse. De ce point de vue, le phénomène le plus lourd a trait
à l’élévation considérable du niveau de formation moyen des
Français. L’outillage scientifique, culturel et intellectuel des
Français n’est plus du tout le même, en 2010, que celui qui était,
en moyenne, le leur durant la première moitié du e siècle, et un
peu au-delà. Il ne s’agit pas, bien entendu, de l’enseignement
primaire : le travail collectif était déjà accompli au début du e
siècle, alors que la quasi-totalité des enfants concernés étaient
scolarisés. Il ne s’agit plus du premier cycle de l’enseignement
secondaire : la réforme de 1959, « sans doute l’une des plus
importantes depuis les lois Ferry », ouvrit le collège à la
démocratisationliii. Les effectifs scolarisés en collège
augmentèrent de plus de 40 % entre 1960 et 1986. Ce processus
toucha, avec un léger décalage dans le temps, le deuxième cycle
de l’enseignement secondaire : les effectifs scolarisés dans les
lycées passèrent de 800 000 élèves à 2,3 millions entre 1960 et
1991. Rappelons que, à la fin des années 1920, on comptait
environ 185 000 bacheliers.
On peut mesurer ces changements sociaux et culturels en fin de
chaîne, en évaluant le pourcentage de bacheliers par classe
d’âge. En 1980, une classe d’âge comptait 26 % de bacheliers,
contre 43 % en 1990, 60 % environ après 1995, en moyenne. En
2010, pour la deuxième année consécutive, ce taux a augmenté à
plus de 65 % : « Les deux tiers d’une génération sont
bacheliers. »liv Cette croissance du nombre de bacheliers s’est
répercutée sur l’enseignement supérieur. À titre de comparaison,
notons que, à la veille de la Première Guerre mondiale, on
dénombrait environ 40 000 étudiants en France. Les premières
conséquences tangibles de la démocratisation se firent sentir, on
le sait, en mai 1968. Cela traduisait, en un sens, l’augmentation
rapide intervenue dans les années 1960 : le nombre d’étudiants
est en effet passé de 215 000 en 1961 à 440 000 en 1967lv.
Pourtant, se focaliser sur 1968 serait, de ce point de vue, passer à
côté de l’essentiel : la croissance accélérée des effectifs
d’étudiants des années 1970 à la fin du e siècle. On en comptait
870 000 en 1980, un million et demi en 1995, et environ 2 millions
à la fin des années 1990. Or les objectifs politiques fixés dans
l’Union européenne par le traité de Lisbonne impliquent, d’une
façon ou d’une autre, que ce nombre augmente à l’avenir, afin que
50 % d’une classe d’âge obtienne au moins une licence, soit un
diplôme sanctionnant trois ans d’études après le baccalauréat.
À l’instar des autres démocraties libérales, la Répu-blique
accomplit ainsi l’une des promesses inscrites au cœur de son
projet historique : l’émancipation de tous par l’instruction de
chacun. Cet accomplissement, en marche, a des conséquences
politiques irrésistibles. Dans les Républiques parlementaires,
jusqu’au tournant des années 1958-1962, il existait souvent une
distance forte entre représentants et représentés, en termes de
niveau de formation : la République des avocats, des médecins et
des professeurs, pour aller vite, reposait aussi sur le prestige
social accordé aux détenteurs de diplômes rares. Même si cette
détention de diplômes rares – notamment celui de l’école
nationale d’administration – est encore vraie, de façon
tendancielle, elle n’a plus du tout le même sens que par le passé.
Mesurée en termes d’outillage scientifique, intellectuel et culturel,
cette distance entre personnel politique et citoyens ordinaires s’est
amoindrie au fil du temps : elle n’a sans doute jamais été aussi
faible.
Si les compétences moyennes des Français ont
considérablement augmenté à partir des années 1970,
approximativement, leur capacité à s’informer a connu, elle aussi,
de profondes évolutions pendant la même période. Il s’agit en
partie du taux d’équipement en postes de télévision, quoique la
vraie mutation s’était produite pendant les années 1960. 5 % des
ménages étaient équipés de postes de télévision en 1958, contre
62 % en 1968lvi. Ils étaient environ 97 % en 2005. L’évolution a
été à peu près la même en ce qui concerne le téléphone, avec un
léger décalage dans le temps : le nombre d’abonnements
téléphoniques a été multiplié par cinq entre 1965 et 1980. Ce
retard relatif dans l’équipement en téléphones fixes, par rapport
aux autres pays des communautés européennes aux mêmes
dates, a pesé dans l’équipement en micro-ordinateurs. Ceux-ci
n’étaient présents, au milieu des années 1990, que dans 15 % des
ménages, selon les données de l’INSEE analysées par Régis
Arthaud. Les utilisateurs d’internet n’étaient alors que peu
nombreux : environ 150 000lvii.
Le passage de la société française à Internet s’est donc produit,
de façon rapide, à partir du milieu des années 1990. On comptait
26 millions d’utilisateurs en 2005, ce qui équivaut à un accès à
internet à domicile pour environ 40 % des ménages. À cette date,
une bonne moitié des ménages français disposaient d’un micro-
ordinateur. Ce mouvement a été suivi par l’adoption de la
télévision numérique : on estime qu’en 2009, environ huit
ménages sur dix avaient relié un poste de télévision à un mode
d’accès numérique (télévision numérique terrestre, satellite, ADSL
ou câble). Même s’il se situait toujours légèrement en dessous de
la moyenne des pays de l’Union européenne, le taux
d’équipement en postes informatiques reliés à Internet progressa
assez vite. Selon Eurostat, l’office statistique des communautés
européennes, 63 % des foyers français avaient accès à Internet
au début de l’année 2009.
En somme, les Français sont devenus non seulement de plus
en plus compétents, mais aussi de mieux en mieux informés, avec
deux charnières, celle des années 1970 à 1980 d’une part, celle
des années 1990 à 2000 de l’autre. Dans le même temps, soit à
partir de 1978 environ, on assistait à la genèse d’une nouvelle
norme, la transparence. Comme on l’a vu, celle-ci devint, à partir
du début des années 1990 environ, un impératif valable dans des
domaines très variés : juridique, social, culturel et politique.
Coïncidant dans le temps, ces trois mouvements ont conjugué
leurs effets : élévation accélérée du niveau moyen de formation
initiale, accès croissant à des médias d’information diversifiés puis
mondiaux, essor d’une règle nouvelle de transparence dans tous
les domaines de la vie collective. Ils sont allés de pair avec un
changement profond de regard porté sur le personnel politique.
En effet, d’après les enquêtes de la SOFRES, il y avait encore,
en 1977, une majorité de personnes interrogées – 53 % – pour
estimer que les hommes politiques se préoccupaient de ce que
pensaient les Français. Ce fut la dernière fois. Ils n’étaient plus
que 48 % à le croire en 1979, 45 % en décembre 1983, 40 % en
septembre 1998, 30 % en mars 2006, 22 % en novembre 2009.
Le taux de réponses positives à cette question est, semble-t-il,
resté inférieur à un tiers des personnes interrogées depuis
2003lviii. Cette évolution lourde éclaire, bien entendu, les
changements, dans les perceptions par l’opinion de la corruption
du personnel politique. Comme on l’a vu, selon d’autres enquêtes
de la SOFRES, 38 % des personnes interrogées pensaient, en
1977, que les élus et les dirigeants politiques étaient corrompus.
Elles étaient 55 % à le penser en 1990, 58 % en 2002, 60 % en
2006, enfin 64 % au début de juillet 2010. Il ne s’agit donc pas
d’une crise de confiance dans le personnel politique, puisque le
phénomène n’a cessé de s’approfondir depuis la fin des années
1970. Une crise ne saurait durer plus de quarante ans. Il s’agit,
bien davantage, d’une évolution structurelle.
Le scandale Woerth--Bettencourt intervenu en 2010 signale
qu’un seuil a été franchi. Ce franchissement de seuil est visible,
quel que soit l’indicateur que l’on retienne. Ce scandale, exprimant
des jugements sur des pratiques de pouvoir, a eu pour scène une
société où, pour la première fois, plus de 65 % d’une classe d’âge
a obtenu le baccalauréat. Ce scandale a été, de façon très visible
et controversée, porté par des médias d’information sur Internet
alors que, pour la première fois, plus de 63 % des foyers français
disposaient d’un accès Internet à domicile. Ce scandale a mûri
alors que, à la fin de l’année 2009, 68 % des Français déclaraient
ne pas avoir confiance dans le gouvernement, alors que 65 % ne
faisaient pas vraiment confiance à la présidence de la République,
et 64 % à l’Assemblée nationalelix. Enfin, ce scandale de
corruption s’est transformé en affaire, alors que, selon un sondage
du début de juillet 2010, 64 % des Français estimaient que le
personnel politique était corrompu.
Il n’y a, bien entendu, aucune corrélation simple à établir entre
ces différents indicateurs. Bien au contraire : ces différents
groupes, ou agrégats, sont très différents les uns des autres. Il y a
ainsi de bonnes raisons de penser que la défiance à l’égard des
institutions politiques nationales et la croyance en la corruption du
personnel politique sont plus fortement répandues chez celles et
ceux qui sont dépourvus d’un poste informatique et d’un accès à
Internet, et qui ont le niveau de formation le plus faible. Ces
indicateurs signalent simplement – et c’est déjà beaucoup – que
les mutations en cours depuis environ quarante ans, soit la fin des
années 1970, ont produit des effets tels que la question de la
corruption se pose aujourd’hui d’une façon pressante, et dans des
termes qui ne sont plus du tout ceux du passé.
Conclusion

À l’échelle internationale : la lutte contre la


corruption
« Quelle belle expression, dit Pereira, fréquenter le futur,
quelle belle expression, cela ne me serait jamais venu à
l’esprit. »
Antonio Tabucchii

L’affaire Woerth--Bettencourt, à l’été 2010, témoigne


premièrement de l’ampleur des changements intervenus, en
France, dans la façon dont se pose la question de la corruption
politique, et dont se développent les scandales qui y sont
attachés. Pourtant, ce serait passer à côté d’un point essentiel que
de s’en tenir là. En effet, la question de la corruption est devenue,
depuis la fin des années 1990, une question importante dans
l’agenda politique inter-national : les réponses qui sont apportées,
à l’échelle mondiale, comme à l’échelle européenne, au problème
posé par la corruption ne peuvent pas être ignorées, lorsqu’il s’agit
de comprendre les réalités françaises. En d’autres termes, les
bouleversements qu’a connus la société française à partir des
années 1970-1980 sont inscrits dans des mutations globales qui
ont touché le monde entier, avec des caractères originaux propres
à chaque pays, et des traits spécifiques selon les grands
ensembles géographiques, comme l’Union européenne. Plus
encore, les débats et les polémiques qui ont eu lieu en France à
ce sujet, depuis la fin du e siècle, ne peuvent être isolés des
réflexions collectives nées dans le monde entier au même
moment. Ces réflexions, accompagnant des initiatives neuves,
témoignent que, sur ce terrain, on a assisté à une forte évolution
des sensibilités, face aux atteintes – réelles ou supposées – à la
probité publique, de la part des gouvernants et des milieux
d’affaires.
L’un des témoins de cette évolution est sans doute la naissance,
en mai 1993 en Allemagne, de l’organisation « Transparence
Internationale » (« Transparency Inter-national »). L’initiative de
cette création est revenue à Joseph Eigen, qui, en 1990, était un
cadre de la Banque Mondiale, en charge des pays d’Afrique de
l’Est. D’abord association à but non lucratif, devenue organisation
non gouvernementale (ONG) en 1995, deux ans après sa
création, l’organisation a essaimé. Elle comp-terait, en 2010, une
centaine de sections nationales, coordonnées par un secrétariat
situé à Berlin. « Transpa-rence Internationale » a joué un rôle
notable par ses publications, notamment le Rapport global sur la
corruption (Global corruption report), publié chaque annéeii.
Cette organisation a été, à partir du milieu des années 1990, le
moteur de nombreuses conférences internationales sur ces
phénomènes, envisagés comme un frein au développement et au
progrès. Sa 13e conférence internationale a ainsi eu lieu en Grèce,
à Athènes, en octobre-novembre 2008, sur le thème :
« Transparence globale : combattre la corruption pour un avenir
durable » (« Global transparency : fighting corruption for a
sustainable future »). Les indices mis au point par Transparence
internationale pour mesurer la corruption dans différents pays, à
des fins de comparaison, voire de classement, ont souvent été
critiqués. En effet, dans un premier temps, soit jusqu’au début des
années 2000, ces indices, dits de « première génération »,
mesuraient essentiellement les perceptions de la corruption par
certains acteurs et par les opinions publiques des pays
concernésiii. Il a fallu attendre la mise au point d’indices dits de
« deuxième génération », pour que soit tentée la mesure, plus
difficile, des pratiques réelles de corruption. L’essentiel est que
ces indices, corrélés entre eux, sont devenus une référence pour
la plupart des organisations internationales.
L’affaire Woerth--Bettencourt a vu Transparence internationale
intervenir dans les débats publics en juillet 2010. Les années
précédentes, la section française de l’organisation avait adressé, à
plusieurs reprises, des demandes au gouvernement, en faveur de
la lutte contre la corruption. Mais il ne s’agissait pas
d’interventions du même ordre. Cette entrée en scène d’un acteur
transnational, via sa section française, dans un scandale en cours
constituait une innovation. Le 8 juillet 2010, un communiqué de
presse était diffusé, rappelant deux positions de principe :
l’indépendance de la presse d’information, qualifiée de « contre-
pouvoir essentiel en démocratie », et l’autonomie de la
magistrature judiciaire. « Les délits de corruption et de trafic
d’influence exigent plus que tout autre l’intervention d’une autorité
judiciaire forte et indépendante, capable de résister aux
interférences du pouvoir politique. »iv En un mot, la section
française de Transparence internationale, comme organisation
non gouvernementale, prenait fait et cause dans l’affaire Woerth--
Bettencourt, en faveur d’une magistrature « indépendante »,
comme des médias, afin que ceux-ci « contribuent avec
professionnalisme et esprit de responsabilité à la bonne
information de nos concitoyens ».
Cette prise de position témoignait, d’une certaine manière, que
les débats autour de la corruption politique ne pouvaient plus être
menés dans le seul cadre franco-français. Ils avaient tendance à
s’internationaliser. Au-delà de l’organisation « Transparence
internationale », dont les recherches, en cours, de Giorgio Blundo
éclaireront les modes de fonctionnement, il s’agit bien d’une
évolution générale des opinions publiques et des acteurs –
notamment des entreprises multinationales. Cette évolution est à
l’œuvre depuis une vingtaine d’années.
Cette mutation des sensibilités, face à la corruption, s’est
traduite par l’adoption de nouvelles règles de conduite, voire de
normes juridiques plus contraignantes. À l’échelle mondiale, c’est
l’organisation de coopération et de développement économique
(l’OCDE) qui a, si l’on veut, donné le coup d’envoi, avec l’adoption,
en décembre 1997, d’une « convention sur la lutte contre la
corruption d’agents publics étrangers dans les transactions
commerciales internationales ». Lié à l’apparition de normes
juridiques régulant les échanges commerciaux sur l’ensemble de
la planète, ce texte, entré en vigueur en 1999, pointait en filigrane
l’importance de la corruption politique dans les pays en voie de
développementv. Quelques années plus tard, le texte juridique
élaboré par l’assemblée générale des Nations unies était
cependant d’une autre ampleur. En octobre 2003, l’ONU adopta
une convention contre la corruption, dans sa résolution 58/4. Cette
convention de lutte contre la corruption est entrée en vigueur en
décembre 2005, après que le 30e État signataire l’ait ratifiéevi.
À l’orée du e siècle, il semblait, au plan international, que la
corruption, des fonctionnaires comme des hommes politiques, ne
concernait pas que les pays en voie de développement, ou des
pays soumis à des régimes autoritaires. À une échelle régionale –
celle du continent européen –, la réflexion sur les formes de
corruption progressa elle aussi, à partir du milieu des années
1990. Cette réflexion fut menée pour l’essentiel au sein des pays
membres du Conseil de l’Europe. Elle aboutit, en 1999, à
l’adoption par le Conseil de l’Europe de deux conventions liées :
l’une était une convention pénale sur la corruption, signée en
janvier 1999, entrée en vigueur en juillet 2002. L’autre était une
convention civile sur la corruption, signée en novembre 1999 et
entrée en vigueur quatre ans plus tardvii. Ces conventions ont
servi de socle aux différentes recommandations faites aux États
membres, notamment par le comité des Ministres. Un rôle assez
déterminant a été joué, dans ce cadre, par le groupe d’États
contre la corruption (GRECO), institué en 1999, et dont la France
fit partie dès le départ. Michel Gauthier, avocat général près la
cour d’appel de Paris, est d’ailleurs, en 2010, président honoraire
de ce groupe d’États contre la corruption au sein du conseil de
l’Europeviii. Dans ces dernières années, il semble que l’accent se
soit porté, de façon plus nette, sur les liens entre corruption et
démocratie, et en particulier sur les modes de financement des
partis politiques européensix.
Ces réflexions ont abouti, en novembre 2006, à la formulation
de plusieurs recommandations, par des experts réunis à la
demande du Conseil de l’Europe. Il ne s’agissait, bien entendu,
que de préconiser l’adoption de mesures nouvelles et de rappeler
quelques principes communs. Cette analyse reposait sur un
constat partagé : « la corruption politique » a des effets lourds sur
la démocratie, car elle est « susceptible d’exacerber l’inégalité
politique, de fausser les élections et la concurrence politique entre
les partis, de nuire à la transparence et donc à la responsabilité »,
mais aussi « de porter atteinte à la séparation des pouvoirs,
d’influencer le processus législatif de façon indue, de renforcer
l’influence des intérêts “entrepreneuriaux”, et d’affaiblir la voix des
citoyens, ainsi que leur confiance et leur participation »x. Face à
ces risques majeurs, il était rappelé, sur le fond, que « dans les
institutions démocratiques, les organisations de la société civile et
les médias ont une fonction particulièrement importante de
révélation et de suivi des conflits d’intérêt »xi. C’est, en un sens,
cette fonction qui se trouvait au cœur des polémiques que connut
la France en juin et juillet 2010, au prisme du scandale Woerth--
Bettencourt. Celui-ci montrait, décidément, que la question des
affaires de corruption politique, présumée dans ce cas, était posée
dans des termes radicalement nouveaux, et, pour la première fois,
à différentes échelles : française, mais aussi européenne, sinon
mondiale.
Si ce livre peut, en montrant ce que ce scandale dit de la France
de 2010, en éclairant ce qui a profondément changé, contribuer à
la réflexion de chacun, il aura rempli son rôle. Pour le reste en
effet, c’est aux Français, plus compétents et mieux informés qu’ils
ne le furent jamais au long de leur histoire, de se saisir de la
question dans le cadre du débat démocratique.

Avignon, 1er août-6 septembre 2010


Notes
Introduction
i - Jules Michelet, Histoire de la révolution française, vol. 7, Paris, Chamerot, 1847-
1853, p. 233.
ii - Edgar Morin, La rumeur d’Orléans, « Préface à l’édition de 1970 », Paris, Seuil,
rééd., 1982, p. 7.
iii - Pierre Bourdieu, « Le mort saisit le vif », Actes de la recherche en sciences
sociales, no 32-33, avril-juin 1980, p. 3-14.
iv - Jean Garrigues, Les scandales de la République. De Panama à l’affaire Elf, Robert
Laffont, 2004. La dernière partie de ce livre, intitulée « L’explosion des scandales (1981-
2000) », prend en compte l’affaire Elf (1997-2003).
v - Gérard Mauger, L’émeute de novembre 2005. Une révolte protopolitique,
Broissieux, Éditions du Croquant, coll. « Savoir/agir », 2006, p. 5, note 2.
vi - Serge Wolikow (dir.), Une histoire en révolution ? Du bon usage des archives, de
Moscou et d’ailleurs, Dijon, EUD, 1996.
vii - Gérard Mauger, L’émeute de novembre 2005…, op. cit., p. 12, note 20.
viii - Jean Bouvier, Les deux scandales de Panama, Paris, Julliard-Gallimard, coll.
« Archives », 1964, p. 8 ; cité de façon critique par Damien de Blic, « Moraliser l’argent.
Ce que Panama a changé dans la société française (1889-1897) », Politix, no 71, 2005,
p. 62.
ix - Edwy Plenel, « Pourquoi l’affaire Bettencourt est un révélateur national »,
Médiapart, 27 juillet 2010, consultable sur : www.mediapart.fr.
x - Véronique Pujas et Martin Rhodes, « Party finance and political scandal : comparing
Italy, Spain and France », dans A. J. Heidenheimer et M. Johnston (eds.), Political
corruption : concepts and contexts, 3e édition, London/New Brunswick (USA),
Transaction publishers, 2002 [2009], p. 740.
xi - Damien de Blic et Cyril Lemieux, « Le scandale comme épreuve. Éléments de
sociologie pragmatique », Politix, 2005/3, no 71, p. 9-38.
xii - Luc Boltanski, Élisabeth Claverie, Nicolas Offenstadt et Stéphane Van Damme
(dir.), Affaires, scandales et grandes causes, Paris, Stock, 2007, 457 p.
xiii - Pierre Lascoumes, « Politiques et citoyens : une relation corruptible.
Problématiques et premiers résultats », CEVIPOF, Sciences Po, 2006, p. 12-13 pour
cette citation et la suivante. Document consultable sur : http ://spire.sciences-po.fr.
xiv - Sur ces questions, voir la synthèse de Maryvonne Génaux, « Early modern
corruption in English and French fields of vision », dans A. J. Heidenheimer et
M. Johnston (eds.), Political corruption : concepts and contexts, op. cit., p. 107-122. Pour
des études plus fouillées, voir notamment Jean-Claude Waquet, De la corruption : morale
et pouvoir à Florence aux e et e siècles, Paris, Fayard, 1984.
xv - Parmi les nombreux travaux de Jens Ivo Engels, voir en particulier : « Politische
Korruption in der Moderne. Debatten und Praktiken in Grossbritannien und Deutschland
im 19 Jahrhundert », Historische Zeitschrift, 2006, no 282, p. 313-350.
xvi - Valérie Goutal-Arnal, « Réalité et imaginaire de la corruption à l’époque de la
Révolution française », Revue française de finances publiques, 2000, no 69, p. 95-114.
xvii - Sur les usages de la « littérature judiciaire à sensation » dans ces affaires, avant
1789, voir Sarah Maza, Vies privées, affaires publiques. Les causes célèbres de la
France prérévolutionnaire, Paris, Fayard, 1997.
xviii - Daniel Roche, « Introduction » à la belle étude de Katia Béguin, Les princes de
Condé. Rebelles, courtisans et mécènes dans la France du Grand Siècle, Paris, Champ
Vallon, 1999, p. 19.
xix - Mattei Dogan, « Méfiance et corruption : discrédit des élites politiques », Revue
internationale de politique comparée, 2003/3, vol. 10, p. 431.
xx - Damien de Blic, Le scandale financier. Naissance et déclin d’une forme politique,
de Panama au Crédit lyonnais, thèse de doctorat en sociologie, EHESS, 2003.
xxi - Paul Jankowski, Shades of indignation. Political scandals in France, past and
present, New York/Oxford, Berghahn books, 2008, p. 1. La traduction, et ses éventuelles
erreurs, sont de notre fait.
1. Le « feuilleton » de l’affaire Woerth--Bettencourt
xxii - Paul Valéry, Monsieur Teste, « Lettre à un ami », Paris [1926], dans Œuvres, tome
2, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1984.
xxiii - Damien de Blic et Cyril Lemieux, « Le scandale comme épreuve. Éléments de
sociologie pragmatique », Politix, 2005/3, no 71, p. 14.
xxiv - Laurent Greilsamer, « Une histoire française », Le Mensuel : les meilleurs articles
du Monde, août 2010, no 7, p. 3.
xxv - « Longtemps présentée comme la première fortune de France, Liliane
Bettencourt n’occupe plus aujourd’hui que le troisième rang, avec un patrimoine estimé à
10,074 milliards d’euros, selon le classement annuel établi par le magazine Challenges »,
La Croix, « Quelques repères sur la galaxie Bettencourt », publié le 22 juin 2010 ;
consultable sur : www.Lacroix.fr.
xxvi - Marguerite Yourcenar, « Ton et langage dans le roman historique », Le Temps, ce
grand sculpteur. Essais, Paris, Gallimard, 1983, p. 34.
xxvii - Son patronyme, un pseudonyme, est parfois orthographié : Bannier.
xxviii - Raphaëlle Bacqué et Pascale Robert-Diard, « Les riches heures de l’affaire
Bettencourt », Le Monde, 9 juillet 2010, p. 16-17. Les informations données dans ce
paragraphe et dans les paragraphes suivants proviennent de cette enquête, sauf mention
contraire.
xxix - Rapport d’enquête no 2010-M-062-01, par Jean Bassères, Thomas Cazenave,
Pascale Dugos, Mickaël Ohier, Paris, ministère de l’Économie, de l’Industrie et de
l’Emploi ; ministère du Budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, juillet 2010,
p. 9. Ce rapport est consultable sur le site internet de la Documentation française, à
l’adresse Internet : www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics.
xxx - « Éric Woerth et Patrice de Maistre : les “amis” de trois ans », Marianne, no 691,
17 au 23 juillet 2010, p. 19.
xxxi - Raphaëlle Bacqué, « Affaire Bettencourt : Éric Woerth de plus en plus fragilisé »,
Le Monde, 27-28 juin 2010, p. 9.
xxxii - Rapport d’enquête no 2010-M-062-01, par Jean Bassères, Thomas Cazenave,
Pascale Dugos, Mickaël Ohier, op. cit., p. 8.
xxxiii - Par exemple, « L’abus de faiblesse au cœur de l’affaire Betten-court », La Croix,
10 décembre 2009, consultable sur le site Internet : www.la-croix.com.
xxxiv - Stéphane Arteta, « Le roi de la place », Le Nouvel Observateur, semaine du 10
juin 2010. Consultable sur le site : http ://hebdonouvelobs.com. Les italiques sont dans le
texte original.
xxxv - « La chronologie de l’affaire Woerth--Bettencourt », Le Parisien, mise à jour le 15
juillet 2010, consultable sur le site : www.leparisien.fr. Nous suivons, dans ce paragraphe
et les suivants, les informations contenues dans cette chronologie, à moins d’une
mention contraire.
xxxvi - Gérard Courtois, « Montesquieu, reviens, ils sont devenus fous ! », Le Monde,
22 juin 2010, p. 20.
xxxvii - « Affaire Bettencourt. Les enregistrements secrets », Le Point, « De Liliane
Bettencourt à Éric Woerth. Une affaire d’État », jeudi 1er juillet 2010, no 1972. Cahier
central, p. VII, transcription datée au 23 octobre 2009 d’une conversation entre Patrice de
Maistre et Liliane Bettencourt.
xxxviii - Rapport d’enquête no 2010-M-062-01, par Jean Bassères, Thomas Cazenave,
Pascale Dugos, Mickaël Ohier, op. cit., p. 14. Ce rapport est consultable sur le site
internet de la Documentation française, à l’adresse Internet :
www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics.
xxxix - François Koch, Jean-Marie Pontaut, Pascal Ceaux, Philippe Broussard,
« Philippe -Courroye, l’ami du Président », L’Express, 12 novembre 2009, mis à jour le 10
juillet 2010. Consultable sur le site Internet : www.lexpress.fr.
xl - « Affaire Bettencourt. Les enregistrements secrets », Le Point, « De Liliane
Bettencourt à Éric Woerth. Une affaire d’État », jeudi 1er juillet 2010, no 1972. Cahier
central, p. III, transcription datée au 21 juillet 2009 d’une conversation entre Patrice de
Maistre, Liliane Bettencourt et François-Marie Banier.
xli - « Des procureurs à la botte », Marianne, 26 juin 2010, p. 28.
xlii - Déclaration du procureur Philippe -Courroye au journal Le Monde. Gérard Davet,
« L’autodéfense du procureur », Le Monde, 13 juillet 2010, p. 3.
xliii - Ibidem.
xliv - Le Point, « De Liliane Bettencourt à Éric Woerth. Une affaire d’État », jeudi 1er
juillet 2010, no 1972.
xlv - Pascale Robert-Diard, « L’instruction du dossier Banier-Bettencourt pourrait
échapper à Mme Prévost--Desprez », Le Monde, 6 juillet 2010, p. 9.
xlvi - Isabelle Prévost--Desprez, Jacques Follorou, Une juge à abattre, Paris, Fayard,
2010, 280 p. Citation extraite de la présentation de son livre sur Internet. Voir, par
exemple, le site : www.librairiedialogues.fr.
xlvii - Gérard Davet, « L’autodéfense du procureur », Le Monde, 13 juillet 2010, p. 3.
xlviii - Isabelle Prévost--Desprez, Jacques Follorou, Une juge à abattre, op. cit. Citation
extraite de la présentation de son livre sur Internet. Voir, par exemple, le site :
www.librairiedialogues.fr.
xlix - Gérard Davet, « La juge Prévost--Desprez défie le procureur Courroye », Le
Monde, 22 juillet 2010, p. 8.
l - Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme, « Le parquet de Nanterre veut empêcher la juge
d’enquêter », Mediapart, mis en ligne le 17 juillet 2010, consultable sur :
www.Mediapart.fr.
li - « Eva Joly : “M. Courroye est un procureur aux ordres” », propos recueillis par
Gérard Davet, Le Monde, 16 juillet 2010, p. 10.
lii - Le texte de cette ordonnance est disponible sur Internet (au 6 août 2010) à
l’adresse suivante :
http ://prdchroniques.blog.lemonde.fr/files/2010/07/bettencourt.1277999467.pdf.
liii - Tribunal de grande instance de Paris, « Ordonnance en référé du 1er juillet 2010 »,
rendue par Dominique Lefebvre-Ligneul, enregistrée au greffe sous le no (RG) 10/55839,
p. 7.
liv - Ibidem, p. 8-9 pour cette citation et les deux suivantes.
lv - Gérard Davet, « Les confidences de l’ex-comptable des Bettencourt sur le
financement de la campagne de 2007 », Le Monde, 7 juillet 2010, p. 12.
lvi - Ibidem.
lvii - « Woerth : Nadine Morano accuse la presse », Europe 1, publié le 7 juillet 2010,
consultable sur : www.Europe1.fr/Politique.
lviii - « Christian Estrosi compare Médiapart à “une certaine presse des années 30” »,
Le Parisien, 7 juillet 2010, d’après une dépêche AFP, consulté sur : www.leparisien.fr.
lix - Assemblée nationale, XIIIe législature, session extraordinaire de 2009-2010,
compte rendu intégral, 2e séance du mardi 6 juillet 2010, Journal Officiel, consultable
sur : www.assemblee-nationale.fr.
lx - Voir Thomas Ferenczi, Ils l’ont tué ! L’affaire Salengro, Paris, Plon, 1995 ; Frédéric
Monier, « Les obsessions d’Henri Béraud », Vingtième Siècle, 1993, no 40, p. 62-73.
lxi - « Les héritiers de Jaurès, aujourd’hui, ne font plus la distinction entre la vérité et le
mensonge, les rumeurs et les faits, les allégations et les preuves », Assemblée nationale,
XIIIe législature, session extraordinaire de 2009-2010, compte rendu intégral, 2e séance
du mardi 6 juillet 2010, Journal Officiel, consultable sur : www.assemblee-nationale.fr.
lxii - « Frédéric Lefèbvre : “J’accuse” », France-Soir, 8 juillet 2010, consultable sur :
www.francesoir.fr/politique.
lxiii - Ibidem.
lxiv - Natalie Petiteau, « Les mémorialistes aux origines du mythe politique de
Napoléon ? », à paraître dans les actes du colloque de Corte, 6-8 septembre 2010,
Attentes et sens autour de la présence du mythe de Napoléon aujourd’hui.
lxv - Charles de Gaulle, Le fil de l’épée, Paris, Berger-Levrault, 1932.
lxvi - Voir notamment Élisabeth Claverie, « Procès, affaire, cause : Voltaire et
l’innovation critique », Politix, 1994, no 26, p. 76-85 ; Pierre Lascoumes, Élites
irrégulières. Essai sur la délinquance d’affaires, Paris, Gallimard, 1997, p. 81-112 ;
Damien de Blic et Cyril Lemieux, « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie
pragmatique », Politix, 2005/3, no 71, p. 18-19.
lxvii - « Affaire Bettencourt : Aubry demande à Michèle Alliot-Marie de saisir le Conseil
supérieur de la magistrature pour un dépaysement de l’affaire », Le Point, 6 juillet 2010,
consulté sur : www.lePoint.fr.
lxviii - Philippe Le Cœur, « Éric Woerth “réfléchit” à l’abandon de ses fonctions de
trésorier de l’UMP », Le Monde, 13 juillet 2010, faisant référence à une interview de
Dominique de Villepin dans le journal Le Parisien.
lxix - « Affaire Bettencourt : Accoyer juge “recevable” la demande PS d’une commission
d’enquête », Libération, 1er juillet 2010, consulté sur : www.liberation.fr.
lxx - « Ouverture d’une enquête pour “dénonciation calomnieuse” après la plainte de
Woerth », Libération, 21 juillet 2010, consulté sur : www.liberation.fr.
lxxi - Gérard Davet, « Affaire Woerth--Bettencourt : Philippe -Courroye veut pousser
plus loin l’enquête », Le Monde, 6 juillet 2010, p. 9.
lxxii - Gérard Davet, « L’autodéfense du procureur », Le Monde, 13 juillet 2010, p. 3.
lxxiii - « Affaire Bettencourt – Une enquête pour “dénonciation calomnieuse” ouverte
après la plainte d’Éric Woerth », Le Point, citant une dépêche AFP, 21 juillet 2010,
consulté sur : www.lepoint.fr.
lxxiv - « Xavier Bertrand critique Médiapart », Le Figaro, d’après une dépêche AFP, 6
juillet 2010, consulté sur : www.lefigaro.fr.
lxxv - Edwy Plenel, « La plainte de Médiapart contre Xavier Bertrand », Médiapart, 22
juillet 2010, consultable sur : www.mediapart.fr.
lxxvi - « Ouverture d’une enquête pour “dénonciation calomnieuse” après la plainte de
Woerth », Libération, 21 juillet 2010, consulté sur : www.liberation.fr.
lxxvii - « […] des réquisitions bancaires ont permis de retracer les mouvements de
comptes évoqués par la comptable. Ses carnets de caisse ont été retrouvés », « Woerth :
les mystères d’une affaire d’État », Libération, 8 juillet 2010, p. 2.
lxxviii - Voir par exemple « Ce que cache l’intox de l’Élysée », Marianne, 17 au 23 juillet
2010, no 691, p. 14-22.
lxxix - Sylvie Kauffmann, « Politique, médias : les maux français et l’affaire Woerth--
Bettencourt », Le Monde, 13 juillet 2010, p. 15.
lxxx - Laurent Joffrin, « Fumée », éditorial de Libération, 8 juillet 2010, p. 3.
lxxxi - « Ce que cache l’intox de l’Élysée », Marianne, 17 au 23 juillet 2010, no 691, p.
14.
2. Voulait-on éviter une crise politique ? (16 juin-3 août 2010)
lxxxii - Marcel Aymé, Silhouette du scandale, Paris, Éditions du Sagittaire, 1938. Extrait
réédité dans Marcel Aymé, Écrits sur la politique (1933-1967), Paris, Les Belles
Lettres/Archimbaud, 2003, p. 82.
lxxxiii - Olivier Schmitt, « Mme Aubry dénonce “une crise de confiance majeure” », Le
Monde, 7 juillet 2010, p. 7.
lxxxiv - « L’affaire Woerth--Bettencourt ou les sondeurs à la chasse aux papillons »,
L’observatoire des sondages, 28 juillet 2010, consulté sur : http ://observatoire-des-
sondages.org.
lxxxv - « Affaire Woerth--Bettencourt – Royal lance une charge anti-Sarkozy, les ténors
du PS restent plus mesurés », Le Point, 30 juin 2010, consulté sur : www.lePoint.fr.
lxxxvi - « Ségolène Royal : le système Sarkozy est corrompu », 29 juin 2010, 20
Minutes, consulté sur : 20minutes.fr. Le site donne comme source une dépêche de
l’agence France Presse (AFP).
lxxxvii - « L’affaire Woerth--Bettencourt ou les sondeurs à la chasse aux papillons »,
L’observatoire des sondages, 28 juillet 2010, consulté sur : http ://observatoire-des-
sondages.org.
lxxxviii - « Le cas Éric Woerth divise l’opinion française », article présentant les
résultats d’une étude Opinion Way/20 Minutes, 30 juin 2010, consulté sur : 20 Minutes.fr.
lxxxix - « Woerth--Bettencourt. Plus d’un Français sur deux juge l’affaire grave », Le
Point, 1er juillet 2010, consulté sur : www.lepoint.fr.
xc - « Matignon serre la vis sur les voyages », Le Figaro, 2 avril 2010.
xci - Alain Joyandet, « J’ai décidé de quitter le gouvernement », daté du 4 juillet 2010,
consulté sur son site personnel (« blog »), à l’adresse internet : www.joyandet.fr.
xcii - « Les Français face à l’affaire Woerth--Bettencourt », note de présentation du
sondage, disponible, depuis le 12 juillet 2010, sur les sites internet du Nouvel
Observateur (nouvelObs.com) et de l’institut de sondage (www.lh2.fr).
xciii - « L’observatoire de l’opinion. Vague de juillet 2010 », institut de sondage LH2
pour le Nouvel Observateur, note de présentation du sondage, disponible, depuis le 12
juillet 2010, sur les sites Internet du Nouvel Observateur (nouvelObs.com) et de l’institut
de sondage (www.lh2.fr).
xciv - Les propos du chef de l’État ont été publiés et commentés dans l’ensemble de la
presse française. Nous suivons ici l’article : « Nicolas Sarkozy veut tourner la page de
l’affaire Woerth--Bettencourt », publié le 12 juillet 2010 par le journal La Croix, consulté
sur : www.la-croix.com.
xcv - « Les conséquences des affaires sur la suite du quinquennat », note de
présentation du sondage Ipsos pour le journal Le Point, 21 juillet 2010, consulté sur le
site : www.ipsos.fr.
xcvi - Voir par exemple « Sondage Ipsos : Sarkozy et Woerth à peine touchés par
l’affaire Bettencourt », Les Échos, 21 juillet 2010, consulté sur : www.lesechos.fr.
xcvii - Antoine Guiral, « Corruption : la défiance record des Français », Libération, 5
juillet 2010 ; consulté sur : www.liberation.fr.
xcviii - « Baromètre Viavoice-Libération », 5 juillet 2010, enquête réalisée auprès de
1 005 personnes ; consulté sur : www.sondages-en-france.fr.
xcix - Pierre Lascoumes, « Politiques et citoyens : une relation corruptible.
Problématique et premiers résultats », CEVIPOF, Sciences Po, 2006, p. 3. Consulté sur :
http ://spire.sciences-po.fr.
c - Ibidem, p. 15-16.
ci - Simone Veil et Michel Rocard, « Halte au feu ! Dans “l’affaire Bettencourt”, il est
urgent d’élever le débat », Le Monde, 4-5 juillet 2010, p. 13.
cii - Jens Ivo Engels, « Revolution und Panama. Korruptionsdebatten als Systemkritik
in Frankreich vom 18. Jahrhundert bis zur Dritten Republik », Historische Zeitschrift,
2009, Beiheft 48, p. 143-174. Ce volume thématique de la revue, co-dirigé par J. I.
Engels, A. Fahrmeir et A. Nützenadel, porte sur les liens entre argent et politique (« Geld,
Geschenke, Politik »).
ciii - « Lynchage et justice », éditorial, L’Histoire, no 251, février 2001, p. 3.
civ - Vincent Duclert, « Attention aux références aux années 1930 ! », Le Monde, 20
juillet 2010, p. 14.
cv - Philippe Garraud, « Les nouveaux juges du politique en France », Critique
internationale, no 3, printemps 1999, p. 125.
cvi - Jean Garrigues, Les scandales de la République. De Panama à l’affaire Elf, op.
cit. Ainsi que Claude Dufresne, Les affaires de la IIIe République, Monaco, Éditions du
Rocher, 2008.
cvii - Jean-Yves Mollier, Le scandale de Panama, Paris, Fayard, 1991 ; Damien de Blic,
« Moraliser l’argent. Ce que Panama a changé dans la société française (1889-1897) »,
Politix, no 71, 2005.
cviii - Hubert Bonin, « Oustric, un financier prédateur (1914-1930) ? », Revue
Historique, no 598, avril-juin 1996, p. 429-448 ; Dominique Desanti, La banquière des
années folles : Marthe Hanau, Paris, Fayard, (1968) 1980 ; Paul Jankowski, Cette vilaine
affaire Stavisky : histoire d’un scandale politique, Paris, Fayard, 2000 ; Nicolas Neiertz,
« Argent, politique et aviation. L’affaire de l’Aéropostale, 1931-1932 », Vingtième Siècle,
1989, no 24, p. 29-40.
cix - Bruno Marnot, « Un scandale parlementaire oublié : l’affaire Raynal (1888-
1895) », Annales du Midi, 2002, no 114, p. 331-349.
cx - Philippe Garraud, « Les nouveaux juges du politique en France », Critique
internationale, no 3, printemps 1999, p. 125.
cxi - Gilles Le Béguec, La République des avocats, Paris, Armand Colin, 2003, p. 114-
162.
cxii - Philippe Garraud, « Les nouveaux juges du politique en France », Critique
internationale, no 3, printemps 1999, p. 128.
cxiii - Ibidem, p. 126.
cxiv - Pierre Lascoumes, « Politiques et citoyens : une relation corruptible.
Problématique et premiers résultats », CEVIPOF, Sciences Po, 2006, p. 1. Consulté sur :
http ://spire.sciences-po.fr.
cxv - Serge Berstein, Le 6 février 1934, Paris, Julliard-Gallimard, coll. « Archives »,
1975 ; Olivier Dard, Les années 30, Paris, Livre de poche, coll. « Références », 1999, p.
71-76 ; Frédéric Monier, Le Front populaire, Paris, La Découverte, coll. « Repères »,
2002, p. 17 et suiv. Pour les réactions des gauches.
cxvi - Je me permets de renvoyer à Frédéric Monier, « Retour au 6 février 1934 »,
Cahiers Léon Blum, no 34, 2003, p. 77-98.
cxvii - François Goguel, « Ce par quoi le scandale arrive », Esprit, décembre 1946, XV,
128. Cité par Paul Jankowski, Shades of indignation. Political scandals in France, past
and present, New York/Oxford, Berghahn books, 2008, p. 84-85.
cxviii - Je me permets de renvoyer à Frédéric Monier, Les années 20, Paris, Livre de
Poche, coll. « Références », p. 158-165.
cxix - Paul Jankowski, Shades of indignation, op. cit., p. 90.
cxx - « Frédéric Lefèbvre : “J’accuse” », France-Soir, 8 juillet 2010, consultable sur :
www.francesoir.fr/politique.
cxxi - « Affaire Bettencourt : Éric Woerth dénonce une “cabale politique” », Le Parisien,
6 juillet 2010, consulté sur : www.leparisien.fr.
cxxii - « Sur le plateau de TF1, Éric Woerth se dit victime d’une “cabale” », Le Monde, 6
juillet 2010, consulté sur : www.lemonde.fr.
cxxiii - Jean-Noël Cuénod, « Éric Woerth se déclare victime des “intérêts suisses” », La
Tribune de Genève, 27 juillet 2010, consulté sur : www.tdg.ch.
cxxiv - « Trois mille contribuables français en Suisse dans le collimateur de Bercy », La
Tribune, 30 août 2009, consulté sur : www.latribune.fr.
cxxv - Marion van Reterghem, « En Suisse, Éric Woerth, arroseur arrosé, fait sourire
les banquiers », Le Monde, 11-12 juillet 2010, p. 9.
cxxvi - Voir par exemple, « Fraude : la colère de la Suisse », Le Journal du Dimanche,
16 décembre 2009, consulté sur : www.lejdd.fr.
cxxvii - Yves Mamou et Nicole Vulser, « L’affaire Bettencourt relance la question du
contrôle du groupe l’Oréal », Le Monde, 5 juillet 2010, p. 11.
cxxviii - Selon les déclarations de la secrétaire d’État à la famille Nadine Morano,
« Woerth : Nadine Morano accuse la presse », Europe 1, 7 juillet 2010, consulté sur :
www.europe1.fr.
cxxix - Sébastien Guex, « 1932 : l’affaire des fraudes fiscales et le gouvernement
Herriot », L’économie politique, 2007/1, no 33, p. 89-104.
cxxx - Ibidem, p. 102.
cxxxi - Jean-Noël Jeanneney, L’argent caché. Milieux d’affaires et pouvoirs politiques
dans la France du e siècle, Paris, Seuil, 1984, p. 16.
cxxxii - François Coty, Contre le communisme, Paris, Grasset, 1927, p. 187. Je me
permets de renvoyer à Frédéric Monier, Le complot dans la République. Stratégies du
secret, de Boulanger à la Cagoule, Paris, La Découverte, 1998, p. 179.
cxxxiii - Adrien Danset, « La finance internationale : fantôme ou réalité ? », Semaines
sociales de France, Le Havre, XVIIIe session, Le problème de la vie internationale, Lyon,
Chronique sociale de France, 1926, p. 186.
cxxxiv - Augustin Hamon, et X. Y. Z., Les maîtres de la France, Paris, Éditions sociales
internationales, 1936. Olivier Dard a signalé l’importance de ce texte dans une
intervention au colloque « Entre privé et public : les Européens et le pouvoir politique
( e- e siècles) », à l’université d’Avignon, les 17 et 18 mai 2010. La 1re partie de ce
colloque portait sur « Corruption et faveurs politiques : pratiques privées et débats
publics ». Voir la présentation sur : http ://centre-norbert-elias.ehess.fr.
cxxxv - François Prigent, « Les mondes d’Augustin Hamon », Annales de Bretagne et
des pays de l’Ouest, 2006, tome 2, no 103, p. 10. Article disponible sur : http ://hal.inria.fr.
cxxxvi - Olivier Dard, « Banques centrales et mythologie politique dans l’entre-deux-
guerres », dans O. Feiertag et M. Margairaz (dir.), Politiques et pratiques des banques
d’émission en Europe ( e- e siècles), Paris, Albin Michel, 2003, p. 549-568 ; Jean-
Marie Thiveaud, « Crises et scandales financiers en France sous la Troisième
République », Revue d’économie financière, mars 1997, no 41.
cxxxvii - « La deuxième charrette », La libre opinion, 30 novembre 1930. Cité par Julien
Rivet, L’affaire Oustric (1930-1931). Mécanismes de production d’un scandale politico-
financier, mémoire de master d’Histoire, EHESS, 2009, p. 57.
cxxxviii - « La politique : les gangsters », éditorial du journal Le Quotidien, 23 mars
1934. Le terme « tueurs » est souligné dans le texte.
cxxxix - Marcel Lucain, « En suivant le fil d’Ariane dans le sombre labyrinthe », Paris-
Midi, 22 mars 1934.
cxl - Note conservée au CARAN, dans le fonds Le Journal, en 8 AR/279. Cité par
Julien Rivet, L’affaire Oustric (1930-1931). Mécanismes de production d’un scandale
politico-financier, mémoire de master d’Histoire, EHESS, 2009, p. 20.
cxli - Luc Lacombe, « Que cesse cette ignoble cabale contre Éric Woerth et Nicolas
Sarkozy », commentaire personnel adressé le 15 juillet 2010 au site d’informations Le
Post, consulté sur : www.lepost.fr.
cxlii - Selon le mot prêté par un ministre à Nicolas Sarkozy, d’après Alain Auffray,
« L’UMP cherche la touche “fin” », Libération, 8 juillet 2010, p. 4.
cxliii - Assemblée nationale, XIIIe législature, session extraordinaire de 2009-2010,
compte rendu intégral, 2e séance du mardi 6 juillet 2010, Journal Officiel, consultable
sur : www.assemblee-nationale.fr.
cxliv - « Affaire Woerth : “Le PS se conduit comme le FN, en pire” », Le Figaro, « le
talk »-entretien avec Claude Goasguen, 6 juillet 2010, consulté sur : www.lefigaro.fr.
cxlv - Éric Raoult, entretien sur RFI, 6 juillet 2010, vidéo consultable notamment sur :
www.dailymotion.com.
cxlvi - Bruno Gollnisch, « Une suspicion, des certitudes », communiqué de presse du
23 juin 2010, consulté sur : www.frontnational.com.
cxlvii - Marine Le Pen, « Corruption : derrière le soldat Woerth, le général Sarkozy ? »,
communiqué de presse du 6 juillet 2010, consulté sur : www.frontnational.com.
cxlviii - Stéphane Ravier, conseiller régional (PACA), « De Sylvie Andrieux à Nicolas
Sarkozy : qui du PS ou de l’UMP décrochera le titre de champion de la corruption ? »,
communiqué de presse du 8 juillet 2010, consulté sur : www.frontnational.com.
cxlix - Béatrice Jérôme, « Affaire Woerth--Bettencourt : quand le PS fait profil bas », Le
Monde, 10 juillet 2010.
3. Inégalités et tensions : le scandale comme révélateur
cl - Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (Paris, 1835), rééd. Paris,
Union générale d’éditions, 1963, p. 131.
cli - Frédéric Potet, « C’est comme ça, on n’y peut rien », Le Monde, 15 juillet 2010, p.
3, pour cette citation et les suivantes.
clii - Entretien avec Marcel Gauchet, propos recueillis par Marie-Pierre Subtil, Le
Monde, 18-19 juillet 2010, p. 8.
cliii - Entretien avec Roland Cayrol, propos recueillis par Pierre Jaxel-Truer, Le Monde,
15 juillet 2010, p. 3.
cliv - Janine Mossuz-Lavau, L’argent et nous, Paris, La Martinière, 2007.
clv - Frédéric Potet, « C’est comme ça, on n’y peut rien », Le Monde, 15 juillet 2010, p.
3.
clvi - « En France, les élites (un mot que je n’aime pas mais il n’y en a pas d’autres) ont
une haute opinion d’elles-mêmes et ne se rendent pas compte du fossé qui les sépare de
la population », Entretien avec Marcel Gauchet, propos recueillis par Marie-Pierre Subtil,
Le Monde, 18-19 juillet 2010, p. 8.
clvii - Gérard Mauger, L’émeute de novembre 2005. Une révolte protopolitique,
Broissieux, Éditions du Croquant, coll. « Savoir/Agir », 2006, p. 83.
clviii - Hervé Gattegno, « Ce que révèle vraiment l’affaire Bettencourt », Le Point, no
1972, 1er juillet 2010, p. 50.
clix - Gérard Davet, « L’autodéfense du procureur », Le Monde, 13 juillet 2010, p. 3.
clx - François Krug, « L’intendant de l’île d’Arros : “je n’ai pas fait chanter
Bettencourt” », entretien avec Carlos Verajano, Rue 89, 18 juillet 2010, consulté sur :
www.rue89.com.
clxi - Gérard Davet, « L’île d’Arros appartient bien à Madame Bettencourt », Le Monde,
19 juillet 2010, pour cette citation et la suivante.
clxii - Note sur « les inégalités face aux vacances », 28 juin 2010, Observatoire des
inégalités, consulté sur : www.inegalites.fr. Les données antérieures à 2009 sont extraites
des enquêtes INSEE (Les vacances 2004, INSEE résultat no 86, octobre 2008). Les
données 2009 sont issues d’un rapport du Crédoc (no 262, mars 2010).
clxiii - Ibidem.
clxiv - Nicole Vulser, « S’acheter une île, le rêve à l’épreuve des serpents et de l’impôt
sur la fortune », Le Monde, 10 août 2010, p. 10.
clxv - Chloé Leprince, « Affaire Woerth : comment on se rend service dans le Gotha »,
entretien avec Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Rue 89, 4 juillet 2010, consulté
sur : www.rue89.com.
clxvi - Marianne, no 696, 21 août 2010, p. 1.
clxvii - Camille Landais, « Les hauts revenus en France (1998-2006) : une explosion
des inégalités ? », École d’économie de Paris, juin 2007, p. 7 pour cette citation et la
suivante. De façon générale, voir Camille Landais, Essais en économie publique :
fiscalité, hauts revenus, familles, thèse de doctorat en Économie, Paris, EHESS,
décembre 2008. Cette thèse est consultable sur la page personnelle de Camille Landais,
à l’adresse internet : http ://www.jourdan.ens.fr/~clandais/index.php ?
langue=default&choix=recherche.
clxviii - Ibidem, p. 17.
clxix - Mélanie Delattre, « La face cachée de Patrice de Maistre », Le Point, no 1972,
1er juillet 2010, p. 50, pour cette citation et la suivante.
clxx - Isabelle Durieux, « Non, l’argent n’ouvre pas toutes les portes », L’Expansion, 24
juillet 1997.
clxxi - Cyril Granges, Les gens du Bottin Mondain. Y être, c’est en être, Paris, Fayard,
1996, p. 337.
clxxii - Ibidem, p. 336. Voir Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Dans les beaux
quartiers, Paris, Seuil, 1989 ; et, des mêmes, Les ghettos du Gotha : comment la
bourgeoisie défend ses espaces, Paris, Payot, 2009.
clxxiii - Chloé Leprince, « Affaire Woerth : comment on se rend service dans le Gotha »,
entretien avec Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Rue 89, 4 juillet 2010, pour
cette citation et les suivantes. Consulté sur : www.rue89.com.
clxxiv - Ibidem.
clxxv - Selon les données recueillies sur le site du Bottin Mondain, www.bottin-
mondain.fr.
clxxvi - Cyril Granges, Les gens du Bottin Mondain..., op. cit.
clxxvii - Chloé Leprince, « Affaire Woerth : comment on se rend service dans le
Gotha », entretien avec Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Rue 89, 4 juillet 2010,
pour cette citation et les suivantes. Consulté sur : www.rue89.com.
clxxviii - Selon la présentation figurant sur le site Internet de l’entreprise,
www.whoswho.fr.
clxxix - Entretien avec Roland Cayrol, propos recueillis par Pierre Jaxel-Truer, Le
Monde, 15 juillet 2010, p. 3.
clxxx - Camille Landais, « Les hauts revenus en France (1998-2006) : une explosion
des inégalités ? », École d’économie de Paris, juin 2007, p. 25.
clxxxi - Ariane Chemin, Judith Perrignon, La nuit du Fouquet’s. Récit, Paris, Fayard,
2007, 120 p. Voir l’article « Réunion du Fouquet’s du 6 mai 2007 », sur le site Wikipédia,
consulté sur : http ://wikipedia.org.
clxxxii - « Exclusif : les invités du Président au dîner du Fouquet’s », Marianne, 1er
novembre 2007. Consulté sur : www.marianne2.fr pour cette citation et la suivante.
clxxxiii - Marie-Georges Buffet, discours au meeting du Front de gauche, 10 janvier
2010, consulté sur le site Internet du PCF, www.pcf.fr. La référence est utilement signalée
dans l’article « Réunion du Fouquet’s du 6 mai 2007 », sur http ://wikipedia.org.
clxxxiv - « Le réseau qui tient la France », Marianne, no 627, 24 avril 2009.
clxxxv - Jean-Louis Bianco, « Toujours la bande du Fouquet’s », 2 octobre 2009,
consulté sur son site personnel (blog), www.depresdeloin.eu.
clxxxvi - « Deux ans de Sarkozy à l’Élysée... et 16 invités du Fouquet’s avec la Légion
d’honneur ! », article personnel sur Le Post, 6 mai 2009, information vérifiée par la
rédaction, consulté sur : www.lepost.fr.
clxxxvii - John B. Thompson, Political scandal. Power and visibility in the media age,
Oxford, Polity Press and Blackwell publishers, 2000. Voir, en français, John B.
Thompson, « La nouvelle visibilité », Réseaux, 2005/1, no 129-130, p. 59-87.
clxxxviii - Pascale Robert-Diard, « Le président, les Français et le mur de l’argent », Le
Monde, 14 juillet 2010, p. 11 pour cette citation et la suivante.
clxxxix - Pierre Jaxel-Truer et Sophie Landrin, « Les bienfaiteurs du président », Le
Monde, 17 juillet 2010, p. 3.
cxc - Pierre Jaxel-Truer et Sophie Landrin, « Comment les partis politiques sont-ils
financés ? », Le Monde, 7 juillet 2010, p. 10.
cxci - « En France, “il faut assurer un plafonnement” des dons », entretien avec
François Logerot, propos recueillis par Marie-Pierre Subtil, Le Monde, 24 juillet 2010.
cxcii - Nicolas Sarkozy, « Ensemble, tout devient possible », vidéo diffusée par l’UMP, à
partir du 13 avril 2007. Consultée sur : www.dailymotion.com. Voir également Nicolas
Sarkozy, Ensemble, Paris, XO éditions, 2007, 159 p.
cxciii - Frédéric Potet, « C’est comme ça, on n’y peut rien », Le Monde, 15 juillet 2010,
p. 3.
cxciv - Pierre Lascoumes, « Politiques et citoyens : une relation corruptible.
Problématiques et premiers résultats », CEVIPOF, Sciences Po, 2006, p. 12 pour cette
citation et les suivantes. Document consultable sur : http ://spire.sciences-po.fr.
cxcv - Paul Jankowski, Shades of indignation. Political scandals in France, past and
present, New York/Oxford, Berghahn books, 2008, p. 1. La traduction, et ses éventuelles
erreurs, sont de notre fait.
cxcvi - Sur les liens entre corruption et clientélisme, voir notamment, en français, Jean-
Louis Briquet et Frédéric Sawicki (dir.), Le clientélisme politique dans les sociétés
contemporaines, Paris, PUF, 1998 et Jean-François Médard, « Clientélisme politique et
corruption », Revue Tiers Monde, t. XLI, no 161, janvier-mars 2000.
cxcvii - Philippe Bezes et Pierre Lascoumes, « Percevoir et juger la “corruption
politique”. Enjeux et usages des enquêtes sur les représentations des atteintes à la
probité publique », Revue française de science politique, vol. 55, no 5-6, octobre
décembre 2005, p. 773.
cxcviii - Pierre Lascoumes, « Politiques et citoyens : une relation corruptible.
Problématiques et premiers résultats », CEVIPOF, Sciences Po, 2006, p. 3 pour cette
citation et les suivantes. Document consultable sur : http ://spire.sciences-po.fr.
cxcix - Je me permets de renvoyer à Frédéric Monier, La politique des plaintes.
Clientélisme et demandes sociales dans le Vaucluse d’Édouard Daladier (1890-1940),
Paris, la Boutique de l’histoire, 2007, p. 270 et suivantes.
cc - Gaëlle Charcosset, « Entre solidarité et clientélisme : un député du Rhône, Laurent
Bonnevay (1902-1942) », dans Les solidarités. 2 : Du terroir à l’État, P. Guillaume (dir.),
Pessac, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 2003, p. 469.
cci - Notamment la thèse de doctorat d’histoire, en cours, de Julie Bour (CRULH,
université de Metz) sur le clientélisme sous la Cinquième République, étudié au prisme
du député et ministre Louis Jacquinot.
ccii - Daniel Halévy, La république des comités. Essai d’histoire contemporaine (1895-
1934), Paris, Grasset, 1934, p. 29 et p. 88 pour ces deux citations. Voir Sébastien
Laurent, Daniel Halévy, Paris, Grasset, 2003.
cciii - André Tardieu, Alerte aux Français, Paris, Flammarion, 1936, p. 26.
cciv - Pierre Lascoumes, « Politiques et citoyens : une relation corruptible.
Problématiques et premiers résultats », CEVIPOF, Sciences Po, 2006, p. 8-9 pour cette
citation et les deux suivantes. Document consultable sur : http ://spire.sciences-po.fr.
ccv - Je me permets de renvoyer à Frédéric Monier, « A “democratic patronage” : social
integration and Republican legitimacy in France (circa 1880-circa 1940) », dans Ronald
G. Asch, B. Emich, J. I. Engels (hrsg. v.), Integration, Legitimation, Korruption. Politische
Patronage in früher Neuzeit und Moderne, Berne, Peter Lang (à paraître).
4. La grande mutation de la « transparence » (1978-2009)
ccvi - Georg Simmel, Secret et sociétés secrètes [extrait du chapitre V de sa
Sociologie, 1908], Strasbourg, Circé, 1991, p. 26.
ccvii - « Affaire Bettencourt : des secrets de famille au cœur du scandale public », Le
Monde, 29-30 août 2010, p. 1.
ccviii - Frank Bösch, Öffentliche geheimnisse. Skandale, Politik und Medien in
Deutschland und Grossbritannien, 1880-1914, München, 2009.
ccix - Gérard Vincent, « Une histoire du secret ? », dans P. Ariès et G. Duby (dir.),
Histoire de la vie privée, tome 5 : De la Première Guerre mondiale à nos jours, Paris,
Seuil, 1987, p. 199.
ccx - Éric Conan, « L’Oréal : l’arme de la mémoire », L’Express, 16 février 1995.
Consulté sur : www.lexpress.f. La référence est très utilement donnée sur le site
Wikipédia, pour l’article consacré à Eugène Schueller.
ccxi - Bruno Abescat, La saga des Bettencourt, Paris, Plon, 2002.
ccxii - Raphaëlle Bacqué, Béatrice Gurrey, « Face au scandale », Le Monde, 29-30
août 2010, p. 12-13.
ccxiii - Michel Bar-Zohar, Une histoire sans fard : l’Oréal des années sombres au
boycott arabe, Paris, Fayard, 1996. Jacques Marseille, L’Oréal, 1909-2009, Paris, Perrin,
2009.
ccxiv - L’assassinat des frères Rosselli dans la forêt de Bagnoles-de-L’orne.
ccxv - Je me permets de renvoyer à Frédéric Monier, Le complot dans la République.
Stratégies du secret, de Boulanger à la Cagoule, op. cit., p. 271-319 ; ainsi que
« L’imagerie d’une conspiration : l’invention de la Cagoule, 1936-1939 », dans La
politique et la guerre. Pour comprendre le e siècle européen, S. Audoin-Rouzeau et alii
(dir.), Paris, Agnès Viénot/Noésis, 2002, p. 328-341.
ccxvi - Pierre Milza, Fascisme français, passé et présent, Paris, Flammarion,
coll. « Champs », 1987, p. 261.
ccxvii - Philippe Bourdrel, La Cagoule. Histoire d’une société secrète, Paris, Albin
Michel, 1992, p. 338.
ccxviii - Annie Lacroix-Riz, Le choix de la défaite. Les élites françaises dans les années
1930, Paris, Armand Colin, 2007, p. 275.
ccxix - Georg Simmel, Secret et sociétés secrètes [extrait du chapitre V de sa
Sociologie, 1908], Strasbourg, Circé, 1991, p. 25.
ccxx - Certains des éléments qui suivent sont repris d’un travail antérieur : Frédéric
Monier, « Le secret en politique, une histoire à écrire ? », Matériaux pour l’histoire de
notre temps, no 58, avril-juin 2000, p. 6-7.
ccxxi - Ces textes de lois, ainsi que d’autres informations, sont disponibles sur le site
Internet de cette commission, à l’adresse : www.cada.fr.
ccxxii - Sophie Cœuré, Vincent Duclert, Les Archives, Paris, La Decouverte,
coll. « Repères », 2001.
ccxxiii - La cour de sûreté de l’État est abrogée par la loi du 4 août 1981. Sur ce point,
quelques remarques rapides dans Frédéric Monier, « Le régime intangible ? République
et conspirations », Politix, 47, 1999, p. 23-24.
ccxxiv - Michel Couëtoux, Renato di Ruzza, Jérôme Dumoulin, Figures du secret,
Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1981.
ccxxv - Ministère de la Justice, Service de coordination de la Recherche, La justice et
les fonctions sociales du secret, Rapport général et conclusions, La Documentation
française, 1981.
ccxxvi - François Rangeon (dir.), Information et transparence administratives, Actes du
colloque d’Amiens, 1988.
ccxxvii - Alain-Louis Mic, Administration et droit à l’information : le secret en question,
Berger-Levrault, 1985.
ccxxviii - Pascal Quignard, Vie secrète, Paris, Gallimard, réédition Folio, 2001, p. 92.
ccxxix - Sur cette affaire, voir Élie Barnavi, Jean Frydman, tableaux d’une vie, Paris,
2008 ; et Michel Bar-Zohar, Une histoire sans fard : l’Oréal des années sombres au
boycott arabe, Paris, Fayard, 1996.
ccxxx - Voir le reportage télévisé du 13 décembre 1991 sur « L’affaire Dalle-Frydman »,
conservé par l’Institut national de l’audiovisuel, consultable sur : http ://boutique.ina.fr.
ccxxxi - L’un de ces textes est reproduit par Thierry Meyssan, « Histoire secrète de
l’Oréal », 3 mars 2004, posté sur le site Voltaire net, consulté à l’adresse :
www.voltairenet.org.
ccxxxii - Nicole Vulser, « Un siècle de beauté trouble », Le Monde, 8 juillet 2010.
ccxxxiii - Jean-Jacques Becker, Crises et alternances (1974-1995), Paris, Seuil,
coll. « Nouvelle histoire de la France contemporaine », 1998, p. 685-686.
ccxxxiv - Pierre Péan, Une jeunesse française. François Mitterrand, 1934-1947, Paris,
Fayard, 1994.
ccxxxv - Serge Hutin, Les sociétés secrètes, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1re édition,
1952. À lire avec précaution, comme son Gouvernants invisibles et sociétés secrètes,
Villeselve, éd. Ramuel, 1994.
ccxxxvi - Yves-Henri Bonello, Le secret, PUF, coll. « Que Sais-Je ? », 1998.
ccxxxvii - Ibid., p. 116-117. En italique dans le texte.
ccxxxviii - Raphaëlle Bacqué et Béatrice Gurrey, « Face au scandale », Le Monde, 29-
30 août 2010, p. 12-13, pour cette citation et les suivantes.
ccxxxix - Ces textes de lois ont été publiés en recueil par le secrétariat général du
gouvernement, La vie politique : financement et contrôle, textes législatifs et
réglementaires régissant le financement des campagnes électorales et le contrôle de
transparence de la vie politique, Paris, Journal officiel de la République française, 1995,
224 p.
ccxl - Voir les informations données sur le site Internet du service central de prévention
de la corruption (SCPC) : http ://www.justice.gouv.fr/le-ministere-de-la-justice-
10017/organismes-rattaches-10028/service-central-de-la-prevention-de-la-corruption-
12081.html.
ccxli - Pierre Lascoumes, Corruptions, Paris, Presses de Sciences Po, 1999, p. 143.
ccxlii - Voir l’analyse de Jean-Jacques Becker, Crises et alternances (1974-1995),
Seuil, coll. « Nouvelle histoire de la France contemporaine », 1998, « La pestilence des
affaires », p. 517 et suivantes.
ccxliii - Jean Garrigues, Les scandales de la République. De Panama à l’affaire Elf, op.
cit., p. 426.
ccxliv - Jean-Louis Briquet, Philippe Garraud (dir.), Juger la politique. Entreprises et
entrepreneurs critiques de la politique, Rennes, PUR, 2001.
ccxlv - Violaine Roussel, Affaires de juges. Les magistrats dans les scandales
politiques contemporains, Paris, La Découverte, 2002, 310 p. Cyril Lemieux, Mauvaise
presse. Une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques, Paris,
Éditions Métailié, 2000.
ccxlvi - Violaine Roussel, « Scandales et redéfinitions de la responsabilité politique. La
dynamique des affaires de santé et de sécurité publiques », Revue française de science
politique, 2008/6, vol. 58, p. 956.
ccxlvii - Violaine Roussel, « Les changements d’ethos des magistrats », dans La
fonction politique des juges, J. Commaille, M. Kaluszynski (dir.), Paris, La Découverte,
2007.
ccxlviii - Sur l’affaire Boulin, voir Jean Garrigues, Les scandales de la République. De
Panama à l’affaire Elf, op. cit., p. 288 et suivantes.
ccxlix - Philippe Garraud, « Les nouveaux juges du politique en France », Critique
internationale, no 3, printemps 1999, p. 134.
ccl - Violaine Roussel, « Scandales et redéfinitions de la responsabilité politique. La
dynamique des affaires de santé et de sécurité publiques », Revue française de science
politique, 2008/6, vol. 58, p. 958.
ccli - Jean Garrigues, Les scandales de la République. De Panama à l’affaire Elf, op.
cit., p. 419.
cclii - Ibidem.
ccliii - Violaine Roussel, « La judiciarisation du politique : réalités et faux-semblants »,
Mouvements, no 29, septembre-octobre 2003, p. 13.
ccliv - « Le juge Thierry Jean-Pierre est mort », Le Nouvel Observateur, 4 août 2005,
consulté sur : http ://tempsreel.nouvelobs.com.
cclv - Sylvia Zappi, « Eva Joly, la nouvelle égérie écolo », Le Monde magazine, 14 août
2010, p. 11-17.
cclvi - Ophélie Wallaert, « Fin annoncée du juge d’instruction », Le Figaro, 12 janvier
2009, consulté sur : www.lefigaro.fr.
cclvii - Alain Bancaud, La haute magistrature judiciaire entre politique et sacerdoce,
Paris, LGDJ, 1993, p. 121 et suivantes.
cclviii - Christophe Prochasson, Introduction à l’histoire de la France au e siècle,
Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2000, p. 100.
cclix - Maryline Baumard, « Baccalauréat : 65,4 % d’une génération est diplômée », Le
Monde, 14 juillet 2010, p. 13.
cclx - Mathias Bernard, La France de mai 1958 à mai 1981. La grande mutation, Paris,
Livre de poche, coll. « La France contemporaine », 2003, p. 107 et suivantes.
cclxi - Ibidem, p. 93.
cclxii - Régis Arthaud, « La consommation des ménages en TIC depuis 45 ans : un
renouvellement permanent », INSEE Première, no 1101, septembre 2006.
cclxiii - TNS SOFRES, CEVIPOF, Institut Pierre Mendès-France, « Baromètre de la
confiance politique. 1re vague. Rapport de résultats », décembre 2009, consulté sur :
www.tns-sofres.com.
cclxiv - Ibidem.
Conclusion
cclxv - Antonio Tabucchi, Pereira prétend (Sostiene Pereira, 1994), Paris, Folio, 2010,
p. 159.
cclxvi - D’assez nombreuses données sont disponibles sur le site Internet de
l’organisation : www.transparency.org ; une analyse est faite par Fredrik Galtung et
Jeremy Pope, « The global coalition against corruption : evaluating Transparency
International », dans The self-restraining State. Power and accountability in new
democracies, A. Schedler, L. Diamond and M.F. Plattner (eds.), London/Boulder
(Colorado), Lynne Riener publishers, 1999, p. 257-282.
cclxvii - Voir Michael Johsnton, « Measuring the new corruption rankings : implications
for analysis and reform », dans Political corruption : concepts and contexts, A. J.
Heidenheimer et M. Johnston (eds.), 3e édition, London/New Brunswick (USA),
Transaction publishers, 2002 [2009], p. 865-884.
cclxviii - « France : affaire Woerth--Bettencourt : la liberté de la presse et
l’indépendance de la justice sont indispensables à l’émergence de la vérité », section
française de Transparence internationale, 8 juillet 2010, consulté sur le site de
l’organisation, à www.transparency.org.
cclxix - Le texte de cette convention, avec ses « documents connexes », est disponible,
en français, sur le site de l’OCDE : www.oecd.org. Voir l’analyse qu’en proposent Arnold
J. Heindenheimer et Holger Moroff, « Controlling business payoffs to foreign officials : the
1998 OECD anti-bribery convention », dans Political corruption : concepts and contexts,
A. J. Heidenheimer et M. Johnston (eds.), 3e édition, London/New Brunswick (USA),
Transaction publishers, 2002 [2009], p. 943-959.
cclxx - Le texte de cette convention (en français), ainsi que différentes informations (en
anglais), sont disponibles sur le site du bureau de l’organisation des Nations unies sur les
drogues et le crime (United nations office on drugs and crime – UNODC), sur le site
Internet : www.unodc.org. Sur la question générale de l’institutionnalisation, au plan
international, de la lutte contre la corruption, voir Kimberly Ann Elliott, « Corruption as an
international policy problem », dans Political corruption : concepts and contexts, op. cit.,
supra, p. 925-942.
cclxxi - Les textes de ces deux conventions sont disponibles (en français) sur le site
Internet du Conseil de l’Europe : www.coe.int.
cclxxii - Des informations sur le groupe d’États contre la corruption, au sein du Conseil
de l’Europe sont disponibles, en anglais, sur le site Internet : www.coe.int/greco.
cclxxiii - Voir notamment les travaux de la conférence tenue en novembre 2006 à
Strasbourg : Conseil de l’Europe, Corruption and democracy, 2008. Ces textes sont
disponibles en français (pour le résumé et les conclusions) et en anglais (pour les
contributions) sur le site Internet : www.coe.int.
cclxxiv - « Corruption et démocratie. Résumé et conclusions », Conseil de l’Europe,
Strasbourg, novembre 2006, p. 1 ; texte consulté sur :
http ://www.coe.int/t/dghl/cooperation/economiccrime/cybercrime/cy %20activity %20interf
ace2006/143 %20IF %202006-d-sumconclusions1k %20_final_F.pdf.
cclxxv - Ibidem, p. 7, proposition 60.

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