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Origine(s) de la première guerre mondiale

Établir les causes de la Première Guerre mondiale, soit les motifs ou raisons ayant poussé
cette dernière à se produire, mène à appréhender différents enjeux. Le résultat de ces recherches peut
mener à faire porter une responsabilité historique sur la mémoire d’un pays: un pays ayant déclenché
l'un des conflits les plus meurtriers de l’histoire doit porter dans sa mémoire une forme de culpabilité.
D’autre part bien sûr, cette introspection de l’Histoire peut avoir comme objectif qu’elle ne se
reproduise pas. C’est pourquoi l’on cherche souvent une partie des causes de la seconde guerre
mondiale dans le traité de Versailles de 1919. S’il impose de sévères sanctions économiques, militaires
et plus largement politiques à l’Allemagne, il l’institue aussi comme seule responsable de la guerre
dans son article 231. Cette responsabilité, morale et juridique, est mal acceptée des populations
allemandes et a mené, en partie, à la montée du nazisme et des horreurs de la seconde guerre
mondiale. Cette recherche a toutefois eu un long cheminement. Si aujourd’hui nous pouvons dire que
nous avons, sur une majorité de points, des accords entre historiens sur les causes de la première
guerre mondiale, étudier les débats historiographiques autour de cet événement n’en reste pas moins
intéressant et constitue un exemple notable du travail d’historiens au fil de l’histoire.
Nous verrons ainsi comment la diversité des thèses historiographiques sur les causes de la
première guerre mondiale rendent ces causes dures à cerner.
D’abord nous étudierons les théories mettant en avant la responsabilité directe des pays ou de
leurs structures dirigeantes. En suite, nous nous pencherons sur les théories dites “déterministes”
mettant en avant d’autres causes généralement plus profondes de la première guerre mondiale. Enfin
nous verrons en quoi le contexte d’élaboration de ces théories rend nécessaire la construction d’une
science historique différente.

I- Les théories mettant en avant la responsabilité des pays ou de leurs instances


dirigeantes.

Aux lendemains de la guerre, les premiers responsables de la guerre désignés étaient


clairement les dirigeants des grandes nations européennes: les nations bellicistes avec la Russie ou
l’Allemagne (A) ; celle jugée trop inactive comme l’Angleterre voire même la France (B). La structure
même de la gouvernance est remise en cause: l'État-Major aurait très tôt pris le contrôle sur les
politiques et aurait précipité la guerre (C).

A. Débats sur les responsabilités bellicistes de l’Allemagne et de la Russie.

L’une des premières tendances à la fin de la guerre a été de désigner un déclencheur unique.
Le premier coupable désigné est l’Allemagne. Perdante de la guerre, elle est désignée coupable du
déclenchement de cette dernière lors du Traité de Versailles de 1919 dans les articles 231 et 232. La
responsabilité Allemande est alors juridique (on considère qu’elle a violé le droit de la guerre, en
théorie ce ne sont pas seulement les puissances gagnantes qui demandent vengeance) et morale. Cette
responsabilité politique est corrélée par des travaux d'historiens, notamment dans les années 1950 et
1960. L’historien Paul Fisher établit dans son ouvrage Les buts de guerre de l’Allemagne Impériale le
fait que l’Allemagne aurait été belliciste depuis 1912, et voudrait avoir un conflit large dans toute
l’Europe, persuadée que les puissances comme la France et la Russie finiront par l’encercler. Dans les
faits; si l’Allemagne a pu vouloir déclencher rapidement la guerre pour diverses raisons (cf I-c), les
archives montrait qu’elle était plutôt impréparée à un large conflit: elle ne disposait pas d’un stock
suffisant de munitions pour aller au front sur une durée si longue sur deux fronts. La préméditation
d’un tel conflit par l’Allemagne semble donc difficilement établissable.
D’autres courants historiques et historiens pointent du doigt la responsabilité des pays
centraux (Serbie; Autriche-Hongrie avec l’ultimatum du 23 juillet 1914 jugé impossible qu’elle donne
à la Serbie suite à l’attentat de Sarajevo ou les services secrets serbes seraient impliqués). Le refus
partiel de l’Ultimatum qui enclenche ce que l’on appelle le “jeu des alliances” par la Serbie aurait été
alimenté par l’allié Russe de la Serbie pour certains historiens comme Pierre Renouvin qui dénonce le
fait que la Russie n’ait pas poussé à la modération son allié. La mobilisation générale russe qui
intervient tôt (dès le 30 juillet 1914) serait responsable aussi de la monté des violences en Europe.

B. La responsabilité par l'Inaction: la dénonciation de la France et du Royaume Uni.

La paix d’Europe en 1914 réussit grâce à ce qu’on appelle un ordre Westphalien de 1648, voire
Viennois de 1815. Les alliances de puissances similaires assurent que l’impérialisme d’un certain pays
en Europe ne prenne pas le pas sur les autres grâce à un système d’alliances garantissant que si un
pays est touché, d’autres puissances viendront empêcher le pays belliciste de triompher. Ainsi
l’inaction de certains acteurs, ne garantissant pas suffisamment qu’ils agiront à leurs alliés peut
déclencher des velléités impérialistes. Pour l’historien Pierre Renouvin la France serait restée trop
passive dans ses garanties envers ses alliés, et l’Angleterre se serait laissée croire neutre. La Grande
Bretagne a en effet établit une “conférence pour la paix” qui pouvait laisser croire qu’elle tenterait de
résoudre le conflit par la diplomatie et n’agirait pas militairement en soutien à la France et la Russie.

C. La guerre enclenchée par des impératifs stratégiques et la prise de pouvoir rapide des
Etats-majors sur les politiques.

Certaines nécessités stratégiques semblent avoir étendu la guerre à toute l’Europe. Si l’on peut
dénoncer le fait que la Russie mobilise si tôt ses troupes fin juillet 1914, cet élément est à mettre en
perspective avec la réalité géographique de la Russie: le pays, immense, nécessite un certain temps
pour mobiliser ses troupes en cas de conflits avérés. Il est donc nécessaire que l’état-major mobilise
tôt la population en amont même d’une déclaration vive de guerre. L’Allemagne en voyant cela est elle
aussi obligée de mobiliser au plus vite ses troupes: incappable de résister sur deux fronts en même
temps, elle doit (plan Schlieffen) mener une guerre courte en France pour retourner ses troupes en
suite sur le front de l’Est en Russie.
D’autres part, certains historiens remarquent que les structures dirigeantes de l’ensemble des
pays d’Europe en 1914 ont vite changé. Beaucoup de membres des Etats-majors ont été promu du fait
de la montée des tensions. Or le fait que ce ne soient pas des experts de la diplomatie, mais de la
guerre qui soient au sommet des Etats peut avoir tendance à précipiter le conflit.

II- Les théories mettant en avant les causes profondes de la guerre.

D’autres théories essaient d’établir des causes qui seraient plus profondes pour ce
déclenchement de guerre mondiale. Le système d’alliance lui même mènerait ainsi aux conflits (A),
ainsi que les rivalités coloniales ou industrielles (B).

A. Le système d’alliance: une marche vers la guerre ?

On parle régulièrement de “l’engrenage des alliances” qui aurait mené au conflit. En effet, si
comme nous l’avons vu, il peut constituer une forme de garantie et empêcher les volontés
impérialistes, ce système a pour conséquence, en cas de conflit, de globaliser ce dernier. La guerre
s'est étendue ici à toute l’Europe car, pour ne pas imposer de défaite diplomatique voire militaire à la
Serbie ou l’Autriche Hongrie sur le plan international, l'ensemble des acteurs européens se sont
mobilisés. L’Allemagne fait par exemple un chèque en blanc à l’Autriche Hongrie, l’assurant ainsi de
son soutien le 2 juin 1914. C’est pour éviter cet emballement et cette globalisation des conflits qu’est
mis en place la Société des Nations à la fin de la guerre. Elle a pour but de remplacer ce système
d'équilibre des puissances par l’alliance avec la sécurité collective. Ce serait désormais une
organisation internationale qui tenterait de résoudre les conflits, au préalable d’alliances. Ce système
n’est réellement mis en place qu’aux sorties de la seconde guerre mondiale avec l’ONU et les casques
bleus pouvant agir militairement pour la violation de la paix.

B. Les tensions entre nations de natures coloniale ou industrielle: les théories marxistes

Certains penseurs marxistes voient dans l’esprit même du capitalisme la montée de tension
(l’impérialisme viendrait du Capitalisme pour Lénine). Plus généralement un système de concurrence
de puissance entre les pays crée inévitablement des tensions qui peuvent être envenimées. Les thèses
marxistes pointent du doigt les rivalités coloniales ou industrielles qui existeraient entre l’Allemagne,
la France et l’Angleterre. Dans les fait l’Allemagne retire ses troupes des colonies ou protectorats
européens d’Afrique en 1911 et abandonne la filière industrielle de l’armement dès 1910 face à la
concurrence Anglaise. Il reste difficile de balayer ces causes potentielles d’un revers de main. Même si
ces causes profondes ne peuvent être qu’une “toile de fond” qui ne provoque pas nécessairement de
guerres, elle demeure un terreau fertile. Un certain penchant de l’historiographie voit aussi des causes
idéologiques avec une montée des nationalismes et détestation entre sociétés avec les ressentiments
de la guerre franco-prussienne de 1870 par exemple. Cette rivalité certaine entre la France et
l’Allemagne, si elle n’est pas à négliger, ne peut être là aussi montrée comme cause claire de cette
guerre. Ces montées “nationalistes” ne se remarquant que dans certaines grandes villes de l’époque, et
les sociétés demeurant elles plus globalement pacifiques: les sociaux-démocrates remportent les
élections en 1912 en étant pacifiste dans leur programme, en 1914 en France, c’est le centre gauche
hostile à l’allongement du service militaire qui est élu en majorité à l’assemblée.

III- La nécessité d’une construction d’une histoire plurielle, scientifique, et


transnationale.

Les causes de la première guerre mondiale sont ainsi dure à déterminer. Une chose est
certaine à l’issue du passage en revue des différentes théories: elle est multifactorielle. Ainsi, sans
renier clairement des faits; parfois même involontairement, une étude partielle ou partisane de
l'événement peut mener à sur évalué le rôle de certains acteurs. Un historien peut-être critique du rôle
de son pays (aujourd’hui, pour les pays impliquées en tout cas) , mais il reste conditionné aux archives
qu’il possède et qui lui sont transmissibles. En cela, l’approche de Jules Isaac à l’issue du conflit est
pertinente: essayer de faire travailler ensemble des historiens allemands et français afin de croiser les
points de vue et les sources et déterminer une vision la moins passionnée et biaisée possible.
Cela peut s’avérer plus complexe quand certaines thèses relèvent d’une grille de lecture
différente. Les thèses marxistes sur l’implication d’une superstructure capitaliste dans le conflit
peuvent être discutées, et peuvent servir à leur manière un objectif politique. Il n’est toutefois pas
réellement possible de dire qu’il faudrait “sortir d’une marxiste” pour penser la guerre, le matérialisme
dialectique et historique apportant, même pour des penseurs non-marxistes d’ailleurs, des outils de
pensée qui font avancer la recherche.

En conclusion, les causes de la première guerre mondiale montrent les difficultés qu’a
l’historiographie pour déterminer les tenants et aboutissants d’un conflit aussi vaste. S’il est nécessaire
de prendre en compte plusieurs points de vue, il est important que les différents courants
historiographiques puissent se contredire et défendent ainsi leurs thèses afin de créer un débat.
Malgré un idéal de vérité, l’histoire n’est pas une science exacte et la vérité absolue reste impossible à
atteindre. Nous pouvons tout de même penser que l’historiographie autour de la première guerre
mondiale a eu un avancement positif: de plus en plus déliée d’intérêts politiques et partisans au fil du
temps, il est quasi unanimement admis que les causes de cette guerre sont multiples, et les
explications et responsabilités plurielles.

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