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Victor TAPIA-URRUTIA
Stagiaire
2019-2020
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SOMMAIRE
Introduction .......................................................................................................................... 6
1. Un réseau des partenaires face aux familles et enfants en errance dans le territoire
rennais. .......................................................................................................................... 6
3
Chapitre II : Les problématiques quotidiennes des familles en situation d’errance : Le
début du parcours d’errance ................................................................................................. 31
10. « La rue » : une forme d’hébergement d’urgence dans le territoire rennais ............ 45
14. Un type d’hébergement institutionnalisé : Les centre aéré et gymnases mis en place
par la mairie de Rennes. .......................................................................................... 51
15. Autres types d’hébergement dans le territoire rennais : les hébergements non
disponibles pour les familles au début du parcours d’errance. ................................ 54
Chapitre III : Être enfant et adolescent dans une famille sans logement. .......................... 55
1. Être mineur dans une famille sans logement, élément de contexte : la Convention
des droits des enfants. ............................................................................................. 55
4
2. Être mineur dans une famille sans logement, élément de contexte : Une analyse de
la santé mentale des enfants des familles sans logement. ...................................... 57
3. Le manque de logement : un facteur de stress chez les enfants des familles sans
logement dans le territoire rennais. ........................................................................ 59
4. Une analyse des facteurs de risque sur le bien-être des enfants des familles sans
hébergement ........................................................................................................... 62
8. Des adolescents des familles sans logement : des particularités au regard des
enfants. .................................................................................................................... 70
Bibliographie ...................................................................................................................... 78
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Introduction
Enfin, nous nous intéresserons aux facteurs de risques auxquels les familles sont
exposées tout au long du processus d’errance et aussi dans les hébergements dits
provisoires.
1. Un réseau des partenaires face aux familles et enfants en errance dans le territoire
rennais.
Depuis janvier 2018, le réseau des structures partenaires appelé « Errance et Grossesse »,
commence à débattre et comprendre un phénomène, celui des familles avec enfants et
adolescents en situation d’errance dans le territoire rennais.
Divers sont les constants faits par les acteurs de terrain concernant la prise en charge de ce
nouveau public, car la plupart des structures partenaires ne sont habilitées que pour recevoir
des personnes majeures dans leurs locaux.
A titre d’exemple, les mineurs sont obligés de rester devant les portails pendant que leurs
parents prennent une douche dans l’accueil du jour, ou pendant qu’ils cherchent des
barquettes pour déjeuner.
Ces différentes institutions, au regard de leurs missions et de leurs valeurs, tout comme la
posture et la vision des professionnels, se sont impliqués dans un sous-groupe de réflexion
nommé « Familles et enfants sans logement ». À l’origine, ce nouveau sous-groupe de
partenaires et professionnels regroupe le CCAS de la ville de Rennes à travers le Restaurant
Sociale « Le Perdit », la Délégation de d’Ille-et-Vilaine du Secours Catholique,
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l’association ASFAD, la SEA 35, le CDAS Kléber, le Dispositif PASS du CHU Rennes
sud, Le SIAO 35, le service SPADA de COALLIA, le Centre Médical Louis Guilloux,
l’Equipe mobile de psychiatrie et précarité du CHGR, la fondation Abbé Pierre, et
l’association Aide Juridique d’urgence (A.J.U).
A partir des constats de terrain, les institutions partenaires se sont mises d’accord pour
établir un diagnostic des besoins des familles en errance dans le territoire rennais, afin
d’améliorer la prise en charge et avoir des éléments de contexte au regard des éléments qui
les frappaient et les alertaient sur la dégradation de leurs capacités de réponse aux besoins
des familles, notamment à celles des mineurs.
Cette problématique de plus en plus impactante, d’un point de vue professionnel et humain,
a permis de réunir des efforts financiers et des ressources humaines pour construire un
diagnostic, en faisant appel à un stagiaire.
Actuellement le réseau des partenaires est composé par 11 structures dans le territoire
rennais :
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Cette association est présente dans tout le
territoire français et développe des services
comme l’accueil du jour, lieu conçu pour le
partage et la convivialité des différents
usagers, une bagagerie, le football solidaire
ayant comme objectif de développer un
esprit de groupe et de solidarité entre les
usagers, entre autres.
CCAS Ville de Rennes. Le Centre Communale d’Action Sociale,
Restaurant Social « Leperdit »
assure deux missions principales : action en
faveur des personnes âgées au sein de la
Direction personnes âgées et l’aide aux
personnes en difficultés au sein de la
Direction insertion et aides à la population.
Le restaurant social « Leperdit » (dit « Le
Fourneau ») propose un repas pour 1 euro à
toute personne majeure sans domicile fixe.
Entre ses services on peut compter l’écoute,
accompagnement et des permanences d’aide
administrative, juridiques et de d’accès à la
santé.
Centre Hospitalier Guillaume Régnier L’EMPP, rattaché au centre hospitalier
Equipe Mobile Psychiatrie et Précarité
Guillaume Reigner (CHGR), couvre le
(EMPP)
territoire de Rennes et Rennes Métropole,
ayant entre ses axes d’intervention, allé au-
devant des personnes en situation de
précarité lorsqu’elles souffrent de
pathologies psychiatriques ou troubles
psychiques générés par la précarité et
l’exclusion.
SIAO 35 – (115) Le Service Intégré d’Accueil et
d’Orientation a été créé en 2010 en Ille-et-
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Vilaine suite à la publication de deux
circulaires, et a été consacré juridiquement
par la loi ALUR de 2014.
En Ille et Vilaine, les missions sont assurées
par le GCSMS SIAO 35 dans le cadre d’une
convention pluri-annuelle d’objectifs signée
avec l’Etat.
Le SIAO s’articule autour du 115, de 5
antennes locales et de la coordination
départementale.
Le 115 est un service d’appels
téléphoniques ouvert 24h/24 et 7j/7 dédié
aux personnes sans-abri. Il régule la plupart
des places d’hébergement d’urgence du
territoire, notamment celles sur le territoire
rennais.
Fondation Abbé Pierre La fondation Abbé Pierre est reconnue
d’utilité publique et elle poursuit le combat
pour le logement des plus défavorisés. Entre
ses axes d’intervention on peut compter la
mise en œuvre du plan « 0 SDF », l’accès
aux droits liés à l’habitat, entre autres.
CDAS Kleber Le Centre Départemental d'Action Sociale
(CDAS) est la porte d’entrée pour toute
l'action sociale du Département, au plus
proche des habitants.
Le CDAS a une mission d’accueil de tous
les publics qui rencontrent des difficultés.
Des professionnels exerçant différents
métiers y travaillent : assistantes sociales,
éducateurs, infirmières, psychologues,
sages-femmes, puéricultrices et médecins
9
PMI, mais aussi des conseillers sur divers
thématiques (enfance, insertion, personnes
âgées et handicapées, économie sociale et
familiale).
Association Aide Juridique d’Urgence L’A.J.U est une association fondée en 1998
(AJU)
par des avocats rennais soucieux d’aller
vers le public en situation de précarité afin
de les aider dans l’exercice de leurs droits.
Ils ont ainsi organisés des permanences
d’information juridique gratuite et
confidentielle au sein des structures
partenaires.
Les permanences sont assurées par une
juriste et des avocats bénévoles selon
disponibilité.
Centre Médical Réseau Louis Guilloux Le Réseau Louis Guilloux est une
association à but non lucratif qui promeut la
Santé comme définie par l’Organisation
Mondiale de la Santé, à destination d’une
population majoritairement précaire et de
toutes origines.
Les valeurs de l’association s’inscrivent
dans le respect du droit à chacun de
disposer d’un accueil médico-social
professionnel sans jugement et sans contrôle
administratif.
Dans ce cadre, le Centre médical réseau
Louis Guilloux propose 5 pôles d’action :
Le pole migrants, le pôle d’interprétariat
médico-social, le pôle tuberculose, le pôle
de coordination en santé sexuelle et les
appartements de coordination thérapeutique.
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SEA 35 L’association Sauvegarde de l’Enfant à
Pôle Précarité et Insertion.
l’Adule en Ille-et-Vilaine, et plus
Dispositifs :
Le « 61 » précisément Le Pôle Précarité Insertion
Coorus
(PPI) dépend de la SEA 35 (Sauvegarde de
Skoazell
ABRI l’Enfant à l’Adulte en Ille et Vilaine).
CAO
Le PPI a été créé en 2005 et ses missions
APPARTE
LOJI sont principalement centrées sur l’accueil et
PUZZLE
la veille sociale, l’hébergement d’urgence et
l’accompagnement.
Le PPI offre des services diversifiés aux
personnes sans-abri.
Le PPI offre des prestations d’accueil,
d’information, d’orientation, d’hébergement
d’urgence et accompagnement individualisé
dans le cadre de l’accès aux droits :
domiciliation, premières nécessités,
ressources, santé, logement, hébergement,
emploi, entre autres.
Académie de Rennes Le service social en faveur des élèves, est
Service sociale en faveur des élèves.
un service social spécialisé de l'éducation
nationale, concourt à l'égalité des chances et
à la lutte contre les inégalités sociales et
territoriales en matière de réussite scolaire
et éducative.
Centre Hospitalière Régional Les permanences d'accès aux soins de santé
Universitaire (Hôpital SUD)
(PASS) est une cellule de prise en charge
Cellule PASS
médico-sociale, qui facilite l’accès des
personnes démunies au système de santé
hospitalier, aux réseaux institutionnels ou
associatifs d’accueil et d’accompagnement
social.
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2. Méthodologie et limites du diagnostic.
Pour ce travail, nous avons développé un processus de regroupement des données pouvant
nous permettre d’avoir une vision globale du nombre de ménages avec enfants qui se
trouvent dans une situation d’errance dans le territoire rennais.
Par rapport aux données recueillies dans la plate-forme téléphonique du 115, les limites
peuvent être :
• Le manque constant de places amenant les familles avec enfants à chercher un autre
moyen d’hébergement,
• Les demandeurs d’asile ne sont pas pris en charge par ce service de l’Etat depuis
juillet 2019,
• Les familles en situation d’errance cherchent d’hébergement provisoire par des tiers
ou dans des autres structures.
• Ces données ne comprennent que l’ensemble des communes de Rennes Métropole.
Nous avons choisi comme instrument de recueil des données qualitatives l’entretien
qualitatif semi-directif, en ajoutant l’observation et la participation à des actions dans les
lieux d’habitation provisoire des interviewés et dans des structures d’accueil.
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Le processus de recherche a débuté avec des entretiens exploratoires avec les partenaires du
réseau « Famille et enfants sans logement ».
À ce propos, nous avons interviewé les professionnels des divers dispositifs, tels que :
CCAS ville de Rennes à travers l’assistante sociale du Restaurant Social « Le Perdit »,
l’assistante sociale de l’équipe mobile de psychiatrie et précarité du CHGR, la directrice et
les écoutantes téléphoniques du SIAO 35, la représentante de la Fondation Abbé Pierre, la
conseillère technique ESC Rennes Centre du CDAS Kleber, l’équipe de la PMI Kleber, la
juriste de l’association d’Aide Juridique d’Urgence, le psychologue et l’infirmière du
Centre Médicale Louis Guilloux, l’assistante sociale du dispositif PASS du centre
hospitalier Régional Universitaire (CHRU), les responsables du service Pôle Précarité et
Insertion du SEA 35, l’animatrice du réseau de solidarité et la déléguée départementale du
Secours Catholique, la conseillère technique auprès de l'Inspecteur d'Académie du service
social en faveur des élèves de l’Académie de Rennes et la directrice du service SPADA
Coallia en Ille-et-Vilaine.
Dans cette même lignée, nous avons interviewé d’autres structures, telles qu’Un Toit c’est
Un Droit (UTUD), pour compléter le processus exploratoire auprès des familles sans
logement.
Ces entretiens ont eu comme objectif de développer une vision globale de la prise en charge
et de l’accompagnement par le bais des dispositifs et associations situés dans le territoire
Rennais.
Les entretiens auprès familles ont été réalisés au sein des diverses structures et lieux
d’hébergement provisoire institutionnels et non-institutionnels de la ville de Rennes, tels
que : l’accueil de jour du Secours Catholique, le dispositif ABRI, COORUS et le « 61 » du
SEA 35, la halte-garderie de l’ASFAD (Pôle Petite Enfance).
Concernant les lieux d’hébergement provisoires de type institutionnel, nous avons mené des
entretiens dans les maisons de COORUS de la SEA 35, l’hébergement d’urgence ABRI et
le gymnase de haute séance mis à disposition comme hébergement par la mairie de Rennes.
Nous avons pu réaliser des entretiens dans des lieux non-institutionnels d’hébergement
provisoire, tels que deux squats à Rennes et dans l’espace public comme un jardin public
utilisé comme lieu d’habitation.
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Nous avons interviewé deux familles françaises, sept familles déboutées de la demande
d’asile, trois demandeurs d’asile, trois familles sous procédure Dublin, une famille refugiée,
une famille avec une titre de séjour d’enfant malade, deux avec titre de séjour parent
d’enfant français et une famille avec titre de séjour enfant réfugié.
Au regard du genre et de l’âge, nous nous sommes entretenus avec six hommes, seize
femmes, six enfants et trois adolescents. Il est important de remarquer qu’en raison du
stress et de l’angoisse des familles, les entretiens se relèvent hétérogènes au regard du
développement de la situation quotidienne et du parcours des familles.
Homme (père) 30 ans Hors UE Demandeur Couple avec 5 Fille 4 ans Squat
Famille s d’asile enfants Garçon 3 ans
13 Garçon 10 mois
14
Famille Femme (mère) 40 ans Hors UE Debouté Couple avec 4 Garçon 18 mois Centre Aéré
14 Asile enfants Fille 6 ans
Famille Homme (père) 32 ans Français Francais Monoparentale 2 Garçon 4 ans Hebergeme
15 [DOM] nt
d’urgence
Famille Femme (mère) 41 ans Hors UE Debouté Couple avec 4 Garçon 17 ans Hébergés
16 Garçon 17 ans Asile enfants Garçon 6 ans par
dispositif
Famille Femme (mère) 42 ans Hors UE Déboutés Couple avec 7 Fille 4 ans Gymnase
17 Garçon 16 ans Asile enfants Fille 10 ans
Garçon 7 ans Garçon 7 ans
Fille 10 ans Garçon 16 ans
Fille 10 mois
Famille Femme (mère) 35 ans Hors UE Dublin Monoparentale 3 Garçon 9 ans Gymnase
18 Garçon 9 ans Fille 6 ans
Famille Femme (mère) 28 ans Hors UE Enfant Monoparentale 2 Fille 3 ans Hébergé par
19 réfugié dispositif
Famille Femme (mère) 38 ans Hors UE Debouté Monoparentale 3 Garçon 13 ans Hébergé par
20 Asile Garçon 6 ans dispositif
15
Chapitre I. Quelles familles et quels besoins ?
1. Les données du «115 »
Total de ménages avec enfants qu’ont appelé le « 115 » en 2019 dans le territoire de
Rennes Métropole : 909
Hors UE
UE
Non renseigné
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Situation administrative des ménages avec
enfants ayant appelé le 115 à Rennes en 2019
190 = 21%
29 = 3% Source : SIAO 35
Il convient de souligner que c’est le service SPADA qui prend un rendez-vous dans le
Guichet Unique des Demandeurs d’Asile (GUDA). Après une analyse du dossier par le
service GUDA, s’il revient à la France d’examiner la demande d’asile, elle sera examinée
par l’Office Française de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) sous le
contrôle juridictionnel de la cour nationale du droit d’asile (CNDA)1.
Les familles que nous avons rencontrées sans logement fixe, sont pour la plupart des
demandeurs d’asile. Ils sont nombreux à être dans cette situation d'errance, notamment à
leur arrivée sur le territoire, durant le pré-enregistrement dans le service SPADA, le
1
COALLIA. (s/d) : Les principales étapes de la demande d’asile : Guide de la demande d’asile. Service SPADA Ille-et-
Vilaine
17
passage dans le guichet unique des demandeurs d’asile (GUDA) et le début de la demande
à l’OFPRA.
Cette phase d’errance pendant les procédures administratives, jusqu’à ce qu’ils aient une
place, en soit en CADA (Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile), soit dans des
Hébergements d’Urgence pour Demandeurs d’Asile (HUDA), comprend pour la plupart
une période d’errance de trois à quatre semaines minimum.
Pour les familles en demande d’asile que nous avons interviewée, ces principales
complications commencent à l’arrivée dans le territoire pour comprendre, connaître et se
reconnaitre dans une situation administrative et sociale différente de celle occupée dans le
pays d’origine.
Ce processus d’errance est marqué par un parcours de rue. Dans ce cadre les familles
privilégient de se rendre dans les hôpitaux, la gare ou autres lieux public pour dormir la nuit
avec leurs enfants à la recherche d’un endroit « sûr ».
« Nous sommes allés à l’hôpital, et ils m’ont pas compris, ils m’ont
révisé et m’ont dit que j’étais bien. Le lendemain on voulait dormir à
18
l’hôpital aussi; et ils m’ont demandé de sortir, on n’a pu dormir à l’hôpital.
Est-ce que vous avez appelé le numéro 115 ? Oui… mille fois… ils nous ont
dit qu’ils n’avaient pas de place, et qu’on devait aller dans le service
SPADA parce que on était demandeurs d’asile. Dans le service SPADA, ils
nous ont dit d’attendre l’OFFII et que pour le moment il n’y a pas de place
pour nous. » [Femme 30 ans, Famille 2]
Entre le manque de places d’hébergement dans les sites d’hébergement pour demandeurs
d’asile et l’impossibilité de se rendre dans un hébergement d’urgence proposé par l’Etat, les
familles sont obligées de fréquenter des lieux publics pour dormir. Par la suite, grâce au
bouche-à-oreille, ou aux conseils prodigués dans une association visitée, ou dans le service
de premier accueil pour demandeurs d’asile, ils s’informent des solutions d’hébergement
d’urgence, proposées par une association à but humanitaire. Cette solution se matérialise le
plus souvent dans un squat, une église ou un hébergement citoyen.
Selon les constats du terrain, nous avons remarqué que même si les familles ont des
informations parfois précises sur la procédure et les lieux ressources dans le territoire
rennais, l’inquiétude et le manque d’orientation occasionnés par l’effort de s’insérer dans le
territoire fait que la désorientation soit plus forte.
19
Cette étape d’errance est une période complexe à vivre d’un point de vue émotionnel et
physique. C'est en même temps une période riche de rencontres, ce qui va permettre la
construction d’un réseau important qui leur sera utile lors de la réponse de la demande
d’asile.
En résumé les familles rencontrées ont élaboré un réseau dans la ville des Rennes qui
implique un soutien, alimentaire et d’hébergement provisoire de caractère humanitaire
avant d’être placés dans des hébergements pour demandeurs d’asile dans d’autres villes du
département.
Les liens interpersonnels développés tout au long du processus d’errance dans la ville de
Rennes, sont arrêtés par le changement de ville. Cependant, cette connaissance du réseau
associatif sera mobilisée à la sortie de l’hébergement, principalement si la demande d’asile
est rejetée.
Nous avons conclu que le processus d’errance en tant que demandeur d’asile implique la
connaissance et le développement d’un réseau de soutien tout au long du processus.
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Dans un premier temps, ce réseau associatif va être plus « institutionnalisé » dans l’attente
d’ouverture des droits. Ensuite, si la réponse est négative ils vont basculer vers un réseau
militant de soutien, après l’avoir précédemment rencontré.
Le parcours de la demande d’asile dans l’errance, est donc marqué par le passage d’un
réseau institutionnel de soutien à un autre de type « militant », dans un contexte d’aller-
retour entre la ville d’hébergement provisoire et la ville de Rennes.
Différentes raisons poussent les demandeurs d’asile à revenir dans le territoire de Rennes
Métropole après avoir été placés dans une autre ville.
La première raison est le tissu associatif plus dense à Rennes que dans d’autres villes du
département. La deuxièmement est la bonne connaissance de ce réseau par les familles, car
dans les autres villes où ils ont été hébergés, ils n’ont pas eu autant besoin ou l’occasion de
se mobiliser pour rencontrer les associations que lorsqu’ils étaient sans hébergement.
2.2 Deux typologies de familles : françaises ou en situation régulière autre que refugié
ou demandeur d’asile.
Tout au long du processus de recherche nous nous sommes rendu compte que le
phénomène de non-logement touche aussi certaines parties de la population dit native,
même si nous ne sommes pas en mesure d’analyser en profondeur le phénomène, car nous
n’avons pas rencontré assez des familles françaises ou en situation régulière autre que
refugié ou demandeur d’asile.
Cependant, nous pouvons décrire le phénomène de non-logement que nous avons connu par
le bais des rencontres avec des professionnels, des familles victimes de violences
conjugales et migrantes de nationalité française dans le territoire (migration des
départements d’outre-mer vers la métropole).
Dans ce cadre, les familles victimes de violences conjugales que nous avons rencontrées
dans une situation de mise à l’abri, ont été interviewées dans des hébergements d’urgence
et dans des lieux éducatifs pour enfants. D’autre part, pour les familles françaises
interviewées, celles-ci ont été interviewées dans des hébergements d’urgence proposés par
le 115.
21
Des similitudes existent entre ces deux typologies de familles, le manque de l’absence de
liens sociaux ou sa perte, soit par l’isolement du fait de la violence conjugale ou du fait de
la migration vers le territoire métropolitain.
La violence conjugale en tant que phénomène est complexe à traiter et n’est pas facile à
visualiser dans une logique linéaire du parcours. Le phénomène de la violence implique la
rupture des liens sociaux, avec un grand impact psychique pour la personne au regard de la
confiance et de l’estime de soi.2
Dans ce contexte nous avons interviewé des femmes victimes de violences conjugales, qui
pour leur protection ont été mises en sécurité, au début à l’hôtel et après dans des
hébergements d’urgence.
Une des principales problématiques se réfère aux conditions matérielles d'accueil. Pour les
familles mises à l’abri à l’hôtel, à l’isolement, s’ajoutent le manque d’espace pour vivre en
famille, la dégradation du bâtiment et l'état de propreté de la chambre.
La mise en sécurité s’établit dans un processus paradoxal pour la personne, car elle est en
sécurité dans un lieu d’hébergement provisoire vivant un processus de perte de confort en
comparaison au domicile conjugal, tout en ne pouvant pas accés régulier du fait de
l’éloignement des lieux de soutien professionnel.
Le manque de places dans les hébergements d’urgence pour les femmes victimes de
violence conjugale, signifie qu'elles se retrouvent dans une situation de grand traumatisme
sans avoir un accompagnement proche, ce que peut d’une certaine façon, accentuer les
allers retours entre la mise en sécurité et le domicile conjugal. Il est à noter que la violence
économique peut être un facteur de retour au domicile.3
2
Delbreil, A, Senon, J, et Voyer, M. (2014). Violences conjugales et troubles psychiatriques. Dans
L’information psychiatrique. Vol. 90 pp 663 à 671
3
Déroff, ML. (2015). Parcours des Femmes victimes de violence conjugale : Rapport de recherche.
Université Bretagne Occidentale. Pp 34
22
Pour les familles que nous avons rencontrées dans le cadre de la mise en sécurité dans un
hébergement d’urgence dédié, la construction des liens entre les femmes et l’importance
d’avoir un accompagnement propice permet notamment de reprendre la vie, de développer
un lien social et d’être accompagné par des professionnels au détriment de la mise à l’abri à
l’hôtel.
Un autre type de familles rencontrées dans le territoire rennais, sont des familles qui ont
vécu un processus de migration vers le territoire métropolitain. Les liens sociaux
apparaissent très limités et le manque de connaissance des structures de droit commun
amorcent un processus d’errance et de méconnaissance du système, ayant pour
conséquence le ralentissement d’accès aux droits et même le non recours.
Aussi, il convient de noter que ces deux types de famille ont vécu une rupture de parcours,
soit du fait de la violence conjugale, soit par le processus migratoire, engendrant dans les
deux cas, un isolement et un manque de liens sociaux qui ne leur permet pas de développer
rapidement une reprise dans le parcours.
La condition de réfugié est vue par les familles comme une nouvelle opportunité, une
promesse qui réassure un avenir plus tranquille, prospère et protecteur de l’intégrité
physique de l’ensemble de la famille.
Cette reconnaissance juridique en tant que réfugié est d’une certaine façon l’acquisition
d’une identité postulée, dans le sens où « La procédure d’asile est une demande de
reconnaissance de la qualité de réfugié qui répond à une condition sociale, civile et
juridique spécifique. Elle est aussi pour le réfugié une demande de justice, de
reconnaissance de sa place affirme publiquement dans la société »4 .
4
Malhou, A. (2014). La reconnaissance juridique, une nouvelle naissance? Dans : Capogna-Bardet, G.
(2014). Clinique du trauma. Paris. pp34.
23
Dans cette logique, elle agit comme la reconnaissance publique d’un statut, d’une histoire
de vie et d’un parcours de souffrance légitime aux yeux de la justice. Cette nouvelle forme
d’identité s’érige pour le sujet.
Pour les demandeurs d’asile et plus largement les personnes dans une situation de précarité
et de vulnérabilité, les émotions sont en bouleversement constant, du fait de la recherche de
protection et de biens matériels pour survivre au quotidien.
« Nous allons à Skoazell tous les 3 mois pour l’argent qu’ils nous donnent
pour les enfants et pour la nourriture nous allons au Resto du Cœur et au Secours
Populaire. Mais cela ne suffit pas, parce qu'ils te donnent que pour un certain
temps et nous sommes cinq personnes… Par exemple ma sœur ne mange pas la
même chose que nous… du coup nous sommes obligés d’acheter des choses pour
manger… Aussi pour les médicaments, si le médecin te fait une prescription et si
elle n’est pas remboursée. … Par exemple il y a deux semaines je suis allée chez le
médecin, il m’a fait une prescription et au final j’ai pris qu’un seul médicament
parce que celui-ci était remboursé et pas les autres et je n’avais pas d’argent pour
les acheter… On est parfois ou presque tout le temps jugé, on a eu la force de
survivre, nous avons passé des beaucoup mauvaises choses… Mes amis là-bas
(pays d’origine) ont continué leur vie, ils ont fait des études ou ils travaillent, moi
je suis parti… J’ai travaillé en Albanie, je pense que quand nous sommes arrivés en
France, je pensais pouvoir faire des études et au final je n’ai pas pu étudier ou
continuer l’école… Mais je suis partie et je suis dans cette situation maintenant…
pour le futur je ne sais pas, je voudrais faire quelque chose avec ma vie… »
[Femme 24 ans, Famille 6]
24
Dans ce cadre selon Jane Freedman5, les émotions comme la rage, la honte et la colère
doivent être réprimées par les demandeurs d’asile et les réfugiés dans le cadre de l’appel à
l’aide. À l’inverse la tristesse, la peur et la honte sont cherchées par autrui dans le processus
d’aide humanitaire et sociale.
Certains interviewés nous ont parlé de la complexité de se retrouver dans une nouvelle
position sociale. Ils se définissent eux-mêmes comme un « clochard », en ayant perdu leur
statut social antérieur (dans le pays d’origine) et s’identifie en même temps avec ce
stéréotype en France.
Dans cette situation complexe et subjective, nous avons interviewé les familles concernées,
se trouvant dans un processus de bouleversement émotionnel porté par un sentiment de
légitimité grâce à la reconnaissance comme réfugié. Malgré tout, ces familles sont soumises
à un sentiment de frustration du fait du non-hébergement, ressenti par les familles comme
un promesse non tenue au regard de leurs attentes initiales.
Une fois que les personnes sont reconnues comme réfugiées ou sous une protection
subsidiaire, elles ont un délai des trois mois renouvelables une fois sous l’accord du préfet,
avant de quitter l’hébergement (CADA) ou (HUDA). Après quoi elles peuvent demander à
l’OFII d’être bénéficiaires d’un hébergement dans un centre provisoire d’hébergement
(CPH), s’elles remplissent les conditions d’admission et si des places sont disponibles, pour
une durée de neuf mois renouvelables une fois pour trois mois6. Il est également possible
d’accéder au parc privé de logement et/ou présenter un dossier pour être bénéficiaire d’un
logement social.
Les familles refugiées que nous avons rencontrées, même si elles ont obtenu la
reconnaissance juridique et sociale de réfugié, se trouvent dans un processus d’errance
5
Freedman, J. (2017). Peur, Honte, Humiliation? Les émotions complexes des demandeurs d’asile et des
réfugiés en Europe. Centre d’information et d’études sur les migrations internationales. N°168.pp 23-34.
6
Ministère de l’intérieur. Direction générale des étrangers en France (2019). Le guide du demandeur d’asile en France.
Direction d’asile. France. pp 39
25
après avoir été bénéficiaires de l’hébergement proposé par le Centre provisoire
d’hébergement (CPH).
Les familles interviewées ont fait le choix de revenir à Rennes pour se mettre en contact
avec des associations à but humanitaire et social, car réactiver les liens de solidarité qu’ils
connaissaient implique de se déplacer d’une ville à l’autre.
L’absence totale de droits et la quasi inexistence d’un point de vue administratif, donne
comme résultat une visibilité partielle de cette population dans l’espace public. Cela se
traduit par un manque de prise en charge institutionnelle, tout en étant objet d’une forme
d’accompagnement centré sur l’écoute et l’orientation par des structures d’urgence.
La vie familiale des personnes en situation irrégulière est paradoxale, les enfants en tant
qu’enfants ont droit à être dans l’espace public, dans la ville, notamment par le biais de
l’école, mais d’autre part, les adultes restent cachés dans la peur d’être identifiés et
interpellés dans l’espace public. Cette dualité a pour conséquence une vie familiale très
restreinte et complexe, car il faut être visible pour des structures de soutien et invisible pour
la force publique.
26
exemple si tu veux sortir pour voir quelqu’un il ne faut pas aller à République. Mais
de toute façon il y a des contrôles aussi à Charles de Gaulle ou à Jacques Cartier,
quelque fois même quand le star te contrôle la carte de bus j’ai peur, parce que je
ne sais pas si la police est avec eux ou pas et il y a des possibilités de se faire
contrôler… » [Femme 24 ans, Famille 6]
Depuis 1990 les règlements Dublin se sont succédés pour arriver actuellement au règlement
Dublin III. Dans l’étape d’enregistrement de la demande d’asile par la préfecture, les
demandeurs d’asile sont interviewés pour connaitre leur parcours migratoire, les éventuels
liens par exemple familiaux entretenus par la personne dans d’autres États membres de
l’UE et associés8, afin de transférer la personne dans cet État. Cette procédure a pour
finalité de déterminer si la France doit prendre en charge la demande d’asile.
7Ministère de l’intérieur. Direction générale des étrangers en France (2019). Le guide du demandeur d’asile en France.
Direction d’asile. France. pp6
8Ministère de l’intérieur. Direction générale des étrangers en France (2019). Le guide du demandeur d’asile en France.
Direction d’asile. France.pp7
27
convocation, auquel cas elles seront déclarées « en fuite » pendant dix-huit mois en
attendant l’expiration du délai de transfert9.
Les familles que nous avons interviewées ont été des personnes déclarées « en fuite ». Cette
décision pèse sur les épaules de chacun des interviewés, car le résultat est paradoxal, d’une
part ils se retrouvent sans droits, dans une situation d’abandon institutionnel et en même
temps, avec l’espoir de présenter leur demande d’asile à nouveau en France pour obtenir le
statut de réfugié.
Les familles rencontrées ont déjà vécu un processus migratoire complexe, plusieurs d’entre
elles après leur arrivée dans le territoire, continuent à enchainer des défis quotidiens et des
traumatismes. Une mère vivant dans un squat nous raconte son processus migratoire.
« Tu n’es pas chez toi, ça va pas bien ici et t’as quitté ton pays et tout,
ça fait mal au cœur en fait… t’as traversé beaucoup de difficultés avec mon
enfant c’est vraiment compliqué… traverser l’Afrique c’était compliqué ?
Oui c’est compliqué, très compliqué… prendre le bateau et traverser la
méditerrané pendant 13 heures c’est très dur aussi… sur un zodiac… la
police espagnole est venue nous sauver… après mon arrivée en Europe, je
suis restée peu de temps en Espagne, je suis venue direct en France, à
Toulouse parce que je ne parle pas espagnol. » [Femme 25ans, Famille 7]
Après le périple migratoire et une fois déclaré « Dublin », la « fuite » implique de quitter
l’hébergement provisoire et de se retrouver à nouveau à la rue. Mais cette fois-ci, le
nouveau défi est celui d’être invisible des forces de police tout en étant visible pour les
associations afin humanitaire pour bénéficier d’une aide.
9S. Catholique. Caritas France. (2019). Exilés, Dublinés, Maltraités : Le règlement Dublin et les conséquences de son
application en France : S. Catholique. Caritas France. pp33
28
Cette visibilité dans certaines structures se développe par la confiance et la connaissance.
Elle est presque instinctive car la recherche d’aide sociale d’urgence est vue comme un
moyen de survivre dans un moment d’absence totale de droits.
La situation actuelle des familles dites « Dublin » que nous avons interviewée est très
précaire et vulnérable, mais ils vivent cette situation dans l’espoir d’obtenir le statut de
réfugié et de fait d’obtenir des droits par le biais de la demande d’asile.
Les familles que nous avons interviewées dans cette situation administrative (déboutés de la
demande d’asile), sont des familles qui se retrouvent dans une complète absence de droits
et à la différence des « Dublin », le fait d’être débouté est vécu comme la fin d’un long
chemin. Il n’y a plus d’alternative envisageable.
L’absence de documents implique une recherche active de solutions pour sortir de la rue et
avoir accès à un hébergement.
« Il y a déjà 7 ou 8 mois que nous sommes arrivés ici (le squat)… pour
trouver un logement pour nous, que on n’a pas des papiers, on n’a pas de
travail et en plus que on ne connaît pas bien la langue c’est vraiment
compliqué… c’est difficile… parce que nous sommes une famille… une seule
personne je pense que c’est plus facile… il peut trouver quelque chose plus
tranquillement… Ici (le squat) nous sommes beaucoup, nous ne sommes pas
29
tous du même pays, on se connaît pas tous forcément, ça change les
choses… C’est compliqué pour vivre mais on remercie aussi parce qu’être
ici nous permet d’avoir une maison, être au chaud et n’être pas dehors… »
[Femme 24 ans, Famille 6]
Être en famille et avoir des enfants en bas âge entraine des problématiques multiples, les
besoins sont de plus en plus nombreux, et s’ajoute celui de trouver une place
d’hébergement pour une grande famille.
30
Chapitre II : Les problématiques des familles en situation d’errance. Le début
du parcours d’errance.
Tout au long du processus de diagnostic, nous avons pu constater qu’être immergé dans une
situation d’errance, indifféremment du parcours et de l’histoire de vie de la personne,
engendre des problématiques ou des défis quotidiens plus au moins similaires.
Le processus d’errance en famille implique un grand stress pour s’insérer dans un nouvel
environnement, acquérir rapidement des nouveaux codes sociaux, institutionnels et de
socialisation pour s’intégrer dans un espace social.
L’état d’esprit et l’estime de soi sont aussi fortement impactés quand on est dans un
processus d’errance et d’exclusion sociale.10
Arriver pour la première fois dans le territoire rennais et se retrouver sans hébergement
pour la nuit, implique de connaitre et reconnaitre rapidement les espaces ressources pour se
rendre aux bonnes adresses. Ce qui n’est pas un travail facile à faire, se déplacer avec des
enfants en bas âge devient un défi de mobilité, physique et de santé mentale pour faire face
au stress et l’angoisse de penser qu’il va falloir trouver un endroit le plus sûr possible pour
dormir dans la rue.
Nous avons pu noter, dans les divers lieux d’accueil des familles, la fatigue et l’épuisement
des adultes et des enfants. Dans ce cadre, nous avons remarqué leur force et courage quand
il fallait quitter l’accueil du jour en sachant qu’ils vont dormir sous une tente cachée dans
10
Lamia, A et Esparbes-Pistre, S. (2004) Chapitre 6 : Estime de soi et vulnérabilité. Dans Précarité et
vulnérabilité psychologique. (pp 89-104). ERES. France.
31
un jardin public, dans une voiture, dans squat ou cachés sous un viaduc en attendant la
solution d’hébergement pour le lendemain.
Pour comprendre les difficultés auxquelles sont confrontées les familles avec enfants en
errance dans le territoire rennais, nous allons décrire certains problèmes et besoins que nous
avons pu constater durant le processus de diagnostic.
D’abord, pour les familles étrangères non francophones le premier pas vers la rencontre
institutionnelle se fait en dépassant la barrière de la langue. Cette barrière intangible mais
primordiale dans tous les cas, devient le premier défi du processus de rencontre
institutionnelle.
32
Le processus communicatif se révèle un problème pour les familles en errance non
francophones. Il devient aussi complexe pour les familles françaises qui ont vécu une
rupture dans leur parcours. Avoir le bon discours, les bons réflexes et contactes pour
s’informer et trouver de l’aide dans un moment compliqué qui leur demeurent complexe à
vivre.
Il est important de remarquer que la totalité des familles rencontrées et interviewées ont
accès à une tablette ou un Smartphone, ce qui rend plus facile le processus communicatif à
travers des outils de traduction et de localisation pour se rendre aux adresses.
La première structure avec laquelle la famille se met en lien sert de point de départ pour
tous les autres rencontres institutionnelles. Il nous semble important de remarquer, que pour
la plupart des familles rencontrée, le point de départ privilégié est le SIAO 35 (115).
Dans le territoire rennais, selon les données que nous avons pu recueillir grâce aux
échanges avec des familles, les institutions de premier contact sont clés pour rentrer en
suite dans le processus de rencontre des autres lieux ressources.
Nous avons identifié que le point de départ se fait via le SIAO 35 à travers leur plate-forme
téléphonique (115), Coallia dans leur service SPADA, l’Hôpital (où se rendent les familles
sans logement pour dormir la nuit) et le MRAP pour les familles qui se sont retrouvés en
33
errance parfois à nouveau dans leur parcours (déboutés de la demande d’asile, familles sous
procédure Dublin, etc.) ou qui connaissent la structure en amont.
Suite au premier contact institutionnel, les structures à but humanitaire et sociale jouent un
rôle primordial, pour avoir accès aux services de première nécessité, mais aussi pour
construire un réseau de soutien dans certains cas. Il sert de groupe d’appui et socialisation
pour les familles, souvent toutes plus ou moins dans la même situation.
La rencontre de ce réseau de soutien permet aux familles, aux adultes comme aux enfants
de communiquer dans leur langue, avoir un lien social qui dépasse la relation usager-
professionnel (ou bénévole). Ce réseau va permettre aux familles de s’informer et
apprendre de l’expérience des autres pour se mettre en contact avec des institutions, pour
avoir les bonnes adresses et développer un mécanisme de socialisation avec les institutions
qui va leur permettre d’obtenir de l’aide à leurs besoins.
L’apprentissage de divers codes sociaux, soit par sa propre expérience, soit par celle des
autres, aide les familles à avoir plus d’outils, tout en développant un discours précis et
parfois très technique sur leur situation administrative, économique et sociale.
34
2. Connaissance et reconnaissance des structures d’aide humanitaire, sociale et
médicale : Le repérage des institutions dans le territoire rennais.
Cette difficulté se retrouve pour toutes les familles rencontrées. Ces complexités de
reconnaissance du milieu associatif et institutionnel sont plus marquées pour les familles
migrantes, mais aussi pour les familles dites natives.
Plusieurs outils pour le repérage des lieux ressources fait pour des institutions, des
collectives et associations constituent des ressources importantes pour les familles.
Il existe le « Le guide de sans abri » édité par le Restaurant social « Le Perdit », et divers
documents écrits pour le SIAO 35 qui permettent le repérage des différents point d’accès
aux divers services d’aide humanitaire, sociale et médicale dans la ville de Rennes.
Pour les demandeurs d’asile, la guide du demandeur d’asile édité par le service SPADA de
Coallia en plusieurs langues permet à ce public de clarifier le système et se rendre plus
facilement aux services.
Grace aux recherches effectuées, nous avons eu l’occasion de repérer l’importance de ces
documents pour tous ceux qu’ont eu accès. Toutefois, nous avons remarqué aussi que le
processus d’errance est une étape de confusion et d’adaptation dans un nouvel
environnement. Dans ce cadre, se déplacer avec un grand nombre des documents en
plusieurs langues (pour les familles migrantes) peut entrainer la perte des documents au
cours du processus d’itinérance.
35
Aussi, diversifier les formats numériques, tout en facilitant l’accès à internet, permettrait de
rendre plus accessible ces différents guides et documents pour les usagers (familles et le
public en général), les bénévoles et les professionnels, qui ne disposent pas toujours d’un
panorama exhaustif des structures et des informations actualisées.
Les familles que nous avons visitées et interviewées ont un lien quotidien avec plusieurs
institutions. Elles servent de lieu ressource pour des besoins matériels, telles que
l’alimentation, l’hygiène, etc. Elles constituent également une ressource immatérielle
comme lieu de socialisation, d’orientation et d’écoute.
C’est dans ce contexte que nous avons établi des structures de première et deuxième ligne
dans la découverte de l’environnement institutionnel et associatif. Ils existent des structures
associatives et institutionnelles qui sont identifiées de prime abord par les familles du fait
de leur fonctionnement et de leurs offres de service.
Grâce aux informations recueillies auprès des familles interviewées, les structures de
première ligne dans le processus de découverte sont :
Secours Catholique
MRAP
SIAO35 – 115
Le Resto du Cœurs
Coallia service SPADA
Secours Populaire
Hôpital Sud - Centre Hospitalier Universitaire de Rennes (CHUR)
Ces institutions à but humanitaire, social et médical font un travail de proximité avec les
familles tout au long du parcours d’errance. Les familles notent l’importance de ces
structures comme des ressources précieuses. Ces institutions sont visitées de façon
hebdomadaire par les familles.
36
SEA 35 Pôle Précarité et insertion
Restaurant Social « Le perdit »
CDAS et PMI Kleber
Association Saint Benoit Labre (M. Vincent)
UTUD
Centre Médical Louis Guilloux
Rennes Métropole
ASFAD
AJU (Association Aide Juridique d’Urgence)
CIMADE
BIENVENUE
Même si nous avons remarqué les grands efforts pour développer un travail en partenariat
de la part de ces institutions, à partir du travail de terrain, il semble important de développer
entre ces institutions un processus de travail en équipe, pour partager des visions communes
et agir ensemble pour faire face aux problématiques quotidiennes, notamment pour les
enfants et adolescents de ces familles en extrême précarité.
Se déplacer en famille au début du parcours d’errance n’est pas toujours facile pour tous. Se
déplacer avec deux ou trois valises, un enfant dans la poussette ou dans les bras à la
recherche d’une adresse, pour changer d’hôtel (quand la situation administrative dans le
territoire le permet), pour faire des démarches administratives ou changer de lieu
d’habitation dans le cadre de la mise en sécurité parfois, devient un défi majeur.
« Imagine-toi se déplacer avec les valises et mon fils dans le bras qui
n’arrêté même pas de pleurer… les chauffeurs de bus par fois me disaient «
vas ici, descend du bus… » « Vas-y dit lui d’arrêter de pleurer», il n’arrêtait
37
jamais de pleurer, c’était à cause des médicaments, des corticoïdes »
[Femme, 38ans, Famille 20]
Le déplacement est toujours un défi majeur, car deux ou trois trajets par jours sont
nécessaires pour trouver de l’aide sociale, humanitaire ou pour faire les démarches
administratives de la journée.
La découverte des services de bagagerie est un vrai changement dans la vie quotidienne des
familles. Ce service rend plus confortable les déplacements et le stockage des affaires
personnelles.
Cet espace de bagagerie est souvent utilisé comme lieu de mise en sécurité des documents
de première nécessité, susceptibles être perdus dans les lieux d’habitation provisoire
comme l’hébergement d’urgence, le squat, la tente, la voiture, le pont, l’hôtel, entre autres.
Une femme de 24 ans, l’aînée d’une famille de cinq personnes logées dans un squat dans le
territoire rennais, nous raconte son expérience d’errance au début de parcours.
La mobilité dans un contexte d’errance devient primordiale pour la vie des familles en
situation d’itinérance. Le repérage et utilisation des structures d’aide humanitaire et sociale
et la recherche d’un hébergement d’urgence quel qu’il soit est soumis à cette condition.
Du fait des difficultés de déplacement, la distance entre les structures, le poids et le volume
des bagages, certaines familles se voient dans l’impossibilité physique de se rendre dans
certains lieux pour recevoir des produits de premières nécessités et les déplacer.
38
5. Les institutions comme lieu d’écoute de leur souffrance.
Ainsi à partir de l’expérience du terrain, les familles en situation d’errance dans le territoire
rennais développent une relation avec les institutions qui relève d’un processus d’écoute
informelle de leur difficulté et souffrance.
L’écoute informelle se caractérise par une relation de confiance, en particulier pour les
adultes, qui leur permettent d’exprimer leurs sentiments et ainsi décharger la charge
mentale, le stress induit par la situation et l’incertitude dans l’avenir.
Dans ce contexte de détresse émotionnelle, nous avons pu voir que certaines compétences
au sein des familles comme l’alphabétisation émotionnelle11 leur permettent d’identifier,
comprendre et exprimer les émotions pour se rendre compte de leur difficulté et chercher
une aide médicale et psychologique par le bais des bénévoles et des services de santé.
11
«L'alphabétisation émotionnelle consiste à enseigner ce que sont les émotions, à quoi elles servent et comment
elles sont exprimées. Il s'agit d'enseigner à se comprendre et à comprendre les autres émotionnellement ».Dans :
« Alphabétisation émotionnelle : identifier, comprendre et exprimer nos émotions » [en ligne] :
https://nospensees.fr/alphabetisation-emotionnelle-identifier-comprendre-et-exprimer-nos-emotions/
39
6. L’accueil institutionnel : un besoin d’adaptation.
Une fois que les familles ont repéré les différents lieux ressource dans la ville de Rennes,
l’accès aux services se fait plus facilement, le stress et l’anxiété commence à diminuer dans
certains cas. Mais quelques complications persistent, c’est notamment le cas de l’aide
alimentaire.
Chacun des services propose une offre de goûter. C’est une aide importante pour les
familles, cependant la plupart d’entre-elles, qui visitent ces services, ont une alimentation à
base de gâteaux et café et de fastfood, jusqu’à ce qu’ils identifient le service du restaurant
social de la ville pour bénéficier de repas complets, soit ils ont développé un réseau de
soutien qui leur permets d’avoir accès à une cuisine.
Une jeune de 24 ans nous explique que même si les familles ont l’accès aux services du
« Resto du cœur » par exemple, le fait d’être en errance implique l’impossibilité de se
déplacer avec les produits et ils sont donc obligés de refuser des denrées.
Outre la problématique d’accès aux aides alimentaires, l’accès aux vêtements et points
d’hygiène pour les enfants se déroule de la même façon. Dans le contexte de ce travail,
nous n’avons pas eu accès ou connaissance des points d’hygiène dédiés aux parents et
enfants. N'ayant pas été évoqués par les familles par ailleurs, ils nous semblent donc qu’ils
existent seulement des points d’hygiène dédiés aux adultes en errance et n’étant pas adaptés
aux familles avec enfants.
Une femme au début du parcours d’errance, nous montre à travers son témoignage la
complexité de se déplacer avec ces deux filles de cinq et quatre ans et avoir le minimum en
termes d’hygiène.
40
« C’est très difficile de voyager avec les filles, je veux changer les
couches, prendre une douche, dormir… et je ne peux pas… ce sont les jours
les plus difficiles de ma vie… » [Femme 30ans, Famille 2]
Pendant le processus de terrain, nous avons visité plusieurs structures à but humanitaire et
sociale. Nous avons pu remarquer le manque d’espaces dédiés aux enfants et adolescents.
Ce manque d’espace dédié aux enfants en errance, a pour conséquence la promiscuité entre
des enfants et des adultes ayant parfois des conduites à risques comme la consommation
d’alcool, de drogue ou autres dans les locaux. Dans ce contexte, nous avons remarqué
comment les enfants et adolescents sont témoins d’épisodes de violence physique, verbale
et symbolique au sein de ces locaux.
Au-delà de la nécessité d’un espace dédié pour les enfants et adolescents pour prendre des
douches, manger un plat préparé et être en sécurité, il est nécessaire de consacrer un espace
physique où les enfants puissent s’exprimer à travers le jeu et se rencontrer avec leurs pairs.
Il est important de remarquer le sens primordial pour les enfants d’avoir un lieu de
socialisation infantile.
Les enfants connaissent bien les lieux ressources mis à disposition dans le territoire rennais.
Un préadolescent de 11 ans vivant au moment de l’entretien dans une tente dans un jardin
41
public, nous explique comment se rendre dans certains lieux ressources et quels sont les
services qui leurs sont mis à disposition.
La vie des enfants en situation d’errance est marquée par ce processus d’aller-retour entre
diverses structures pendant la journée. Un enfant de 6 ans vivant dans une voiture avec sa
famille au moment de l’entretien, nous montre sa connaissance des structures en voyant les
différents logos. Au moment de l’entretien, nous avons pu compléter les connaissances de
l’enfant autour des structures d’aide sociale et humanitaire par la préoccupation de son père
pour son avenir.
Cet enfant et son père illustrent bien les formes que prend le processus de socialisation
institutionnelle dans un contexte de vie en errance. Nous pouvons voir comment l’errance
s’inscrit dans la sphère personnelle et sociale des enfants et des adultes.
Parmi les préoccupations des parents, nous pouvons voir comment ce processus de
socialisation dans la marginalité influence la façon de percevoir l’avenir de ses enfants.
Tout au long de ce diagnostic, nous avons rencontré des familles en situation d’errance
dans le territoire rennais en extrême vulnérabilité et précarité. Cette vulnérabilité prend une
forme physique, psychique et matérielle due à la recherche d’un lieu d’hébergement
d’urgence pour l’ensemble de la famille.
42
Nous allons ici décrire les lieux d’hébergement à disposition des familles au début du
parcours d’errance, car ils diffèrent des ceux mis en place quand les liens institutionnels
commencent à s’établir.
Ce dispositif est sollicité ou a été sollicité pour toutes les familles interviewées ou
rencontrées. Il existe un manque de place important et les conditions pour y avoir accès ne
sont pas toujours remplies. Son accès est par exemple presque impossible pour les
demandeurs d’asile dans le territoire français.
Dans ce contexte et du fait du manque de place disponible, les familles sont obligées de
chercher un type d’hébergement que nous appelons non-institutionnel pour ne pas passer la
nuit dehors.
Une autre condition s’apparente à la connaissance d’un tiers qui a pu mettre à disposition
une tente, une voiture ou autre pour se mettre au chaud.
Ayant rencontré des familles au début de leur parcours, nous avons remarqué que le
manque de connaissances et le manque de liens sociaux de soutien constitue un des
premiers freins pour trouver une solution d’hébergement. Dans ce contexte, la salle
d’attente d’un hôpital, de la Gare ou un squat ouvert à tout public ont été les lieux
43
d’hébergement non-institutionnalisés les plus racontés par les familles au début du parcours
d’errance.
Nous avons recueilli la parole d’une femme de 30 ans au début du parcours d’errance, au
moment de son arrivé à Rennes. Pendant l’entretien elle raconte son expérience de
recherche un lieu d’hébergement pour elle et sa famille.
« Nous avons dormi une nuit à l’hôpital, une nuit à la gare, une nuit à
l’hôtel, mais après on n’avait pas d’argent… et maintenant on est à la rue…
hier nous avons eu la chance de dormir dans une voiture une nuit… S’il n’y
a pas de place au 115 où pensez-vous dormir ? À la rue… à l’hôpital ou à
la gare… L’OFFII m’ont dit qu’il y a beaucoup des personnes et n’avais
pas assez des places pour dormir… Trouver où dormir c’est très difficile…
j’ai personne ici… on est dans la rue… on connaît personne ici… et la seule
personne qu’on connaît elle aussi est en difficulté et on ne peut pas dormir
chez-elle (….) Dormir ici c’est possible (secours catholique) … on peut
dormir ici sur les tables ou par terre… » [Femme 30 ans, Famille 2]
Une fois que les familles repèrent des lieux ressources dans la ville (des associations, des
compatriotes, centres sociaux, etc.), le premier pas est d’avoir bien écrit l’adresse et se
déplacer avec les enfants. En fonction de la structure, les familles sont amenées à raconter
son histoire de vie, résidentielle et migratoire pour mesurer l’urgence de la demande, et par
la suite donner accès ou pas à un « hébergement d’urgence ».
Dans la plupart du temps par ce bais, les familles ont accès à une tente, une chambre dans
une église, une place dans un squat, dans un centre aéré ou gymnase mis à disposition par la
mairie.
« A mon arrive à Rennes, j’ai dormi une nuit à la rue, après j’ai trouvé
une église, une compatriote m’a aidé pour venir à l’église… la personne de
l’église m’a aidé à faire les démarches administratives… au final j’accouche
quand j’habite au monsieur Vincent. » [Femme 33 ans, Famille 3]
Le parcours d’errance est marqué par un processus d’aller-retour entre la rue et diverses
modalités d’hébergement.
44
10. « La rue » : une forme d’hébergement d’urgence dans le territoire rennais.
L’hébergement des familles avec enfants dans le territoire rennais est marqué, comme nous
l’avons déjà explicité par des « aller-retour » entre « la rue » et autres formes
d’hébergement.
Certaines familles rencontrées ont été amenées à dormir dans des hôpitaux et la gare de
Rennes à plusieurs reprises. Mais être à la rue implique aussi de chercher d’autres formes
d’hébergement.
Dans ce contexte, nous avons pu rencontrer des familles vivant ou ayant vécu sous une
tente dans un jardin public, à la sortie du métro, cachées dans des escaliers d’un immuable,
à côté d’un bâtiment dans la banlieue rennaise et dans une voiture.
Une femme de 25 ans que nous avons rencontré dans un squat nous a expliqué comment
elle avait vécu cette période à la rue :
Si les adultes mesurent le danger et la peur d’être à la rue, les enfants sont aussi touchés par
cette phase d’incertitude face à l’avenir, la peur du moment présent et par le stress constant
et le danger. Un enfant de 9 ans vivant actuellement dans un gymnase administré mis à
disposition par la mairie de Rennes, nous raconte l’expérience de se retrouver dans un pont
avec sa mère et sa sœur de six ans pendant la nuit.
« Quand nous avons été à la rue j’avais beaucoup de peur, c’était tout
noir, on ne pouvait rien voir et c’était un peu bizarre cet endroit-là (le
pont), il y a les gens que sont dans les maisons, et ici il y a des gens que
45
sortent ou rentrent aussi, je ne sais pas… Ça fait mal au cœur de dormir
dans la rue, je n’ai arrivé pas à dormir… je ne voudrais pas vivre ça plus
jamais…On était à la rue parce que on ne connaissait pas ici…on avait
arrivé l’été… » [Garçon 9ans, Famille 18]
Dans ce même contexte, être à la rue n’implique pas seulement de dormir sur le trottoir, la
rue implique aussi d’autres formes de recherche d’hébergement. A ce propos, nous avons
recueilli la parole d’un homme de 48 ans vivant dans une voiture avec sa famille et son
enfant de cinq ans.
Pour les enfants, la peur, le stress et le manque de sécurité et le danger flagrant sont les
facteurs les plus prégnants pour son intégrité physique et psychique.
Au regard de la catégorie des lieux d’hébergement non institutionnalisés pour les familles
en situation d’errance, il convient de différencier deux types de squat. Les premiers sont
utilisés sous une forme d’appropriation illégitime à but humanitaire, les seconds sont des
squats occupés sous une forme de commodat concerté entre une association et le
propriétaire de l’immeuble.
La première forme de squat est la plus souvent utilisée par des familles en début du
parcours d’errance, étant un ouvert à tout public.
Un des squats que nous avons visités, placé à la périphérie de Rennes, est un lieu de grande
circulation des personnes des tous les âges et nationalités.
46
forme de cabane faite en palettes, cartons et rideaux. A côté plusieurs tentes et cabanes
faites avec les mêmes matériaux, plus loin, plusieurs tables et une cuisine improvisée.
Sous les tables, des jeunes jouaient aux cartes et buvaient de la bière au même temps,
l’ambiance semblait joyeuse malgré le froid et la pluie. Les enfants et les personnes âgées
se baladaient autour des tentes et cabanes. La vulnérabilité et le manque d’alternatives pour
changer d’hébergement sont les deux facteurs qui font rester les familles dans ce lieu.
Une couple avec trois enfants, le plus petit de 10 mois, et les deux autres de quatre et trois
ans vivant dans le squat au moment de l’entretien, nous racontent leur expérience dans le
processus d’errance et d’installation dans le territoire rennais.
Une femme avec cinq enfants vivant dans un gymnase de la mairie au moment de
l’entretien, nous explique qu’elle ait resté vivre dans ce squat car c’est pour elle le seul
moyen de se protéger de l’hiver et du froid.
47
La plupart du temps, concernant les familles avec enfants, ces rencontres avec des
bénévoles ou professionnels leur permet de trouver du soutien et de l’aide pour changer de
lieu d’hébergement et être en sécurité avec leurs enfants. Autrement dit, être dans un lieu
d’hébergement non-institutionnalisé dans certains cas et selon les places disponibles,
constitue un levier pour rencontrer « les bonnes personnes » et passer d’un hébergement
non-institutionnalisé a un « hébergement institutionnalisé ».
Ces hébergements d’urgence prennent une forme d’appartements partagés, une chambre
pour plusieurs familles ou un seule si les conditions le permettent. Ils ont parfois une
cuisine partagée et un accompagnement de la part des professionnels le soir ou la journée
selon les cas.
Depuis juillet 2019, être demandeur d’asile, même si le ménage a des enfants en bas âge est
un motif d’exclusion des modalités d’hébergement d’urgence proposées par le SIAO 35
(115).
Une des principales problématiques de certains logements d’urgence se caractérise dans les
horaires d’ouverture, il faut les quitter tôt le matin pour rentrer après le soir. Une femme de
38 ans avec deux enfants nous raconte son expérience dans les hébergements d’urgence.
48
rentrer, le premier jour que nous sommes allés j’ai pris mes valises pour
sortir, après j’ai laissé les valises là-bas. » [Femme 28 ans, Famille 20].
Pour les familles qui doivent sortir des hébergements d’urgence pendant la journée, les
alternatives pour se reposer et se mettre au chaud en hiver et en été aussi, sont les centres
commerciaux de la ville de Rennes, les bibliothèques comme « les champs libres », des
centres sociaux ou des accueils de jour, comme celui du Secours Catholique entre autres
ouverts comme « Le 61 » accueil du jour du SEA 35.
Pour pallier le manque de place dans les hébergements d’urgence, l’Etat à travers le SIAO
35 a développé une prise en charge hôtelière dans les cas d’extrême urgence. A partir d’une
évaluation faite par la plate-forme téléphonique 115, les professionnels évaluent la situation
de la famille et remplissent une fiche de demande de prise en charge par l’Etat des nuits
d’hôtel pour la famille.
49
Dans le cadre de ce diagnostic nous n’avons pas eu l’occasion de visiter les hôtels, mais
nous avons recueilli la parole des familles ayant vécu à l’hôtel dans le cadre de la prise en
charge fait par le 115.
D’après les entretiens réalisés, nous pouvons établir la diversité des avis et opinions à ce
sujet. Il nous semble évident que pour les adultes la prise en charge hôtelière reste un des
moyens de sortir de la rue.
Pour les enfants, la vie à l’hôtel n’est pas si aisée du fait du manque de place pour jouer, le
manque de sécurité, l’interdiction de jouer dans les espaces communes, la peur d’être punis,
le stress des parents et l’ennui. Ce sont des conditions de vie que nous pouvons voir avec
les enfants pris en charge à l’hôtel.
Une mère nous explicite son ressenti et son expérience en comparant l’hébergement
d’urgence de l’ASFAD et l’hôtel.
«L’hôtel c’est dur, t’as juste une petite chambre, sale avec des
punaises de lit, et la chambre était sale, elle n’est pas vraiment adaptée,
malheureusement ce n’était pas vraiment adapté pour être avec des enfants
en bas âge…. Ici (hébergement d’urgence de l’ASFAD) les enfants peuvent
jouer, je suis contente, mais c’est compliqué quand t’es à l’hôtel, forcement
il n’y a pas de place pour eux et c’est sale… du coup ça te rend triste et
parfois tu sens que tu n’as pas de forces pour t’en sortir avec eux (…) Tu ne
fais rien et tu restes enfermée… je trouve qu’ici ( l’Alte garderie ou l’école)
permet aux enfants de jouer et faire comme s’ils avaient une maison pour
jouer et partager des moments joyeux avec d’autres enfants. » [Femme 35
ans, Famille 5]
50
Concernant les dispositifs d’hébergement urgence hôtelier, une femme qui a vécu une
période de sa grossesse dans un hôtel dit du 115 nous raconte son expérience.
Il nous semble que l’offre d’hébergements à l’hôtel est hétérogène, tout comme le confort.
D’après le discours, l’hébergement à l’hôtel est plus ou moins adapté pour des personnes
sans enfants tout en sachant qu'ils ne peuvent pas avoir accès à une cuisine par exemple.
Cependant pour les familles avec enfants, la vie à l’hôtel est synonyme de stress du fait du
manque d’espace et de l’isolement.
Il est important de remarquer que la plupart des familles qui accèdent à ce type
d’hébergement ont vécu d’autres expériences de migration et ont connu un parcours de rue
avant d’arriver dans cette structure. Les familles se retrouvent dans une situation complexe
administrativement dans le territoire français, ayant peur de retourner à la rue, au stress.
Certaines familles ont mentionné leur dépression et des idées suicidaires.
Concernant l’offre d’hébergement dans le territoire rennais les centres aérés et les
gymnases mis à disposition par la mairie de Rennes et administrés par des associations,
sont une manière de sortir de la rue et aussi une modalité d’hébergement d’urgence et de
mise en sécurité.
Ces espaces d’hébergement ont à la fois la fonction de mettre au « chaud » les familles. Ils
servent comme point de rencontre entre les besoins d’accompagnement des familles et les
initiatives citoyennes de soutien au plus vulnérables. Autrement dit, les centres aérés et les
gymnases constituent des points de croisement et de rencontre entre l’offre citoyenne
« d’accompagnement » au plus vulnérables et ce public.
Dans le cadre du diagnostic, nous avons visité un centre aéré et échangé avec les familles y
logeant.
51
C’est un lieu où cohabitent une vingtaine des familles avec enfants en bas âge et
adolescents. Dans cet espace d’hébergement provisoire chaque famille possède une ou deux
tentes de 3x3 m placées sur le terrain de tennis à l’intérieur et mises à disposition par la
croix rouge.
Il existe plusieurs espaces en commun, cuisine et toilettes en état d’usage quotidien, tables
pour manger et partager le soir.
Concernant les lieux d’habitation des familles, nous avons remarqué le manque d’espace
pour avoir chacun un lit ou au moins un lit pour deux personnes. Nous avons visité la
chambre d’une famille de six enfants où visiblement toute la famille dormait dans deux
grands lits et d’autre une femme avec ses deux enfants que dormaient à trois personnes
dans le même lit.
Le bruit et le confinement dans un espace réduit semble une des principales problématiques
tout comme le manque d’hygiène dans les toilettes et la cuisine à cause du surpeuplement.
Ce lieu ressource est cependant très apprécié par les familles puisqu’il permet de sortir de la
rue et des squats pour être en sécurité, en attendant de trouver une solution plus pérenne.
Les adultes avec qui nous avons échangé, s’y sentent en sécurité et accompagnés par les
bénévoles. Malgré les complications à cause du manque de place pour le stockage des
aliments, les vêtements et l’hygiène, les adultes se sentent plutôt réassurés. Pour la plupart
d’entre eux, cet espace est aussi vu comme une seconde chance dans le parcours d’errance
comme nous l’indique une habitante.
« Pour moi être ici c’est beaucoup (la tente dans le gymnase) la rue
c’était compliqué pour les enfants… Nous avons été à la rue une semaine
(dit l’enfant de 9ans) plus ou moins une semaine… (dit la mère) il faisait
beaucoup de froid… et j’avais peur des gens… (dit la mère) il a beaucoup de
personnes que vont d’un lieu à l’autre, c’était un cauchemar… c’est pour
cela que pour moi c’est important être comme ça bien (la tente dans le
gymnase) avec mes enfants… dormir dans la rue c’est très compliqué avec
les enfants… dans mon pays ma situation est très, très compliqué aussi…
mais pour moi c’est important que les enfants peuvent dormir ici et aller à
l’école demain, pour moi ça c’est important… » [Femme 35ans, Famille 18]
52
Pour les enfants, en particulier ceux en bas âge, le jeu et l’échange avec leurs pairs
semblent être une richesse. Nous assisté et partager à un échange entre eux, en plusieurs
langues, même si le français est, malgré le multilinguisme, la principale langue d’échange
entre eux.
Un enfant de neuf ans nous raconte son expérience dans un centre aéré.
« Ce que j’aime plus d’ici c’est qu’il a des garçons avec lesquels je
peux jouer…. Ici c’est bien ici mais ma mère aimerait bien être dans un
autre endroit, un endroit plus tranquille et plus posé… moi aussi, moi j’aime
bien quand il y a des enfants mais pas comme ça…. Il a des gens que ne
savent pas parler ici ils sont agressifs… C’est pour ça que j’aime le calme
(il y a peu près 15 enfants jouant autour de nous pendant l’échange) il y a
du bruit tout le temps. Et pour aller aux toilettes et prendre la douche, c’est
compliqué ? La douche devrait être fermée, parce que c’est pour tout le
monde, tout le monde a le droit d’entrer mais personne l’a nettoyé » [Garçon
9 ans, Famille 18]
En échangeant avec les enfants et les jeunes qui habitent dans le centre aéré, nous avons
remarqué que la peur, le stress sont de toute façon présentes pour presque la totalité des
enfants. Un enfant de 9 ans vivant dans un gymnase nous raconte son expérience de vie
dans ce type d’hébergement.
« J’ai un peu peur quand même (d’être dans le centre aéré) …, parce
que il y a des gens ici que… parce que la sécurité reste que à la porte là-bas
et les gens crient la nuit dans le gymnase et se baladent à côté de la
tente…et ça fait comme même un peu peur… » [Garçon 9 ans, Famille 18]
Le stress et la peur constante engendré par le manque de lieu d’habitation sécurisé est un
des principaux facteurs de risque pour ces enfants. Le traumatisme d’avoir vécu à la rue et
53
de se retrouver dans un lieu d’habitation collectif est un facteur de stress, d’insécurité
constante et d’incompréhension de la situation de précarité et vulnérabilité qu’ils subissent.
15. Autres types d’hébergement dans le territoire rennais : les hébergements non
disponibles pour les familles au début du parcours d’errance.
Tout au long du processus de terrain, nous avons pu visiter d’autres types d’hébergement
proposés aux familles : ils ne sont pas proposés aux familles au début du parcours d’errance
et les places sont très limitées. Dans ce cadre le dispositif COORUS de l’association SEA
35 et les squats développés sous une logique de commodat sont des lieux de cohabitation
ou des lieux dédiés uniquement pour une famille dans le cas du dispositif COORUS.
Le dispositif COORUS semble être une des solutions d’hébergement les plus efficaces en
matière d’offre d’hébergement dans le territoire rennais. Ce type d’hébergement, individuel
ou collectif, permet un accompagnement fait par des professionnels tout au long de l’année,
centré sur les besoins individuels et collectifs des familles et des enfants.
Ce type d’hébergement permet de garder un environnement propice pour recréer une vie en
famille la plus proche possible de la normalité, tout en considérant la complexité des
parcours de vie des certains foyers.
Les squats développés sous une forme de commodat (contrat entre le propriétaire et
l’association responsable du bâtiment) avec le propriétaire, sont des lieux de cohabitation
que permettent de développer un sentiment de sécurité pour les familles et les enfants.
L’accompagnement des bénévoles est d’une grande importance, les familles se sentent
soutenues, réduisant par la même le stress et l’angoisse.
54
Chapitre III : Être enfant et adolescent dans une famille sans logement.
1. Être mineur dans une famille sans logement, élément de contexte : la Convention
des droits des enfants.
Quand on s’intéresse à la question des familles sans logement, notamment aux enfants, il
convient de se questionner sur la notion des droits des enfants.
La Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE)12, est un texte international qui
a pour objectif de rendre visibles les droits des enfants face à l’État et la justice et par ce
bais, établir des droits minimums inhérents de la protection des mineurs.
Dans la CIDE, nous pouvons trouver la notion d’intérêt supérieur de l’enfant13, elle sert à
établir l’intérêt de l’enfant comme point central dans sa protection, son bien et son respect.
Concernant les enfants sans logement et au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, nous
sommes face à un problème d’ordre financier pour les familles, car le manque de moyens
pour assurer des conditions matérielles de vie digne pour toute la famille et notamment
pour les enfants, se traduit comme un des principaux freins pour assurer l’intérêt supérieur.
12ONU, (1989).Convention International des Droits de l’enfant. Signé par la France le 26 janvier 1990 et ratifie par le
parlement le 7 août 1990 par la loi 2 juillet 1990, entrant en application en France le 6 Septembre 1990.
13
Article 3 de la CIDE : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions
publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs,
l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » Dans : Hammarberg, T. (2011) Le principe de
l'intérêt supérieur de l'enfant : ce qu'il signifie et ce qu'il implique pour les adultes. Journal des droits des jeunes (n°303),
p10-p16.
14 « On peut parler de sécurité alimentaire quand toutes les personnes ont, à tout moment, un accès physique, social et
économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs
préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. La sécurité alimentaire des ménages correspond à
l’application de ce concept au niveau de la famille, les individus qui composent le ménage étant le centre d’attention (…)
On parle donc d’insécurité alimentaire lorsque les personnes n’ont pas un accès physique, social et économique à une
nourriture suffisante » Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. (2010) L’état de l’insécurité
alimentaire dans le monde. Rome., p8.
55
L’intérêt supérieur de l’enfant est fortement lié aux conditions de vie de la famille,
notamment celui des parents, car comme nous montre Laurent Peutch15, nous ne sommes
pas face à de la « maltraitance », mais face à de la « bientraitance » dans des conditions
des vies démunies par la pauvreté et l’exclusion sociale.
Les principes énumérés dans la CIDE sont mis en tension face aux conditions de vie des
familles et notamment celle des enfants. L’article 27 explique que « C’est aux parents ou
autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité
d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions
de vie nécessaires au développement de l’enfant. »16.
L’article 27 nous présente aussi l’engagement des États signataires de venir en soutien des
familles les plus démunies, pour assurer le bon développement des enfants : « Les Etats
parties adoptent les mesures appropriées, compte tenu des conditions nationales et dans la
mesure de leurs moyens, pour aider les parents et autres personnes ayant la charge de
l’enfant à mettre en œuvre ce droit et offrent, en cas de besoin, une assistance matérielle et
des programmes d’appui, notamment en ce qui concerne l’alimentation, le vêtement et le
logement. »17.
Dans ce contexte de responsabilité partagée, se trouvent les enfants des familles sans
logement, dans une relation parfois paradoxale au regard de leur bien-être en famille et le
manque de moyens pour assurer des conditions matérielles basiques pour vivre, notamment
pour l’hébergement.
15 Peutch, L. (2014). Le droit de l’enfant à vivre en famille est-il un droit? L’article 9 de la CIDE et la question de
l’hébergement de familles à la rue. Journal des droits des jeunes. (n°338-339) p33-p34.
16Convention des droits de l’enfant (1989). Vue le 10 avril 2020 en: https://www.humanium.org/fr/texte-integral-
convention-internationale-relative-droits-enfant-1989/
17Convention des droits de l’enfant (1989). Vue le 10 avril 2020 en: https://www.humanium.org/fr/texte-integral-
convention-internationale-relative-droits-enfant-1989/
56
2. Être mineur dans une famille sans logement, élément de contexte : Une analyse de
la santé mentale des enfants des familles sans logement.
La vie en errance est un facteur de risque pour les adultes et d’autant plus pour les enfants.
Être en situation d’itinérance et sans un lieu d’hébergement même provisoire peut éroder le
sens de l’intimité, la sécurité et de la confiance en soi chez les enfants18.
De multiples études dédiées à la question des enfants sans logement existent à ce sujet,
notamment aux États-Unis, où se sont développées plusieurs études sur l’impact de la vie
en errance chez les enfants.
Dans le cadre de l’errance en famille, nous pouvons assister à des « taux élevés de
problèmes de santé aigus et chroniques… et barrage constant d'expériences stressantes et
traumatisantes qu’ont un profond effet sur le développement des enfants et leur capacité à
apprendre. »20. Ces expériences stressantes et traumatisantes dans le parcours des enfants et
ses familles peuvent engendrer des troubles et des problèmes lies aussi à la santé mentale.
Il est important de rappeler que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la santé
mentale comme "un état de complet bien-être physique, mental et social, et [qui] ne
consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité"21. Aussi, l’état de la santé
mentale d’une personne dépend de l’interaction constante de différents facteurs individuels
et environnementaux.
18Tobin, K, et Murphy, J. (2013) Addressing the Challenges of Child and Family Homelessness, Journal of Applied
Researchon Children: Informing Policy for Children at Risk: Vol. 4, Article 9. Vue le 21 avril 2020 en :
http://digitalcommons.library.tmc.edu/childrenatrisk/vol4/iss1/9
19 Tobin, K, et Murphy, J. (2013) Addressing the Challenges of Child and Family Homelessness, Journal of Applied
Researchon Children: Informing Policy for Children at Risk: Vol. 4, Article 9. Vue le 21 avril 2020 en :
http://digitalcommons.library.tmc.edu/childrenatrisk/vol4/iss1/9
20 Murphy C.M., Bassuk E.L., Coupe N., Beach C.A. (2013) Strategies for Ending Homelessness Among Children and
Families. In: Culp A. (eds) Child and Family Advocacy. Issues in Clinical Child Psychology. Springer, New York. p76
(traduit de l’anglais par Victor Tapia Urrutia).
21Définition Santé Mentale. Organisation Mondiale de la Santé (OMS) vue le 21 de avril 2020 en :
https://www.who.int/topics/mental_health/fr/
57
A partir de cette vision systémique de la santé mentale, plusieurs études américaines ont
démontré le lien entre un mauvais état de santé mentale et l’itinérance chez les enfants en
famille.
Dans ce contexte il est important de remarquer que les résultats des études américaines
peuvent surement varier avec la population française. Le Service de l’Administration de la
Santé Mentale et de l’Abus des Substances des États-Unis, SAMSHA pour ses sigles en
anglais, a développé une analyse des certaines réponses types pour les enfants ayant vécu
(ou qui vivent) des évènements traumatisants dans leur parcours.
Pour les enfants d’âge préscolaire des signes comme la peur d’être séparé de leur
parent/tuteur se manifestent majoritairement. Ils pleurent ou crient, mangent peu ou ont une
perte de poids, ont un sommeil agité, ponctué de cauchemars.22
Pour des enfants en âge scolaire, ils peuvent devenir anxieux ou craintifs, ils se sentent
coupables ou honteux. Ils éprouvent des difficultés pour se concentrer et pour dormir.23
22SAHAMSA, NCTIS infographie. Dans : Raising the roof. (2016). L’itinérance des enfants et des familles : un facteur
décisif à la santé mentale des enfants. Québec, Canada.
23SAHAMSA, NCTIS infographie. Dans : Raising the roof. (2016). L’itinérance des enfants et des familles : un facteur
décisif à la santé mentale des enfants. Québec, Canada.
24Observatoire du Samu social de Paris, (2014). ENFAMS : Enfants et familles sans logement personnel en Ile-de-
France. Paris, France. p243
58
Les troubles émotionnels, comportementaux, d’hyper activité, relationnels et des rapports
sociaux de l’enfant.25
343 enfants âgés de plus de 4 ans ont été enquêtés, 19,2% des enfants ont des troubles
suspectés de santé mentale, 11,2 % plus élevés que la population générale (8%). La
prévalence suspectée des troubles émotionnels est de 27,4% et 23,6% sont suspectés
d’avoir des troubles comportementaux, soit le double de population générale, 11% et 12%
respectivement.26
Ces éléments sont donc à mettre en perspective avec les données qualitatives recueillies
auprès des enfants en présence de leurs parents. Elles seront exposées et analysées sous
forme d’extraits d’entretiens.
Concernant cette population, les enfants tous âgés de plus de six ans ont été interviewés
avec leurs parents dans des accueils du jour, et dans certains cas, dans des lieux
d’habitation provisoire du territoire rennais.
3. Le manque de logement : un facteur de stress chez les enfants des familles sans
logement dans le territoire rennais.
Au-delà de l’état de santé global, il y a plusieurs facteurs de risque chez les enfants liés au
manque de logement.
Pour les enfants ayant un parcours d’errance et étant à la rue, il nous semble que cette
expérience se vit plus comme un traumatisme que juste comme une situation stressante.
Dans ce contexte, nous voudrions vous faire connaitre les ressentis des certains enfants par
rapport à leur parcours à la rue et notamment vous faire connaitre des facteurs de stress liés
à la vie dans un hébergement provisoire.
Un enfant âgé de 9 ans nous raconte son expérience de manque d’hébergement, son
sentiment de stress, de peur et d’insécurité de se retrouver sous un pont pour dormir la nuit
avec sa mère toute une semaine.
25Observatoire du Samu social de Paris, (2014). ENFAMS : Enfants et familles sans logement personnel en Ile-de-
France. France. Paris, France. p241
26Observatoire du Samu social de Paris, (2014). ENFAMS : Enfants et familles sans logement personnel en Ile-de-
France. France. Paris, France. p241
59
«Quand nous avons été à la rue j’avais beaucoup de peur, c’était tout
noir, on ne pouvait rien voir et c’était un peu bizarre cet endroit-là (le pont),
il y a des gens qui sont dans les maisons et ici il y a des gens qui sortent et
rentrent aussi, je ne sais pas… Ça fait mal au cœur de dormir sur la rue, je
n’arrive pas à dormir… je ne voudrais pas ça plus jamais. On n’était à la
rue parce que on ne connaissait pas… on était arrivé l’été… » [Garçon 9
ans, Famille 18]
Même si la vie à la rue peut être traumatisante, le fait de ne pas avoir un logement propre et
se retrouver dans un espace de cohabitation est aussi un facteur de stress pour les enfants.
Une étude réalisée l’année 2018 en France sur la vie des enfants hébergés en hôtel dans le
cadre des hébergements d’urgence27, nous permet d'établir certains facteurs de stress liés au
logement.
Les auteurs en ont étudié certains comme le sentiment d’insécurité, le manque d’espace,
l’impossibilité de préparer des repas, l’interdiction de recevoir des visites et de jouer dans
les espaces communs, ne pas connaitre la durée d’hébergement, ne pas avoir une maison à
soi, les déménagements constants et la perte constante des proches et amis, entre autres.28
Ce sont des facteurs de stress liés au logement aussi présents chez les enfants que nous
avons rencontrés dans les hébergements provisoires et dans les accueils du jour visités.
Un enfant de neuf ans nous présente sa perception de la vie à l’hôtel et le stress induit par le
manque d’espace dédié à l’enfance.
Pour les enfants rencontrés, il est difficile de parler de leur vie dans une situation d’errance,
le stress, la tristesse et l’insécurité limite la verbalisation.
27Bergonnier-Dupuy, G. et Halasa, K. (2018). Vivre dans une famille sans logement : Facteurs de stress des enfants
hébergés à l’hôtel dans le cadre du dispositif d’hébergement d’urgence : Société et jeunesse en difficulté. France.
28Bergonnier-Dupuy, G. et Halasa, K. (2018). Vivre dans une famille sans logement : Facteurs de stress des enfants
hébergés à l’hôtel dans le cadre du dispositif d’hébergement d’urgence : Société et jeunesse en difficulté. France, p7
60
La vie en cohabitation avec d’autres familles permet aux enfants d’avoir des amitiés plus
ou moins durables, de recréer un lieu pour jouer et par ce biais, développer un processus de
socialisation infantile propice, ce qui n’est pas le cas dans les hébergements d’urgence
comme l’hôtel.
Un enfant de neuf ans nous raconte l’importance pour lui de jouer avec d’autres enfants
dans le gymnase. Il met en valeur ce point, sans pour autant minimiser les conditions de vie
qui sont un facteur de stress.
« Qu’est-ce que t’aimes plus de la vie ici ? Ce que j’aime plus d’ici
c’est qu’il a des garçons avec lesquels je peux jouer (…) J’ai un peu peur
quand même (d’être dans le gymnase) …, parce qu'il y a des gens ici que…
parce que la sécurité reste que à la porte là-bas et les gens crient la nuit
dans le gymnase et se baladent à côté de la tente…et ça fait quand même un
peu peur… » [Garçon 9 ans, Famille 18]
Dans le cadre des entretiens réalisés, nous avons visité une famille hébergée par le
dispositif COORUS. Cette famille est formée d’un couple, un enfant de 6 ans et un
adolescent. Pendant l’entretien, la séparation des parents pour des raisons administratives a
été évoquée comme un des principaux vecteurs d’angoisse.
La séparation forcée et obligée des parents s’apparente une stratégie mise en place par
plusieurs familles rencontrées dans la même situation administrative sur le territoire
français. Elle a pour objectif de rendre plus complexe l’expulsion du territoire.
Pour les jeunes enfants cette situation devient plus complexe et difficile à comprendre, car
elle impacte plusieurs sphères de la vie de l’enfant.
L’adolescent de la famille nous raconte comment vit son petit frère de six ans cette
situation :
61
elle ne va pas à l’école souvent, elle essaye de se cacher tout le temps, et
sinon c’est moi qui vais chercher mon frère parce qu’elle a peur. » [Garçon
17ans, Famille 16]
L’itinérance, les facteurs liés à l’hébergement et les nouvelles formes de relation familiale
qui se construisent, semblent être complexes à comprendre pour les adultes et encore plus
pour les enfants.
4. Une analyse des facteurs de risque sur le bien-être des enfants des familles sans
hébergement
Comme nous avons vu, l’état de santé mentale de la mère est un des déterminants de santé
mentale chez les enfants, tout comme un facteur prépondérant dans le processus de
scolarisation29.
Pour plusieurs familles rencontrées, l’état de santé mentale des adultes a été fortement
touché par les évènements de leur parcours et des conditions de vie actuelle. La plupart des
familles nous ont partagé leur état dépressif, et dans certains cas, nous ont raconté des
passages à l’acte.
Dans ce contexte, une fille de sept ans nous raconte face à sa mère, pourquoi elle ne voulait
pas aller à l’école à cause du sentiment de peur et d’insécurité constante.
Même si les sentiments de peur, de stress et d’insécurité sont et peuvent être verbalisés chez
les enfants plus âgés, ces sont des conditions prépondérantes à considérer chez les enfants
29Johnson, K, Knitzer, J et Theberge, S. (2008). Reducing Maternal Depression and Its Impact on Young Children :
Toward a Responsive Early Childhood Policy Framework : National Center for Children in Poverty. School of Public
Healt. The Columbia University. California. USA.
62
en bas âge, où ce sentiment d’insécurité ne peux être verbalisé. Une mère vivant dans un
centre aéré nous raconte sa profonde tristesse et angoisse du fait du mauvais état de santé de
son enfant, pour lequel elle se sent coupable.
Cette situation émotionnelle complexe affecte la famille dans sa globalité, ayant une
incidence pour le bon développement des enfants. Des recherches ont démontré que « 10-
26% des enfants de moins de 3 ans sans-abri ont des problèmes de santé mentale, ce qui
augmente de 24-40% pour les enfants en âge d’aller à l’école. Ce qui est deux à quatre fois
plus élevé que les enfants pauvres logés »30. Dans ce contexte, en regardant ce que nous
avons connu au long de notre processus de recherche, la santé mentale des enfants et ses
familles devient un point important à repérer pour des interventions et accompagnements
futurs.
Une femme dans un squat nous explique le changement comportemental du frère ainé de la
famille.
«Il est compliqué aussi (enfant 5ans), il est tout le temps énervé, quand
quelque chose ne va pas, il s’énerve…il est compliqué… il crie, il est
agressif, avant il n’était pas comme ça… » [Femme 24ans, Famille 6]
30Raising the roof. (2016). L’itinerance des enfatns et des familles: Un facteur décisif à la santé mentale des enfants :
Toronto, Canada, p19. Vue le 23 avril 2020 en : https://www.raisingtheroof.org/wp-content/uploads/2016/02/CMH-
Supplement-FR.pdf
63
Cette préoccupation pour le changement de comportement lié à la santé et au
développement des enfants n’échappe pas aux parents, car ils se sentent coupables, tout en
cherchant des solutions pour pouvoir améliorer les conditions de vie des enfants, et par ce
bais, essayer de diminuer l’impact de cette situation pour l’avenir des enfants.
Cette préoccupation constante pour les conditions de santé des enfants est un facteur de
stress généralisé pour les membres de la famille. L’angoisse est due au manque de moyens
de pouvoir changer les conditions de vie et de ne pas pouvoir se faire aider. Une mère avec
ses deux enfants au début du parcours d’errance (entretien fait deux semaines après
l’arrivée dans le territoire français), nous explique comment le mal-être de ses enfants est
lié à l’errance et au changement brusque d’environnement dans des conditions de vie
complexes.
«C’est très difficile d’être ici… les filles étaient à l’école en (pays
d’origine), mais ici ce n’est pas possible parce que on est à la rue… les filles
pleurent tout le temps… ne dorment plus. La plus petite a peur… et la plus
grande dit tout le temps qu’elle veut rentrer en (pays d’origine), mais on est
en danger là-bas, on ne peut pas revenir en arrière… notre vie est en
danger… » [Femme 30ans, Famille 2]
Le sentiment d’être bloqué dans une situation que l’on ne se maitrise pas est un des facteurs
d’angoisse les plus remarqué chez les adultes des familles interviewées. Le besoin constant
de s’adapter au changement joue un rôle prépondérant dans la vie des familles, tout en
ayant conscience des conséquences physiques et psychologiques pour eux et pour leurs
enfants. Les parents se mobilisent pour trouver de l’aide sans avoir toujours de résultats.
64
5. L’enfant, le traducteur face aux institutions connaissant son processus migratoire
Chez les enfants interviewés, nous avons remarqué que chacun et chacune avait aussi
développés des hypothèses ou bien compris les raisons du processus migratoire. Aussi, le
discours des enfants sur les raisons de la migration apparait dans l’ensemble clair.
« Je t’explique, les blancs ne restent pas avec les noirs (dans son
pays d’origine) c’est pour ça qu’on est ici… » [Garçon 7ans, Famille 17]
Plusieurs raisons amènent les familles à partir, soit la peur, soit le besoin de soin médical et
se sont autant de raisons évoquées par les enfants en âge de comprendre et de s’exprimer.
«Il y a des problèmes avec la médecine, c’est pour ça qu’on est ici,
parce que Marie elle est malade. » [Garçon 9ans, Famille 10]
Ils ont dû par la force des choses acquérir ces explications et ce discours. Comme ils sont
souvent les premiers à apprendre la langue (pour les familles non-francophones), ils
deviennent de fait les traducteurs de la famille.
La traduction des adultes est une des raisons pour laquelle les enfants connaissent la
situation de la famille, mais c’est aussi du fait de la confrontation avec les institutions dès
leur plus jeune âge.
65
Il est important de remarquer que dans un moment de stress et d’une grande incertitude
pour les adultes, ils préfèrent se faire traduire par leurs enfants, car cela leur donne
confiance dans l’information apportée. La traduction par les enfants semble être autant un
choix qu’une obligation, à cause du manque de traducteur et de traduction dans les
différents organismes.
Au fur et mesure que les adultes commencent à comprendre la langue et peuvent se faire
comprendre, ils essaient de s’exprimer eux-mêmes, car parfois l’information n’est pas
adaptée pour les enfants.
L’école et plus largement les espaces éducatifs sont des lieux de socialisation entre pairs
pour les enfants, notamment pour les enfants ancrés dans un processus d’itinérance. L'école
devient parfois le seul espace fréquenté régulièrement.
Selon ce que nous avons vu, l’école, les crèches ou la halte-garderie permettent de remettre
un nouveau cadre dans la dynamique familiale, modifiée initialement par l’errance.
Le stress, l’angoisse et l’itinérance modifient les relations familiales, car l’enfant occupant
la place de traducteur de la famille, laisse sa place d’enfant et prend le rôle de « médiateur
institutionnel » pour les familles.
Ce que nous avons remarqué en visitant et en participant à des échanges au sein des lieux
éducatifs tels que la halte-garderie de l’ASFAD, c’est l’impact positif, accordé par les
familles, au processus de scolarisation dans la dynamique familiale.
66
relation bénéfique pour la famille, car la relation parent-enseignant met au centre de
l’échange l’enfant, dans son processus de développement, d’apprentissage et pas seulement
dans les conditions de vie matérielles ou sur son parcours migratoire.
Autrement dit, les parents dans les espaces éducatifs deviennent à nouveau « des parents »
face à une institution qui attend d’eux le même comportement que celui de n’importe quel
parent.
Cette proposition peut sembler tout à fait banale, mais dans le cadre de l’errance en famille,
les adultes face aux différentes structures et institutions prennent des places très diverses :
objet de la charité, patient dans le cadre médical, demandeur d’asile et personne qui subit le
stigmate social d’être dans une situation de grande pauvreté. Aussi, l’école permet à
l’adulte de se rassurer socialement dans sa condition de parent.
L’espace éducatif est aussi un lieu de socialisation plus ou moins pérenne pour les adultes
et les enfants, car dans le cadre de l’errance, la mobilité géographique peut être un obstacle
pour se rendre régulièrement dans les mêmes lieux institutionnels et de socialisation.
L’institution scolaire est aussi créatrice d’une organisation quotidienne, ce qui permet aux
familles d’avoir un point de repère dans le processus d’errance.
Pour les jeunes enfants, il devient très complexe de trouver une place dans une crèche,
halte-garderie. Cette situation préoccupe les parents, car ils n’ont pas la possibilité
d’accéder aux apprentissages au même niveau qu’un enfant d’une famille moyenne.
67
La constitution des « classes allophones » permet petit à petit d’acquérir les codes scolaires
français, même si pour les enfants que nous avons interviewés cette expérience est
hétérogène.
Dans ce contexte l’école est un moteur de socialisation et de cadre. Un enfant nous explique
comment il vit l’espace scolaire au quotidien.
«Oui j’ai des amis à l’école, 3 amis, ils sont français… La madame
elle est très bien… Qu'est-ce que t’aimes le plus à l’école ? L’anglais, les
mathématiques et je joue beaucoup à l’école, j’ai aimé beaucoup jouer au
football, parfois au basquet aussi… J’aime beaucoup l’école. » [Garçon 11
ans, Famille 1]
La plupart des enfants interviewés mettent en valeur les rencontres, l'amitié et notamment
la bienveillance des adultes au sein de l’établissement scolaire comme point d’ancrage à la
structure scolaire.
Pour les enfants non francophones et qui viennent d’arriver, le temps d’adaptation et
d’apprentissage de la langue est vu comme un frein et une problématique d’inclusion. Être
allophone est vecteur de stress pour les enfants, du fait de l’impossibilité d’échanger avec
les autres enfants et avec les adultes.
Même si la plupart des enfants interviewés sont contents d’aller à l’école et se sentent
inclus dans l’institution, ils peuvent faire face aussi à des moqueries liées à leur origine,
leur façon de parler, etc.
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l’école, qui t’aide ? Moi… ehh… pas beaucoup des personnes… personne
m’aide… tu fais tes devoirs tout seul ? Oui…et en Géorgie qui t’aidait ? Ma
maman... » [Garçon 9ans, Famille 10]
Concernant la vie scolaire, comme nous illustre cet extrait, le soutien scolaire est un des
principaux freins pour les enfants en situation de migration et d’errance. Ne pas avoir de
soutien scolaire est un problème prépondérant pour l’accès aux apprentissages.
Ce manque de soutien scolaire devient aussi un facteur d’angoisse pour les enfants
interviewés, car faire face aux exigences scolaires sans avoir un accompagnement au sein
de la famille a pour conséquence développer un processus d’autonomie scolaire très jeune.
Un enfant nous explique comment il vit la relation entre l’espace scolaire et la langue
française au quotidien.
L’extrait précèdent nous permet d’illustrer comment le quotidien des enfants des familles
migrants est traversé par le multilinguisme. Cela pourrait davantage être perçu comme un
apport et une compétence à mettre en valeur pour les enseignants dans l’espace scolaire,
comme une richesse non négligeable pour l’ensemble de la classe.
« Est-ce que t’as dormi hier ? Non, je n’ai pas dormi hier… Où est-
ce que tu dors ? Je dors à l’abri, je ne dors pas vraiment, ce n’est pas bien,
il fait froid, je n’ai pas de lit… tu l’appelles maison ? Non, je l’appelle abri.
Je suis fatiguée tous les jours. » [Garçon 11 ans, Famille1]
Concernant la perception de l’avenir, la plupart des enfants nous ont raconté leurs désirs. Ils
souhaitent soit exercer la même profession que leurs parents, soit une activité qui les
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entoure au quotidien comme « être bénévole » ou enseignant. Leur perception du futur est
aussi impactée par leur situation administrative actuelle. Un enfant de onze ans nous
raconte ses aspirations pour le futur.
«Moi je ne sais pas si j’aurais des papiers, je n’ai pas des papiers, ni
ma sœur, ni personne de ma famille (…) les lois sont les règles que t’as pour
rester en France c’est comme ça. J’aimerais bien rester là pour faire mes
papiers, mon séjour, pour l’école, ma famille et ma maison… on va ouvrir
un autre asile, c’est pour ça que je veux rester en France (…) » [Garçon 11
ans, Famille1]
Le quotidien des enfants est marqué par plusieurs enjeux, la scolarisation, la vie en
itinérance, la santé mentale des parents et notamment la confrontation à des situations
institutionnelles diverses en tant que traducteur.
8. Des adolescents des familles sans logement : des particularités au regard des
enfants.
De même que pour les enfants, les problématiques liées au logement restent similaires pour
les adolescents. L’hygiène, le risque pour la santé mentale, ne pas avoir de lieu de vie à soi,
le manque de confiance en soi, les difficultés liées au transport sont autant de
problématiques significatives qui touchent les adolescents.
Dans le cadre scolaire, pour les adolescents des familles sans logement, avoir un processus
de scolarisation stable devient complexe, car les multiples changements d’hébergements et
parfois de ville ont déjà impacté leur parcours scolaire et continuent de le faire. Cette
itinérance entraine de fortes conséquences sur le processus de socialisation par les pairs et
l’acquisition des apprentissages attendus.
De même, les loisirs et des activités extra scolaires avec leurs pairs sont impactées
négativement, soit par le manque de logement, soit par la précarité financière.
Le processus de scolarisation est marqué parfois, par la perte des liens sociaux et par des
obstacles académiques comme l’illustre un des interviewés.
70
(…) Pour moi parler ça va je ne suis pas très mauvais, mais pour lire et
écrire ça c’est autre chose. » [Garçon 16 ans, Famille 17]
Ce décalage en termes d’apprentissage est aussi un processus complexe à vivre chez les
jeunes, car chaque changement d’établissement implique le risque de redoubler l’année
scolaire et ne pouvoir pas accéder, par exemple, à une filière, ou simplement se retrouver
avec un grand décalage âge-classe.
« Ici ils veulent que je redouble et moi j’ai déjà 16 ans, normalement
je devrais être au lycée, en fait si je reste comme ça, ça veut dire que je vais
tout perdre » [Garçon 16 ans, Famille 17]
Il est important de remarquer qu’une des spécificités que nous avons constaté chez les
adolescents, se traduit par le fait de ne pas pouvoir développer un processus dans l’avenir
d’autonomie et d’indépendance sans complications.
Même si l’adolescence peut ne pas être le moment précis pour finir ces deux champs de la
vie des jeunes, il nous semble important de remarquer les difficultés pour développer ces
deux prismes de la vie d’un adulte en devenir. Les complications financières et les
problématiques pour gérer la vie quotidienne du ménage, peuvent être des freins pour
devenir indépendant et autonome au sein du foyer pour construire une vie plus individuelle.
31CHALAND K., (2001) Pour un usage sociologique de la double généalogie philosophique de l’individualisme. Dans
SINGLY DE F., (2001) Être soi d’un âge à l’autre. Famille individualisation, Le Harmattan, coll. « Logiques sociales»,
Paris, tome 2, pp. 31-43.
71
Constats, points d’amélioration et préconisations.
Le diagnostic rend compte des problématiques des ménages avec
enfants sans hébergement dans le territoire rennais
909 familles avec enfants ont appelé le « 115 » en 2019 dans le territoire de Rennes
Métropole :
Composition des ménages Nationalité des Type de séjour des ménages avec
avec enfants ménages enfant
PRÉCONISATIONS
Dans le but d’obtenir des données plus fiables et de connaitre la réelle proportion du
phénomène des familles et enfants sans hébergement dans le territoire rennais, il
conviendrait de partager les informations entre :
72
Être en situation régulière dans le territoire rennais, sans
logement fixe.
Pendant cette période, les familles se retrouvent face à un grand isolement et vivent une rupture des
liens sociaux, notamment pour les familles qui ont vécues des violences conjugales, car la prise en
charge à l’hôtel permet la protection mais ne permet pas un accompagnement de proximité de la
part des professionnels.
PRÉCONISATIONS
73
Être en situation irrégulière et sans logement dans le
territoire rennais.
Elles sont accompagnées, la plupart du temps, par des bénévoles d’associations dites
« militantes » et par des associations d’urgence sociale.
Ces familles sont dans une grande détresse physique et psychologique sans pouvoir
bénéficier d’accompagnement professionnel dédié.
PRÉCONISATIONS
74
Les problématiques des familles en situation d’errance, le
début du parcours d’errance.
Ils existent plusieurs documents pour informer les usagers en errance sur
les divers lieux d’accueil et les services, ils sont diffusés la plupart du
temps en format papier, ce qui implique un accès plus restreint de
l’information.
Il manque des points d’hygiène adaptés et accessibles aux enfants, tels que
les douches, les machines à laver et aussi des vêtements adaptés au climat.
De plus, le public en errance et aussi les familles sans logement doivent se
déplacer sur de longues distances avec leurs bagages, ce qui limite
considérablement leur mobilité.
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Les bénévoles et parfois des professionnels ne disposent pas des
informations nécessaires sur les services proposés au public en situation de
précarité dans la ville de Rennes. Par ailleurs, il existe une forme de lacune
en matière de formation sur la prise en charge du public mineur ou majeur
en situation d’errance.
PRÉCONISATIONS
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Être enfant et adolescent dans une famille sans logement
Peu de places sont disponibles dans les crèches, ce qui représente un frein
pour la socialisation et l’acquisition des apprentissages, la langue
notamment pour les enfants en bas âge et leur famille.
Les enfants et adolescents sont particulièrement impactés par l’errance. A la fois traducteur
et médiateur institutionnel, le processus de migration leur laisse peu de place pour vivre
leur enfance et adolescence. Il est à noter qu’ils sont confrontés à une souffrance psychique
individuelle et à celle de leurs proches ce qui constitue un facteur de risque pour leur bon
développement.
PRÉCONISATIONS
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Bibliographie
Déroff, ML. (2015). Parcours des Femmes victimes de violence conjugale : Rapport de
recherche. Université Bretagne Occidentale.
Freedman, J. (2017). Peur, Honte, Humiliation? Les émotions complexes des demandeurs
d’asile et des réfugiés en Europe. Centre d’information et d’études sur les migrations
internationales. N°168.pp 23-34.
78
Lamia, A et Esparbes-Pistre, S. (2004) Chapitre 6 : Estime de soi et vulnérabilité. Dans:
Tap, P et Vasconcelos M. (Ed.). Précarité et vulnérabilité psychologique. (Pp 89-
104). :ERES. France.
Murphy C.M., Bassuk E.L., Coupe N., Beach C.A. (2013) Strategies for Ending
Homelessness Among Children and Families. In: Culp A. (eds) : Child and Family
Advocacy. Issues in Clinical Child Psychology. Springer, New York.
Raising the roof. (2016). L’itinérance des enfants et des familles: Un facteur décisif à la
santé mentale des enfants : Toronto, Canada.
SAHAMSA, NCTIS infographie. Dans : Raising the roof. (2016). L’itinérance des enfants
et des familles : un facteur décisif à la santé mentale des enfants. Québec, Canada.
79
Bibliographie complémentaire
Aguilera, T. (2012). Gouverner les illégalismes : Les politiques urbaines face aux squats à
Paris. Gouvernement et action publique. Presse de Sciences po, pp.101 – 124.
Barbou des places, S. (2010). Les étrangers « saisis » par le droit : Enjeux de l’édification
des catégories juridiques de migrants. Migration et société N° 128. « Centre d’information
et d’études sur les migrations internationales ». France.
Barbou des places, S. (2008). La catégorie en droit des étrangers : une technique au
service d’une politique de contrôle des étrangers. Revue Asylon, N° 4, Mai 2008.
Bergeon, C. et Hoyez, A. (2015). Etre migrant et vivre en squat : La santé à l’éprouve des
trajectoires résidentielles précaires. Université de Reims Champagne-Ardenne.
80
Pian, A, Hoyez, A, et Tersigni, S. (2018). L’interprétariat en santé mentale : Divisions
sociale, morale et spatiale du travail dans les soins aux migrants. Université de Poitiers.
« Revue européenne des migrations internationales » Vol.34. France.
81