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Chapitre 1 : Histoire et mémoires des conflits.

Introduction : La mémoire et l'histoire sont deux notions qui cheminent ensemble mais doivent être distinguées. Elles sont à la
fois complémentaires et en tension, réfléchir sur l'usage de l'une ou de l'autre revient à poser la question de la place de
l'historien dans la société et le débat public. Les conflits et leur histoire sont gravés dans la mémoire collective des sociétés et
dans les mémoires individuelles. Entre récit officiel des gouvernements, poids du contexte politique, volonté d'oubli et
mémoires antagonistes des acteurs, le travail de l'historien est essentiel. La Première Guerre mondiale (1914-1918) et la
guerre d'Algérie (1954-1962), qui ont fait l'objet d'une multitude de travaux historiques, ont alimenté de nombreux débats
dont les enjeux sont à la fois politiques et mémoriels.

Comment les conflits et leur histoire s'inscrivent ils dans les mémoires des populations ?

I. Les causes de la Première Guerre mondiale : un débat historique et ses implications politiques

https://mediaserver.univ-nantes.fr/videos/stanislas-jeannesson-les-origines-de-la-premiere-guerre-mondiale-les-enjeux-
dun-debat-historiographique/

Jalon pages 190-191

Doc 1 : Quels différents moments d’interprétation historique des causes de la guerre Gerd Krumeich énonce-t-il ?

Krumeich explique d’abord que le débat commence au lendemain de la guerre aussi chez les historiens. Il cite Pierre Renouvin,
l’un des plus éminents historiens des relations internationales, qui pointe la responsabilité allemande d’abord mais nuance son
propos quelques années plus tard en admettant une responsabilité multilatérale. Il revient ensuite sur le bruit fait par l’ouvrage
de Fritz Fischer en 1961, historien allemand cette fois qui, lui, n’hésite pas non seulement à charger l’Allemagne, mais à établir
une filiation directe entre la Grande Guerre et le nazisme. Il est vrai qu’entre-temps, la Seconde Guerre mondiale a eu lieu, avec
son lot de violences et barbarie et que l’Allemagne des années 1960 est en proie à un véritable sentiment de culpabilité. À ce
moment, les causes de la guerre deviennent donc un enjeu mémoriel de grande importance en Allemagne

Doc 2 : Comment l’idée d’une volonté guerrière allemande est-elle affirmée dans cette une ?

L’idée s’impose par le biais de la caricature et du caractère contradictoire et comique de la scène représentée. L’empereur
Guillaume II chevauche un canon et est lui-même bardé d’armes avec, à ses pieds, des barils de poudre à canon. Pour autant,
les armes crachent des slogans de paix et lui-même, sous les traits d’un guerrier prêt au combat, semble porter un appel à la
paix. D’où le titre du dessin : « Chant de paix, œuvre de guerre » qui ne fait que mettre en mots le propos de l’image : sous des
dehors et de beaux discours pacifistes, Guillaume II prépare en réalité son peuple à la guerre et la méfiance est de mise.

Doc 3 : Pourquoi le livre de Fischer crée-t-il une polémique en Allemagne ?

Dans son livre, Fritz Fischer décrit le chancelier Bethmann Hollweg comme ayant volontairement pris le risque de déclencher
une guerre mondiale pour créer un empire allemand étendu sur toute l’Europe centrale. Or, au même moment, un autre
ouvrage de l’historien Egmont Zechlin paraît et décrit le chancelier comme un homme de paix. Deux versions s’affrontent alors,
l’enjeu est important puisqu'il s’agit de la responsabilité de l’Allemagne dans le déclenchement du conflit et de ses suites dans
la mise en place du nazisme. La controverse est donc liée à ces deux interprétations contradictoires. Elle a mobilisé quasiment
l’intégralité des historiens allemands, c’est dire son importance.

Doc 4 : Comment expliquer l’acceptation enthousiaste par les Allemands de la thèse de Christopher Clark ?

Pour Bérénice Zunino, il y a un lien évident entre la chute du mur de Berlin, la redécouverte de la nation et l’enthousiasme pour
les thèses de Christopher Clark. En effet, la disparition des deux Allemagnes s’est accompagnée, selon elle, d’une «
redécouverte de la nation » et surtout du sentiment de fierté nationale. Cela fait suite à des années de honte, de culpabilité
collective et d’acceptation à l’idée d'une responsabilité allemande dans le déclenchement de la guerre, une explication
notamment de la montée du nazisme. L’ouvrage de Christopher Clark arrive à ce moment de déculpabilisation collective et
conforterait la société allemande dans sa conviction d’avoir été injustement punie et dans sa nécessité de retrouver son orgueil
de nation. Tout cela accompagne par ailleurs l’affirmation économique et politique d’une Allemagne réunifiée dans le monde,
une affirmation qui nourrit la fierté nationale et le sentiment de reprendre la main sur sa propre histoire.

Mise en relation des documents : Etude Critique de documents « Les enjeux politiques des causes de la premières guerres
mondiales » (Docs 3 et 4 page 191)

Plan :

I. La réception des thèses de Renouvin à Fischer en contexte de forte culpabilité allemande.


Dès le lendemain de la guerre, l’historien Pierre Renouvin a affirmé la responsabilité de l’Allemagne dans le déclenchement
de la guerre mais a nuancé ses propos quelques années plus tard. En 1961, après la Seconde Guerre mondiale, l’historien
allemand Fritz Fischer publie un ouvrage qui réinsiste sur la responsabilité allemande, ouvrage qui provoque une forte
controverse scientifique et médiatique. Il faut attendre ensuite 2013 et Les somnambules de Christopher Clark pour que
cette thèse soit à nouveau revisitée et que soit réaffirmée la responsabilité collective des États européens et notamment
celle de la Serbie dans la marche vers la guerre.

II. Le succès des Somnambules dans le cadre de la période post-réunification.

L’évolution du débat historique sur les causes de la guerre est à mettre en relation avec le rapport entretenu à son passé de
la société allemande. En effet, dès les lendemains de la guerre et plus encore après la période nazie, l’Allemagne porte une
lourde charge de culpabilité collective qui est favorable à l’acceptation de sa responsabilité dans le déclenchement de la
Grande Guerre, d’où l’accueil des thèses favorables de Fritz Fischer. En revanche, en 2013, la situation est très différente :
depuis la chute du mur de Berlin (1989) et la réunification (1990), l’Allemagne retrouve une place centrale économiquement
et politiquement dans le monde. Ce regain de fierté nationale est, selon Bérénice Zunino, favorable à une déculpabilisation
et contribue à expliquer le succès de la thèse défendue par Christopher Clark dans Les somnambules, une thèse qui minore la
responsabilité allemande dans les causes de la guerre.

Cours :

A. L’été 1914 ou le suicide de l’Europe

L'attentat de Sarajevo est l'engrenage des alliances nouées entre les membres de la triple Entente (France, Russie, GB) et ceux
de la triple Alliance (Allemagne, AH, Italie) ont entraîné l'Europe dans un conflit dans l'ampleur et la longueur n'avait été
imaginées par aucun gouvernement. La question des responsabilités dans le déclenchement du conflit se pose dès le début. La
guerre s’éternisant, chaque pays belligérant tente de rejeter la faute sur l'ennemi et se présente comme l’agressé. L'armistice
une fois signé (11 novembre 1918), il s'agit de construire la paix et de faire les comptes. En 1919, l'article 231 du traité de
Versailles déclarent l'Allemagne et ses alliés coupables des pertes et dommages subis par les alliés, justifiant ainsi de très
lourdes réparations. Aussi la dimension culpabilisante de cet article n’échappe ni aux vainqueurs ni aux vaincus. L'idée
défendue par les Britanniques de juger Guillaume II comme criminel de guerre est finalement abandonnée en 1920, face au
refus des Pays-Bas d’extrader le souverain déchu. Les historiens français s’interressent alors au mouvement pangermaniste ou
« Alldeutsch » qui aurait influencé la politique extérieure allemande. Le gouvernement impérial aurait ainsi fait la pour réaliser
par la force brutale ses désirs de domination du monde.

B. Responsabilité ou culpabilité ?

Dès lors, les historiens s'emparent de la question des causes de la guerre, devenue éminemment politique. En France, le traité
de Versailles est accueilli comme une revanche sur le militarisme allemand le récit élaboré par des acteurs (dirigeants
politiques et militaires) et par des historiens anciens combattants défend la thèse de la culpabilité d'allemande. Histoire
diplomatique « vue d’en haut », elle se focalise sur le jeu des responsables politiques et militaire. En 1925, l’historien Pierre
Renouvin propose un glissement sémantique en étudiant les Origines immédiates de la guerre, mais continue d’exonérer la
France dans le déclenchement du conflit (Document 1 page 190). Jules Isaac (Un débat historique. Le problème des origines de
la guerre, 1933-Voir document 4 dans le cours) souligne quant à lui la responsabilité de tous les Etats. A la fin des années 1920,
les théories marxistes, qui analysent la marche à la guerre de l’été 1914 comme le choc inévitable des impérialismes
européens, se développent dans les milieux pacifiques. En Allemagne, le « Diktat » de Versailles nourrit un fort sentiment
d'injustice. Les historiens dénoncent « le mensonge de la culpabilité allemande » (« Kriegsschuldluge ») et insistent au
contraire sur la responsabilité franco-russe, accordant tout au plus que leur pays, encerclé, s'était laissé glisser dans la guerre.
Cette vision est largement encouragée sous le nazisme car elle sert la dénonciation du traité de Versailles par le nouveau
pouvoir. Après 1945, l'essentiel des travaux des historiens se focalisent sur la WW2. En 1961, la thèse de Fritz Fisher
(Document 3 page 191), développée dans les buts de guerre de l'Allemagne impériale 1994-1918, marque une rupture. Celui-ci
démontre en effet le caractère impérialiste et belliciste du Reich et réfute l'idée d'un dérapage. Dans son ouvrage, l’auteur y
évoque à quel point la mémoire du conflit demeure sensible. Il y affirme que l’All avait en juillet 1914 poussé l’AH à adopter
une position intransigeante, déclenchant ainsi le conflit. L’auteur ajoute également que l’All de Guillaume II avait poursuivi des
buts de guerre impérialistes pour imposer en Europe une hégémonie allemande, alourdissant ainsi sa responsabilité. Le livre
suscite de nombreuses polémiques en Allemagne dont l'historien français Jacques Droz propose une synthèse dans Les causes
de la première guerre mondiale : essai d’historiographie (1973). La polémique implique même l’exécutif quand le chancelier
Ludwig Erhard (1963-1967), aussi bien que le président du Bundestag, Eugen Gerstenmaier, prennent position contre les
thèses de Fischer.
C. Un débat presque clos

Depuis cette date, d'autres aspects de l'histoire de la guerre ont été défrichées, privilégiant une approche sociale et culturelle
centrée sur le quotidien des soldats, la mobilisation de l'arrière. La communauté historienne ne débat plus de culpabilité ni de
responsabilité, et la question a perdu son caractère politique. Les historiens s'accordent plutôt avoir un enchevêtrement
d'origine dans le choc de l'été 1914 : concurrence entre puissances impériales, exacerbée ration des nationalismes, jeu fatal
des alliances. Ils ont aussi montré de quelle manière les peuples avaient soutenu leur gouvernement dans la marche à la
guerre. De nouvelles publications liées au centenaire ont néanmoins relancé la question, notamment en Allemagne. L'ouvrage
de Christopher Clark, Les Somnambules offre une nouvelle lecture dans la querelle des responsabilités. Le livre suscite un
grand intérêt du public et en particulier en Allemagne, où il est réédité onze fois en 6mois. Le phénomène est d’autant plus
surprenant que dans ce pays, à la différence du RU, de la France, du Canada, des EU ou de la Belgique, la WW1 n’est pas
habituellement pas ressentie comme un jalon important de l’histoire nationale. Clark y évoque une responsabilité collective
dans le déclenchement du conflit mettant l'accent sur celle des Russes, des Serbes et des Français et minimisant celles des
Allemands et des Autrichiens. En octobre 2014, l’histoire Gerd Krumeich publie Le Feu aux poudres. Qui a déclenché la guerre
en 1914 ? En réponse aux thèses de Clark. S’il reconnait la performance historiographique de Clark, il lui reproche de ne pas
avoir assez travaillé sur les représentations de la guerre et souligne au contraire les responsabilités allemandes dans le
déclenchement du conflit. Ainsi les causes de la WW1 sont extrêmement complexes et difficiles à cerner, ce qui n’est
absolument pas le cas de la WW2. Avec le lancement de la « mission centenaire 14-18 » en 2012, qui a rassemblé des
historiens français et étrangers, l’histoire des mémoires de la WW1 ont été placées sur le devant de l’actualité. L’inauguration
du mémorial international de Notre Dame de Lorette en 2014, rendant hommage aux combattants de la WW1 sans distinction
de nationalité, a eu pour objectif d’apaiser la mémoire et l’histoire du conflit, un siècle après son déclenchement.
II. Mémoires et histoire d’un conflit : la guerre d’Algérie

https://www.youtube.com/watch?v=-GYwdxuD-v4

https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/algerie-naissance-dune-nation-34-guerre-dindependance-
des-memoires-multiples-et-concurrentielles

Jalon pages 192-193

Doc 1 : Quelle importance est donnée à l’insurrection du 1er novembre 1954 dans ce texte ?

Le texte présente l’insurrection du 1er novembre comme l’aboutissement de siècles d’un peuple unitaire en lutte. C’est
l’évènement fondateur d’une nouvelle ère qui met fin à une très longue période d’oppression coloniale. D’après ce document, le
1er novembre est l’acte de renaissance d’un peuple uni et libre.

Doc 2 : Quelles sont les mémoires qui s’opposent en Algérie ?

Il y ici deux mémoires qui se concurrencent au sein même du nationalisme algérien : celle du FLN et celle du MNA. Dans
l’histoire longue du nationalisme algérien, les deux ont eu un poids très important. Mais le MNA, d’inspiration socialiste n’était
pas favorable aux attentats tandis que le FLN, formé de cadres plus jeunes, souhaitait les poursuivre. Des rapports de force et
rivalités internes ont mené à une guerre civile entre les deux groupes. Dès 1957, le FLN l’emporte et souhaite, à l’indépendance,
effacer la MNA, et notamment Messali Hadj, de la mémoire officielle. Il ne rentre en Algérie qu’en 1974, son nom gommé des
manuels d’histoire.

Doc 3 : Pourquoi est-il si difficile de trouver un accord sur la date de commémoration de la fin de la guerre ?

Le 19 mars 1962, date de la signature des accords d’Évian, correspond à un cessez-le-feu négocié entre les autorités françaises
(De Gaulle) et le FLN. Il ne met toutefois pas fin aux violences car les attentats continuent, notamment de la part de l’OAS
(Organisation de l’armée secrète) furieuse de cet accord. Il faut donc trouver une date qui contente les différents groupes
impliqués dans la guerre : les Algériens, les anciens combattants, l’État français, les Harkis. Tout cela est extrêmement
complexe car repose sur des concurrences de mémoires, chacun ayant ses propres interprétations des évènements. Le choix du
5 décembre l’emporte car il ne correspond précisément à rien.

Doc 4 : Pourquoi cette reconnaissance est-elle une étape politique importante ?

Il a fallu attendre 50 ans avant que cette reconnaissance n’ait lieu. Il est toujours difficile pour un État de reconnaître sa
responsabilité dans un crime, a fortiori quand celui-ci a été commis dans le passé par d’autres acteurs, et lorsque cette
reconnaissance agite des conflits mémoriels mettant en jeu la réputation de l’État, notamment de son armée et/ ou de sa
police. C’est pourquoi ce geste de reconnaissance est fondamental. Pour certains, il devrait être la prémisse d’autres
reconnaissances encore fortement attendues comme celle du 17 octobre 1961 (voir plus loin).

Doc 5 : Pourquoi serait-il utile d’écrire une histoire commune franco-algérienne de la guerre ?

La guerre d’Algérie fait l’objet de multiples appropriations mémorielles et reste sensible dans chacun des groupes, d’autant
qu’il subsiste encore des survivants. Même les historiens, qui appliquent pourtant une méthodologie rigoureuse, sont parfois
pris à partie dans les débats politiques. À cela, il faut ajouter l’écriture algérienne de l’histoire de la guerre qui procède d’autres
formes d’occultations et d’instrumentalisations. Tout cela laisse place à une multiplicité de récits qui ne sont pas concordants.
L’écriture d’un récit historique commun permettrait d’abord de surmonter les désaccords par le débat et la négociation, ensuite
de mettre en avant le fait qu’il s’agit bel et bien d’une histoire commune et partagée.

Mise en relation des documents : Dissertation « Le travail de l’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie »

Plan :

I. Le travail de l’historien et le distinguer de l’approche mémorielle en insistant bien sur la méthode historique.

II. Les enjeux mémoriels liés à la guerre d’Algérie et notamment les mémoires de groupes, non seulement en France mais
aussi en Algérie

III. Enfin, montrer que cela est susceptible d’interférer avec la vérité historique et que l’historien est obligé de composer avec
ces mémoires, soit en les transformant en sources historiques (on peut faire une histoire des mémoires), soit en dialoguant
pour trouver un récit de la réconciliation dans lequel personne ne se sente lésé.
Exemple de problématique : Comment l’historien de la guerre d’Algérie peut-il dialoguer et composer avec des mémoires
plurielles ?

Cours :

A. Une guerre sans nom

Le 18 mars 1962, la signature des accords d’Évian met fin à un conflit de huit ans qui a opposé la France aux indépendantistes
algériens du Front de libération nationale (FLN). Ce conflit, que les autorités s’obstinent à qualifier d’opérations de
pacification, a donné lieu à un usage massif de la torture par l’armée française. Il a eu de fortes répercussions en métropole où
la violence de la répression (répression du 17 octobre 1961, morts du métro Charonne le 8 février 1962) et du terrorisme
(attentats de l’Organisation armée secrète) s’est déployée. La paix laisse de nombreuses blessures ouvertes : près d’un million
de pieds-noirs rapatriés doivent trouver leur place dans la société française ; 40000 harkis (sur les 300000 enrôlés dans les
rangs de l’armée française) sont relégués dans des camps de transit et de reclassement ; toute une génération d’appelés,
revenus traumatisés, enfouissent leurs souvenirs de la guerre. En 1962, l’amnistie des crimes commis pendant le conflit
permet aux pouvoirs publics d’occulter les débats autour de la torture. D’autres lois sont votées en 1964, 1966 et 1968.
Jusqu'au début des années 1990, l'histoire coloniale de la France, et particulièrement celle de la guerre d'Algérie, semblait
oubliée. Cette situation répondait à une double exigence: ne plus évoquer une histoire douloureuse et éviter des polémiques
dû à la présence sur le territoire français de « pieds-noirs » de « harkis » mais aussi de population immigrés originaires
d'anciennes colonies. Cette situation ne procédait d'aucune volonté précise et s'expliquait largement par le fait que la droite
extrême s'était accaparée cette mémoire depuis 1974.

B. Histoire et mémoires éclatées

Le travail historique émerge à partir des travaux de chercheurs, à la fois historiens et militants, comme Pierre Vidal-Naquet. Ce
dernier publie dix ans après la fin du conflit un essai d’histoire et de politique contemporaines : La Torture dans la République
(1972). Dans les mêmes années, le cinéma se fait l’écho de la « sale guerre ». Le film de René Vautier, « Avoir 20 ans dans les
Aurès », raconte comment un groupe de soldats antimilitaristes et réfractaires sombre dans la violence. S’appuyant sur des
témoignages d’anciens appelés, le réalisateur dénonce les méthodes de l’armée française. Le film est couronné du Prix de la
critique au festival de Cannes. Parallèlement, les différents acteurs du conflit contribuent à faire émerger les mémoires
éclatées. En 1975, les enfants de harkis se révoltent pour dénoncer leurs conditions de vie. Les associations pieds-noirs
cultivent la nostalgérie qu’illustrent divers films produits dans les années 1970 et 1980 (Le Coup de Sirocco d’Alexandre
Arcady). Dans les années 1990, la parole des anciens appelés se libère. Les publications, les documentaires et les témoignages
se multiplient tandis que les historiens profitent de l’ouverture des archives. La question de la torture resurgit dans le débat
public à l’occasion de la publication des mémoires du général Aussaresses en 2001. L’ancien chef du renseignement pendant la
bataille d’Alger (janvier-juin 1957) justifie l’usage de la torture, ce qui lui vaut une condamnation de la justice et la perte de sa
Légion d’honneur.

C. Une politique de reconnaissance mémorielle

À partir de 2992, le contexte devient plus favorable à une véritable émergence mémorielle de la guerre d'Algérie. L'Algérie
contemporaine est tout d'abord au coeur de l'actualité avec la guerre civile qui déchire le pays. C'est aussi l'année de
commémoration du 30e anniversaire de l'indépendance. Enfin et surtout, les archives militaires s'ouvrent. En 1999, la loi
reconnaît l’état de « guerre » en Algérie, et le statut d’anciens combattants aux appelés. Le 5 décembre 2002, Jacques Chirac,
lui-même ancien appelé en Algérie, inaugure à Paris le premier mémorial national aux soldats français et aux harkis morts en
Afrique du Nord de 1952 à 1962. L’année suivante, lors d’un discours prononcé devant le Parlement algérien, il engage à
libérer toutes les mémoires, des deux côtés de la Méditerranée. L’œuvre de reconnaissance ne prend pas fin. Une loi sur les
archives, adoptée en juillet 2008, fixe de nouveaux délais de communication des archives publiques, qui sont désormais
communicables de plein droit à l'expiration d'un délai de 50 ans pour les documents relatifs à la vie privée point il en va de
même pour les documents dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale. La recherche sur la guerre
d'indépendance algérienne s'en trouve donc facilité. Ainsi François Hollande reconnaît la responsabilité de l’État dans la
répression du 17 octobre1961. En 2019, Emmanuel Macron a admis que la disparition et la mort du militant pro-indépendance
et communiste Maurice Audin étaient imputables à l’armée et donc à l’État. Cependant, les conflits mémoriels ne sont pas
tous éteints. En 2005, un projet de loi visant à porter reconnaissance de la nation aux Français rapatriés (art. 1) et à
reconnaître « le rôle positif de la présence française outre-mer » (art.4 finalement supprimé) est âprement discuté. En 2012, la
décision de fixer au 19 mars la « journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et
militaires de la guerre d’Algérie » divise. Alors que certaines associations d’anciens combattants défendent cette date, les
associations de harkis et de pieds-noirs s’y opposent avec virulence, rappelant que cette journée n’a pas mis fin aux violences.
C’est finalement le 5 décembre, date neutre, qui a été choisi pour commémorer les morts de la guerre d’Algérie et des
combats du Maroc et de la Tunisie.
Conclusion : L’histoire est au centre de multiples enjeux, tant politiques que mémoriels. L’exemple des responsabilités des
États dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale et celui des mémoires de la guerre d’Algérie le montrent. Pour
expliquer les origines de la Grande Guerre, le débat historique, doublé d’un enjeu politique, s’est longtemps focalisé sur la
question de la responsabilité et donc de la culpabilité. Après la Seconde Guerre mondiale, la question perd son caractère
politique et les recherches historiques se déplacent vers de nouveaux objets. La polémique internationale est désormais close.
L’exemple de la guerre d’Algérie souligne, quant à lui, la manière dont histoire et mémoires s’articulent. En France, la volonté
d’occultation du conflit par l’État n’a pu empêcher la résurgence des mémoires enfouies. Elles émanent des multiples acteurs
de la guerre qui demandent reconnaissance ou réparation. Face à ces mémoires contradictoires, l’ouverture des archives
permet aux historiens d’établir des faits vérifiables. Ces évolutions engagent les pouvoirs publics à entamer une politique de
reconnaissance des multiples mémoires du conflit.
Prépabac : A partir du sujet et du tableau, rédiger l’introduction de cette dissertation. Travail supplémentaire, trouver une
citation récente pour introduire le sujet (accroche)

Correction : En novembre 2013, à l’occasion du lancement des commémorations du centenaire de la Grande Guerre, le
président français François Hollande a déclaré : « Le centenaire n’a pas vocation à exhumer les combats d’hier, mais à réunir
tous les belligérants ». Il opposait ainsi la compréhension des événements historiques de la Grande Guerre à des objectifs
politiques immédiats. Si l’histoire est la connaissance du passé des sociétés humaines, la mémoire apparaît davantage comme
un ensemble de souvenirs restant dans l’esprit des hommes. Les mémoires sont donc plurielles et varient d’un acteur à l’autre.
L’expression « face aux » place les deux termes en opposition, comme si l’histoire de la Première Guerre mondiale était
incompatible avec les mémoires. D’un côté, l’historien cherche à comprendre les événements en s’appuyant sur des archives et
un questionnement. De l’autre, les mémoires divergent en fonction de la date, du lieu, des personnes et des intérêts immédiats.
Dès le début du conflit, et encore plus après le traité de Versailles, il y a eu une opposition entre les deux car les mémoires ont
évolué avec l’arrivée du parti nazi, la Seconde Guerre mondiale ou encore la guerre froide. Pourtant, les mémoires et l’histoire
peuvent parfois être complémentaires comme l’a prouvé la célébration du centenaire. Dans quelle mesure les mémoires ont-
elles limité, ou non, la connaissance historique de la Grande Guerre ? L’histoire et les mémoires ont d’abord été prisonnières
des enjeux immédiats de 1914 à 1945 car les archives n’étaient pas toutes accessibles et l’ensemble des acteurs essayaient de
rejeter la responsabilité de ce conflit sur le camp adverse. De 1947 à 1991, la guerre froide a facilité le rapprochement entre la
France et la RFA, ce qui s’est ressenti dans les mémoires. Depuis 1991, l’histoire n’a cessé de se renouveler et de progresser
alors que les mémoires ont oscillé entre unité et diversité.

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