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Bank Al Maghrib
Bank Al Maghrib
Résumé
L’histoire de Bank Al-Maghrib, la banque centrale du Maroc, constitue un cas d’école pour
étudier les évolutions de l’organisation et de la gouvernance d’une banque centrale. Fondée en 1959,
à partir de l’ancienne Banque d’État du Maroc qui datait du protectorat français, Bank Al-Maghrib
présente les trois modèles du central banking qui se sont succédé des années 1960 à nos jours :
banque d’émission nationale, elle met son organisation au service du financement de l’économie
marocaine en pleine croissance ; la crise de la dette et le plan d’ajustement structurel négocié avec
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Abstract
The history of Bank Al-Maghrib, the central bank of Morocco, provides a case-study for the
evolution of the organization and governance of a central bank from the 20th to the 21st Century.
Founded in 1959, from the former colonial Banque d’État du Maroc, Bank Al-Maghrib is first
designed as « a national bank of issue », financing the economic growth under the aegis of the State ;
The debt crisis of the 1980s and the influence of the IMF until the end of the 1990s changed the
pattern : Bank Al-Maghrib became an independant central bank which emerged in the 2000s through
a managerial revolution at the same time with the emergence of the Moroccan economy and society.
L’histoire de la Banque centrale du Maroc — Bank Al-Maghrib dans toutes les langues
du monde depuis 1987 — relève de l’histoire du temps présent. Elle s’inscrit pleinement
dans l’histoire de la décolonisation et de l’accession à l’indépendance nationale du Maroc.
Bank Al-Maghrib est fondée le 30 juin 1959. Elle se substitue à la Banque d’État du Maroc,
l’ancienne banque d’émission internationale créée par l’acte d’Algésiras de 1906 dans le
L’organisation de Bank Al-Maghrib de 1959 à nos jours 37
1. Cf. Samir Saul, « La Banque d’État du Maroc et la monnaie sous le protectorat », in La France et
l’outre-mer, un siècle de relations monétaires et financières, Paris, CHEFF, 1998, p. 389-427.
2. Daniel Rivet, Histoire du Maroc de Moulay Idrîs à Mohammed VI, Paris, Fayard, 2012, p. 359.
3. Mohamed Lazhar Gharbi, « Une volonté de décolonisation financière : la création de la banque centrale
de Tunisie 1955-1958 », Publications de l’Institut des Belles Lettres arabes, 2e semestre 2003, p. 161-178.
4. Jacques Berque, « Quelques perspectives d’histoire économique coloniale », in De l’impérialisme à la
colonisation, Paris, Les Éditions de Minuit, 1965, p. 91-100.
5. Cf. Pierre Vermeren, Le Maroc en transition, Paris, La Découverte, 2001.
6. Cf. Growing Faster, Finding Jobs, Choices for Morocco, World Bank Middle East and North Africa
Economic Studies, The World Bank, Washington, D.C., août 1996, préface de Kemal Dervis ; Sylvie Delannoy,
Géopolitique des pays émergents ; ils changent le monde, Paris, PUF, 2012.
7. Cette recherche n’aurait pas été possible sans l’accueil qui nous a été réservé à Bank Al-Maghrib depuis
2010 dans le cadre plus général de la rédaction d’une histoire de Bank Al-Maghrib de 1959 à nos jours, entreprise
grâce à la médiation des éditions du Cherche-Midi et en particulier du regretté Jean-Pierre Taillandier. Que soient
ici remerciées toutes les personnes qui au Maroc, à la banque centrale comme ailleurs, m’ont donné accès aux
multiples sources, écrites et orales, primaires et publiées, sans lesquelles aucune histoire n’est possible. Nous
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évolué, de la (re) fondation de Bank Al-Maghrib en 1959 jusqu’à nos jours, le modèle de
gestion théorique et les modalités du fonctionnement pratique de la banque centrale du
Maroc ? Elle apparaît, à l’instar des autres banques centrales dans le monde, comme une
organisation complexe et spécifique, en évolution continuelle, juridiquement sui generis
et véritablement sans pareil dans le paysage du management, à la croisée des modèles
antagonistes de l’entreprise et de l’institution8 .
L’enquête est d’autant plus fondée que le central banking est au cœur de la thématique
de l’émergence9 . Sur la banque centrale repose, en fait, l’ensemble du processus « d’ap-
profondissement financier » (financial deepening) qui constitue le vecteur principal de
l’insertion réussie d’une économie nationale en développement dans le marché mondia-
lisé10 . Ce qui est proprement la définition de l’émergence. À la banque centrale, la tâche
essentielle « d’ouvrir le système financier » et de « superviser » son fonctionnement en se
dotant des « moyens humains et matériels » appropriés11 . Le rôle crucial que le central
banking est appelé à jouer dans les politiques de l’émergence est une raison majeure pour
tenter d’ouvrir la « boîte noire » de la banque centrale. Mais il y a une autre raison, tout
aussi importante : toute banque centrale, de quelque manière qu’on l’envisage, participe
de l’État, y compris et peut-être surtout quand ses statuts garantissent son indépendance
vis-à-vis du pouvoir exécutif12 .
On mesure la fécondité de cette approche dans le cas de l’histoire des nations postcolo-
niales et singulièrement du Maroc où l’État – qu’on désigne encore en ce sens comme le
Makhzen (makhzân), c’est-à-dire le lieu où l’on entrepose le produit en nature de l’impôt —
a longtemps été « plus fort que la société » (Daniel Rivet)13 . Analyser l’organisation d’une
banque centrale, dans les pays émergents du sud comme d’ailleurs dans les « vieux » pays
du nord, c’est donc aussi contribuer à mieux mettre en lumière la part qui revient à l’État
et à son territoire, c’est-à-dire aux États-nations, dans ce processus historique complexe,
encore mal identifié, qu’on appelle aujourd’hui la « mondialisation »14 .
Dans cette perspective, nous analyserons, dans un premier temps, l’organisation de
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remercions aussi M. le directeur général de Bank Al-Maghrib de nous avoir autorisé à publier cette contribution.
Cf. Olivier Feiertag, Bank Al-Maghrib, l’émergence d’une banque centrale du XXe au XXIe siècle, Paris et Rabat,
Le Cherche Midi Éditeur, 2016.
8. Cf. Olivier Feiertag, « Administrer la monnaie : pour une histoire des banques centrales comme
organisations », Entreprises et Histoire, n° 48, septembre 2007, p. 73-91.
9. Cf. Maxwell Fry, Charles Goodhart et Alfonso Almeida (dir.), Central Banking in Developing Countries,
Londres, Routledge, 1996 ; Sylvia Maxfield, Gatekeepers of Growth : the International Political Economy of
Central Banking in Developing Countries, Princeton, Princeton University Press, 1997 ; Richard Grossman, « The
emergence of central banks and banking regulation in comparative perspective », Wesleyan Economic Working
Papers, n° 21, 2006.
10. Growing Faster, op. cit., p. 19-24.
11. Ibid., p. 23-24 (« Bank Al-Maghrib will need to acquire the staff and equipment »).
12. Cf. Olivier Feiertag et Michel Margairaz (dir.), Les banques centrales, les États et la Nation, Paris,
Presses de la FNSP, 2014.
13. D. Rivet, Histoire du Maroc, op. cit., p. 351.
14. Cf. Ali Sedjari (dir.), La revanche des territoires, Rabat, L’Harmattan-GRET, 1997.
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15. Cette histoire a surtout été étudiée dans le cas de la décolonisation britannique et de la zone sterling : cf.
Catherine R. Schenk, « The origins of a central bank in Malaya and the transition to independance, 1954-1959 »,
Journal of Imperial and Commonwealth History, 21, 2, 1993, p. 409-431 ; id., « Monetary institutions in newly
independant countries : the experience of Malaya, Ghana and Nigeria in the 1950’s », Financial History Review,
4, 2, 1997, p. 181-198.
16. Archives historiques de Bank Al-Maghrib (désormais ABAM), « Discours prononcé par sa Majesté le
Roi le 2 juillet 1959 à l’occasion de l’inauguration de la Banque du Maroc », in Statuts de la Banque du Maroc,
s.l., s.d., 47 p.
17. ABAM, « Discours prononcé par S.E. M. Abderrahim Bouabid, ministre de l’Économie nationale et des
Finances », in Statuts de la Banque du Maroc, doc. cité.
18. Cf. Mohamed Bouarfa, Le rial et le franc, les antécédents internationaux du système monétaire marocain,
Rabat, INMA, 1988.
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le directeur général français est flanqué d’un sous-directeur espagnol et de deux fondés de
pouvoirs de nationalité allemande et britannique. Ainsi conçue la gouvernance de Banque
d’État illustre donc parfaitement, au moins à ses débuts, le principe de la porte ouverte et
« sans aucune inégalité » qui a servi de modus vivendi aux rivalités impérialistes au Maroc
dans la première phase de la mondialisation19.
L’instauration du protectorat française en 1912 mais surtout la Première Guerre mon-
diale contribuent à faire évoluer, par étapes, ce modèle d’organisation d’une banque d’émis-
sion internationale et privée vers une institution de plus en plus nettement française. Cette
mutation dans la gouvernance de la Banque d’État du Maroc prend la forme d’une pro-
gressive francisation du capital – et donc des structures d’administration et de contrôle —
comme dans le cas de la suppression du poste de censeur exercé depuis 1906 par la Reichs-
bank en vertu de l’article 141 du traité de Versailles, ou encore à travers le rachat par la
Banque de Paris et des Pays-Bas des parts allemandes, autrichienne, suédoise et britannique
au début des années 192020 . Mais elle prend également la forme d’une mainmise de plus
en plus directe de la Banque de Paris et des Pays-Bas, actionnaire de référence à l’origine,
aboutissant à faire de la Banque d’État du Maroc « le château fort de Paribas » à la veille
de l’Indépendance21 . La conjonction n’est paradoxale qu’en apparence tant la période
ouverte par la Première Guerre mondiale est caractérisée par un nationalisme économique
assez puissant pour unifier durablement logiques politiques et intérêts privés. Cette réalité
est parfaitement analysée par l’Istiqlal au moment où s’achèvent les négociations entre le
gouvernement marocain et la Banque d’État du Maroc en 1959 pour définir les conditions
de la transition du régime monétaire colonial : la Banque d’État, « instrument essentiel
de la colonisation française » est à la fois « soumise aux injonctions du gouvernement
français » et génératrice pour Paribas « de bénéfices énormes au profit de ses actionnaires
et de ses filiales et au détriment du Maroc »22 .
Dans ce contexte, les conditions pratiques du processus de substitution de Bank Al-
Maghrib à l’ancienne Banque d’État du Maroc sont éclairantes à plus d’un titre. Elles nous
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Cela a été, si j’ose parler comme un épicier, une opération loyale et marchande. Cela
n’a été ni une négociation de marchand de tapis, ni une négociation politique. [...]
L’évaluation du prix d’achat a été très stricte et méthodique. Tous les éléments d’actif
ont été étalés. Dans les créances, il y avait une créance sur le gouvernement marocain,
mais quelle est sa valeur quand c’est le gouvernement marocain qui rachète ? C’était
vraiment une négociation de rachat d’entreprise. [...] Mais le prix qu’ils ont payé valait
largement les encaisses, les immeubles et un certain goodwill. Le fonds de commerce
19. Cf. Sophia Broubrahimi, Le Maroc au cœur des convoitises européennes, l’impact de la conférence
d’Algésiras sur le régime douanier marocain jusqu’au protectorat français en 1912, mémoire de recherche sous
la direction de Bouda Etemad, université de Genève, 2014.
20. Cf. Éric Bussière, « Paribas et la prise de contrôle de la Banque d’État du Maroc », in La France et
l’Outre-mer : un siècle de relations monétaires et financières, Paris, CHEFF, 1998, p. 429-435.
21. Georges Hatton, Les enjeux financiers et économiques du protectorat marocain (1936-1956), politique
publique et investisseurs privés, Paris, Publications de la SFHOM, 2009, p. 287 sqq.
22. Archives Wilfrid Baumgartner (désormais AWB), Centre d’Histoire de Sciences Po, 2BA54, Mémoire
sur la Banque d’État du Maroc présenté par le parti de l’Istiqlal à sa Majesté le Roi, 28 juin 1959.
23. Archives orales de l’IGPDE (Ministère de l’Économie et des Finances), (désormais AO), Paris, Entretien
biographique de François Bizard mené par Agathe Georges-Picot en décembre 1989.
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d’un institut d’émission, cela ne veut pas dire grand’chose... Enfin, incluons dans le
goodwill, les personnels et, si j’ose dire, moi y compris24 .
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27. Entretien de l’auteur à Rabat le 14 janvier 2011 avec Mounir Razki, directeur de la direction des
Opérations monétaires et des Changes.
28. Entretien de l’auteur à Casablanca le 20 avril 2011 avec Mohamed Benjelloun.
29. Entretien de l’auteur à Rabat le 21 avril 2011 avec Abdelmalek Ouenniche affecté au département
étranger en juin 1966.
30. Entretien de l’auteur à Rabat le 14 décembre 2011 avec Madame Boutaleb.
31. Archives de la Banque de France (désormais ABF), 1373200602/41, Note de G. Le Gal du 30 décembre
1966.
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The central bank was an equal partner with the Ministry of Finance in the negocia-
tions with the Fund. Issues relating to monetary policy, exchange rate, and balance
of payments were held primarly by the central bank, and the Governor was briefed
by the Mission on how we were approaching and discussing budgetary matters with
the Ministry of Finance. [...] We perceived no tension between the two institutions
in negociations with the Fund mission [...] In principle, we assumed that it was the
Ministry of Finance that was ‘leading’the negociations but in practice we perceived
that both of them were ‘co-leaders’38.
35. ABAM, Dossier FMI (1), Lettre d’intention du ministre des Finances, Abdelkamel Rerhaye au directeur
général du FMI, 12 novembre 1979. Cf. Lahcen Boutahar, Contribution à l’analyse du FMI aux pays en voie de
développement : l’expérience du Maroc, thèse de l’université d’Orléans sous la dir. de M. Lelart, 1982.
36. Cf. Olivier Feiertag, Histoire de Bank Al-Maghrib de 1959 à nos jours, op. cit., chapitre III.
37. Harold James, « The International Monetary Fund and Central Banking », dans The Emergence of
Modern Central Banking from 1918 to the Present, dir. Carl-Ludwig Holtfrerich, Jaime Reis et Gianni Toniolo
Alderhot, Ashgate, 1999, p. 328 sqq
38. Témoignage écrit de Rattan J. Bhatia à l’auteur du 11 juin 2013.
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39. Cf. Mohammed Chiguer, La rescapée, histoire romancée de la Caisse de dépôt et de gestion, Rabat,
Confluence, 2010, p. 81-90.
40. Cf. Joan M. Nelson (dir.), Economic Crisis and Policy Choice : The Politics of Adjustement in the Third
World, Princeton, Princeton University Press, 1990 ; Stephan Haggard et Robert R. Kaufman, (dir.), The Politics
of Economic Adjustment : International Constraint, Ditributive Conflicts, and The State, Princeton, Princeton
University Press, 1992.
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La direction du Crédit devait évoluer, car à cette époque le crédit lui-même évoluait,
c’était la fin de l’encadrement ; il fallait donc adapter la direction aux formes
nouvelles de la politique monétaire et aux nouveaux instruments de la politique
monétaire ; le marché des Bons du Trésor s’était beaucoup développé. Il fallait
réformer la direction et c’est pour cela qu’on était venu me chercher. [...] Avant il
y avait des relations personnelles entre les banquiers de la Place et le directeur du
Crédit. Désormais c’est le marché43 .
41. ABAM, Procès-verbaux du conseil de Bank Al-Maghrib, 159e séance du 19 avril 1994, p. 10.
42. ABAM, Archives du service juridique, « Création d’un département juridique », note du 26 juillet 1995.
43. Entretien de l’auteur avec Madame Boutaleb du 14 décembre 2013.
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Banque du Maroc ne paraît pas disposée à s’engager pour le moment à cause d’une situation
des comptes extérieurs jugée encore trop fragile. La banque centrale paraît donc ne pas
partager le point de vue « très en flèche » du Trésor marocain »44 . Rien n’illustre mieux
cette période d’attente que le témoignage de la génération des cadres intermédiaires – le
mid-management – de Bank Al-Maghrib : née au moment de l’Indépendance, diplômée des
universités marocaines, entrée au service de la Banque centrale au milieu des années 1980,
au moment du PAS, elle est impatiente de contribuer à son tour au changement du système
et de poursuivre la réforme. Mais elle se heurte à l’immobilisme global des structures de
pouvoir. C’est le sens du témoignage de Lahcen Hadouni, né en 1956, ingénieur commercial
de formation, il est affecté en avril 1985 à la direction de la Fabrication des billets et des
monnaies. À la fin des années 1990, avec d’autres cadres « de deuxième ligne », il travaille
à rédiger un projet de réorganisation de Dar As-Sikkah, le « livre jaune » : « un diagnostic
force-faiblesses-contraintes. On évoquait déjà les notions de système d’information, de
qualité, de stratégie et de marketing. On était en avance sur notre temps, mais il manquait
alors l’impulsion d’en haut pour réaliser tout cela... »45 . Il ne fait pas de doute que Bank Al-
Maghrib, comme l’économie et la société marocaine, se trouve au tournant du XXIe siècle
à la croisée des chemins. C’est dans ce contexte que la banque centrale marocaine est le
théâtre, au cours des années 2000, d’une véritable révolution managériale.
44. ABF, 1495200501/571, Note-bilan sur la mission technique de la Banque de France au Maroc d’Yves
Nachbaur, adjoint au directeur des Changes de la Banque de France du 19 novembre 1993.
45. Entretien de l’auteur avec Lahcen Hadouni, directeur de Dar As-Sikkah, le 13 décembre 2011 ; ABAM,
Rapport sur la réorganisation de Dar As-Sikkah, avril 1998.
46. FMI, Communiqué de presse n° 14/215 du 9 mai 2014.
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et financier est indissociable des formes de sa gouvernance interne. Cette réalité est au
cœur du processus de réforme qui caractérise l’ensemble de l’organisation de Bank Al-
Maghrib à compter de 2003. La Banque remodèle à la fois son organigramme, son système
d’information et sa gestion des ressources humaines. Elle réforme aussi en profondeur
son mode de gouvernance et les formes de son processus de prise de décision. Pour Bank
Al-Maghrib, forte d’une histoire de près de cinquante ans, c’est une mue décisive qui
correspond à une sorte de « révolution culturelle ».
La transformation la plus manifeste de l’organisation et de la culture d’entreprise de
Bank Al-Maghrib concerne ses structures d’exercice du pouvoir – ce qu’on appelle aujour-
d’hui communément ses modalités de gouvernance. La nomination par le roi d’Abdellatif
Jouahri à la tête de la banque centrale en avril 2003 est décisive. Elle s’inscrit à la fois dans
un contexte économique international favorable marqué par une nette accélération de la
mondialisation et dans un contexte national nouveau, dominé par le lancement des grands
chantiers de réformes entrepris sous l’égide de Mohammed VI qui a succédé à Hassan II
en 1999. La trajectoire du nouveau gouverneur éclaire à plus d’un titre les conditions dans
lesquelles s’est opérée la réforme radicale de l’organisation de Bank Al-Maghrib dans les
années 2000. Sa biographie suggère que l’émergence du Maroc au seuil du XXIe siècle
s’enracine dans une temporalité plus longue et qu’il n’y a pas de réelle solution de conti-
nuité entre le Maroc en voie de développement des années 1960 et le Maroc émergent
du temps présent. Né le 10 juin 1939 à Fès, son père, Sidi Taleb Jouahri, était mohtassib
de Fès, c’est-à-dire haut dignitaire municipal chargé de la régulation des marchés et de
la voirie. Après des études de droit à la faculté de Rabat, Abdellatif Jouahri entre à Bank
Al-Maghrib en 1962. Une fois effectué le stage rituel de douze mois à la succursale de
Casablanca pour apprendre le métier, il prépare et réussit le concours de l’inspection de la
Banque sous l’autorité directe du directeur central, Mohammed Bouarfa. En 1969, il est
nommé à la tête du nouveau service des banques apparu dans l’organigramme de Bank
Al-Maghrib au lendemain de la promulgation de la première loi bancaire de 1967. En
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et de l’état du marché du travail. La rupture avec les grilles de rémunération calées sur
la fonction publique était consommée. C’est sur la base de ce nouveau schéma directeur
des ressources humaines qu’est mise en chantier à partir de la fin 2005 par la direction
des Ressources humaines, appuyée sur l’expertise du cabinet de conseil en management
Towers Perrin, la refonte du statut du personnel de Bank Al-Maghrib qui n’avait pas
fondamentalement évolué depuis la fondation de la Banque en 1959.
Le 19 juin 2007, à l’issue d’un processus de négociation parfois tendu avec les organi-
sations syndicales de la Banque, les nouveaux statuts du personnel de Bank Al-Maghrib
sont adoptés par le conseil de la Banque. Il entre en vigueur le 1er janvier 2008. Dans le
même temps, le renouvellement des agents de la Banque s’accélère pour répondre aux
besoins de recrutement des directions dont les missions sont rénovées en profondeur par
la réforme bancaire de 2006. C’est ainsi que la direction des Opérations monétaires et
du Change (DOMC), formée en 2004 à partir de certaines des attributions de l’ancienne
direction du Crédit et du Marché monétaire, voit dès la fin de sa première année d’existence
ses effectifs renouvelés à hauteur de 20 % du total. En 2010, la proportion d’agents de la
DOMC recrutés depuis 2004 atteint plus de 80 %. La direction de la Supervision bancaire,
issue en 2004 de l’ancienne direction du Contrôle des établissements de crédit, connaît un
renouvellement semblable de ses cadres, notamment du fait des recrutements rendus néces-
saires par l’adoption de Bâle II, de nouveaux profils tels que des auditeurs, des analystes
financiers, des juristes. À l’issue du premier plan stratégique en 2006, comme le note, non
sans satisfaction, la Banque dans son rapport annuel, elle « s’est dotée d’un système de
gouvernance moderne et d’un organigramme mieux adapté à ses missions fondamentales ».
La mutation, sans conteste, est considérable. Mais elle n’est pas propre à Bank Al-Maghrib.
Elle participe plus largement de la révolution managériale qui, au Maroc comme dans le
reste du monde, notamment dans les pays les plus avancés, caractérise massivement, depuis
le tournant du nouveau siècle, la plupart des grandes entreprises et institutions.
Mais cette révolution ne concerne pas que les modalités de la gouvernance interne,
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L’organisation de Bank Al-Maghrib de 1959 à nos jours 51
51. Entretien de l’auteur avec Karim El Aynaoui, directeur des Études et des Relations internationales de
Bank Al-Maghrib, le 25 mai 2010.
52. Entretien de l’auteur avec Nizha Saadani, chargée de la Communication de Bank Al-Maghrib, le 27 mai
2010.
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52 Olivier Feiertag
des logiques politiques de l’État et des dynamiques économiques globales d’un marché en
voie de mondialisation accélérée.
Cette évolution amène Bank Al-Maghrib à effectuer dans l’environnement mondial
nouveau des années 2000, marqué par l’émergence avérée de l’économie marocaine, une
réorganisation profonde de ses structures et de ses pratiques sous la forme d’une révolution
managériale qui est aussi une révolution culturelle.
Ainsi comprise, cette histoire suggère que l’émergence économique, à l’image de
l’émergence de la banque centrale, n’est pas seulement un phénomène récent. Elle s’enra-
cine dans le temps long des pays en voie de développement, remontant aux tout débuts de
l’indépendance et plongeant même à plus d’un titre ses racines dans la période coloniale.
Dans cette perspective renouvelée, l’émergence ne serait rien d’autre que l’achèvement de
la décolonisation.
Mais cette histoire met également nettement en lumière, à travers les métamorphoses
de Bank Al-Maghrib (comme de toutes les banques centrales du monde), que l’émergence
– tout comme d’ailleurs ce qu’on appelle la mondialisation – renvoie autant aux logiques
politiques persistantes des États-nations qu’aux dynamiques économiques globales du
marché mondial. C’est une leçon d’histoire, on en conviendra, plus que jamais d’actualité.
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